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» Philocalie
désigne en grec l’« amour de ce qui est beau, c’est-à-dire la philosophie selon laquelle le Beau
traduit le Sens et se confond avec le Vrai. Chez Jünger, « le Sacré, le Divin se révèlent dans la
beauté, car la beauté est l’approche du sens. La où les choses prennent sens, la beauté transparaît. »
À travers son œuvre, Jünger cherche à déchiffrer le spectacle du monde et à distinguer les signes
multiples contenus dans cette beauté pour en découvrir le sens. « Jünger, écrit Luc-Olivier
d’Algange, s’est tourné vers le monde pour en décrypter les énigmes intérieures. » En cela, l’œuvre
de Jünger est « l’une des moins narcissiques du siècle. » Dans l’expérience jüngerienne, la
compréhension de soi s’opère à travers cette entreprise littéraire si particulière qui inspire à Luc-
Olivier d’Algange le beau titre de Déchiffrement du monde.
Dépasser le nihilisme
Dans cette science, qui n’est pas scientisme mais entreprise de connaissance ontologique et
phénoménologique du vivant, Jünger a eu des maîtres dont Novalis fut le premier. Sous son
influence, Jünger nous enseigne à dépasser le nihilisme que Nietzsche définit comme la faculté «
d’idéaliser dans le sens de la laideur » en portant sur soi-même et sur le monde un regard qui ignore
tout et ne retient rien. Jünger s’attache au contraire à éveiller « l’image la plus ancienne, la plus
intense » du monde en laquelle se précise le pressentiment d’une vie supérieure qui se manifeste
aussi bien à travers la réalité du monde que les états de conscience au travers desquels l’individu
appréhende cette réalité. Ennemi des systèmes, Jünger emprunte aussi à Jacob Böhme et à la
Naturephilosophie allemande les principes de son esthétique métaphysique, largement influencée
également par sa fréquentation assidue des auteurs antiques et la fascination qu’il entretenait pour
l’empereur Julien qui rapproche aussi beaucoup Jünger de la pensée néoplatonicienne. Enfin c’est à
Hölderlin que Jünger revient inlassablement, « comme à un texte sacré », en particulier Hypérion,
relecture du mythe du combat des Dieux et des Titans. Pour Jünger, les dieux « dans nos jours qui se
suivent et se ressemblent […] brillent par leur absence » tandis que notre modernité est en revanche
marquée du sceau de « l’omniprésence titanesque » à travers le règne de la technique et celui de la
Quantité auquel Jünger opposera celui de la Qualité : « Lorsque le règne de la Quantité se subdivise
en idéologies prétendument adverses, c’est à la seule Qualité qu’il convient de rendre hommage,
dussions-nous, par cette décision, dérouter nos amis, donner provende de griefs à nos ennemis. »