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le développement, ni les conflits, réels ou de bidonvillois, de paysans et de pasteurs.
supposés, entre les deux concepts. Comment se vit, à la base, la transition du
passé sur le futur ?
Ces contresens et ces oppositions, pour les
dépasser, il faut d’abord les comprendre. D’autre part, il faut les évaluer, ces
malentendus et affrontements, en les
Or, bien saisir les relations présentes «décortiquant», si l’on peut dire, en mettant
de la (ou des) culture(s) et du (ou des) «à plat» leurs éléments constitutifs et leurs
développement(s), et faire en sorte qu’elles mécanismes. Comment s’opère l’insertion
jouent positivement à l’avenir, s’avère des passés, celui de l’Occident et celui des
particulièrement difficile. Ceci est dû, d’abord, peuples du Tiers Monde, dans leurs futurs
à l’imprécision des termes qu’on emploie, à -distincts, ou communs ?
la fois à propos du contenu des concepts et
des contextes dans lesquels ils se situent, I. CULTURE ET DEVELOPPEMENT
tantôt par rapport aux sociétés occidentales, VECUS AU RAS DU SOL
tantôt par rapport à celles du Tiers Monde.
A ce point que, employant l’un ou l’autre «C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la
des vocables, l’on doit, chaque fois, les situer, nouvelle» (proverbe fon).
avec le plus de précision possible, dans le Comment un paysan bamiléké ou sérère,
temps et dans l’espace. un bidonvillois de Recife ou de Bombay,
A cela s’ajoute la confusion entre tes niveaux situent-ils ce qu’on leur propose comme
auxquels on se place. Dans des actions développement par rapport à leurs modes de
au ras du sol, menées par ou avec des vie, à leurs rapports avec les hommes et
groupes de base, les conflits, sans doute, l’environnement, et, plus généralement, à la
s’avèrent les plus vifs et les conséquences trame plus ou moins consciente qui soutend
des erreurs les plus graves. Il s’y ajoute, leur vie quotidienne ?
à d’autres niveaux -par exemple celui des La difficulté qui surgit, ici, réside dans le fait
politiques de développement, nationales ou que ceux qui mènent le développement sur
internationales- de profondes divergences, le terrain n’ont souvent pas, comme souci
dans l’interprétation du réel et dans les primordial, de tenir compte du contexte
pratiques, qui obèrent sérieusement l’avenir. culturel, ni même d’y porter quelque intérêt.
Ces rapports culture/développement, sans Il suffit, dans bien des cas, qu’un «problème»
doute faut-il les saisir dans une double ait été identifié pour qu’il soit assimilé à un
démarche. D’une part, là où ils blessent le plus besoin du groupe humain qui vit là et qu’on
visiblement, là où ils impliquent des groupes décide, ainsi, pour «développer» une zone,
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Rien à voir avec la forêt dont on nous a
dépouillés. Les arbres dont nous avons
besoin, certains donnent les poutres de
nos maisons, d’autres les clôtures, d’autres
les outils. D’autres encore servent comme
bois de feu. Pas arbre autour de nous : des
dizaines d’arbres différents, quelques-uns
buissonnent, d’autres s’épanouissent au
niveau intermédiaire, et d’autres pointent vers
le ciel. A chacun de ces étages, des écorces,
des feuilles et, aussi, des oiseaux, et leur
chair et leurs oeufs nous nourrissent.
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Le développement aboutit, ici, à un cul-de- Une équipe vient sur place (1), et écoute le
sac. Non pas que ce groupe paysan, et les groupe des hommes, celui des femmes, celui
femmes, refusent à jamais la modernisation. des jeunes. Les discussions révèlent vite que
Le moulin à mil et d’autres machines y la morbidité et la mortalité élevées, notamment
trouveront, un jour, leur place, mais pas celles des jeunes enfants, constituent la
aujourd’hui, et pas introduits sans référence préoccupation essentielle et que c’est l’eau
au contexte. La manière de faire les choses qui pose le problème majeur. Polluée, elle
importe, en effet, autant que ce que l’on fait. tue. Eloignée, elle est pénible, chaque jour,
à transporter. Ce qu’il faut, c’est un puits
L’ABONDANCE D’EAU CONTRE LA proche, pour la boisson, l’abreuvement des
SOLIDARITE bêtes, ainsi que pour l’irrigation de petits
Une amélioration décisive, aux yeux de jardins assurant un complément de nourriture
certains, des conditions du milieu peut, en en saison sèche. Mais avec quel moyen
fait, heurter les conceptions culturelles des d’exhaure ?
bénéficiaires supposés : en voici un exemple Tirer à la main ne suscite guère d’enthousiasme
en zone pré-désertique, aux confins du Mali (croquis 1). Par contre, la solution de la pompe
et du Niger. à moteur recueille, au début, l’accord de tous
Dans ce village et ce terroir, peuplés de Bella, (croquis 2).
«serviteurs» maintenant affranchis de leurs (1) constituée dans le cadre d’une session
maîtres touaregs, le problème est de réagir de formation organisée par ENDA TIERS
contre la sécheresse et de définir, à partir des MONDE, sur le thème «Femmes et
besoins de la population, les éléments d’un développement au Sahel».
développement environnemental.
SCHEMA N° 2
LOGIQUE DE L’INGENIEUR ET LOGIQUE DU GROUPE HUMAIN DANS LE CHOIX
TECHNIQUE
- QUELS BESOINS PRIORITAIRES ?
Deux jours de discussion, cependant, rendre dépendants ? Dans le quotidien, qui va
amènent à en rejeter le principe : gérer toute cette eau que va débiter la pompe
à moteur ?
Qui va donner le moteur, les pièces détachées,
le carburant ? disent les paysans. Ne vont- Le débat se circonscrit, alors, au choix entre
ils pas prendre du pouvoir sur nous et nous la poulie avec traction humaine (croquis 3),
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les bêtes qui ne sont pas les vôtres ?» - développement. En fait, quelle(s) culture(s)
«Impossible, répliquent les Bella. L’eau est ? Face à quelle(s) autre(s) ? Et, parmi les
à Dieu. Nos grands-pères et nos pères n’en possibles, quel(s) développement(s) ?
ont jamais refusé à personne. Jamais nous
Pour sortir de l’ambiguïté, d’une part, on
n’accepterons une abondance qui exclut
n’évite pas de plonger dans le temps, de se
nos voisins, ni une rupture avec nos règles
référer au contexte historique.
d’hospitalité. Nous préférons avoir moins
d’eau, et garder nos amis». Les rapports, pendant la période
coloniale, entre l’Indian Service et les Murda,
Paysans et citadins du Tiers Monde -et ceux ou Santal, ou bien, au Sahel, l’évolution des
qui travaillent avec eux- pourraient citer des images du progrès, traduites en termes
centaines, du plus, d’exemples du même type. de pompe ou de moteur... : les situations
Et d’emblée surgissent les questions. Celle- d’aujourd’hui, sur le terrain, s’éclairent par
ci, d’abord : parmi les difficultés que rencontre le jeu d’éléments qui se conjuguent et/ou
un peuple pour se développer, lesquelles s’opposent, résultant de longs processus.
relèvent de sa propre culture, et lesquelles de D’autre part, au-delà de l’extrême diversité
celles des autres, soit directement importées, des cas, on est amené à esquisser une
soit relayées sur place ? approche typologique, schématisant les plus
significatifs des rapports qui s’établissent,
Ou celle-là : comment faire pour que te
dans le Tiers Monde, ou en Afrique, entre
groupe concerné «rectifie le tir», réajuste par
culture et développement.
rapport à sa culture te contenu et ta forme du
développement qu’on lui propose ? 1. ELEMENTS DU FACE A FACE
CULTURE ET DEVELOPPEMENT
On ne peut éviter, alors, de se reporter au
contexte global, où s’inscrivent idéologies Aucun lieu, aucun acteur, aucun problème ne
politiques et actions de développement. Les se situe dans l’intemporalité.
difficultés vécues au ras du sol renvoient à Ce qui se noue sur le terrain se trouve plus
des analyses plus complexes, à un niveau ou moins intensément rattaché à un contexte
plus général. de processus et d’idées, qui va bien au-
II. CULTURE ET DEVELOPPEMENT delà. Les regards divergents et les points de
DANS LEUR CONTEXTE GLOBAL vue diffèrent sur les cultures, considérées
comme un tout, et sur leurs composantes.
Il est commun de lire ou d’entendre que Au «rationnel», ou prétendu tel, se mêle le
le développement menace les cultures du passionnel, avec sa charge de ressentiments
Tiers Monde et que celles-ci entravent le ou d’espoir...
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Ainsi, qu’elles soient traditionnelles ou néo- Certes, partout dans le monde, des économies
urbaines, les cultures africaines -aux yeux de et des sociétés ont connu, au cours des
certains- s’opposeraient au développement. siècles, des développements significatifs.
Mais le développement occidental, lui,
L’accusation appelle, du côté du Sud, quelques traduit, dans son style et dans son ampleur,
ripostes. La première est de crispation une conjonction historique exceptionnelle.
culturelle. Face à l’intrusion de la «modernité», Entre 1500 et 1800, l’Occident glisse de
des réactions de refus se produisent et certains la conscience de sa supériorité religieuse
prétendent se cramponner, par exemple, à à celle de sa supériorité technique et
la culture orale -la seule valable, disent-ils- au culturelle. Volontarisme, mutation culturelle,
lieu de revendiquer l’écriture dans toutes les enrichissement, changement des formes
langues, ou d’autres prônent un recours obligé du pouvoir, modification des rapports avec
à l’habit, ou à la construction traditionnels, ou le reste du monde..., l’Occident -cela va de
aux patronymes pré-coloniaux... soi- voit dans tous ces aspects des attributs
Et pour sauver des «coutumes», on retourne du développement, où qu’il se produise. Et,
parfois à des pratiques inacceptables, dans le même mouvement, il propose des
fondements rationnels de son hégémonie.
Une autre forme de réaction consiste dans L’Occident désolidarise des sciences
la mise en place de cultures baptisées humaines les sciences exactes, les techniques
«authenticité», «négritude», etc., se traduisant et, dans une certaine mesure, l’économie.
dans quelques rajouts architecturaux aux
Cette culture, à la fois, se désarticule,
villas de béton, ou dans le col et la calotte
s’impose et domine. Avec le temps, elle se fait
de tel chef d’Etat. Voilà, pour les catégories
plus subreptice. Elle n’exige plus d’emblée
privilégiées, un substitut à l’absence de
une adhésion globale.
solidarité avec les peuples. Cette pseudo-
culture se trouve, d’ailleurs, en accordance Elle se présente comme une «civilisation des
avec un pseudo-développement. moyens», qui se défend d’être porteuse d’un
dessein global.
Tout cela pèse-t-il d’un poids quelconque face
au rouleau compresseur de la «modernité» ? En Occident, culture et économie,
inséparablement, constituent ainsi le
UN DEVELOPPEMENT ressort commun des découvertes, de la
«CONQUISTADOR» colonisation et de la modernisation encore en
cours aujourd’hui. Une «culture conquistador»
Si l’Afrique ne s’en sort pas, n’est-il pas a déclenché et poursuit un puissant processus
légitime de la faire bouger ? de laminage des autres cultures par
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vont valoir, bientôt, l’attachement au lignage découper la réalité. Confrontées à d’autres
et le récit de la grand-mère par rapport à langues et d’autres manières de penser,
l’automobile ou au coca-cola. face à des réalités différentes, ces sciences,
dans certains cas, contribuent à déformer la
SCIENCE ET TECHNIQUE perception, à la réordonner selon des
UNIVERSELLES schémas de pensée propres à l’Occident et
Un apport indéniable du développement à à biaiser les actions ou les politiques qu’elles
l’occidentale aux cultures dominées serait sont censées éclairer.
celui de l’efficacité, qu’engendrent science et Si la science n’a pas toujours cette neutralité
techniques. irréprochable dont on la crédite, les objets,
Ce qui frappe, en effet, c’est le «scientisme» les biens matériels qui sont charriés par le
serein des Européens ou des Américains. développement, se caractérisent-ils par une
«Le culte de la science objective -écrit M. stricte indifférence aux contextes culturels ? Qu’il
MUDIMBE- science pure non engagée, s’agisse de vêtements, de transports, de modes de
renvoie à une raison occidentale, plus communication, d’appartements... : le fait qu’ils
précisément aux pratiques bourgeoises des aient été conçus en Europe ou en Amérique
sciences sociales en Occident, à la manière du Nord présente-t-il une quelconque
de la dépendance de fait de nos structures importance par rapport aux contextes
d’enseignement universitaire et de recherche africains ? Probablement, plus souvent qu’on
scientifique, dont les canons découlent ne le croit. L’objet conçu et/ou fabriqué à
en droite ligne de la tradition universitaire l’extérieur se révèle porteur, dans bien des
européenne et s’imposent à nous au même cas, d’une certaine «odeur», venue d’ailleurs.
titre que les vérités d’Evangile». L’outil, la technique, le produit introduits dans
les sociétés africaines y infusent quelque
En effet, ce que disent sur l’Afrique ou en chose du système de valeurs de la société
Afrique les économistes, ou les sociologues, «moderne» dont ils viennent. La chemise et
ou les spécialistes de la culture, s’inspire, la cravate supposent le climatiseur, qui crée
qu’ils le veuillent ou non, de références la distance sociale et favorise peu
implicites qui n’ont jamais été, et ne sont pas,
celles, des sociétés sur lesquelles ils écrivent. le contact avec les paysans ou les bidonvillois.
L’auto et l’appartement excluent la famille
Cette science, soi-disant universelle, se nombreuse. La structure de l’hôpital tranche
caractérise, de surcroît, par un découpage en d’avec la convivialité des soins traditionnels.
branches et en secteurs, qui s’est affirmé avec Les pupitres et la disposition de la salle de
le temps en Occident, et qui traduit différentes classe induisent hiérarchie et compétition (les
étapes de la culture occidentale pour premiers, au premier rang...), au détriment
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Les temps africain est autre, où les générations LE DON, A CONTRE-CULTURE ?
passées, présentes et futures sont comptables
d’un terroir ou d’une tradition, et où la notion Chaque culture porte ses propres
de temps de survie, et de perpétuation du contradictions. L’occidentale n’y échappe pas,
groupe, l’emporte sur tout autre. C’est bien agressive, «impérialiste», sans doute, mais
le contraire du temps continu et omnivalent combinant étrangement ces aspects avec
des Occidentaux, où travaux de production et des élans de générosité sans attente de
consommation se font sous la contrainte de contrepartie -survivance, peut-être, d’une
l’horloge et où l’on débite des quantités de charité sans attente de récompense divine- et
travail pour les vendre à l’heure. un sentiment de culpabilité historique.
Avec des dosages variables, pitié, mauvaise
L’activisme anxieux apporté par la culture
conscience et esprit de solidarité -entretenus
extérieure conduit à un état de tension
sur les murs des villes du Nord par l’image de
permanente. Et ceci colore la manière dont le
l’enfant biafrais qui n’en finit pas de mourir-
développement est introduit.
constituent les fondements pérennes de
Cette exigence d’efficacité, cette moné- l’«aide». Des tendances comme celles-ci se
tarisation inconditionnelle et ce temps- conjuguent pour aboutir, en première analyse
contrainte s’avèrent décisifs pour l’assi- tout au moins (1), à un déversement de dons
milation du développement à l’occidentale, sur le Tiers Monde. Ainsi, la politique du don
pour son acceptation du bout des lèvres, à l’échelle internationale ou locale est-elle
ou pour son rejet par les cultures du lourde de charges culturelles.
Sud en fonction de leur organisation socio- Ces dons, apportés de l’extérieur, n’ont pas
économique, de leur mode de pensée, de la même nature que les échanges internes
leur symbolique... de ces sociétés, basés sur la réciprocité.
Cer ce développement minuté va, aussi, Ces dons, de surcroît, ne «tombent» pas
déterminer, à la longue, les processus de nécessairement là où il faut, ni comme il
décision -consensus ou autres-, la politesse faut. Les besoins des ruraux et des citadins
et l’art de parler -avec ses corollaires de ton, se trouvent, souvent, transmis et déformés
de vocabulaire et d’attitudes... par des intermédiaires physiquement
accessibles, socialement «bien placés»,
Ce développement-là, c’est la mise en cause connaissant les langues, les sensibilités
des styles de vie et de l’art de vivre, même s’il et les manies des donneurs. Une part de
se présente innocemment comme une aide, ces dons servira, malgré tout, le plus grand
un appui, une collaboration -comme quelque nombre. Mais une autre part, considérable, va
chose d’offert... renforcer les plus puissants et leur permettre
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totalement incomprises des administrations, des projets. Les troubles et les dégâts de
ces sociétés sont manipulées par des toutes natures, réels ou possibles, ne justifient
«actions de développement» visant, le plus pas, à leurs yeux, l’avantage qu’est censé
souvent, la sédentarisation et démantelant apporter le développement.
leur cohésion et leur culture. De plus, ce
développement agressif, que ce soit à la ville Dans toute société, il existe un coût
ou à la campagne, est souvent utilisé comme environnemental, psycho-social et culturel du
facteur de pouvoir par une catégorie sociale changement. Et l’on comprend bien que des
ou par une autre, tirant profit des ruptures de ruraux, ou des citadins d’Afrique, aient tiré la
solidarité. leçon de tant d’essais inutiles ou nuisibles,
pour refuser de payer le prix de nouvelles
Le hidjack du développement par des aventures.
fonctionnaires ou par des notables
2. FORMES D’AFFRONTEMENT ET DE
constitue, presque partout, une réalité
COMBINAISON ENTRE CULTURE ET
occultée et indéniable. Il faut une Brigitte
DEVELOPPEMENT
ERLER -excessive, certes, mais véridique-
pour dénoncer au grand jour «l’aide qui tue». En simplifiant à l’extrême, le problème réside
dans les rapports qui s’établissent entre
Quant à l’attitude de résistance, elle prend
quelques ensembles :
-on le sait- des formes parfois inattendues,
et, notamment, celles qu’on dénonce comme • la culture dominante (Cd), celle des
indifférence, hostilité, pays industriels, inséparable de leur
corruption (1). Les diverses cultures, en puissance technique et économique ;
effet, sécrètent, chacune à sa manière, des • le développement conçu et propulsé par
anticorps contre la pénétration extérieure. ces pays (Dd) ;
Dans des sociétés où la coopération extérieure
n’est pas toujours aussi désintéressée • les cultures du Tiers Monde (Ctm) ;
qu’elle souhaiterait paraître, et où l’Etat a • un développement «valable» ou positif
peu de titre à incarner le bien commun, le pour le Tiers Monde (Dtm).
détournement des aides extérieures ou des
crédits publics peut trouver une certaine (1) Le terme «corruption’’ recouvre des
justification. La plupart des formes de refus, si processus divers. Il ne devrait pas s’appliquer
déraisonnables qu’elles semblent au regard à la prise au tas de la finance ou des biens du
de l’extérieur, s’expliquent par une évaluation, colonisateur. On peut se poser la question pour
à partir de leurs propres points de vue, des la corruption-redistribution, qui exprime une
bénéficiaires supposés des programmes et loyauté plus forte envers la famille ou le clan
qu’envers l’entité factice ou oppressive que y conduit la majorité des pays du Tiers Monde,
représente l’Administration, distributrice soit par imitation, soit par réaction (1).
d’aide étrangère ou de crédits publics.
Il est clair qu’on n’est pas en face d’un concept
Tout cela apparaît fort, différent des supposé «actif» -le développement- et d’un
détournements destinés à la construction autre supposé «passif» et «immobile» -la
de villas-palais, à l’achat de Mercedes ou au culture ; voilà une réalité essentielle, à ne pas
dépôt dans les comptes en Suisse... perdre de vue dans la lecture des hypothèses
qu’on va évoquer.
Ces ensembles, il est vrai, ne sont pas aussi
aisément identifiables ou isolables qu’on le En fait, de nombreux cas de figure se
souhaiterait, et la dynamique que recèlent présentent, parmi lesquels quelques-
ces concepts n’est pas toujours celle que l’on uns semblent, peut-être, plus significatifs
saisit à première vue. C’est la culture, et pas (hypothèses 1 à 7).
seulement l’économie, qui pousse l’Occident
au développement. C’est la culture, aussi, qui (1) Voir schéma 4, hypothèses 5 et 6 ci-après.
SCHEMA N° 4
RAPPORTS CULTURE-DEVELOPPEMENT : QUELQUES HYPOTHESES
Vue d’Afrique, la première hypothèse Le second cas de figure (n° 2), en fait,
(n° 1) à laquelle on songe est, bien sûr, appartient au passé, sauf pour quelques
celle d’un développement autonome à partir zones ou quelques groupes résiduels. Il
de la culture. Un changement, positif pour traduit -si l’on peut dire- l’envol le Tiers Monde
l’économie et pour la société, surgit des du développement généré par la culture
rapports socio-économiques, des institutions, occidentale, engendrant, sur place, une
des connaissances, des croyances... des certaine diversité de situations.
peuples africains.
L’hypothèse n° 3 s’est vérifiée déjà, et
C’est aux historiens de dire dans quelle
continue de constituer un péril : c’est celle de
mesure des situations comme celle-là se sont
la pénétration-désagrégation, bouleversant
produites dans le passé.
économies, sociétés et cultures et mettant à
Si attrayante soit-elle, il est peu probable mal les institutions aussi bien que les coutumes,
que, pour leur part, les économistes du ou le langage. On pourrait cartographier, dans
Tiers Monde, actuellement, envisagent cette diverses parties de l’Afrique, les zones où les
perspective comme crédible. cultures se trouvent en pleine débâcle.
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Au contraire, le schéma n° 4 est celui de la incompatible avec celle du cru, et la société
résistance efficace à la pénétration extérieure. génère comme des anticorps, qui bloquent la
La culture agressive est ressentie comme pénétration.
A partir de là, un pays ou un groupe humain tribus de réfléchir à une activité économique
peut connaître une stagnation, ou une quelconque, qui pourrait nourrir deux ou trois
«régression autonome», ce qui s’est produit, familles, leur permettant d’être disponibles
ou est en cours, parfois. pour les autres. Deux mois plus tard, ils
apportaient la réponse : «Nous souhaitons
Par incidence, une situation comme celle- faire deux ou trois élevages de canards, qui
là pose la question de l’intérêt que portent nous appartiendront collectivement, mais dont
quelques peuples à «avancer» ou à «changer» les revenus permettront à trois d’entre nous
: il se peut qu’ils donnent la priorité à consolider d’être indépendants, d’apprendre à compter,
ou, au moins, à sauvegarder leur cohésion et à lire et, peut-être, à nous en sortir...» Beau
le fonctionnement quotidien de leur société. projet pour l’organisation, accepté aussitôt.
Et les fonds furent dégagés pour le mettre en
Il en est aussi qui font de leur survie un tout oeuvre. Deux mois passèrent encore. Et la
qui peuple leur raison d’être. tribu envoya de nouveau ses représentants
«Merci d’accepter de nous aider. Nous
A la différence de ceux qui abandonnent, par reviendrons, peut-être, vous voir plus tard,
bribes, ou d’un coup, leurs coutumes et leur mais nous avons longuement discuté, vieux,
langage contre le miroitement du modernisme, hommes et femmes, et nous pensons que
à l’opposé des insatiables du don, il est si, pour le premier pas vers notre survie,
quelques groupes pour lesquels culture et nous dépendons de l’extérieur, alors nous en
survie ne font qu’un. dépendrons de plus en plus. Nous allons tenter
quelque chose tout seuls, à notre manière ;
Deux ou trois envoyés d’une tribu vivant si la tentative réussit, vous nous reverrez».
dans les montagnes du Maharashtra (dans A ce jour, ils ne sont pas revenus. Pour autant,
l’interland de Bombay) prirent, un jour, le refus de toute influence externe et le repli
contact avec l’un des groupes ENDA : total sur soi n’apparaissent pas, à la longue,
«Les Hindous venus de ta plaine possèdent, comme une stratégie vraiment défendable.
maintenant, nos terres et nous y emploient
temporairement. Nos ressources sont si «Chaque culture -écrit Joseph KI-ZERBO- a
maigres qu’elles nous permettent à peine de le droit d’échapper... au regard homicide des
ne pas mourir et, en aucun cas, de partager cultures de proie ; elle a, aussi, le devoir de
avec deux ou trois d’entre nous, qui pourraient jeter des ponts qui la délivrent du ghetto».
s’occuper du groupe dans son ensemble.
Donnez-nous donc de quoi les rémunérer...» Dans la 5e hypothèse, celle de la résistance
Mais ce n’était pas une pratique admise dynamique, la pression extérieure génère,
par l’ONG, et l’on demanda aux gens des comme en physique, une pression intérieure
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de même puissance. Non seulement on culturelle en Chine- mais, le plus souvent, par
n’admet que quelques apports limités du Nord, une sorte de mobilisation culturelle, comme
mais se manifeste une pulsion interne vers si l’extrême péril déclenchait des ressorts
le développement : parfois, en rupture avec puissants et jusque là imprévisibles.
l’histoire du pays -comme le fut la révolution
SCHEMA N° 5
A l’opposé, c’est sur d’autres types de rapports Toutefois, la réalité ne se juge pas à l’emporte-
entre le Nord et le Sud que repose l’hypothèse pièce et, dans bien des pays, le facteur D va
n° 6 : pénétration-imitation. Le regard d’autrui prendre une valeur positive ou négative selon
définit, alors, le développement. Le Nord, qu’il y a compatibilité ou non -en général, ou
comme par un tour de passe-passe, fait croire pour une action précise de développement-
au Sud que l’unique modèle de développement, entre la culture extérieure qui imprègne
le seul qui soit universel, est la réplique, avec ce développement et la culture du groupe
quelques adaptations et quelques délais, de humain sur lequel il agit. Ainsi, sur le schéma,
ce qui s’est passé dans les pays industriels. Le la 6e hypothèse se révèle-t-elle moins simple
point de départ n’est pas, quoi qu’on prétende, qu’il n’y paraît. L’homogénéité socio-spatiale
les besoins de la population, ou l’on ne sait est souvent limitée. Dans un pays comme le
quelles perspectives nationales, mais bien les Cameroun, par exemple, les Bamiléké, plus
moyens d’avancer sur une voie déjà tracée. que d’autres groupes humains, sont ouverts au
développement, au sens occidental du terme,
Ce parti-pris d’occidentalisme fait, au fond, bon et plus aptes à y adhérer, en accordance avec
ménage avec les bouffées de nationalisme leur culture propre.
qu’éprouve, de temps à autre, la catégorie
sociale dominante. Dans bien des pays, il existe des zones où la
mutation culturelle est déjà accomplie et où le
«La quête d’authenticité, et d’une authenticité développement importé opère sans désastre
propre -comme l’a bien vu Archie MAFEGE culturel grave. L’hypothèse du contact fécondant
(1)- n’a pas été nécessairement liée à ce qu’on entre l’apport extérieur et les potentialités
appelle... développement». locales suppose que les apports nouveaux
déclenchent des effets socio-économiques
Dans une situation comme celle-là, parler de et des mécanismes culturels maîtrisés par la
cultures du Tiers Monde n’est plus de mise : population. Dans ce cas, l’on serait tenté de
on se trouve en face d’un mal développement dire que le développement s’installe dans la
sous-tendant une «culture nationale» factice. culture locale et la dynamise (cas n°7).
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regroupement d’organisations paysannes, L’apport extérieur peut s’avérer «incitatif»
s’étendant sur plusieurs pays («6 S») (2). ou même libérateur. Il peut déclencher une
mutation de la culture à partir de ses propres
(1) CODESRIA BULLETIN, n° Dakar, valeurs, incorporant des éléments nouveaux,
1988, page 9 se métissant avec d’autres, mais affirmant sa
vigueur et son autonomie.
(2) «Se servir de la saison sèche contre
la sécheresse au Sahel»
La greffe du futur sur le passé s’opère alors
Des expériences comme celle-là invitent à spectaculairement ou discrètement, selon
prêter attention à des processus jusqu’ici plus le cas. Des structures, des institutions,
ou moins invisibles. Face aux dégâts extrêmes des techniques évoluent ou même se
de la sécheresse, au Sahel, il se produit métamorphosent, tout en gardant leur
des sursauts. A la campagne, s’affermit une coloration culturelle d’origine.
diversité de mouvements, enracinés, sous des
formes variées, dans les cultures africaines. En vivant avec la population un certain
développement autonome, ou en lisant les
A la ville, se manifeste un bouillonnement études de cas, on rencontre presque toujours,
associatif -allant des tontines de quartier aux à l’origine d’un sursaut ponctuel ou de la
troupes théâtrales de «jeunes de la rue»- à reprise en main par un groupe de son destin,
travers lequel se dégagent de nouvelles un ou des éléments extérieurs.
langues et de nouvelles cultures urbaines.
Partout, une forte imprégnation culturelle Les développements dits endogènes,
caractérise ce qui bouge, ce qui innove, ce autonomes ou autocentrés se déclenchent
qui crée... presque inévitablement par contact avec
un élément nouveau : un événement, une
On redécouvre alors la vitalité de ces sociétés, expérience, une personne (un instituteur, un
l’élan qu’elles peuvent tirer d’elles-mêmes, émigré de retour, un volontaire...).
la capacité de leurs cultures à impulser le
développement. Peut-être faut-il concéder que l’endogénéité
«pure» est un mythe. Le problème n’est pas
Cela ne va pas sans obstacles, et sans lutte. d’écarter tout ce qui vient d’ailleurs, mais bien
Nombre de sociétés africaines recèlent des de le filtrer en fonction de la culture que l’on vit,
blocages, des contradictions, des conflits. de le maîtriser, de s’en servir pour avancer.
CONCLUSION
Même si beaucoup l’oublient, ou le nient, le réflexion et de dialogue inséparablement
développement constitue inévitablement un liés à l’action, si ne s’opère un recours
changement culturel : il vient d’une culture et permanent à l’imagination, s’il ne se produit
pèse à la fois sur celle dont il est issu et sur un questionnement de tous les instants en
celle(s) qu’il concerne. termes de culture.
Certes -on l’a vu- l’on se doit de démêler ces On continuera à accumuler les échecs, si
relations et de les relativiser. Toute culture l’on ne se décide pas, au Nord et au Sud, à
comporte des réticences et des refus, et développer autrement (1).
vit de pulsions face au changement. Toute (1) Il serait temps que l’on fasse réellement
démarche, tout développement, tout quantum en sorte qu’aucun programme ne soit mis
d’évolution induit des effets négatifs et/ou en oeuvre, impliquant la population, et
positifs. qu’aucun expert -lorsque des experts sont
En fonction de qui, et de quoi, ce qui se passe indispensables- ne soit envoyé, si ce n’est
en termes de culture ou de développement en cohérence avec la culture des groupes
est-il qualifié d’utile ou de néfaste ? Qui juge, humains concernés. Une compétence en
et d’après quoi, quels critères et quels intérêts sciences ou en ingénierie ne suffit jamais,
? et elle a toute chance d’être gaspillée, si
l’on n’y joint pas une aptitude au contact et
Même si deviennent chaque jour plus un minimum d’initiation au pays d’accueil.
nombreux ceux qui souhaitent que le Tiers Il paraîtrait raisonnable, de surcroît, qu’un
Monde puise, de plus en plus, dans ses propres appui prioritaire soit apporté à la recherche,
cultures, les stimulants d’un développement dans le Sud, d’orientations nouvelles, à
qu’il maîtrise, la coopération internationale, la dynamisation des cultures, ainsi qu’à la
l’aide bilatérale, l’assistance des ONG ont créativité sous toutes ses formes.
encore devant elles de longs jours.
Le défi présent est double. Comment faire
Les programmes d’aide, les plans en sorte, non seulement d’aider à coexister
économiques et sociaux des pays, les efforts des cultures et des développements divers,
sur le terrain -en somme, ce qu’on appelle mais aussi d’appuyer chaque peuple voulant
plus ou moins le développement «concret»- se développer à des rythmes et selon des
tout cela ne résoudra pas les problèmes formes qui lui soient propres ? Ou encore, quel
fondamentaux si, ni à la base, ni aux autres type de dynamisme interne et quel nouveau
niveaux, ne se déploient des processus de style des relations internationales peuvent
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permettre des développements autonomes culture, n’apparaissent-elles pas, finalement,
et compatibles ? comme exprimant inséparablement le
dynamisme spécifique à une société ?
Plus de lucidité dans l’analyse et plus de
cohérence dans l’action ne conduiront-ils En gardant toujours présente à l’esprit cette
pas, le plus souvent, à réconcilier des termes intrication essentielle, ne pourrait-on faire en
qu’une certaine logique -celle de l’Occident- sorte, dans le vécu quotidien de la diversité,
a, peut-être abusivement, scindés et opposés ? d’être plus attentif au futur en germe dans le
La dimension culturelle du développement, passé, et de mieux s’assurer que le passé
ou la dimension développementale de la demeure vivant dans le futur ?