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Introduction
1. Sur la distinction, au demeurant assez artificielle, entre “grands” et “petits juges”, voir
R. De Vaux, Histoire ancienne d’Israël, II (EtB), Paris 1973, 10-11.
2. L. Alonso-Schökel, “Heros Gedeon. De genere litterario et historicitate Jdc 6-8”, VD 32
(1954) 3-20, 65-76 ; C.F. Whitley, “The Sources of the Gideon Stories”,VT 7 (1957) 157-
164 ; W. Beyerlin, “Geschichte und heilsgeschichtliche Traditionsbildung im Alten Testa-
ment. Ein Beitrag zur Traditionsgeschichte von Richter VI-VIII”, VT 13 (1963) 1-25 ; B.
Lindars, “Gideon and Kingship”, JThS 16 (1965) 315-326 ; H. Haag, “Gideon-Jerubbaal-
Abimelek”, ZAW 79 (1967) 305-314 ; L. Schmidt,Menschlicher Erfolg und Jahwes Initia-
tive. Studien zu Tradition, Interpretation und Historie in den Überlieferungen von Gideon,
Saul und David (WMANT 38), Neukirchen - Vluyn 1970 ; De Vaux,Histoire ancienne d’Is-
raël, II, 315-326 ; J.A. Emerton, “Gideon and Jerubbaal”,JThS 27 (1976) 289-312 ; A.G.
Auld, “Gideon : hacking in the heart of the Old Testament”, VT 39 (1989) 257-267 ; Gibert,
LA 50 (2000) 181-262
182 S. LÉGASSE
C’est, on l’a dit, un message religieux qui est au premier plan chez ceux
qui, dans l’antiquité juive, utilisent ou commentent le livre des Juges. Ici
Vérité historique et esprit historien. L’historien biblique de Gédéon face à Hérodote. Essai
sur le principe historiographique, Paris 1990 ; J. Taner, “The Gideon Narrative at the Focal
Point of Judges”, BS 149 (1992) 146-161.
3. L’essentiel de cet ouvrage a paru dans le Bulletin de Littérature Ecclésiastique 86 (1985)
163-197 ; 92 (1991) 163-180. Nous avons opéré ici quelques additions et modifications.
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toutefois on constate une variété dont il est utile de présenter d’abord les
principaux témoins, individuels ou collectifs.
Philon d’Alexandrie, que nous rencontrerons à l’occasion, est avant tout
un commentateur du Pentateuque. Il admet que la Bible possède plusieurs
sens : le sens naturel des mots et des phrases, plus un sens caché qu’il re-
vient à l’allégorie de découvrir ; il distingue enfin une interprétation supé-
rieure qui provient d’une illumination divine (De Abrahamo 119).
L’allégorie4 , quant à elle, demande un effort. Mais celui-ci en vaut la peine
dans une opération tellement importante que Philon en vient pratiquement
à l’identifier avec l’exégèse.
En cela il n’est que l’héritier d’une tradition judéo-grecque, laquelle
dépend de l’interprétation allégorique des mythes d’Homère par les stoï-
ciens. Ces mythes, pris à la lettre, sont souvent indignes de la divinité. Il
était donc nécessaire de leur trouver un sens acceptable. Les stoïciens dis-
tinguaient entre les cas ou le poète parle “selon la vérité (kata alètheian)”
et ceux où il s’exprime “selon les apparences” ou “l’opinion (kata tèn
doxan)”.
De même Philon, qui connaît les mythes grecs et tient Homère en haute
estime (Quaest. in Gen. IV, 2), s’inspire de ses interprètes stoïciens (les
physikoi) quand il découvre dans les textes bibliques un sens caché. Celui-
ci lui permet non seulement d’interpréter les anthropomorphismes et autres
détails incompatibles avec la transcendance divine, mais encore d’offrir un
enseignement imprégné de philosophie grecque, encore qu’irréductible à
une seule école et en fait éclectique.
Le but poursuivi par ce philosophe qui croit à la Bible est d’établir un
pont entre deux cultures et d’offrir aux Grecs une lecture satisfaisante des
Écritures juives. L’influence de l’allégorie philonienne sur les auteurs chré-
tiens a été considérable, comme on pourra s’en rendre compte dans la se-
cond partie de cet article. Par l’intermédiaire d’Origène principalement, elle
s’étend jusqu’au moyen âge et au-delà.
4. Voir J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines chrétiennes et les contestations judéo-
chrétiennes (PhE), Paris 1958, 221-242 ; I. Christiansen,Die Technik der allegorischen
Auslegungswissenschaft bei Philon von Alexandrien (BGBH 7), Tübingen 1969 ; V.
Nikiprowetzky, Le Commentaire de l’Écriture chez Philon d’Alexandrie. Son caractère et
sa portée. Observations philologiques (ALGHL 11), Leiden 1977 ; Idem, “Brève note sur
le commentaire allégorique et l’exposition de la Loi chez Philon d’Alexandrie”, dans :Mé-
langes bibliques et orientaux en l’honneur de M. Mathias Delcor (AOAT 215), Kevelaer -
Neukirchen - Vluyn 1985, 321-329 ; J.R. Sharp, “Philo’s Method of Allegorical Inter-
pretation”, EAJTh 2 (1984) 94-102 ; Y. Amir, “The Transference of Greek Allegories to
Biblical Motifs in Philo”, dans :Sefer ziqqarôn liShmu’el Sandmel... Studies in Hellenistic
Judaism in Memory of Samuel Sandmel, Chico 1984, 15-25.
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Comme Philon mais d’une autre façon, l’historien Flavius Josèphe fait
oeuvre d’apologète. Car s’il recueille les traditions interprétatives de son
peuple5 , il utilise, jusqu’à Néhémie (vers 440 av. J.-C.), l’ensemble des li-
vres canoniques pour raconter l’histoire d’Israël. Or, son but n’est pas seu-
lement de la faire connaître : lesAntiquités juives sont destinées aux Grecs
et aux Romains cultivés, en vue de susciter parmi eux respect et admira-
tion, à l’encontre des sarcasmes et calomnies que les Juifs enduraient de la
part des païens. Cette visée apologétique, que l’auteur énonce parfois ex-
plicitement6 , est perçue par quiconque a soin de comparer les données
scripturaires à leurs parallèles chez Josèphe : les fréquentes modifications
qu’on y constate montrent assez qu’il veut présenter l’histoire sous le jour
le plus favorable à son peuple. Cela doit s’entendre principalement du point
de vue moral, mais sans omettre un souci d’adaptation culturelle au milieu
destinataire. Ainsi Josèphe vise à l’intelligibilité, et c’est pourquoi il use
d’un vocabulaire plus conforme à celui de ses lecteurs ou encore met de
l’ordre dans des épisodes embrouillés. Mais Josèphe non seulement veut
édifier et être compris, il veut aussi plaire.
Une influence du roman gréco-romain est sensible dans sa façon de
raconter. Elle se trahit par deux phénomènes principaux7 : d’abord, une
dramatisation qui fait appel à l’imagination et tend à provoquer l’émotion
du lecteur tout en mettant en relief la puissance divine; secondement, Josè-
8. AJ préface, 1-17.
9. Sur cette oeuvre, voir M. Delcor, “Philon (Pseudo-)”, DBS VII, 1354-1375, et l’intro-
duction à l’édition des Antiquités bibliques, coll. Sources Chrétiennes.
10. Le mot midrash, avant de s’étendre à un genre littéraire et à un type d’ouvrages déter-
miné, signifie “l’interprétation du contenu de l’Écriture en fonction des éléments fournis
par le texte même” (K. Hruby, “Lecture juive de la Torah et connaissance de Dieu”, LumVie
28 [1979] n° 44, 25-38 26). Voir également R. Bloch, “Midrash”, DBS V, 1263-1281 ; A.G.
Wright, The Literary Genre Midrash, Staten Island, NY 1967, avec la mise au point de R.
Le Déaut, “À propos d’une définition de midrash”, Bib 50 (1969) 395-413. Sur la diffé-
rence entre le genre littéraire du midrash et le commentaire (pesher) de type qumranien,
voir I. Rabbinowitz, “<Pesher/Pittaron>. Its Biblical Meaning and its Significance in the
Qumran Literature”, RdQ 8 (1973) 219-232 (231).
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11. Telle est l’orthographe normale. Elle s’affaiblit en aggadah (avec alef initial au lieu de
hé) dans le Talmud palestinien.
12. À l’exception du Yalqut Shim‘oni, sorte de “chaîne” réalisée par Simon ha-Darshan au
milieu du XIIIe siècle et qui suit les trente-quatre livres de la Bible hébraïque, il n’existe
pas de midrash consacré au livre des Juges. Les commentaires des divers épisodes sont ré-
partis çà et là dans la littérature rabbinique.
13. Sur l’herméneutique rabbinique, voir surtout H.-L. Strack - G. Stemberger, Introduc-
tion au Talmud et au Midrash (Patrimoine - Judaïsme), Paris 1986, 273-404. On pourra lire
aussi J. Bonsirven, Exégèse rabbinique et exégèse paulinienne (BThH), Paris 1939, ainsi
que l’aperçu de C. Touati sur la haggada dans l’ article “Rabbinique (Littérature)”, DBS IX,
1038-1041.
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dans l’eau19 , curieuse pratique dont les rabbins, jusqu’à mieux informé,
sont les seuls témoins20 .
L’apostasie entraîne le châtiment divin. Dieu dit :
“Je les livrerai aux mains des Madianites, puisque c’est par eux qu’ils ont
été égarés”. - Il les livra entre leurs mains, et les Madianites commencè-
rent à réduire Israël en servitude21 .
Du reste, si l’on en croit Josèphe, les Madianites ne manquaient pas
d’astuce : ils pratiquaient leurs razzias seulement en été, permettant ainsi
aux Israélites de labourer en hiver afin de s’emparer de leurs récoltes au
bon moment22 .
Les rabbins soulignent à l’envi les ravages opérés par Madian. Mais
d’abord ils montrent que Madian est l’ennemi traditionnel d’Israël en rap-
prochant Juges 6,3-33 ; 7,12 de Nombres 22,7 où l’on voit les anciens de
Moab et de Madian intervenir auprès de Balaam pour qu’il maudisse Is-
raël23 .
L’invasion des ennemis pèse lourdement sur le peuple (Jg 6,1-2) et le
réduit à une grande misère (Jg 6,6), tant et si bien que les Israélites “ne
pouvaient même plus offrir le sacrifice du pauvre” (voir Lévitique 14,21)24 .
Ou encore :
Que veut dire : “ils s’avilirent dans leur faute” (Ps 106,43) ? Cela veut dire
qu’il devinrent pauvres au milieu des peuples du monde, car il est dit (Jg
19. Yelammedenu sur Lv 17,3, d’après l’Arukh : Kohut, t. II, 6. Le Yalqut donne Tanhuma
comme source, mais aucune des recensions de ce midrash n’atteste la chose.
20. Voir aussi b. Hullin 41b, où la défense d’immoler une victime sacrificielle sur la mer
est justifiée du fait d’une éventuelle interprétation idolâtrique : on pourrait croire qu’on sa-
crifie à la divinité de la mer. Et s’il est permis de sacrifier sur une mare, c’est que l’eau
d’une mare est trouble : d’où pas de risque d’y refléter sa propre image à laquelle on pour-
rait croire que le sacrifice est offert. En b. Abodah zarah 47a il est spécifié qu’on peut boire
l’eau d’une source, même si quelqu’un y a offert un culte à son propre reflet dans l’eau, car
ce n’est pas l’eau elle-même qui a été l’objet d’un culte (dans ce cas elle serait interdite).
Un lien éventuel avec la captromancie (voir N. Hugedé, La Métaphore du miroir dans les
épîtres de saint Paul aux Corinthiens, [BTh], Neuchâtel - Paris 1957, 75-95) n’est pas à
écarter. Voir aussi, à propos de la croyance à la présence de l’âme dans l’ombre ou le reflet
dans l’eau d’une personne et son rapport avec le mythe de Narcisse, J.G. Frazer, Le Ra-
meau d’or, I (Bouquins), Paris 1981, 537-542.
21. Pseudo-Philon 34,5 ; trad. SC.
22. AJ V, 212.
23. Ex. Rabba 27,5 sur Ex 18,1.
24. Midr. Ps. 106,43 (8) : Buber, 456-457. Cela, d’après R. Samuel. En revanche, R.
Berekyah interprète le verbe wayiddal, en Jg 6,6, dans le sens d’une déchéance morale.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 189
6,6) : “Et Israël fut très appauvri à cause de Madian”. Que veut dire : “Is-
raël fut appauvri” ? R. Isaac et R. Lévi divergent sur ce point. L’un dit :
C’est qu’ils étaient pauvres en bonnes oeuvres. L’autre a dit : C’est qu’il
n’avaient même pas de quoi offrir un sacrifice, selon que nous lisons (Lv
14,21) : “Et si c’est un pauvre et s’il n’a pas de quoi…”25 .
Par ce châtiment Dieu se montrait logique avec les engagements con-
tractés dans la Tora où la prospérité du peuple dépend de sa rectitude (Dt
11,13-17). Et c’est pourquoi le midrash, en insistant sur “ton froment, ton
moût, ton huile fraîche” (Dt 11,14), fait ressortir le contraste entre ces pa-
roles et Juges 6,3, où justement les produits du sol sont dits échapper aux
Israélites pour être la proie de leurs ennemis, alors que ces mêmes paroles
s’accordent avec Isaïe 62,8-9 : “Je ne donnerai plus ton blé en nourriture à
tes ennemis, etc.”26 .
Mais on peut remonter plus haut que le temps des juges, jusqu’à l’épo-
que de l’installation en Canaan, quand Dieu donnait aux Israélites, en pre-
nant aux “peuplades du monde” tout ce qu’elles possédaient, “argent et or,
champs et vignes et villes”, cela, “pour qu’ils puissent s’adonner à l’étude
de la Tora”. Hélas ! Ces mêmes Israélites ont souillé le pays par leur mau-
vaise conduite :
Ils l’ont souillé par l’anathème d’Akhan (Jos 7), car ainsi est-il écrit :
“Vous êtes entrés et vous avez souillé mon pays” (Jr 2,7). - Cela veut dire :
par l’anathème d’Akhan. “Et vous avez fait de mon héritage une abomi-
nation (Jr, ibid.). - Cela veuit dire : par l’idole de Mikha27 (Jg 17). Et que
leur a fait le Saint-béni-soit-il ? Il les a exilés de leur pays, car il est dit
(Dt 29,27) : “et YHWH les a extirpés de leur sol”. Que signifie : “et il les
a extirpés ?” Cela veut dire que leur force s’est affaiblie28 : ils semaient et
se donnaient de la peine, et les peuplades du monde venaient et empor-
taient leurs récoltes, car il est dit (Jg) : “Il arrivait que si Israël semait,
Madian montait, avec Amalec et les fils de l’Orient, et ils montaient con-
tre lui, et ils campaient auprès d’eux et ravageaient les produits de la
terre”29 .
25. Tanhuma, Behar 3 ;Tanhuma Buber, Behar 53b-54a, 106-107. Voir aussi Yalqut I, 864
(593), et Rachi sur Dt 11,14.
26. Sifrê Deut. 42 : Finkelstein, 91 Yalqut
; I, 864 (593) ; Rachi sur Dt 11,14.
27. Noter le parallélisme homophone entre be-herem Akan et be-selem Mikah (le parallé-
lisme est brisé dans l’édition de Buber par l’introduction d’un shel dans le second membre).
28. Un rappport étymologique artificiel est établi entre les verbes natash (extirper) et
tash(ash) (être affaibli).
29. Tanhuma, Qedoshim 11. Texte à peu près identique dans Tanhuma Buber, Qedoshim
39b, 78.
190 S. LÉGASSE
pour piller l’argent des Israélites, elles ne s’en prennent qu’à ce qui est
visible, comme il est dit (Jg 6,3-4) : “il arrivait que si Israël semait,
Madian montait, avec Amalec, etc. Ils campaient près d’eux et ravageaient
les produits de la terre, etc”. Mais il n’en va pas de même avec les dévo-
reurs d’Israël. Ceux-là dépouilleront les pauvres et les dévoreront. Ils bri-
seront leurs os, les feront bouillir dans une marmite et la graisse viendra à
la surface. Ils la mangeront et jetteront les os aux ordures. Car il est dit
(Mi 3,3) : “Eux qui auront mangé la chair de mon peuple et écorché la
peau qui les recouvre, rompu leurs os et brisé comme dans un chaudron,
comme de la viande à l’intérieur d’une marmite”35 .
37. Lev. Rabba 1,1 sur Lv 1,1 : Margulies, t. I, 2-3 (à propos de Ps 103,20) Yalqut; II, 40
(705) citant par erreur Tanhuma (voir Margulies, ibid., 3, n. 1).
38. Seder Olam Rabba 20 : Ratner-Mirsky, 83. Voir aussi Rachi sur Jg 2,1 et surb. Megillah
14a.
39. Pinhas est ainsi identifié à Élie (Pseudo-Philon 48, 1-2 etc. ; voir Ginzberg,The Legends
of the Jews, VI, 316-317, et les références dans Pseudo-Philon, SC, t. II, 209-211). La mère
de Samson est identifiée à Haslelponi, descendante de Juda (1 Ch 4,3), dans b. Baba Batra
91a ;Num. Rabba 10,5 sur Nb 6,2, Mikal (1 S 18,20-27 etc.) à Eglah (2 S 3,5 ; 1 Ch 3,3) dans
b. Sanhedrin 21a ;Yalqut II, 141 (731); voir aussi Rachi sur 2 S 3,5 ; 1 Ch 3,3 etc. Un phéno-
mène analogue se vérifie dans l’évangile de Matthieu où le Lévi traditionnel (Mc 2,14 ; Lc 5,
27) est devenu Matthieu, l’un des Douze (Mt 9,9) et où Salomé (Mc 15,40) a été remplacée
par la mère des fils de Zébédée (27,56). Voir R. Pesch, “Levi-Matthäus (Mc 2,14 / Mt 9,9 ;
10,13). Ein Beitrag zur Lösung eines alten Problems”, ZNW 59 (1968) 40-56.
40. AJ V, 120.
41. Lev. Rabba 1,1 sur Lv 1,1 : Margulies, t. I, 3. Comparer avec la transfiguration d’Étien-
ne en Ac 6,15, elle aussi en rapport avec l’Esprit Saint (Ac 6,5 ; 7,55). Sur ce thème voir
les textes rassemblés par H.-L. Strack - P. Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament
aus Talmud und Midrasch, Münich 1956 (2e éd.), t. I, 752; t. II, 665-666.
42. AJ V, 213.
43. Josèphe embellit les origines de Jephté (AJ V, 257 ; comparer Jg 11,1) et de Samson
(AJ V, 276). Les trois juges, Gédéon, Jephté et Samson sont associés dans la même gran-
deur d’âme dans le Talmud.
44. Thucydide, 6, 38 ; Platon,Politique, 291d ; Démosthène, 1396, 21.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 193
45. Gen. Rabba 70, 15 sur Gn 29,16 : Theodor-Albeck, t. II, 815 ; voir
Lam. Rabba I, 2
(23) (à propos de Ps 77,7). Moïse, vainqueur de Pharaon, et Ézéchias, vainqueur de Senna-
chérib, descendaient de Léa, respectivement par Lévi et Juda (Gn 29,34-35 ; Ex 2,1) ; Gé-
déon et Mardochée descendaient de Rachel, respectivement par Joseph et Manassé (Gn
30,22-24 ; 48,1 ; Jg 6,15) et par Benjamin (Gn 35,16-18 ; Est 2,5).
46. Jéroboam était éphraïmite d’après 1 R 11,25. Quant à Jéhu, rien n’est dit de sa tribu
dans la Bible mais sa ville était Ramot de Galaad (2 R 9,1), située effectivement sur le ter-
ritoire de Manassé.
47. Midr. ha-gadol sur Gn 48,16 : Margulies, 824.
48. Pour Gédéon, voir Jg 6,15. Pour Josué, voir Ex 33,11 (Nb 11,27).
49. Midr. ha-gadol sur Gn 48,16 : Margulies, 824.
194 S. LÉGASSE
50. Selon le procédé al tiqri, lequel ne se borne pas toujours à changer la vocalisation ou à
disjoindre le mot comme ici, mais peut aller jusqu’à modifier les lettres (consonnes) elles-
mêmes : voir W. Bacher,Die exegetische Terminologie der jüdischen Traditionsliteratur,
Leipzig 1899-1905 (réimpr. Darmstadt 1965), t. I, 175-177 ; J. Bonsirven,Exégèse rabbini-
que et exégèse paulinienne, 120-122, 127.
51. Num. Rabba 14,4 sur Nb 7,48 ; voirGen. Rabba (appendice), 97,5 sur Gn 48,20 :
Theodor-Albeck, t. III, 1248.
52. Nb 7,48 : “Celui qui apporta son offrande le septième jour fut Élishama, fils d’Am-
mihoud, prince des fils d’Ephraïm”. Nb 7,54 : “Celui qui apporta son offrande le huitième
jour fut Gamaliel, fils de Pedaçour, prince des fils de Manassé”.
53. En fait, la Bible (Nb 2,18-20) ne mentionne que l’étendard d’Éphraïm, passant sous si-
lence celui de Manassé, tout comme du reste celui de la majorité des tribus dans leur énu-
mération.
54. Sur cet animal, son identité dans la Bible ainsi que son évolution légendaire dans la
haggadah, voir A.H. Godberg, “The Unicorn in the Old Testament”, AJSL 56 (1939) 256-
296 ; E. Levine, “A Study of <Aggadat qarnê re’emim>”,Sef 36 (1976) 251-265. Rachi sur
Dt 33,17, écrit : “Le taureau a une force redoutable mais ses cornes ne sont pas belles, tan-
dis que le re’ém a de belles cornes, mais sa force est moindre; c’est pourquoi Il a donné à
Josué la vigueur du taureau et la beauté des cornes du re’ém”.
55. Num. Rabba 2,7 sur Nb 2,2.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 195
Josèphe, qui omet tout ce qui correspond à Juges 6,17-4058 , traduit à sa fa-
çon et par égard pour ses lecteurs non juifs l’intervention surnaturelle par
laquelle débute l’histoire de Gédéon : le messager divin n’est plus un ange
comme dans la Bible mais un “spectre (phantasma) qui avait l’aspect d’un
jeune homme”59 . Autre particularité : après le salut de l’apparition Gédéon
déclare : “V raiment, c’est là une marque signalée de sa faveur que je me
serve d’un pressoir au lieu d’une aire à battre le blé !”60 . Réaction sarcasti-
que61 , qui prolonge celle du héros en Juges 6,13 : l’incongruité du lieu mon-
56. Sifrê Deut. 353 sur Dt 33,17 : Finkelstein, 415. Voir également Rachi sur Dt 33,17.
57. Targ. palestinien (Neofiti), Dt 33,17 ; trad. R. Le Déaut, SC 271, 290, 292.
58. Il s’en souvient cependant en racontant l’angélophanie à Manoah et à sa femme, pa-
rents de Samson :AJ V, 283-284. Mais voir aussi Pseudo-Philon 42,9.
59. AJ V, 313 ; voir aussi I, 331 ; V, 277GJ,
; V, 381. Josèphe rationalise. Sur sa réserve à
l’égard des anges, voir G. Kittel, “Aggelos”, ThWNT I, 79 ; A. Schlatter,Kleine Schriften
zu Flavius Josephus, Darmstadt 1970, 32-34 ; G. Delling, “Josephus und das Wunderbare”,
NT 2 (1958) 291-309 (308-309), ou Idem, Studien zum Neuen Testament und zum
hellenistischen Judentum, Göttingen 1979, 130-145 (144-145) ; Feldman, “Josephus’ Por-
trait of Gideon”, 21, 28. Au sujet de l’aspect juvénile de l’apparition, voir 2 M 3,26 ; Mc
16,5. Selon Josèphe, c’est également sous l’aspect d’un beau jeune homme que l’ange du
Seigneur se manifeste à la future mère de Samson, ce qui, à cause de la jalousie de Manoah,
déclenche un authentique drame conjugal (AJ V, 276-281).
60. AJ V, 213.
61. Voir Feldman, “Josephus’ Portrait of Gideon”, 11.
196 S. LÉGASSE
tre que Gédéon est amené à se cacher sous la menace du pillage madianite.
Donc, où est la faveur divine ?
Le réflexe pusillanime de Gédéon (Jg 6,15) est pour le Pseudo-Philon
l’occasion de souligner la valeur morale de l’appelé :
Et Gédéon dit : Qui suis-je et qu’est la maison de mon père pour que j’aille
attaquer les Madianites? - Et l’ange lui dit : Tu penses peut-être que la voie
de Dieu est semblable à la voie des hommes. Les hommes recherchent la
gloire du monde et les richesses; Dieu recherche le juste bien et la bonté.
Maintenant donc, va, ceins tes reins, et le Seigneur sera avec toi. C’est toi
qu’il a choisi pour tirer vengeance de ses ennemis, comme il vient de t’en
donner l’ordre62 .
Quoique ces paroles évoquent celles de Samuel lors de l’onction royale
de David (1 S 16,7 ; voir Is 55,8-9), ici ce n’est pas tant la faiblesse que
Dieu choisit pour réaliser son oeuvre que l’homme juste63 en dépit de son
insignifiance sociologique.
Aussi bien convient-il d’excuser la demande de signe (Josèphe l’omet)
qui succède à l’assurance divine (Jg 6,17). Rien de plus facile si l’on se
souvient que Moïse lui-même n’a pas craint d’agir de la sorte (Ex 3,11-
12)64 , comme le rappelle cette prière de Gédéon :
Que mon Seigneur ne s’irrite pas si je dis un mot (voir Gn 18,30). Voici
que Moïse, le premier de tous les prophètes, a demandé au Seigneur un
signe, qui lui a été donné. Pour moi, qui suis-je, sinon sans doute celui
que le Seigneur a choisi ? Qu’il me donne un signe, afin que je sache que
je suis guidé 65!
Encore d’après le Pseudo-Philon, le signe accordé dépasse en éclat le
récit des Juges, non sans s’inspirer du miracle du Carmel (1 R 18,34-39)66 .
L’ange en effet prescrit à Gédéon d’aller recueillir de l’eau dans un lac
avoisinant et de la répandre sur la pierre. Accédant au désir du héros, l’ange
transforme cette eau en un mélange de feu et de sang, “et le sang n’évacua
pas le feu, et le feu ne fit pas disparaître le sang”. L’épisode s’achève en
notant que Gédéon, à la vue du prodige, sollicita d’autres signes, qui lui
furent accordés : “cela n’est-il pas écrit dans le livre des Juges 67
?”.
Avant l’intermède du prophète anonyme le texte porte que les Israéli-
tes, réduits à la misère par les razzias de Madian, “crièrent vers YHWH”
(Jg 6,6). Le midrash développe à ce propos un message d’espérance en ci-
tant à l’appui plusieurs exemples bibliques pour commenter Exode 23,20 :
“Voici que j’envoie mon ange devant toi”.
Quand les Israélites crient devant lui (l’ange), le salut leur arrive. Ainsi au
buisson ardent, car il est dit (Ex 3,9) : “Voici que le cri des fils d’Israël
est arrivé jusqu’à moi”68 . De même à propos de Gédéon (Jg 6,11.14) :
“Alors vint l’ange de YHWH et il s’assit sous le térébinthe… et il dit : Va
avec cette force qui est tienne et tu sauveras Israël”. Et ainsi en sera-t-il
dans les temps à venir (messianiques), quand l’ange se manifestera : la
délivrance surviendra pour Israël, car il est dit (Ml 3,1) : “Voici que j’en-
voie mon ange et il déblayera la route devant toi”69 .
Le fait que l’ange s’assoit sous le térébinthe (Jg 6,11) n’a pas passé
inaperçu et contribue à rendre compte de l’expression YHWH Seba’ot
(Sabaoth). Si Dieu est ainsi désigné dans le texte sacré,
c’est qu’il réalise sa volonté (sibyono)70 parmi ses anges, quand il le dé-
sire, et il les fait asseoir, car il est dit (Jg 6,11) : “Et l’ange de YHWH
vint et s’assit sous le térébinthe”. Parfois aussi il les fait tenir debout, car
il est dit (Is 6,2) : “Des séraphins se tenaient debout au-dessus de lui”. Et
encore (Za 3,7) : “Je te donnerai accès parmi ceux qui se tiennent debout
ici”. Parfois il leur donne l’apparence des femmes, car il est dit (Za 5,9) :
“Et voici qu’apparurent deux femmes. Il y avait du vent dans leurs
ailes…”71 .
À cause de la parole de l’ange : “YHWH est avec toi, vaillant guer-
rier !” (Jg 6,12), Gédéon est assimilé à David qui, à juste raison, attribuait
toutes ses victoires à la puissance de Dieu. C’est parce que Dieu est “avec
lui” que Gédéon, lui aussi, saura l’art de la guerre et pourra triompher de
67. Pseudo-Philon 35,6-7. La formule finale, qui s’inspire de la Bible (Jos 10,13 ; 1 R
14,19 ; 15,7.23.31 etc.) réapparaît en 43,4 ; 56,5. Les “autres signes” se limitent en fait à
l’épreuve de la toison.
68. D’après Ex 3,2, c’est “l’ange de YHWH” qui apparaît à Moïse dans la flamme du buis-
son.
69. Ex. Rabba 32,9 sur Ex 23,20.
70. Le mot hébreu (seba’ot) est interprété d’après l’araméen sibyon(a), “désir”, “volonté”
(ici avec affixe personnel hébreu).
71. Ex. Rabba 25,2 sur Ex 16,4.
198 S. LÉGASSE
ses ennemis. Ainsi dans cette glose du Psaume 114 : “Béni soitYHWH,
mon rocher, lui qui enseigne à mes mains le combat, et à mes doigts la
bataille” :
Je ne savais pas l’art de la guerre, mais le nom du Saint-béni-soit-il – qu’il
soit béni ! – m’a instruit. Et c’est ainsi que Saül dit à David (1S 17,37) :
“Va, et que YHWH soit avec toi !” C’est ainsi qu’on lit encore (Jg 6,12) :
“YHWH est avec toi, vaillant guerrier !”72 .
Mais cette parole vient également appuyer par avance l’exemple de
Booz et de ses moissonneurs (Rt 2,4) et prescrire la mention du nom de
Dieu73 dans toute salutation entre Israélites. Et si l’on objecte que, dans le
cas de Gédéon, il ne s’agit pas d’une salutation, l’ange étant en réalité
chargé d’un message pour le héros, d’autres textes sont allégués (Pr 23,22 ;
Ps 119,126) qui confirment la nécessité d’honorer cet ancien usage74 .
Celui-ci est du reste confirmé par le tribunal de Dieu. R. Josué du Sud
(Deromaya) a dit : Lebeit din75 d’ici-bas a décidé trois choses et le beit
din céleste les a ratifiées. Ce sont les suivantes : la destruction de Jéricho,
l’obligation du rouleau d’Esther (à lire le jour de Pourim) et la salutation
en mentionnant le nom de Dieu. Le texte scripturaire qui soutient cette der-
nière prescription est Ruth 2,4. Mais comment établir que le beit din cé-
leste s’accorde avec les juges terrestres ? L ’Écriture enseigne (Jg 6,12) :
“Un ange de Dieu apparut à Gédéon et lui dit : Le Seigneur est avec toi,
vaillant guerrier !”76 .
La réaction de Gédéon n’est pas d’abord de protester de son indignité
ni même de s’étonner qu’une telle parole soit adressée à lui, mais il s’oublie
pour ainsi dire et s’inclut tout naturellement dans le peuple, puisqu’il dit
nous : “Si YHWH est avec nous, d’où vient tout ce qui nous arrive ?” Dieu,
qui a sauvé Israël de l’esclavage égyptien aurait-il oublié son peuple ?
77. Rachi sur Jg 6,13 : “La veille au soir, mon père m’a fait réciter le Hallel et j’ai entendu
comment Israël est sorti d’Égypte.”
78. Yelammedenu dans Yalqut II, 62 (709).
79. Tanhuma, Shofetim 4 ; voir aussi Rachi sur Jg 6,14.
80. Sur l’idée de mérite (zekut) dans le judaïsme rabbinique voir A. Marmorstein, The Doc-
trine of Merit in Old Rabbinic Literature and the Old Rabbinic Doctrine of God.
Prolegomenon by R.J. Zwi Werblowsky, New York 1968 (1re éd. 1920) ; E.E. Urbach,The
Sages, their Concepts and Beliefs, II, Jérusalem 1975, 1024 : index,s.v. Merit etc.
81. Midr. ha-gadol, sur Gn 48,16 : Margulies, 824. Rachi sur Jg 6,11 : “Son père était en
train de battre et de tamiser. Il lui dit : Père, tu es vieux, et si les idolâtres arrivent tu ne
pourras pas t’échapper. Laisse-moi battre à ta place”. Selon Qimhi, ibid., ce geste de piété
filiale valut à Gédéon d’être choisi par Dieu : “L’ange lui dit : Parce que tu as accompli un
précepte lourd, tu es digne de délivrer mes fils immédiatement”. Autres parallèles dans
Ginzberg, The Legends of the Jews, IV, 200, n. 99.
200 S. LÉGASSE
Mais tout en étant un exemple de piété filiale, Gédéon brille par son
humilité82 . Au vrai, il figure parmi les grands humbles de l’histoire d’Is-
raël. Le midrash nous l’apprend lorsqu’il commente le Psaume 22,7 : “Et
moi, je suis un vermisseau et non un homme” :
C’est ainsi que le Saint-béni-soit-il accorde aux justes des grandeurs,
alors qu’ils se considèrent eux-mêmes comme étant peu de chose. Abra-
ham a dit (Gn 18,27) : “Je suis poussière et cendre”. Moïse et Aaron ont
dit (Ex 16,7) : “Que sommes-nous?”. David a dit (Ps 22,7) : “Je suis un
vermisseau et non un homme”. Saül a dit (1 S 9,21) : “Ne suis-je pas un
Benjaminite, d’une des plus petites tribus d’Israël et ma famille n’est-
elle pas la plus infime d’entre toutes les familles de la tribu de Benja-
min ?”83 . Gédéon a dit (Jg 6,14) : “Voici que mon clan est le plus faible
en Manassé et moi, je suis le plus petit dans la maison de mon père”.
Les impies en revanche s’enorgueillissent quand Dieu leur octroie des
grandeurs, témoin Pharaon (Ex 5,2), Goliath (1 S 17,10), Sennachérib (2
R 18,35), Nabuchodonosor (Dn 3,15), Balthasar (Dn 5,23), Hiram, roi
de Tyr (Éz 28,2)84 .
La protestation d’humilité du héros en Juges 6,15 alimente, dans l’un
des plus anciens midrashim, le merveilleux dans lequel baigne l’ensemble
des réalités exodiales. C’est ainsi que Moïse, arrivé au terme de sa carrière,
eut, estime-t-on, du haut du mont Nébo, une vision prophétique : non con-
tent d’embrasser d’un regard tout le pays, il obtint de voir des personnages
et des faits à venir. On le déduit en s’appuyant chaque fois sur deux passa-
ges, le premier emprunté à Deutéronome 34. C’est ainsi que Moïse a pu,
entre autres, voir Gédéon :
Comment établir que Dieu lui a montré Barac ? Parce qu’il est dit (Dt
34,2) : “et tout Nephtali” ; or, ailleurs le texte porte (Jg 4,6) : “et Débora
envoya appeler Barac, fils d’Abinoam, de Qedesh de Nephtali”. Et com-
ment établir que Dieu lui a montré Josué dans son royaume? Parce qu’il
est dit (Dt 34,2) : “et le pays d’Ephraïm Hoshéa (Josué), fils de Nun”. Et
comment établir que Dieu lui a montré Gédéon ? Parce qu’il est dit (Dt
82. Sur cette vertu (‘anawah) dans la pensée rabbinique, voir F. Bohl, “Die Demut (‘nwh)
als höchste der Tugenden. Bemerkungen zu Mt 5,3.5”, BZ 20 (1976) 217-223 ; Urbach,The
Sages, I, 588-589. Sur la même vertu à Qumrân et dans les Testaments des Douze Patriar-
ches, voir S. Légasse, Jésus et l’enfant (EtB), Paris 1969, 226-227.
83. Citation complétée.
84. Midr. Ps. 22,7 (20), d’après certains certains manuscrits : voir la traduction allemande
de A. Wünsche, Midrasch Tehillim oder haggadische Erklärung der Psalmen usw., Trèves
1892 (réimpr. Hildesheim 1967), 201 (manque dans l’édition Buber).
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 201
34,2) : “et de Manassé” ; or, ailleurs le texte porte (Jg 6,15) : “voici que
mon clan est le plus faible en Manassé, etc.”85 .
La réponse de l’ange en Juges 6,16 : “Tu battras Madian comme un seul
homme”, sert à expliquer, par analogie, une phrase des bénédictions de Ja-
cob concernant Siméon et Lévi (Gn 49,6) : “Car dans leur colère ils ont tué
un homme”86 :
Mais est-il vrai qu’ils n’ont tué qu’un seul homme ? N’est-il pas écrit au
contraire (Gn 34,25) : “Et ils entrèrent dans la ville en pleine sécurité et
ils tuèrent tous les mâles”. Mais cela fut compté par le Saint-béni-soit-il
et pour eux-mêmes comme s’il s’agissait d’un seul homme. Il en va de
même quand on lit (Jg 6,16) : “Tu battras Madian comme un seul
homme”. Autre exemple similaire (Ex15,1) : “Il a jeté à la mer cheval et
cavalier”87 .
La promesse de l’ange de rester jusqu’au retour de Gédéon avec son
offrande (Jg 6,18) est de bonne augure et l’on peut en déduire que cette
offrande est d’avance agréée, à l’inverse de ce qui a lieu avec Manoah, père
de Samson, à cause de la phrase en Juges 13,16 : “Même si tu me retenais,
je ne mangerais pas de ton pain”88 .
Le miracle du feu consumant le chevreau et les pains sans levain (Jg
6,21) n’a laissé aucune trace chez Josèphe, lequel omettra pareillement plus
loin le double prodige de la toison. Les deux faits, qui répondent à une
manière de sommation de la part de Gédéon (Jg 6,17-18.36.39) sont un si-
gne de manque de foi et donc contrecarrent le projet apologétique de
l’auteur. Celui-ci, du reste, réduit le miraculeux des récits bibliques afin de
les rendre plus rationnels et, par là, plus adaptés à ses lecteurs.
Les rabbins n’ont pas ce souci et, chez eux, le miracle du feu s’inscrit
dans une de ces énumérations mnémoniques d’exemples scripturaires dont
la littérature rabbinique offre de nombreux témoignages89 . Une de ces lis-
tes nous enseigne que “douze feux tombèrent du ciel, répartis comme suit
à travers générations et époques : six en signe d’accueil de sacrifices,
d’apaisement et de compassion; les six autres en signe de colère et de ven-
90. D’après un midrash inconnu cité et glosé dans le commentaire de Bahye Ben Asher sur
Lv 9,24 : Chavel, t. II, 448-449 (448) ; en plus bref,
Sifrê zuta sur Nb 11,1 ; Horowitz, 268 ;
Midr. ha-gadol sur Nb 11,1 : Rabinowitz, 162-163.
91. Yelammedenu, dans Yalqut I, 76 (521-522).
92. Rachi sur Jg 6,24 : “YHWH était en paix avec lui”.
93. Lev. Rabba 9,9 : Margulies, t. I, 190. Voir aussiSifrê Num. 42 sur Nb 6,26 : Horowitz,
47 ;Num. Rabba 11,7 sur Nb 6,26 ;Pereq ha-Shalom ;Yalqut I, 711 (464), citant Lev.
Rabba 9,9 ; II, 711 (904). La phrase biblique signifie littéralement que l’autel est appelé
YHWH-Paix, non que le YHWH est appelé Paix. Rachi l’a bien vu à propos de Jg 6,24 (la-
mizbeah), mais non à propos de b. Shabbat 10b (la-Qaddosh-baruk-hu) ni de b. Sanhedrin
44a (“Paix est le nom du Ciel”).
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 203
a agi sur l’ordre de Dieu (Jg 6,26)99 . Et puis la Bible offre sur ce point des
exceptions. Il est vrai que lorsque Josué a édifié un autel sur l’Ébal (Jos
8,30), le tabernacle était encore à Gilgal et les cultes des hauts-lieux
n’avaient pas encore été abolis par l’instauration du sanctuaire central de
Shiloh. Mais ce n’est plus le cas avec Élie : à cette époque la prohibition
des hauts-lieux (issur bamah) était désormais en vigueur. Pourtant Élie a
bien sacrifié sur le Carmel et cela, d’après l’ordre exprès de Dieu. Cette
constatation permet à R. Yosé ben Hanina de poser en principe qu’“un sa-
crifice sur les hauts-lieux n’a jamais été autorisé que par un prophète” spé-
cialement mandaté en vue d’une exception100 .
Il reste que ce sacrifice de Gédéon a manifestement gêné les rabbins,
qui n’ont pas toujours pris soin de le justifier. Ainsi R. Abba ben Kahana,
maître palestinien du début du IVe siècle, a dressé la liste des irrégularités
commises en la circonstance :
Sept transgressions ont été commises en rapport avec le taureau de Gé-
déon : il a été offert avec le bois de l’ashérah ; il a été immolé sur des pier-
res taillées101 ; il avait été réservé en vue d’un culte idolâtrique102 ; il avait
été lui-même adoré ; il fut sacrifié par un laïc103 ; de nuit ; enfin Gédéon
était trop jeune104 .
À la différence des Pères de l’Église, les rabbins ont peu exploité la sec-
tion qui s’étend en Juges 6,33-40. Notons cependant que la condition ex-
99. Num. Rabba 14,1 sur Nb 7,28 ;Tanhuma Naso 28 ;Tanhuma Buber, Naso 21a.
100. Lev. Rabba 22,9 sur Lv 17,3 : Margulies, t. II, 518-519 Yalqut ; I, 579 (363) ; II, 103
(720) ; 779 (923) ; voir aussi Num. Rabba 14,1 sur Nb 7,48.
101. Supposées avoir formé l’autel de Baal. Leur emploi était illégitime d’après Ex 20,25 ;
Dt 27,5-8 ; Jos 8,31.
102. Rachi sur Jg 6,25 : “il avait été engraissé pendant sept ans en vue du culte des astres”.
103. Gédéon n’était pas prêtre.
104. Lev. Rabba 22,9 sur Lv 17,3 : Margulies, t. II, 519. Même compte, avec quelques va-
riantes, en j. Megillah I, 14, 72c. Une variante rapportée en Num. Rabba 14,1 sur Nb 7,48
ajoute à la cinquième irrégularité le fait que Gédéon était un “descendant de prêtres des ido-
les (ben kemarim)”. Une autre variante (b. Temurah 23b-29a ;Yalqut II, 62, 709) compte
huit irrégularités, dans l’ordre suivant : 1) le sacrifice a été offert hors du sanctuaire, 2) de
nuit, 3) par un laïc, 4) avec les ustensiles du culte de l’Ashéra, 5) sur les pierres de l’autel
de Baal, 6) en utilisant le bois de l’Ashéra, 7) en immolant un animal destiné à l’idolâtrie, 8)
et qui avait été lui-même adoré.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 205
105. Sifrê Deut. 8,3 sur Dt 13,2 : Finkelstein, 149. Voir aussi Rachi sur Dt 13,2 (avec une
variante où la rosée figure comme exemple du prodige venant du ciel).
106. Il s’agit du premier prodige, quand la toison seule fut baignée de rosée alors que le sol
alentour restait sec.
107. Ne se nommant pas explicitement Dieu indique l’absence d’engagement dans l’action
évoquée.
108. Yelammedenu dans Yalqut II, 62 (709) ; abrégé enYalqut II, 553 (861).
206 S. LÉGASSE
eut dit (Jg 6,39) : “Que ce soit sec sur la seule toison”, on lit à la suite
(6,40) : “et YHWH fit ainsi en ce jour-là, etc.” Pourquoi ? Parce qu’il est
écrit : “Je serai une rosée pour Israël”109 .
Par ces remarques sur la lettre des textes le midrash aborde le problème
métaphysique de l’origine du mal et témoigne de la répugnance des rab-
bins à mettre Dieu directement en contact avec lui110 . Ainsi encore dans
l’argumentation suivante :
R. Eliézer ben Pedat a dit au nom de R. Yohanan : Le nom du Saint-béni-
soit-il n’est pas mentionné à propos du mal mais seulement à propos du
bien. Tu apprends qu’il en est ainsi du fait qu’au moment où le Saint-béni-
soit-il créa la lumière et les ténèbres et leur donna des noms, il mentionna
son nom à propos de la lumière mais ne le mentionna pas à propos des
ténèbres, car il a été dit : “etDieu appela la lumière jour et il appela les
ténèbres nuit” (Gn 1,5). Ainsi il mentionna son nom à propos de la lu-
mière, mais quand il arriva aux ténèbres, le texte ne dit pas : “Dieu appela
les ténèbres nuit”, mais seulement : i“l appela”111 .
toire à Dieu, les guerriers la considéraient comme étant leur, du fait qu’ils
formaient une armée nombreuse, digne de rivaliser avec l’ennemi.
Les remarques sur la tendance au mal de la nature humaine se répètent
dans les Antiquités juives auxquelles Josèphe confère de la sorte une teinte
philosophique114 . Mais s’il moralise à l’occasion, il n’oublie pas la visée
théologique. Présentement, la réduction de l’armée n’a d’autre but que
d’apprendre aux combattants que la victoire est remportée grâce au secours
divin (voir Jg 7,2), point de vue en tout traditionnel115 . L’épreuve qui suit
est renforcée, ayant lieu “vers midi, au moment où la chaleur était la plus
intense”. Et Josèphe d’expliciter le passage plutôt obscur en Juges 7,5-6116 .
Deux groupes se dessinent : d’une part, ceux qui se mettent à genoux (ou
s’étendent :kataklithentas) pour boire, donc prennent leur temps et domi-
nent leur soif, d’autre part, ceux qui boivent avec précipitation. Les pre-
miers, apparemment les plus disposés, sont écartés, et les seconds, au
nombre de 300, sont désignés pour le combat, eux pourtant “qui avec
crainte et en désordre avaient élevé l’eau dans leurs mains vers leurs lè-
vres”. Il est dès lors bien évident que c’est Dieu qui opéra la victoire.
C’est également la conviction des rabbins. Toutefois leur exégèse est dif-
férente. Si les hommes qui ont plié le genoux pour boire sont exclus de l’ar-
mée, ce n’est pas en tant que forts, pour mieux faire ressortir ensuite l’action
divine, mais en tant qu’idolâtres. Les hommes de cette génération, on l’a vu,
adoraient leur propre reflet dans l’eau. Au contraire ceux qui lapèrent l’eau
avec leur main sont les dignes prédécesseurs des fidèles dont il est dit (1 R
19,18) : “Je laisserai en Israël 7000 hommes, tous ceux dont les genoux n’on
pas fléchi devant Baal”. C’est à eux également qu’est appliquée cette parole
de Michée (5,6) : “Et le reste de Jacob sera, au sein de peuples nombreux,
comme une rosée venant de YHWH, comme des ondées sur le gazon”117 .
114. III, 290 (philautos) ; IV 193 ; V, 317 ; VI, 262-263, 341. Comparer Plutarque, Aratos,
1 :Philautou gar andros, ou philkalou. À ce sujet voir Attridge, The Interpretation, 140-
143 (“Nature” in the moralizing in the Antiquities).
115. 1 S 14,6 ; 17,47 ; 1 M 3,16-22.
116. L’interprétation de Josèphe rejoint le sens biblique, pourvu qu’on accepte d’amender
le texte en déplaçant les mots : “avec leur main à leur bouche” du verset 6 au verset 5, à la
suite de : “quiconque se mettra à genoux pour boire”. On obtient ainsi deux groupes : ceux
qui se couchent pour laper comme les chiens et ceux qui se mettent à genoux pour boire en
s’aidant de leurs mains. Les seconds s’avèrent beaucoup plus aptes à une attaque subite,
surtout par derrière. Or, Dieu choisit les premiers ! Voir R.C. Boling,Judges (AB 6A),
Garden City, NY 1975, 145-146.
117. Tanhuma Buber, Toledot 69b ;Yalqut II, 62 (709). Ce passage, qui est la continuation
du commentaire de l’épisode de la toison, allègue aussi Is 26,19, en précisant que “la rosée
est le symbole de la résurrection”.
208 S. LÉGASSE
Ainsi ce n’est plus un petit nombre d’incapables que Dieu choisit pour
sauver Israël mais une minorité de justes, préfigurant le “reste” saint an-
noncé par les prophètes118 .
122. AJ V, 220-221.
123. Voir Sifrê Num. 8 sur Nb 5,15 (Horowitz, 14), au sujet de la farine d’orge offerte à
l’occasion de l’ordalie : “de même que l’action de la femme est celle d’un animal, de même
son offrande est une nourriture d’animal” ;b. Sota 15a-b : “Elle a donné à manger à son
amant les mets les plus coûteux du monde, c’est pourquoi son offrande est une nourriture
d’animal” ; même argumentation dansPesiqta rabbati 18, 4/5 (92b). D’après Philon (Spec.
leg. III, 57), l’orge “convient aussi bien aux animaux dépourvus de raison qu’aux hommes
déshérités ; c’est le symbole que la femme en état d’adultère ne se distingue pas des bêtes
dont les accouplements se font sans distinction ni règle” (trad. A. Mosès). Voir aussi II,175
(l’orge nourriture de seconde catégorie). Comparer Jérôme (In Osee I, 3,2 : CChSL 75, 35)
et sa polémique : “Parce qu’il n’a pas son époux (divin : voir Os 3,3non : eris viro), il (Is-
raël) ne se nourrit pas de nourriture d’hommes, de blé et de légumes, mais de l’orge des
bêtes de somme sans raison (Os 3,2), ruminant la lettre vile qui tue et privé de l’esprit qui
vivifie (2 Co 3,6). C’est pourquoi dans la Loi également la femme qui est accusée d’adul-
tère par son mari… mêle de la farine d’orge à la boisson destinée à la convaincre de son
crime. Étant devenue semblable aux <chevaux et aux mulets qui n’ont pas d’intelligence>
(Ps 31,9), elle se nourrit d’aliments de chevaux et de mulets”. Pour Augustin (Sermo 130,
1 : PL 38, 725 In ; Joh. tract. 24,5 : PL 35, 1594-1595) les pains d’orge multipliés par le
Christ sont la figure de l’ancienne alliance. Les rabbins en revanche considèrent le blé
comme le symbole d’Israël :Pesiqta rabbati 10,3 (35a) : “<Ton ventre est un monceau de
blé> (Ct 7,3). Ce monceau est Israël. Et pourquoi Israël est-il comparé à du blé ? Parce que
ses grains sont fendus au milieu, ce qu’on ne trouve pas dans les lentilles ni dans tout le
reste des céréales. Et pourquoi les grains de blé sont-il fendus ? Parce que toutes les autres
céréales lui sont inférieures”. Entendons : la circoncision, dont le grain de blé fendu est
l’image, rend Israël supérieur à tous les autres peuples. Voir la version plus développée du
même commentaire dans Midr. Ps. 2,13 (v. 12) : Buber, 30-31.
124. 36,1 ; trad. SC.
210 S. LÉGASSE
R. Josué ben Lévi a dit : Ce fut (cette offrande de l’‘omer) qui se tint
auprès des (Israélites)130 aux jours de Gédéon, car il a été dit (Jg 7,13) :
“Et Gédéon arriva, et voici qu’un homme racontait un songe, et il disait :
Voici que j’ai eu un songe, et voici qu’une miche (selil) de pain tournoyait
dans le camp de Midian ; elle arriva jusqu’à une tente, elle la heurta et la
mit par terre ; elle la renversa de haut en bas, et la tente s’effondra”.
Qu’est-il signifié par “un selil de pain d’orge” ? Nos maîtres disent : Cela
a trait au fait que cette génération était vide (salul)131 de justes. - En vertu
de quel mérite furent-ils donc sauvés (nissolu) ? En vertu du mérite indi-
qué par la miche (selil) de pain d’orge. - Et en quoi consiste-t-il ? À ac-
complir le précepte de la première gerbe132 .
Le terme selil ne se lit qu’une fois dans toute la Bible et son sens n’est
pas parfaitement assuré. Peu importe : il suffit qu’il se prête à un jeu de
mots. Celui-ci est double : il s’opère, d’une part, avec le participesalul, lit-
téralement, “clarifié”, de l’autre, avec le parfait nifal du verbe nasal, “être
sauvé” ; D’où l’allusion successive à la déchéance morale des Israélites au
temps de Gédéon et au salut qui n’en est pas moins accompli par ce der-
nier. Mais ce selil est d’orge, et l’orge compose la première gerbe, prémi-
ces de toutes les céréales. Il n’en faut pas davantage pour que le texte
vienne appuyer le rôle protecteur, parce que méritoire, de l’obéissance à ce
précepte. Plus tard on n’hésitera pas à dater la victoire d’Israël de la nuit
même où avait eu lieu l’offrande de la gerbe133 .
135. J.G. Kahn, Philon, De confusione linguarum (Oeuvres de Philon 13), Paris 1963, 19 et
26.
136. 129 ; trad. J.G. Kahn.
137. Voir A. Jaubert, “Le Thème du <reste sauveur> chez Philon” :Philon d’Alexandrie,
Lyon 11-15 septembre 1966, Paris 1967, 243-253 (248).
138. § 130 ; voir aussi § 49, où le sage est présenté, à cause de la “haine du mal”, comme
“un homme d’aversion et de combat, pacifique certes par nature, mais par là-même hostile
à ceux qui souillent la beauté désirable de la paix” (trad. J.G. Kahn).
139. 130-132 ; trad. J.G. Kahn.
140. AJ V, 222-229.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 213
141
instantané : c’est l’exaltation phronèmatisthentes)
( . Le départ pour le
combat a lieu “vers la quatrième veille”, selon la division romaine de la
nuit142 , soit vers trois heures du matin. Pourquoi les flambeaux sont-ils dans
les cruches ? Josèphe croit utile de l’expliquer : c’est afin de dissimuler
l’approche des Israélites aux yeux de l’ennemi. Les trompettes deviennent
ici des “cornes de béliers qui sont utilisées en guise de trompettes”, un trait
archaïque et de couleur locale, inspiré sans doute par le récit de la prise de
Jéricho143 . La description du camp ennemi, quoique faisant défaut dans la
Bible, a cependant dû être suggérée à Josèphe par la notice de Jg 6,33 qui
montre “tout Madian, Amalec et les fils de l’Orient” réunis face à Israël.
L’historien dépeint avec emphase la “vaste étendue” sur laquelle stationne
une authentique coalition internationale comprenant un imposant corps de
chameaux, l’ensemble étant réparti “suivant les nations (kata ta ethnè)” et
disposé à l’intérieur d’un unique cercle. La description est impressionnante
mais sans la comparaison avec les sauterelles et le sable qu’on lit en Jg 5,12
et qui, par leur exagération, n’aurait pas été du goût des lecteurs. La pani-
que s’empare de ces troupes alors que les soldats sont encore assoupis, car
c’était la nuit et Dieu l’avait voulu ainsi”.
Dieu combat avec Israël 144 ! La confusion est telle que les alliés
s’entretuent (voir Jg 7,23) “à cause de la diversité de leurs langages”. Le
bruit de la victoire s’étant répandu dans le reste d’Israël, une poursuite gé-
nérale s’organise dont Josèphe résume considérablement le récit (voir Jg
7,23–8,23). La suite est réordonnée. L’affaire de Sukkot (Jg 8,4-7.13-17)
et le conflit avec les Éphraïmites (Jg 8,1-3) sont renvoyés après la guerre
contre Madian. Entre temps Gédéon et ses troupes ont anéanti une première
armée, puis une seconde, composée de 18.000 hommes145 , dont notre hé-
ros capture les deux chefs qui périront de sa main quand il sera revenu à
Ophra, son village natal.
Comparé au récit dramatique de Josèphe, la notice du Pseudo-Philon
(36,2) mérite à peine d’être mentionnée. De l’épisode biblique il ne reste
qu’un pâle résumé d’où à peu près tous les traits originaux ont disparu.
Seules les trompettes sont épargnées. Le souci d’édifier s’accompagne par-
141. Ces traits psychologiques et émotionnels sont une des caractéristiques de Josèphe : voir
Attridge, The Interpretation, 40 et n. 3.
142. Comparer Jg 7,19.
143. Jos 6,5.6.7.8.13 ;AJ V, 23.
144. Sur Dieu symmachos et autres expressions de la providence spéciale de Dieu envers
Israël dans les Antiquités juives, voir Attridge, The Interpretation, 78-79.
145. Jg 8,10 : “environ quinze mille”.
214 S. LÉGASSE
146. Et Gedeon... induit spiritum Domini, et virtutificatus… ; voir 27,10 (Qénaz) ; 39,8
(Jephté). Sur le rôle important de l’Esprit divin dans le livre, voir Ch. Perrot, Antiquités
bibliques, II (SC), 63-65 : l’auteur voit ici un des traits qui apparentent lesAntiquités bibli-
ques à l’oeuvre de Luc dans le Nouveau Testament.
147. Nom du huitième mois (octobre-novembre) dans l’ancien calendrier isréalite (cana-
néen), correspondant à Marheshwan de la dénomination babylonienne.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 215
148. III, 7 : Buber, 28-29. Plus haut (28) le même midrash nous apprend que Haman n’était
qu’incomplètement informé : “Quand le sort tomba sur le mois d’Adar, il se réjouit d’une
grande joie. Il dit : Il m’est tombé sur le mois où Moïse notre maître est mort. Or, il ne
savait pas que, si Moïse était mort le 7 Adar, c’était aussi le 7 Adar qu’il était né”. Varian-
tes et compléments haggadiques sur les “sorts” d’Esther 3,7 dans Ginzberg, The Legends of
the Jews, IV, 299-402, et les notes : VI, 464-465, n. 106-111.
149. Au sujet du cri de guerre des troupes de Gédéon (“Épée pour YHWH et pour Gédéon” :
Jg 7,20) ou encore de la phrase en Nb 21,7 (“Nous avons parlé contre YHWH et contre
toi”), les Tosafot (sur b. Sanhedrin 63a) font ressortir que ces paroles ne s’opposent pas au
principe posé par Simon ben Yohay selon lequel “Quiconque associe le nom du Ciel à quel-
que chose d’autre sera arraché du monde” : en effet, d’après les Tosafot, ce qui est interdit
ici, c’est d’associer au nom divin celui d’autres divinités.
150. b. Hullin 5a ;Yalqut II, 209 (757).
216 S. LÉGASSE
Le livre des Juges jette une ombre sur Gédéon quand il rapporte qu’avec
les riches dépouilles prises sur l’ennemi, il “fit un éphod et l’érigea dans sa
ville, à Ophra, où tous les Israélites se prostituèrent derrière cet éphod, qui
devint un piège pour Gédéon et pour sa maison” (Jg 8,27).
Josèphe s’est arrangé pour prévenir tout scandale en évacuant la notice
sans autre forme de procès152 . En revanche le Pseudo-Philon ne dissimule
pas cette faute; bien plus, il attribue à Gédéon en personne le culte idolâ-
trique : ayant recueilli les bracelets d’or que portaient les Israélites, d’un
“poids de douze talents, Gédéon prit (le métal) et en fit des idoles, qu’il se
mit à adorer”153 . Ce crime, en bonne logique divine, ne pouvait rester im-
puni. Toutefois, vu les inconvénients qui auraient résulté du châtiment de
Gédéon pendant sa vie, Dieu décide de l’exécuter après sa mort154 . Et voici
son soliloque :
Dieu dit : Il n’y a plus qu’une seule voie : je ne puis reprendre Gédéon
durant sa vie, puisqu’il a mis à mal le sanctuaire de Baal. Car tout le
monde a dit à cette occasion : “Que Baal se venge !” (Jg 6,32). Et mainte-
nant, si je le châtie pour avoir commis l’iniquité envers moi, on dira : Ce
n’est pas Dieu qui l’a châtié, c’est Baal, puisque auparavant il a péché
envers lui155 . Aussi Gédéon mourra-t-il dans une heureuse vieillesse, et
151. Lam. Rabba 2,19 (22) ;j. Berakot I, 1, 2d ;b. Berakot 3b ;Tos. Berakot 1,3 : Zucker-
mandel, 1 ;Yalqut II, 63 (709).
152. Comparer avec le jugement de Ben Sira (46,11) pour qui tous les juges furent fidèles à
Dieu.
153. 36,3 ; trad. SC.
154. Au sujet des vues de l’auteur sur le sort des hommes après la mort et dans l’attente de
la résurrection, voir Antiquités bibliques, II (SC), 54-55.
155. En Pesiqta rabbati VI, 7 (25b), David adresse à Dieu cette prière : “Maître des mon-
des, je prévois par mon don de prophétie que le Temple à la fin sera détruit. Or, malheureu-
sement tout ce que j’ai voué à sa construction vient des temples des idolâtres que j’ai
détruits. - David craignait que les nations du monde n’aillent dire : Est-ce que David s’ima-
gine, lui qui a détruit le temple de nos dieux et a fait de ses dépouilles un temple pour son
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 217
(l’on n’aura rien à dire)156 . Mais après que Gédéon sera mort, je le châtie-
rai une bonne fois pour avoir commis le mal envers moi157 .
Les rabbins ne ménagent pas non plus Gédéon au sujet de son idolâ-
trie. Cependant ils soulignent non seulement que l’ambiance était favora-
ble à cette dernière mais encore, à l’occasion, que Gédéon était lui-même
un rejeton de prêtres des idoles (ben kemarim)158 . Rien de très surprenant,
dès lors, qu’il ait cédé à la fois à l’environnement et à l’hérédité favorisant
le culte de ces mêmes idoles. C’est à quoi servirent bijoux et vêtements ôtés
à l’ennemi et dont Gédéon “fit un éphod”159 .
Cet objet a donné bien du mal à l’ancienne exégèse, tant juive que chré-
tienne. Hélas ! On en est presque au même point de nos jours. Car en fait
le mot éphod désigne trois choses dans la Bible : une sorte de pagne160 , une
bande d’étoffe précieuse formant le vêtement le plus extérieur du grand
prêtre et auquel était attaché le pectoral portant les sorts sacrés (urim et
tummim)161 , enfin, comme en Juges 8,24-27, un objet cultuel, mais dont le
rôle divinatoire est également attesté à plusieurs reprises162 . Laissons aux
biblistes et aux archéologues le soin de débrouiller le rapport entre ces di-
verses acceptions163 . Au sujet de l’éphod de Gédéon, on tiendra présent à
l’esprit que, d’après les descriptions de l’Exode (28,6-14 ; 39,2-29),
l’éphod du grand prêtre ne faisait qu’un avec le pectoral qu’il soutenait. Or,
le pectoral était orné de douze pierres précieuses, chacune pour une tribu
d’Israël (Ex 28,21 ; 39,14). Lahaggadah suppose que, parmi elles, Joseph
n’ayant qu’une pierre, celle-ci représentait la demi-tribu d’Ephraïm.
Manassé était dès lors exclu. C’est pourquoi Gédéon, désireux de laver
cet affront, fabriqua un éphod portant le nom de Manassé. Bien que lui-
propre Dieu, que sa faute a été effacée ? Nos dieux se sont démenés et ils ont pris leur re-
vanche, et ils ont détruit le temple de son Dieu ! - C’est pourquoi David pria pour que Salo-
mon n’ai pas besoin de ces dépouilles pour construire le Temple” : éd. Friedmann complétée
d’après le ms. de Parme : voir W.G. Braude,Pesikta rabbati. Discourses for Feasts, Fasts,
and Special Sabbaths, translated from the Hebrew, I, New York 1968, 129.
156. Texte lacuneux.
157. 36,4 ; trad. SC.
158. Num. Rabba 14,1 sur Nb 7,48.
159. Gen. Rabba 44, 20 sur Gn 15,15 : Theodor-Albeck, t. I, 442 Ruth; Rabba 1,2 sur Rt 1,1.
160. 1 S 2,18 ; 22,18 ; 2 S 6,14.
161. Ex 29,5 ; Lv 8,7 ; plus récent : Ex 28,6-14 ; 39,2-7.
162. Jg 17,5 ; 18,14.17.20 ; 1 S 2,28 ; 14,3 ; 21,10 ; 23,6.9 ; 30,7 ; Os 3,4.
163. Voir R. De Vaux, Les institutions de l’Ancien Testament, II, Paris 1960, 200-206; K.
Elliger, Leviticus (HAT 4), Tübingen 1966, 116-117.
218 S. LÉGASSE
fût-il le plus insignifiant parmi les insignifiants, est l’égal des plus émi-
nents parmi les plus éminents169 .
Cette argumentation, cependant, n’implique aucun jugement moral sur
notre héros. Du reste, a-t-il vraiment péché celui dont le texte sacré (Jg
8,32) nous dit qu’il “mourut après une heureuse vieillesse ?”170 . N’est-ce
pas là, au contraire, un sceau apposé par Dieu à la justice humaine ? Non,
car en fait Gédéon ne l’a pas mérité. Selon R. Simon ben Laqish,
de trois hommes il est dit : “dans une heureuse vieillesse” : d’Abraham
(Gn 15,15), et il l’a mérité ; de David (1 Ch 29,28), et il l’a mérité ; de
Gédéon, et il ne l’a pas mérité, car il a été dit : “et il en fit un éphod”, - en
vue de l’idolâtrie171 .
L’épisode de l’éphod n’empêcha pas Gédéon d’assurer à Israël une pé-
riode de paix : Madian “ne releva plus la tête et le pays fut en repos pen-
dant quarante ans, aussi longtemps que vécut Gédéon” (Jg 8,28). Il va de
soi – mais le Seder Olam172 le précise – que dans ces quarante ans ne sont
pas compris les sept ans de l’oppression de Madian (Jg 6,1). Cela suppose
également que l’intervention guerrière du héros fut rapide, lui permettant
par la suite de jouir lui-même longuement de la paix qu’il avait procurée à
ses compatriotes173 .
Ayant passé sous silence l’histoire de l’éphod, Josèphe est d’autant plus li-
bre d’exalter la grandeur morale de Gédéon. C’est ainsi qu’il raconte le
169. Tos. Rosh ha-shanah 2,1 : Zuckermandel, 211. De même enb. Rosh ha-shanah 25a-
b ;Qo. Rabba 1,4, § 4.
170. Ce trait est retenu par le Pseudo-Philon 36,4, malgré sa disqualification de Gédéon.
171. Gen. Rabba 44,20 sur Gn 15,14-15 : Theodor-Albeck, t. I, 442 Yalqut ; II, 64 (709).
C’est à l’éphod en tant que vêtement que se réfère R. Jacob de Kefar-Hanan, quand il allè-
gue Jg 8,27 à propos des païens qui se prosternent pour adorer devant le vêtement de métal
des idoles (Is 30,22a) :j. Abodah zarah III, 8, 43b.
172. Ratner, 54, qui signale également le point de vue contraire.
173. Sur le retour d’Israël à l’idolâtrie après la mort de Gédéon (Jg 8,33), on notera que
Baal Berit, objet de ce culte, est identifié en b. Shabbat 83b, à “Zebub, le Baal d’Eqron” (2
R 1,2.3.6.16) : chaque Israélite en avait fait une représentation miniaturisée qu’il portait
dans sa poche “pour en conserver le souvenir. Il l’ôtait de sa poche, la serrait en la baisant”.
Ailleurs (j. Abodah zarah III, 8, 43a ;j. Shabbat IX, 1, 11d) on allègue Jg 8,33 pour déter-
miner, par comparaison, la taille de l’idole susceptible d’entraîner une impureté (allusion
au phallus et à la circoncision).
220 S. LÉGASSE
conflit opposant ce dernier aux Ephraïmites (Jg 8,1-3) de telle façon qu’il
tourne à l’avantage du héros. Alors que les Ephraïmites, jaloux de son suc-
cès, décident de marcher contre lui174 , sa réaction est celle d’“un homme
de modération (metrios) et un modèle de toute vertu”. Mais celui qui in-
carne, sous la plume de l’historien, le type du sage stoïcien, est aussi un
homme religieux : il répond en effet à ceux qui l’agressent qu’il a agi sur
l’ordre de Dieu et non par décision personnelle. De plus, il fait acte d’hu-
milité en déclarant que la victoire était redevable à ceux qui avaient com-
battu sous ses ordres tout autant qu’à lui-même. Ayant calmé la colère des
Ephraïmites, il prévient le déclenchement d’une guerre civile (Josèphe se
souvient des luttes fratricides de la guerre juive) et ainsi se montre plus
utile à ses compatriotes qu’il ne l’avait été par ses succès militaires175 .
Cette sagesse continue de se manifester au cours des dernières années
de Gédéon. Celui-ci, qui désirait renoncer à sa fonction de juge176 , est con-
traint par son entourage à l’exercer pendant quarante ans. Les gens lui sou-
mettent leurs différends et ses sentences ont force de loi177 . Pour finir
Josèphe rejoint la Bible (Jg 8,22) en écrivant que Gédéon “mourut dans un
âge avancé et fut enseveli à Ephra, sa patrie”178 .
Bien moins avantageux, le portrait moral que les rabbins font de Gé-
déon ne manque pas cependant de traits édifiants. On a déjà noté la piété
filiale du héros, son dévouement envers ses compatriotes et sa rectitude en
général, le tout motivant le choix divin. Relevons aussi sa modestie, que
prouve son refus de la royauté, quand il déclare : “Ce n’est pas moi qui
dominerai sur vous ni mon fils non plus; c’est YHWH qui dominera sur
vous” (Jg 8,23). Cette réponse et la demande qui la provoque permettent
d’expliquer pourquoi Abimélek, fils de Gédéon, a régné trois ans sur Israël
(Jg 9,22) : ce fut en récompense de l’humilité de son père.Ainsi le midrash,
commentant Proverbes 18,12 :
“Avant la ruine le coeur humain s’enorgueillit” : cela s’applique à
Abimélek, dont la ruine n’est survenue que lorsqu’il s’est enorgueilli et
174. Ce trait va beaucoup plus loin qu’il n’est dit dans la Bible. C’est une dramatisation qui
fera d’autant mieux ressortir la sagesse de Gédéon. Néanmoins Josèphe remarque que les
Éphraïmites durent payer plus tard le prix de leur insolence, comme on l’apprend par l’épi-
sode de la tour de Sichem (Jg 9,46-49 ;AJ V, 160).
175. AJ V, 230. Sur une réminiscence éventuelle de l’Énéide, voir Feldman, “Josephus’
Portrait of Gideon”, 23.
176. L’offre de la royauté (Jg 8,32-33) est ainsi modifiée.
177. Comme les rabbins Josèphe attribue à la fonction de “juge” un caractère judiciaire.
178. AJ V, 230.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 221
qu’il a tué ses frères. - “Avant l’honneur l’humilité (‘anawah)” : cela s’ap-
plique à Gédéon son père. En effet quand les Israélites lui dirent : “Do-
mine sur nous, toi, ton fils et le fils de ton fils”, il leur dit : “Moi, je ne
dominerai pas sur vous” (Jg 8,22-23). Ces gens lui ont dit trois choses et
il leur a dit trois choses179 . Le Saint-béni-soit-il dit : Tu parles ainsi ? Par
ta vie ! Je vais susciter de toi un fils qui régnera trois ans à cause de ces
trois choses que tu as dites, selon cette parole de l’Écriture : “Avant l’hon-
neur l’humilité”. C’est pourquoi on lit : “et Abimélek exerça le pouvoir
en Israël pendant trois ans” (Jg 9,22)180 .
Gédéon devient ainsi un modèle de cette vertu d’humilité (‘anawah),
recommandée par les sages de l’ancien Israël181 et dont Moïse lui-même
offre le type accompli (Nb 12,3 ; Si 45,4)182 . La parénèse rabbinique
abonde dans ce sens183 . En même temps elle indique en quoi consiste cette
vertu : absence de ressentiment et de colère, aptes à provoquer la violence,
douceur provenant d’une volonté conciliante. Telle est, on doit le supposer,
l’attitude de Gédéon, dont l’exemple, ajouté à plusieurs autres, vient ali-
menter un thème dominant de la morale des rabbins.
179. À savoir les trois éléments de la demande et de la réponse, formés respectivement par
1) toi, 2) ton fils, 3) le fils de ton fils, - 1) moi, 2) mon fils, 3) YHWH.
180. Tanhuma Buber, Wayyera 51b-52a ; Aggadat Bereshit 26 : A. Jellinek, Bet ha-
Midrasch, IV, Jérusalem 1967 (4e éd.), 40-41 ; résumé dansYalqut II, 63 (709).
181. Pr 15,33 ; 18,12 ; 22,4 ; Si 3,17-20 ; 4,8 ; 36,4.
182. Voir J. Schildenberger, “Moses als Idealgestalt eines Armen Jahwes”, dans :À la ren-
contre de Dieu. Mémorial A. Gelin, Le Puy 1961, 71-84.
183. On l’a noté plus haut à propos de la première apparition de l’ange.
222 S. LÉGASSE
186. Celui-ci se fait en outre l’apologète de l’allégorie contre Celse pour qui l’allégorie
chrétienne était un subterfuge en vue de donner un sens élevé à des textes médiocres (C.
Cels. IV, 48.50 : SC 136, 306-309, 312-315).
187. Strom. VI, 8, 68, 3 : PG 9, 289.
188. In Joh. com. VI, 4 (22) : SC 157, 146.
189. Voir J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chré-
tiennes (PhE), Paris 1958, 443-444.
190. De praescr. 19,3 : CChSL 1, 201.
191. De doctr. christ. III, 2 (2) : BA XI, 340-341.
192. II, 5 : CChSL 64, 149 : Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus credendum est.
224 S. LÉGASSE
193. Voir V. Ermoni, “Antioche (École théologique d’)”, DTC I/2, 1435.
194. Voir A. Vaccari, “La Theoria nella scuola esegetica di Antiochia”, Bib 1 (1920) 3-36.
195. D’après la définition de Julien d’ÉclaneIn( Os. 1, 10-11 : PL 21, 971) : “Theoria est…
in brevibus plerumque aut formis aut caussis earum rerum, quae potiores sunt considerata
perceptio”.
196. Voir, par exemple, Théodore de Mopsueste (Com. in Zach. 9,8-10 : PG 66, 556-557)
sur la prophétie de Zacharie 9,9 appliquée dans les évangiles à l’entrée de Jésus à Jérusa-
lem : Théodore note que l’oracle visait d’abord Zorobabel.
197. Julien (In Ioel 3 : PL 21, 1052, 1054, 1055) reconnaît que le prophète n’en revient pas
moins au temps et aux circonstances historiques qui ont provoqué l’oracle, après la “digres-
sion (excursus)” et le “transfert (excessus)” qui lui ont fait considérer l’avenir messianique.
198. Julien d’Éclane, In Amos 9,14 : PL 21, 1103. Voir le commentaire de ce texte et
d’autres textes analogues dans Vaccari, “La Theoria”, 24-26.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 225
Sans être formulées de façon aussi précise ces règles sont appliquées
chez un autre Antiochien, on veut parler de Jean Chrysostome, contempo-
rain de Théodore de Mopsueste et élève comme lui de Diodore de Tarse.
Chrysostome répugnait à l’allégorie199 et voyait dans les réalités de l’An-
cien Testament l’esquisse de celles du Nouveau :
C’est comme la peinture : un artiste a dessiné le portrait d’un roi. Tant
qu’il n’a pas appliqué les couleurs, on n’appelle pas cette esquisse <le
roi>. Mais lorsqu’il l’a peinte, le <type> est rejeté dans l’ombre par la
vérité et disparaît. C’est alors qu’on s’écrie : <Voyez le roi 200
!> .
L’influence antiochienne se fait sentir chez les Latins. Jérôme, bien
qu’il ne soit jamais parvenu à se défaire de l’allégorie, entendait, sous l’in-
fluence d’Apollinaire de Laodicée et des traditions juives, se rallier aux
distinctions qui évoquent la theoria. À propos de Jérémie 16,14-15, il écrit :
Manifestement, c’est la future restauration du peuple d’Israël qui est pré-
dite, laquelle, selon la lettre (iuxta litteram), a été accomplie en partie (ex
parte); mais selon l’intelligence spirituelle, cette restauration est décrite
comme devant s’accomplir plus véritablement et plus parfaitement (verius
atque perfectius) dans le Christ201 .
On ne saurait pourtant relativiser l’héritage de l’allégorie alexandrine,
celle d’Origène avant tout, dans la patristique latine et chez les médié-
vaux. Elle fut en effet considérable malgré la furieuse querelle origéniste
qui se déroula depuis 394 jusqu’à la mort de Rufin, traducteur d’Ori-
gène. Augustin, dont on ne sait dans quelle mesure il eut accès aux écrits
de ce dernier202 , dut affronter, avant sa conversion, l’obstacle que cons-
tituait l’Ancien Testament, que les Manichéens discréditaient mais que
l’allégorie des sermons d’Ambroise l’aidèrent à recevoir203 . Sans rom-
pre avec la méthode, il s’en faut qu’Augustin l’ait par la suite privilé-
giée comme lui fournissant la clé des Écritures. Sans doute, “quiconque…
tire de son étude une idée utile à l’édification de la charité, sans rendre
pourtant la pensée authentique de l’auteur, dans le passage qu’il inter-
prète, ne fait pas d’erreur pernicieuse ni ne commet le moindre men-
199. Et de ce fait était embarrasssé par la déclaration de l’apôtre de son coeur en Galates
4,24 (voir Chrysostome, Com. in e ad Gal. 4,3 : PG 61, 662).
200. In e ad Phili hom. 10 : PG 62, 257.
201. Com. in Ier. 3, 16 : PL 24, 783.
202. Voir H. De Lubac, Exégèse médiévale, I/1 (Th 41), Paris 1959, 213-214.
203. Conf. III, 7, 13-14 ; VI, 3, 3 ; 4,6 : BA XIII, 386-389, 520-523, 526-529. Voir De
Labriolle, “Saint Ambroise et l’éxégèse allégorique”, APhCh 155 (1908) 591-603.
226 S. LÉGASSE
qu’ont fait les Pères, à commencer par Jérôme à propos de Gad218 . Ici de
même, pour le premier élément du nom de Gédéon. Le second, à savoir -
on (wn), aura été compris d’après ‘awon (wn), “péché”, “iniquité”, comme
l’appuie le Lexicon Origenianum publié par le Mauriste Martianay219 , qui
porte Gedeon…220 paradikasmos. On ne saurait dire, faute de parallèle, si
le pronom eorum, sans correspondance dans le mot hébreu221 , remonte au-
delà de la rédaction de Jérôme lui-même.
La première étymologie fournie par ce dernier permet à Grégoire le
Grand de rattacher à Gédéon le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu
dans le sein de la Vierge :
Quel est donc celui qui “tourne dans le sein (circumiens in utero)” sinon
Dieu tout-puissant nous rachetant selon son plan, embrassant tout par la
divinité et assumant une humanité dans le sein d’une femme ? C’est dans
ce sein qu’il s’est incarné sans y être enfermé, puisqu’il y a séjourné par
sa nature d’humaine faiblesse, alors qu’il se trouvait hors du monde222 par
la puissance de sa majesté223 .
Origine du héros
218. CChSL 72, 67 : Gad tentatio siue latrunculus uel fortuna ; 75 : Gad tentatio siue
acinctus uel latrunculus ; 160 : Gad tentatio. Ajouter, 75 : Gadi haedus siue tentatio mea ;
100 : Gadam tentatio uel adcinctio populi ; 80 : Dibongad sufficienter intellegens
tentationem ; 116 : Mageddo de tentatione ; 104 : Maggedon tentans. Comparer Procope de
Gaza, Com. in Gen. 49, 19 (PG 87/1, 505-506) : Nomen autem Gad… significat tentationem
aut probationem.
219. PL 23, 1217-1218.
220. On suppose ici une lacune, avec omission de peiratèrion (ou déjà de peirasmos ?).
221. En revanche, quand il rend Gedeoni par tentatio iniquitatis uel tentatio humilitatis
meae (CChSL 72, 82), Jérôme témoigne d’une interprétation où l’afformante éthique -i est
comprise comme un pronom affixe. Ici la variante humilitatis meae relève d’une métathèse,
‘wn devenant ‘nw (‘anaw), “humble”, cf. ‘anawah, “humilité”.
222. Variante : “du sein”.
223. Mor. in Iob 30, 73 : PL 76, 565. Repris par Isidore de Séville,Qu. in lib. Iud. 5 : PL
83, 384.
224. Patris mei auxilium. En réalité ce nom veut dire : “Père est secours” (avecyod de
liaison) : voir M. Noth,Die israelitische Personennamen, im Rahmen der gemeinsemi-
tischen Namengebung, Stuttgart 1928, réimr. Hildesheim 1966, 33-38, 68-70.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 229
Selon le schéma du livre des Juges les péchés d’Israël attirent les ennemis.
Origène passe ici au plan spirituel et, laissant le peuple de l’Ancien Testa-
ment, considère sans plus l’“Israël selon l’Esprit” : quand les chrétiens né-
gligent les commandements de Dieu et méprisent le Christ, c’est alors que
les démons renforcent leur puissance contre eux (voir Jg 6,2). Ou encore,
de même que les Israélites voyaient le fruit de leurs semailles ravagé par
l’ennemi (Jg 6,3-4), “c’est quand ce que nous avons semé se corrompt que
les ennemis attaquent nos cultures”. C’est là “semer selon la chair” et non
“selon l’Esprit” (Ga 6,8). C’est aussi semer “dans les épines” (Mc 4,7 par.).
Les chrétiens doivent par conséquent prendre garde de perdre tout le grain
des bonnes oeuvres accumulées en dilapidant leur vie dans les plaisirs de
ce monde : ils auront beau avoir engrangé “dans la chambre de leur cons-
225. Vocavit... post se Abiezer. Comparer Septante, A :kai eboèsen Abiezer opisô autou.
226. Hom. 8 in Iud. 3 : GCS, Origène, 7, 510-511.
227. Même point de vue, en plus bref, chez Augustin (Qu. in Hept. 7 ;Qu. Iud. 34 : CChSL
33, 348) qui cependant n’entend offrir qu’une hypothèse (an quid aliud ?).
228. L’hébreu élef signifie à la foi “clan” et “millier”. Les Septante optent ici à tort pour le
second sens, comme en 1 S 10,19 (Hexaples et rec. lucianique) ; 23, 23 ; Is 60,22.
229. Com. in Iud. : PG 87/1, 1065.
230 S. LÉGASSE
cience”, tout l’effort antérieur sera devenu vain (voir Éz 3,20). D’où la re-
commandation de veiller sur son coeur (Pr 4,23).
Cette recommandation vaut tout spécialement lorsque aux ennemis spi-
rituels se substituent les persécuteurs. C’est alors le moment de confesser
sa faiblesse et de prier Dieu de ne pas livrer ses fidèles aux mains de
Madian, aux “bêtes” (Ps 73 hébr. 74,19), à ceux qui disent : “Quand vien-
dra le temps où pouvoir nous sera donné d’agir contre les chrétiens ? Quand
seront-ils livrés entre nos mains ceux qui disent avoir ou connaître Dieu ?”.
Occasion pour Origène, “l’homme qui comptait toujours avec la possibilité
du martyre”230 , d’épiloguer sur sa valeur inestimable, sur ce baptême dont
le rôle purificateur surpasse celui du baptême d’eau, puisque celui qui a
reçu le premier ne peut plus pécher : “après un tel baptême, les Madianites
eux-mêmes ne sauraient envahir l’âme pour en détruire et dévaster les
fruits”231 .
230. H.F. Von Campenhausen, Les Pères grecs, Paris 1963, 51. Sur le martyre chez Ori-
gène, voir Hartmann, “Origène et la théologie du martyre d’après les Protreptikon”, ETL 34
(1958) 773-824; H. Crouzel, “Mort et immortalité selon Origène”, BLE 79 (1978) 19-38,
81-96, 181-196 (33-36).
231. Hom. 8 in Iud. : GCS, Origène, 7, 507.
232. Com. in Iud. : PG 87/1, 1065. Les Septante (A) ont dans les deux cas le motdrys. L’hé-
breu en revanche porte elonê (pluriel construit) en Gn 18,1 et elah en Jg 6, 11.19.
233. De Spir. sancto I, Prol., 1 : CSEL 79, 15.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 231
pour recevoir la grâce divine, accepter une purification : tel le grain débar-
rassé de la paille, les fidèles, “rudoyés par le bâton de la vérité”, ont à dé-
poser “les vêtement superflus du vieil homme avec ses actions” (Col
3,9)234 ?
Dans ce récit le texte sacré laisse subsister une équivoque, parlant tan-
tôt de l’“ange du Seigneur” (6,11.12.20.21.22) tantôt du “Seigneur” lui-
même (6,14.16), lequel s’exprime en son nom propre en disant : “N’est-ce
pas moi qui t’envoie ?” (6,14).Augustin offre une solution à ce problème :
à la différence de Débora s’adressant à Barac (Jg 4,6), l’ange est ici revêtu
d’autorité divine (tamquam ex Domini auctoritate), du fait que le même
Dieu qui a donné mission à Gédéon a également envoyé vers lui son
ange235 . Autre point : la salutation de l’ange Dominus
: tecum potens
fortitudine (Jg 6,12) est interprétée à contresens par Augustin, soucieux de
sauvegarder les privilèges divins : en voyant dans le motpotens non un
vocatif mais un nominatif, il soustrait à Gédéon un dénomination jugée
excessive pour l’attribuer à Dieu236 . À propos de l’expression In me, Do-
mine (Jg 6,13.15), le même Augustin glose en traduisant par : “Regarde-
moi”237 . Une autre remarque philologique lui permet de préciser la fonction
de l’ange au cours du rite qui va suivre : puisque Gédéon dit seulement :
“J’offrirai” et non : “Je t’offrirai mon sacrifice” (6,18), il indique qu’il
n’envisage pas de sacrifier à l’ange. Du reste celui-ci le montre bien puis-
qu’il remplit ici l’office de ministre238 . C’est également ce que pense
Théodoret de Cyr : en mettant le feu à l’oblation (6,21) “l’ange n’a pas ravi
à Dieu l’honneur qui lui est dû, mais il a exercé la fonction de prêtre”, lors-
que, “frappant la roche de sa canne, il a dévoré l’offrande tout entière d’un
feu prodigieux (paradoxôi)”239 .
Passons à l’allégorie qui affecte les détails du sacrifice. Le bâton qui,
pour Procope, évoque “appui et secours”240 est le type de la croix du Christ
234. Ibid. : CSEL 79, 15. Repris par Isidore de Séville,Qu. in lib. Iud. 3 : PL 83, 381 ; Ps.
Augustin, Sermo 108 de tem : PL 39, 1816-1818.
235. Qu. in Hept. 7 ;Qu. Iud. 33 : CChSL 33, 348.
236. Ibid. : CChSL,ibid.
237. Ibid., Qu. 34 : CChSL,ibid. L’hébreu bî adonay est une simple formule par laquelle
un inférieur introduit une réplique au cours d’une conversation avec un supérieur. “Pardon”
la rend bien en français. Voir L. Koehler - W. Baumgartner, Hebräisches und aramäisches
Lexikon zum Alten Testamnt, I, Leiden 1967 (3e éd.), 117.
238. Ibid., Qu. 35 : CChSL 33, 348-349.
239. Qu. 13 in Iud. : PG 80, 501.
240. Com. in Iud. : PG 87/1, 1065.
232 S. LÉGASSE
Puisqu’il possédait un autel dédié à Baal (Jg 6,26), le père de Gédéon était
idolâtre. Il est facile d’en déduire que le veau qui lui appartenait était nourri
en vue du culte de Baal. En l’immolant après avoir détruit le sanctuaire
païen, Gédéon, note Théodoret, “non seulement faisait acte de piété mais
encore se comportait en maître pour les autres”, car il donnait ainsi une
leçon à ses congénères en les menant de l’erreur à la vérité247 . Mais, selon
Procope, ce veau était aussi la “figure de celui qui a été offert pour
nous”248 . Ambroise développe cette typologie qu’il étend au second veau,
âgé de sept ans249 , que Gédéon reçoit l’ordre d’adjoindre au premier :
Cet homme instruit et qui voyait prophétiquement l’avenir prêta attention
aux mystères d’en haut. C’est pourquoi il mit à mort, selon les oracles, le
veau que son père destinait aux idoles et immola lui-même à Dieu un autre
veau de sept ans. Par cet acte il révéla avec éclat que tous les sacrifices
250. De Spir. sancto I, Prol., 4 : CSEL 79, 17. Repris par Isidore de Séville,Qu. in lib. Iud.
3 : PL 83, 382; Ps. Augustin,Sermo 108 de tem : PL 39, 1816 et 1818.
251. Étymologie fantaisiste qui figure déjà chez Philon, Mut. nom. 106. Le mot est décom-
posé en min - din.
252. Hom. 8 in Iud. 1 : GCS, Origène, 7, 508-509.
253. Voir Origène, Com. in e ad Rom. II, 8-9 sur Rm 2,12-16 : PG 14, 890-893.
254. Mor. in Iob 30, 25 : PL 76, 656.
255. De ‘am, “peuple”, et laqaq, “lécher”. L’étymologie est fantaisiste.
256. Hom. 8 in Iud. 1 : GCS, Origène, 7, 509.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 235
257. Ibid.
258. Hom. 9 in Iud. 2 : GCS, Origène, 7, 522 ; voir aussi Origène,
Exhort. ad mart. 45 :
GCS, Origène, 1, 41-42.
259. Exactement : “que Dieu rend fécond”.
260. Hom. 8 in Iud. 2 : GCS, Origène 7, 510.
236 S. LÉGASSE
261. C. haer. III, 17, 3 ; trad. A. Rousseau - L. Doutreleau, SC 211, 335 et 337.
262. Hom. 8 in Iud. 4 : GCS, Origène 7, 511 et 513.
263. De Spir. sancto I, Prol., 6 : CSEL 79, 18. Repris par Isidore de Séville,Qu. in lib. Iud.
4 : PL 83, 382.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 237
267. Cette phrase ne se lit ni dans les Psaumes ni dans le reste de la Bible. Elle fait néan-
moins songer à Is 10,20 (hoi sôthentes tou Iakôb) ou Is 49, 6.
268. Com. in Iud. : PG 87/1, 1068.
269. Voir Ambroise, à propos de Jg 6,11.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 239
Origène suit le récit biblique (Jg 7,2-3)281 lorsqu’il justifie la première épu-
ration de l’armée en notant que “ce ne sont pas des combats humains” et que,
selon le Ps 32,16, “le roi n’est pas sauvé par la grandeur de sa puissance”. Ici
les exclus partent d’eux-mêmes, étant “timides et craintifs de coeur” (Jg 7,3).
Pour Origène, ce ne sont pas là deux qualifications synonymes. “Timide”
s’applique à celui qui tremble aux premières échauffourées, mais non au
point d’être atteint dans son coeur, de sorte qu’il pourra reprendre courage.
En revanche la seconde expression, à cause du mot “coeur”, évoque le lâche
qui, avant même d’être en face du danger, s’affole. Mais qu’on se garde bien
de limiter la portée du texte aux circonstances historiques du temps de Gé-
280. PL 17, 613-614 ; 57, 542-543. Ce morceau se retrouve dans la compilation du Ps.
Rufin, Com. in LXXV Psalmos, Ps. 71, 6 (PL 21, 938), qui continue en renouant avec l’ap-
plication classique à l’histoire du salut. Sur l’exploitation mariale ultérieure, voir H.
Marracci, Polyanthea mariana, Cologne 1709, s.v. Vellus. Dans un autre secteur, une fu-
sion, opportune croyait-on, fut effectuée au bénéfice de la maison de Bourgogne, entre la
toison d’or de Jason et la toison de Gédéon : voir H. Huizinga,L’Automne du moyen âge,
Paris 1975, 104-105.
281. Une réminiscence de Jg 7,3 se lit chez Tertullien (Adv. Marc. IV, 16,1 : CChSL 1,
581), introduisant le commandement de l’amour des ennemis par ces mots :loquere in aures
audientium. Voir aussi 4 Esd 15,1 :Ecce loquere in aures plebis meae.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 243
282. In omnibus paene veterum gestis mysteria designantur ingentia. Sur ce genre de re-
marque et la conviction qu’elle exprime chez les pères et les médiévaux, voir De Lubac,
Exégèse médiévale, I/1, 119-128.
283. Origène cite Is 35,3 ; Ga 5,1 ; Ph 4,1 ; 1 Th 3,8.
284. Hom. 9 in Iud. : GCS, Origène, 7, 520.
244 S. LÉGASSE
Grégoire voit ici l’expression du petit reste fidèle, alléguant Is 10,22 (cité
en Rm 9,27) : “Le nombre des fils d’Israël serait-il comme le sable de la
mer, un reste seulement sera sauvé”285 .
Sur le même passage Procope nous laisse le choix entre deux interpré-
tations contradictoires. Certains identifient dans ceux qui lapèrent l’eau du
torrent sans fléchir le genou des “indolents et des paresseux (nôtheis kai
argous)”. Ce sont pourtant ces fidèles qui, à la suite de Gédéon, ont rem-
porté la victoire. De même, c’est “en choisissant les faibles de ce monde,
des pêcheurs et un artisan en cuir (Paul), que le Christ a mis fin à l’attaque
des nations”, entendons, des puissances démoniaques dont Madian est le
symbole. Mais on peut aussi inverser l’exégèse et considérer que les trois
cents qui ont lapé l’eau sont des forts, ceux qui ne cèdent pas à la facilité
mais pratiquent l’ascèse et la tempérance : “C’est une belle vertu que la
tempérance (egkrateia), comme en témoignent les compagnons de Gédéon
qui ont triomphé de Madian”286 .
Doctrine et exemple, telle est la perspective dans laquelle Grégoire le
Grand envisage cette seconde partie de l’épisode en l’appliquant à ceux qui
enseignent dans l’Église. L’eau, c’est “la doctrine de sagesse”. Ne pas plier
le genou pour boire signifie “la rectitude de l’action (recta operatio)”. “Le
Christ part au combat contre les ennemis de la foi avec ceux qui, tout en
puisant aux eaux de la doctrine, n’infléchissent pas la rectitude des
oeuvres” (Rm 2,13 ; He 12,2). De tels hommes “manifestent dans leur ac-
tion ce qu’ils proclament de bouche; ils puisent spirituellement aux flots
de la doctrine, sans se pencher charnellement par de mauvaises actions,
comme il est écrit : <Elle n’est pas belle la louange dans la bouche des
pécheurs>” (Si 15,9)287 .
Cette application est ébauchée par Origène, que stimule une difficulté
du texte. En Juges 7,5 on lit : “Tous ceux qui laperont l’eau avec la langue
comme lape le chien…”. Mais au verset suivant les mêmes sont dits avoir
“lapé l’eau avec leur main à leur bouche”288 . L’allégorie résout le dilemme :
297. Sur ce symbole dans l’ensemble de la littérature patristique, voir H. Rahner, Symbole
der Kirche. Die Ekklesiologie der Väter, Salzbourg 1964, 406-431. Concernant le sort ulté-
rieur de ce signe, voir D. Vorreux, Un symbole franciscain, le tau : histoire, théologie et
iconographie, Paris 1977.
298. Hoc etenim signo praedonum strauit aceruos / Congressus populo Christi sine milite
multo. / Tercento equite (numerus Tau littera Graeca) / Armatis facibusque et cornibus ore
canentum… / Tau signum crucis, et cornu praeconia uitae : CChSL 2, 1436.
299. Tract. Origenis 14,14 : CChSL 69, 107.
300. Tract. Origenis 14,17 : CChSL 69, 110.
248 S. LÉGASSE
309. Notandum vero est quia iste trecentorum numerus in Tau littera continetur, quae crucis
speciem tenet. Cui si super transversam id quod in cruce eminet adderetur, non iam crucis
species, sed ipsa crux esset : Mor. in Iob30,25 : PL 76, 566.
310. Symbole, 423.
311. Com. in Ez. 3,9 : CChSL 75, 106-107. Voir aussi Ps. Jérôme (Bède),In Lam. Ier. : PL
25, 792. On devine l’importance de cette ancienne configuration du taw hébreu pour l’ap-
plication chrétienne d’Éz 9,4 : voir Rahner,Symbole, 410-411.
312. Mor. in Iob 30,35 : PL 76, 566. Isidore de Séville Alleg.
( 76 : PL 83, 111) résume en
quelques mots l’allégorie traditionnelle au sujet du tau : Gédéon avec ses trois cents hommes
est “le type du Christ qui a remporté la victoire sur le monde par le signe de la croix. En effet
le nombre trois cents est contenu dans la lettre tau, laquelle offre l’aspect d’une croix”.
250 S. LÉGASSE
313. Selon la version de la descente de Jésus aux enfers qui y voit une délivrance des âmes
par le triomphe du Christ sur les puissances démoniaques : voir H. Quillet, “Descente de
Jésus aux enfers”, DTC IV/1, 598-603.
314. Tel n’est pas le sens de Jg 7,10, et cela, même dans la version que reproduit Grégoire,
puisqu’elle porte :Si tu times descendere, descendet et puer tuus in castra : Gédéon est in-
vité à se faire accompagner de son serviteur.
315. Omnes contrarii, ce qui pourrait aussi signifier “ceux d’en face”, donc évoquer l’hé-
breu de Jg 7,12 qui porte kol benê qedem (qedem : étymologiquement “ce qui est devant”,
d’où “Orient” ; voir LXX pantes
: hoi hyioi anatolôn ; Vg :omnes orientales populi). Il est
cependant douteux que la Vetus Latina trahisse ici une influence de l’hébreu (voir les réser-
ves de T. Ayuso Marazuela, La Vetus Latina Hispana, I, Madrid 1953, 188-190). Bien plu-
tôt son texte révèle une interprétation facilitante, laquelle pourrait tout aussi bien être
l’oeuvre de Grégoire lui-même, désireux d’amorcer son exégèse démoniaque. De fait
contrarius substantivé n’est pas rare chez les Pères pour désigner le diable ou les démons :
voir les références dans A. Blaise - H. Chirat, Dictionnaire latin-français des auteurs chré-
tiens, chez l’auteur (A. Blaise) 1954, 217.
316. Hom. 8 in Iud. 2 : GCS, Origène, 7, 522 : “La multitude des démons a été comparée
aux sauterelles parce que le domicile des démons n’est ni le ciel ni la terre”.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 251
317. Magis itaque illa vel maggida in qua panis volvebatur. Le texte biblique (Jg 7,13) cité
par Grégoire porte :et ecce magida panis hordeaceus volvebatur in castra Madian, où le
mot magis est pris dans son sens de “récipient” et où, corollairement figure un in qui ne
correspond ni à l’hébreu ni aux Septante : dans ceux-ci kai
( idou magis artou krithiniou) le
mot magis signifie “miche” ou “galette”. Étant donné que Grégoire se singularise sur ce
point (voir T. Ayuso Marazuela, La Vetus Latina Hispana, II, Madrid 1967, 294-295), on le
soupçonne d’avoir, ici encore, modifié le texte de sa citation en vue de l’exégèse qui suit.
318. Tract. Origenis 14,5-16 : CChSL 69, 107-110.
319. Com. in Iud. : PG 97/1, 1068.
320. Qu. in Hept. 7 ;Qu. Iud. 39 : CChSL 33, 351-352.
252 S. LÉGASSE
321. Qu. in Iud. 16 : PG 80, 501; idem Procope,Com. in Iud. : PG 87/1, 1068.
322. Mor. in Iob 30,25 : PL 76, 565. Repris par Isidore de Séville,Qu. in lib. Iud. : PL 83,
383-384.
323. Procope (Com. in Iud. : PG 87/1, 1069) renvoie explicitement aux vierges sages de
l’Évangile.
324. Hom. 9 in Iud. 2 : GCS, Origène, 7, 521-522.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 253
Grégoire le Grand s’étend lui aussi sur le singulier attirail des soldats
de Gédéon dont il donne, d’emblée, la triple signification par une manière
de lexique : “les trompettes désignent la clameur des prédicateurs (de
l’Évangile) ; les torches, la clarté des miracles ; les cruches, la fragilité des
corps”. En fait, le développement qui suit est centré avant tout sur le mar-
tyre des apôtres et la conversion des persécuteurs :
Ceux que notre Chef a menés avec lui au combat de la prédication ont été
tels que, méprisant le salut des corps, ils ont abattu leurs ennemis en mou-
rant eux-mêmes et triomphé de leurs épées non par des armes, non par des
épées, mais par le support. Car c’est bien sans armes que nos martyrs sont
venus au combat sous le commandement de leur Chef, mais avec des
trompettes, mais avec des cruches, mais avec des torches ! Ils ont sonné
de la trompette en prêchant ; ils ont brisé les cruches en opposant aux glai-
ves ennemis leurs corps pour être brisés par la souffrance ; ils ont brillé
par les torches quand, après la destruction de leurs corps, ils ont étincelé
par les miracles. Et sans attendre, les ennemis en fuite se sont retournés :
voyant étinceler de miracles les corps des martyrs défunts, brisés par la
lumière de la vérité, ils ont cru ce qu’ils avaient combattu.
Tant il est vrai que les prédicateurs de l’Évangile ont remporté plus de
succès une fois morts327 que par l’action qu’ils menèrent de leur vivant,
autrement dit,
les ennemis ont résisté aux cruches328 , mais ils se sont enfuis devant les
torches. Car les persécuteurs de la sainte Église ont bien résisté aux prédi-
cateurs de la foi tant qu’ils se trouvaient dans leurs corps; mais après la
destruction de ceux-ci, ils ont pris la fuite à l’apparition des miracles, étant
donné que, saisis de frayeur, ils ont cessé de persécuter les fidèles. En
d’autres termes, par la prédication des trompettes, les cruches des corps
étant brisées, ils ont été terrifiés en voyant les torches des miracles.
Mais il ne faut pas négliger un détail : les soldats de Gédéon tenaient leur
trompette dans la main droite et leur cruche dans la gauche. Or, d’après l’es-
timation courante, la droite équivaut à ce qui est important, la gauche à ce qui
est négligeable. D’où l’application : “les martyrs du Christ ont en haute es-
time la grâce de la prédication; ils tiennent en revanche pour peu de chose
l’intérêt des corps”. Mais les torches évoquent aussi la lampe que, selon l’Évan-
gile (Mt 5,15), on ne doit pas mettre sous le boisseau, c’est-à-dire l’“avantage
temporel”, lequel ne doit pas “cacher la lumière de la prédication, ce que, en
327. C’est à l’union mystique, on à la prédication de l’Évangile que saint Jean de la Croix
applique le même épisode dans la Montée du Carmel, l. II, ch. 10.
328. À entendre symboliquement non d’après la lettre du texte biblique.
EXÉGÈSE JUIVE ET EXÉGÈSE PATRISTIQUE 255
vérité, aucun élu ne fait”. Il convient au contraire de placer cette lumière sur
le candélabre, soit “la condition corporelle sur laquelle la lampe est posée
quand on fait passer le soin de la prédication avant ce même corps”329 .
329. Mor. in Iob 30,25 : PL 76, 566-567. Sur cette institution prémonastique dans les com-
munautés syriaques, objet d’un long débat, voir les remarques de T. Jansma, “Aphraates’
Demonstration VII §§ 18 and 20. Some Observations on the Discourse on Penance”, PdO 5
(1974) 21-48 ; R. Murray,Symbols of Church and Kingdom. A Study in Early Syriac Tradi-
tion, Cambridge 1975, 12-17. Il est loin d’être prouvé que les connexions ascétiques du
baptême, à l’époque et dans le milieu d’Aphraate, aient perdu de leur vigueur et que l’ex-
hortation de Dém. VII,18 n’ait été alors qu’une simple “survivance liturgique”, comme le
soutient A. Vööbus, Celibacy, a Requirement for Admission to Baptism in the Early Syrian
Church, Stockholm 1951; Idem, A History of Asceticism in the Syrian Orient (CSCO, subs.,
14, t. I), Louvain 1958, 93-95, 175-178.
330. Voir R. Murray, “The Exhortation to Candidates for Ascetical Vows at Baptism in the
Ancien Syriac Church”, NTS 21 (1974-75) 59-80 (60-61) ; Idem,Symbols, 15.
331. Voir Murray, “The Exhortation” ; Idem,Symbols, 15.
332. Dém. VII,18 : PS I/1, 341 et 344.
256 S. LÉGASSE
et tous ceux qui ne s’adonnent pas au jeûne sont appelés “chiens avides337
et incapables de se rassasier” (Is 56,10-11). Mais ceux qui s’appliquent à
implorer la miséricorde reçoivent le pain des enfants et on le leur jette (Mt
15,6)338 .
Laissant le symbolisme des chiens, Aphraate se tourne ensuite vers
l’autre groupe, ceux qui sont exclus :
Que ceux qui se prosterneront pour boire de l’eau n’aillent pas avec toi au
combat (Jg 7,5), de peur qu’il ne succombent339 et ne soient vaincus dans
le combat. En effet ceux qui buvaient l’eau paresseusement préfiguraient
la chute (spirituelle). C’est pourquoi, mon très cher, il convient que ceux
qui doivent succomber au combat ne ressemblent pas à ces lâches, de peur
qu’ils ne tournent le dos à la bataille et de ne deviennent un objet de mé-
pris pour leurs compagnons340 .
Autrement dit, que les chrétiens qui se savent inaptes à la continence
n’aillent pas se joindre à ceux qui s’engagent sur cette voie en recevant le
baptême ; ils s’exposeraient à un lamentable retour en arrière.
Ainsi se développe une typologie au service d’une double conception
de la vie chrétienne et, conjointement, des implications du baptême. On
retrouve cette conception, avec le lot d’images guerrières qui la sous-tend,
dans les hymnes baptismales, dites “Sur l’Épiphanie”, attribuées à
Éphrem341 . C’est le cas, tout particulièrement, de l’hymne 8 (strophes 16-
17)342 . Moins suggestive de ce point de vue, l’hymne 7 (strophes 8-9) tou-
Avec le butin pris sur les Madianites, “Gédéon fit un éphod et l’érigea dans
la ville, à Ophra. Tout Israël alla se prostituer derrière (cet éphod) et il fut
un piège pour Gédéon et toute sa maison” (Jg 8,27).
Au sujet de l’éphod de Gédéon, les Pères de L’Église se situent à l’occa-
sion sur le plan technique345 . Théodoret le confond purement et simplement
avec le vêtement du grand prêtre, auquel était attaché le “rational (logion)”346 .
Il précise que celui-ci jouait le rôle d’instrument divinatoire et servait en par-
ticulier à indiquer la future victoire pendant la guerre (1 S 14,18-19)347 . C’est
aussi au vêtement (ependyma ou epômis, superhumerale) du grand prêtre que
songe d’abord Augustin, qui ne tarde pas cependant à s’interroger : comment
Gédéon a-t-il pu y introduire l’énorme quantité d’or prélevée sur l’ennemi
(Jg 8,26) ? Car il s’agissait bien d’une vêtement, comme le confirme l’ex-
pression ephud bar (= ephod bad) pour désigner la tunique de lin que la mère
de Samuel fit pour son fils (1 S 2,18). Augustin offre une première solution à
ce problème : le vêtement en question était tout en or et si raide qu’il pouvait
tenir debout : “il n’est pas dit en effet que Gédéon le déposa, mais qu’il le
dressa (statuit)”. Plus loin cependant Augustin envisage d’autres possibilités.
La première est de comprendre l’éphod comme pars pro toto : avec l’or des
dépouilles Gédéon aurait fondé un sanctuaire, avec tous ses ornements et
ustensiles sacrés, parmi lesquels figurait l’éphod pontifical ; celui-ci les résu-
mait tous, étant “le vêtement par excellence du sacerdoce”. Mais on peut
aussi penser que Gédéon, pour confectionner l’éphod, n’utilisa qu’une partie
des dépouilles, juste ce qui était nécessaire348 .
Plus délicat est le problème posé par l’idolâtrie que Gédéon déclencha
par cette opération. Théodoret s’efforce d’innocenter notre héros : si, appa-
remment, celui-ci commit une infraction à la Loi, puisque seuls les prêtres
pouvaient porter l’éphod, en fait on ne peut l’accuser d’impiété (asebeia).
Car, d’abord, étant “prince et stratège”, il avait besoin de cet accessoire pour
s’orienter dans ses campagnes, comme ce fut le cas plus tard pour Saül (1 S
14,18-29). Quant au rôle idolâtrique de cet objet, Gédéon n’en est pas res-
ponsable : c’est le peuple qui, à l’occasion de l’éphod, a sombré dans l’ini-
quité. Mal lui en prit d’ailleurs, car ce qui arriva par la suite à Abimélek et
aux Sichémites (Jg 9,22-49) montre assez que “l’accord pervers de ceux qui
usèrent de (l’éphod) procura leur massacre général du fait de la dissension à
laquelle cet accord aboutit. Car ceux qui s’entendirent pour massacrer les
fils de Gédéon (Jg 9,5) se détruisirent mutuellement”349 .
Pour Augustin en revanche, Gédéon fut bel et bien coupable dans cette
affaire. Non qu’il ait dévoyé le peuple en érigeant lui-même une idole :
l’éphod n’en était pas une mais un vêtement sacerdotal. Pourtant il était
interdit de faire quoi que ce soit de semblable en dehors du cadre du ta-
bernacle et de son culte. En effet si, consacrés au culte de Dieu dans le ta-
bernacle, de tels objets étaient par le fait même à l’abri d’hommages
idolâtriques, il n’en allait pas de même quand ils se trouvaient hors du
sanctuaire légitime. Ce fut donc une faute qui entraîna la perte de Gédéon
et de sa famille350 . Mais – nouvelle question – comment se fait-il que, se-
lon la Bible (Jg 8,28), le pays ait été en repos pendant quarante ans, alors
que Gédéon venait d’entraîner Israël dans le péché en érigeant l’éphod ?
(l’épître est attribuée à Paul) fait mention dans le catalogue des prophètes”
(He 11,32), prévoit en effectuant chacune de ses démarches toute sorte de
mystères354 . Partout il reconnaît “par la vigueur de son esprit le symbole
d’une réalité spirituelle”355 et, doué d’un sens prémonitoire, il ne cesse de
“prêter attention aux mystères d’en haut”356 . Jusqu’au nom même de Gé-
déon qui, nous l’avons vu, annonce l’incarnation du Fils de Dieu !
Mais il convenait qu’une fonction aussi sublime s’accompagnât de la
plus haute qualité morale. Alors que tel Père vante la modestie de Gé-
déon357 , c’est la foi qui, au jugement de l’ensemble, constitue sa vertu prin-
cipale, comme il découle d’Hébreux 11,32. “Homme très croyant”358 , “c’est
en mettant sa foi en Dieu qu’il a triomphé de tant de milliers d’ennemis
avec trois cents hommes”, ce qui explique que Paul l’ait “compté au nom-
bre des croyants”359 . C’est dans cette perspective que, selon Théodoret, il
faut comprendre l’ordre divin en Juges 6,14 : “V a avec cette force qui est
tienne” revient à dire : “A vec cette foi dispose tes troupes et tu vaincras”.
Gédéon en effet, d’après le verset précédent, “se souvenait des merveilles
accomplies par Dieu et il avait sur Dieu une doctrine ferme (bebaian…
doxan) qui l’amenait à penser que Dieu pourrait, s’il le voulait, sauver fa-
cilement (les Israélites) des calamités qui les opprimaient”360 . Aussi ne
faut-il pas s’étonner que certains Pères361 n’hésitent pas à gratifier Gédéon
du titre de “saint”.
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