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Le « Passé-futur »

Les peuples imaginatifs ne se contentent pas, pour insérer


l’action dans la durée, de «temps grammaticaux» d’une
aussi grande banalité que le passé ou le futur. Plusieurs
ont inventé, par exemple, le passé-présent et le présent-
futur. Peut-être faut-il pousser l’audace un peu plus
loin, dépasser le dilemme opposition ou synergie entre
culture(s) et développement, et situer leurs rapports dans
une perspective passé-futur ?
S’il est une ambiguïté majeure à lever, en cette fin de siècle,
et ressentie comme telle, d’un bout à l’autre du monde, c’est
bien celle des rapports entre développement et culture(s).
Dépendance culturelle, acculturation, déculturation, contact
de civilisations: des modes et des mots ont successivement
nourri le débat. L’échec assez général du développement, et
la crise assez inquiétante que vit la majeure partie du Tiers
Monde, donnent encore plus d’acuité à l’incertitude. On se
demande, de plus en plus, si ce n’est pas une conception et
une pratique erronées des rapports culture/développement
qui expliquent, pour une large part, l’impasse présente.
Il est vrai que, à diverses époques et pour différents
groupes sociaux, ou divers espaces géographiques, la
réalité des rapports culture/développement peut varier du
tout au tout. Il est certain, cependant, que les mêmes
mots, au Nord et au Sud, sont loin de désigner les mêmes
processus. L’interprétation des pays industriels et celle du
monde dépendant, sous l’apparence d’un même langage,
ne reflètent ni les mêmes intérêts, ni la même logique.
Jacques Bugnicourt, Pour un peuple, la culture, c’est sa manière d’être et de
fondateur et ancien s’exprimer, et le développement, un «plus» ou un «mieux»,
Secrétaire Exécutif global ou partiel.
d’Enda Tiers Monde  Admettre cette définition, apparemment simple, n’élimine
pour autant ni les points de vue restrictifs sur ce qu’est la
culture, ni les opinions inconciliables sur ce que devrait être

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le développement, ni les conflits, réels ou de bidonvillois, de paysans et de pasteurs.
supposés, entre les deux concepts. Comment se vit, à la base, la transition du
passé sur le futur ?
Ces contresens et ces oppositions, pour les
dépasser, il faut d’abord les comprendre. D’autre part, il faut les évaluer, ces
malentendus et affrontements, en les
Or, bien saisir les relations présentes «décortiquant», si l’on peut dire, en mettant
de la (ou des) culture(s) et du (ou des) «à plat» leurs éléments constitutifs et leurs
développement(s), et faire en sorte qu’elles mécanismes. Comment s’opère l’insertion
jouent positivement à l’avenir,  s’avère des passés, celui de l’Occident et celui des
particulièrement difficile. Ceci est dû, d’abord, peuples du Tiers Monde, dans leurs futurs
à l’imprécision des termes qu’on emploie, à -distincts, ou communs ?
la fois à propos du contenu des concepts et
des contextes dans lesquels ils se situent, I. CULTURE ET DEVELOPPEMENT
tantôt par rapport aux sociétés occidentales, VECUS AU RAS DU SOL
tantôt par rapport à celles du Tiers Monde.
A ce point que, employant l’un ou l’autre «C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la
des vocables, l’on doit, chaque fois, les situer, nouvelle» (proverbe fon).
avec le plus de précision possible, dans le Comment un paysan bamiléké ou sérère,
temps et dans l’espace. un bidonvillois de Recife ou de Bombay,
A cela s’ajoute la confusion entre tes niveaux situent-ils ce qu’on leur propose comme
auxquels on se place. Dans des actions développement par rapport à leurs modes de
au ras du sol, menées par ou avec des vie, à leurs rapports avec les hommes et
groupes de base, les conflits,  sans doute, l’environnement, et, plus généralement, à la
s’avèrent les plus vifs et les conséquences trame plus ou moins consciente qui soutend
des erreurs les plus graves. Il s’y ajoute, leur vie quotidienne ?
à d’autres niveaux -par exemple celui des La difficulté qui surgit, ici, réside dans le fait
politiques de développement, nationales ou que ceux qui mènent le développement sur
internationales- de profondes divergences, le terrain n’ont souvent pas, comme souci
dans l’interprétation du réel et dans les primordial, de tenir compte du contexte
pratiques, qui obèrent sérieusement l’avenir. culturel, ni même d’y porter quelque intérêt.
Ces rapports culture/développement, sans Il suffit, dans bien des cas, qu’un «problème»
doute faut-il les saisir dans une double ait été identifié pour qu’il soit assimilé à un
démarche. D’une part, là où ils blessent le plus besoin du groupe humain qui vit là et qu’on
visiblement, là où ils impliquent des groupes décide, ainsi, pour «développer» une zone,

Comment conjuguer culture et developpement ? 3


Le « Passé-futur »

un village, ou un quartier, d’entreprendre tel la population pouvaient effectivement, dans


ou tel type d’action. Pour s’en convaincre, il cette zone, amorcer la reforestation et la
n’est que de se reporter -parmi mille exemples reconstitution du paysage. C’est dans une
possibles- à une tentative qui s’est déroulée, «lodge» des collines que débuta la session.
voici cinq ans, au nord-est de l’Inde.
Les gens des tribus parlaient fort peu, se
«L’ARBRE N’EST PAS LA FORET» contentant d’écouter les exposés successifs
des fonctionnaires sur l’intérêt du reboisement.
«L’arbre n’est pas la forêt» : une formule Au bout de deux jours, l’acquiescement muet
aussi banale peut-elle exprimer l’échec de tous apparaît de plus en plus suspect. Et
d’un projet intéressant de reconstitution de l’on dit aux paysans : «Discutez maintenant
l’environnement forestier dans une zone sans nous, corme vous l’entendez». Ils ont
collinaire dégradée du Tiers Monde ? Dans les parlé toute la journée et le soir, à la lueur des
collines du Bihar, pour lutter contre l’érosion lampes-tempête, ils présentent leur rapport.
et reconstituer l’économie des «tribus», Mme Le plus vieux se lève et dit : «Un arbre n’est
GANDHI avait alors lancé un vaste programme pas la forêt». Et puis, il s’assied. On attend
de reconstitution de l’environnement boisé et quelques instants. Rien. On lui demande
souhaitait qu’il se réalise par la coopération d’expliciter un peu ses propos. Le vieux se
des services forestiers et de la population*. lève à nouveau, et le voici qui parle.
C’est ainsi qu’une association indienne et
ENDA TIERS MONDE (1) organisèrent, avec (1) Environnement et Développement du Tiers
des MURDA, des SANTAL et quelques autres, Monde, organisation non gouvernementale
une rencontre pour rechercher comment des internationale, B. P. ZZ70, Dakar (Sénégal).
initiatives communes à l’Administration et à
SCHEMA N° 1
APPROCHES CULTURELLES DIVERGENTES DU DEVELOPPEMENT
«UN ARBRE N’EST PAS LA FORET»
“Ces collines sont les nôtres depuis toujours. à notre forêt». Ils ont répliqué : «Vous n’avez
Depuis que le monde est monde, nous vivions pas de titres fonciers, tout est à l’Etat». Puis,
dans la forêt. Un jour, le bruit a couru que les ils ont fait venir des camions et des ouvriers
Anglais partaient. Les gardes forestiers eux, de la ville, qui se sont mis à couper les arbres
restaient, avec le même uniforme et la même aux abords des villages, puis due plus en plus
marque. Ils ont amené des contractors de la loin. Une partie des bonnes terres a glissé
ville. Nous leur avons dit : «Ne touchez pas vers la vallée.

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Rien à voir avec la forêt dont on nous a
dépouillés. Les arbres dont nous avons
besoin, certains donnent les poutres de
nos maisons, d’autres les clôtures, d’autres
les outils. D’autres encore servent comme
bois de feu. Pas arbre autour de nous : des
dizaines d’arbres différents, quelques-uns
buissonnent, d’autres s’épanouissent au
niveau intermédiaire, et d’autres pointent vers
le ciel. A chacun de ces étages, des écorces,
des feuilles et, aussi, des oiseaux, et leur
chair et leurs oeufs nous nourrissent.

A chaque étape, à chaque saison, si nous


sommes malades, des fruits et des baies, des
feuilles, encore, des écorces et des racines
qui soignent. Dans cette profusion, nos
Les jeunes hommes, aussi, sont partis vers femmes cherchent les produits avec lesquels
la vallée. Bientôt, il ne subsista de forêt qu’à elles se font belles. Et c’est dans ces arbres
l’horizon. Il faut une autorisation pour aller que s’ébattent nos dieux.
chercher du bois.
Tout cela a été détruit et, à la place, on nous
ET L’ON NE CHASSE PLUS QU’UN SEUL propose de planter cet arbre égoïste, exclusif
JOUR PAR AN. et étranger. Cet arbre, en vérité, n’est pas la
forêt.
Et voici que ces agents forestiers, les mêmes,
avec les mêmes mots, viennent nous dire Un long silence suivit. «Alors, que voulez-
que, désormais, ils sont nos amis, qu’ils vont vous ? - Nous concerter peut-être entre
planter des arbres autour de nous, que nous tribus. Et chercher, ensemble, quel pays nous
allons entretenir, et que, finalement, on en pourrions reconstruire».
tirera de l’argent. Un arbre, en fait, un seul, en
mille et mille exemplaires, planté comme des L’action de reconstitution de l’environ-
soldats, au garde-à-vous, ne tolérant pas la nement forestier, conçue en fonction des
moindre pousse autour de lui. Un arbre qu’on critères techniques et économiques de
dit, «techniquement», le meilleur. Qu’est-ce, l’Administration, s’avérait incom-patible avec la
cet arbre-là, cet inconnu, cet intrus ? On n’a conception qu’ont les tribus d’un changement
même pas de nom pour le désigner. qui s’inscrive dans la ligne de leur culture.

Comment conjuguer culture et developpement ? 5


Le « Passé-futur »

UN MOULIN A MIL QUI LIBERE ET du prix des légumes. Les femmes, pourtant,


ASSERVIT continuèrent à se déplacer chaque jour, ce
qui modifia leur  emploi du temps quotidien
Des déboires analogues se rencontrent, et, peut-être, leur comportement habituel -au
fréquemment, dans divers pays du Tiers grand dam des maris, restés à cultiver au
Monde. Pour ce qui est de la zone sahélienne village.
et somalienne d’Afrique, l’on sait les difficultés
de vie dans les villages et la pénibilité du
travail féminin. Face à cela, diverses aides Un jour vint, où quelques hommes parlèrent
extérieures et des organisations internationales aux vieilles : «Nous sommes inquiets, dirent-
fournissent des machines et donnent des ils, de cette absence quasi permanente des
conseils. L’une de ces organisations a, ainsi, jeunes femmes, des enfants sans surveillance
distribué, dans de nombreux villages, des pendant le jour, des retards dans les repas, de
moulins à moteur, en expliquant aux femmes la distance nouvelle qui se crée entre elles et
que, ainsi, la dure corvée du pilage du mil nous. Et, rentrant du travail, nous n’entendons
allait disparaître. plus les messages du pilon dans le mortier,
le rythme qui nous disait le courroux, la joie,
Cette perspective, à vrai dire, avait fort ou la chance de trouver des visiteurs. Quel
réjoui l’association féminine de K.N. avantage nos femmes ont-elles trouvé en
-en tout cas, jusqu’au moment où se trouva contrepartie de tout cela ?»
épuisé le premier bidon de gas-oil, donné avec
la machine. Alors, le commerçant abritant le Et il y eut, à l’appel des vieilles, une réunion
moulin chez lui expliqua qu’il fallait trouver de toutes les femmes, qui dura longtemps.
quelque argent pour se réapprovisionner Finalement, elles envoyèrent un messager à
en carburant. L’expert international sauta l’expert pour lui demander de reprendre son
sur l’occasion : il fit comprendre aux femmes moulin, car elles devaient –lui expliquèrent-
qu’elles devaient, maintenant, cultiver des elles- pour cultiver et vendre, travailler
légumes pour dégager les ressources maintenant plus longuement qu’auparavant.
nécessaires. Elles écoutèrent ses conseils Elles avaient -disaient-elles- épuisé les joies
et, bientôt, purent -et durent- aller au marché apportées par la nouveauté, la permissivité du
voisin, distant d’une dizaine de kilomètres, début et l’autonomie plus large qu’elles
pour écouler quelques tomates et gombos. en avaient tirée. Mais elles convenaient,
Mais, au point de vente, la demande désormais, que les futiles distractions des
de légumes frais ne présentait aucune premiers jours ne justifiaient  plus la rupture
élasticité. L’offre nouvelle des paysannes allait des solidarités, et la vie du village laissée à
avoir pour principal résultat l’effondrement vau-l’eau.

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Le développement aboutit, ici, à un cul-de- Une équipe vient sur place (1), et écoute le
sac. Non pas que ce groupe paysan, et les groupe des hommes, celui des femmes, celui
femmes, refusent à jamais la modernisation. des jeunes. Les discussions révèlent vite que
Le moulin à mil et d’autres machines y la morbidité et la mortalité élevées, notamment
trouveront, un jour, leur place, mais pas celles des jeunes enfants, constituent la
aujourd’hui, et pas introduits sans référence préoccupation essentielle et que c’est l’eau
au contexte. La manière de faire les choses qui pose le problème majeur. Polluée, elle
importe, en effet, autant que ce que l’on fait. tue. Eloignée, elle est pénible, chaque jour,
à transporter. Ce qu’il faut, c’est un puits
L’ABONDANCE D’EAU CONTRE LA proche, pour la boisson, l’abreuvement des
SOLIDARITE bêtes, ainsi que pour l’irrigation de petits
Une amélioration décisive, aux yeux de jardins assurant un complément de nourriture
certains, des conditions du milieu peut, en en saison sèche. Mais avec  quel moyen
fait, heurter les conceptions culturelles des d’exhaure ?
bénéficiaires supposés : en voici un exemple Tirer à la main ne suscite guère d’enthousiasme
en zone pré-désertique, aux confins du Mali (croquis 1). Par contre, la solution de la pompe
et du Niger. à moteur recueille, au début, l’accord de tous
Dans ce village et ce terroir, peuplés de Bella, (croquis 2).
«serviteurs» maintenant affranchis de leurs (1) constituée dans le cadre d’une session
maîtres touaregs, le problème est de réagir de formation organisée par ENDA TIERS
contre la sécheresse et de définir, à partir des MONDE, sur le thème «Femmes et
besoins de la population, les éléments d’un développement au Sahel».
développement environnemental.
SCHEMA N° 2
LOGIQUE DE L’INGENIEUR ET LOGIQUE DU GROUPE HUMAIN DANS LE CHOIX
TECHNIQUE
- QUELS BESOINS PRIORITAIRES ?
Deux jours de discussion, cependant, rendre dépendants ? Dans le quotidien, qui va
amènent à en rejeter le principe : gérer toute cette eau que va débiter la pompe
à moteur ?
Qui va donner le moteur, les pièces détachées,
le carburant ? disent les paysans. Ne vont- Le débat se circonscrit, alors, au choix entre
ils pas prendre du pouvoir sur nous et nous la poulie avec traction humaine (croquis 3),

Comment conjuguer culture et developpement ? 7


Le « Passé-futur »

le guélib entraîné par un âne, un


bœuf, ou un chameau (croquis 4) et
la noria (croquis 5). Dans l’esprit
des techniciens du groupe de
contact, c’est, de toute évidence, la
noria que les Bella devraient adopter.
Les paysans hésitent longuement.
Ils consultent les femmes et les
jeunes. Et, contre toute attente, ils
optent pour le guélib.

Les visiteurs-partenaires s’en


trouvent fort désappointés:

«Vous auriez pu avoir un débit


beaucoup plus important avec la
noria». «Certes, répondent-ils, nous
l’avons compris.

Toute cette eau qui aurait coulé,


le bruit s’en serait répandu au
loin. D’autres troupeaux seraient
accourus, de toutes les directions,
infléchissant leur route pour
s’abreuver longuement. Or,
toute bête qui boit, mange aussi.
Avant de s’abreuver et après, ces
troupeaux auraient prélevé leur
nourriture sur le tapis végétal fragile
qui s’étend autour de nous.

L’usage élargi de notre eau aurait


entraîné la destruction rapide
de notre pâturage». «N’est-ce
pas inévitable ? -demandent les
partenaires- Ne pouvez-vous pas
interdire l’accès du puits, en écarter

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les bêtes qui ne sont pas les vôtres ?» - développement. En fait, quelle(s) culture(s)
«Impossible, répliquent les Bella. L’eau est ? Face à quelle(s) autre(s) ? Et, parmi les
à Dieu. Nos grands-pères et nos pères n’en possibles, quel(s) développement(s) ?
ont jamais refusé à personne. Jamais nous
Pour sortir de l’ambiguïté, d’une part, on
n’accepterons une abondance qui exclut
n’évite pas de plonger dans le temps, de se
nos voisins, ni une rupture avec nos règles
référer au contexte historique.
d’hospitalité. Nous préférons avoir moins
d’eau, et garder nos amis». Les rapports, pendant la période
coloniale, entre l’Indian Service et les Murda,
Paysans et citadins du Tiers Monde -et ceux ou Santal, ou bien, au Sahel, l’évolution des
qui travaillent avec eux- pourraient citer des images du progrès, traduites en termes
centaines, du plus, d’exemples du même type. de pompe ou de moteur... : les situations
Et d’emblée surgissent les questions. Celle- d’aujourd’hui, sur le terrain, s’éclairent par
ci, d’abord : parmi les difficultés que rencontre le jeu d’éléments qui se conjuguent et/ou
un peuple pour se développer, lesquelles s’opposent, résultant de longs processus.
relèvent de sa propre culture, et lesquelles de D’autre part, au-delà de l’extrême diversité
celles des autres, soit directement importées, des cas, on est amené à esquisser une
soit relayées sur place ? approche typologique, schématisant les plus
significatifs des rapports qui  s’établissent,
Ou celle-là : comment faire pour que te
dans le Tiers Monde, ou en Afrique, entre
groupe concerné «rectifie le tir», réajuste par
culture et développement.
rapport à sa culture te contenu et ta forme du
développement qu’on lui propose ? 1. ELEMENTS DU FACE A FACE
CULTURE ET DEVELOPPEMENT
On ne peut éviter, alors, de se reporter au
contexte global, où s’inscrivent idéologies Aucun lieu, aucun acteur, aucun problème ne
politiques et actions de développement. Les se situe dans l’intemporalité.
difficultés vécues au  ras du sol renvoient à Ce qui se noue sur le terrain se trouve plus
des analyses plus complexes, à un niveau ou moins intensément rattaché à un contexte
plus général. de processus et d’idées, qui va bien au-
II. CULTURE ET DEVELOPPEMENT delà. Les regards divergents et les points de
DANS LEUR CONTEXTE GLOBAL vue diffèrent sur les cultures, considérées
comme un tout, et sur leurs composantes.
Il est commun de lire ou d’entendre que Au «rationnel», ou prétendu tel, se mêle le
le développement menace les cultures du passionnel, avec sa charge de ressentiments
Tiers Monde et que celles-ci entravent le ou d’espoir...

Comment conjuguer culture et developpement ? 9


Le « Passé-futur »

DES CULTURES IMPUISSANTES Ces liens traduisent une solidarité, le plus


souvent efficace, qui est comme la texture
L’Afrique, peut-être, peut concevoir quelque même de la culture.»Tout développement qui
dépit de l’appréciation qu’on fait, au Nord, distend et dissocie les hommes, les familles,
de ses cultures. Elles ont droit, certes, à les groupes, constitue un péril extrême pour
quelques musées. Mais la perception des tous. Cet aspect-là, cependant, dans le Nord,
cultures du «continent noir» par les «pays ou bien on l’oublie, ou bien, le reconnaissant,
développés» oscille entre l’exotisme et le on n’en retient que ce qu’il a de négatif.
mépris. L’émerveillement devant la nature
et le pittoresque tropical peuvent, sans Qui plus est, même si l’on hésite, au Nord et
doute, servir le tourisme, mais guère le dans les milieux occidentalisés des capitales,
développement... à le formuler clairement : les sociétés rurales
africaines sont jugées incapables de se
Les «gens sérieux», eux, voient l’Afrique développer, elles sont disqualifiées. Et ceux
autrement. Même s’ils s’expriment avec qui prennent leur
quelque embarras -il n’est pas convenable
d’attaquer trop ouvertement ceux qu’on a si défense, ou veulent s’y intéresser de
longuement colonisés-, l’Afrique est souvent, près, s’attirent le reproche de passéistes,
ouvertement ou non, considérée comme peu d’attardés, voire d’empêcheurs d’avancer.
réceptive, ou peu apte au développement... Dans la foulée, les technologies qu’on appelle
adaptées ou combinées prennent la coloration
Dans les campagnes, on se heurte, dit-on, à d’un bricolage risquant de figer l’Afrique dans
des sociétés «closes» et immobiles. la stagnation. Et, sur ce plan, se manifeste,
On les a photographiées, certes -et peut- dans toute son ampleur, l’image des machines
être figées, à travers certaines approches modernes, inséparable de l’idée de progrès,
anthropologiques -plutôt que de les filmer, de par opposition à celles qu’on actionne à la
les saisir dans leur mouvement. main, ou qu’on utilise avec des animaux, et qui
symboliseraient, dit-on, le retard et l’impasse.
Or si elles donnent, vis-à-vis de l’extérieur,
Quant aux villes africaines, on les dépeint
l’apparence de ne pas bouger, la plupart de
souvent, en dehors d’un secteur moderne
ces sociétés vivent un mouvement brownien
limité, comme des parasites ou, à la limite,
interne. Elles marquent une préférence
des repaires de brigands.
pour l’internalisation de la mobilité et pour
l’intensification des  relations en leur propre Ne sont-elles pas, à la fois, le lieu de la
sein. L’équilibre, réel ou supposé, est fait d’un corruption des élites et celui d’un sous-
complexe  de flux et de liens -familiaux ou prolétariat urbain, sans activité productrice
claniques. valable, proche de la criminalité ?

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Ainsi, qu’elles soient traditionnelles ou néo- Certes, partout dans le monde, des économies
urbaines, les cultures africaines -aux yeux de et des sociétés ont connu, au cours des
certains- s’opposeraient au développement. siècles, des développements significatifs.
Mais le développement occidental, lui,
L’accusation appelle, du côté du Sud, quelques traduit, dans son style et dans son ampleur,
ripostes. La première est de crispation une conjonction historique exceptionnelle.
culturelle. Face à l’intrusion de la «modernité», Entre 1500 et 1800, l’Occident glisse de
des réactions de refus se produisent et certains la conscience de sa supériorité religieuse
prétendent se cramponner, par exemple, à à celle de sa supériorité technique et
la culture orale -la seule valable, disent-ils- au culturelle. Volontarisme, mutation culturelle,
lieu de revendiquer l’écriture dans toutes les enrichissement, changement des formes
langues, ou d’autres prônent un recours obligé du  pouvoir, modification des rapports avec
à l’habit, ou à la construction traditionnels, ou le reste du monde..., l’Occident -cela va de
aux patronymes pré-coloniaux... soi- voit dans tous ces aspects des attributs
Et pour sauver des «coutumes», on retourne du développement, où qu’il se produise. Et,
parfois à des pratiques inacceptables, dans le même mouvement, il propose des
fondements rationnels de son hégémonie.
Une autre forme de réaction consiste dans L’Occident désolidarise des sciences
la mise en place de cultures baptisées humaines les sciences exactes, les techniques
«authenticité», «négritude», etc., se traduisant et, dans une certaine mesure, l’économie.
dans quelques rajouts architecturaux aux
Cette culture, à la fois, se désarticule,
villas de béton, ou dans le col et la calotte
s’impose et domine. Avec le temps, elle se fait
de tel chef d’Etat. Voilà, pour les catégories
plus subreptice. Elle n’exige plus d’emblée
privilégiées, un substitut à l’absence de
une adhésion globale.
solidarité avec les peuples. Cette pseudo-
culture se trouve, d’ailleurs, en accordance Elle se présente comme une «civilisation des
avec un pseudo-développement. moyens», qui se défend d’être porteuse d’un
dessein global.
Tout cela pèse-t-il d’un poids quelconque face
au rouleau compresseur de la «modernité» ? En Occident, culture et économie,
inséparablement, constituent ainsi le
UN DEVELOPPEMENT ressort commun des découvertes, de la
«CONQUISTADOR» colonisation et de la modernisation encore en
cours aujourd’hui. Une «culture conquistador»
Si l’Afrique ne s’en sort pas, n’est-il pas a déclenché et poursuit un puissant processus
légitime de la faire bouger ? de laminage des autres cultures par

Comment conjuguer culture et developpement ? 11


Le « Passé-futur »

européisation, puis américanisation. Elle a alignement standardisé des politiques, du


engendré le «développement» comme l’une langage, des conceptions du Tiers Monde, en
des formes présentes de sa domination. fonction du modèle dominant.

Son déferlement, cependant, s’il a détruit ou Le modèle économique et social dit


ébranlé nombre de cultures, en a métissé, «universel» façonne silencieusement,
aussi, beaucoup, avec des réussites à l’image de la culture qui l’engendre,
variables. Il a apporté -on ne peut le passer les sociétés qu’il prétend développer. Et
sous silence- des valeurs qu’on s’accorde, ce développement, induit par la culture
en général, partout dans le monde, à juger dominante, propose ou impose, comme
positives. L’universalisme est l’une d’elles, allant de soi,  une manière de penser et des
porteur, en un sens, d’acceptation des comportements dont la compatibilité avec les
différences et de pluralisme. En un autre cultures africaines pose souvent problème.
sens, cependant, cet universalisme constitue
une forme ethnocentrée de la vision du Le but de la vie, suggéré non pas aux
monde postcolonial par les cultures euro- groupes ou aux familles élargies, mais aux
américaines. La «norme» ou la «règle» individus, consiste à «arriver». Ceci veut dire
universelle est celle du Nord, que l’on fait : une villa, une auto, une femme, quelques
passer comme valable partout. enfants -pas beaucoup-, une quantité
appréciable d’argent et une multitude d’objets
Plus récemment, avec ou sans précaution autour de soi. C’est une logique d’effort
de langage, la mise en accusation a revêtu individuel ignorant parents et voisins, et
d’autres formes : imprévoyance (les dettes), visant l’accumulation des biens. A l’opposé,
stagnation, pauvreté... la plupart des cultures  africaines préfèrent
accumulation des liens : plus d’enfants, plus
Les experts, même ceux du FMI ou de la de cousins, plus d’amis -aussi nombreux
Banque Mondiale -qui se veulent techniciens que possible, et parmi lesquels les biens se
objectifs- traduisent en suggestions politiques redistribuent et, en même temps, se diluent...
des analyses théoriques et des idéologies Or cette échelle de valeurs-là se trouve,
implicites, comme celle de la croissance par le maintenant, mise à mal par la puissance du
libéralisme, ou par l’insertion dans le marché modèle de production et de  consommation
mondial. propulsé par le développement, par le jeu des
médias et, plus directement, par la publicité...
Le Tiers Monde est incité à parler la langue Au moment où l’on constate, dans les
«universelle». On va, inconsciemment, vers sociétés occidentales, qu’une paire de bottes
un “ajustement culture», c’est-à-dire un vaut Shakespeare, il faut se demander ce que

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vont valoir, bientôt, l’attachement au lignage découper la réalité. Confrontées à d’autres
et le récit de la grand-mère  par rapport à langues et d’autres manières de penser,
l’automobile ou au coca-cola. face à des réalités différentes, ces sciences,
dans certains cas, contribuent à déformer la
SCIENCE ET TECHNIQUE perception, à la réordonner selon des
UNIVERSELLES schémas de pensée propres à l’Occident et
Un apport indéniable du développement à à biaiser les actions ou les politiques qu’elles
l’occidentale aux cultures dominées serait sont censées éclairer.
celui de l’efficacité, qu’engendrent science et Si la science n’a pas toujours cette neutralité
techniques. irréprochable dont on la crédite, les objets,
Ce qui frappe, en effet, c’est le «scientisme» les biens matériels qui sont charriés par le
serein des Européens ou des Américains. développement, se caractérisent-ils par une
«Le culte de la science objective -écrit M. stricte indifférence aux contextes culturels ? Qu’il
MUDIMBE- science pure non engagée, s’agisse de vêtements, de transports, de modes de
renvoie à une raison occidentale, plus communication, d’appartements... : le fait qu’ils
précisément aux pratiques bourgeoises des aient été conçus en Europe ou en Amérique
sciences sociales en Occident, à la manière du Nord présente-t-il une quelconque
de la dépendance de fait de nos structures importance par rapport aux contextes
d’enseignement universitaire et de recherche africains ? Probablement, plus souvent qu’on
scientifique,  dont les canons découlent ne le croit. L’objet conçu et/ou fabriqué à
en droite ligne de la tradition universitaire l’extérieur se révèle porteur,  dans bien des
européenne et s’imposent à nous au même cas, d’une certaine «odeur», venue d’ailleurs.
titre que les vérités d’Evangile». L’outil, la technique, le produit introduits dans
les sociétés africaines y infusent quelque
En effet, ce que disent sur l’Afrique ou en chose du  système de valeurs de la société
Afrique les économistes, ou les sociologues, «moderne» dont ils viennent. La chemise et
ou les spécialistes de la culture, s’inspire, la cravate supposent le climatiseur, qui crée
qu’ils le veuillent ou non, de références la distance sociale et favorise peu
implicites qui n’ont jamais été, et ne sont pas,
celles, des sociétés sur lesquelles ils écrivent. le contact avec les paysans ou les bidonvillois.
L’auto et l’appartement excluent la famille
Cette science, soi-disant universelle, se nombreuse. La structure de l’hôpital tranche
caractérise, de surcroît, par un découpage en d’avec la convivialité des soins traditionnels.
branches et en secteurs, qui s’est affirmé avec Les pupitres et la disposition de la salle de
le temps en Occident, et qui traduit différentes classe induisent hiérarchie et compétition (les
étapes de la culture occidentale pour premiers, au premier rang...), au détriment

Comment conjuguer culture et developpement ? 13


Le « Passé-futur »

de l’esprit des classes d’âge villageoises. LE TEMPS DE VIVRE


L’assiette individuelle ne favorise pas le
partage avec l’hôte impromptu... Bruno Mettre en question méthodes et outils, c’est
WAMBI l’a  bien vu : « la technologie est poser aussi le problème de la manière de
comme le matériau génétique. Elle est s’en servir. Et l’on touche, alors, au mythe
porteuse    du    code    de la société dans lancinant de l’efficacité.
laquelle elle a été conçue et essaie de
Le développement, vu par l’Occident, est
reproduire cette société» (1).
recherche instante de l’efficience, du désir
d’agir au plus vite -court-circuitant souvent la
Ce qui vaut pour les objets est-il vrai pour
population-, d’aboutir par le plus court chemin
les méthodes ? Ce qu’on enseigne dans les
à des réalisations visibles. Le style de l’aide
universités peut être un outil linguistique,
extérieure au développement est souvent
souvent importé, un outil  juridique reflétant
celui d’un volontarisme exacerbé, y compris,
moins les valeurs pratiquées dans les
parfois, dans la pratique des ONG. Au nom
groupes humains du pays qu’une copie des
de l’efficacité, on va souvent à son encontre.
lois et réglements du Nord. L’économie, par
son objet et ses outils, s’arrime plus aux (1) Cité in «Reportage IDRC», mars 1988.
universités du Nord, ou au M.I.T., qu’au vécu La remarque, aussi bien, s’applique pour la
africain.  pédagogie, la taxinomie..., ou la cuisine.
Le produit national brut, les catégories Le développement se soucie peu de la
des analyses statistiques, ou    bien    un différence de vitesse entre les flux culturels
instrument comme le bilan énergétique – autogénérés par les cultures africaines et
qui ignore l’énergie animale et l’énergie ceux que leur impose la culture dominante. Le
humaine-, cette économie populaire urbaine, «time is money» reflète une culture où chaque
qu’on persiste, de l’extérieur, à appeler personnage enferme ses chances de réussite
«informelle», tout cela montre que la culture dans les limites de sa propre vie, qu’il tend,
dominante, parlant du développement, risque d’ailleurs, à prolonger déraisonnablement.
souvent, en Afrique, de contrecarrer ainsi ce
qu’elle devrait impulser. Outre-Atlantique, lorsqu’on parle de ce que
valent  les personnalités, il s’agit, bien sûr,
L’utilisation de catégories et d’outils de chiffres en dollars. Ce qui, peut-être, n’est
«universels» entrave une compréhension pas inattendu chez des gens qui n’ont pas
fidèle des sociétés et des économies toujours de racines et ne s’attendent pas
africaines et biaise ainsi les actions qui visent nécessairement à un prolongement dans
des changements positifs. l’au-delà.

14
Les temps africain est autre, où les générations LE DON, A CONTRE-CULTURE ?
passées, présentes et futures sont comptables
d’un terroir ou d’une tradition, et où la notion Chaque culture porte ses propres
de temps de survie, et de perpétuation du contradictions. L’occidentale n’y échappe pas,
groupe, l’emporte sur tout autre. C’est bien agressive, «impérialiste», sans doute, mais
le contraire du temps continu et omnivalent combinant étrangement ces aspects avec
des Occidentaux, où travaux de production et des élans de générosité sans attente de
consommation se font sous la contrainte de contrepartie -survivance, peut-être, d’une
l’horloge et où l’on débite des quantités de charité sans attente de récompense divine- et
travail pour les vendre à l’heure. un sentiment de culpabilité historique.
Avec des dosages variables, pitié, mauvaise
L’activisme anxieux apporté par la culture
conscience et esprit de solidarité -entretenus
extérieure conduit à un état de tension
sur les murs des villes du Nord par l’image de
permanente. Et ceci colore la manière dont le
l’enfant biafrais qui  n’en finit pas de mourir-
développement est introduit. 
constituent les fondements pérennes de
Cette exigence d’efficacité, cette moné- l’«aide». Des tendances comme celles-ci se
tarisation inconditionnelle et ce temps- conjuguent pour aboutir, en première analyse
contrainte s’avèrent décisifs pour l’assi- tout au moins (1), à un déversement de dons
milation du développement à l’occidentale,  sur le Tiers Monde. Ainsi, la politique du don
pour son acceptation du bout des lèvres, à l’échelle internationale ou locale est-elle
ou pour son rejet par les cultures du lourde de charges culturelles.
Sud en fonction de leur organisation socio- Ces dons, apportés de l’extérieur, n’ont pas
économique, de leur mode de pensée, de la même nature que les échanges internes
leur symbolique... de ces sociétés, basés sur la réciprocité.
Cer ce développement minuté va, aussi, Ces dons, de surcroît, ne «tombent» pas
déterminer, à la longue, les processus de nécessairement là où il faut, ni comme il
décision -consensus ou autres-, la politesse faut. Les besoins des ruraux et des citadins
et l’art de parler -avec ses corollaires de ton, se trouvent, souvent, transmis et déformés
de vocabulaire et d’attitudes... par des intermédiaires physiquement
accessibles, socialement «bien placés»,
Ce développement-là, c’est la mise en cause connaissant les langues, les sensibilités
des styles de vie et de l’art de vivre, même s’il et les manies des donneurs. Une part de
se présente innocemment comme une aide, ces dons servira, malgré tout, le plus grand
un appui, une collaboration -comme quelque nombre. Mais une autre part, considérable, va
chose d’offert... renforcer les plus puissants et leur permettre

Comment conjuguer culture et developpement ? 15


Le « Passé-futur »

de créer ou de consolider des réseaux couvrent que moins du l/5e de la population


de  clientèle. Enfin, certains dons, plutôt que des villes et une proportion négligeable de
de compléter un effort de la popu- celle des campagnes. Parmi les citadins de
Kinshasa ou de Dakar, plus des 3/4 disent, en
lation, à la base, ou d’y inciter, vont, tout cas de nécessité, n’attendre aucun secours,
simplement, démobiliser cette population et si ce n’est de parents ou d’amis. Dans ce
créer une attente permanente de l’assistance contexte, un entrepreneur ou un fonctionnaire
extérieure. En transitant d’une culture à qui fait fi des relations familiales, amicales ou
l’autre, les bonnes intentions se fourvoient néo-claniques, ou un individu quelconque qui
et l’effort se retourne contre les objectifs qu’il poursuit, au mépris des autres, son ascension
s’assignait... sociale, mettent en péril le groupe. Et celui-
RESISTANCE ci, d’ailleurs, s’acharne à récupérer quelque
chose, d’une manière ou d’une autre, et
Ainsi s’éclairent réticences et résistances -et dans certains cas, leur fera payer cher leur
des exemples comme le refus des plantations «trahison».
ou de la noria, ou l’abandon du moulin à
mil. Ce qu’on dénonce comme obstacle au Faute, pour le moment, de substitut à
développement -ou, encore, à la promotion la solidarité en voie de destruction, le
individuelle (à travers l’école, la fonction développement à l’occidentale s’inscrit
publique, les entreprises) exprime souvent carrément à contre-culture et constitue, en
l’attachement à des valeurs essentielles. Afrique, la menace majeure qui pèse sur de
nombreux groupes humains. Des projets
Ceci, il est clair, entrave le jeu d’une apparemment innocents, en milieu rural par
concurrence implacable et la recherche exemple, portent, eux aussi, des germes
exclusive de la rentabilité maximale, c’est- destructifs. Le paysan-pilote ou l’entrepreneur
à-dire  des critères mêmes caractérisant rural mieux équipés, mieux suivis, plus
le développement et permettant en même facilement financés que les autres, induisent
temps de le mesurer. des ruptures dans les rapports agriculture-
élevage, etc. -sans que ces transformations,
(1) Une analyse plus précise révélerait utiles pour une part, s’inscrivent en
que les dons comportent de nombreuses cohérence avec un nouvel ordonnancement
contreparties, visibles ou non. économique, social et culturel.
Le péril est extrême, en effet. La logique du Les plus exposées à la dislocation
profit ignore que, en Afrique, les services sont les sociétés pastorales. En butte
sociaux ou les assurances individuelles à l’incompréhension, voire l’hostilité,
souscrites par quelques particuliers ne des sédentaires et des urbains,

16
totalement incomprises des administrations, des projets. Les troubles et les dégâts de
ces sociétés sont manipulées par des toutes natures, réels ou possibles, ne justifient
«actions de développement» visant, le plus pas, à leurs yeux, l’avantage qu’est censé
souvent, la sédentarisation et démantelant apporter le développement.
leur cohésion et leur culture. De plus, ce
développement agressif, que ce soit à la ville Dans toute société, il existe un coût
ou à la campagne, est souvent utilisé comme environnemental, psycho-social et culturel du
facteur de pouvoir par une catégorie sociale changement. Et l’on comprend bien que des
ou par une autre, tirant profit des ruptures de ruraux, ou des citadins d’Afrique, aient tiré la
solidarité. leçon de tant d’essais inutiles ou nuisibles,
pour refuser de payer le prix de nouvelles
Le hidjack du développement par des aventures.
fonctionnaires ou par des notables
2. FORMES D’AFFRONTEMENT ET DE
constitue, presque partout, une réalité
COMBINAISON ENTRE CULTURE ET
occultée et indéniable. Il faut une Brigitte
DEVELOPPEMENT
ERLER -excessive, certes, mais véridique-
pour dénoncer au grand jour «l’aide qui tue». En simplifiant à l’extrême, le problème réside
dans les rapports qui s’établissent entre
Quant à l’attitude de résistance, elle prend
quelques ensembles :
-on le sait- des formes parfois inattendues,
et, notamment, celles qu’on dénonce comme • la culture dominante (Cd), celle des
indifférence, hostilité, pays industriels, inséparable de leur
corruption (1). Les diverses cultures, en puissance technique et économique ;
effet, sécrètent, chacune à sa manière, des • le développement conçu et propulsé par
anticorps contre la pénétration extérieure. ces pays (Dd) ;
Dans des sociétés où la coopération extérieure
n’est pas toujours aussi désintéressée • les cultures du Tiers Monde (Ctm) ;
qu’elle souhaiterait paraître, et où l’Etat a • un développement «valable» ou positif
peu de titre à incarner le bien commun, le pour le Tiers Monde (Dtm).
détournement des aides extérieures ou des
crédits publics peut trouver une certaine (1) Le terme «corruption’’ recouvre des
justification. La plupart des formes de refus, si processus divers. Il ne devrait pas s’appliquer
déraisonnables qu’elles semblent au regard à la prise au tas de la finance ou des biens du
de l’extérieur, s’expliquent par une évaluation, colonisateur. On peut se poser la question pour
à partir de leurs propres points de vue, des la corruption-redistribution, qui exprime une
bénéficiaires supposés des programmes et loyauté plus forte envers la famille ou le clan

Comment conjuguer culture et developpement ? 17


Le « Passé-futur »

qu’envers l’entité factice ou oppressive que y conduit la majorité des pays du Tiers Monde,
représente l’Administration, distributrice soit par imitation, soit par réaction (1).
d’aide étrangère ou de crédits publics.
Il est clair qu’on n’est pas en face d’un concept
Tout cela apparaît fort, différent des supposé «actif» -le développement- et d’un
détournements destinés à la construction autre supposé «passif» et «immobile» -la
de villas-palais, à l’achat de Mercedes ou au culture ; voilà une réalité essentielle, à ne pas
dépôt dans les comptes en Suisse... perdre de vue dans la lecture des hypothèses
qu’on va évoquer.
Ces ensembles, il est vrai, ne sont pas aussi
aisément identifiables ou isolables qu’on le En fait, de nombreux cas de figure se
souhaiterait, et la dynamique que recèlent présentent, parmi lesquels quelques-
ces concepts n’est pas toujours celle que l’on uns semblent, peut-être, plus significatifs
saisit à première vue. C’est la culture, et pas (hypothèses 1 à 7).
seulement l’économie, qui pousse l’Occident
au développement. C’est la culture, aussi, qui (1) Voir schéma 4, hypothèses 5 et 6 ci-après.

SCHEMA N° 4
RAPPORTS CULTURE-DEVELOPPEMENT : QUELQUES HYPOTHESES

Vue d’Afrique, la première hypothèse Le second cas de figure (n° 2), en fait,
(n° 1) à laquelle on songe est, bien sûr, appartient au passé, sauf pour quelques
celle d’un développement autonome à partir zones ou quelques groupes résiduels. Il
de la culture. Un changement, positif pour traduit -si l’on peut dire- l’envol le Tiers Monde
l’économie et pour la société, surgit des du développement généré par la culture
rapports socio-économiques, des institutions, occidentale, engendrant, sur place, une
des connaissances, des croyances... des certaine diversité de situations.
peuples africains.
L’hypothèse n° 3 s’est vérifiée déjà, et
C’est aux historiens de dire dans quelle
continue de constituer un péril : c’est celle de
mesure des situations comme celle-là se sont
la pénétration-désagrégation, bouleversant
produites dans le passé.
économies, sociétés et cultures et mettant à
Si attrayante soit-elle, il est peu probable mal les institutions aussi bien que les coutumes,
que, pour leur part, les économistes du ou le langage. On pourrait cartographier, dans
Tiers Monde, actuellement, envisagent cette diverses parties de l’Afrique, les zones où les
perspective comme crédible. cultures se trouvent en pleine débâcle.

18
Au contraire, le schéma n° 4 est celui de la incompatible avec celle du cru, et la société
résistance efficace à la pénétration extérieure. génère comme des anticorps, qui bloquent la
La culture agressive est ressentie comme pénétration.

Comment conjuguer culture et developpement ? 19


Le « Passé-futur »

A partir de là, un pays ou un groupe humain tribus de réfléchir à une activité économique
peut connaître une stagnation, ou une quelconque, qui pourrait nourrir deux ou trois
«régression autonome», ce qui s’est produit, familles, leur permettant d’être disponibles
ou est en cours, parfois. pour les autres. Deux mois plus tard, ils
apportaient la réponse : «Nous souhaitons
Par incidence, une situation comme celle- faire deux ou trois élevages de canards, qui
là pose la question de l’intérêt que portent nous appartiendront collectivement, mais dont
quelques peuples à «avancer» ou à «changer» les revenus permettront à trois d’entre nous
: il se peut qu’ils donnent la priorité à consolider d’être indépendants, d’apprendre à compter,
ou, au moins, à sauvegarder leur cohésion et à lire et, peut-être, à nous en sortir...» Beau
le fonctionnement quotidien de leur société. projet pour l’organisation, accepté aussitôt.
Et les fonds furent dégagés pour le mettre en
Il en est aussi qui font de leur survie un tout oeuvre. Deux mois passèrent encore. Et la
qui peuple leur raison d’être. tribu envoya de nouveau ses représentants
«Merci d’accepter de nous aider. Nous
A la différence de ceux qui abandonnent, par reviendrons, peut-être, vous voir plus tard,
bribes, ou d’un coup, leurs coutumes et leur mais nous avons longuement discuté, vieux,
langage contre le miroitement du modernisme, hommes et femmes, et nous pensons que
à l’opposé des insatiables du don, il est si, pour le premier pas vers notre survie,
quelques groupes pour lesquels culture et nous dépendons de l’extérieur, alors nous en
survie ne font qu’un. dépendrons de plus en plus. Nous allons tenter
quelque chose tout seuls, à notre manière ;
Deux ou trois envoyés d’une tribu vivant si la tentative réussit, vous nous reverrez».
dans les montagnes du Maharashtra (dans A ce jour, ils ne sont pas revenus. Pour autant,
l’interland de Bombay) prirent, un jour, le refus de toute influence externe et le repli
contact avec l’un des groupes ENDA : total sur soi n’apparaissent pas, à la longue,
«Les Hindous venus de ta plaine possèdent, comme une stratégie vraiment défendable.
maintenant, nos terres et nous y emploient
temporairement. Nos ressources sont si «Chaque culture -écrit Joseph KI-ZERBO- a
maigres qu’elles nous permettent à peine de le droit d’échapper... au regard homicide des
ne pas mourir et, en aucun cas, de partager cultures de proie ; elle a, aussi, le devoir de
avec deux ou trois d’entre nous, qui pourraient jeter des ponts qui la délivrent du ghetto».
s’occuper du groupe dans son ensemble.
Donnez-nous donc de quoi les rémunérer...» Dans la 5e hypothèse, celle de la résistance
Mais ce n’était pas une pratique admise dynamique, la pression extérieure génère,
par l’ONG, et l’on demanda aux gens des comme en physique, une pression intérieure

20
de même puissance. Non seulement on culturelle en Chine- mais, le plus souvent, par
n’admet que quelques apports limités du Nord, une sorte de mobilisation culturelle, comme
mais se manifeste une pulsion interne vers si l’extrême péril déclenchait des ressorts
le développement : parfois, en rupture avec puissants et jusque là imprévisibles.
l’histoire du pays -comme le fut la révolution

SCHEMA N° 5

A l’opposé, c’est sur d’autres types de rapports Toutefois, la réalité ne se juge pas à l’emporte-
entre le Nord et le Sud que repose l’hypothèse pièce et, dans bien des pays, le facteur D va
n° 6 : pénétration-imitation. Le regard d’autrui prendre une valeur positive ou négative selon
définit, alors, le développement. Le Nord, qu’il y a compatibilité ou non -en général, ou
comme par un tour de passe-passe, fait croire pour une action précise de développement-
au Sud que l’unique modèle de développement, entre la culture extérieure qui imprègne
le seul qui soit universel, est la réplique, avec ce développement et la culture du groupe
quelques adaptations et quelques délais, de humain sur lequel il agit. Ainsi, sur le schéma,
ce qui s’est passé dans les pays industriels. Le la 6e hypothèse se révèle-t-elle moins simple
point de départ n’est pas, quoi qu’on prétende, qu’il n’y paraît. L’homogénéité socio-spatiale
les besoins de la population, ou l’on ne sait est souvent limitée. Dans un pays comme le
quelles perspectives nationales, mais bien les Cameroun, par exemple, les Bamiléké, plus
moyens d’avancer sur une voie déjà tracée. que d’autres groupes humains, sont ouverts au
développement, au sens occidental du terme,
Ce parti-pris d’occidentalisme fait, au fond, bon et plus aptes à y adhérer, en accordance avec
ménage avec les bouffées de nationalisme leur culture propre.
qu’éprouve, de temps à autre, la catégorie
sociale dominante. Dans bien des pays, il existe des zones où la
mutation culturelle est déjà accomplie et où le
«La quête d’authenticité, et d’une authenticité développement importé opère sans désastre
propre -comme l’a bien vu Archie MAFEGE culturel grave. L’hypothèse du contact fécondant
(1)- n’a pas été nécessairement liée à ce qu’on entre l’apport extérieur et les potentialités
appelle... développement». locales suppose que les apports nouveaux
déclenchent des effets socio-économiques
Dans une situation comme celle-là, parler de et des mécanismes culturels maîtrisés par la
cultures du Tiers Monde n’est plus de mise : population. Dans ce cas, l’on serait tenté de
on se trouve en face d’un mal développement dire que le développement s’installe dans la
sous-tendant une «culture nationale» factice. culture locale et la dynamise (cas n°7).

Comment conjuguer culture et developpement ? 21


Le « Passé-futur »

Ceci s’opère, parfois, par réaction spontanée du Un système de solidarité traditionnelle, le


groupe. Parfois, le mouvement est conscient. Naam, gardait une certaine importance.
La paysannerie mossi, autour d’Ouahigouya, Le terme utilisé, et la manière dont il était
au Burkina Faso, faisait difficilement face à compris, apparurent aux «jeunes» comme
une administration tracassière et à diverses une chance à la fois de se développer et de
difficultés économiques, quand un instituteur, revitaliser leur culture. Transposée au niveau
originaire de la région, B. L. OUEDRAOGO, de la solidarité intervillageoise, la démarche
renonça à sa profession pour travailler avec aboutit à la création d’une «Fédération
les jeunes des villages. des groupements Naam», puis d’un vaste

22
regroupement d’organisations paysannes, L’apport extérieur peut s’avérer «incitatif»
s’étendant sur plusieurs pays («6 S») (2). ou même libérateur. Il peut déclencher une
mutation de la culture à partir de ses propres
(1) CODESRIA BULLETIN, n° Dakar, valeurs, incorporant des éléments nouveaux,
1988, page 9 se métissant avec d’autres, mais affirmant sa
vigueur et son autonomie.
(2) «Se servir de la saison sèche contre
la sécheresse au Sahel»
La greffe du futur sur le passé s’opère alors
Des expériences comme celle-là invitent à spectaculairement ou discrètement, selon
prêter attention à des processus jusqu’ici plus le cas. Des structures, des institutions,
ou moins invisibles. Face aux dégâts extrêmes des techniques évoluent ou même se
de la sécheresse, au Sahel, il se produit métamorphosent, tout en gardant leur
des sursauts. A la campagne, s’affermit une coloration culturelle d’origine.
diversité de mouvements, enracinés, sous des
formes variées, dans les cultures africaines. En vivant avec la population un certain
développement autonome, ou en lisant les
A la ville, se manifeste un bouillonnement études de cas, on rencontre presque toujours,
associatif -allant des tontines de quartier aux à l’origine d’un sursaut ponctuel ou de la
troupes théâtrales de «jeunes de la rue»- à reprise en main par un groupe de son destin,
travers lequel se dégagent de nouvelles un ou des éléments extérieurs.
langues et de nouvelles cultures urbaines.
Partout, une forte imprégnation culturelle Les développements dits endogènes,
caractérise ce qui bouge, ce qui innove, ce autonomes ou autocentrés se déclenchent
qui crée... presque inévitablement par contact avec
un élément nouveau : un événement, une
On redécouvre alors la vitalité de ces sociétés, expérience, une personne (un instituteur, un
l’élan qu’elles peuvent tirer d’elles-mêmes, émigré de retour, un volontaire...).
la capacité de leurs cultures à impulser le
développement. Peut-être faut-il concéder que l’endogénéité
«pure» est un mythe. Le problème n’est pas
Cela ne va pas sans obstacles, et sans lutte. d’écarter tout ce qui vient d’ailleurs, mais bien
Nombre de sociétés africaines recèlent des de le filtrer en fonction de la culture que l’on vit,
blocages, des contradictions, des conflits. de le maîtriser, de s’en servir pour avancer.

Comment conjuguer culture et developpement ? 23


Le « Passé-futur »

CONCLUSION
Même si beaucoup l’oublient, ou le nient, le réflexion et de dialogue inséparablement
développement constitue inévitablement un liés à l’action, si ne s’opère un recours
changement culturel : il vient d’une culture et permanent à l’imagination, s’il ne se produit
pèse à la fois sur celle dont il est issu et sur un questionnement de tous les instants en
celle(s) qu’il concerne. termes de culture.

Certes -on l’a vu- l’on se doit de démêler ces On continuera à accumuler les échecs, si
relations et de les relativiser. Toute culture l’on ne se décide pas, au Nord et au Sud, à
comporte des réticences et des refus, et développer autrement (1).
vit de pulsions face au changement. Toute (1) Il serait temps que l’on fasse réellement
démarche, tout développement, tout quantum en sorte qu’aucun programme ne soit mis
d’évolution induit des effets négatifs et/ou en oeuvre, impliquant la population, et
positifs. qu’aucun expert -lorsque des experts sont
En fonction de qui, et de quoi, ce qui se passe indispensables- ne soit envoyé, si ce n’est
en termes de culture ou de développement en cohérence avec la culture des groupes
est-il qualifié d’utile ou de néfaste ? Qui juge, humains concernés. Une compétence en
et d’après quoi, quels critères et quels intérêts sciences ou en ingénierie ne  suffit jamais,
? et elle a toute chance d’être gaspillée, si
l’on n’y joint pas une aptitude au contact et
Même si deviennent chaque jour plus un minimum d’initiation au pays d’accueil.
nombreux ceux qui souhaitent que le Tiers Il paraîtrait raisonnable, de surcroît, qu’un
Monde puise, de plus en plus, dans ses propres appui prioritaire soit apporté à la recherche,
cultures, les stimulants d’un développement dans le Sud, d’orientations nouvelles, à
qu’il maîtrise, la coopération internationale, la dynamisation des cultures, ainsi qu’à la
l’aide bilatérale, l’assistance des ONG ont créativité sous toutes ses formes.
encore devant elles de longs jours.
Le défi présent est double. Comment faire
Les programmes d’aide, les plans en sorte, non seulement d’aider à coexister
économiques et sociaux des pays, les efforts des cultures et des développements divers,
sur le terrain -en somme, ce qu’on appelle mais aussi d’appuyer chaque peuple voulant
plus ou moins le développement «concret»- se développer à des rythmes et selon des
tout cela ne résoudra pas les problèmes formes qui lui soient propres ? Ou encore, quel
fondamentaux si, ni à la base, ni aux autres type de dynamisme interne et quel nouveau
niveaux, ne se déploient des processus de style des relations internationales peuvent

24
permettre des développements autonomes culture, n’apparaissent-elles pas, finalement,
et compatibles ? comme exprimant inséparablement le
dynamisme spécifique à une société ?
Plus de lucidité dans l’analyse et plus de
cohérence dans l’action ne conduiront-ils En gardant toujours présente à l’esprit cette
pas, le plus souvent, à réconcilier des termes intrication essentielle, ne pourrait-on faire en
qu’une certaine logique -celle de l’Occident- sorte, dans le vécu quotidien de la diversité,
a, peut-être abusivement, scindés et opposés ? d’être plus attentif au futur en germe dans le
La dimension culturelle du développement, passé, et de mieux s’assurer que le passé
ou la dimension développementale de la demeure vivant dans le futur ?

Comment conjuguer culture et developpement ? 25


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