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Une nouvelle étude montre comment l’industrie agro-

alimentaire asphyxie le monde agricole


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Nolwenn Weiler, Basta !, 7 mars 2018

Pourquoi nombre des 462 000 agriculteurs, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté,
n’arrive pas à vivre décemment de leurs productions destinées aux 67 millions de
consommateurs français et à l’exportation ? Du champs jusqu’à l’assiette, comment se
répartit la valeur économique créée par les filières agro-alimentaires ? Une étude réalisée
par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), pour le compte
de l’Ademe, et consacrée aux impacts socio-économiques d’une alimentation plus durable
en France, y répond. Cette étude met en évidence le poids écrasant de la grande
distribution - hypermarchés, supermarchés et supérettes. C’est là que les Français se
rendent en majorité pour s’acheter à manger. Alors que le secteur engrangeait 10 % des
dépenses alimentaires en 1960, il en absorbe 60 % aujourd’hui.

6 enseignes se partagent 90% du marché

Le secteur des grandes et moyennes surfaces rafle plus de la moitié du chiffre d’affaires
globale de la distribution alimentaire, soit 135 milliards d’euros par an. Un chiffre d’affaires
que se disputent seulement six enseignes. Auchan, Système U, Carrefour, Casino (qui
possède les marques Monoprix, Franprix et Leader Price) Leclerc et Intermarché se
partagent 90 % du marché ! Dans l’industrie agro-alimentaire, qui s’est développée en
même temps que la grande distribution, le niveau de concentration est moindre mais
néanmoins élevé : 353 entreprises se partagent 60 % du marché. Côté emplois, la grande
distribution se caractérise par un recours aux temps partiels supérieur à la moyenne, et par
des salaires inférieurs. Dans l’industrie agro-alimentaire, le taux recours à l’intérim est très
élevé : deux fois plus que la moyenne de l’industrie en général !

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Le développement de ces deux secteurs hyper-concentrés a permis de généraliser la
vente à grande échelle et à moindre coût. La grande distribution s’appuie pour prospérer
sur un décalage de trésorerie qui lui permet de générer des bénéfices : les consommateurs
payent comptant alors que les fournisseurs sont réglés avec plusieurs mois de décalage.
Elle a en plus pour habitude de se ménager des marges confortables, de 20% à plus de
40% selon les produits. Grâce à ce modèle, la grande distribution peut absorber des
hausses de prix agricoles et industriels – répercutant souvent les hausses et rarement les
baisses de cours agricoles – en compensant par d’autres produits, tout en lissant les prix
pour les consommateurs.

Les agriculteurs ne captent que 6% de la valeur de l’alimentation

A l’autre extrémités de la chaîne alimentaires, c’est nettement plus difficile : les prix
agricoles à la production ont été divisés par deux entre 1980 et 2015. Les agriculteurs ne
perçoivent aujourd’hui que 6% de la valeur totale de l’alimentation, une fois déduits leurs
coûts de production. Depuis une dizaine d’années, ils doivent faire face à une volatilité
croissante des prix des produits agricoles, à cause de la mondialisation des filières et du
démantèlement progressif des outils de régulation publique. Avec par exemple des prix
garantis, les producteurs pourraient être rémunérés à minima, sans dépendre des coûts
internationaux. Quant aux quotas laitiers, supprimés en 2015, ils permettaient de freiner les
velléités de surproduction, qui mettent elles-mêmes en périls les prix agricoles... Les
trésoreries des agriculteurs, très fragiles, ne peuvent pas affronter l’instabilité croissante
des cours agricoles.

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IAA = Industries Agroalimentaires / IAA VL = Industries de la Viande et du Lait / Indice 100
en 1978

Les supermarchés et les industriels ont en plus tendance à augmenter leurs marges sur un
grand nombre de produits. Pour le lait par exemple, la marge des distributeurs a augmenté
de 100% depuis 2001, de 50% pour les industriels et de ... 0% pour les agriculteurs ! En
2016, le revenu moyen des agriculteurs était de 13 000 à 15 000 euros par ménage
agricole, avec une grande hétérogénéité selon les régions et les types de production. Selon
la Mutuelle sociale agricole, 30% des exploitants ont touché un revenu inférieur à 350 € par
mois. Dans ce contexte, leur rémunération est de plus en plus dépendante des subventions
publiques. Sans elles, avance l’étude du Basic, 61% des exploitations auraient été en
déficit en 2014.

A cette forte dépendance financière des agriculteurs induite par cette concentration
intensive, s’ajoutent des « coûts cachés ». En termes de pollution de l’air, l’agriculture
française représenterait par exemple 19% des émissions de particules PM10 (diamètre
inférieur à 10 μm) et 10% des particules PM2.5 (diamètre inférieur à 2,5 μm). « Le
développement de l’obésité, les pollutions croissantes de l’air et de l’eau, l’usage des
pesticides et l’impact carbone associés au modèle agricole intensif, entraînent des coûts
croissants pour la société qui n’apparaissent pas dans les prix des produits agricoles. Cela
biaise la création de valeur économique » , signale l’étude. Le commissariat général au
développement durable (CGDD) a estimé en 2011 que les coûts générés par la pollution de
l’eau en raison des activités agricoles étaient de l’ordre de 1 à 1,5 milliards d’euros par an.

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