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Une fenêtre ouverte sur le monde

Juin 1970 (XXIIIe année)


France: 1,20 F

Belgique : 17 F

Suisse: 1,20 F

L'I
EN QUÊTE
D'EAU
TRÉSORS
DE L'ART
MONDIAL

Parure pour une dame celte


(Rép. Féd. d'Allemagne)

Du 5e siècle avant notre ère jusqu'à la conquête romaine, la civilisation celte connut une
phase très brillante, que les archéologues ont nommée « civilisation de la Tène», à la suite
des découvertes faites près du lac de Neuchâtel à la Tène, en Suisse. En 1954, on découvrait
à Reinheim (République Fédérale d'Allemagne) une sépulture celte où furent retrouvés des
bijoux d'une rare beauté, que l'on put dater du 4e siècle avant notre ère et de la diffusion
de la culture de la Tène sur la route du Rhône au Rhin. L'un des plus beaux est un torque
d'or (collier sans agrafe, à droite), ciselé pour une dame de haut lignage, peut-être une
princesse. Ci-dessus, détail très agrandi du motif symétriquement répété aux extrémités
de la torsade, caractéristique du traitement curviligne que les orfèvres celtes se plaisaient
à donner, dans les bijoux et les monnaies, à un motif naturel très stylisé.
Le
Jim Courrier
JUIN 1970
XXIIIe ANNÉE Pages

4 I. L'HOMME EN QUÊTE D'EAU


PUBLIÉ EN 13 ÉDITIONS
12 II. SUR TOUTE LA PLANÈTE
UN PROBLÈME CRUCIAL
Française Italienne
par Raymond L. Nace
Anglaise U. S. A.

Espagnole Hindie
8 PALMERAIES EN CREUX DANS LE DÉSERT
Russe Tamoule

Allemande Hébraïque 14 LE PANTANAL


Arabe Persane
Un des plus grands projets hydrologiques du monde
Japonaise
par Newton Velloso Cordeiro

Mensuel publié par l'UNESCO 16 ORIGINALITÉ ET TRADITION


Organisation des Nations Unies
pour l'Éducation, DE LA CULTURE AMÉRICAINE
ia Science et la Culture
par Charles C. Mark
Ventes et distributions :

Unesco, place de Fontenoy, Parls-7e


23 L'AIGLE
Belgique : Jean de Lannoy,
112, rue du Trône, Bruxelles 5 Vaisseau spatial de l'âge pré-scientifique
par José Patrocinio de Souza
ABONNEMENT ANNUEL : 12 francs fran¬
çais; 170 fr. belges; 12 fr. suisses; 20/-stg.
POUR 2 ANS: 22 fr. français; 300 fr. belges; LES CINQ CRISES DE L'UNIVERSITÉ
22 fr. suisses (en Suisse, seulement pour les
éditions en français, en anglais et en espa¬ DANS LE MONDE
gnol) ; 36/-stg. Envoyer les souscriptions
par mandat C. C. P. Paris 12598-48, Librairie par James A. Perkins
Unesco, place de Fontenoy, Paris.

ART ET SCULPTURE MODERNES


Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits
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Directeur-Rédacteur en chef :
Sandy Koffler
Rédacteur en chef adjoint :
René Caloz

Adjoint au Rédacteur en Chef :


Lucio Attinelli

Secrétaires généraux de la rédaction :


Notre couverture
Édition française : Jane Albert Hesse (Paris)
Édition anglaise : Ronald Fenton (Paris)
Édition espagnole : Francisco Fernández-Santos (Paris) Toute la vie des Touareg dépend des
Édition russe : Georgi Stetsenko (Paris) rares points d'eau du Sahara, où ils
Édition allemande : Hans Rieben (Berne) nomadisent avec leurs dromadaires.

Édition arabe : Abdel Moneim El Sawi (Le Caire) Dès l'antiquité, l'irrigation par un sys¬
Édition japonaise : Takao Uchida (Tokyo) tème de canaux souterrains, s'imposait
Édition italienne : Maria Remiddi (Rome) pour cultiver dans le nord du Sahara
Édition hindie : Babu Ram Saksena (Delhi) des espaces désertiques, qu'un grand
Édition tamoule :T.P. Meenakshi Sundaran (Madras) projet hydrologique de l'Unesco et des
Édition hébraïque : Alexander Peu (Jérusalem) gouvernements algérien et tunisien per¬
Édition persane : Fereydoun Ardalan (Téhéran) mettra de rendre prospères (voir pages
Rédacteurs : 9 et 10). On estime à 2 millions et demi
de km2 la nappe d'eau qui s'étend sous
Édition française: Louis Frédéric
les sables sahariens. Le problème de
Édition anglaise: Howard Brabyn
l'eau est un problème crucial pour le
Édition espagnole: Simon Izquierdo Perez
monde entier ; la communauté des
Illustration et documentation : Olga Rodel nations l'étudié dans le cadre de la
Maquettes : Robert Jacquemin Décennie hydrologique internationale
Toute la correspondance concernant la Rédaction doit être (voir page 4).
adressée au Rédacteur en Che!
Photo Unesco - Dominique Lajoux
L'homme
en quête d'eau

par Raymond L. Nace Nous sommes à présent parvenus à mi-chemin de la Décennie hydro¬
logique internationale, patronnée par l'Unesco. Depuis le 1" janvier
1965, ce vaste programme a requis les hydrologues du monde entier,
car il s'agit pour la première fois de recenser les ressources en eau
douce, qui vont s'amoindrissant, et de coordonner sur toute la planète
les méthodes qui en permettraient une meilleure utilisation. Ici, l'éminent
hydrologue américain Raymond L. Nace examine le problème du point
de vue historique et scientifique, et expose quelques-unes des grandes
questions auxquelles la coopération internationale apporte des solutions.

D EPU1S l'aube de la civilisa¬ L'homme doit d'abord se maîtriser l'homme et de son milieu ne concer¬
tion, les populations, de plus en plus lui-même. La vérité oblige à dire qu'il nent pas seulement les hommes de
nombreuses, ne purent survivre qu'en ne l'a pas encore fait et que, pour pays particuliers : ils intéressent tous
triomphant des restrictions imposées cette raison, il a si complètement bou¬ les hommes et tous les pays. Cela est
par le milieu naturel, notamment en leversé le milieu naturel où il s'est particulièrement vrai de l'eau. La mo¬
améliorant le volume et la répartition développé qu'il ne sait plus quelle bilité de cet élément est une de ses
des ressources en eau. place il y occupe, si ce n'est comme propriétés les plus utiles ; mais elle
Les aménagements hydrauliques et élément perturbateur. Or nous savons pose aussi de graves problèmes, tant
la politique de l'eau ont toujours été que l'eau joue partout un rôle capital pratiques que scientifiques, internatio¬
décisifs, comme le prouvent les sur notre globe : des profondeurs de naux que nationaux.
nombreuses mesures matérielles et la mer au sommet de la plus haute Au cours des 7 000 dernières
administratives prises, dès l'époque montagne, du désert le plus aride à la années, des hommes ont cherché en
sumérienne, en Mésopotamie, pour forêt équatoriale humide, et des tro¬ divers temps et lieux à augmenter les
régler la répartition et l'utilisation de piques aux calottes glaciaires des ressources en eau douce, ou du moins
l'eau, et dont la complexité n'a cessé pôles. Elle joue aussi un rôle dans
à augmenter la proportion d'eau utili¬
toutes les activités de l'homme et des
de croître avec le temps. sée avant son inévitable retour à la
animaux.
Malgré tout, les problèmes de l'eau mer. Pendant la plus grande partie de
s'aggravent de plus en plus dans de Jusqu'ici, nos tentatives de « maî¬ ce temps, le cycle de l'eau leur est
nombreuses régions, même dans cer¬ trise du milieu » n'ont abouti qu'à une demeuré mystérieux.
taines zones des pays développés où modification à courte vue du paysage. L'homme de l'antiquité, tout comme
l'eau est pourtant relativement abon¬ Pendant ce temps, l'activité humaine l'homme moderne, préférait le soleil et
dante. Car, très souvent, les problè¬ a eu des incidences qui n'avaient été un temps chaud et sec. Mais pour
mes tendent à être d'ordre plutôt qua¬ ni recherchées ni prévues et qui sont pouvoir prospérer et se multiplier dans
litatif que quantitatif. encore mal comprises. les régions sèches, il lui a fallu opérer
De manière générale, les problèmes L'homme a déjà contaminé les un changement plus profond Que celui
consistant à transformer son activité
de l'eau sont peu nombreux, mais fon¬ océans, l'atmosphère et même les loin¬
taines calottes glaciaires du Groen¬ de chasseur et de pâtre nomade en
damentaux : répartition dans l'espace
(trop ou trop peu) ; répartition dans land et de l'Antarctique. La plupart des celle d'agriculteur sédentaire.
le temps (trop en certaines saisons cours d'eau sont plus ou moins pollués Une culture non irriguée est pré¬
ou en certaines années et trop peu et beaucoup sont devenus de nau¬ caire, voire impossible, dans les
en d'autres) ; qualité chimique (trop séabonds égouts à ciel ouvert. Le régions sèches. Mais une irrigation de
forte minéralisation) ; absence de miné¬ tapis végétal et la fertilité du sol ont quelque ampleur réclame un effort
raux utiles à l'organisme ou présence été détruits dans d'immenses régions. collectif ; la dérivation des eaux, l'en-
de minéraux nuisibles à la santé.
L'histoire du pillage de la Terre par SUITE PAGE 6

Certains affirment que l'on peut l'homme a été maintes fois décrite,
résoudre tous les problèmes en maîtri¬ mais en partie seulement, car on ne La qualité de l'eau est aujourd'hui plus
sant le milieu extérieur. C'est là un la connaît pas entièrement et que son préoccupante encore que la quantité.
objectif illusoire. étude n'est pas encore terminée. Le Aussi cherche-t-on à réduire la pollution.
problème n'est pas celui de la maîtrise Ainsi, avant d'être rejetées dans les cours
du milieu. Il consiste à savoir si la d'eau, les eaux des égouts des grandes
villes subissent un cycle d'épuration. Elles
nature peut être préservée avec quel¬
RAYMOND L. NACE, ancien président du passent par des bassins d'aération qui
Comité national des Etats-Unis pour la Décen¬ que apparence d'ordre et si la civilisa¬
fournissent l'oxygène nécessaire à la
nie hydrologique internationale, représentait tion peut survivre à son propre impact multiplication des micro-organismes qui
les Etats-Unis au Conseil de coordination de sur la nature.
éliminent peu à peu les matières organiques
la Décennie. Hydrologue. Il travaille actuelle¬
en suspens. Ici, station d'épuration
Les faits historiques concernant
4 ment dans le secteur de la
Département des ressources en eau du Ser¬
recherche, au

l'état où se trouve aujourd'hui la plus


biologique, dans la région parisienne.
vice géologique des Etats-Unis, sur des pro¬ Les tuyaux conduisent à la Seine l'eau
blèmes d'hydrologie générale et ceux de
grande partie de l'humanité prouvent épurée, mais non potable (voir aussi
l'élimination des déchets radio-actifs. suffisamment que les problèmes de photo page 7).
L'HOMME EN QUÊTE D'EAU (Suite)

La fin de Mohenjo-Daro : crue ou sécheresse ?

tretien des ouvrages et la répar¬ plus de 30 millions de personnes. Un annuel de limon rendait inutile l'em¬
tition de l'eau ne sont réalisables que immense réseau d'irrigation alimente ploi d'engrais.
grâce à une organisation sociale et environ 9 millions d'hectares de terres
Il sera intéressant d'observer ce que
politique efficace. (90 000 kilomètres carrés). Plus de deviendra la vallée du Nil lorsque le
2 millions d'hectares ont déjà été per¬ système d'irrigation moderne avec un
Il se peut que la civilisation soit née
dus du fait de la salinité et de l'engor¬ vaste réservoir d'amont (où l'eau cap¬
du refus par l'homme d'accepter les
gement des sols, et les pertes annuel¬ tée déposera une grande partie de ses
limitations imposées par la géographie
les atteignent 40 000 hectares. sédiments) sera complété.
et de sa recherche des moyens d'y
remédier. La plaine de l'Indus n'est qu'un
exemple des problèmes de l'irrigation.
Après la période glaciaire, 8 000 ou
5 000 ans avant notre ère, s'établirent
Dans les régions sèches, le sol et les
eaux souterraines ont naturellement PLAINES INONDABLES ET VILLES.
des conditions climatiques analogues,
tendance à se saliniser parce qu'il Les peuples modernes ne sont pas les
pour l'essentiel, à celles qui régnent
actuellement. Le Proche-Orient et le n'entre dans le cycle hydrologique premiers à construire des villes dans
local qu'une quantité d'eau trop faible les plaines fluviales inondables. Mo¬
Moyen-Orient étaient déjà arides ou
semi-arides ; néanmoins, ce fut là que
pour évacuer les sels. Une bonne irri¬ henjo-Daro et Harappa, cités d'une
gation exige l'emploi d'une quantité civilisation qui s'épanouit dans la plaine
prirent naissance les premières civili¬
d'eau suffisante pour noyer les terres de l'Indus entre 2500 et 1500 ans avant
sations. Ce n'est pas une simple coïn¬
et une circulation suffisante de l'eau J.-C. et que l'archéologie a rendues
cidence. Le climat a déterminé les lieux
souterraine ou de l'eau de drainage célèbres, se trouvèrent en difficulté
où devait apparaître la civilisation.
pour évacuer convenablement les sels parce que leurs habitants ne compri¬
de la zone irriguée. rent pas ou ne purent maîtriser les
interactions du sol, de l'eau, de la
Quand le drainage est insuffisant,
le sol reste saturé d'eau et le pro¬ végétation et de l'homme dans une
L'IRRIGATION. Si l'on considère la blème s'en trouve aggravé. Des dizai¬ plaine inondable. Cette civilisation
longue histoire des aménagements nes et des dizaines de milliers d'hec¬ disparut après une longue décadence.
hydrauliques, il est surprenant que le tares sont perdus chaque année pour Selon une hypothèse très répandue,
cycle de l'eau soit resté, jusqu'à une la production du fait de la salinité et de la civilisation d'Harappa aurait été fon¬
époque toute récente, un mystère. la saturation en eau du sol, principa¬ dée sur une agriculture d'irrigation et
Les connaissances qu'avaient les lement en Asie, en Afrique et en Amé¬ et sa ruine causée par l'augmentation
Sumériens en hydrologie sont douteu¬ rique du Nord. de la salinité du sol. Mais certains spé¬
ses. Les auteurs de leurs inscriptions cialistes déclarent que rien ne prouve
cunéiformes s'intéressaient plus aux que des systèmes d'irrigation aient
exploits militaires et aux questions pra¬ existé à l'époque de Harappa.
tiques qu'aux spéculations intellectuel¬ Une théorie récente réplique que
les. Mais ce peuple possédait certaine¬ les cités en question auraient pu être
LE NIL, IL Y A PLUS DE 5 000 ANS.
ment une connaissance pratique éten¬ détruites par des crues répétées. Les
L'agriculture par irrigation systé¬
due des eaux courantes, sans laquelle murs massifs en brique édifiés
matique à grande échelle apparut
il n'aurait pu faire fonctionner dans dans la vallée du Nil vers 3400 avant autour de Mohenjo-Daro ne réussis¬
la plaine de Mésopotamie un système sant pas à protéger la ville, celle-ci
J.-C. Le problème de l'irrigation était
d'irrigation vaste et aussi complexe. aurait été engloutie.
dans cette région beaucoup moins
Les Sumériens avaient un tel sys¬ complexe qu'en Mésopotamie. Une Une plaine inondable est précisé¬
tème dès l'an 4000 avant J.-C, peut- irrigation simple par bassins d'inonda¬ ment ce. que signifie son appellation :
être beaucoup plus tôt. Eux-mê¬ tion fut pratiquée, sur la rive gauche une forme de terrain construite par
mes et leurs successeurs régnaient pour commencer. Par la suite, quand le fleuve pendant ses crues. Un fleuve
sur une région d'environ 20 000 kilo¬ des bassins furent créés sur la rive est en crue quand il déborde. Ces
mètres carrés dont une grande partie droite, le resserrement du fleuve entre inondations constituent un phénomène
était irriguée, partie par partie. Le ses deux rives souleva de graves dif¬ périodique normal pour la plupart des
système sumérien d'irrigation fut ficultés pendant les fortes crues. cours d'eau. Les grandes inondations
remarquable par ses dimensions et sa sont moins fréquentes. Mais celles qui
Sous la 12e dynastie, un plan remar¬
durée. affectèrent l'Indus à l'époque de
quable fut élaboré pour y porter
Très tôt, la salinité et l'alluvionne- remède. Il consistait à utiliser la
Harappa semblent avoir été de nature
différente.
ment causèrent à des degrés divers dépression du Fayoum comme réser¬
de graves dommages aux champs voir latéral de déviation du trop-plein Selon une autre interprétation, un
irrigués ; mais les Sumériens apprirent des eaux du Nil ; ainsi fut constitué phénomène géologique non identifié
à remédier dans une certaine mesure aurait obstrué l'Indus en aval de
le lac Mlris, dans le désert, à 80 kilo¬
à ces difficultés. Il en alla de même mètres au sud-ouest du Caire. Les Mohenjo-Daro, créant un lac dont les
pour leurs successeurs sémites, et années où la crue était insuffisante, eaux et le limon engloutirent la ville.
la pratique de l'irrigation continua jus¬ l'eau emmagasinée dans le lac était L'obstacle une fois érodé par l'émis¬
qu'au milieu du 12e siècle après J.-C. renvoyée dans la vallée. saire et le lac asséché, la population
Bien qu'on ait attribué à l'invasion de revint et rebâtit par-dessus les ancien¬
Houlagou, au 13' siècle, la dévastation Le système d'irrigation des Egyp¬
nes constructions. Cela se produisit
de la Mésopotamie, il est prouvé que tiens était unique en son genre. Les
au moins cinq fois. Un monticule, sur
cette région avait déjà été abandon¬ bassins d'irrigation étaient abondam¬
le site, contient des objets fabriqués
née au moins un siècle auparavant.
ment inondés, mais une fois par an
jusqu'à une profondeur de 22,6 mètres,
seulement. Le sable et le gravier qui
A en juger par notre expérience dont 7,3 mètres se trouvent en des¬
se trouvent en sous-sol dans la vallée
des méthodes d'irrigation modernes, sous du niveau phréatique actuel.
assurent un bon drainage du fond. Il
il est douteux qu'aucun système actuel n'y avait donc besoin ni de canaux Quoi qu'il en soit, Mohenjo-Daro
puisse avoir une durée comparable à
6 celui de la Mésopotamie.
d'irrigation ni de fossés de drainage, et
aucune difficulté d'ordre général ne se
nous offre l'exemple
problème devenu encore plus aigu de
d'un très vieux

Dans la vaste et fertile plaine de posait à cause de la salinité ou de la nos jours. L'occupation progressive
l'Indus, au Pakistan occidental,- vivent saturation des sols en eau. Le dépôt des plaines inondables par l'homme
Ce ne sont point (à droite)
des glaces flottantes sur
les eaux polaires mais
l'écume des jours,
c'est-à-dire celle des
détergents qui polluent
une rivière de France ; et
c'est dans plus en plus de
pays que ces produits de
nettoyage utilisés par la
ménagère tuent la faune et
la flore aquatiques.
Les insecticides et les
produits chimiques toxiques
éliminés par les usines
détruisent eux aussi le
poisson et les végétaux.

a.

entraîne des dommages toujours plus des causes rationnelles au lieu d'in¬ de pluie. L'eau de pluie se rassemble
voquer les caprices des dieux. Bien dans des réservoirs souterrains d'où
grands et, parfois, des pertes en vies
humaines. L'homme moderne n'a pas que fortement influencés par la mytho¬ sortent les fleuves. La terre ne pro¬
résolu ce problème-là non plus. logie, ils rejetaient en principe les duit pas de nouvelles quantités d'eau,
Les travaux d'irrigation et d'adduc¬ mythes, leur substituaient des déduc¬ mais les réservoirs se remplissent
tion d'eau exécutés dans l'antiquité, tions rationnelles et s'efforçaient de pendant la saison pluvieuse. Les cours
notamment en Iran et en Chine, sont ramener de nombreux faits à un petit d'eau perennes proviennent de grands
également intéressants ; et les exem¬ nombre de principes. Lé plus souvent, réservoirs et les cours d'eau tempo¬
ples examinés montrent que, de nom¬ ils se trompèrent ; mais qu'ils eussent raires de petits réservoirs.
breux siècles avant la naissance de la tort ou raison, ils furent généralement
Démocrite (v. 460-v. 370 av. J.-C.)
civilisation grecque classique, les hom¬ logiques.
enseigna que les propriétés des subs¬
mes avaient déjà acquis une bonne Le premier de ces physiciens fut tances dépendaient de la forme de
connaissance pratique de l'eau et des Thaïes de Milet (640 7-546 av. J.-C). leurs atomes. L'eau, par exemple,
aménagements hydrauliques. Connaissant l'ubiquité de l'eau dans pourrait être composée de sphères
Ils avaient inventé les principales la mer, sur terre, sous terre et dans lisses, ce qui expliquerait pourquoi
sortes d'ouvrages hydrauliques : bar¬ l'air, Thaïes émit l'hypothèse que elle coule si facilement.
rages de dérivation, barrages de rete¬ toutes les substances dérivaient de
nue, écluses, canaux et fossés de l'eau et redevenaient eau. Platon (428 ou 427-348 av. J.-C.) fit
fortement progresser la pensée grec¬
drainage. Ils utilisaient des canaux Cette théorie fut peut-être la pre¬
que. Il émit l'hypothèse que l'univers
pour l'irrigation, pour l'approvisionne¬ mière tentative de l'homme pour rame¬
fut créé par un esprit organisateur et
ment des villes et pour la navigation. ner la déconcertante diversité de la
que, par conséquent, il était intelligible.
Les peuples de l'antiquité eurent matière à un dénominateur commun.
Mais l'élément essentiel du cycle pla¬
aussi à affronter les mêmes problèmes Thaïes croyait que les fleuves étaient
tonicien de l'eau était le mythe du
que ceux qui préoccupent les hom¬ alimentés par la mer et que c'était le
Tartare. Platon supposait qu'une série
mes d'aujourd'hui : entretien des vent qui faisait pénétrer l'eau dans de canaux souterrains reliés entre eux
canaux et des fossés de drainage, le sol ; lorsque l'eau s'y trouvait, le
communiquaient avec leur source, le
nécessité d'en retirer les dépôts par poids des roches superposées la fai¬ réservoir du Tartare. Le mouve¬
dragage afin de s'en débarrasser, sait monter dans les montagnes, d'où
ment de va-et-vient perpétuel des eaux
adduction d'eau, navigation, lutte elle s'échappait pour former les fleu¬
du réservoir souterrain aurait fait jail¬
contre les inondations, pollution. Ces ves.
lir les sources et couler les fleuves.
problèmes n'ont fait que devenir plus Après Thaïes, les philosophes ne Toute l'eau des fleuves et des mers
urgents avec le temps et la proliféra¬ contribuèrent guère au progrès des finissait par retourner au Tartare.
tion de l'espèce humaine. idées concernant l'eau jusqu'à l'épo¬
que d'Anaxagore de Clazomènes (500- Aristote de Stagire (384-322 av.
428 av. J.-C), penseur fort original J.-C), élève de Platon et précepteur
* d'Alexandre le Grand, le fils de Phi¬
qui rejeta l'idée d'un élément primor¬
dial formulée par le Milésien. Anaxa- lippe de Macédoine, porta sa pensée
loin au-delà de celle de son maître.
L'HYDROLOGIE EN GRECE. Si l'on gore croyait qu'il ne pouvait se pro¬
duire aucune transformation de la Son esprit universel, qui embrassa
excepte les problèmes pratiques de
toute l'étendue des connaissances et
la maîtrise de l'eau, la première matière et que toutes les substances
avaient existé de toute éternité. de la philosophie humaines, ne pou¬
réflexion cohérente sur l'eau comme
vait négliger le cycle de l'eau.
substance et sur le cycle de l'eau Il définit un concept fondamentale¬
dans son ensemble semble s'être for¬
mée dans la Grèce antique. Les phy¬
ment exact du cycle hydrologique dans
sa forme élémentaire : le soleil fait
Aristote croyait que l'eau qui 7
s'écoule provenait surtout de gran¬
siciens grecs étaient intellectuellement monter l'eau de la mer dans l'atmo¬ des cavernes souterraines où le froid
méthodiques. Ils cherchaient aux effets sphère, d'où elle retombe sous forme transformait l'air en eau. Il n'expli-
SUITE PAGE 8
L'HOMME EN QUÊTE D'EAU (Suite)

quaît pas comme Arjaxagore certains


phénomènes météorologiques, comme
les orages de grêle.
Aristote ne pouvait imaginer que la
pluie fût plus qu'un appoint pour les
fleuves et les sources. Il affirmait que
l'eau de la mer se transforme en air
sous l'effet de la chaleur solaire et
que l'air redevient de l'eau (conden¬
sée) dans les cavernes sous l'influence
du froid.

Les théories d'Anaxagore étaient


plus proches d'explications qui sont
maintenant généralement admises.
Mais Aristote rassembla plus de don¬
nées d'observation que ne l'avait fait
Anaxagore et certaines de ces don¬
nées étaient en contradiction avec les
idées de ce dernier. L'argumentation
d'Aristote prévalut donc et ce
n'est
que près de 2 000 ans plus tard qu'elle
fut réfutée.

LA ROME IMPERIALE ET LES TRA¬


VAUX PUBLICS. Avant de subir l'in¬
fluence intellectuelle de la Grèce, les
Romains avaient beaucoup appris des
Etrusques, qui étaient passés maîtres
dans l'art de l'irrigation et de l'assè¬
chement des marécages. Cet héritage
permit à Rome d'avoir, dès le & siècle
avant J.-C, un excellent système
d'égouts. Dans l'ensemble, les Romains
adoptèrent la science de la Grèce mais
n'enrichirent guère ses concepts fon¬
damentaux. Ils excellaient surtout dans
les travaux publics, comme le prou¬
vent les aqueducs, ponts et autres
ouvrages d'art qui existent encore.
Les ingénieurs romains inventèrent
aussi la manière d'amener, par des
conduites, l'eau jusque dans les mai¬
sons. Chose curieuse, ils furent tout
à fait incapables de mesurer l'écou¬
lement de l'eau dans une canalisation.
Ils admettaient que le débit d'une cana¬
lisation dépend uniquement des dimen¬
sions de l'orifice et négligeaient le
facteur de la pression hydraulique.

L'EUROPE ET L'AUTORITARISME.
Dans le haut Moyen Age et au Moyen
Age, de nombreuses notions fantai¬
sistes eurent cours au sujet du cycle
de l'eau. Une de ces idées, héritée
de la Grèce et perfectionnée, était
que l'eau des océans se déverse dans
des cavernes sous-marines d'où
elle se dirige vers les continents
pour se distiller et monter à la Photo © Georg Gerster-Rapho, Pans
surface afin d'alimenter les sour¬
ces et les fleuves. Les hommes du
Moyen Age avaient raison de considé¬
rer la mer comme la source de l'eau
Palmeraies
dans le cycle hydrologique ; mais ils
faisaient tourner le cycle en sens
inverse. en creux
Ces idées persistèrent parce que

8
l'on estimait que les Grecs, et en par¬
ticulier Aristote, faisaient définitive¬ dans
ment autorité, et à cause d'un pas¬
sage de l'Ecclésiaste, lequel était inter¬
prété comme signifiant que les eaux
des continents provenaient de la mer
le désert
SUITE PAGE 10
Cette saisissante photo aérienne permet de juger de la patiente victoire de l'homme sur le désert :
dans les sables d'une oasis, les palmeraies sont implantées < en creux », de manière à ce que les racines des
arbres atteignent la nappe d'eau souterraine, dans cette région du Souf, au nord du Sahara algérien. On voit
le village au centre de la palmeraie. Les plants de palmier sont repiqués dans des trous, creusés dans le sable,
qui atteignent de 6 à 12 mètres de profondeur (voir page suivante), et que des palissades protègent des sables
envahissants. C'est dans cette région de l'Algérie, et également en Tunisie, que l'Unesco travaille à un
programme d'Etudes des ressources en eau du Sahara septentrional, en collaboration avec les gouvernements
algérien et tunisien et sous les auspices du Programme des Nations Unies pour le développement. Cette
enquête hydrologique sur les ressources souterraines et leur exploitation possible permettra de
développer l'agriculture. Dans le sud du Sahara, une autre importante étude hydrologique est en cours dans
le bassin du Tchad, immense réservoir d'eaux souterraines. Quatre pays (Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria)
ont constitué une commission chargée de planifier le développement du bassin du Tchad, qui s'étend sur
9
400 000 km2. Dans le cadre du projet établi par le Programme des Nations Unies pour le développement, et en
coopération avec la Commission pour le bassin du Tchad, l'Unesco est en train de faire une étude générale
de l'hydrologie de cette région, alors que la FAO travaille à résoudre les problèmes de mise en valeur des terres.
Photo © Georg Gerster-Rapho, Pari

L'HOMME EN QUÊTE D'EAU (Suite de la page 8)

PALMERAIES EN CREUX par écoulement souterrain. Croire transféré à Bordeaux pour y être jugé
DANS LE DESERT (suite). autre chose était de l'hérésie. Ni les en raison de son activité dans la reli¬
Photographiées physiciens ni les hommes d'Eglise ne gion réformée, il semblait perdu. Mais
à faible altitude (à gauche), on voit pouvaient admettre que les précipita¬ la reine mère Catherine de Médicis
autour des « cuvettes à palmiers » intervint en le nommant « inventeur des
tions constituaient une source d'eau
le travail de terrassement qui maintient
suffisante pour les étendues terrestres. rustiques figulines du roi » (Henri III).
les sables, et protège les palmiers.
Comme membre de la maison du roi,
Au centre, photo du lac Tchad pendant
la saison sèche. Des lagunes peu
il ne relevait plus du parlement de
Bordeaux.
profondes en marquent clairement LA RENAISSANCE DE L'HYDRO¬
la périphérie. Sur la photo de droite, LOGIE. Comme toutes les autres Palissy se vantait de ne connaître
comme des taupinières géantes dans
sciences et les arts, l'hydrologie fut ni le latin ni le grec. Il ne connaissait
le désert, les « foggaras », canaux
finalement appelée à rompre avec le que ce qu'il avait avait vu au cours des
souterrains d'irrigation creusés dans
l'antiquité, laissent affleurer leurs puits dogmatisme et l'autoritarisme. La rup¬ nombreux voyages qu'il avait faits en
d'aération. Cette « foggara » se trouve ture eut lieu d'une façon curieuse. Le tant qu'arpenteur avant de se consa¬
près d'In-Salah, dans le Sahara huguenot français Bernard Palissy crer à la céramique. Ses observations
algérien, au pays des Touareg. (1514 7-1590) était un céramiste auto¬ étaient pleines de finesse et, pour son

10 didacte, qui réalisa des chefs-d'iuvre


naturalistes en poterie émaillée appe¬
époque, il fut un géologue, un minéra¬
logiste et un paléontologue accompli.
lés par lui « rustiques figulines ». Bien que rejetant la théorie pour ne
Son art lui sauva la vie. Arrêté et se fier qu'à l'observation directe,
Photo © Léon Herschtritt-Rapho, Paris Photo © Georg Gerster-Rapho, Paris

Palissy connaissait assez la doctrine En 1668, un homme de science ama¬ Perrault donna une explication cor¬
officielle pour savoir qu'elle n'admet¬ teur français, Pierre Perrault, convaincu recte de ce qu'il advenait du reste
tait pas que la pluie pût suffire à ali¬ que la pluie suffisait pour alimenter des précipitations (c'est-à-dire de la
menter les sources et les fleuves. les eaux de ruissellement, se mit en partie qui ne s'écoulait pas dans la
Mais ce que voyaient ses yeux de devoir de le prouver. Pendant trois Seine) : les cinq sixièmes restants
géologue le persuadait du contraire. ans, il mesura les précipitations dans allaient alimenter les nappes souter¬
Dans un livre publié en 1580, il déclara le bassin de la haute Seine et obtint raines, s'évaporaient ou étaient trans¬
que les sources et les fleuves sont une moyenne d'environ 49 centimè¬ formés par les végétaux.
que les sources et les fleuves étaient tres par an. Le calcul montra que cette
alimentés par la pluie et par elle seule. Les découvertes de Perrault furent
quantité d'eau était égale à environ
six fois le débit estimé de la Seine. vérifiées par d'autres
savants dans
Cette déclaration fut peut-être la
les années qui suivirent et l'hydro¬
première de ce genre jamais publiée. Des mesures et des calculs de ce logie prit son essor définitif. Mais
Elle était plus importante pour l'huma¬
genre auraient pu être faits n'importe cette science ayant un caractère inter¬
nité que la création de sa célèbre
quand au cours des 2 000 années pré¬ disciplinaire ne pouvait faire de grands
poterie émaillée ; cependant Palissy ne
cédentes, mais il se trouvait simple¬ progrès sur le plan quantitatif tant
fut pas reconnu de son vivant comme
ment que la science n'avait pas atteint que les sciences fondamentales de la
un homme
attendit près
de
d'un
science.
siècle
Le monde
avant de
le stade de la vérification des hypo¬ physique, de la chimie et de la bio¬ 11
thèses par la mesure et l'observation. logie n'avaient pas elles-mêmes sen¬
s'éveiller. Et c'est un Français qui,
C'est donc Perrault qui fut à l'origine siblement avancé et que les bases de
cette fois encore, fut le catalyseur.
de l'hydrologie scientifique moderne. la géologie n'avaient pas été établies.
L'HOMME EN QUÊTE D'EAU (Suite)

O Sur toute la planète


un problème crucial
L ES fleuves qui parvien¬ de l'atmosphère, la température et d'au¬ La surface totale des terres émer¬

nent à la mer y déversent envi¬ tres facteurs. gées du globe est de 149 millions de
ron 30 000 kilomètres cubes d'eau
kilomètres carrés. Environ 15 millions
Vers la fin du 17« siècle, l'astronome
de kilomètres carrés sont recouverts
par an ; ce chiffre représente à peu britannique Edmund Halley estima,
près 30 % des précipitations qui arro¬ en permanence par les glaces. Une
d'après une brève expérience qu'il fit autre étendue de 22 millions de kilo¬
sent les continents. Mais le débit des
sans quitter Londres, que l'évaporation
cours d'eau n'a été mesuré effective¬ mètres carrés est perpétuellement
des eaux tièdes de la Méditerranée
ment que dans 50 % environ des cas ; gelée ; elle représente 22 % de toute
était de trois pieds (environ 90 centi¬
la surface des terres de l'hémisphère
pour le reste, il s'agit d'estimations. mètres) par an. Ce chiffre était faible Nord.
Le débit de l'Amazone, le plus grand et l'estimation moderne donne, pour
Près de 40 millions de kilomètres
fleuve du monde, n'avait jamais été l'ensemble des océans, une moyenne
d'environ 100 centimètres. carrés sont extrêmement arides ou
mesuré avant 1963-1964, date à la¬
secs. D'immenses régions sont consti¬
quelle une expédition mixte Brésil- Quant aux précipitations, on les me¬ tuées par des masses montagneuses
Etats-Unis d'Amérique, embarquée sur sure systématiquement depuis près de d'une haute altitude.
une corvette de la marine brésilienne, deux siècles sur une étendue de plus
procéda à trois mesures : en période Tout compte fait, plus de la moitié
en plus grande du globe. Le premier
de hautes eaux, en période d'eaux des surfaces terrestres est fondamen¬
réseau météorologique européen fut
basses et en période d'eaux moyen¬ talement hostile à l'occupation hu¬
créé en 1780 ; sa station la plus orien¬
nes. L'expédition releva un débit moyen tale se trouvait en Hongrie. L'Europe et
maine. Malgré sa grande faculté
d'environ 175 000 mètres cubes par une partie de l'Amérique du Nord sont
d'adaptation, l'homme a empiété relati¬
seconde, soit environ 5 540 kilomè¬ maintenant assez bien desservies ; vement peu sur ces régions inhospi¬
tres cubes pas an ; ce chiffre repré¬ talières.
mais les précipitations qui tombent sur
sente approximativement 18 % du dé¬ de vastes régions d'Asie, d'Afrique et Pourtant la croissance démographi¬
bit de tous les fleuves du monde.
d'Amérique du Sud, ainsi que sur les que va inévitablement exercer une
Selon ces mesures, le débit de régions polaires et les mers, sont à pression de plus en plus forte sur les
l'Amazone atteint près du double des peu près complètement inconnues. parties du monde qui sont relativement
évaluations antérieures. A elles seules, inhabitées pour le moment, mais qui
La dernière période glaciaire prit
elles bouleversent les calculs du bilan renferment d'abondantes ressources
fin il y a quelque dix mille ans, mais
hydrique mondial et montrent pourquoi naturelles, parmi lesquelles figure
une grande partie du globe est encore
il est important d'entreprendre systé¬ l'eau. Leur mise en valeur intégrale
figée dans un gel profond.
rendra nécessaire de nouveaux pro¬
matiquement de telles mesures.
Les grandes calottes glaciaires du grès de la science, parce que ces
La science de l'eau est handicapée Groenland et de l'Antarctique contien¬ régions nouvelles sont mal connues
par le fait que les techniques et les nent près de 80 % de toute l'eau qui et que l'homme a encore peu d'expé¬
instruments de mesure de nombreux se trouve en dehors des océans. Les rience de leur occupation.
phénomènes hydrologiques, surtout à glaciers de type alpin, de piedmont et
très grande et à très petite échelle, de vallée sont très nombreux ; des
sont insuffisants. plates-formes de glace et des banqui¬
ses couvrent de vastes étendues des
Comment mesurer, par exemple, la lu^F ANS toutes les sociétés,
vitesse de circulation de l'eau souter¬
mers polaires ; et le permafrost (sol
le niveau de vie est étroitement lié à
gelé en permanence) occupe d'immen¬
raine dans une couche aquifère ? Com¬ la consommation d'eau. Un niveau de
ses surfaces en Sibérie, en Europe
ment mesurer l'évaporation qui se pro¬ vie élevé exige de grandes quantités
du Nord et en Amérique du Nord sep¬
duit à la surface d'un continent entier d'eau pour l'agriculture, l'industrie, les
tentrionale.
ou de tous les océans 7 Ces phénomè¬ services publics et les foyers domes¬
nes ne peuvent être mesurés direc¬ Le volume total des calottes gla¬ tiques.
tement. On ne peut que les esti¬ ciaires et des glaciers des zones
terrestres est d'environ 26 millions de Les pays en voie de développement
mer en mesurant des phénomènes
ne peuvent aller de l'avant que dans
connexes qui permettront ensuite d'en kilomètres cubes, alors que les eaux
calculer la valeur.
la mesure où ils peuvent mettre en
continentales en phase liquide ne
valeur leurs ressources en eau. Dans
représentent qu'un volume d'environ
L'évaporation et la transpiration des certains pays, la consommation d'eau
8 millions de kilomètres cubes. De
végétaux sont des faits importants par¬ par habitant n'est que de 100 litres
toute évidence, une grande partie du
ce qu'ils dissipent une grande partie par jour environ. Dans certains pays
globe est encore à l'âge glaciaire ;
des précipitations tombées sur les sur¬ industrialisés, elle est 60 fois plus
mais on sait relativement peu de chose
faces terrestres. C'est à cause de élevée. La disparité entre les niveaux
sur les régions gelées.
l'évaporation que les lacs artificiels ne de vie est encore plus grande.
présentent pas seulement des avanta¬ Les grandes calottes glaciaires sem¬
Réduire cet écart suppose non seu¬
ges en tant que réserves. Dans les blent stables ; mais les opinions dif¬
lement une plus grande consommation
régions arides, les lacs peuvent per¬ fèrent beaucoup sur la question de
savoir si ces masses de glace s'ac¬
globale d'eau, mais aussi une plus
dre annuellement par evaporation, sur
croissent, diminuent ou restent sta¬
grande consommation individuelle.
l'ensemble de leur surface, plus de
Avec la croissance démographique
trois mètres d'épaisseur d'eau. L'effet bles. Il est important de le déterminer,
probable des pays en voie de dévelop¬
12 conjugué de l'évaporation et de la parce que les étendues de glace agis¬
pement, ce sera extrêmement difficile.
transpiration végétale est générale¬ sent dans une large mesure sur le
ment calculé d'après le rayonnement temps, et leur fonte entraînerait une Les pays développés eux-mêmes ont
solaire, la vitesse du vent, l'humidité élévation du niveau des mers. à résoudre de graves problèmes. Le
doublement de la population peut
nécessiter le doublement de la consom¬
mation d'eau, ne serait-ce que pour
maintenir le niveau de vie actuel. La
situation aux Etats-Unis d'Amérique est
caractéristique à cet égard.
La consommation d'eau par habitant
pour tous les usages autres que la
production électrique est, aux Etats-
Unis, d'environ 6100 litres par jour.
C'est là un taux très élevé par rap¬
port à celui de la plupart des autres
pays, même de ceux qui sont très
industrialisées.

Dans certaines régions, l'eau est


réutilisée de nombreuses fois. Mais en
moyenne, une proportion légèrement
supérieure à 90 % des ressources en
eau des Etats-Unis n'est pas soumise
à des prélèvements ; elle sert de bande
transporteuse pour évacuer les dé¬
chets vers la mer. Cela signifie que
le problème central de la mise en
valeur des ressources en eau est un

problème de qualité, non de quantité.

A l'échelle continentale ou régionale,


la pénurie d'eau dans une zone peut
être corrigée par des transferts entre
bassins. Toutefois, cette solution ne
remédie pas nécessairement à la pol¬
lution. Dans le bassin où l'eau est
prise, la quantité qui reste pour diluer
la pollution est moindre. Dans le bas¬
sin récepteur, l'eau d'appoint peut
aggraver la pollution.
CUBES DE GLACE FOSSILE
Il convient de toute évidence de défi¬
Depuis la fin de la dernière grande glaciation, Il y a quelque
nir des objectifs et des politiques à 10 000 ans, les grandes calottes glaciaires du Groenland et de
l'échelon national, et parfois interna¬ l'Antarctique emprisonnent 80 pour cent des eaux de la planète.
tional, pour maîtriser et réduire la pol¬ Dans le Grand Nord, les Eskimos conservent l'eau potable .
lution, et non pas seulement pour uti¬ sous la forme de blocs de glace empilés en plein air (ci-dessus).
liser et distribuer l'eau. Une entreprenante société danoise lance aujourd'hui sur le marché
cette glace « non polluée », en cubes découpés dans des icebergs.
Les progrès réalisés dans le monde A la glace qui fond, les microscopiques bulles d'air libérées
au cours des cinq premières années donnent l'effervescence d'une eau gazeuse.
de la Décennie hydrologique interna¬
tionale apparaissent dans le dévelop¬
pement d'une vraie coopération inter¬ s'agit là d'une des plus importantes breuses années, le Canada et les
nationale et dans l'importance des tra¬ études hydrologiques actuellement en Etats-Unis d'Amérique ont étudié en
vaux qui ont été amorcés ou projetés. cours dans le monde. Elle s'insère dans commun un grand nombre de problè¬
En voici quelques exemples. un programme international à long ter¬ mes hydrologiques internationaux.
me d'études des bassins du Paraná et
Une des régions les plus remarqua¬ Pour la première fois ces deux pays
du Rio de La Plata.
bles de l'Amérique du Sud est le bas¬ collaborent à une étude coordonnée

sin supérieur du Paraguay, région En outre, le Brésil a décidé de créer systématique des lacs considérés com¬
appelée Pantanal, qui s'étend aux un centre d'hydrologie appliquée à me système physique intégré. Cette
confins du Brésil, de la Bolivie et du Porto Alegre. La création de ce centre étude aura de larges répercussions
Paraguay. Dans cette vaste plaine a été rendue possible par les contri¬ pour la navigation, la production
inondable d'environ 400 000 kilomètres butions du gouvernement du Brésil, de d'énergie électrique, le développement
carrés, l'Unesco et le gouvernement la Banque nationale de développement industriel et urbain, la pêche et les
brésilien font procéder actuellement à économique et du Programme des distractions.
une vaste étude des meilleures mé¬ Nations unies pour le développement Le bassin du Tchad, en Afrique, est
thodes d'assèchement et de mise en (PNUD). une autre région remarquable. Beau¬
valeur des terres (voir article page 14). Les Grands Lacs d'Amérique du coup plus grand que le lac Tchad lui- 13
Ces méthodes seront également Nord représentent l'une des plus im¬ même, ce bassin s'étend sur 400 000 ki¬
applicables aux parties du bassin portantes masses d'eau douce existant lomètres carrés, répartis entre quatre
situées en Bolivie et au Paraguay. Il à la surface du globe. Pendant de nom Etats : Cameroun, Niger, Nigeria,
SUITE PAGE 32
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Photo © "Mánchete", Brésil

UN DES PLUS GRANDS


Le Pantanal
PROJETS

HYDROLOGIQUES
400000 km2 de marais
DU MONDE

au Mato Grosso

par Newton Velloso Cordeiro

L I ES voyageurs se dirigeant dépasse 1 300 km. A l'époque des le Pérou, riche en gisements miniers.
par avion de Brasilia vers l'Ouest dé¬ pluies, les cours d'eau et les lagunes
Mais le manque de ressources éco¬
couvrent avec surprise un étrange pay¬ se confondent en un vaste linceul
nomiques, l'isolement et l'hostilité des
sage : la célèbre région des maréca¬ d'eau.
populations indigènes découragèrent
ges du Mato Grosso, au crur même
C'est dans cette immense zone, les Espagnols. Seule la découverte de
de l'Amérique du sud, en plein Brésil. l'or au 18e siècle créa des conditions
aussi étendue que la France, que le
programme des Nations Unies pour le favorables au peuplement et à l'explo¬
Ces marécages, qui s'étendent éga¬
lement sur le territoire de la Bolivie développement, par l'intermédiaire de ration de cette région.
et du Paraguay, forment un immense l'Unesco, et le gouvernement brésilien, Avec la décadence des mines au
plateau, appelé Pantanal, d'une alti¬ par l'intermédiaire de son département
19e siècle, l'évolution amorcée prit fin.
tude moyenne de 150 mètres au-des¬ de l'assainissement, ont entrepris, dès
Il était fort malaisé d'exploiter les
sus du niveau de la mer, parsemé de 1966, les travaux qui permettront de
richesses végétales et minérales ; les
lagunes et de monticules. Ce plateau faire surgir un monde nouveau, capa¬
forêts amazoniennes demeuraient qua¬
ble de nourrir des dizaines de millions
est sillonné par le fleuve Paraguay et siment impénétrables ; les débouchés
ses affluents, dont la longueur totale de personnes et de faciliter la migration
faisaient défaut sur le marché national
vers l'intérieur des terres d'une popu¬
comme sur le marché international.
lation concentrée aujourd'hui sur le lit¬
toral du continent. La région du Pantanal se prête à
l'élevage en raison des conditions
NEWTON VELLOSO CORDEIRO, ancien prési¬ Le fleuve Paraguay a été la grande naturelles favorables ; le bétail peut
dent du Comité national brésilien pour la voie de pénétration de cette région
s'y déplacer sans obstacle sur de très
Décennie hydrologique internationale, et vice- depuis le 16« siècle et il est resté
président du Conseil de coordination de la
vastes étendues. On ignore le chiffre
jusqu'au siècle dernier la principale exact des effectifs des troupeaux, mais
Décennie, était dernièrement encore co-direc-
teur du grand projet de développement dont voie d'accès au Mato Grosso. Les pre¬
on estime qu'il est de l'ordre de 20 à
u il traite dans cet article. La réalisation de ce mières tentatives de peuplement ont 30 millions de têtes de bétail.
projet est menée conjointement par le gouver¬ été faites par les Espagnols qui, par¬
nement brésilien et l'Unesco, en collaboration
tant de l'estuaire de la Plata, se diri¬ Tout cela fait de cette région l'une
avec le Programme des Nations Unies pour
le Développement. geaient vers le nord afin de rejoindre des plus riches du Brésil. Dans d'im-
L'un des plus grands projets
d'études hydrologiques du monde
concerne le Pantanal dont
les énormes ressources appellent
une mise en valeur systématique
dont l'Unesco et l'O.N.U. aident à
la réalisation. C'est sur les
frontières du Brésil, de
la Bolivie et du Paraguay que
s'étend le Pantanal (« marécage >
en portugais), immense marais de
400 000 km2 inondé plus de six
mois de l'année par les crues du
fleuve Paraguay et de ses
affluents (notre carte, à gauche).
On y élève de 20 à 30 millions
de bovins. Ci-contre, «'insérant
dans la perspective noyée d'eau,
passage d'un troupeau de biufs
que l'on croirait évoqué dans
une peinture chinoise. A droite,
vachers à cheval surveillant les
bètes qui se dispersent librement
sur de vastes étendues.

Photo © Paule Bernard. Paris

mensés fermes on y pratique l'élevage, la création d'un centre de recherche cette année, comportera l'achèvement
la châsse et la pêche. Cependant, ces d'hydrologie appliquée. des relevés topographiques, l'étude
terres pourraient être un jour transfor¬ des conditions géomorphologiques,
On ne disposait pratiquement d'au¬
mées afin de devenir une source extra¬ hydrogéologiques et écologiques, ainsi
cune information de base sur cette
ordinaire de produits agricoles. que celle des processus d'érosion et
région, puisque c'est seulement en
de sédimentation.
Quant à l'exploitation du fer et du 1965 qu'ont été entrepris les travaux
manganèse du massif de l'Urucum, au de photogrammétrie aérienne, et il On mettra en place, à titre d'essai,
sud de Corumbá, l'éloignement des n'existait rien dans les domaines de un système de prévision hydrologique
zones de consommation ou des ports l'hydrogéologie et de l'hydroclimatolo- basé probablement sur un modèle
exportateurs lui ont fait obstacle. Mais gie, et presque rien concernant l'hy¬ mathématique. Des cartes seront éta¬
blies concernant les zones favorables
leur exploitation économique sera pos¬ drologie de surface.
sible grâce aux moyens modernes de à l'installation d'ouvrages hydrauliques
Le projet a donc prévu, afin d'obte¬
transports fluviaux. permettant un développement immé¬
nir les données nécessaires à l'élabo¬
diat.
En dehors des compagnies aérien¬ ration des plans de développement de
La réalisation de ce projet, qui doit
nes, le seul moyen de liaison de cette la région, l'installation d'un réseau
être achevé en 1973, aura coûté envi¬
région avec le Campo Grande et Sao hydrométéorologique dans le bassin
ron 2 400 000 dollars U.S., dont
Paulo est le chemin de fer du nord- du Paraguay, des recherches sur le
1 534 500 sont fournis par le Pro¬
ouest du Brésil. La construction d'une système hydrologique de la dépression
gramme des Nations Unies pour le
immense voie routière, qui permettrait du Mato Grosso et sur l'influence qu'il
développement, et le reste par le gou¬
l'écoulement d'une des plus importan¬ exerce sur le régime des eaux du
vernement du Brésil. Les travaux pour¬
tes productions bovines du monde, Paraguay.
ront prendre plus d'ampleur encore si
ainsi que des futurs surplus agricoles, Les travaux, d'une ampleur considé¬ des études semblables sont effectuées
est en projet.
rable, seront réalisés en deux temps. dans les chacos bolivien et para¬
Le développement de cette région Dans la première phase, actuellement guayen.
et la mise au point des techniques qui en cours, on rassemble toute la docu¬
Il sera alors possible de prévoir
pourront être par la suite appliquées mentation existante, on procède au
quelques mois à l'avance le régime
dans l'Amazonie, en Bolivie, au Para¬ relevé des profils longitudinaux du des eaux dans le Pantanal et dans les
guay et dans des régions d'autres fleuve Paraguay et de certains de ses terres inondables situées en aval. La
continents présentant des caractères affluents importants, ainsi qu'à une
connaissance du régime du fleuve
similaires, tels sont les objectifs de analyse préliminaire des conditions
Paraguay et de ses affluents permettra
l'étude hydrologique du Haut Para¬ hydrologiques des bassins.
également d'entreprendre des travaux
guay, entreprise que le Programme des En plus, on y installe un certain nom¬ pour la régularisation de leur cours,
Nations Unies pour le développement bre de stations automatiques chargées et de créer ainsi un réseau fluvial
a adoptée et que le Département natio¬ de mesurer les précipitations et autres navigable de plus de 3 000 kilomètres
nal brésilien des travaux d'assainisse¬
phénomènes climatiques ainsi que les qui relierait les centres agricoles et les
ment a mis en route en décembre 1966
niveaux des eaux de surface et sou¬ gisements miniers aux grands districts
avec la coopération de l'Unesco. terraines. industriels de Sao Paulo et même aux

Cette étude est, dans son genre, Les données ainsi obtenues seront villes argentines.
considérée comme l'une des plus im¬ transmises chaque jour par radio à une Grâce à l'amélioration des communi¬
portantes du monde. En raison de son station centrale. Les essais effectués cations, l'occupation de cette immense
ampleur et de sa valeur d'exemple au cours de cette première phase per¬ région cessera d'être fragmentaire et
pour d'autres régions du monde, elle mettront par la suite la mise en place les centres actuels de peuplement
s'inscrit parfaitement dans la Décennie d'un réseau automatique permanent. verront leur économie s'épanouir.
hydrologique internationale, patronnée En outre seront coordonnés tous les
par l'Unesco. Les perspectives plus larges qui
travaux des divers organismes brési¬
s'ouvriront à l'agriculture et aux autres
Elle s'intègre, d'autre part, au pro¬ liens intéressés par ce bassin, ainsi
activités se traduiront par un dévelop¬
gramme brésilien visant à la mise en que les programmes des Commis¬
pement de l'éducation et permettront
valeur des ressources de la région du
Sud, à l'extension des travaux de l'Ins¬
sions nationales du Paraguay, de la
Bolivie et du Brésil pour la Décennie
d'intégrer à la communauté brésilienne 15
une bonne part des populations acti¬
titut des recherches hydrauliques de hydrologique internationale.
ves qui sont restées jusqu'ici en marge
l'Université de Porto Alegre, ainsi qu'à La seconde phase, qui doit démarrer du développement du pays.
Originalité
et tradition
de la culture
par
Charles C. Mark
américaine

Cependant, la tendance principale Grande est souvent aujourd'hui la


ORSQUE Ulysses S. Grant de la civilisation américaine d'avant le surprise des Européens de constater
était président des Etats-Unis, on lui
20a siècle était à la sous-estimation que, dans des régions entières de
prêtait volontiers ces mots : « Je ne certains Etats, ce n'est pas l'anglais
des arts, surtout de leurs manifesta¬
connais que deux airs : Yankee
tions américaines. Seul un pourcen¬ qui est la langue usuelle, mais l'alle¬
Doodle » et ce qui n'est pas « Yankee
tage infime de la population se mand, le norvégien, l'italien ou le
Doodle ». On ne peut parler de la
préoccupait de la qualité et de la basque.
politique culturelle des Etats-Unis
permanence de l'art.
sans commencer par tenir compte Le troisième facteur qui influa sur
de la popularité, constante au long La majorité des Américains, en défri¬ le développement culturel des Etats-
de son histoire, de l'attitude anti¬ chant un pays neuf, créaient un art Unis fut le protestantisme. A la suite
intellectuelle et anticulturelle que sous- nouveau, mais des décennies devaient des puritains, que leurs croyances
entend cette boutade. s'écouler avant que ces formes d'ex¬ vouaient, hors l'activité profession¬
Certes, dès avant la guerre de pression nouvelles fussent reconnues. nelle, au seul service de Dieu, les

l'Indépendance, il y avait des thé⬠Pour avoir une vue exacte de autres sectes qui s'épanouirent raffi¬
tres ; des concerts étaient donnés l'histoire culturelle des Etats-Unis, il nèrent à loisir pour réprimer tout
régulièrement tous les mois dans de convient de considérer trois faits. Le penchant à l'expression artistique. Les
nombreuses villes et des troupes puritains condamnaient expressément
premier, et le plus important, c'est
tous les arts, et cet interdit s'étendait
ambulantes, lyriques ou dramatiques, que la nation américaine est entière¬
étaient accueillies sur tout le continent jusqu'au port de vêtements de cou¬
ment composée d'immigrants issus
leurs vives.
américain par des publics enthou¬ d'autres cultures. La seule culture
siastes. Mais ces manifestations ne autochtone était celle des Indiens, Dans les années 1870-1880, les
faisaient que traduire le besoin qui furent chassés de leurs territoires dirigeants des églises baptiste, métho¬
qu'avait l'Amérique de s'intégrer à et détruits en tant que peuple. La diste et presbytérienne se deman¬
la civilisation européenne et d'expri¬ culture populaire américaine telle daient encore si les distractions fami¬
mer ses aspirations profondes en qu'elle s'est développée avec le liales étaient convenables, pour ne
profitant des richesses d'un certain temps est donc une synthèse des rien dire de la danse ou des spec¬
patrimoine culturel. cultures européenne, africaine et, à un tacles populaires. En 1872, la Conven¬
Il convient de souligner aussi que, degré bien moindre, asiatique. tion épiscopale méthodiste adoptait à
dès l'époque coloniale, des sous- Il faut, par ailleurs, tenir compte la majorité de ses membres une liste
groupes culturels avaient constitué de l'importation de cultures étrangères des « divertissements » interdits à
des foyers d'activité authentiquement et de ce qui fut le mobile par excel¬ tous les méthodistes : toute forme
créatrice ; ainsi dans les forêts de lence des premiers colons. Les d'activité artistique était bannie.
Pennsylvanie et de la Caroline du Américains ont été essentiellement,
Dans de telles conditions, si néfas¬
Nord, les Moraves ont maintenu jusqu'au milieu du 19e siècle, un tes à la création d'une culture améri¬
vivante une riche tradition musicale. peuple d'agriculteurs, une nation de
caine, comment, malgré tout, les arts
Les événements d'Europe, comme la colons qui travaillaient eux-mêmes à ont-ils survécu ? Par bonheur, la
Révolution française et l'insurrection l'exploitation du pays. Les villes richesse du nouveau continent dépas¬
allemande de 1848, qui contraignirent étaient les centres d'approvisionne¬
sait l'imaginable, et qui dit richesse
certains groupes à l'exil politique, pro¬ ment des caravanes allant vers les
dit voyage. Les fils de famille par¬
voquèrent un enrichissement culturel terres vierges de l'Ouest. Les colons
taient pour l'Angleterre y faire leurs
des Etats-Unis, les exilés perpétuant passaient sans transition des minus¬
études, et les épouses se rendaient
leurs traditions jusque dans leur nou¬ cules fermes d'Europe aux immenses
en France à leurs emplettes.
velle vie. et fertiles prairies dont ils pouvaient
posséder autant de surface qu'ils en Des marchands, des artisans, enfin
pouvaient exploiter et défendre. des artistes européens eurent à tra¬
C'étaient des paysans robustes, vailler chez les riches. C'est ainsi
CHARLES C. MARK est, aux Etats-Unis,
sobres, durs à la tâche, prêts à lutter qu'un architecte allemand conçut et
directeur de l'Office of State and Community
Operations at the National Foundation for the contre l'homme et la nature ; les for¬ construisit plus de cinquante des plus
Arts (Bureau exécutif de l'Etat et de la Com¬ mes raffinées de la musique, la danse belles demeures de type colonial du
munauté auprès de la Fondation nationale Sud, initiant partout où il travaillait
ou la peinture leur étaient étrangères.
16 pour les Arts).
plète du sujet
Il a donné une analyse com¬
dont traite l'article que nous Ils apportaient avec eux leur culture des esclaves aux métiers de charpen¬
publions : - La politique culturelle aux Etats- paysanne et la recréèrent dans les tier, de sculpteur sur bois et de
Unis », ouvrage publié l'année dernière par villages qu'ils construisirent à l'image menuisier. Et peu à peu, le goût
l'Unesco dans la collection « Politiques cultu¬
de ceux de leur terroir originel. engendra le goût.
relles : études et documents ».
SUITE PAGE 20
I
ist

Photos USIS
VISAGES
DE LA CITÉ

A Central Park, immense parc public qui s'étend


dans le nord de la ville de New York, 70 000
personnes se rassemblent (à droite) pour
écouter un concert symphonique de plein air.
Ci-dessous, une partie du fameux Musée
Guggenheim, à New York : comme dans un
coquillage fabuleux, le visiteur découvre dans
les galeries en spirale une collection d'art
moderne unique au monde. Cet édifice est
l'Buvre (1959) du fameux architecte américain
Frank Lloyd Wright, et a été expressément
conçu pour abriter les richessesdu Musée
(fondé en 1937). En bas à droite, un terrain
de jeux destiné aux enfants d'un quartier
populaire de Brooklyn. Installé au milieu d'un
groupe d'immeubles, ce labyrinthe revêtu de
joyeuses couleurs s'inspire des antiques aligne¬
ments mégalithiques de Stonehenge, en Grande-
Bretagne. Il flatte le goût du mystère, de la
cache et de la poursuite dont témoignent dans
le monde entier les jeux enfantins.

Photo © Bozak - James A. Ford Agency. New York

Photo © Etienne Hubert - Rapho, Paris


CULTURE AMÉRICAINE (Suite)

De la naissance d'une nation aux rhapsodies en blue

Mais c'est à la révolution indus¬ se mirent à faire des films pour ce -un danseur de jazz scandait du pied
trielle que l'on doit le mouvement marché, devenu très important. des rythmes complexes devant des
culturel le plus déterminant, le plus publics enthousiastes, qui comptaient
contestable aussi. Entre 1860 et 1917, Pendant ce temps, la culture autoch¬
même la reine Victoria. Or, à cette
c'est-à-dire pendant une période de tone se développait dans l'indifférence
époque, aucun Américain respectable
cinquante-sept ans, furent fondées la générale. Certes, depuis le début du n'aurait voulu avouer être allé voir
plupart des grandes institutions artis¬ 17e siècle, les spectacles et les
Juba (William Henry Lane) ou quelque
tiques des Etats-Unis : tout d'abord, concerts ne manquaient pas et
autre danseur de jazz. Cinquante ans
le Metropolitan Opera, le Metropolitan attiraient- un public de protestants
plus tard, Isadora Duncan fut presque
Museum, les orchestres de New York rebelles, d'Américains fascinés par
obligée de s'exiler à cause de ses
et de Saint-Louis, puis, à la veille de l'Europe, et de membres de mino¬ idées sur la liberté du mouvement et
la première guerre mondiale, la plu¬ rités religieuses ; mais les talents et
du rythme. Telles sont les sources
part des écoles et institutions célè¬ les idées nés en Amérique ne pou¬
de ce qu'on appelle la danse moderne
bres. vaient prétendre à la comparaison
qui, il y a quarante ans encore, n'exis¬
avec aucune aucun artiste
Mais il s'agissait là d'une culture tait que comme culture clandestine et
d'origine européenne.
d'importation, d'une volonté de singer qui n'a trouvé que depuis peu un
les capitales européennes et non de L'opposition des Eglises empêchait véritable public.
créer une vie culturelle proprement nombre de personnes douées d'em¬
La comédie musicale naquit en
américaine. Les mécènes qui fondè¬ brasser une carrière artistique, encore
Amérique avant la guerre de l'Indé¬
rent ces institutions, veillèrent à leur que littérature et peinture n'eussent
pendance ; elle s'est développée
développement et les préservèrent pas toujours été frappées du même
régulièrement depuis la représenta¬
jalousement de toute intrusion popu¬ interdit et que les écrivains et les
tion, en 1796, par des comédiens
laire, étaient souvent dénués de sens peintres américains fussent parfois
professionnels, de la première comé¬
artistique, on ne le sait que trop. bien accueillis dans la mesure où ils
die musicale intégralement américaine,
se conformaient aux traditions euro¬
Cependant, alors même que les « The Archers ». L'une des raisons
péennes. Pendant tout le 19s siècle,
magnats de l'industrie achetaient en qui expliquent ce souci presque tyran-
néanmoins, c'est en Europe que les
Europe une culture toute faite, la nique d'associer théâtre et musique
artistes américains les plus originaux
société américaine évoluait. D'agricole tenait à l'opposition des autorités
et les plus doués, de Benjamin West
qu'elle était, elle devenait urbaine. locales (inspirées par les Eglises) à
à Mary Cassatt et à Henry James,
De nouvelles vagues d'immigrants l'égard du théâtre proprement dit. On
trouvèrent leur climat de prédilection.
arrivaient d'Europe, cette fois pour estimait que la musique avait une
demeurer dans les villes et s'y faire certaine tenue morale et qu'aucune
une place. Dans les grandes villes, pièce ne pouvait être vraiment mau¬
des quartiers entiers devinrent étran¬ vaise si elle comprenait des chansons.
gers aux Américains de naissance, et
certains le demeurent encore. Q lUELLES sont donc les
Les minstrels shows (comédiens
chanteurs), les bateaux-théâtres, les
Simultanément, les populations ru¬ contributions purement américaines à troupes ambulantes et même les cir¬
rales émigraient elles aussi vers les la culture universelle ? Ce n'est que ques se rendirent vite compte que
villes, disputant aux nouveaux immi¬ lorsque des américaines furent les comédies musicales plaisaient au
grants le travail dans les usines. admirées à l'envi dans le monde public rural et aux pionniers de la
C'est ce phénomène qui porta le coup entier que les Américains les appré¬ « frontière ». Grâce en partie à une
le plus rude au protestantisme rural cièrent et commencèrent à croire que tradition qui remontait, dans l'Est, au
et familial. Les spectacles permanents leur culture pouvait produire un art 18e siècle, mais aussi sans doute
et bon marché de music-hall attirant original. Vers le début du 20e siècle, parce que les Américains ont un amour
les gens par milliers, les dirigeants trois formes d'art furent considérées inexplicable pour les mélodies gaies,
des Eglises durent choisir entre révi¬ comme typiquement américaines : le la comédie musicale ne cessa de
ser leurs positions en matière de jazz, une façon originale de danser, et croître et de prospérer au point de
spectacles ou assister impuissants à la comédie musicale. Toutes trois finir par s'imposer dans le monde
la désagrégation de la famille améri¬ étaient nées de facteurs répressifs. entier.
caine, la jeune génération délaissant Toutes trois sont issues d'une sous-
l'église pour le théâtre. Ce problème culture populaire qui s'exprimait libre¬ Quand les Etats-Unis, vers 1920-
demeura un sujet de controverse ment, mais qui demeura honnie de la 1930, prirent conscience de leur puis¬
nationale jusqu'en 1915, date à la¬ société américaine bien longtemps sance dans le concert des nations, le
quelle les spectacles étaient si géné¬ même après qu'elle eût été follement peuple américain se rendit compte
ralement admis que les derniers qu'une culture traditionnelle américaine
acclamée dans d'autres pays.
prédicateurs « de village » clamaient existait bel et bien, ou du moins se
dans le désert. On sait assez que le jazz est né développait rapidement. Au cours de
d'une mère européenne et d'un père cette décennie, il y eut un extraordi¬
Comme les plus éminents ministres africain. A l'origine, des Noirs, escla¬ naire épanouissement artistique. Un
du culte se pressaient aux guichets, ves ou affranchis, se servant d'instru¬ fait en témoigne : depuis la création
les directeurs de music-hall firent
ments européens, transformèrent des du Prix Nobel en 1901, des Américains
l'impossible pour conserver leur fa¬ avaient vu couronner leur scien¬
mélodies selon des rythmes qui expri¬
veur en présentant des programmes maient leur forme de sensibilité. Parti tifique ou en faveur de la paix (prix
édifiants et de bon ton. C'est à cette
des processions funéraires et des Nobel de la paix, 1906; prix Nobel
époque que se formèrent et s'affi¬
bouges du Sud, le jazz gagna le de physique, 1907, etc.), mais aucun
nèrent le goût et l'humour américains Nord et l'Est, et finalement le monde artiste américain, avant Sinclair Lewis,
et que Hollywood produisit des films qui obtint le prix Nobel de littérature
entier dansa au rythme du blues. Les
lénifiants du style « fleur bleue ». en 1930, n'avait reçu une telle consé¬
compositeurs européens subirent son
Au début des années vingt, on vit influence, et c'est alors que des cration mondiale. Depuis, ce prix a
le cinéma faire son apparition dans été décerné à cinq auteurs américains
compositeurs américains sérieux com¬
20 les salles de music-hall. Comme les
mencèrent à admettre qu'il s'agissait et à un écrivain né et élevé aux Etats-
propriétaires de salles misaient sur Unis (T. S. Eliot).
là d'un art authentique.
le caractère familial de leurs spec¬
tacles, les producteurs de Hollywood Vers 1850, à travers toute l'Europe, Cette ébauche d'une histoire sociale
ESSOR ARTISTIQUE ET CULTUREL
Les Etats-Unis s'enorgueillissent de posséder 1 200 orchestres locaux,
des arts en Amérique montre qu'il
30 000 groupes de théâtre d'amateurs, dix à quinze millions de « peintres
est difficile, aux Etats-Unis, de parler
du dimanche », et autres artistes amateurs.
d'une politique culturelle prolongeant
une culture traditionnelle. Dans nom¬
bre de pays, la culture fut alternati¬ Toutes les villes américaines de plus de 5 000 habitants possèdent
vement encouragée et découragée ; une bonne bibliothèque publique locale à laquelle s'ajoutent des biblio¬
certains d'entre eux ont vu leur art thèques de l'Etat. Bon nombre d'ouvrages américains sont aujourd'hui
populaire se développer depuis sa publiés par les éditions universitaires.
naissance dans les tribus primitives
qui, les premières, s'installèrent sur
En plus des émetteurs commerciaux de télévision, les Etats-Unis
leur territoire à l'aube des temps.
disposent de 140 stations émettrices de programmes culturels et d'édu¬
D'autres nations ont vu leurs cités cation. Une récente législation prévoit que l'administration fédérale sub¬
devenir des foyers de culture et de ventionnera un organisme semi-privé dont la mission sera de réunir en
commerce et le rester au long des une chaîne unique les différentes stations de télévision éducative.
siècles. Elles ont salué avec fierté *
des artistes en pleine possession de
En 1967, on a pu organiser un Institut américain du cinéma grâce à des
leur art, Issus d'une société et d'insti¬
subventions s'élevant à cinq millions deux cent mille dollars, provenant
tutions artistiques en pleine maturité. de l'administration fédérale, de bourses, de fondations et de dons de
Les Etats-Unis n'ont rien connu de tel.
sociétés commerciales de production cinématographique. Cet institut
Leur histoire a commencé par un doit former de jeunes cinéastes et, en collaboration avec les collèges
déracinement culturel d'immigrants universitaires, donner des cours d'études cinématographiques et encou¬
d'origines diverses. L'art fut officielle¬ rager les arts du cinéma. De plus des cours d'études cinématogra¬
ment condamné par des religions phiques et d'initiation au cinéma sont donnés dans 150 universités.
« fondamentalistes » puissantes et
quasi omniprésentes. Pendant les cent Les troupes théâtrales professionnelles à demeure dans les villes sont
premières années de son existence, de jour en jour plus nombreuses sur toute l'étendue du territoire. Leur
la nation américaine s'est trouvée
répertoire comprend des pièces classiques comme les grands succès de
dispersée dans l'immensité d'un sau¬ Broadway. Le dernier-né des mouvements théâtraux est celui du « théâtre
vage continent. Des villes qui, au dans la rue ». Il s'agit de troupes qui s'intéressent exclusivement aux
18» siècle, étaient des capitales intel¬
aspects sociaux du théâtre et au développement culturel des classes
lectuelles, redevinrent des villes ordi¬
pauvres. Elles montent des pièces classiques et modernes, des pièces
naires à mesure que le centre de la
inédites et des improvisations, et donnent leurs représentations sur des
vie nationale se déplaçait vers l'Ouest
scènes montées, les rues, les églises, les écoles, en plein air. Des dons
(Charleston, en Caroline du Sud, et publics et privés les aident à se maintenir.
Savannah, en Géorgie, furent à une B
certaine époque d'importantes métro¬
poles culturelles). La Nouvelle-Orléans Il y a maintenant 28 grands orchestres symphoniques aux Etats-Unis.
a perdu sa fascination au profit de Ces orchestres, ainsi que 40 formations de moindre importance, ont reçu
Saint-Louis, et Saint-Louis, à son tour, jusqu'ici 82 millions de dollars de subvention dont les intérêts assurent
a été supplanté par Chicago lorsque l'exercice de leurs activités.

le rail remplaça la navigation fluviale.


Aucun théâtre à demeure n'a réussi
On estime à environ 200 le nombre des centres culturels construits
à durer plus de vingt-cinq ans et
aux Etats-Unis depuis 1950, et une étude du National Endowment for
deux orchestres seulement peuvent se
the Arts » (société de placement de capitaux dont l'intérêt est affecté
targuer d'un siècle d'existence. à des activités culturelles) estime qu'il faudrait 7 milliards et demi de
dollars pour doter le pays d'un équipement artistique complet. Ces
centres sont habituellement financés grâce à des contributions privées et
publiques, et parfois grâce à la participation de l'administration fédérale
L- ou de l'Etat. D'autres méthodes de financement, parfois originales, ont
été adoptées : l'Etat du New Jersey, par exemple, finance le Garden
tochtone n'a acquis sa véritable origi¬ Arts Center avec le produit des droits de péage de certaines autoroutes ;
nalité qu'au début de ce siècle, à par¬ à Huntsville, dans l'Alabama, c'est une taxe municipale sur les boissons
tir du moment où compositeurs, qui sert à financer le centre culturel ; à Tacoma, dans l'Etat de Washing¬
auteurs dramatiques et écrivains amé¬ ton, une prison a été transformée en centre culturel artistique...
ricains commencèrent à exprimer le *
rythme particulier de l'Amérique. Celui-
ci relève à la fois des cérémonies Quatre-vingts pour cent environ de toutes les sommes consacrées aux
arts proviennent, aux Etats-Unis, de dons privés, de bourses données
indiennes et de l'ardeur sans repos
par des fondations ou autres organisations. Environ 1 500 fondations
des pionniers de l'Ouest ; mais pour
octroient chaque année aux centres culturels et aux organisations artis¬
qu'il devienne expression spontanée,
tiques une somme s'élevant à près de 60 millions de dollars.
il fallut attendre que tout le pays fût
conquis. *

Tout cela conditionne non seulement Il y a 350 musées d'art aux Etats-Unis. Près de la moitié de ceux-ci
le contenu d'une politique culturelle, organisent des expositions permanentes.
mais encore la possibilité d'évaluer et
de planifier efficacement des program¬
Une étude, réalisée en 1967 dans 221 villes des Etats-Unis, montre
mes à long terme, même si une
que, dans les cinq dernières années, on a contruit plus de nouveaux
pensée politique définie rendait pos¬
bâtiments dévolus aux arts que dans toute l'histoire des Etats-Unis.
sible une telle planification.
Soixante et onze villes édifient actuellement des bâtiments réservés à des 21
Au contraire, comme le soulignait usages culturels ; et, ces dernières années, 36 musées, 34 théâtres,
en 1968 le rapport final de la Table 23 centres artistiques et 7 salles de concert ont été bâtis dans 70 villes.
ronde de Monaco, « les besoins cultu-

SUITE PAGE 22
C'est aux musiciens noirs des grandes
villes que le jazz doit son éclatante
richesse d'invention. Au début du 20e siècle,
l'une des formations les plus célèbres
fut celle de Joe - King » Oliver,
le Creole Jazz Band, photographiée
(à gauche) à San Francisco en 1921.
Un an plus tard, Louis Armstrong,
le plus grand trompettiste du monde, entra
dans l'orchestre. Les nouvelles techniques
de « repiquage » d'enregistrement ont
donné une nouvelle jeunesse aux vieux
disques éraillés des grands musiciens
de jazz d'antan (ci-dessous).

Pnoto Usis

CULTURE AMÉRICAINE (Suite)

reis se transforment à un rythme


accéléré, des besoins nouveaux appa¬
raissent, et les goûts du public
varient... Il faut donc éviter de s'enfer¬ ÎJ
mer dans un cadre qui risque de
devenir trop étroit, et veiller à ce que
reste possible une adaptation souple
des ressources aux exigences d'une
vie culturelle en évolution rapide ».
Telle doit -être la position des Etats-
Unis.

Les faits que nous venons d'esquis¬


ser brièvement évoquent grosso modo
le patrimoine culturel dont les diri¬
geants culturels actuels des Etats-
Unis doivent tenir compte pour l'éla¬
boration de leur politique et de leurs
programmes. Tout donne à penser
que les Etats-Unis sont déjà bien
engagés dans une ère d'extraordinaire
floraison artistique.

Ils ont désormais acquis une matu¬


rité historique qui leur permet de faire
face à la situation mondiale. Ils sont
économiquement assez puissants pour
pouvoir soutenir un effort artistique de
quelque ampleur qu'il soit, et leurs
engagements internationaux exigent
d'eux une participation toujours
accrue, conjointement avec d'autres
pays, à toutes sortes d'entreprises,
notamment intellectuelles et artistiques.

En outre, bien avant d'autres


nations, les Etats-Unis ont ressenti
les effets extrêmes de la révolution
industrielle, effets qui se traduisent >

par la prise de conscience imminente s


Q>

2
que l'homme est, ou risque d'être,
dépassé par le progrès technique. Il
est déjà manifeste que les Etats-Unis
ne sont plus maîtres de certaines
situations créées par la technique. Ils
sont arrivés à un moment de leur
histoire où le besoin d'un souffle

d'humanisme se fait désespérément


22 sentir. Il semble qu'ils vont accéder
à une pleine compréhension du rôle
que la culture peut jouer comme
contrepoids à la technocratie.
Emblème du module lunaire
« Eagle » (aigle), avec lequel
les astronautes américains
Neil Armstrong et Edwin Aldrin
réussirent à se poser
pour la première fois
sur la Lune, en juillet 1969,
lors de la mission

spatiale d'Apollo 11.


Photo Usis

L'AIGLE
vaisseau spatial
de l'âge pré-scientifique

par

José
E IN donnant le nom d' « Ai¬ l'Age de la Science, ces deux grandes
gle » au module lunaire qui a trans¬ époques de l'histoire humaine. Et le
Patrocinio de Souza porté les premiers hommes sur la Lune, but du voyage de l'homme dans
quelqu'un a fait preuve, consciemment l'espace imaginaire ou réel est
ou inconsciemment, d'un remarquable essentiellement resté le même au long
sens de l'histoire. de l'histoire. « L'homme allait vers les
planètes en quête de Dieu. Ou
En effet, la vision de l'homme
n'était-ce pas plutôt pour l'abattre ? »
emporté par un aigle à travers l'espace,
ou s'envolant vers les astres sous la Mais pourquoi les Anciens s'imagi¬
forme de cet oiseau, était fort commune naient-ils que l'aigle pourrait emporter
à l'âge pré-scientifique. Il est vrai que l'homme dans l'espace cosmique 7
pour caricaturer les partisans de la Pour l'imagination . très vive de ces
Paix, Aristophane dépêcha son héros êtres qui vivaient et quvraient dans
aux nues sur le dos d'un bousier. Mais un monde de symboles et prenaient
JOSE PATROCINIO DE SOUZA, historien et le rêve subsista en dépit du grand conscience d'eux-mêmes au travers de
essayiste indien, est professeur et direc¬ poète comique athénien et engendra ces symboles, l'aigle était l'oiseau
teur de la section d'histoire à Elphinstone
une foule de mythes et subséquem- céleste par excellence.
College, université de Bombay. Il a consa¬
ment d'euvres d'art. Certes cet envol
cré la plupart de ses travaux à l'origine, Il choisit son aire sur des hauteurs
l'expansion et la signification des symboles, de l'homme d'autrefois n'était que l'en¬
inaccessibles, vole peut-être plus haut
et plus particulièrement des symboles univer¬
sels de l'aigle et du serpent. Il prépare en
vol de son imagination.
que tous les autres oiseaux, semble 23
ce moment deux études : "The Symbol of Mais avec I' « Aigle » le mythe est monter vers le soleil et se perdre dans
the Double Headed Eagle" (Le symbole de devenu réalité, le vieux rêve s'est le ciel. Il devint donc attribut et
l'aigle à deux têtes), "The Eagle and the véhicule de divinités solaires et céles-
Serpent. A Study in Symbolism". accompli, il relie l'Age de la Foi et
SUITE PAGE 24
Exploits de l'aigle
premier courrier astral
dans les rêves des hommes

A droite, plat d'argent de l'époque des Sassanides,


qui régnèrent sur la Perse du 3e au 7« siècle
de notre ère. Le décor évoque la planète Vénus
soutenue par l'aigle céleste, millénaire
représentation cosmique.

Relevé des ciselures (à gauche)


d'une coupe en or découverte
à Hasanlu, en Azerbaïdjan.
L'orfèvre a représenté certains
épisodes de la vie des dieux,
des scènes de bataille et, au centre,
un aigle emportant un homme
sur son dos.

Documents de l'auteur

A droite : motif décoratif iranien


sur un tissu de soie blanche
du 11« ou 12» siècle. L'aigle
à deux têtes enlève un prince
dans les airs. L'aigle bicéphale,
symbole de force, de courage,
dont la vue perçante explore
tout l'horizon, a passé
de la mythologie à l'héraldique.

L'AIGLE (Suite)

par les dieux sur terre pour y enlever de fécondité, qui devait guérir sa
tes, tels Zeus pour les Grecs, Jupiter
l'objet de leur amour. Les mythologies femme stérile. Ayant cherché partout,
pour les Romains et Vishnou pour les
regorgent d'histoires de personnages mais en vain, cette plante miraculeuse,
Hindous.
il invoqua enfin l'aide de Shamash, le
de haut rang qu'un aigle emporte vers
Symbole du ciel, on le trouve gravé dieu Soleil. Celui-ci s'adressa à un
les régions astrales.
sur un plat d'argent sassanide, actuel¬ aigle, qu'Etana découvrit gisant au fond
lement au musée de l'Ermitage, à Le plus ancien de ces mythes est
d'un trou, et gravement blessé par un
Leningrad. Ailes déployées, il porte une peut-être celui du héros mésopotamien
serpent, son ennemi cosmique tradi¬
femme nue dont les seins sont des Etana qui, le premier, alla « où les tionnel.
grenades et qui tient dans la main aigles osent aller ». Selon la chronolo¬
gie sumérienne primitive, ce prototype Il le soigna de son mieux ; l'oiseau
droite un plateau de fruits, encore des
des astronautes modernes était le troi¬ guérit et recouvra ses forces. Pour
grenades, à ce qu'il semble.
sième roi de la 1" dynastie de Kish manifester sa gratitude à son bien¬
Personnage dans lequel les érudits faiteur, l'aigle entreprit de le trans¬
après le déluge.
ont reconnu Anahita, déesse iranienne porter à la cour d'Ashtart, déesse de
de la fécondité ; cependant, Anahita Le vol du héros dans l'espace, l'enfantement, et lui parla en ces
était aussi la personnification de agrippé aux ailes d'un aigle, est le termes :

Vénus, l'étoile du matin. On peut donc thème de la Légende d'Etana, fasci¬


Ami, reprends courage
voir dans ce motif le ciel, figuré par nant poème en caractères cunéiformes
Je vais te mener au royaume d'Anou.
l'aigle, « présentant la plus belle de qui nous est parvenu grâce à une copie
Appuie ta poitrine contre la mienne
ses planètes ». Quoique le dessin date ultérieure dont on a retrouvé des frag¬
Et tiens-toi bien à mes ailes.
de l'époque Sassanide, l'association ments sur des tablettes d'argile, dans
de l'oiseau et d'une divinité astrale la bibliothèque du monarque assyrien A cette invitation, Etana, malgré son
anthropomorphe remonte au 2" ou Assurbanipal. grand âge, rassembla son courage,
plus probablement au 3' millénaire Ce texte a été publié pour la pre¬ « serra sa poitrine contre la poitrine
avant J.-C. mière fois dans « La Genèse chal- de l'aigle, et s'accrocha des mains
24 Evoluant, selon les Anciens, entre déenne », remarquable ouvrage de dans les plumes des ailes ».

ciel et terre, le plus majestueux des George Smith, et complété ultérieure¬ Puis l'oiseau s'envola sans bruit
oiseaux emportait de la terre vers les ment par d'autres spécialistes. contraiment à Apollo 11 faisant
cieux rois et héros, ou était envoyé Etana était en quête de la plante admirer à son passager le vaste pano-
rama de la mer et de la terre qui un chien, ou plus couramment deux Selon certains érudits, ce dessin est
s'amenuisait à mesure qu'ils s'éle¬ chiens, assis face à face de chaque une représentation condensée du
vaient. Ils atteignirent enfin les cieux côté d'un sac ou d'un récipient appar¬ mythe d'Etana.
et survolèrent les palais d'Anou, Enlil tenant sans aucun doute au patriarche ; Il existe dans l'art iranien, une meil¬
et Ea ; mais Ashtart trônait plus haut ces chiens regardent leur maître avec leure illustration de cette légende,
encore. surprise. gravée sur une très belle coupe d'or
Leur ascension avait duré six heures Autre détail intéressant : la présence du deuxième millénaire avant J.-C. Cet
d'un troupeau de moutons ; tout cela objet rare fut découvert en 1958 par
lorsque Etana que le courage lui
ne laisse aucun doute quant à la qua¬ Robert Dyson à Hasanlu, en Azer¬
manquât ou qu'il sentît les effets du
lité de l'homme à califourchon sur baïdjan, au cours d'une expédition
vertige demanda à l'aigle de s'arrê¬
ter et de le ramener à terre. Malheu¬ l'aigle : c'est un berger ; et cela n'a archéologique dirigée par John Dyson.
rien de surprenant, car Etana porte le
reusement, ce passage du texte est La scène, très élaborée, qui rappelle
fort abîmé, et le poème se termine sur nom de berger dans les listes de rois.
le mythe mésopotamien, représente un
D'autres bergers sont souvent repré¬
le triste récit de l'atterrissage en aigle en plein vol emportant un être
sentés, le bras levé en signe d'éton-
catastrophe du vaisseau spatial. humain.
nement.

De nombreux cylindres-sceaux da¬ Le thème du vol d'Etana subsiste


Ce vieux récit mésopotamien et ses
tant de la dynastie d'Akkad, 3" millé¬ illustrations dans l'art sumérien se sont dans des contes plus récents, notam¬
naire avant J.-C, reproduisent une ment dans le récit du vol d'Alexandre
répandus fort loin, car la Mésopotamie
scène étrange qui serait, selon les était située au carrefour des civilisa¬ le Grand qui, entre autres exploits
spécialistes, le voyage d'Etana dans tion de l'Antiquité. merveilleux, se rapetisse pour se faire
l'espace. Pourtant, on y voit un homme porter par un aigle jusqu'à la voûte
Le motif a d'abord passé en Iran.
barbu à califourchon sur l'oiseau, alors céleste, qu'il explora. C'est ainsi qu'il
Sur un sceau iranien taillé dans une
que d'après la légende le patriarche put mesurer l'étendue de la terre, des
coquille et contemporain des sceaux
s'accrochait à ses ailes. mers et des montagnes qu'il lui fau¬
akkadiens, une scène mythologique
Quoi qu'il en soit, l'oiseau ainsi représente une femme assise : elle a
drait
monde.
traverser pour conquérir le
25
représenté est probablement un aigle, des serpents à la place des bras ;
et l'homme qu'il emporte est peut-être au-dessus un aigle dont l'une des ailes Le Coran relate qu'un roi de Baby¬
Etana. Au-dessous de l'aigle, se trouve est surmontée d'une tête d'homme. lone disputa du * Dieu d'Abraham »
SUITE PAGE 26
Un aigle emporte
dans les cieux le roi Etana
de Kish, à la recherche
de la plante de fécondité.
Détail d'une impression
de sceau cylindrique sumérien
du 3e millénaire
avant notre ère.

L'AIGLE (Suite)

Le griffon et la grande grille d'or

avec Abraham lui-même. Certains l'un d'eux de le transporter sur son de la mythologie hindoue, monture de
commentateurs ont reconnu en ce dos, mais l'homme, ou plutôt l'oiseau, Vishnou et de Krishna son incarnation.
monarque Nemrod qui, par la suite, fit s'éleva si haut que Sinbad entendit les
De même dans le Mahinogion, l'âme
jeter Abraham au feu, d'où il fut d'ail¬ « anges glorifier Dieu dans le ciel ». du héros celte Lugh-Llew-Llaw s'envola
leurs miraculeusement tiré. Le roi fit
Dans la mythologie du Tibet, un grif¬ vers le ciel sous la forme d'un aigle
alors bâtir une tour qui devait le mener fon, animal fabuleux à la tête et aux lorsqu'il fut assassiné à la Saint-Jean
jusqu'au ciel où trônait le Dieu d'Abra¬
ailes d'aigle sur un corps de lion, par son second.
ham à qui il voulait faire la guerre ; voulant récompenser un héros, l'em¬
mais la tour fut mystérieusement Dans la mythologie iranienne, il
porta sur son dos au-delà de la existe une version opposée de l'arché¬
détruite.
« Grande Grille d'Or », et le déposa type de l'aigle emportant au ciel rois
Cependant, Nemrod ne renonça pas au centre d'une vaste cour autour de
et héros. C'est du ciel que Simurg,
à son projet et se fit emporter dans laquelle étaient assis des dieux, des l'oiseau fabuleux, a amené sur terre
une sorte de coffre tiré par quatre fées, et autres « habitants du ciel ».
le héros Rustam, qui devint l'un des
oiseaux monstrueux semblables à des
Dans le folklore suédois, c'est le premiers monarques d'Iran.
aigles ; mais après avoir erré dans Phénix, le fabuleux oiseau du soleil,
l'espace pendant quelque temps, il Et dans la mythologie grecque, Zeus
assez semblable à l'aigle lui aussi, qui descendit du ciel sous la forme d'un
tomba sur une montagne et le choc emporta un jour un adolescent vers le
fut tel qu'elle en trembla. aigle pour enlever Thaleia, une nymphe
« beau palais qui se trouve à l'est du
de l'Etna. Ce motif est peint en rouge
Une histoire semblable est relatée Soleil et au nord de la Terre ».
sur un vase provenant de Nola, et qui
dans le Shah nâmeh le Livre des faisait partie autrefois de la collection
Mais c'est à Rome, dans l'apothéose
Rois la grande épopée iranienne ; de l'empereur, que le mythe d'Etana Hamilton ; Zeus, sous la forme d'un
le roi Kay Kâvus avait fait atteler qua¬ a trouvé une expression spirituelle. aigle puissant, dans tout l'éclat de sa
tre aigles aux quatre coins de son char, Hérodien, dans sa description des
et attacher des morceaux de viande à
obsèques de Sévère, dont il semble
L'aigle de Jupiter,
la partie supérieure ; les rapaces firent avoir été témoin, donne un compte sous les yeux étonnés
de tels efforts pour essayer d'attein¬ rendu détaillé des cérémonies de de Rome, enlève en apothéose
dre la viande qu'ils enlevèrent le char déification. Le plus significatif des l'empereur Antonin le Pieux
dans les airs.
rites funéraires était celui qui consis¬ (86-161). Revers d'une médaille
Il existe plusieurs illustrations de tait à lâcher, au moment d'allumer le en bronze de l'époque.

cette légende d'après un original sas¬ bûcher, un aigle qui emportait au ciel
Documents de l'auteur
sanide, et la plus célèbre est une l'âme de l'empereur.
plaque de marbre sur le mur nord de L'apothéose des empereurs et des
Saint-Marc, à Venise. - membres de la famille impériale est un
On trouve aussi quelques échos au motif fréquent dans l'art romain, et
mythe d'Etana dans « les Contes des l'aigle en est un élément indispensable.
Mille et Une Nuits » : Sinbad le Marin, L'apothéose de Titus sculptée sur l'arc
au cours de son deuxième voyage, de Titus et celle d'Auguste sur un
s'attacha à l'aide de son turban aux grand camée exposé au Louvre sont
pattes de Ruck ou Roc, un oiseau les plus connues.
fabuleux semblable à un aigle qui Au revers des médaillons d'Antonin
s'éleva si haut dans les airs que le le Pieux est inscrit le mot CONSE-
pauvre Sinbad perdit la terre de vue CRATIO ; l'empereur, les jambes enve¬
et crut avoir atteint les confins du ciel.
loppées d'un himation, un sceptre à la
Mais l'oiseau descendit et atterrit enfin main droite, s'envole sur le dos d'un
au sommet d'une colline. aigle. Sur d'autres pièces, c'est l'apo¬
Le grand aventurier qu'était Sinbad théose de Faustine qui est représentée.
eut cependant une autre occasion de Il y a dans le Mahâbhârata une his¬
voler dans l'espace ; au cours de son toire qui rappelle l'apothéose des
26 septième voyage, il découvrit qu'au empereurs romains. Sur l'ordre de
début de chaque mois, les habitants Krishna, l'âme d'un guerrier courageux,
d'une certaine ville se transformaient mort sur le champ de bataille, fut em¬
en oiseaux et s'envolaient. Il persuada portée au ciel par Garouda, l'aide géant
splendeur céleste, emporte Thaleia mains un anneau passé autour du cou
vers l'Olympe. de l'oiseau.

Parmi ces récits d'enlèvement par La mythologie indienne ne manque


l'aigle de Zeus, il en est un qui devint pas non plus d'histoires où, sur l'ordre
extrêmement populaire en Grèce, puis des dieux, l'aigle emporte des hommes
à Rome : c'est celui de l'enlèvement au ciel. Ainsi, dans le Mahâbhârata,
de Ganymède, fils de ce héros qui a Vasu Uparichara, roi profondément
donné son nom à Troie ; à cause de dévoué à Nârâyana, autre nom de
son éblouissante beauté, il fut amené Vishnou, abandonna son corps et
au ciel pour remplacer Hébé et verser monta au ciel lorsque son heure fut
à son tour le nectar à Zeus. venue.

Il existe plusieurs versions de l'enlè¬ Cependant, après avoir goûté la


vement de Ganymède, mais celle-ci est béatitude, le malheureux fut précipité
la plus populaire. du paradis et alla rouler sur la terre
au fond d'un trou, maudit par les brah¬
Ce mythe était un sujet favori des
manes dont il avait provoqué la colère ;
artistes grecs. L'illustration la plus
il avait eu la témérité d'arbitrer en
célèbre et la plus caractéristique est
une euvre en bronze de Léocharès, un faveur des dieux une dispute qui les
opposaient concernant le rite sacrifi-
grand sculpteur attique du 4e siècle
catoire.
avant J.-C. Bien que l'original, vanté
par Pline, ait été perdu, plusieurs Si bas qu'il fût tombé, Vasu, au
copies ont résisté aux ravages du contraire de Lucifer, ne renia pas sa
temps. foi en Vishnou, et il continua de l'ado¬
rer avec la même ferveur. Touché
La meilleure est la copie en marbre
d'une telle fidélité, ému d'être le seul
qui se trouve au Vatican au musée
Pio Clementino. La présence du chien refuge de ce prince infortuné, Vishnou
rappelle les illustrations du mythe ordonna au rapide Garouda, sa mon¬
ture, d'aller à son secours.
d'Etana sur les cylindres-sceaux sumé¬
riens ; de même que la description Exécutant un inimitable piqué, celui-ci
par Virgile, au livre de l'Enéide, du alla quérir Vasu dans l'abîme et l'en¬
motif brodé sur la tunique que reçoit leva jusqu'au ciel. C'est ainsi que,
Cloanthe, le vainqueur de la course grâce à l'aigle de Vishnou, Vasu Upa¬
de vaisseaux :
richara retrouva le paradis et sa forme
« Une riche broderie y représente divine.

un jeune prince à la poursuite de cerfs Par une étrange coïncidence, il


dans les forêts du mont Ida ; ardent,
existe aussi un rapport étroit entre
hors d'haleine, il harcèle à coups de
l'aigle et la Lune dans la mythologie
traits la troupe fugitive. Tout à coup, hindoue. D'après le Rig-Veda, c'est
l'oiseau qui porte la foudre de Jupiter Suparna aux belles ailes » autre
fond sur lui, du haut de la montagne, nom de Garouda qui apporta le
le saisit dans ses serres et l'enlève au
Soma aux hommes. Or, dans le Veda,
plus haut des nues. Ses vieux gouver¬ le Soma est la boisson sacrée qui
neurs lèvent en vain les mains au ciel, donne l'extase. Mais c'est aussi la lune,
et la meute perd dans les airs ses où était censé se trouver le nectar
vains aboiements (1). »
qui donne la vie et la sagesse.
Dans l'art gréco-bouddhique du Mais, hélas I la Lune que I' Aigle »,
Gandhâra, on trouve plusieurs adapta¬ contrairement à l'oiseau du mythe, a
tions de ce groupe, où l'on voit un mise à notre portée, n'est qu'une pla¬
Garouda se saisir d'une Nâginî (ser¬ nète aride et recouverte de poussière
pent femelle) à la manière de l'aigle. dont les prétendues « mers » ne
Des représentations d'un jeune contiennent pas la moindre goutte
homme enlevé par un aigle, dans l'an d'eau, et encore moins de nectar. Il
iranien de la période islamique, sem¬ fut un temps où l'homme imaginait la
blent avoir été inspirées par le même Lune comme une coupe pleine et où
chef-d' tout en restant dans la Shakespeare pouvait rêver et voir
ligne de la tradition iranienne primitive ... le trait enflammé du jeune Cupi-
qui associe l'aigle céleste et le Dieu [don
du ciel.
s'éteindre dans les chastes rayons
Deux luvres méritent une attention [de l'humide déesse.
Un Garouda, oiseau fabuleux,
particulière. La première est un bol du véhicule de Vishnou et ennemi
En vérité, s'il a permis à l'homme de
10e siècle qui fait maintenant partie de mortel des génies de la terre
réaliser un de ses rêves, I' « Aigle » en
la collection Kelekian au Victoria and et des eaux, emmène
a détruit un autre. Il a achevé de
Albert Museum. A l'intérieur du bol, dans les airs une Nâgini, génie
dépouiller la Lune de toute la poésie féminin. Ce bas-relief du Garouda
l'artiste a peint un aigle aux ailes
dont l'homme l'avait parée depuis des date vraisemblablement
déployées portant un homme allongé
temps immémoriaux, en révélant ce du 4° siècle de notre ère.
qui s'agrippe à lui. L'élément remar¬
qu'elle est en réalité : laide, grêlée,
quable de ce motif est le chien dessiné
dénudée, inhospitalière, sans la moin¬
dans la bordure qui entoure l'aigle.
dre ressemblance avec la belle Séléné
La seconde de ces qui orne des Anciens Grecs. Comme l'a fort
un façonné de soie blanc du 12e siè¬ bien dit Thomas Campbell :
cle de la collection Bliss, est encore
La distance, sortilège où rêve
plus remarquable. L'aigle bicéphale ici
[l'horizon
emporte un prince qui serre des deux
Voile d'azur diaphane une cime 27
[lointaine.
(1) Traduction René Binet, Paris Lenormant,
1823 - huvres de Virgile, Tome troisième.
par

James A. Perkins Les cinq crises


de l'Université
I
L faut avant tout remarquer 30 % de scolarisation dans le secon¬ opposition sociale, assortie d'une tout
que l'Université ne connaît pas une daire pour le groupe d'âge correspon¬ aussi violente rébellion des étudiants
crise, mais des crises. Admettons dant et 5 % d'étudiants à l'Université qui découvraient à l'entrée qu'on ne
qu'une crise quelconque de l'Univer¬ pour le groupe d'âge correspondant leur avait pas prévu de places.
sité suffirait déjà à sa dégradation. Par constituent des proportions minimales Ce qui se dégage des chiffres, c'est
ailleurs, ces crises sont étroitement nécessaires à une société moderne. Ce
que l'on a ouvert toutes grandes les
liées les unes aux autres. Enfin, leur qui ne signifie pas qu'avec 30 % des portes de l'enseignement secondaire
solution exigera probablement une élèves pourvus d'un diplôme secon¬ en se contentant d'organiser l'ensei¬
modification radicale de l'organisation, daire et 5 % des étudiants pourvus gnement supérieur sur des bases tra¬
de la structure et des buts de l'Univer¬ d'un diplôme universitaire, un pays dis¬ ditionnelles : niveau de spécialisation,
sité. pose des spécialistes qu'exige une étroite sélection. C'est ce déséquilibre
société moderne.
des chiffres et de la doctrine qui est à
La première crise est évidemment l'origine de la crise provoquée par la
Cela signifie simplement que tant
celle du nombre. Dans le monde entier, que ces chiffres ne sont pas atteints,
surpopulation des universités. On
le plus fort accroissement numérique essaye de vider l'océan dans son
un pays a peu de chances de jouer son
verre et l'on se mouille.
des jeunes gens d'âge scolaire se rôle sur la scène internationale. Quant
situe au niveau de l'éducation primaire aux pays qui viseraient un rôle de tout
et secondaire. Mais il est certain que premier plan, ils devraient parvenir à La deuxième crise des universités
le pourcentage le plus élevé d'accrois¬ des pourcentages de scolarisation bien est d'ordre financier. Elle découle
sement touche l'enseignement supé¬ plus élevés. Il est fâcheux de consta¬ directement mais pas exclusive¬
rieur. Bien que les données varient ter que les progrès faits pour atteindre ment de la crise de surpopulation.
d'un pays à l'autre, on peut affirmer des objectifs aussi limités n'ont pas Il fallait soudain faire face à d'énormes
sans risque d'erreur que le nombre des été très réguliers partout : dans de charges financières sans avoir mis au
étudiants entrant à l'Université a dou¬ grandes parties du monde, on n'appro¬ point de politique fiscale ni de système
blé de 1960 à 1970. On peut également che guère que du pourcentage mini¬ de taxes, car on n'avait rien prévu, pas
prédire à coup sûr que ce nombre, déjà mal. Il faut aussi se souvenir que, plus au niveau théorique qu'adminis¬
pléthorique, doublera au cours de la dans beaucoup de pays, l'expansion tratif, pour résoudre le problème des
prochaine décennie. Serait-ce le seul de l'enseignement secondaire et uni¬ inscriptions universitaires dont le nom¬
problème, que ce fantastique accrois¬ versitaire a pour toile de fond la lutte bre doubla de 1960 à 1970. On se
sement exercerait à lui seul une pres¬ contre l'analphabétisme, une lutte bien trouva pris de court à tous égards, y
sion presque intolérable sur la plupart loin d'être gagnée. compris de main-d' et d'argent.
des institutions d'enseignement supé¬
Cette année, on compte encore près Les budgets des universités durent
rieur, et dans la plupart des pays.
de huit cents millions d'adultes anal¬ satisfaire à l'accueil de deux fois plus
Il faut chercher la cause profonde, phabètes dans le monde lourd bou¬ d'étudiants, et de plus assumer les
ou plutôt les causes profondes de let que les pays en voie de développe¬ dépenses imprévues que le maintien
cette augmentation des effectifs de ment doivent traîner alors même qu'ils des anciens schémas d'organisation
l'enseignement supérieur dans les exi¬ luttent pour la modernisation. Néan¬ rendait inutilement élevées. Ce qui est
gences de la société technologique moins, la plupart des pays ont démo¬ le plus frappant, c'est que, pendant ces
moderne. Le besoin d'une main-d'lu¬
cratisé leur enseignement secondaire. dix dernières années, la productivité
vre qualifiée ou semi-qualifiée est de Jusqu'à présent, dans maints pays, de l'enseignement supérieur ne s'est
plus en plus impérieux. Il n'est pas de l'enseignement secondaire n'était que guère améliorée, mais que le coût de
pays, il n'est pas de peuple qui ait la la route, étroite et sélective, qui per¬ l'enseignement par étudiant a aug¬
moindre chance d'accéder au monde mettait l'accès à l'Université. L'entrée menté. Ces multiples charges et l'in¬
moderne si une faible partie seulement à l'Université dépendait d'une sélection flation des budgets ont été largement
de la population reçoit une formation sévère des élèves de l'enseignement supportées par le trésor public et
secondaire. Et nul pays, nul peuple ne secondaire soumis à des examens dès même, dans la plupart des pays, par
peut espérer assurer la direction l'âge de onze ou douze ans. Grâce à lui seul.
qu'exige une société moderne si un ce système, il devenait possible, dans
A cause de ces deux crises jume¬
petit nombre de personnes seulement certains pays, de décider que tous les
acquièrent un diplôme universitaire. lées, surpopulation et dépenses, il n'y
diplômés du secondaire pouvaient
a pas une seule Université au monde
Bien entendu, on serait mal avisé entrer à l'Université.
qui n'ait de difficultés financières
d'être trop catégorique quand il s'agit Cependant, avec l'élargissement des sérieuses ou même parfois catastro¬
du seuil numérique établi pour tel ou admissions dans l'enseignement secon¬ phiques. Il n'est pas difficile de deviner
tel pays en matière d'enseignement daire, le principe traditionnel d'entrée les conséquences d'un tel état de cho¬
supérieur. Cependant, je pense que automatique à l'Université entraînait un ses. La première, c'est une énorme
recrutement qui, souvent, frisait l'ab¬ augmentation de l'emploi des fonds
surdité. Plus de cent mille étudiants publics. Les droits universitaires ont
sont inscrits dans les universités de constamment augmenté. Pourtant, dans
JAMES A. PERKINS est président et direc¬ Paris comme dans celles de Mexico. les pays qui ont largement financé
teur du Centre de recherche sur l'éducation,
à New York. Il a participé au symposium inter¬ Les pays qui ont tenté d'endiguer ce l'enseignement supérieur avec les
28 national de ¡'Unesco sur -
Développement de l'homme », qui s'est tenu
l'Education et le flot en refusant d'admettre à l'Univer¬ droits payés par les étudiants, le pour¬
sité une grande partie des nouveaux centage de dépenses que les univer¬
à Paris en février 1970. Il y a présenté une sités peuvent supporter a fortement
importante étude sur les « Crises de l'uni¬
diplômés de l'enseignement secon¬
versité », d'où cet article a été extrait. daire, se sont heurtés à une forte diminué. La part des fonds'publics est
SUITE PAGE 30
Photo © Paul Almasy. Paris
CRISES DE L'UNIVERSITÉ (Suite)

leur avenir dépend de leur formation


Le paradoxe du succès universitaire, mais le prouver à leur
famille, qui peut difficilement se passer
de leur aide. Si bien que dans ces
nouvelles couches les étudiants exi¬
devenue de plus en plus importante des sciences naturelles que la plupart gent souvent la preuve directe, évi¬
dans chaque budget universitaire. des universités ont jusqu'ici dispensé, dente, d'un lien indiscutable entre ce
Une autre conséquence des crises ou qu'elles se préparent à dispenser. qu'on leur enseigne et les affres de
de l'Université est, bien entendu, le
La seconde, c'est l'efficacité de la leur entourage originel.
renforcement du contrôle public sur formation acquise. Si bien qu'outre la On le vit bien aux Etats-Unis : de
les dépenses universitaires, phéno¬
recherche d'un équilibre des program¬ nombreux étudiants noirs réclamèrent
mène qui, à son tour, a soulevé de
mes d'études dans les trois grands des cours qui leur fourniraient matière
graves problèmes relatifs à l'avenir de domaines de la connaissance, l'Uni¬ à améliorer la vie des quartiers noirs.
l'autonomie d'institutions particulières, versité se doit de trouver un équilibre En Amérique latine, l'Indien de Bolivie,
et du système d'enseignement tout entre enseignement théorique et ensei¬ de Colombie et du Pérou réclamait une
entier. La part des budgets d'enseigne¬
gnement pratique. Evidemment, plus formation qui l'aiderait, lui et sa famille,
ment augmentant dans l'ensemble du un pays est neuf, plus impérieuse est à échapper à l'implacable misère des
budget gouvernemental, l'exigence
l'exigence des connaissances prati¬ siens. Telle est l'attitude de plus en
d'un contrôle public ne peut manquer
ques, alors que dans les pays dévelop¬ plus déclarée, mais peut-être sur un
de se durcir.
pés de longue date un aménagement fond de tableau moins sombre, des
Ainsi les responsables de la gestion plus nuancé de la formation théorique étudiants issus des villes industrielles
universitaire doivent se préoccuper de et de la formation pratique est sou¬ d'Angleterre et des provinces méridio¬
maints rapports, tout nouveaux, exis¬ haitable. nales de l'Italie.
tant désormais entre l'Université et le
Mais dans les jeunes pays, le pro¬ Point n'est besoin d'être grand clerc
gouvernement. Dans nombre de pays, blème que soulève la contradiction pour saisir le rapport entre le nombre
l'enseignement supérieur a été tradi¬ entre études appliquées et études des étudiants, le coût des études et la
tionnellement financé presque entière¬ théoriques (c'est-à-dire entre une for¬ nature des programmes d'enseigne¬
ment par les fonds publics. A cet mation efficiente et une formation tra¬
ment. Assurer un enseignement qui
égard, les nouveaux rapports qui se ditionnelle) n'est pas facile à résoudre. répond parfaitement à des exigences
développent entre Université et gou¬ Car l'acquisition de connaissances pra¬ variées est fort coûteux, et récipro¬
vernement ne posent pas de sérieux tiques ne peut aller bien loin si elle quement, de plus grands frais impo¬
problèmes, mais on constate déjà que n'est pas étroitement liée à une forma¬ sent de faire la preuve que l'enseigne¬
l'opinion publique réclame un contrôle tion plus théorique. A l'Université, la ment satisfait de plus en plus à ce
gouvernemental plus sévère sur les plupart des maîtres se rendent compte qu'on en exige. Et puisque l'Université
dépenses universitaires. qu'il leur faut, à cette fin, rester en cherche à satisfaire à l'exigence de
Dans les pays où l'enseignement rapport avec les maîtres des univer¬ programmes d'études adéquats et
supérieur a été très largement financé sités des pays plus développés que le nuancés, il faut s'attendre à voir gran¬
par des fonds privés, comme c'est le leur.
dir l'intérêt pour la formation universi¬
cas aux Etats-Unis, au Japon et en Il y a là un risque sérieux de colo¬ taire, si bien que se referme le cercle
Inde, dépendre de plus en plus étroi¬ nialisme intellectuel qui pourrait empê¬ vicieux, nombre des étudiants, coûts
tement des fonds publics crée une cher les toutes nouvelles universités des études,- nature des programmes.
sorte de psychose universitaire. Il n'est d'atteindre à la diversité et l'autorité
Il y a quelque ironie à constater que,
jamais très agréable d'aliéner son qu'ont acquises les universités des dans l'état actuel des choses, les cri¬
indépendance parce qu'on a besoin pays développés avec lesquelles elles ses qui nous occupent résultent, pour
d'argent. sont en rapport. Les universités des une bonne part, du succès de l'Univer¬
pays en voie de développement sem¬ sité à s'adapter aux besoins de ses
La troisième crise est celle de la blent avoir besoin de plus de contacts différents publics. Et au fur et à me¬
valeur des programmes d'études. A que les universités créées de longue sure qu'elle y parvient, ses problèmes
divers égards, il y a là un problème date, mais si elles doivent rester trop grandissent au lieu de diminuer.
considérable. D'abord l'enseignement braquées sur les sciences appliquées,
traditionnel subvient assez mal aux elles risquent de se couper, pour une
besoins les plus élémentaires des pays bonne part, des plus remarquables pro¬
en voie de développement, voire aux grès intellectuels qui s'accomplissent
besoins de quelques pays moins neufs dans d'autres parties du monde.
^^ EPENDANT, même ces
qui sont engagés dans la voie de la L'impérieuse nécessité des études trois crises étroitement dépendantes
modernisation.
pratiques demeure, et sans doute l'une de l'autre : prix, surpopulation,
continuera à dominer la scène univer¬
Ainsi les universités de l'Amérique programmes d'études, ne déterminent
latine, par exemple, qui insistent sur¬ sitaire dans les pays en voie de déve¬ pas, à elles seules, le climat que subit
tout sur le droit, la médecine et les loppement, mais pas tout à fait aux l'Université alors même qu'elle lutte
lettres, ne paraissent pas parfaitement dépens de l'enseignement des disci¬ pour accomplir sa mission. Ces crises
adaptées aux exigences des étudiants, plines traditionnelles. mêmes auraient entraîné, à elles
qui réclament à cor et à cri une for¬ Il faut apporter une autre précision seules, des troubles considérables et
mation spécialisée qu'impose la ges¬ au sujet de l'efficacité des programmes il eût été difficile d'en sortir. Mais il
tion de sociétés que caractérisent à la d'études. Au fur et à mesure que y avait en jeu des éléments plus gra¬
fois la démocratie et la haute diver¬ grandissait le nombre des étudiants, ves, qui ont énormément compliqué la
sité technologique. Aux Etats-Unis, leur recrutement touchait à des cou¬ tâche de la réorganisation universi¬
comme dans bien d'autres pays, ce ches de plus en plus vastes, de plus taire ce qui nous vaut la quatrième
sont les étudiants qui ont suscité la en plus mêlées de nos sociétés ; on crise, la crise des nouvelles priorités.
troisième crise de l'Université, celle a affaire le plus souvent à une pre¬ Vers le début des années 1960, au
de l'efficacité, de la valeur des pro¬ mière génération universitaire en quel¬
moins dans les pays les plus dévelop¬
grammes. que sorte, car les parents n'ont jamais
pés, les élites dirigeantes boulever¬
fait d'études, et aucune tradition fami¬
On peut dégager deux questions ma¬ sèrent les priorités sociales : de l'en¬
jeures dans ce problème de la valeur liale n'a préparé l'étudiant à l'austérité
richissement, du plein emploi, du main¬
de l'acquisition du savoir.
des programmes. La première concerne tien de la paix par le pouvoir militaire,
30 la valeur formative des disciplines fon¬ De plus, beaucoup d'étudiants appar¬ elles passèrent à des soucis de justice
damentales : en un mot, il s'agit de tiennent à des groupes sociaux minori¬ envers les minoritaires et les pauvres,
chercher à équilibrer l'enseignement taires ou jusqu'ici disqualifiés, et il de qualité de l'environnement, de main¬
des lettres, des sciences sociales et faut non seulement leur prouver que tien de la paix par la subordination des
ambitions nationales à l'idée de com¬ tés ont du mal à asseoir leur neu¬ programmes d'études. Nombre d'étu¬
munauté internationale. Tous les pays tralité, ou du moins à la maintenir, alors diants, dépenses, programmes, autant
ne ressentirent pas ces changements que si une société témoigne d'un de questions terriblement importantes,
de même manière, ni au même degré. accord quasi unanime à propos d'im¬ mais, répétons-le, la question cruciale,
Mais on ne saurait nier qu'il y eut cer¬ pératifs majeurs, la neutralité de l'Uni¬ c'est le rôle et la mission de l'Uni¬

tains changements radicaux au cours versité a beaucoup plus de chances de versité.

de ces dix dernières années. s'instaurer. Est-elle un champ clos, neutre,


Il est caractéristique à cet égard que Il n'est donc pas étonnant que les garanti pour une pensée libre ? Ou un
la jeunesse ait fait siennes les nouvel¬ pays qui ont connu le plus de diffi¬ outil de perfectionnement social ? A
les priorités, alors que les adultes, qui cultés avec leurs universités soient cet égard, le désaccord a provoqué une
gardaient de vifs souvenirs de la crise ceux qui sont en proie aux divisions crise, qui en a entraîné d'autres.
économique des années 30 et des deux les plus profondes sur une philoso¬
Mais par-delà même la crise de
guerres mondiales, se cramponnaient à phie sociale et des programmes l'authenticité et de la mission de
la conviction qu'il fallait augmenter le sociaux. Les universités se débattent
l'Université, il y en a une autre, plus
produit national brut, et maintenir la aujourd'hui dans ce problème prodi¬
grave encore, qui menace le concept
paix mondiale, s'il le fallait, par les gieusement compliqué, qui a pris une même d'université. Car la cinquième
armes. tournure tout à fait politique.
crise est née d'un scepticisme nou¬
Tout a été dit, ou presque, à propos La plupart des systèmes tentent de veau, qui nie la possibilité même d'une
du fossé qui sépare les générations ; se frayer une voie entre ces deux pensée objective et rationnelle. Il fau¬
il existe toujours, certes, mais en un extrêmes neutralité et activisme drait tout un ouvrage pour débrous¬
peu plus large. Avec la modernisa¬ en maintenant le maximum d'indépen¬ sailler l'infinie complexité du siècle qui
tion de la société, 'l'individu se libère dance sociale, tout en lâchant du lest est le nôtre, et retracer la prodigieuse
des contraintes et des devoirs qu'im¬ quant à la politique des entrées à l'Uni¬ attaque menée contre la raison de
posent la tribu et la famille. Une versité et des innovations dans les l'homme, plus, contre sa raison latente.
société moderne exige, et encourage, SUITE PAGE 32
la mobilité. Les enfants vont à l'école
pendant que les adultes sont saisis par
le tourbillon de la vie professionnelle. MAIS OU LES METTRE? Cette salle de cours archi-comble de la Sorbonne,
Si bien que la jeunesse devient libre à Paris, illustre l'un des graves problèmes de l'université moderne : celle du
de créer une culture qui lui est pro¬ nombre. Au cours des dix dernières années, les Inscriptions dans l'enseignement
pre, une société qui est la sienne. supérieur ont doublé, et doubleront d'ici 1980. Dans le monde entier, c'est au
niveau de l'enseignement supérieur que l'accroissement du pourcentage national
Cette rupture entre générations d'étudiants est le plus considérable.
aurait suffi à produire toute une gamme
de problèmes sociaux ardus, même si
la nouvelle génération n'avait pas fait
siens d'impérieux soucis de justice et
de paix.. Mais l'indépendance qui brû¬
lait d'ardeur, l'aliénation que nourris¬
sait la méfiance, le séparatisme qu'exa¬
cerbaient les conflits philosophiques
tout intervint pour que les universités
eussent à affronter des problèmes qui
n'étaient pas seulement complexes,
mais bien explosifs. Explosifs, car les
générations qui accédaient à l'Univer¬
sité faisaient éclater leur mécontente¬
ment, provoqué par le nombre des
étudiants, le prix des études, le
contenu des programmes, l'esprit en¬
flammé de colère contre cette société
dont l'Université devenait de plus en
plus partie intégrante.
Dans ces circonstances, il était iné¬
vitable que l'Université tout en
essayant de venir à bout de ses prio¬
rités particulières juge les nouvelles
inquiétudes sociales des étudiants
pour malaisées à dissiper. Car il n'eut
été possible de les dissiper que
si les étudiants avaient consenti à ce
que l'Université restât un forum neu¬
tre, où ces graves problèmes exté¬
rieurs auraient été sereinement débat¬
tus. Mais désormais parfaitement iden¬
tifiée à la société qui l'entretenait,
l'Université, c'était clair, devenait un
appareil pour tester la société, et de
plus une cible pour les contestataires.
Cette quatrième crise de l'Université
relève d'une schizophrénie toujours
virulente puisqu'il s'agit de décider
si l'Université a plus de valeur en tant
que terrain neutre de recherches et de
discussions, ou si elle a plus de valeur
en tant que levier pour une réforme de
la société.

En général, quand les sociétés


connaissent des divisions, les universi
CRISE DE L'UNIVERSITÉ (Suite)

Qu'il suffise de dire que la rassu¬ tution qui se serait proposé de mettre juger que le rôle traditionnel de l'en¬
rante croyance occidentale en un hom¬ un terme, en si peu d'années, à une seignement, des étudiants et de l'admi¬
me raisonnant dans un univers raison¬ telle cascade de crises, l'une entraî¬ nistration s'accorde aux buts qu'ils veu¬
nable, un homme comprenant de mieux nant l'autre, aurait chancelé. C'est un lent atteindre. Il serait fort erroné de
en mieux son milieu pour le plus grand des miracles du siècle que l'Univer¬ supposer que la délégation de pouvoir
bien de l'évolution de l'humanité tout sité ait survécu, envers et contre tout. n'a aujourd'hui d'autre cause que la
entière, est une notion qui se démode maturité des jeunes gens qui entrent
Un professeur qui ne joue que peu
d'année en année. A sa place surgit à l'Université. Le vrai mobile de cette
de temps le rôle de recteur ou de
une sorte de mysticisme, et la exigence d'un nouveau mode de ges¬
doyen ne peut guère, lors de son bref
croyance que quelque part dans les tion universitaire, c'est le mécontente¬
exercice, saisir tous les problèmes,
champs ténébreux de l'esprit, les sens encore moins en venir à bout. Un emi¬ ment de ceux qui mettent en cause le
et les sensations, dans le sentiment programme universitaire et croient qu'il
nent professeur d'Université tient pour
plus que la pensée, il est plus vrai¬ faut une nouvelle forme de gestion
peu enviable l'avancement qui le porte
semblable de trouver la vérité que pour engager l'Université dans des
à une direction responsable, depuis
grâce à l'étude objective du monde voies nouvelles.
que des troubles graves, sur le cam¬
qui nous entoure.
pus, éclatent dans le monde entier. On a eu tendance à tenir la crise de

Tout ceci a sapé l'un des concepts Une vieille tradition protège encore le l'Université pour une crise de gestion.
essentiels sur lesquels s'est fondée professeur à sa chaire ou dans son C'est peut-être exact, mais l'on ne
laboratoire, mais le recteur dans son peut comprendre cette crise de gestion
l'Université ; l'étude procédant de la
multiplication des connaissances, la bureau ne peut s'en réclamer. tant que l'on ne s'est pas rendu compte
raison d'être de l'Université, c'est de Mais le recrutement des cadres qu'elle est la somme de cinq autres
favoriser leur exposé rationnel. Atta¬ peut n'être, en fin de compte, que la crises : la crise du nombre, la crise
quer la valeur de ces concepts, c'était moindre des difficultés de la gestion financière, la crise d'un renouvellement
mettre en question l'idée même d'Uni¬ universitaire. La participation estu¬ des programmes universitaires, la crise
versité. diantine à la direction, son intervention des priorités, la crise du scepticisme.
responsable dans l'enseignement et Il n'est pas de nouvelle charte qui
En bref, l'Université affronte donc
l'administration ne peut manquer de puisse parer parfaitement à tous les
cinq crises la crise du nombre, la
gêner ceux qui s'attellent à la modi¬ problèmes qu'affronte l'Université.
crise financière, la crise d'efficacité, la
fication des programmes et à l'instau¬ Pour que l'Université assume dans
crise des priorités, la crise du scepti¬ ration de priorités nouvelles. notre monde nouveau sa mission his¬
cisme.
Quant à ceux qui sont pris dans la torique, il faudra, et dans l'Université
Est-il donc surprenant que le problè¬ révolution sociale de l'heure et récla¬ même et hors de l'Université, faire
me de l'Université soit tout ensemble ment la participation de l'Université, preuve de la plus haute science de
universel et contraignant ? Toute insti ils n'ont sans doute pas tendance à gouvernement.

UN PROBLÈME CRUCIAL (suite de ¡a page 13)


Tchad. Les études concernant cette différent. Ce projet bénéficiera égale¬ nombreuses régions du monde et l'état
région ont trait au sol et aux ressour¬ ment de l'aide du PNUD et l'Unesco de retard consternant de certains
ces en eaux de surface et en eaux sera aussi chargée de son exécution. aspects de l'hydrologie, seule science
souterraines. Bien que nombre d'étu¬ L'objectif général est de mettre en qui puisse traduire les données brutes
des excellentes aient déjà été réalisées place dans cet Etat des moyens d'étu¬ en informations capables d'orienter
longtemps avant le début de la Décen¬ des supérieures et de recherche dans l'action à entreprendre pour conserver
nie notamment au titre du projet le domaine de l'hydrologie et dans et utiliser l'eau.
Unesco de recherches scientifiques celui de ses applications à des projets
Au cours de la Décennie, divers
sur les terres arides c'est la Décen¬ pratiques de développement.
gouvernements et universités ont créé,
nie qui a permis de confronter les nom¬
L'Institut des sciences hydrologiques avec le concours et l'assistance de
breuses données disponibles.
et de la technologie des ressources l'Unesco, des cours spéciaux de niveau
Par l'intermédiaire de l'Unesco et en eau, en Iran, est un établissement élevé et d'une durée d'un semestre
de l'Organisation des Nations Unies similaire. Il a été créé par le gouver¬ pour l'étude de l'hydrologie et des pro¬
pour l'alimentation et l'agriculture nement iranien avec l'aide du PNUD ; blèmes des ressources en eau. Des
(FAO), une commission formée par les là aussi l'Unesco est chargée de sa cours de ce genre ont été organisés en
quatre Etats riverains a obtenu une réalisation. Italie, aux Pays-Bas, en Tchécoslova¬
aide du PNUD.
quie et au Venezuela. Ces cours
On peut citer un très grand nombre
Sur le plan administratif et en liai¬ s'adressent à des ressortissants
d'activités analogues ou différentes :
son avec la commission, la FAO s'oc¬ la planification coordonnée des acti¬ étrangers.
cupe des études de restauration des vités de la Décennie par le Conseil En outre, l'Unesco, l'OMM et la FAO
terres et l'Unesco de l'étude hydrolo¬ des cinq pays nordiques ; les recher¬ ont patronné, en collaboration avec
gique générale. Ces travaux, mis à exé¬ ches sur l'utilisation del'eau salée pour d'autres organisations et des universi¬
cution en 1966, constituent un exem¬
l'irrigation en Tunisie ; les recherches tés, de nombreux cycles d'études
ple remarquable de coopération prati¬ dans le monde entier sur les utilisa¬
hydrologiques de brève durée, princi¬
que et scientifique. tions des radio-éléments en hydrolo¬ palement dans les pays d'Amérique
Autre exemple : l'étude des ressour¬ gie, sous la direction de l'Agence inter¬ latine et d'Afrique du Nord.
ces en eaux souterraines du Sahara nationale de l'énergie atomique ;
septentrional, qui porte sur la zone où l'étude hydrométéorologique interna¬ Enfin, diverses universités de pays
se trouvent les principales nappes tionale du lac Victoria, dirigée par l'Or¬ développés ont offert de nombreuses
aquifères profondes d'Algérie et de la ganisation météorologique mondiale ; bourses à des ressortissants étrangers
partie tunisienne du Sahara. Cette la mise au point, dirigée par cette orga¬ pour leur permettre de s'inscrire à des
étude s'effectue sous les auspices des nisation, du réseau hydrométéorologi¬ programmes normaux d'études supé¬
gouvernements des deux Etats, dans que de l'Amérique centrale ; la mise au rieures comprenant l'hydrologie com¬
le cadre d'un, accord passé avec le point d'un système d'alerte aux crues me discipline principale.
PNUD, l'Unesco étant chargée de pour le bassin du Mékong ; la création
La Décennie a fait naître dans les
son exécution. d'un institut des ressources naturelles
divers pays du monde le sentiment
en Irak, etc.
32 La création d'un Centre national nouveau que les problèmes de l'eau
d'études hydrauliques et d'hydrologie Les activités de la Décennie ont sont immenses et d'une urgence crois¬
appliquée à Ezeiza (Argentine) consti¬ révélé l'éclatante insuffisance des sante. Cette prise de conscience ne
tue un projet de caractère entièrement informations hydrologiques dans de cesse de se renforcer.
u nroAivr »

ET SCULPTURE
MODERNE

A L'UNESCO

Le siège de l'Unesco à Paris comprend maintenant un nouveau bâtiment. Situé non loin
des quatre édifices de la Maison de l'Unesco, Place de Fontenoy, il a été inauguré par
le Président de la République française, M. Georges Pompidou, le 17 mars de cette
Photos Unesco, Dominique Roger
année. Ici, trois ,uvres d'artistes de réputation internationale qui ont participé
à la décoration de l'édifice. A gauche, l'Homme qui marche d'Alberto Glacometti,
typique du style très particulier du célèbre sculpteur suisse, dans le patio principal.
Ci-dessus, une sculpture d'acier de l'artiste espagnol Eduardo Chiliida se profile sur la
façade principale. Ci-dessous, dus à Soto, un artiste vénézuélien, deux ensembles
d' « Op'art », baguettes colorées et élément tournant, ornent le hall principal. Autre
oeuvre moderne, une grande décoration murale réalisée par l'Américain Ellsworth Kelly,
qui embellit la salle de repos. Conçu par l'architecte français Bernard Zehrfuss, ce nouvel
édifice de huit étages comporte également deux niveaux de bureaux en sous-sol
éclairés par quatre patios aménagés en jardins.
Nos lecteurs nous écrivent

PIONNIERS sédentaire. L'opinion des auteurs selon raient les concepts sur lesquels les
DE LA LÉGISLATION laquelle « ...les exigences des divers Nations unies et leurs institutions spé¬
ordres lamaïstes pesaient lourdement cialisées sont fondées, et qui devront
DU TRAVAIL
sur les pauvres familles nomades » être complétées si nous voulons trou¬
représente un non-sens si l'on consi¬ ver une solution aux problèmes mon¬
Puis-je me permettre une remarque dère la philosophie religieuse du peu¬ diaux. Ce qui implique l'acceptation
à propos du numéro sur l'Organisation ple. Comme dans chaque famille, l'un d'une cour de justice et d'une monnaie
Internationale du Travail Quillet 1969) : des membres au moins était moine ; internationales, d'une force de police
il s'est tout de même passé quelque on portait par conséquent un
certain à l'échelle mondiale, d'un corps exécu¬
chose avant 1919, et il y a eu quel¬ intérêt aux monastères. Prétendre qu'il tif unique, d'une langue de travail uni¬
ques précurseurs dont Daniel Le Grand, y ait eu un schisme entre le boud- verselle, etc.
industriel français de la première moitié dnisme du Vajrayâna et le peuple, c'est
du XIXe siècle, et dont le portrait figure, Votre excellente revue ne pourrait-
afficher un point de vue typiquement
parait-il, au B.I.T. Il me semble que son elle nous donner de plus amples infor¬
non asiatique et montrer que l'on n'a
combat pour une plus grande justice mations sur ces concepts ?
pas la moindre connaissance de cette
sociale méritait au moins d'être cité, religion. R.W. Fowler
même si les résultats ne sont apparus North Bay, Ontario, Canada
que plus tard. Les auteurs disent également qu'à
Pasteur Stabenbordt cause de la faible densité de la popu¬
Schirmeck, France lation, il doit y avoir une intensification
ILS TÉMOIGNENT
de la mécanisation de l'agriculture.
N.D.L.R. Daniel Le Grand (1783- Puis ils ajoutent, très sérieusement : D'UN MYSTÈRE
1859), industriel (il avait une filature « Cette particularité démographique
de soie au Ban de la Roche, en
et l'industrialisation rapide ont créé
Je sais malheureusement que la pro¬
Alsace), joua un rôle en effet considé¬ dans le pays un problème sans doute tection et la défense des animaux est
rable dans l'établissement d'une loi de
unique en Asie : il y a pénurie de
une tâche ingrate, difficile, très souvent
1841 prise par le gouvernement fran¬ main-d' si l'on veut que l'effort
mal comprise, à laquelle on oppose les
çais pour réglementer le travail des économique se poursuive. » C'est
terribles problèmes que doit résoudre
enfants. Daniel Le Grand avait repris ainsi qu'il faut alors accroître la popula¬ l'humanité.
les idées de Robert Owen, industriel
tion pour garder un potentiel de pro¬
anglais qui, en 1811, avait fait un rap¬ duction, dont on prétendait qu'il devait, Dans un monde trop souvent sans
port sur la condition du travail des au premier chef, améliorer les condi¬ ctur, sans scrupules, reste-t-il encore
enfants dans les mines et avait soumis, des moyens pour mettre fin à ces mi¬
tions de vie de la population. Est-il pos¬
en 1818, aux diplomates du Congrès sible que, si la production ne satisfait sères ignorées ou méprisées dont sont
d'Aix-la-Chapelle, un mémoire les invi¬ pas aux besoins de la population exis¬ victimes nos « inférieurs ». Ils atten¬
tant à introduire « dans tous les pays- tante, quelque chose n'aille pas dans dent tout de nous, innocents et désar¬
des mesures pour protéger les ouvriers les méthodes de production ? Ce cercle més devant l'ignorance et la cruauté
contre l'ignorance et l'exploitation dont vicieux soulève une très sérieuse ques¬ des hommes.
ils sont victimes ». De 1844 à 1859,
tion : qu'est-ce qui est le plus impor-
Daniel Le Grand n'élabora pas moins Ceux d'entre nous faisant partie des
fant, du sentiment de satisfaction et du « hommes de bonne volonté » se sen¬
de quatre projets de loi internationale bien-être de la population, ou du jeu tent dérisoirement faibles devant l'in¬
en vue d'améliorer la condition ouvrière.
consistant à accroître le produit na¬
compréhension et devant ces misères.
Au nom de ce précurseur, il faut ajou¬ tional brut ?
ter ceux d'Auguste Blanqui, de Louis L. A.
Blanc, de Pierre Leroux et de Constan¬ Les auteurs vantent les vertus du dé¬
Membre de la Ligue de Protection
tin Pecquer pour la France, sans omet¬ veloppement accéléré d'Oulan-Bator et et de Défense des Animaux
tre le médecin Louis Villermé qui, le de sa « rivale » (est-ce une course ?)
Sarthe, France
Darkhan. Ils mesurent le bien-être du
premier, chargé par l'Académie des
sciences morales et politiques d'étudier peuple au nombre de théâtres, de bâti¬ N.D.L.R. « Le Courrier de l'Unesco »
la condition des classes pauvres, avait ments préfabriqués et de concerts de n'a guère cessé de s'occuper depuis
osé publier le bouleversant « Tableau jazz (ce qui signifierait que les gens de vingt-deux ans de la protection des
de l'état physique et moral des ouvriers Londres et de New York seraient les
animaux et de la nature. Signalons,
dans les fabriques de coton, de laine plus heureux du monde) I dans les numéros consacrés à ces pro¬
et de soie » (1870). Autre précurseur Pourquoi continuons-nous à affirmer blèmes ; « L'homme ennemi de la na¬
de la législation ouvrière, le chancelier que si tout le monde voulait bien être ture », (janvier 1958), « La grande
Bismarck qui, de 1883 à 1887, instaura comme nous, tout irait bien mieux... en faune d'Afrique en péril » (septembre
en Allemagne la sécurité sociale, fit oubliant « qu'être comme nous » veut 1961), « Parcs nationaux et frontières »
limiter la durée du travail des femmes (février 1965), « La biosphère, entre
dire que nous avons empoisonné notre
et des enfants, et fixa le nombre maxi¬ environnement, aliéné notre jeunesse et l'homme et la nature un équilibre déli¬
mum d'heures de travail quotidien. conduit l'humanité au bord de l'anéan¬ cat » (janvier 1969).
tissement ?

Dr. D.K. Edwards


LES NOMADES CONTESTÉS... Victoria, B.C., Canada PORTRAIT D'UN INCONNU

J'ai trouvé votre article sur la Mon¬


J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre
golie (novembre 1969) fort intéressant, POUR UN GOUVERNEMENT
numéro de janvier 1970 : « L'éducation
bien qu'il me paraisse quelque peu
MONDIAL? à refaire », et en particulier, l'article
simplet.
de Paul Lengrand.
Les auteurs, MM. Facknitz et Kosti¬ Dans l'article intitulé « D'une civili¬ Travaillant depuis plusieurs années
kov, déclarent en effet que si le peuple sation éclatée à une éducation inté¬ au Mouvement de l'Ecole Moderne,
de Mongolie était nomade, c'était parce grée » (janvier 1970), les commentaires c'est avec plaisir que j'ai lu "le nom de
que les nomades répugnaient à l'agri¬ de René Habachi sur la contestation, les Freinet aux côtés de Pestalozzi, Dewey,
culture, toutes les terres étant la pro¬
changements d'attitudes et les besoins Makarenko... alors qu'en fait, en France,
priété des nobles et des lamas, et que de notre monde, rappellent beaucoup ce Freinet est un inconnu, bien que la
ce furent les sauveurs révolutionnaires
qu'écrivait Bahâ'i au siècle dernier. (Les « rénovation pédagogique » s'abrite
qui, finalement, libérèrent les terres. idées du philosophe persan Bahâ'i, ou derrière ses idées.
Cet argument ne me parait guère Bâb, donnèrent naissance, vers le milieu
convaincant, les nomades aimant géné¬ du 19= siècle, à un mouvement religieux Ne serait-il pas possible de sortir un
numéro de votre revue sur Freinet, sa
ralement vivre en nomades... Au Tibet, universaliste). Bahâ'i insistait sur le fait
vie et ses recherches ?
où existait une situation similaire, ceux que chacun devrait recevoir une édu¬
qui désiraient se livrer à l'agriculture cation appropriée, libérée de la routine, Mme Ducouret

pouvaient facilement le faire et ainsi de manière à accéder à sa propre véri¬ Institutrice

bénéficier des avantages d'une vie té. Nombre d'idées de Bahâ'i préfigu Nohan-Vicq, France
Vient de paraître à ¡'Unesco
recherche» sor les rewoorces naturell» X

Utilisation et conservation
utilisation et
de la biosphère
conservation
L'action de l'homme sur la nature risque de
de la biosphère tuer celle-ci.

L 'angoissant problème posé par la pollution de


l'eau et de l'atmosphère.
Le maintien de la fertilité des sols et le
déboisement.

La protection de la faune et des plantes.


L 'utilisation rationnelle des ressources de la

planète.

Cet ouvrage fondamental sur le déséquilibre


existant entre l'homme et la nature présente
les études et les conclusions des hommes de
unesco

science réunis à l'Unesco lors de la première


Conférence mondiale de la biosphère, en
septembre 1968. Il pose la question, l'une des
Un volume de 805 pages
plus graves de notre temps : Notre planète
Prix : 24 F £1.80 $6 deviendra-t-elle bientôt inhabitable ?

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directement à l'agent général (voir liste ci-dessous). Courrier de l'Unesco» : Ediciones Iberoamericanas, S.A., gnant : Commission nationale marocaine pour l'Unesco
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Librairie «A la Caravelle », 36, rue Roux, B P. 111, Port- Box 6125 Oslo 6. (Kr 2.75) NOUV.-CALÉDONIE.
ALBANIE. N. Sh. Botimeve, Nairn Frasheri, Tirana. au-Prince, HONGRIE. Akademiai Konyvesbolt, Vaci Reprex. Av. de la Victoire, Immeuble Paimbouc. Nouméa.
ALGÉRIE. Insticut Pédagogique National, 11, rue U 22, Budapest V., A.K.V. Konyvtárosok Boltja, Nepkoz- PAYS-BAS. N.V. Martinus Nijhoff Lange Voorhout
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diffusion (SNED), 3, bd Zirout - Youcef, Alger. Co. Ltd., 30, Bourbon Str. Port-Louis. INDE. Orient tions : ORWN PAN. Palac Kultury, Varsovie. Pour les
ALLEMAGNE. Toutes les publications : R. Oldenbourg Longmans Ltd. : 17 Chîttaranjan Avenue, Calcutta 13. périodiques seulement : « RUCH » ul. Wronia 23 Varso¬
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allemande seulement) Bahrenfelder Chaussee 1 60, Nouvelle-Delhi 1. Indian National Commission for Unesco, BLIQUE ARABE UNIE. Librairie Kasr El Nil 3, rue
Hamburg-Bahrenfeld, CCP 276650 DM 1 2). AUTRI¬ att.The Librarian Ministry of Education, "C" Wing, Room Kasr El Nil, Le Caire, Sous-agent : la Renaissance d'Egypte,
CHE. Verlag Georg Fromme et C". Spengergasse 39, 214, Shastri Bhawan, Nouvelle-Delhi 1. Oxford Book 9 Tr. Adly Pasha, Le Caire. ROUMANIE. Cartimex,
Vienne V. (AJ 82). BELGIQUE. Toutes les publi¬ and Stationery Co, 17 Park Street, Calcutta 1 6. Scindia P.O B. 134-135, 126 Calea Victoriei, Bucarest.
cations : Editions «Labor», 342, rue Royale, Bruxelles House, Nouvelle-Delhi. (R. 1 3.50) IRAN. Commission ROYAUME-UNI. H M. Stationery Office. P.O. Box
3. Presse Universitaires de Bruxelles, 42 av. Paul nationale iranienne pour l'Unesco, 1/154, Av. Roosevelt, 569, Londres S.E.I. (20/-). SÉNÉGAL. La Maison
Héger, Bruxelles 5. Standaard. Wetenschappelijke Uitge- B.P. 153 3, Téhéran. IRLANDE. The National Press, 2 du livre. 1 3, av. Roume, B P. 20-60, Dakar. SUÈDE.
verij, Belgielei 147, Antwerpen 1. Seulement pour « le Wellington Road, Ballsbridge, Dublin 4. ISRAEL. Ema¬ Toutes les publications : A/BCE. Fntzes, Kungl. Hovbok-
Courrier » (1 70 FB) et les diapositives (488 FB) : Jean de nuel Brown, formerly Blumstein's Bookstore : 3 5, Allenby handel, Fredsgatan 2, Box 1 6356, 1 0327 Stockholm, 1 6.
Lannoy, 112, rue du Trône, Bruxelles 5. CCP 3 380.00. Road and 48, Nahlat Benjamin Street. Tel-Aviv. I L. 1 2,50 Pour « le Courrier »seulement : Svenska FN- Forbundet,
BRÉSIL. Librairie de la Fundaçao Getúlio Vargas, - ITALIE. Toutes les publications : Librería Commissiona- Vasagatan 15, IV 10123 Stockholm 1 - Postgiro
Caixa Postal 4081-ZC-05. Rio de Janeiro, Guanabara. ria Sansoni, via Lamarmora, 45. Casella Postale 552, 50121 184692 (Kr. 18) SUISSE. Toutes les publications :
BULGARIE. Raznoïznos 1, Tzar Assen, Sofía. CAM¬ Florence, et, sauf pour les périodiques : Bologne : Librería Europa Verlag, 5, Ramistrasse, Zùrich.-C.C.P. Zürich VIII
BODGE. Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, Zanichelli, Piazza Galvani 1/h. Milan : Hoepli, via Ulrica 23383. Payot, 6, rue Grenus 1211 Genève, 11
Phnom Penh. CAMEROUN. Papeterie Moderne, Hoepli, 5. Rome : Librería Internazionale Rizzoli Galena C.C.P. 1-236. SYRIE. Librairie Sayegh Immeuble
Maller & Cíe, B. P. 495. Yaounde. CANADA. Colonna. Largo Chigi. Diffusione Edizioni Anglo-Amen- Diab, rue du Parlement. B.P. 704. Damas.
Imprimeur de la Reine, Ottawa, Ont. (S 4.00). cane, 28, via Lima. 001 98, Rome. JAPON. TCHÉCOSLOVAQUIE. S.N.T.L., Spalena51, Prague 2.
CHILI. Toutes les publications : Editorial Universitaria Maruzen Co Ltd. P.O. Box 5050, Tokyo Interna¬ (Exposition permanente); Zahranicni Literatura, 11
SA., casilla 10220, Santiago. « Le Courrier » seule¬ tional, 100.31. LIBAN. Librairie Antoine, Soukenicka, 4, Prague 1. TUNISIE. Société tunisienne
ment : Comisión Nacional de la Unesco, Mac-lver A. Naufal et Frères, B. P. 656, Beyrouth. de diffusion, 5, avenue de Carthage, Tunis. TURQUIE.
764. dpto. 63. Santiago (E").
DU REP. DEM. LUXEMBOURG. Librairie Paul Brück, 22, Grand'Rue, Librairie Hachette, 469, Istiklal Caddesi, Beyoglu , Istanbul.
CONGO. La Librairie, Institut politique congolais. B P. Luxembourg. (170 F. L). MADAGASCAR. Toutes U.R.S.S. Mezhdunarodnaja Kniga, Moscou, G-200.
23-07, Kinshasa. Commission nationale de la République les publications : Commission nationale de la République URUGUAY. Editorial Losada Uruguaya, SA. Librería
démocratique du Congo pour l'Unesco, Ministère de l'ɬ malgache. Ministère de l'Education nationale, Tananarive. Losada, Maldonado, 1092, Colonia 1340, Montevideo.
ducation Nationale. Kinshasa. COTE-D'IVOIRE. Cen¬ « Le Courrier » seulement : Service des post et VIETNAM. Librairie Papeterie Xuan Thu, 185
tre d'Edition et de Diffusion Africaines. Boite Postale 4 541, péri-scolaires. Ministère de l'Education nationale, Tanana¬ 193, rue Tu-Do. B.P. 283, Saigon. YOUGO¬
Abidjan-Plateau. DÄNEMARK. Ejnar Munksgaard Ltd. rive. MALI. Librairie Populaire du Mali, B. P 28, SLAVIE. Jugoslovenska-Knijga, Terazije 27, Belgrade-
6, Norregade 1 1 65 Copenhague K (D. Kr. 1 9). ESPA Bamako. MAROC. Librairie « Aux belles images », Drzavna Zahizba Slovenije, Mestni Trg. 26, Ljubljana.
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ORIGINALITÉ ET TRADITION
DE LA CULTURE AMÉRICAINE

(Voir article page 16)


Photo © Erick Locker - Rapho. Paris

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