Paul Sabatier

No ve mb r e 2 0 1 1

M a g a z i n e s c i e n t i f i q u e - n u m é r  
o 23

Dossiers

La modélisation
numérique
en sciences
des matériaux
Recherches
sur le cancer

Délégation Délégation régionale

Midi-Pyrénées du CNRS Midi-Pyrénées, Limousin de l’Inserm
Avec la
participation de

www.ups-tlse.fr
 édito

Attirer les jeunes

vers les carrières
scientifiques
Dans ce numéro sont présentées des entrevues avec de
jeunes chercheurs qui ont été récompensés par des prix
scientifiques, deux médailles de bronze du CNRS et deux
prix du Monde de la recherche.
Ces récompenses nous donnent paradoxalement
l’occasion de réfléchir sur la perte d’attirance des jeunes
pour les carrières scientifiques. C’est un problème connu,
commun à l’ensemble des universités scientifiques et qui
se retrouve dans la plupart des pays développés.

Deux causes principales à cette désaffection peuvent être

identifiées :
MAGAZINE UPS • d’une part, l’enseignement des sciences au collège et
N° 23 — NOVEMBRE 2011
au lycée doit probablement être revisité, autant au
Illustration niveau des programmes que de la pédagogie.
de couverture : • d’autre part, les carrières scientifiques ont perdu une partie de leur attrait. Une des
Surface de graphène
décoré par des agrégats raisons est probablement la trop grande durée de la période de formation avant de
de Ruthénium. trouver un emploi. L’obtention d’un doctorat nécessite au minimum 8 ans après le
Voir dossier
baccalauréat. À ces 8 ans s’ajoutent en moyenne deux années de post-doctorat dans
« la modélisation numérique
en sciences de matériaux » un laboratoire, avant de concourir à un poste permanent. Ainsi, un premier emploi
stable pour un chercheur ne peut s’obtenir qu’après Bac+10, et de plus avec des
Directeur
rémunérations moins élevées que celles d’autres professions, pour des durées de
de la publication :
Gilles Fourtanier formation équivalentes.
Rédacteur en chef :
Daniel Guedalia
Comité de rédaction :
Notre université a exploré plusieurs pistes pour remédier à cet état de fait : explications
Isabelle Berry aux élèves de la réalité des études scientifiques au cours de réunions dans les
Patrick Calvas lycées ou de journées portes ouvertes à l’université ; grand nombre de diplômes
Daniel Guedalia
Guy Lavigne professionnalisants au niveau licence et master, pour que des nombreux étudiants
Fréderic Mompiou puissent entrer dans le monde du travail avec leur bagage scientifique, et avec une
Aude Olivier durée des études équivalente à celle des écoles d’ingénieur. Mais cela nécessite aussi
Martine Poux
Carine Desaulty de faire changer les mentalités des entreprises.
(délégation Midi-Pyrénées C’est un vaste chantier, prioritaire pour notre université !
du CNRS)
Christine Ferran
(délégation régionale Le premier dossier présenté dans ce magazine concerne l’utilisation de la simulation
Midi-Pyrénées de l’Iserm) numérique pour étudier les propriétés de la matière. C’est un domaine en plein
Conseillère de rédaction :
Anne Debroise
développement, lié en particulier aux nano-sciences. Et c’est aussi un domaine pluri-
Diffusion : disciplinaire où interviennent plusieurs laboratoires du site toulousain.
Joëlle Dulon Le deuxième dossier est celui des recherches sur le cancer. Il ne semble pas nécessaire
Coordination
de rappeler l’importance de ce volet de la recherche médicale. Nous avons choisi de
des dossiers scientifiques : vous présenter la mise en place d’une nouvelle organisation associant la recherche
Cancer : Christophe Cazaux académique amont, le transfert de connaissances et la coopération avec l’industrie.
Simulation numérique
de la matière : C’est la nouvelle Oncopole toulousaine qui constitue le liant de ces différents éléments.
Lionel Calmels
Conception graphique Je vous souhaite une bonne lecture.
et impression :
Ogham-Delort
05 62 71 35 35 n° 1347
Gilles FOURTANIER
dépôt légal : Président de l’Université Paul Sabatier
novembre 2011
ISSN : 1779-5478
Tirage : 2 000 ex.

Université Paul Sabatier

118, route de Narbonne
31 062 Toulouse cedex 9
sommaire
Dossier : 
4 L
 a modélisation

numérique en sciences
des matériaux

11
Prix et medailles

14
 Vie des laboratoires

DOSSIER :
22 Les recherches


sur le cancer

Vos encouragements, vos critiques, vos suggestions, une seule adresse :

revue-paulsabatier@adm.ups-tlse.fr
Vous pouvez consulter et télécharger ce magazine et les numéros antérieurs
sur le site www.ups-tlse.fr (rubrique « diffusion des savoirs/le magazine scientifique »)
 LA SIMULATION NUMÉRIQUE
POUR L’ÉTUDE DE LA MATIÈRE
>>> Lionel CALMELS, Professeur UPS,
chercheur au Centre d’Élaboration de Matériaux
et d’Études Structurales (CEMES, unité propre du
CNRS associée à l’UPS)
>>> Auto-organisation grâce à une onde
acoustique stationnaire (modélisation
en dynamique moléculaire) : Les atomes
diffusant sur un substrat soumis à une onde
acoustique stationnaire de surface se
positionnent préférentiellement dans
le voisinage des ventres de déplacement
de l’onde.
(Nicolas COMBES, CEMES)
page 4 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
La modélisation numérique au
service de l’étude des matériaux
Il est possible de synthétiser des matériaux
originaux de très grande qualité, dont la
structure atomique et chimique peut être
contrôlée avec une précision remarquable.
Certains de ces matériaux n’existent pas à l’état
naturel et sont créés dans les laboratoires de
recherche en structurant la matière à l’échelle
nanométrique. Ces matériaux possèdent des
propriétés physiques inattendues. Ils sont l’objet
de nombreuses recherches fondamentales
dont le but est de comprendre l’origine de leurs
propriétés. Ils donnent lieu à des applications
dans des domaines aussi variés que les
bionanotechnologies, la microélectronique, les
médias et mémoires magnétiques, les matériaux
de structure…
Supercalculateur
Mais, pour comprendre l’origine microscopique
des propriétés physiques de ces matériaux et
pour interpréter les expériences dont ils sont
l’objet, il est indispensable de faire des calculs
et des simulations numériques. Ces simulations
numériques sont complexes, car il s’agit de
décrire le comportement d’un très grand
nombre d’électrons et de noyaux en interaction.
Les équations qui décrivent le comportement
physique de ces matériaux ne peuvent être
résolues que grâce à des supercalculateurs, tels
que celui que le groupement scientifique CALMIP
(Calculs en Midi-Pyrénées) met à disposition
des chercheurs et enseignant-chercheurs.
Les principaux laboratoires toulousains dans
lesquels les propriétés physiques des matériaux
sont étudiées par simulation numérique sont
le CEMES1, le CIRIMAT2, le LAAS3, et les
laboratoires rattachés à l’IRSAMC4. Plus d’une
trentaine de projets issus de ces laboratoires sont
soumis chaque année à CALMIP. En 2011, 5 000
000 d’heures ont été demandées, soit 22% de la
demande globale. Les codes de calcul utilisés
par cette communauté sont bien adaptés aux
architectures massivement parallèles et tournent
en production sur le calculateur de CALMIP,
appelé Hyperion.
1C  entre d’élaboration des matériaux et d’études
structurales
2 Centre Interuniversitaire de Recherche Ingénierie
Materiaux
3 Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes
4 Institut de Recherche sur les Systèmes Atomiques et
Moléculaires Complexes
Contact : calmels@cemes.fr
CALMIP et le supercalculateur
Hyperion :
Le groupement scientifique CALMIP, grâce au soutien
de l’Université Paul Sabatier, en collaboration avec le
PRES Université de Toulouse, met à la disposition de la
communauté scientifique régionale une plateforme de
calcul de niveau européen. Le supercalculateur Hype-
rion (2 912 cores, 33 Téraflop) a été acquis en 2009 sur
des fonds du CPER (contrat de projet Etat-région), et est
hébergé et géré par les personnels de la DTSI (direction
des technologies et des systèmes d’information) de l’UPS.
L’interaction entre les chercheurs et l’équipe technique
de CALMIP permet d’optimiser le temps de restitution de
chaque calcul. A titre d’exemple, le temps de calcul de
la structure électronique au voisinage de défauts de la
magnétite a ainsi été réduit de 5 h 45 min à 17 minutes ;
on peut aussi citer les calculs menés sur un nanocube de
Fe : l’utilisation de 256 processeurs a permis de réaliser
un cycle de calcul en 30 secondes (plusieurs milliers de
cycles sont nécessaires). La collaboration entre l’équipe
technique CALMIP et les utilisateurs néophytes, non nu-
mériciens et non informaticiens, permet de paralléliser
les codes qu’ils ont développé (par exemple accélération
d’un code destiné à l’étude des propriétés électromagné-
tiques de nano-objets, et monopolisant plus de 200 Go de
mémoire partagée). Pour continuer à répondre à ces be-
soins et pour décupler ses ambitions scientifiques, CAL-
MIP, dans le cadre du projet EQUIP@MESO (EQUIPEX) va
accroître ses capacités de calcul : plusieurs centaines de
processeurs et plusieurs téra-octets en mémoire partagée
supplémentaires, seront mis en production au début de
l’année 2012.
Contacts : Nicolas Renon, ingénieur de recherche de l’Uni-
versité Paul Sabatier, responsable du calcul scientifique
CALMIP (nicolas.renon@univ-tlse3.fr) et Pierrette Barba-
resco, ingénieure de recherche, responsable du système
CALMIP (pierrette.barbaresco@univ-tlse3.fr)

>>> Damien CONNÉTABLE, chargé de
recherche CNRS, membre de l’équipe MEMO
au Centre Interuniversitaire de Recherche et
d’Ingénierie des Matériaux (Institut Carnot
CIRIMAT, unité mixte UPS/CNRS/INP)
>>> Joint de grain de nickel Σ5 (012). En rouge et jaune les différents sites étudiés pour ségréger des atomes de niobium.
Simulations à l’échelle
atomique en métallurgie
En métallurgie, certains mécanismes sont difficiles à tester expérimentale-
ment. Depuis une vingtaine d’années, la métallurgie a bénéficié de façon im-
portante des simulations numériques à différentes échelles. Les recherches
menées au CIRIMAT sont emblématiques des progrès récents dans ce domaine.
Calcul et prédiction des diagrammes de phase
On peut aujourd’hui décrire des diagrammes de
phases de systèmes complexes variés : des unaires
(systèmes avec une seule espèce atomique) comme des
systèmes multi-constitués (ternaires, quaternaires…).
Les simulations ab initio, fondées sur les principes
de la mécanique quantique sont utilisées comme
générateurs de données (énergies de formation de
phases) qui sont ensuite injectées dans un formalisme
de thermodynamique d’équilibre. Les chercheurs sont
ainsi amenés à optimiser de nombreuses structures
(stables et méta-stables) qui peuvent entrer en
jeu dans les équilibres entre phases. Les énergies
obtenues sont ensuite utilisées en même temps
que les données expérimentales pour optimiser des
bases de données thermodynamiques destinées à la
simulation des diagrammes de phase (en composition
et en température). Ces bases de données peuvent
être ensuite couplées à des bases de données de
coefficient de diffusion (implémentées dans le logiciel
DICTRA par exemple) pour réaliser des calculs de
transformations de phases.
Migration des défauts
Une autre préoccupation des métallurgistes est
la compréhension des processus de migration des
page 5
la simulation
numérique pour
l’étude de la matière
défauts (tels que les lacunes, les espèces en solution
ou les défauts étendus…). Ces informations sont
d’une grande importance dans la compréhension
des mécanismes de vieillissement des structures.
Les thèmes de recherche sont liées à des études
expérimentales portant sur la compréhension des
mécanismes de dégradation ou le vieillissement
prématuré (corrosion sous contrainte, fragilisation
par l’hydrogène…). Le nickel est l’un des éléments
de base utilisé dans de nombreuses applications
industrielles (aéronautique, nucléaire…) et est, de
fait, très largement étudié au sein de notre équipe. Les
lacunes du réseau entrent en jeu dans de nombreux
mécanismes comme la corrosion, la diffusion, la
formation de cavités, etc. À titre d’exemple, au
Cirimat, les chercheurs ont calculé le processus de
formation et de migration des lacunes et noté que les
résultats obtenus (énergie de formation de 1,41 eV, et
de migration de 1,05 eV) sont en très bon accord avec
les données expérimentales (1,46-1,72 eV et 0,97-
1,04 eV, respectivement).
Diffusion
Le Cirimat s’intéresse également aux interfaces et tout
particulièrement à ce que l’on appelle les joints de
grains. Ce sont des lieux privilégiés de ségrégation, de
fissuration, ou encore des zones où la diffusion peut
être rapide. Ces systèmes sont utilisés pour étudier la
ségrégation des espèces en solution. Comprendre ce qui
se passe au niveau de ces interfaces est d’une grande
importance. Pour des atomes de niobium en solution
dans le nickel, par exemple, on constate que l’énergie
de ségrégation de cet élément est plus faible que son
énergie d’insertion au sein du matériau massif. Ces
résultats suggèrent que les atomes de niobium peuvent
facilement se ségréger aux interfaces, risquant de
modifier le comportement mécanique de celles-ci.
Contact : damien.connetable@ensiacet.fr
 la simulation
la simulation
numérique pour
numérique pour
l’étude de
l’étude de la
la matière
matière

Simuler le comportement des

électrons pour la spintronique
La prometteuse électronique de spin a donné lieu aux premières applications
industrielles. Mais le développement de composés électroniques aux propriétés
nouvelles nécessite des simulations de haut vol.

L’électronique de spin, encore appelée « spintronique », Courant tunnel

>>> Rémi ARRAS, chargé de recherche CNRS ;
Lionel CALMELS, professeur UPS ; et Florian
GIMBERT, doctorant, chercheurs au Centre
d’élaboration de matériaux et d’études
structurales (CEMES, unité propre du CNRS
associée à l’UPS)
Configuration magnétique de super-réseaux Co/
Ni(111) : l’aimantation est soit perpendiculaire aux
interfaces si les couches de cobalt contiennent un
plan atomique unique, soit parallèle aux interfaces
si les couches de cobalt sont constituées de 4 plans
atomiques.
est un domaine très récent de la physique. Les principaux
composants de la spintronique que sont les vannes de spin
et les jonctions tunnel magnétiques sont constitués par des
couches minces métalliques magnétiques (les électrodes)
séparées par une couche non magnétique d’épaisseur
nanométrique. La résistance électrique de ces multicouches
dépend de leur configuration magnétique : elle est plus
faible si les aimantations des électrodes sont parallèles que
si elles sont antiparallèles. Cet effet magnétorésistif, dont la
mise en évidence a valu le prix Nobel de physique à Albert
Fert et Peter Grunberg en 2007, permet d’écrire et de lire
une information sous la forme d’un bit magnétique. Cette
découverte initiale a donné lieu à de nombreuses recherches
fondamentales et appliquées basées sur l’exploitation
d’un courant électrique polarisé en spin. Les propriétés
de magnétorésistance des vannes de spin et des jonctions
tunnel sont déjà exploitées dans l’industrie des mémoires
et des média magnétiques, qu’il s’agisse des têtes de lecture
de disques durs ou des mémoires magnétiques MRAM
(Magnetic Random Access Memories) des ordinateurs les
plus récents.
Etudes fondamentales
Les phénomènes physiques qui régissent les propriétés
électroniques et magnétiques des matériaux pour
la spintronique sont l’objet de nombreuses études
fondamentales. Pour comprendre le comportement des
électrons dans ces multicouches, il est indispensable de
faire appel à la physique quantique : c’est dans ce cadre
que doivent s’inscrire les simulations numériques. En
général, ces simulations reposent sur la « théorie de la
fonctionnelle de la densité » (souvent désignée par son
acronyme anglais DFT), qui permet de calculer la densité
électronique et l’énergie de l’état fondamental du cristal
magnétique. Les équations qui sont à la base de cette
théorie ont été établies par Pierre Hohenberg, Walter
Kohn et Lu Sham dans les années 1960. Ces équations
sont à l’origine de la plupart des codes de calcul de la
structure électronique utilisés pour étudier les matériaux
cristallins. Leur résolution donne accès à l’énergie totale
du cristal magnétique, à la densité d’états, ainsi qu’au
moment magnétique des différents atomes.
Les matériaux pour la spintronique sont étudiés dans
le groupe « Nanomatériaux » du CEMES depuis de
nombreuses années. Les calculs et les simulations
qu’on y réalise ont permis de comprendre la nature
des états électroniques qui contribuent au courant
tunnel dans les jonctions tunnel magnétiques dont les
électrodes sont constituées d’alliages à base de fer, de
vanadium ou de cobalt (le comportement physique de
ces jonctions dépend de la composition de ces alliages),
ou de magnétite Fe3O4. Des effets magnétorésistifs
importants devraient être obtenus grâce à la magnétite
qui est un matériau demi-métallique, c’est-à-dire
conducteur pour les électrons de spin minoritaire et
isolant pour les électrons de spin majoritaire.
Matériaux nanostructurés
Plus récemment, des recherches sur la manipulation
de l’anisotropie magnétique des multicouches ont
été menées dans le but d’obtenir des matériaux
nanostructurés dont l’aimantation est perpendiculaire
au plan des couches minces. Les multicouches qui
présentent cette configuration magnétique sont très
intéressantes : elles permettent de concevoir des médias
magnétiques de plus grande densité, et leur aimantation
peut être retournée en utilisant un courant électrique
polarisé en spin de relativement faible intensité.
L’anisotropie magnétique perpendiculaire est liée à la
présence des interfaces entre couches magnétiques. Dans
les super-réseaux Ni/Co : la direction de l’aimantation
de ces systèmes dépend de l’épaisseur des couches de
cobalt et de nickel successives (voir figure). Autre sujet
d’intérêt : la modification de la valeur et de la direction
du moment magnétique des atomes au voisinage
des interfaces d’oxydes magnétiques. Les simulations
numériques se font sur le supercalculateur Hyperion du
groupement CALMIP de Toulouse.
Contact : calmels@cemes.fr

page 6 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23


>>> Iann GERBER, maître de conférences
au département de physique
de l’INSA, chercheur au sein de l’équipe
« modélisation physique & chimique
du Laboratoire de physique & chimie
des nano-objets
(LPCNO, unité mixte INSA/UPS/CNRS)
>>> Haut : au centre d’un nanotube de carbone en
interaction avec une phase nématique de super-
acide sulfurique. Bas : structure de bande du
graphène immaculée.
Expliquer le comportement
des nano-structures carbonées
par le calcul
Le graphène, ainsi que les nanotubes, sont probablement à l’heure actuelle les
plus intrigants des nano-matériaux, notamment du fait de leur formidable po-
tentiel applicatif.
Pourtant, leur succès était loin d’être écrit. Prenons
le graphène. Si ses propriétés physiques si singulières
ont été prédites théoriquement depuis plus de 60 ans,
son existence même a été un intense sujet de débat. Il
aura fallu attendre les 10 dernières années pour enfin
être capable d’isoler ces feuillets uniques de carbone
organisé en nid d’abeille. Le prix Nobel de Physique
2010 a notamment récompensé des travaux pionniers
dans ce sens. Aujourd’hui, le graphène est devenu
le matériau de base de la prochaine génération de
nano-électronique, grâce à son caractère purement
2D, forçant les électrons à se comporter comme des
particules relativistes sans être accélérés à la vitesse de
la lumière.
Simulation numérique
Quant aux nanotubes, ils n’ont été découverts qu’au
début des années 1990. Imaginez le feuillet de graphène
se refermant sur lui-même, en se courbant. Ils sont
devenus un des autres emblèmes de la recherche
en nanosciences du carbone. Les études théoriques
et expérimentales qui se sont accumulées en totale
synergie, combinées au fort développement dans les
vingt dernières années de la simulation numérique
de structures électroniques, ont permis de révéler de
très intéressantes propriétés mécaniques, thermiques,
électroniques mais aussi chimiques
Dans ce contexte de recherche très excitant, l’apport
des calculs de structures électroniques basées sur la
théorie de la fonctionnelle de la densité s’avère des plus
précieux. Du fait de la configuration 1D ou 2D de ces
systèmes il est permis de mener des calculs routiniers
sur des modèles de quelques centaines d’atomes, en
utilisant des ressources informatiques massivement
parallèles.
Structure électronique
L’équipe du LPCNO s’est fixé pour objectif de mieux
comprendre la chimie de surface des ces systèmes à
l’aide du calcul théorique de leur structure électronique.
page 7
la simulation
numérique pour
l’étude de la matière
Et ceci pour aider nos partenaires expérimentateurs
(l’équipe du Pr. Serp LCC-ENSIACET, B. Lassagne
LPCNO, P. Puech CEMES). Plus particulièrement l’étude
de la stabilité de défauts, de la fonctionnalisation
des parois, de l’interaction métal-support nano-
carboné sont de toute première importance. En effet
lorsqu’il s’agit de synthétiser de nouveaux nano-
catalyseurs à base de nanotubes décorés par des
nanoparticules métalliques (Ru/Pt), de modéliser le
dépôt d’une nanoparticule magnétique unique sur un
nano-résonateur, ou même d’étudier les propriétés
catalytiques d’agrégats de taille subnanométrique,
il devient fondamental de décrire l’interaction entre
le métal sous toutes ces formes (atomique, agrégat,
nanocluster, surface) et le réseau graphitique.
Il est connu depuis longtemps que les super-acides du
type H2SO4 ont un pouvoir p-dopant très important
sur les tubes, dans un processus totalement réversible.
Des calculs de structure de bandes nous ont ainsi
permis d’élucider l’origine de ce dopage, observé
expérimentalement par spectroscopie Raman, par une
fonctionnalisation non-covalente opérant un transfert
de charge entre l’acide et le nanotube de carbone.
Acide nitrique
Enfin, récemment, une étude combinée expérimentale/
théorique nous a permis de proposer un mécanisme
réactionnel concernant une étape essentielle dans
le processus de fonctionnalisation des parois des
nanotubes : le prétraitement à l’acide nitrique. Cette
étape qui détruit d’abord les résidus de carbone
amorphe, puis oxyde les surfaces en amenant
majoritairement la formation de groupements
carboxyliques et peut même mener jusqu’à la
destruction complète des tubes a pu être expliquée par
une réactivité très forte des défauts structuraux.
Contact : igerber@insa-toulouse.fr
 la simulation
la simulation
numérique pour
numérique pour
l’étude de
l’étude de la
la matière
matière
>>> De gauche à droite : Fabien ALET, chargé
de recherché CNRS; Revaz RAMAZASHVILI,
chargé de recherché CNRS ; Matthieu
MAMBRINI, chargé de recherche CNRS ;
Sylvain CAPPONI, Professeur UPS ; Nicolas
LAFLORENCIE, chargé de recherche CNRS ;
Didier POILBLANC, directeur de recherche
CNRS et Pierre PUJOL, Professeur UPS,
chercheurs au laboratoire de physique
théorique (LPT, unité mixte UPS/CNRS)
>>> Cluster de calcul du LPT
page 8 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Décripter le mystère de
la supraconductivité à haute
temperature
Pourquoi certains matériaux deviennent-ils supraconducteurs lorsqu’ils
sont refroidis à -150°C et non à des températures proches du zéro absolu ?
Les simulations effectuées au Laboratoire de physique théorique démontrent
qu’ils sont le siège de nouveaux états quantiques.
À la fin du xixe siècle, les travaux de Paul Drude ont
permis d’expliquer le transport du courant électrique
dans un métal traditionnel (comme l’aluminium par
exemple) par le comportement individuel de chaque
électron. Cependant, entre les expériences menées à
Leiden en 1911 par Kamerlingh Onnes et la théorie
développée par Bardeen, Cooper et Schrieffer en 1957,
la physique des métaux connaît une première révolution.
On comprend alors qu’en refroidissant des métaux à
une température proche du zéro absolu (-273,15ºC),
la conductivité usuelle du courant est remplacée par de
la « supra » -conductivité, c’est à dire une conduction
parfaite du courant électrique sans aucune résistance.
Ce phénomène, quelque peu magique, s’explique alors
très bien grâce à une description du mouvement des
électrons dans les solides à partir de la mécanique
quantique. En particulier, la clé de la supraconductivité
se trouve dans la tendance que vont avoir les électrons
à se ranger deux par deux. Cet appariement intervient
lorsque la température devient suffisamment basse
(-272ºC pour l’aluminium), obligeant les électrons à
adopter un comportement collectif qui leur permet de se
déplacer sans aucune résistance dans le métal.
Le mystère s’épaissit
Un véritable choc conceptuel intervint ensuite en 1986
lorsque Karl Müller et Johannes Bednorz découvrirent
de la supraconductivité dans une toute nouvelle famille
de matériaux à base de cuivre et d’oxygène : les cuprates.
Ces céramiques devenaient supra à des températures
aussi « hautes » que -150ºC, là où un appariement
entre les électrons n’était pas du tout attendu ! Le
mystère s’épaissit encore lorsque l’on se rendit compte
que ces matériaux sont de très mauvais conducteurs à
la température ambiante. Que se passe-t-il donc lorsque
ces matériaux sont refroidis ? Quel mécanisme permet
aux électrons de s’apparier et de conduire parfaitement
le courant électrique ? Ces questions, vieilles aujourd’hui
de 25 ans, sont pleinement d’actualité tant les
nombreuses énigmes de ces matériaux dits fortement
corrélés restent à résoudre. La terminologie « fortement
corrélés » signale le fait que les charges électriques ne
peuvent être simplement regardées individuellement.
Au contraire, c’est le comportement collectif dû
aux fortes interactions entre les électrons qui est à
l’origine de cette nouvelle physique. En parallèle des
expériences menées dans de nombreux laboratoires à
travers le monde (comme par exemple au Laboratoire
national des champs magnétiques intenses à Toulouse),
la compréhension des mécanismes en jeu dans cette
supraconductivité dite « non-conventionnelle »
représente un formidable challenge pour les physiciens
théoriciens.
Nouveaux états quantiques
Pour percer ces mystères, l’équipe « fermions fortement
corrélés » du Laboratoire de physique théorique (LPT)
à l’Institut de recherche sur les systèmes atomiques et
moléculaires complexes (IRSAMC) utilise de puissants
outils de calcul analytique et surtout de simulations
numériques. La clé des phénomènes se situant dans
le comportement collectif d’objets quantiques en
interaction, la description la plus réaliste possible de
ces systèmes complexes nécessite une énorme puissance
de calcul. À l’aide de super-calculateurs, basés au LPT
et au mésocentre de calcul CALMIP, les chercheurs de
l’équipe exploitent et développent plusieurs algorithmes
de pointe, tels que la technique Lanczos qui leur permet
de diagonaliser de gigantesques matrices contenant
plusieurs milliards de nombres, ou encore l’approche
de Monte Carlo quantique qui reproduit dans des
super-calculateurs la dynamique d’un très grand
nombre de particules en interaction. Des concepts
nouveaux émergent à travers la problématique des
corrélations fortes : nouveaux états quantiques de la
matière, magnétisme quantique frustré, intrication
quantique… C’est à travers ces idées nouvelles que les
outils théoriques se développent et que la créativité
permet de s’émanciper des concepts établis. Nous
célébrons cette année le centenaire de la découverte
de la supraconductivité, mais l’aventure ne fait que
commencer !
laflo@irsamc.ups-tlse.fr

>>> Marie BRUT, maître de conférences UPS
au Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des
Systèmes (LAAS, unité propre CNRS,
associée à l’UPS)
la simulation
numérique pour
l’étude de la matière
Modélisation des molécules
bio-hybrides
Les nanobiotechnologies utilisent des molécules biologiques et bio-hybrides
comme matériau et agent structurant et les intègrent dans des nano-dispositifs.
L’objectif est de contrôler, voire modifier, les systèmes complexes fournis par
la nature et de les coupler aux matériaux traditionnels des technologies (semi-
conducteurs, métaux, oxydes). À la clé : des applications variées, au premier rang
desquelles, la santé et l’environnement.
Les protéines sont de véritables machines moléculaires, (Ca2+ ATPase, Myosin, Chaperonine) et des ADN
offrant des fonctions spécifiques, sophistiquées modifiés et fonctionnalisés. Ces calculs permettent
et ajustables. Quant aux acides nucléiques, leurs d’accompagner les procédés du laboratoire, dirigés
propriétés d’auto-assemblage et d’hybridation offrent actuellement vers le développement de capteurs à
des possibilités infinies de nanostructuration. D’où aptamères pour le diagnostic médical (cancer…) et le
l’idée de détourner ces objets moléculaires pour domaine environnement/santé (pollution de l’eau).
inventer de nouveaux dispositifs bio-hybrides, dont il La conception de ces dispositifs soulève de nombreuses
faut pouvoir assurer la conception et la fabrication. questions, telles que l’influence de l’environnement
Encore faut-il pour cela comprendre les mécanismes à sur le repliement de l’aptamère, le choix du dispositif
l’échelle atomique. Une compréhension fine qui passe de détection et ses effets sur l’aptamère, le mécanisme
nécessairement par la simulation numérique. Mais d’interaction aptamère/cible ou encore la spécificité
avec une difficulté : modéliser ces biomolécules et leur du capteur et la durée de vie de l’interaction. A
intégration dans des milieux non biologiques. ce jour, ces problématiques sont fondamentales et
généralisables à tous les processus de couplages
Simulation multi-échelles fonctionnels biologiques/non-biologiques.
Au sein de l’équipe « nano-ingénierie et intégration
des systèmes » du LAAS, objectif est de développer des
Contact : mbrut@laas.fr
modèles physiques prédictifs permettant d’anticiper la
structure et l’activité des molécules biologiques et bio-
hybrides dans un milieu très enclin à les modifier, voire
les dénaturer. On développe pour cela une batterie
d’outils innovants dédiés à cette problématique, et qui
trouveront leur place dans une grande stratégie de
simulation multi-échelles. Dans ce cadre, a été conçue
la méthode des « Modes Statiques », permettant le
calcul des déformations des macromolécules induites
par une excitation extérieure, en considérant leur
totale flexibilité. L’idée est de l’utiliser directement
afin d’explorer les propriétés intrinsèques des
molécules en jeu, mais aussi de l’adapter dans une
procédure de « docking », c’est-à-dire de prédiction
des interactions, pour évaluer l’impact des interactions
inter-moléculaires sur la structure et l’activité des
partenaires.
Technologies bio-inspirées
Cette approche et ses extensions sont utilisées sur des
>>> Structure du site catalytique de la Dihydrofolate
exemples biologiques « traditionnels » (en particulier
Réductase. La nicotinamide et la ptérine sont localisées,
des enzymes pour des applications pharmaceutiques ainsi que leurs atomes C4 et C6 impliqués dans le transfert
et médicales : protéase du VIH, DHFR…). Des travaux d’hydrure. Nous avons montré, notamment par des muta-
pionniers ont également été engagés dans le domaine tions, que le groupe méthyle δ2 permet d’ajuster, et ce de
façon directionnelle, la distance C4-C6, tenant donc un rôle
des technologies bio-inspirées avec divers champs
essentiel dans la catalyse.
d’activité : principalement des moteurs moléculaires
page 9
 la simulation
numérique pour
l’étude de la matière
>>> Magali BENOIT, chargée de recherche
CNRS, Nicolas COMBE, maître de confé-
rences UPS, Joseph MORILLO, professeur
UPS, Hao TANG, chargé de recherche CNRS,
au Centre d’élaboration des matériaux et
d’études structurales (CEMES, unité propre
CNRS associé à l’UPS)
>>> Modèles de croissance des molécules
SnPc (Sn-Phthalocyanine). Modélisation par
mécanique moléculaire. (a) sur un substrat de
Au(111) : le mode de croissance est 2D. (b) sur
une couche ultrafine de NaCl(001)/Au(111) : le
mode de croissance est 3D. (J. Am. Chem. Soc.,
132, 12547, 2010).
page 10 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Modélisation à l’échelle
atomique : défauts et auto-
organisation dans les matériaux
Les simulations à l’échelle atomique jouent un rôle prépondérant dans le
développement des nanotechnologies et l’élaboration de nouveaux maté-
riaux. La preuve avec trois exemples étudiés par le groupe « matériaux cris-
tallins sous contrainte » du CEMES.
Le verre casse, pas le métal… Celui-ci se déforme
facilement sous l’effet des contraintes extérieures.
Cette capacité à se déformer sans casser, la
ductilité, est due à la présence dans les métaux de
défauts, appelés dislocations. Sous une contrainte
extérieure, de nouvelles dislocations apparaissent et
les dislocations, présentes ou nouvellement créées,
se déplacent. D’où, la déformation permanente
des métaux. L’étude des dislocations et de leur
mouvement est donc essentielle à la compréhension
des propriétés mécaniques des métaux. Un certain
type de dislocations appelées « vis » jouent un rôle
particulièrement important dans certains métaux.
Leur structure à l’échelle atomique est impossible
à déterminer expérimentalement et les simulations
atomistiques apparaissent alors comme un moyen
privilégié d’étude. En utilisant des modélisations
basées sur la mécanique quantique, les membres
de l’équipe ont déterminé la structure atomique et
électronique du cœur des dislocations « vis » dans
le titane, métal très utilisé dans l’aéronautique.
Ces modélisations ont mis en évidence l’existence
de nombreuses structures métastables, susceptibles
d’expliquer le mécanisme de déplacement de ces
défauts pendant la déformation.
Elles s’organisent d’elles-mêmes
Mais la modélisation atomistique a permis de
comprendre bien d’autres phénomènes physico-
chimiques. Un autre exemple étudié par les chercheurs
du CEMES concerne la manière dont certaines
molécules s’organisent d’elles-même lorsqu’elles sont
déposées sur un substrat. La croissance de molécules
organiques sur substrat cristallin est promise à de
très nombreuses applications : l’élaboration de LEDs
(Light Emission Diode) organiques (faible coût)
ou de transistors organiques (Organic Field Effect
Transistor). Ces molécules interagissent faiblement
entre elles ce qui permet leur auto-organisation
à la surface du substrat. Une compréhension fine
des interactions molécules-molécules et molécules-
surface est nécessaire pour mieux appréhender
l’auto-organisation et les propriétés électroniques et
optiques de ces systèmes. Par exemple, les molécules
de phtalocyanine (Pc), très utilisées comme colorants
ou dans la conversion d’énergie solaire ou encore
dans les disques optiques ré-inscriptibles, déposées
sur une surface peuvent s’organiser de différentes
façons, ce qui va conditionner leur utilisation. Sur
une surface d’or, elles s’assemblent dans le plan de
surface sous la forme d’un réseau bi-dimensionnel,
alors que sur une surface de sel (NaCl), elles forment
des îlots tri-dimensionnels. À l’aide de simulations
atomistiques (mécanique moléculaire), nous avons
montré que l’interaction Pc-or était plus importante
que l’interaction Pc-Pc, alors que c’est l’inverse pour
la surface de sel.
Ondes acoustiques
À l’image de l’auto-organisation des molécules,
l’auto-organisation de structures nanométriques à la
surface d’un substrat constitue un axe de recherche
important de la physique des semi-conducteurs ou
des métaux. Cette approche est d’un grand intérêt
technologique car elle pourrait se substituer aux
étapes lourdes, coûteuses et délicates de lithographie
dans l’industrie électronique. Les techniques actuelles
ne permettent souvent qu’un contrôle partiel
de l’auto-organisation. En s’appuyant sur des
simulations de dynamique moléculaire, les membres
du groupe ont récemment proposé une nouvelle
technique d’élaboration qui permettrait un contrôle
accru de l’auto-organisation à l’échelle nanométrique.
Chacun a déjà vu s’organiser des grains de sables
sur une plaque métallique vibrante pour former
des figures géométriques (figures de Chaldni).
Transposant cette idée à l’échelle nanométrique, ils
ont montré que lors d’un dépôt atomique, les atomes
déposés diffusent sur un substrat soumis à une onde
acoustique stationnaire de surface et se positionnent
préférentiellement dans le voisinage des ventres de
déplacement de l’onde.
Contacts : benoit@cemes.fr, combe@cemes.fr,
morillo@cemes.fr, tang@cemes.fr

>>>Sophie CRAVATTE, chargée de recherche
IRD, au Laboratoire d’études en géophysique
et océanographie spatiale (LEGOS, unité
mixte UPS/CNRS/CNES/IRD)
Sophie Cravatte, chercheur au
LEGOS obtient le prix Christian
Le Provost de l’Académie
de sciences pour ses travaux
sur la circulation océanique
r Quel est votre thème de recherche ?
Je suis océanographe physicienne et mes activités
de recherche portent principalement sur le Pacifique
tropical et sur la dynamique océanique équatoriale.
Je travaille actuellement sur un projet de recherche,
appelé Solwara, qui vise à mieux comprendre la
circulation océanique et les apports géochimiques en
Mer des Salomon. Il a été suggéré qu’une variation
des propriétés thermohalines de ces masses d’eau, ou
de leur transport vers l’équateur, pourrait modifier
l’état moyen du Pacifique équatorial. Par suite, cela
pourrait influencer le cycle de l’oscillation ENSO
(El Niño Southern Oscillation) à l’échelle décennale
et ainsi engendrer des rétroactions climatiques à
l’échelle du bassin.
r Quel est le rôle de la salinité ?
Je m’intéresse aussi à la salinité de surface océanique
(SSS), et à ses variations lors des dernières
décennies, en collaboration avec des collègues du
LEGOS et du Centre européen de recherche et de
formation avancée en calcul scientifique (CERFACS),
de la NOAA et de l’Université de Miami. Aux
échelles décennales, des changements de salinité de
surface sont le reflet d’une modification du cycle
hydrologique. Comme les observations de salinité
sont historiquement plus nombreuses que les
observations de précipitations, elles nous renseignent
sur les changements du cycle hydrologique aux
échelles décennales.
r Quelles sont vos conclusions ?
Dans le Pacifique tropical ouest, les températures
de surface de la mer dépassent les 28,5 °C sur
une profondeur d’une centaine de mètres, et sur
une superficie supérieure à celle de l’Europe. Cette
« Warm Pool » constitue la source chaude de la
page 11
Prix et
médailles
machine thermodynamique de notre globe. Elle joue
aussi un rôle fondamental dans le développement
d’événements El Nino, aux forts impacts climatiques
et socio-économiques. Que ce réservoir d’eaux
chaudes vienne à être perturbé, réchauffé ou déplacé,
et c’est le climat de notre planète qui s’en trouve
affecté.
Nous avons montré que depuis 1955, la Warm
Pool s’est réchauffée, considérablement étendue et
dessalée. La baisse de salinité observée apparaît
cohérente avec une intensification des précipitations
dans la région liée au réchauffement de l’océan
r Que représente pour vous ce prix ?
Christian Le Provost était le directeur de mon
laboratoire, le LEGOS, pendant la préparation de
ma thèse. C’était un grand océanographe, mais
très accessible. Je suis bien sûr très honorée d’être
lauréate du prix qui porte son nom, et qui lui rend
hommage. D’un autre coté, je reste perplexe devant
le principe d’un prix individuel. Je considère que
le travail de recherche est avant tout un travail
d’équipe et ce prix récompense tous mes collègues
avec moi.
r Un mot sur vos projets ?
Depuis peu, je poursuis mes recherches au centre
IRD de Nouméa. Mes thématiques restent les mêmes,
mais je souhaite participer davantage à la collecte
des données, facilitée par les moyens du centre. Cela
implique notamment d’embarquer à bord des navires
océanographiques.
Propos recueillis par Daniel Guedalia
Contact : sophie.cravatte@ird.fr
 Prix et
médailles
>>> Magali BRUNET, chargée de recherche
CNRS dans le groupe « intégration de
systèmes de gestion de l’énergie » au
Laboratoire d’analyse et d’architecture des
systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée
à l’UPS)
>>> Tsuyoshi KATO, chargé de recherche
au CNRS au Laboratoire d’hétérochimie
fondamentale et appliquée (LHFA, unité
mixte UPS/CNRS)
page 12 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Deux medailles de bronze
CNRS en 2011…
Magali BRUNET, chargée de recherches CNRS au LAAS, s’est distinguée dans
le domaine du stockage d’énergie
r Quel est l’objet de vos recherches ?
Je m’intéresse aux procédés de fabrication des
composants électroniques pour la gestion de l’énergie.
Depuis 2007, mes travaux se concentrent sur les
micro-supercondensateurs. Ce sont des composants
de taille millimétrique qui permettent de stocker de
l’énergie et dont les performances (énergie, puissance)
se situent entre les condensateurs standard et les
microbatteries. Mon objectif est que ces composants
stockent efficacement l’énergie qu’ils reçoivent, de
manière discontinue, de leur environnement (énergie
solaire, vibration…) et la restituent en continu à des
éléments, de type capteurs, qui ont besoin d’être
alimentés en permanence en énergie.
r Que représente pour vous cette médaille
de bronze du CNRS ?
J’ai été relativement surprise quand j’ai appris que
cette médaille m’était attribuée. Je m’aperçois que
cette distinction a une grande portée. Elle donne bien
Tsuyoshi KATO, chargé de recherche CNRS au LHFA, travaillant sur l’utilisation
des hétéro-éléments en synthèse
r Pouvez-vous nous résumer votre parcours
scientifique ?
J’ai débuté mes études universitaires au Japon,
jusqu’au diplôme de Master, obtenu à l’Université de
Okayama en 1996. Arrivé à Toulouse en 1998, j’ai
travaillé sous la direction de Guy Bertrand, et soutenu
ma thèse en 2001. J’ai ensuite effectué un stage post-
doctoral de deux ans dans l’équipe de Christopher
Reed, à l’Université de Californie, Riverside. A mon
retour, j’ai été recruté comme chargé de recherche
au CNRS dans l’équipe d’Antoine Baceiredo. Je suis
actuellement co-auteur de 36 publications et de 6
brevets.
r Quel est votre domaine de recherche ?
Mon activité est centrée sur l’utilisation des hétéro-
éléments en synthèse, et en particulier le silicium.
Je m’intéresse à de nouvelles entités insaturées,
et donc très réactives, incorporant ces éléments.
Par exemple, nous avons récemment synthétisé un
sûr de la visibilité à mes travaux, mais aussi à mes
collaborateurs et à mon laboratoire. C’est un signe
important de reconnaissance de la communauté
scientifique et elle montre l’intérêt porté par le CNRS
pour mes recherches.
r Dans quelle direction souhaitez-vous
mener vos futures recherches ?
Je travaille dans la recherche appliquée et je trouve
intéressant d’utiliser de nouveaux matériaux et
de nouvelles techniques pour qu’elles soient utiles
aux applications industrielles. Je suis très ouverte à
l’exploration de domaines de recherche inédits en étant
à l’écoute des besoins des industriels et réceptive aux
recherches développées en amont par les chimistes ou
les physiciens.
Propos recueillis par Nathalie Boudet
Contact : mbrunet@laas.fr
nouveau composé hybride « organique/inorganique »
présentant pour la première fois une triple liaison
entre le carbone et le silicium, qui ouvre la voie à la
synthèse d’architectures originales (voir magazine Paul
sabatier n° 20).
r Que représente pour vous cette distinction,
et quels sont vos projets ?
Je suis très fier de cette médaille qui marque la
reconnaissance par le CNRS de l’originalité de
mes premiers travaux, et je la perçois comme un
encouragement à travailler encore davantage dans
cette voie. Le mérite revient aussi en partie aux
étudiants que j’ai eu le plaisir d’encadrer. Mon projet
le plus immédiat est personnel : je pars au Japon pour
un mois, où je vais me marier !
Propos recueillis par Guy Lavigne
Conatc : kato@chimie.ups-tlse.fr

>>> Fatima ELGARAH, actuellement
post-doctorante au Laboratoire des
interactions moléculaires et réactivité
chimique et photochimique
(IMRCP, unité mixte UPS/CNRS)
>>> Mehdi MOUSSAÏD, doctorant au sein
de l’équipe de recherche Dynamiques
complexes et réseaux d’interactions dans
les sociétés animales (DYNACTOM) du
Centre de recherches sur la cognition
animale (CRCA, unité mixte UPS/CNRS) et
post-doctorant au Max Planck Institute de
Berlin depuis septembre 2011.
Deux jeunes chercheurs toulousains
récompensés par le prix 2011
« Le Monde de la recherche »
Fatima ELGARAH, a préparé son doctorat au Laboratoire de chimie de coordination
(LCC) sur des antipaludéens
r Pouvez-vous nous résumer votre parcours
scientifique ?
Après une licence à l’Université d’Orsay Paris XI, j’ai
intégré l’ENSIACET en 2e année à Toulouse. Ayant
acquis une spécialisation en chimie biologique, j’ai
postulé pour une bourse de thèse dans le cadre du
projet européen « Antimal » J’ai eu la chance de
travailler à la fois dans l’équipe de Bernard Meunier et
Anne Robert, à Toulouse, et dans celle de Paul O’Neill,
à l’université de Liverpool.
r Quels ont été les objectifs de votre recherche et
vos résultats ?
Mon travail se situe dans le cadre de la lutte contre le
paludisme, transmis par un parasite, le Plasmodium.
Les équipes dans lesquelles j’ai travaillé ont relevé
le défi de concevoir des molécules aussi efficaces que
l’artémisinine, médicament actuellement le plus
utilisé, mais faciles à synthétiser et peu coûteuses.
L’équipe toulousaine a conçu les « trioxaquines »,
tandis que l’équipe de Liverpool, est à l’origine des
« tétraoxanes ». L’efficacité de l’artémisinine est due
à la présence d’un peroxyde, qui réagit avec l’hème, le
colorant rouge de l’hémoglobine, principal constituant
Mehdi MOUSSAÏD, a préparé son doctorat au Centre de recherches sur
la cognition animale (CRCA), sur le comportement des piétons
r Quel est l’objet de vos recherches ?
Mes travaux portent sur l’étude des mouvements de
foule et sur le comportement collectif des piétons. Mon
objectif est de comprendre comment s’organisent les
foules à la sortie des stades, dans les rues commerçantes,
lors d’une évacuation d’urgence, ou durant un grand
rassemblement. Pour cela, j’étudie le comportement des
piétons, la façon dont ils interagissent, et j’essaye de
comprendre comment ces interactions engendrent des
mouvements collectifs.
r Que représente pour vous ce prix ?
C’est à la fois une reconnaissance de mes travaux de
thèse par la communauté scientifique, et une façon
de faire connaître mes recherches au-delà du monde
universitaire. L’étude des mouvements de foule est un
sujet de recherche qui nécessite d’être alimenté par des
page 13
Prix et
médailles
du sang. Les produits de cette réaction provoquent
la mort du Plasmodium. Les trioxaquines, sont des
molécules hybrides contenant à la fois le peroxyde, mais
également une quinoléine, fragment responsable de
l’efficacité de la chloroquine. Elles associent ainsi deux
médicaments dans une même molécule. Par ailleurs,
les tétraoxanes contiennent deux peroxydes, ce qui leur
confère une grande efficacité. À Liverpool, j’ai mis au
point un protocole expérimental pour étudier in vitro
la réactivité des tétraoxanes avec l’hème, et j’ai montré
que c’est grâce à leur peroxyde qu’ils forment des
produits de couplage avec l’hème mettant en évidence
une corrélation entre la capacité de ces molécules à
réagir avec l’hème et leur activité antipaludique.
r Quels sont vos projets actuels ?
Je travaille actuellement au laboratoire des IMRCP, où
j’étudie les propriétés physico-chimiques et biologiques
d’extraits de plantes, ainsi que leur activité anti-
cancéreuse potentielle.
Propos recueillis par Guy Lavigne
Contact : fatima.elgarah@yahoo.fr
données de terrain, souvent difficiles à obtenir. À travers
ce prix, j’espère donc accroître la visibilité de mes travaux
auprès du grand public, et éventuellement tisser des liens
avec les collectivités territoriales ou les urbanistes chargés de
concevoir les infrastructures publiques.
r Quels sont vos projets ?
Lorsque les mouvements de foule seront mieux
compris, la prochaine étape sera de concevoir des
environnements urbains mieux adaptés à notre façon
de marcher, afin d’améliorer le confort des piétons, et
d’éviter les congestions et risques d’accidents durant
les grands rassemblements.
Propos recueillis par Valeria Medina
Contact : mehdi.moussaid@cict.fr
 Vie des laboratoires
>>> de gauche à droite et de haut en bas:
Berhnard URBASZEK, chargé de recherche CNRS,
Giang TRUONG post-doctorant, Thierry AMAND,
directeur de recherhce CNRS, Xavier MARIE,
Professeur à l’INSA, Pierre RENUCCI maître de
conférences à l’INSA, Mohammed MOURAFIQ
technicien, Andrea BALOCCHI, maître de
conférences ) l’INSA, Delphine LAGARDE
ingénieur de recherche CNRS, Hélène CARRERE,
maître de conférence
à l’INSA, Thomas BELHADJ, doctorant,
Fan ZHAO, doctorant, Alejandro KUNOLD
(professeur invité de l’université de Mexique),
tous au laboratoire de physique et chimie
des nano-objets
(LPCNO, unité mixte INSA/UPS/CNRS)
>>> Dynamique de la polarisation de spin des
électrons dans un puits quantique de GaAs (111)
pour différentes tensions appliquées, à T = 50K.
Le schéma représente les vecteurs des champs
magnétiques effectifs qui provoquent la
précession du spin S des électrons (et donc leur
dépolarisation de spin) dans GaAs (111). Ces
vecteurs sont opposés et peuvent se compenser
exactement sous l’application d’un champ
électrique externe.
page 14 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Contrôler les spins
Une équipe emmenée par des chercheurs toulousains vient de montrer comment
contrôler une propriété fondamentale des électrons, le spin, dans un semi-conducteur.
À la clé, la réalisation de dispositifs électroniques plus performants. Retour sur ce résul-
tat avec Andrea Balocchi du Laboratoire de physique et chimie des nano-objets (LPCNO)
r Vos travaux
portent sur la
relaxation des
spins, mais
qu’est-ce au juste
qu’un spin ?
De façon très imagée,
les particules comme
les électrons peuvent
être décrits comme de
minuscules toupies
tournant sur elles-même : on dit qu’elles portent un
spin. Ce spin joue un rôle particulièrement important
car il est responsable du moment magnétique des
particules ; on peut voir ces particules comme de
minuscules aimants pointant soit dans une direction
donnée soit dans la direction opposée. Depuis les
travaux des prix Nobel de physique 2007, Albert
Fert et Peter Grünberg, on sait que le spin, que l’on
peut contrôler à l’aide d’un champ magnétique,
a une grande influence sur les propriétés de
conduction électrique. Depuis, une nouvelle discipline,
mélangeant électronique et contrôle du spin, appelée
« spintronique », a émergé. L’enjeu aujourd’hui est
de développer la spintronique en utilisant les semi-
conducteurs plutôt que les matériaux magnétiques
pour exploiter les avantages des semi-conducteurs
comme l’ingénierie des bandes, la croissance épitaxiale
et la technologie bien établie de la microélectronique.
r À quel problème de spintronique vous êtes
vous intéressés ?
Pour réaliser un dispositif exploitant les propriétés
intéressantes du spin, il est primordial de savoir
polariser les électrons en spin, c’est-à-dire de
contraindre le spin des électrons à pointer dans une
direction particulière. Cependant, une fois polarisés
en spin les électrons « relaxent » très rapidement,
de l’ordre de 100 picosecondes (10-12 seconde) dans
l’arséniure de gallium (GaAs) ! Pouvoir réduire, voire
annuler ces mécanismes de relaxation à la demande
est donc crucial pour la faisabilité des dispositifs
futurs envisagés.
r Comment avez-vous maîtrisé ce
phénomène de relaxation ?
Nous avons montré que l’on peut augmenter de façon
spectaculaire (d’environ deux ordres de grandeurs)
le temps de relaxation de spin des électrons à l’aide
d’un champ électrique en confinant les électrons
à l’intérieur d’un puits quantique de arséniure de
gallium inséré dans une structure de type photodiode
et dont la croissance épitaxiale est effectué dans
une direction particulière au LAAS(1) de Toulouse.
L’originalité de notre travail provient de cette symétrie
inhabituelle qui est la clef pour pouvoir augmenter le
temps de relaxation de spin des électrons dans les trois
directions spatiales simultanément.
r Quel est le chemin à parcourir vers les
premiers dispositifs spintroniques ?
La démonstration, faite ici, que l’on peut contrôler la
relaxation du spin au moyen d’un champ électrique
constitue un pas important vers la réalisation de
dispositifs spintroniques.
Toutefois la route est encore longue. Alors que nos
expériences ont été réalisées à basse température
(jusqu’à 150 K), les effets des relaxations intrinsèques
sont 40 fois plus intenses à température ambiante.
Néanmoins, des nouvelles structures déjà en
préparation devraient nous permettre d’observer cet
effet à température ambiante d’ici quelques mois. Le
défi sera ensuite de réaliser un transistor de spin à
température ambiante.
(1) : Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes.
Pour en savoir plus : “Full Electrical Control of the Electron
Spin Relaxation in GaAs Quantum Wells” A. Balocchi,
Q. H. Duong, P. Renucci, B. L. Liu, C. Fontaine, T. Amand,
D. Lagarde, and X. Marie, Phys. Rev. Lett. 107, 136 604
(2 011)
Propos recueillis par Frédéric Mompiou
Contact : andrea.balocchi@insa-toulouse.fr
 Vie des laboratoires

Un jet de matière très actif produit

par un trou noir
Pour la première fois, une équipe internationale a observé des variations intenses de
l’activité d’un jet de matière, issu du trou noir GX 339-4. Ces observations, réalisées
dans le domaine infrarouge avec le satellite WISE de la NASA, fournissent un nouvel
éclairage sur la physique des jets de matière produits par les trous noirs. Julien Malzac,
chercheur à l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie nous explique les
enjeux de ces travaux.

>>> Julien MALZAC, chargé de
recherche CNRS au sein de l’équipe
« Galaxies, astrophysique des hautes
énergies et cosmologie » à l’Institut de
recherche en astrophysique et plané-
tologie
(IRAP, unité mixte CNRS/UPS)
r Quel est l’origine du jet de matière éjecté
par le trou noir GX 339-4 ?
GX 339-4 est en orbite autour d’une « étoile
compagnon » dont il attire le gaz. Une grande partie de
ce gaz est absorbée par le trou noir et la partie restante
est propulsée dans l’espace sous la forme d’un jet de
matière qui se propage sur des distances considérables
et à une vitesse proche de celle de la lumière.
r Quel est l’enjeu de vos travaux ?
Bien qu’il y ait plusieurs théories proposées, on ne
sait pas exactement comment ces jets se forment
et comment leurs faisceaux restent focalisés sur des
distances aussi grandes. Il s’agit d’un des grands
problèmes de l’astrophysique moderne. Même si les
scientifiques pensent que le champ magnétique joue un
rôle majeur dans ces phénomènes, il reste encore difficile
de comprendre avec précision les processus physiques
à l’œuvre. Dans ce contexte, étudier GX-339-4 est
particulièrement intéressant car il s’agit d’un trou noir
de référence pour la compréhension des phénomènes de
sont le signe de conditions physiques très instables à la
base du jet.
r Quelles sont les perspectives de ces
recherches à plus long terme ?
WISE n’est pas un satellite dédié à l’étude des trous
noirs, il nous a pourtant permis d’obtenir des résultats
très intéressants. Nous sommes donc en train d’analyser
les données d’archive de WISE pour déterminer si des
phénomènes semblables ont été détectés en direction
d’autres trous noirs. Notre but est de savoir si ce que
nous avons observé pour GX-339-4 est généralisable à
d’autres trous noirs. Des observations similaires vont
également être menées avec d’autres instruments : le
satellite Spitzer, le satellite Herschel ou encore le télescope
ALMA. Nous avons bon espoir d’en apprendre ainsi un
peu plus sur la physique des jets.
Pour en savoir plus :
« A variable mid-infrared synchrotron break associated with
the compact jet in GX 339–4 ». P. Gandhi et al. The Astrophysical

jets de matière. Journal Letters, octobre 2011 (volume 740, lettre 13)

r En quoi les observations réalisées par le Propos recueillis par Nathalie Boudet
satellite WISE sont-elles novatrices ?
Habituellement, la présence de jets autour des trous noirs
Contact : julien.malzac@irap.omp.eu
est détectée grâce à des observations dans le domaine
des ondes radio. Or WISE nous a permis d’observer ces
jets dans le domaine de l’infrarouge ce qui est très rare
et constitue un moyen privilégié pour sonder les zones les
plus proches du trou noir. La répétition des observations
de WISE en direction de GX 339-4 nous a surtout
permis d’étudier l’évolution de ses caractéristiques au
cours du temps ce qui est totalement inédit.

r Que vous ont appris ces observations ?

Nous savons que la lumière infrarouge détectée par
WISE provient de particules très énergétiques qui sont
accélérées dans le jet de matière. A notre grande surprise,
nous avons constaté des fluctuations très importantes de
la lumière émise par le jet sur des temps très courts. Nous
avons déterminé qu’en quelques dizaines de secondes, le
>>> Vue d’artiste représentant l’environnement du trou noir GX
champ magnétique et le rayon du jet pouvaient varier
339-4 et son jet de matière. © NASA
d’un facteur 10, ce qui est considérable ! Ces variations

page 15
 Vie des laboratoires
>>> Serge SOULA,
physicien au Laboratoire d’aérologie
(LA, unité mixte UPS/CNRS)
>>> Photo couleur du jet géant le plus
lumineux. Le changement de couleur et de
structure du jet en fonction de l’altitude
correspond à différentes valeurs d’énergie
des particules impliquées dans la décharge
électrique.
© Patrice Huet
page 16 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Feux d’artifice
au dessus des orages
Des images exceptionnelles de jets colorés géants, émis par des nuages d’orage, ont été
réalisées à l’Ile de la Réunion. Elles ont permis à Serge Soula, du Laboratoire d’aérologie,
de mieux comprendre ce phénomène très rarement étudié.
r Quelle est l’origine de ces jets de lumière ?
Les jets sont des décharges électriques lumineuses qui
se développent au-dessus du nuage d’orage. Il y a les
jets bleus (blue jets en anglais) qui atteignent 30 à
40 km d’altitude et les jets géants (gigantic jets) qui
atteignent l’ionosphère à environ 90 km d’altitude
la nuit. Leur découverte est très récente : 1994 pour
les premiers et 2001 pour les seconds. Ils sont en
général observés au-dessus des orages tropicaux avec
un fort développement vertical. Les jets bleus sortent
du sommet du nuage en prenant la forme de cônes de
lumière bleutée. Les jets géants sont les plus rares et
peu de cas ont été documentés depuis leur découverte.
La théorie proposée ces dernières années explique ce
type de décharge ascendante par un déséquilibre entre
deux zones chargées de signe opposé au sein du nuage
d’orage.
r Comment ont été identifiés ces jets géants ?
Le 7 mars 2010, alors qu’un orage approchait la côte
est de l’île de la Réunion, Patrice Huet, qui travaille
à la maison du Volcan et photographie régulièrement
les éclairs, a d’abord aperçu à l’œil nu un phénomène
lumineux fugitif au-dessus de la masse nuageuse. Il
a alors installé son matériel photo et vidéo. En moins
d’une heure, il a obtenu 5 enregistrements vidéo de
jets géants, à une distance exceptionnellement proche
d’environ 50 km, et pour certains d’entre eux des
photos couleur absolument inédites. Etant en contact
avec lui depuis quelques temps, il m’a alors fait part de
ses précieuses observations.
r Comment avez-vous ensuite  analysé ces
enregistrements ?
La première visualisation ne laissait pas de doute,
il s’agissait bien de jets géants. Les observations
dépassaient de très loin en qualité et en détail tout
ce que j’avais vu auparavant dans des publications.
J’ai d’abord voulu partager cette découverte avec
mon ancien étudiant Oscar van der Velde qui est
actuellement en post-doc en Catalogne et qui est
passionné par ce type de phénomène. Il n’en croyait
pas ses yeux. Nous avons décomposé les vidéos image
par image pour analyser la dynamique des jets.
Nous avons recueilli toutes les données possibles sur
cet orage (conditions météorologiques, structure de
l’orage, activité d’éclairs). Nous avons estimé l’altitude
et la direction des jets en superposant les images à
la carte du ciel. Nous avons trouvé une méthode de
datation très précise de ces jets et nous avons analysé
des signaux électromagnétiques associés et enregistrés
par des collègues en Hongrie.
r Quels sont les principaux résultats obtenus
sur ces jets géants ?
Il a pu être établi que les jets géants ont démarré
au cœur du nuage dans sa zone convective qui est
électriquement la plus active. Chacun des 5 jets géants
a été précédé d’une activité lumineuse soutenue et
pulsionnelle au cœur du nuage, ce qui valide la théorie
proposée sur les conditions de déclenchement de ces
décharges. La charge transportée hors du nuage
par ces décharges était dans tous les cas négative
et considérable dans certains cas, ce qui en fait une
composante majeure du circuit électrique global
terrestre. Les premières images couleur de jets géants
montrent un canal principal de couleur bleue jusqu’à
une altitude d’environ 40 km et une zone de transition
(de 40 à 65 km d’altitude) qui correspond à une
luminosité rouge due à des filaments d’ionisation
(streamers) qui suivent les branches principales
formées lors du jet initial.
Propos recueillis par Daniel Guedalia
Contact : serge.soula@aero.obs-mip.fr

>>> Valérie BLANCHET,
Chargée de Recherche CNRS, au
Laboratoire collisions, agrégats et réactivité
(LCAR, unité mixte UPS/CNRS)
>>> Abaissement du potentiel coulombien,
création d’une barrière de potentiel, émission
par effet tunnel de l’électron, puis son
accélération par le champ électrique associé
à l’impulsion sonde et enfin recombinaison
de l’électron sur son cœur ionique pour
émettre un rayonnement harmonique dans
l’ultraviolet VUV-XUV
Quand l’ultra-rapide
nous renseigne sur l’ultra-petit…
Décrypter l’infiniment petit, toujours en savoir plus sur la physique des molécules
nécessite le développement de techniques ultrasophistiquées. Rencontre avec Valérie
Blanchet, chercheur au Laboratoire collisions, agrégats et réactivité (LCAR).
r Qu’observez-vous de si petit ?
Notre objectif est d’étudier la dynamique temporelle
d’atomes et de molécules en phase gazeuse aux
temps ultra-courts en vue de mieux comprendre leur
réactivité. Les échelles de temps des phénomènes que
nous observons vont de la femtoseconde (10-15s) à la
picoseconde (10-12s) pour les relaxations électroniques,
les vibrations, et la rotation respectivement. La molécule
NO 2 choisie, n’a pas été retenue pour son intérêt
atmosphérique mais parce qu’elle se révèle être très
complexe dans sa dynamique. Malgré son apparente
simplicité elle est devenue une espèce de Graal de la
physique moléculaire. C’est donc un défi en soi.
r Quelles sont les techniques d’observation
mises en œuvre ?
La technique utilisée pour initier une dynamique est
classique dans notre domaine de recherche et repose sur
la photoexcitation par une première impulsion, nommée
pompe. C’est ensuite qu’intervient la détection de la
dynamique : un véritable challenge ! Nous envoyons
une seconde impulsion femtoseconde (~25 fs), nommée
sonde qui est très intense
de telle sorte que le
champ électrique associé
est de l’ordre de 109 V/
cm. Sous l’influence de
ce champ laser intense
de sonde, les électrons
de valence des molécules
en phase gazeuse
oscillent et s’éloignent
considérablement du
noyau ionique (une
dizaine d’Angström
sur un tiers de période
optique, soit 1fs). Dans
la majorité des cas cela
conduit à l’ionisation
mais si les électrons retournent au voisinage de l’ion,
sous l’effet du champ laser, alors ils peuvent recombiner
avec le cœur ionique ce qui produit un rayonnement
harmonique dans l’ultraviolet VUV-XUV (Vacuum
Ultraviolet). Le spectre expérimental collecté en fonction
du délai entre l’impulsion pompe et l’impulsion sonde est
caractérisé par une suite d’harmoniques de la longueur
d’onde de la sonde. Dans ce régime de génération
page 17
Vie des laboratoires
d’harmoniques d’ordre élevé (GHOE), le processus
d’ionisation ne se fait pas par absorption de multiples
photons mais par abaissement du potentiel coulombien
qui relie l’électron à son ion avec création d’une barrière
tunnel. Le passage de cette barrière tunnel par l’électron
(effet tunnel) maintient la cohérence entre le cœur
ionique et l’électron émis. Dans une vision statique,
le champ électrique abaisse la barrière de potentiel et
l’électron a donc une probabilité non nulle de traverser
cette barrière : c’est l’ionisation tunnel. Si le champ
électrique devient plus fort alors la barrière de potentiel
est abaissée complètement menant à l’ionisation par
suppression de la barrière de potentiel.
r Quelle est l’originalité de ce travail ?
La difficulté de notre investigation réside dans la
détection des phénomènes ultra-rapides (de l’ordre de la
femtoseconde). La technique utilisée repose sur une mise
en forme spatiale de l’excitation (réseau d’excitation)
et la cohérence du processus permet de produire des
harmoniques provenant des molécules excitées avec
un contraste important. Ceci permet de sonder leurs
dynamiques en observant le signal XUV émis en fonction
du délai entre les impulsions « pompe » et « sonde ».
Nos résultats se révèlent très cohérents avec les résultats
issus de la modélisation moléculaire.
r Dans quel cadre effectuez-vous ces recherches ?
Ce travail est issu d’une recherche collaborative via un
projet ANR appelé ‘Harmodyn’avec le CELIA (Centre
lasers intenses et applications) de Bordeaux et via un
programme international avec l’université d’Ottawa au
Canada. (http://harmodyn.celia.u-bordeaux1.fr)
Pour en savoir plus :
Conical Intersection Dynamics in NO 2 Probed by Homodyne
High-Harmonic Spectroscopy. H.  J. Wörner, J. 
B. Bertrand,
B. Fabre, J. Higuet, H. Ruf, A. Dubrouil, S. Patchkovskii,
M. Spanner, Y. Mairesse, V. Blanchet, E. Mével, E. Constant, P. B.
Corkum, D. M. Villeneuve. Science, MS no : RE1208664
Propos recueillis par Martine Poux
Contact : valerie.blanchet@irsamc.ups-tlse.fr
 Vie des laboratoires
>>> Michel MITOV, directeur de recherche CNRS,
Rajaa BITAR, doctorante et Gonzague AGEZ, maître
de conférences UPS, équipe « cristaux liquides » du
Centre d’élaboration des matériaux
et d’études structurales
(CEMES, unité propre CNRS, associée à l’UPS)
>>> Nanoparticules d’or organisées
en doubles spirales (image coloriée de
microscopie électronique à balayage)
et représentation schématique de
la structure hélicoïdale de la phase
cholestérique constituées
de molécules-bâtonnets.
© G. Agez, CNRS–CEMES
page 18 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Auto-organisation
de nanoparticules d’or
dans des cristaux liquides
cholesteriques
Ils sont colorés, brillants, et ils s’organisent tous seuls. Mais l’intérêt des assemblages
de nanoparticules d’or dans les cristaux liquides cholestériques va bien au-delà de ces
considérations, comme l’explique Michel Mitov, directeur de recherche au CNRS et ani-
mateur de l’équipe « Cristaux liquides » du groupe « Nanomatériaux » au CEMES.
r Qu’est ce qu’un cristal liquide cholestérique ?
Les cristaux liquides cholestériques ont été découverts
au dix-neuvième siècle dans la racine de la carotte ! Ils
sont composés de molécules allongées et chirales, qui
s’organisent en une hélice qui a le pouvoir de réfléchir
sélectivement la lumière. Le pas de l’hélice détermine
la longueur d’onde réfléchie. Le pas, et donc la couleur,
varie avec la température ou la pression mécanique.
La phase cholestérique est omniprésente dans le monde
vivant : la chromatine in vivo et in vitro, le collagène,
la chitine ou la cellulose. On la retrouve donc dans les
tendons, l’os compact, les écailles de poisson, la peau
de la poire ou la carapace des arthropodes comme
ces scarabées cétoines qui doivent à la structure
cholestérique leurs belles couleurs irisées Aujourd’hui,
ces propriétés sont exploitées dans des écrans
réflecteurs, des capteurs (pour la détection de tumeurs
ou de points chauds dans des circuits électroniques,
par exemple), dans la fabrication de billets de banque
infalsifiables ou encore dans des crèmes cosmétiques.
r Comment associer ces particules d’or aux
cristaux liquides cholestériques ?
L’assemblage de nanoparticules d’or en motifs
périodiques sont susceptibles de constituer des réseaux
présentant des propriétés optiques nouvelles. Nous
avons mis au point un protocole expérimental simple
pour élaborer un nanomatériau hybride associant des
nanoparticules d’or et un cristal liquide cholestérique.
À partir d’une suspension homogène de nanoparticules
dans un cholestérique, nous fabriquons un film
mince semi-libre sur une lame de verre. Après recuit,
nous figeons le film dans un état solide vitreux par
trempe thermique car nous avons choisi des cristaux
liquides cholestériques vitrifiables. La structure et
les propriétés physiques du nanomatériau sont alors
conservées à température ambiante et le matériau
va pouvoir être étudié par diverses techniques de
microscopie à diverses échelles. Ce traitement induit
une organisation symbiotique des nanoparticules d’or
dans le cholestérique, à l’interface entre le film et l’air,
dans des sites où les déformations de l’organisation
cholestérique sont fortes. Les nanoparticules
s’organisent en rubans parallèles, en doubles spirales
ou en cible. Bien que l’assemblage se produise en
surface, nous avons découvert que la nature de ce
motif dépend de l’épaisseur du film. La périodicité
de ces réseaux de nanoparticules est modulable, car
elle dépend directement du « pas de vis » de l’hélice
cholestérique.
r Quel est l’intérêt de ce nouveau matériau ?
L’auto-assemblage contrôlé de nanoparticules selon
des motifs périodiques est un sujet très actuel dans
les nanotechnologies car des réseaux organisés de
nanoparticules métalliques peuvent présenter des
propriétés optiques, électro-optiques, magnétiques
ou électriques très différentes des propriétés des
nanoparticules individuelles. Des méthodes simples et
peu coûteuses d’auto-assemblage de nanoparticules
sont donc activement recherchées pour manipuler
des assemblées de nano-objets. Ce nouveau protocole
d’élaboration permet de façonner sur demande
des réseaux sur de grandes surfaces — de plusieurs
millimètres carrés, à l’échelle du laboratoire, et sans
recours à une salle blanche. Ces organisations ne
dépendent pas du relief de la surface sur laquelle le
film est déposé — comme c’est souvent le cas avec
les substrats nanotexturés —, ni même de conditions
particulières quant à la nature du substrat comme
les méthodes de lithographie classiques l’exigent. Elles
peuvent trouver des applications potentielles dans
le domaine des nanotechnologies douces utilisant la
matière molle (soft nanotechnology) et des matériaux
pour l’optique.
Pour en savoir plus :
Cholesteric liquid crystal self-organization of gold nanoparticles.
Rajaa Bitar, Gonzague Agez, Michel Mitov, Soft Matter, 2011,
7, 8198
Propos recueillis par Guy Lavigne
Contact : michel.mitov@cemes.fr

>>> Olivier NEYROLLES, directeur
de recherche CNRS à Institut de
pharmacologie et de biologie structurale
(IPBS, unité mixte CNRS/UPS). Équipe
« Interaction des mycobactéries avec les
cellules hôtes »
>>> Bacille tuberculeux (M. tuberculosis) dans
un macrophage. Le compartiment dans lequel
réside le bacille (vacuole appelée phagosome)
est riche en zinc, que l’on voit sous forme
de petits dépôts noirs (sulfate de zinc) en
microscopie électronique après traitement
spécifique. Chantal de Chastellier,
CIML, Marseille
Un rôle nouveau des métaux
lourds dans l’immunité
anti-tuberculose
La tuberculose cause encore plus d’un million et demi de décès chaque année dans le
monde. L’équipe d’Olivier Neyrolles à l’IPBS vient de démontrer comment le bacille de la
tuberculose échappe aux tentatives d’empoisonnement par les métaux lourds
r Quelles sont les interactions entre le bacille
de la tuberculose et les cellules chargées de sa
destruction ?
Les macrophages sont des cellules immunitaires
présentes dans tous les tissus et chargées entre autre
d’ingérer et de détruire les microbes. Les particules
ingérées par phagocytose, sont concentrées dans
des vacuoles intracellulaires, les phagosomes, qui
normalement détruisent les microorganismes. Un
moyen supplémentaire dont dispose les macrophages
est de priver les microbes de nutriments essentiels tel le
fer en l’excluant des phagosomes. La situation est très
différente dans le cas du bacille tuberculeux puisque
celui-ci a la capacité de bloquer la maturation du
phagosome et de maintenir des conditions favorables à
sa croissance.
r Comment se place le mécanisme que vous
décrivez dans la lutte anti-infectieuse ?
On savait que pour détruire les microorganismes, les
macrophages sont capables de priver les microbes de
nutriments essentiels comme le fer en l’excluant des
phagosomes. Nous venons de décrire un tout nouveau
mécanisme. Dans les macrophages, les phagosomes sont
aussi capables d’accumuler des métaux lourds, comme le
zinc, à des concentrations potentiellement toxiques pour
les microbes. Des collègues américains ont rapporté le
même phénomène pour le cuivre. Nous avons également
montré que M. tuberculosis résiste à cette intoxication
par le zinc, en l’effluant à l’extérieur de la bactérie sous
l’action d’une pompe appelée CtpC. C’est également un
rôle nouveau pour ces pompes d’efflux, de participer à la
virulence mycobactérienne.
r Etudiez-vous d’autres mécanismes, d’autres
microbes ?
Nous souhaiterions à l’avenir travailler sur d’autres
microbes, en particulier pulmonaires, afin de comparer
l’immunité contre ces pathogènes très différents avec
l’immunité anti-tuberculeuse. Pour le moment, nous
travaillons uniquement sur M. tuberculosis.
Nous étudions en particulier les récepteurs permettant
page 19
Vie des laboratoires
aux cellules immunitaires de reconnaître les bacilles, et
les signaux intracellulaires qui sont générés à la suite
de cette reconnaissance. Nous utilisons des modèles
cellulaires et aussi des souris génétiquement modifiées,
inactivées dans ces récepteurs. Nous isolons des mutants
de M. tuberculosis ne parvenant plus à parasiter les
macrophages. L’identification des gènes mutés fournit
de précieux renseignements sur les stratégies développées
par le bacille pour infecter son hôte.
r D’après cette découverte, envisagez vous qu’il
soit possible d’intervenir sur la défense
de l’hôte ?
Concernant le rôle du zinc et d’autres métaux,
comme le cuivre, on peut envisager de traduire, à
plus ou moins long terme, notre découverte en termes
thérapeutiques. On peut imaginer de développer des
outils, des médicaments, renforçant cette intoxication
aux métaux lourds. On peut aussi imaginer développer
des antibiotiques bloquant spécifiquement les pompes
bactériennes de protection contre les métaux. Nous
développons aussi au laboratoire des souches de M.
tuberculosis, dont les pompes sont inactivées, qui
pourraient constituer des vaccins vivants atténués.
Une dernière application consisterait à ajouter aux
traitements antibiotiques, des régimes enrichis en zinc
et en cuivre. Des essais cliniques contradictoires ont déjà
été menés sur ce sujet. Ils méritent d’être renouvelés
en tenant compte de davantage de paramètres, tel le
patrimoine génétique des patients et leur capacité à
métaboliser le zinc.
Pour en savoir plus :
Mycobacterial p(1)-type ATPases mediate resistance to zinc
poisoning in human macrophages Botella H et al. Cell Host
Microbe. 2011 Sep 15 ; 10 (3) : 248-59.
Propos recueillis par Patrick Calvas
Contact : olivier.neyrolles@ipbs.fr
 Vie des laboratoires
>>> Joost VAN MEERWIJK (au centre de la photo),
professeur à l’université Paul Sabatier, et son
équipe au Centre de physiopathologie de Toulouse
Purpan (CPTP, unité mixte 1043 UPS/Inserm/CNRS)
>>> Les lymphocytes T régulateurs
CD8+ issus de souris déficientes
en AIRE ne protègent pas contre la
colite. A) Colon normal; B) Colite
induite par injection de lymphocytes
T colitogènes; C) Prévention de la
colite expérimentale par injection
des lymphocytes T régulateurs issus
de souris normales. La muqueuse
du colon a repris son aspect normal;
D) L’injection des lymphocytes T
régulateurs issus de souris déficientes
en AIRE ne protège pas contre
la colite. Coloration par Eosine/
Hématoxyline. Grossissement x100.
© J. van Meerwijk
page 20 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
Des lymphocytes impliqués
dans la prévention
des maladies inflammatoires
chroniques de l’intestin
C’est en apprenant à reconnaître les microbes et les nutriments utiles au fonctionnement
de l’intestin que le système immunitaire préserve la santé du tube digestif. L’équipe de
Joost van Meerwijk, au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan, vient de mettre
en évidence que la sélection précoce, dans le thymus, de certains lymphocytes T régu-
lateurs joue un rôle fondamental dans la capacité de ces lymphocytes à prévenir des
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)
r Qu’est-ce qu’une inflammation chronique
de l’intestin ?
L’appareil digestif pose un problème particulier pour
le système immunitaire : il doit à la fois tolérer les
constituants inoffensifs du tube digestif (comme la flore
et les nutriments) et protéger l’organisme des infections
par des micro-organismes pathogènes. En absence d’une
telle tolérance, se développe une inflammation chronique
de l’intestin.
r En 2006, vous aviez montré le rôle important
d’une population de lymphocytes régulateurs,
les lymphocytes T CD8 + dans la prévention de
l’inflammation intestinale (1). Qu’est-ce qui est
nouveau aujourd’hui ?
Dans le thymus, les lymphocytes « apprennent »
à reconnaître et à différencier différents antigènes :
les antigènes synonymes de dangers pour l’organisme
(agents infectieux, virus, etc) et les antigènes
spécifiques de nos tissus, qui ne doivent pas être
considérés, eux, comme des éléments à « combattre »
L’article paru dans le PNAS met en évidence le rôle
majeur du facteur de transcription « AIRE » dans
la prévention, par les lymphocytes T régulateurs
CD8 + de l’inflammation intestinal dans un modèle
expérimental. Ce facteur active l’expression des
antigènes des tissus (intestin, pancréas, foie, etc.)
dans le thymus.
(1) Gastroenterology 131, 1775-1785.
r Comment avez-vous pu mettre en évidence
ce facteur de transcription AIRE ?
Pour parvenir à montrer l’implication du facteur
AIRE, nous avons dans un premier temps isolé des
lymphocytes T régulateurs chez des souris n’exprimant
pas le gène AIRE (souris « knock out »). Nous avons
testé leur fonction in vitro : ces cellules agissaient de la
même façon que les lymphocytes de souris normales ; elles
« régulaient » des réponses immunitaires. En absence
du facteur AIRE, les lymphocytes T régulateurs d’intérêt
conservent donc leur fonction immunosuppressive.
En revanche, in vivo ces cellules étaient incapables
de prévenir l’inflammation intestinale. En absence
d’AIRE, les lymphocytes T régulateurs censés reconnaître
spécifiquement les antigènes intestinaux et réguler par
conséquent l’inflammation dans le tube digestif, ne se
développent pas dans le thymus. AIRE joue donc un
rôle fondamental dans la sélection des lymphocytes T
régulateurs pendant leur développement dans le thymus,
protégeant ainsi l’organisme contre des pathologies
causées par le système immunitaire. L’équipe a donc
établi un lien entre la sélection de ces lymphocytes dans le
thymus et leur fonction dans l’intestin.
r Quelle application thérapeutique pourrait
découler de ces résultats ?
Une piste serait de trouver des moyens d’activer
les cellules régulatrices CD8 + et de réduire ainsi
l’inflammation dans l’intestin. L’identification du rôle
d’AIRE dans la prévention de l’inflammation chronique
de l’intestin pourrait donc concourir au développement
de nouvelles approches cliniques pour traiter les maladies
inflammatoires chroniques de l’intestin.
Pour en savoir plus :
Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 2011 ; 108, 12 437-12 442,
Propos recueillis par Christine Ferran
Contact : joost-van-meerwijk@inserm.fr

>>> Simon BLANCHET, charge de
recherché CNRS à la station d’Ecologie
Expérimentale de Moulis (Ariège), Etienne
DANCHIN, directeur de recherche CNRS,
responsable de l’équipe « évolution
culturelle » et directeur du Laboratoire
Evolution & Diversité Biologique (EDB,
unité mixte CNRS/UPS) et Susana VARELA,
actuellement en postdoctorat
à l’université de Lisbonne
L’hérédité au-delà de la génétique
Étienne Danchin et son équipe du laboratoire Evolution et Diversité Biologique
proposent avec des collègues américains, anglais et français une synthèse novatrice
sur l’hérédité qui va bien au-delà de la génétique.
r Dans une publication récente, vous passez
en revue les effets sur l’hérédité de plusieurs
grands mécanismes autres que l’hérédité.
Quels sont ces mécanismes ?
Notre propos était de montrer l’existence de processus
d’hérédité non liés à la seule transmission de la séquence
de l’ADN entre générations. Ces transmissions peuvent
relever de plusieurs domaines comme par exemple
des phénomènes culturels ou environnementaux. Des
exemples s’accumulent chez les plantes et les animaux.
Les souriceaux femelles expérimentalement privés de
soins maternels lors du développement deviennent
par exemple des mères peu soigneuses, perpétuant ce
comportement atypique de génération en génération.
Cette hérédité résulte de changements épigénétiques
du gène du récepteur alpha aux œstrogènes dans le
cerveau des jeunes femelles qui les conduisent lorsqu’elles
deviennent mères à leur tour à ne pas prendre soin de
leurs jeunes. Cette hérédité épigénétique est démontrée
dans de nombreuses situations.
r Comment lier ces transmissions non
génétiques à l’évolution ?
Par exemple, il a été démontré chez de nombreuses
espèces que les préférences sexuelles sont influencées par
l’expérience sociale antérieure, affectant ainsi l’évolution
génétique. Ainsi, chez certains poissons (Molly-voile,
Mollienesia veleferia) la préférence naturelle des
femelles va aux mâles de grande taille. Cependant, si
ces mêmes femelles observent des petits mâles en train
de copuler (donnant ainsi l’impression d’attirer avec
succès les femelles) et des grands mâles apparemment
pas attractifs pour d’autres femelles, elles vont changer
leur préférence et préférer maintenant les petits mâles.
On constate donc qu’un trait comportemental aussi
important que la préférence sexuelle, trait que l’on
page 21
Vie des laboratoires
croyait sous fort contrôle génétique, est en fait en
grande partie appris socialement suggérant l’existence
d’une transmission sociale entre générations. De tels
phénomènes ont été décrits chez des groupes aussi variés
que des poissons, des oiseaux ou des drosophiles.
r Comment envisagez vous de dévoiler ce type
de mécanisme ?
À terme, de nombreuses approches sont possibles.
Notre laboratoire, avec ses partenaires, a toutes les
compétences nécessaires, de l’étude du comportement à
la génétique moléculaire. Nous souhaitons par exemple
étudier à l’échelle d’une population l’impact de la
transmission culturelle sur la spéciation en partant de
l’expérience précédente. Nous envisageons aussi d’étudier
la traduction transcriptomique ou de fonctionnement
neurologique des modifications comportementales
induites. Nous souhaitons également étudier et
comprendre théoriquement comment une transmission
horizontale (culturelle ou écologique) peut modifier
les trajectoires évolutives des populations naturelles.
Enfin il restera à étudier les effets de cette hérédité sur
l’évolution fonctionnelle et structurelle des génomes et à
intégrer l’ensemble des dimensions de l’hérédité dans une
nouvelle théorie évolutive moderne. Toutes ces approches
relèvent du Labex TULIP récemment labellisé.
Pour en savoir plus :
Beyond DNA : integrating inclusive inheritance into an extended
theory of evolution. E. Danchin, A. Charmantier, FA Champagne,
A. Mesoudi, B Pujol, S Blanchet. Nature Reviews Genetics. 2011 ;
12 : 475-486.
Propos recueillis par Patrick Calvas
Contact : edanchin@cict.fr
>>> En montrant à des femelles drosophiles (Drosophila
melanogaster) des mâles poudrés de rose en train
de copuler puis des mâles poudrés de vert en train
de se faire rejeter par une femelle, on a modifié
artificiellement les préférences sexuelles des femelles.
Celles-ci se mettent à préférer les mâles roses ! (Mery, F.,
Varela, S. A. M., Danchin, É., Blanchet, S., Parejo, D.,
Coolen, I. & Wagner, R. H. 2009. Public Versus Personal
Information for Mate Copying in an Invertebrate. Current
Biology, 19, 730-734.)
 les recherches
sur le cancer
>>> Christophe CAZAUX, professeur
à l’UPS, vice-président de l’association
de l’Oncopole de Toulouse et chercheur
à l’Institut de pharmacologie et biologie
structurale (IPBS, unité mixte UPS/CNRS)
page 22 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23
L’Oncopole de Toulouse :
moteur de la recherche
en cancérologie
En novembre 2005, notre magazine scientifique présentait un dossier
décrivant la recherche sur le cancer à Toulouse. Il traitait notamment
de résultats encourageants obtenus par les équipes du site toulousain.
Six ans après, il nous a semblé important de revenir sur cette théma-
tique, compte tenu de ses évolutions rapides à Toulouse.
Les équipes toulousaines ont en effet maintenant de Toulouse (CRCT, unité mixte avec l’Inserm et
à leur très prochaine disposition une structure le CNRS), l’ITAV au Centre Pierre Potier (unité
nouvelle, l’Oncopole (sans ô, car il s’agit bien mixte de service CNRS/UPS/INSA). Elle pilote
d’une « cité » – polis en grec- du cancer), avec un ainsi actuellement une initiative de la Fondation
programme médico-scientifique désormais défini. Innobiosanté destinée à écrire le « projet global »
de l’Oncopole afin de répondre à un futur appel
Essais cliniques d’offre national dédié à la cancérologie. Elle
L’Oncopole s’appuie sur les points forts et soutient aussi fortement la candidature de
reconnus de Toulouse dans le domaine de l’Oncopole au labex TOUCAN (Toulouse Cancer),
la cancérologie. Il s’agit pour la recherche à l’appel d’offre SIRIC (Site de recherche intégrée
clinique de l’hémato-cancérologie et des sur le cancer) de l’Institut National du Cancer
cancers gynécologiques, s’appuyant notamment et au projet d’un futur « musée du cancer »,
sur le savoir-faire toulousain en termes de inscrit dans le Plan Campus. Au delà de ce rôle
gestion des essais cliniques précoces, et pour moteur, l’université participera à sa mesure
la recherche translationnelle de l’étude du au développement de ce très grand campus
microenvironnement et de la reconnaissance (220 ha) qu’est Toulouse-Langlade. En effet la
immunologique de la tumeur ainsi que de diversification via l’Oncopole du développement
l’instabilité de son génome. industriel toulousain, tel que voulu par ses
L’Oncopole sera toutefois au cœur d’un réseau initiateurs, passera par la création d’emplois et
plus vaste (réuni dans un RTRS, l’un des deux l’implantation sur le site de start-up et sociétés de
concernant le cancer en France) de laboratoires biotechnologies, dont beaucoup émaneront des
toulousains reconnus pour d’autres compétences travaux des chercheurs et enseignant-chercheurs
(immunologie, expression des gènes, biologie du de l’université.
développement, etc.). Nous présentons dans ce
dossier les principaux axes de recherche actuels,
Contact : christophe.cazaux@ipbs.fr
regroupés autour des 4 « piliers » de l’Oncopole :
la recherche clinique, la recherche
fondamentale et translationnelle,
le transfert technologique et le
partenariat académique avec
l’industrie pharmaceutique.
Hôpital et recherche
L’Université Paul Sabatier est de
fait le dénominateur commun de
toutes ces initiatives publiques
de l’Oncopole : elle est le « U »
de l’Institut universitaire du
cancer qui comprend la future
clinique du cancer et le Centre
>>> Vue aérienne de l’Oncopole de Toulouse.
de recherche en cancérologie

dossier
>>> Jean-Jacques FOURNIE, directeur
de recherche au CNRS, directeur du
Centre de recherche en cancérologie de
Toulouse (CRCT, unité mixte Inserm /
UPS / ERL / CNRS).
>>> Le cancer se
développe par mutation
de gènes présents dans
le noyau de nos cellules.
Par des techniques
d’imagerie moléculaire,
il est possible de
marquer ces gènes pour
observer leur expression.
Sur cette image, on peut
ainsi identifier les gènes
pp65 (rouge) et GFP (vert)
dans les cellules d’un
cancer du sein. © J.
Valladeau/Inserm
Trouver de nouvelles approches
thérapeutiques : le défi majeur du CRCT
Diagnostic précoce, thérapie génique, traitements adaptés à l’agressivité du
cancer et à la réponse de chaque patient: au Centre de recherche en cancérologie
de Toulouse, les approches anticancéreuses se veulent plus précises, plus ciblées
et plus efficaces.
Le fait qu’une cellule saine devienne cancéreuse s’explique
par un dérèglement génétique. Identifier les gènes altérés
dans chaque cancer, et trouver les moyens de réparer ces
dérèglements est un axe de recherche majeur. L’équipe
dirigée par Louis Buscail est en train de tester, dans le
cadre d’un essai clinique de phase I/II promu par le CHU
de Toulouse, une thérapie génique appliquée au cancer du
pancréas et au carcinome hépatocellulaire.
Plus ou moins agressif
Un cancer est plus ou moins agressif selon la façon dont
la tumeur se développe dans le tissu. Un des axes de
recherche au CRCT consiste notamment à d’étudier le
micro environnement tumoral. De nouveaux marqueurs
déterminant l’agressivité de cancer, notamment du
pancréas et du poumon ont ainsi été découverts
récemment. Les équipes du CRCT s’intéressent également
à la manière dont certaines cellules cancéreuses résistent
progressivement à la chimiothérapie et provoquent des
rechutes. Leur but : augmenter la durée des rémissions
et améliorer la qualité de vie des personnes traitées.
Cette recherche concerne particulièrement les cancers du
sang (leucémie, lymphome et myélome), dont l’incidence
augmente de façon préoccupante. Elle se focalise sur les
leucémies myéloides aigües et sur les lymphomes car il
page 23
Les recherches
sur le cancer
s’agit de pathologies pour lesquelles existent de solides
espoirs d’améliorer l’issue du traitement.
L’efficacité des traitements varie
Enfin, l’efficacité des traitements varie d’un patient à
l’autre Plusieurs équipes du centre étudient l’origine
des différences d’efficacité des traitements actuels pour
améliorer les cas encore insuffisamment efficaces et
bien sûr proposer de meilleurs traitements pour tous.
Ces nouvelles options thérapeutiques, encore à un stade
expérimental, seront mises en place dans les services de
l’Institut universitaire du cancer (IUC), en collaboration
avec les équipes de recherche du CRCT. L’originalité de
notre démarche repose sur une recherche fondamentale
adaptée aux problèmes cliniques posés par chaque patient.
À court terme, nous voulons être capables, à partir d’un
petit prélèvement de cellules malignes, d’identifier les
anomalies du génome responsables de son cancer. Les
cliniciens de l’IUC pourront alors traiter ces informations
personnalisées et proposer au patient les meilleures options
thérapeutiques possibles.
Traitement à la carte
Compte tenu de la personnalisation de la médecine, de
l’émergence de nouvelles technologies de diagnostic précoce
et de l’arrivée en oncologie du séquencage du génome
humain à faible coût, le paysage de cette discipline s’élargit
considérablement. Les prochains enjeux de la recherche en
cancérologie seront non seulement scientifiques, médicaux
et technologiques mais aussi sociologiques, éthiques et
économiques. Les équipes du CRCT prévoient d’intégrer des
projets de recherche transversaux intégrant notamment
des mathématiciens, des physiciens des informaticiens,
mais aussi des spécialistes des sciences sociales et des
économistes. Ce centre de recherche a donc une vocation
extrêmement multidisciplinaire, qui se manifestera par
les thèmes de recherche qu’il abritera dès les prochaines
années.
Contact : jean-jacques.fournie@inserm.fr
 Les recherches
sur le cancer

Sphéroïdes et imagerie 3D
pour comprendre la prolifération
tumorale
Pour étudier la prolifération des cellules cancéreuses et évaluer la réponse aux
traitements, des chercheurs de l’Institut des technologies avancées en sciences
>>> Martine KNIBIEHLER, ingénieure de recherche
CNRS et directrice opérationnelle de l’ITAV
du vivant ont mis au point de nouveaux modèles de culture cellulaire en 3D.
(unité mixte de service CNRS/UPS/INSA)
Un hôtel à projets, voilà comment se définit l’ITAV modèles originaux de sphéroïdes, un modèle 3D plus
(Institut des Technologies Avancées en sciences du proche de la tumeur que les cultures cellulaires en
Vivant). Il est destiné à accueillir des recherches monocouche, mimant in vitro son organisation et son
interdisciplinaires et innovantes dans le domaine des hétérogénéité. Le développement de dispositifs autorisant
technologies pour la santé et de l’étude du vivant. le contrôle de leur croissance permet d’aborder l’étude
Les équipes-projet bénéficient d’un environnement des contraintes mécaniques sur la croissance tumorale.
technologique remarquable, constitué de trois L’utilisation de la microscopie SPIM permet l’imagerie
plateformes dans les domaines de l’imagerie photonique
multi-échelle, de la synthèse chimique automatisée et des
bionanotechnologies.
Les trois plateformes participent aux recherches sur le
dossier

cancer. Compte tenu de la place disponible, nous avons

choisi de présenter ici un des axes de recherche, situé à
l’interface entre l’imagerie et les bionanotechnologies.
Les équipes de Bernard Ducommun et de Christophe
Vieu ont développé de nouveaux modèles de culture
cellulaire en 3D, l’ingénierie de micro dispositifs, et mis
en place de nouveaux outils d’imagerie pour étudier
la prolifération tumorale et évaluer la réponse aux
traitements.
Imagerie de sphéroïdes par SPIM. (Gauche) : Sphéroïde de cellules
HCT116 exprimant la protéine nucléaire fluorescente Histone H2B-
HcRed (barre : 50µm). (Centre) : région d’une image en profondeur
de la reconstruction présentée à gauche sur laquelle une cellule
mitotique avec ses chromosomes condensés est visible. (Droite):
Reconstruction 3D de la portion d’image présentée au centre. Les
iso-surfaces correspondent aux noyaux en interphase (bleu) et en
mitose (rouge). © Valérie Lobjois/ITAV

Une réalisation majeure a été le développement d’un
nouveau système d’imagerie cellulaire, appelé SPIM,
qui permet de visualiser en trois dimensions des
structures biologiques et des organismes de grande
taille dans des conditions compatibles avec la poursuite
de leur développement. Un « SPIM de routine » est
aujourd’hui ouvert à la communauté scientifique et
accessible sur le plateau d’imagerie de l’ITAV intégré
à la plateforme d’imagerie TRI du GENOTOUL et
labellisé IBiSA (*). Cette réalisation et la poursuite de
développements originaux en imagerie s’appuient sur des
collaborations avec des équipes de l’Institut de recherche
en informatique de Toulouse (IRIT) et de l’Institut de
mathématiques de Toulouse (IMT).
Sphéroïdes
Pour étudier la prolifération tumorale, les équipes font
également porter leurs efforts sur le développement de
en profondeur des aspects spatio-temporels de la
dynamique de prolifération cellulaire en 3D au sein des
sphéroïdes (voir un exemple dans la figure). Ces modèles
cellulaires, l’ingénierie de dispositifs originaux, et les
outils d’imagerie développés ouvrent également des
perspectives dans l’étude des modalités de réponse aux
agents chimiothérapeutiques et aux radiations ionisantes
dans des structures 3D.
* Le développement de ce nouvel instrument n’aurait pas été
possible sans le soutien financier des institutions et associations
suivantes : CNRS, Université Paul Sabatier, Région Midi-Pyrénées,
MRCT, fondation InNaBioSanté, Cancéropôle Grand-sud Ouest,
GIS IBiSA, Ligue contre le Cancer, Association pour la Recherche
sur le Cancer.
Contact : martine.knibiehler@itav-recherche.fr

page 24 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23

dossier
>>> Détection d’anomalies
chromosomiques tumorale.
© Daniel Pissaloux/inserm
Stratégies thérapeutiques dans
le myélome.
En 1990, un patient atteint de myé-
lome avait une espérance de vie
de 2 ans. Grâce à plusieurs pro-
grammes de recherche clinique de
phase II et III, initiés et coordonnés
par le centre toulousain d’hémato-
logie, l’espérance de vie moyenne
est passée à plus de 10 ans, avec un
espoir de guérison pour un nombre
croissant de patients. Un nouvel es-
sai de phase III, promu par le CHU
de Toulouse et regroupant plus de
100 centres français et américains,
est actuellement en cours. Objectif :
intégrer à la démarche thérapeu-
tique tous les progrès réalisés dans
les 10 dernières années mais aussi
procéder à l’analyse du génome
complet de 1 000 patients atteints
de myélome.
L’Institut universitaire du cancer,
un établissement de soins unique
en France
Mariage entre le CHU de Toulouse et l’Institut Claudius Régaud, ce nouvel hôpital
de plus de 300 lits résolument tourné vers la recherche ouvrira ses portes en 2013
sur le site de l’Oncopole.
L’Institut universitaire du cancer (IUC), s’élève petit à
petit. Il associera, autour des patients et des services
de soins, la recherche fondamentale et clinique pour
accomplir dans son ensemble le cycle qui va de la recherche
au traitement de la maladie. Son principal objectif est
de promouvoir la recherche clinique et de garantir aux
patients l’offre de soins la plus innovante. L’IUC abritera
une direction de la recherche clinique dédiée au cancer. Des
lits dédiés à cette recherche, associés à 13 plateformes sur
un même site offrant de façon exhaustive la technologie
utilisée aujourd’hui en cancérologie, communes avec le
Centre de recherche en cancérologie de Toulouse (Unité
mixte de recherche Inserm / UPS / CNRS), permettront
d’assurer un continuum dans le circuit de la recherche
autour du médicament. Enfin un Centre de ressource
biologique « oncologique » unique en Midi-Pyrénées doit
être mis en place sur le site de l’IUC.
Améliorer la prise en charge des patients
Pour accélérer la prise en charge initiale des patients,
une plateforme de consultation polyvalente spécialisée
sera créée. Pour garantir l’égalité d’accès aux soins des
malades de la région, l’IUC organisera un centre de
décision thérapeutique et d’orientation des malades.
Ce centre regroupera les « réunions de concertation
pluridisciplinaire » (RCP) des établissements de soins
publics, au cours desquelles la prise en charge d’un patient
est décidée de façon collégiale. Par ailleurs, un espace
d’échanges et de formations des professionnels de santé
est prévu sur les outils diagnostics, les nouvelles stratégies
thérapeutiques…
Rationaliser l’offre de soin
La construction de l’IUC était l’occasion de restructurer
et de rationaliser l’offre de soin publique en oncologie sur
page 25
Les recherches
sur le cancer
le grand Toulouse. Ainsi, chacun des 3 établissements
(IUC, Rangueil-Larrey et Purpan) sera spécialisé dans un
domaine de l’oncologie. Les disciplines propres à l’IUC
seront : l’hématologie, l’oncologie de la femme, les cancers
ORL, les mélanomes, les sarcomes (tumeurs rares mais
très agressives et très résistantes), l’urologie (en dehors de
l’urologie chirurgicale qui restera à l’hôpital Rangueil). Les
autres types de cancers continueront à être pris en charge
à l’hôpital Purpan et l’hôpital de Larrey-Rangueil. De
plus l’IUC hébergera un certain nombre de structures très
spécialisées qu’il mettra en commun avec les hôpitaux et
les établissements partenaires de la région (réanimation
oncohématologique, radiothérapie spécialisée, structures de
recherche, laboratoires…)
Dépistage
Actuellement, le dépistage est organisé pour un certain
nombre de cancers. Cependant, une fois le dépistage
réalisé, le patient est souvent laissé à lui-même pour la
suite du parcours médical. L’IUC a pour ambition de
coordonner l’organisation de la prise en charge de ces
patients par la création d’un centre de prise en charge des
anomalies révélées lors du dépistage. Cette organisation
permettra l’étude épidémiologique et médico-économique
de ces cancers précoces et de leur dépistage. Enfin, il est
prévu la constitution d’une tumorothèque spécifique de ces
tumeurs précoces ou précancéreuses susceptible d’alimenter
la recherche.
Michel Attal, professeur hospitalo-universitaire,
chef de service d’hématologie au CHU de Purpan,
président du Groupement de coopération sanitaire
de préfiguration de l’IUC.
Email : attal.m@chu-toulouse.fr
 Les recherches
sur le cancer

Un nouveau partenariat
efficace recherche-industrie
pour de nouveaux
médicaments anti-cancéreux
Depuis plus de 20 ans, le CNRS et les Laboratoires Pierre Fabre mènent en-
semble des programmes de recherche et développement avec l’objectif de
découvrir de nouveaux agents anticancéreux. Ce partenariat a conduit à la
mise sur le marché de deux médicaments de la famille des alcaloïdes de la
pervenche tropicale (Catharanthus roseus) : la Navelbine® (vinorelbine), uti-
lisée mondialement pour le traitement des cancers du poumon et du sein, et
le Javlor® (vinflunine) récemment enregistré en Europe pour le traitement du
cancer de la vessie en seconde ligne thérapeutique.

Engagement fort de l’ADN, essentielle à la tumorigénèse et à certains

>>> Paola B. ARIMONDO, directrice de recherche
CNRS, directrice de l’USR CNRS-IRPF ETaC
et François SAUTEL, cadre à Pierre Fabre,
de l’équipe 1 « Chimie des substances
naturelles bioactives » de l’ETaC.
>>> Poikilospermum suaveolens (Blume) Merr.
(Cecropiaceae) récolté à Koh Kong,
nom vernaculaire khmer : buffle bossu.
@Christophe Long/ETaC-IRPF
Depuis janvier 2011, l’Institut de Recherche Pierre
Fabre (IRPF) et le CNRS ont créé une nouvelle structure
scientifique partenariale, l’Unité de service et de
recherche (USR 3 388) intitulée « Pharmaco-chimie
de la régulation épigénétique du cancer - ETaC » qui
lie intimement recherche fondamentale et recherche
appliquée. La création d’une USR constitue un
engagement fort des acteurs pour donner un nouvel
élan à ce partenariat unique en France. Cette USR ETaC
repose sur 3 composantes fonctionnelles complémentaires
et intimement intégrées : d’une part deux plateformes
à vocation technologique et méthodologique avec une
équipe dédiée à la chimie des substances naturelles
(biodiversité végétale et microbienne, chimie extractive
et analytique, synthèse) et une plate-forme de criblage
pharmacologique de visibilité nationale. Cette plateforme
de criblage (labellisée IBiSA en 2009) joue un rôle
moteur dans la création de la plate-forme intégrée
de criblage de Toulouse (PICT) (miniaturisation et
automatisation des tests pharmacologiques, criblage
de chimiothèques et d’extraits naturels). L’USR ETaC
intègre d’autre part une équipe de recherche nouvelle
travaillant sur une thématique émergente en oncologie,
la régulation épigénétique du cancer. Chimistes et
biologistes étudient ensemble au sein de la même unité
le rôle et le contrôle des marques épigénétiques dans
le cancer, en particulier le mélanome métastatique, en
lien étroit avec les équipes de recherche en oncologie
Pierre Fabre et les cliniciens. L’Unité travaille sur des
aspects fondamentaux innovants (nouvelles cibles,
nouveaux mécanismes), tout en maintenant une
dimension appliquée (recherche de principes actifs
et candidats médicaments). Les recherches de l’USR
ETaC aux niveaux moléculaire et cellulaire conduiront
à une meilleure compréhension des mécanismes de la
régulation épigénétique, en particulier de la méthylation
phénomènes de chimio-résistance. L’identification et
la conception d’outils pharmacologiques et chimiques
(par exemples de nouveaux inhibiteurs de méthylation
de l’ADN) permettront à la fois d’élucider des
mécanismes biologiques, de proposer de nouvelles cibles
thérapeutiques et de découvrir de nouveaux agents anti-
tumoraux.
Une orientation clinique marquée
L’USR « ETaC » est hébergée sur l’Oncopole de
Toulouse-Langlade au sein du nouveau Centre de
recherche et développement Pierre Fabre (CRDPF),
L’appartenance mixte permet de travailler en étroite
collaboration avec les laboratoires de l’un et de l’autre
partenaire. Ses interlocuteurs privilégiés sont le Centre
Pierre Potier (Institut des technologies avancées du
vivant, ITAV) et dans un proche avenir le futur Institut
universitaire du cancer et le Centre de recherche en
cancérologie de Toulouse. La proximité des différents
acteurs du campus de l’Oncopole générera des projets
collaboratifs avec une orientation clinique marquée
(recherche transversale, de la recherche fondamentale
au patient en passant par le développement
pharmaceutique).
Cette structuration nouvelle de l’USR CNRS-Pierre
Fabre « ETaC », du CRDPF et de l’Oncopole Toulouse-
Langlade est un atout considérable en termes de visibilité
nationale et internationale. Participant déjà activement
à la vie scientifique de la chimie sur Toulouse (l’ETaC est
membre de l’ICT), le réseau important de collaborations
nationales et internationales dont dispose l’ETaC servira
de levier pour attirer de nouveaux talents et de nouveaux
projets.
Contact : paola.arimondo@dr14.cnrs.fr

page 26 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 23

La Recherche à l’UPS
Le Potentiel de Recherche de l’Université Paul Sabatier se répartit sur
66 laboratoires, la plupart unités mixtes avec le CNRS, l’INSERM, l’IRD,
l’INRA, le CNES…
1500 enseignants-chercheurs, 950 chercheurs 1200 personnels
techniques et administratifs travaillent dans ces laboratoires..

Les quatre grands pôles de recherche sont :

> MST2I (Mathématiques et Sciences et Technologies de l’Information et
de l’Ingénierie) : 5 laboratoires mixtes, 1 laboratoire CNRS, 3 EA, 5 fédérations
> UPEE (Univers, Planète, Espace, Environnement) : 7 laboratoires mixtes,
1 Observatoire
> SM (Sciences de la matière) : 9 laboratoires mixtes, 3 laboratoires CNRS,
2 Fédérations
> SV (Sciences du vivant) : 21 laboratoires mixtes, 1 laboratoire INRA,
11 EA, 7 Fédérations
A ces quatre pôles, il faut ajouter un axe : CIGEDIL (Communication, Information,
Gestion et Didactique des Langues) : 1 EA, et 2 unités universitaires
EA : équipe d’accueil

1700 doctorants sont inscrits à l’UPS, répartis dans 11 Ecoles Doctorales,

dont 6 pilotées par l’UPS.

Pour plus de détails consultez : www.ups-tlse.fr rubrique “recherche”

© P. DUMAs
© OMP
Les Masters à l’UPS
21 > Biochimie et biotechnologies
Biosanté

mentions Chimie
Écologie

différentes
Électronique, électrotechnique, automatique
Génie civil
Le cursus master comporte une Génie mécanique en aéronautique
centaine de spécialités « recherche » Informatique
et « professionnelles », dont certaines
sont cohabilitées avec d’autres universités Informatique des organisations
et établissements de Toulouse. Matériaux
Mathématiques et applications
Mécanique, énergétique
Microbiologie - Agrobiosciences et Biologie des systèmes
Physique chimie
Physique et astrophysique
Procédés Physico-Chimiques
Santé publique
Sciences de la Planète et de l’environnement
Sciences du sport et du mouvement humain
Information et Communication
Système de Management