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25/11/2017 Boris Vian, L’Écume des jours, incipit

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Littérature du XX siècle

Boris Vian (1920-1959), L’Écume


des jours (1947)

Chapitre 1 (incipit)

C olin terminait sa toilette. Il s’était enveloppé, au


sortir du bain, d’une ample serviette de tissu
bouclé dont seuls ses jambes et son torse
dépassaient. Il prit à l’étagère, de verre, le
vaporisateur et pulvérisa l’huile fluide et odorante
sur ses cheveux clairs. Son peigne d’ambre divisa la
masse soyeuse en longs filets orange pareils aux
sillons que le gai laboureur trace à l’aide d’une
fourchette dans de la confiture d’abricots. Colin
reposa le peigne et, s’armant du coupe-ongles,
tailla en biseau les coins de ses paupières mates,
pour donner du mystère à son regard. Il devait
recommencer souvent, car elles repoussaient vite.
Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et
s’en approcha pour vérifier l’état de son épiderme.
Quelques comédons saillaient aux alentours des
ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir
grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau
et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la
serviette qui lui ceignait les reins et passa l’un des
coins entre ses doigts de pied pour absorber les
dernières traces d’humidité. Dans la glace, on
pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le
rôle de Slim dans Hollywood Canteen. Sa tête était
ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint
doré. Il souriait souvent d’un sourire de bébé, et, à
force, cela lui avait fait venir une fossette au
menton. Il était assez grand, mince avec de
longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui
convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles

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et joyeusement aux garçons. Il était presque


toujours de bonne humeur, le reste du temps il
dormait.

Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de


la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de
grès cérame jaune clair, était en pente et orientait
l’eau vers un orifice situé juste au-dessus du
bureau du locataire de l’étage inférieur. Depuis peu,
sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son
bureau de place. Maintenant, l’eau tombait sur son
garde-manger.

Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de


roussette et revêtit un élégant costume d’intérieur,
pantalon de velours à côtes vert d’eau très
profonde et veston de calmande noisette. Il
accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de
bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de
gros sel afin qu’il dégorgeât toute l’eau contenue.
Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de
petites bulles savonneuses.

Il sortit de la salle de bain et se dirigea vers la


cuisine, afin de surveiller les derniers préparatifs du
repas.

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Commentaire composé
L’Écume des jours est un roman de Boris
Vian, écrivain français mais aussi poète,

parolier, chanteur, scénariste, critique et


musicien de jazz. Ce roman est publié est

1947, période d’après-guerre, sur le dos

d’imprimés AFNOR (l’Association Française

de Normalisation) où il travaillait alors.


Malgré le soutien de Sartre et de Queneau, ce roman ne

connaîtra pas un grand succès à sa sortie. Cette œuvre retrace la

rencontre amoureuse entre Colin et Chloé puis la mort de cette

dernière qui va être emportée par la maladie détruisant ainsi


Colin. Dès l’incipit, Boris Vian présente, grâce à la description,

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Colin, un personnage à la fois simple mais narcissique dans un

univers réaliste pimenté de fantaisie par le biais de procédés

d’écriture. Cet incipit permet aussi à Boris Vian d’établir une


critique de la société superficielle par l’intermédiaire de

l’humour et de la parodie quant au rôle de l’incipit. On peut alors

se demander si cet incipit répond aux attentes du lecteur et s’il


est en rupture avec le roman traditionnel.

Ce texte se présente comme un incipit conventionnel. Il introduit


le personnage et le décrit tant physiquement que moralement.
En effet le premier mot du roman est «  Colin  », qui est le
personnage principal du roman. Il le définit de façon détaillée
(«  ses cheveux clairs  »  ; «  ses paupières mates  »  ;  «  tête était
ronde » ; « ses oreilles petites » ; « son nez droit » ; « son teint
doré » ; « assez grand » ; « mince avec de longues jambes »). De
nombreuses parties du corps sont évoquées et sont
accompagnées d’un adjectif pour les qualifier. Malgré tous ces
détails, le lecteur ne peut pas se représenter le personnage
facilement car les expressions qualifiant le personnage restent
assez simples et standard. De plus, on peut noter l’expression
«  le blond  qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen  »
comparant Colin avec un acteur de film américain.
Cependant, cette expression ne permet pas au lecteur de
s’imaginer le personnage  : le lecteur ne connaît pas
obligatoirement le film. Dans cet incipit, le personnage évolue
principalement grâce à ses actes (rituel de la toilette). De plus,
on observe un véritable culte du corps avec le champ lexical du
jardinage
(« laboureur » ; « tailla » ; « repoussaient » ; « pulvérisa »).
À travers ce rite de la toilette, l’auteur introduit certains aspects
de la personnalité de Colin  : l’auteur détaille la toilette dans le
but de mettre en valeur le soin que Colin y apporte montrant
alors son caractère soucieux de son apparence voire un peu
narcissique («  satisfait  », Colin est satisfait de voir que les
comédons le rendant «  si laids  » disparaissent car il a peur
d’avoir une apparence laide  ; «  pour donner un mystère à son
regard  », Colin cherche à modifier son aspect physique). On
constate aussi que Boris Vian injecte certaines caractéristiques
de sa personnalité de manière surprenante. Par exemple, il
associe de façon contrastée des notions physiques et morales
dans une même phrase  : «  Il était assez grand, mince avec de
longues jambes, et très gentil », ou encore l’auteur arrête toute
description morale pour insérer un élément précis de son
quotidien montrant ainsi une absence de grande intériorité et
un vide existentiel : « Il était presque toujours de bonne humeur,
le reste du temps il dormait  ». Ces expressions rappellent
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l’association d’éléments absurdes que l’on retrouve dans


Madame Bovary de Flaubert. Cependant, la description morale
de Colin reste assez banale et sympathique –  voire enfantine  –
pour le lecteur («  d’un sourire de bébé  »  ; «  très gentil  »  ; «  Il
parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons  »).
Contrairement au roman réaliste, l’incipit ne nous apprend rien
sur le passé ou même sur le futur du personnage, il n’y a donc
aucune mise en place de l’intrigue.

Une fois le personnage mis en place, il s’agira de s’intéresser au


cadre dans lequel il évolue. Au premier abord, le cadre paraît
familier ; l’auteur se livre à une description de la toilette de Colin
par laquelle il décrit alors l’environnement entourant le
personnage  : une salle de bain avec des objets usuels reflétant
un milieu bourgeois et aisé («  au sortir du bain  »  ;  «  ample
serviette » ; « peigne » ; « coupe-ongles » ; « miroir »). On peut
ainsi dire que Colin vit dans l’insouciance pécuniaire car il vit
dans un cadre luxueux et le texte nous indique qu’il ne travaille
pas (« le reste du temps il dormait »).
Malgré cet aspect réaliste, Boris Vian dissimule des éléments
d’un univers fantastique notamment grâce aux objets prenant
vie par l’intermédiaire de procédés d’écriture comme la
personnification de l’étagère « il prit à l’étagère » au lieu de « sur
l’étagère  » comme si l’étagère était en possession de l’objet ou
encore du peigne «  le peigne divisa  » et des comédons «  ils
rentrèrent sous la peau  » comme s’ils avaient été capables
d’effectuer cette action par eux-mêmes. On mentionnera aussi la
phrase suivante : « en longs filets orange pareils aux sillons que
le gai laboureur trace à l’aide d’une fourchette dans de la
confiture d’abricots » avec l’imbrication de plusieurs thèmes
formant alors une métaphore n’ayant aucun sens. Enfin, cet
incipit marque une rupture avec le roman traditionnel car le
personnage n’est pas placé dans un cadre spatio-temporel
précis, il n’y a aucune datation, ni aucun détail quant à la
précision du lieu.

Enfin, cet incipit permet à Boris Vian de faire une critique de la


société superficielle marquée par un vide existentiel et une
absence de spiritualité observée chez Colin dans les expressions
suivantes : « le reste du temps il dormait » et « le nom de Colin

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lui convenait à peu près  » mais aussi par son attitude


narcissique. De plus, l’auteur insiste sur l’importance des plaisirs
de la vie placés comme but existentiel (cf. Manon Lescaut avec la
théorie de Pascal  : divertissement pour échapper à notre vide
intérieur). Cette théorie est celle de l’hédonisme reflétée par
l’oisiveté et le désœuvrement de Colin (vie luxueuse dispensée
de travail).
Cet incipit est en fait une parodie du genre réaliste avec des
actes qui peuvent paraître invraisemblables («  en longs filets
orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l’aide
d’une fourchette dans de la confiture d’abricots »  ; «  taille en
biseau le coin de ses paupières mates »). Ainsi, Boris Vian n’est
pas préoccupé par la vraisemblance des actions mais plus par
l’importance de l’écriture. De plus, l’accumulation de notions de
sujets différents («  Il était assez grand, mince avec de longues
jambes, et très gentil  ») caractérise aussi la parodie  : il y a de
nombreux détails mis dans n’importe quel ordre, c’est donc une
critique du réalisme dont l’aspect descriptif est extrêmement
présent.

Au moyen d’une description physique et morale, cet incipit


introduit le personnage dans un cadre en apparence banal.
Malgré cette description propre au roman, Boris Vian tend à se
jouer des codes du réalisme en insérant des éléments
fantastiques dans un cadre neutre grâce à une écriture prenant
une place plus importante que le sens. Cet aspect insolite
véhicule alors une impression de surréalisme. Le lecteur est
alors dérouté par le refus de précision quant à la suite du roman
mais il peut quand même se rattacher à des éléments rassurants
(description et mise en place du cadre et du personnage). Par
l’intermédiaire de ce texte, l’auteur critique l’hédonisme de la
société ainsi que le vide intérieur de Colin. Enfin, cet incipit est
une parodie conduisant à une rupture avec le réalisme que l’on
retrouve dans le courant du Nouveau Roman dont le manifeste
est Pour un nouveau roman d’Alain Robbe-Grillet.

Conseils de lecture

Boris Vian, L’Écume des jours

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Voir aussi

Méthode du commentaire composé


Étude de la description
e
Littérature du XX siècle

Dans le forum : Entraide scolaire

Liens Internet

Résumé du roman
Boris Vian, L’Écume des jours
Dans l’annuaire : Boris Vian

Photo de Boris Vian : archives de la Cohérie Boris Vian, licence CC


BY-SA 3.0.

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