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Conversations sur la danse
Lectures
Les comptes rendus
/
2006
Mathilde Monnier, JeanLuc
Nancy, Claire Denis, Allitérations.
Conversations sur la danse
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Mathilde Monnier, JeanLuc Nancy, Claire Denis, Allitérations.
Conversations sur la danse, Galilée, 2005, 149 p., EAN : 9782718606774.
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Texte intégral
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1 Une chorégraphe et un philosophe : écrit à deux voix, Allitérations1 s'inscrit dans le
prolongement d'une collaboration déjà bien établie puisqu'il est le second livre publié
par Mathilde Monnier et JeanLuc Nancy 2, et que le texte de ce dernier a inspiré la pièce
Allitérations à la chorégraphe. La matière principale de l'ouvrage est composée d'une
correspondance par courrier électronique étalée sur plusieurs mois. La seconde partie
reprend les entretiens accordés par les deux auteurs lors d'un colloque sur le solo en
danse, et la troisième partie présente le texte du spectacle écrit par JeanLuc Nancy
initialement intitulé Séparation de la danse. Cet ouvrage intéresse la question d'une
sociologie de la danse au moins à deux titres. L'approche de thèmes tels que les
rapports entre la danse et la pensée, et la présentation des singularités de la danse au
regard des autres pratiques artistiques met en confrontation la vision parfois
contradictoire de deux profils intellectuels et de sensibilités distinctes. Cette rencontre
livre un regard sur des représentations de la danse et plus précisément sur une façon
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de se poser les questions provenant de deux univers traditionnellement opposés, celui
de l'intellectuel et celui du praticien. D'autre part, cet ouvrage résonne comme un état
des lieux partiel et partial du traitement de la danse, du corps et du mouvement par
deux auteurs qui malgré leurs différences ont en commun de partager une appétence
pour ces objets. A sa manière, il tient lieu de jalon parmi la littérature qui traite de la
danse depuis le texte fondateur de Marcel Mauss.
2 La question de la singularité de la danse est posée à plusieurs reprises. Non verbale,
elle serait « infantile » au sens qu'elle ne parle pas, différente en cela du théâtre, ce qui
pourrait expliquer qu'elle serait comprise autrement : son intelligibilité en serait
amoindrie et son sens, contrairement à celui de la peinture et de la musique, serait
moins manifestement traduisible (p. 23). Evoquant l'ouvrage de Laure Guilbert (2000)
dont elle cite l'une des thèses selon laquelle les nazis auraient reconnu en dernier les
aspects subversifs de la danse, M. Monnier pose la question du sens en danse, et donc
de sa réception, estimant que son déchiffrement serait plus problématique qu'ailleurs.
Cette différence ontologiquement inscrite expliquerait la « méconnaissance de cet art
qu'est la danse notamment en histoire de l'art et chez le grand public » (p. 24).
3 Parmi les singularités qui pourraient expliquer son manque de lisibilité est relevé
« l'immanence de la danse au corps » (p. 28). Avec cette idée provisoirement
conclusive, J. L. Nancy pose la question centrale d'une représentation essentialiste de la
danse. En plaçant sur un même terrain des expressions artistiques différentes par leurs
contenus sociaux, esthétiques et historiques, il cherche à en mesurer les différences
essentielles. Cette façon d'interroger la singularité cantonne le débat dans la sphère de
la nature des expressions artistiques et laisse de coté la nature des processus sociaux
d'évaluation et de légitimation qui sont objets d'analyse en sociologie de l'art (Heinich,
1998). Essentialiste, cette approche apparaît comme une ritournelle intelligible : la
danse serait différente parce que liée au corps, c'estàdire à un objet complexe, qui s'il
n'est pas présenté comme insaisissable, est traversé par de multiples domaines de
connaissance (Jaquet, 2001). Les auteurs ne confrontent pas la pratique artistique aux
instances sociales qui la mettent en scène et évacuent toute approche sociologique qui
permettraient d'interrogent les raisons sociales de cette relégation. Cette conception
essentialiste tend à focaliser l'attention sur la seule danse quand d'autres disciplines,
autant artistiques que corporelles et sociales, peuvent être mentionnées à titre de
comparaison. En effet, si le danseur est « soimême le médium » (Monnier, p. 30), il
n'est pas le seul à partager cette condition qui caractérise également le mime, le clown,
l'acrobate et le chanteur. Elle confère à l'usage de la vidéo en danse un caractère
exceptionnel quand celuici n'est pas très éloigné de l'usage de l'enregistrement en
chant et en musique. Sans doute fautil apporter un bémol à la considération
admirative attribuée au rôle supposé des nouvelles technologies en danse, où plus que
la nouveauté, c'est davantage comme dans d'autres domaines de création artistique les
propriétés intrinsèques du médium qui sont à l'origine d'une mutation des productions
(Durham Peter, 1999).
4 Selon J. L. Nancy qui a observé le travail de chorégraphe de M. Monnier, il n'y aurait
pas en danse, contrairement au théâtre, de recherche d'interprétation ou de quête de
traduction d'un sens préalable : « l'enjeu de la nonsignifiance (...) est plus sensible,
plus impérieux aussi : tout de suite, le corps est là, c'est là que ça se passe, c'estàdire
que l'on est, si je peux dire, simultanément dans l'ordre d'un médium, d'une médiation,
et dans celui d'une... "immédiation", pour essayer de ne pas dire "immédiateté". » (p.
34) Cette analyse est construite autour d'une exigence de signifiance assujettie au
primat du langage, comme si la signifiance n'existait point en dehors de celuici.
Bannir du corps l'enjeu de signifiance même minimal, c'est alléguer que celleci n'y
repose nullement, contredisant ainsi des manières aussi divergentes d'envisager le
corps que celles de Pierre Bourdieu et d'Hubert Godard, où une signifiance affleure en
permanence.
5 Evoquant son parcours au sein du CCN de Montpellier qu'elle dirige depuis 1994, M.
Monnier qualifie ces structures il existe 22 Centres Chorégraphiques Nationaux
d'« enclaves culturelles » où elle se sent « piégée ». Elle argumente son choix de rester
autour d'une supposée singularité de la danse : « Ce lien serré avec l'institution est très
spécifique à la danse, sans doute pour des raisons assez pragmatiques (si l'on compare
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avec les arts plastiques, la littérature, la peinture, la photo, le cinéma). La danse a
toujours eu besoin de lieux physiques, d'espaces (c'est son premier luxe), de murs, de
planchers, mais aussi de temps, de régularité, et d'inventer les conditions d'être
ensemble afin de travailler, de créer, de penser. » (pp. 3437). Son analyse des rapports
de la danse à l'institution inverse les termes du problème ; l'inscription institutionnelle
de la danse en France s'est longtemps réduite à l'Opéra, ce qui explique que la danse
moderne émergente ait du affronter dans les années 1950 un véritable désert
institutionnel (D. Dupuy, in Grand, Verrièle, 2005). Quant à cette singularité, elle n'en
est pas une puisque les autres arts exigent les mêmes conditions de pérennité et
d'installation institutionnelle pour se développer. Ce qui en revanche est spécifique à la
danse, c'est sa tardive et faible reconnaissance institutionnelle qui demeure une énigme
compte tenu du fait qu'elle ne diffère pas fondamentalement des autres arts : elle exige
des murs et de l'espace comme le théâtre, et du temps comme la littérature et la
peinture.
6 J. L. Nancy énonce une autre spécificité de la danse : elle possèderait « le privilège
(...) de représenter une pratique de tous et de quelque uns ». Il considère qu'entre « la
danse « populaire » et la danse « chorégraphique », « il y a une communication
discrète mais effective : celle du corps détaché de la finalité, et donc celle d'un corps qui
ne va à rien d'autre qu'à luimême ». Pour lui, c'est « ce détachement qui fait le trait si
commun de la danse » (p. 55). Le lien ici énoncé entre des danses dissemblables et le
corps est celui d'un rapport au geste qualifié par son détachement de la finalité.
L'affranchissement de toute finalité qui est supposé exclut tous recours aux fonctions
d'usage des gestes de la danse. Si une gestuelle en tant que telle s'inscrit dans un
détachement de la finalité, la danse dans laquelle elle s'insère est engagée dans des
processus fonctionnels qui dépendent de l'esthétique, des exigences liées au plateau,
aux costumes, à l'éclairage, au sens etc. Quant à l'univers des danses sociales, c'est bien
au contraire une multiplicité de fonctions d'usages qui sont déployées selon plusieurs
échelles (Apprill, 2005). Un peu plus loin, J. L. Nancy à propos du solo en danse
identifie une « pureté (...) qui n'existe nulle part ailleurs », une « radicalité » qui le
différencie du solo en musique : « un danseur en solo est sans doute le seul artiste qui
rassemble entièrement sur lui le moyen, la forme, la fin, l'instrument ». (p. 86) En effet,
l'ultime différence qui démarque le soliste en musique et en danse, c'est la question et la
qualité de l'engagement corporel qui est l'expression même de sa performance.
7 L'autre thème majeur qui parcourt cet ouvrage concerne les rapports entre la danse et
la pensée, et comprend en soi une manière d'appréhender l'objet. A deux reprises, J. L.
Nancy développe l'idée selon laquelle tout le monde danse et qu'il existe une danse de
tout le monde, ce qui revient à définir une singularité de la danse au regard des autres
pratiques sociales et artistiques : « tout le monde danse un jour ou l'autre, partout et
dans toutes les cultures, tandis que tout le monde ne chante pas, et évidemment, tout
le monde ne dessine pas. » (p. 84). Ce plaçant ainsi malgré lui sur le terrain de
l'anthropologie, il envisage la danse comme un attribut « populaire » qui serait partagé
par le plus grand nombre : tout devient danse, tout le monde danse, tout commence par
la danse. « Il y a un trait qui relie le commencement renouvelé au caractère commun de
la danse : tout le monde danse, parce que c'est naissant, c'est natif, initial, inchoatif.
Rien de plus commun non seulement aux hommes mais aux vivants oui, plantes et
animaux que le "lever", le "se lever", le "se porter... en avant, au devant, à l'écart".
L'herbe qui pousse, le lierre qui grimpe, le ver qui se tortille, le poisson... Mais on doit
dire aussi que la danse trace un trait ou un élément commun aux diverses modalités de
l'art : chanter, peindre, sculpter, tambouriner, construire, filmer, poétiser, graver,
installer, mettre en scène, chaque fois cela commence par danser. » (p. 112) Et celleci
devient une expression commune à l'ensemble des organismes vivants, des plantes aux
poissons. C'est dire que la notion de mouvement est dissoute dans celle de danse.
8 Sur ce thème, M. Monnier narre comment pour les besoins d'un film que tourne Claire
Denis, elle expérimente l'idée d'une danse « de tout le monde ». Se mettant en situation
de danser sur une musique comme on le fait parfois chez soi3, elle touche cette danse
qui se produit « en situation de juste danser pour rien, sur la musique, sans inventer,
sans improviser». Avec ingénuité, elle commet quelques assertions du sens commun
sur les « danses populaires » lorsqu'elle relie cette manière de danser à celle qui se
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pratique dans « les boîtes de nuit, les clubs, les fêtes, les bals, les concerts » et estime
que s'il n'y a plus tellement de lieux où l'on danse encore, « ces lieux sont très liés à la
musique et à la drague ». Ce faisant, elle se met à l'écoute de ce que cela provoque en
elle : « un état de relâchement », « une petite danse ». Deux idées importantes
surgissent alors dans sa réflexion : « un état "danse" » (...) pour que « chacun puisse
reconnaître en lui dans cette capacité qu'à le danseur de se relier directement à son
public et pour le public de se projeter en tant que spectateur comme un danseur
potentiel » (p. 57). La notion d'« état de danse », proche de celle d' « état de corps », est
largement partagée par le monde de la danse. D'autre part, à travers la recherche de
l'établissement d'un lien avec les spectateurs, M. Monnier exprime une idée commune
au milieu chorégraphique selon laquelle une coupure s'est agrandie entre les praticiens
de la danse contemporaine et le public, matérialisée notamment par l'éloignement de la
sphère des danses de « tradition populaire », qu'elles soient individuelles, de couple ou
de groupe.
9 Dans l'état de corps où cette recherche la plonge, M. Monnier évoque « la sensation
(...) de s'approcher d'une minitranse ». A ce sujet, J. L. Nancy propose une
démonstration qui recourt au syllogisme dont la radicalité du second postulat peut être
contestable (pp. 5861) :
10 a/ Être en transe, c'est être traversé
11 b/ Le danseur est traversé (« transi ») par sa danse
12 c/ Donc la danse est une méthode de transe
13 Il considère qu'il y a un lien à la fois étymologique: (transe = être traversé par) et
historique entre danse et transe, « plus qu'un lien, une connaturalité qu'établissent
tant de rites que l'ethnologie connaît. » « Le danseur est transi par sa danse », assertion
qui se vaut, tout comme le rhéteur est traversé par ses propos, le travailleur manuel par
son travail, le sportif par sa pratique..., mais qui conduit J. L. Nancy à affirmer que « la
danse est une méthode de transe systématique et non hallucinée... ».
14 Après avoir énoncé ces singularités, il critique l'idée selon laquelle « l'objet de la
danse est le corps propre, et que cela définirait sa singularité parmi les arts » (p. 60). Il
envisage davantage celleci dans le fait que « l'objet est la singularité du corps, sa
transe. (...) Le corps devient l'incorporel d'un sens qui pourtant n'est pas ailleurs qu'à
travers le corps ». Cette idée contient une affiliation à une partie de la philosophie qui
s'est efforcée de faire disparaître le corps. Par l'opération de la danse dont l'objet est le
corps, qui ne peut advenir non pas sans une mobilisation du corps car il en va ainsi de
n'importe quelle activité humaine mais sans une mise en jeu du corps, il y aurait selon
J. L. Nancy un processus d'évincement du corps. Cette rhétorique est proche des
démonstrations de Platon et de Descartes qui attribuent au corps une évanescence qui
leur permet de construire une théorie où se trouve évacué non pas l'idée de corps, mais
sa prise en charge par la pensée (Jaquet, 2001). J. L. Nancy nuance cette spécificité de
la danse en notant que « la transe appartient à tous les arts », mais que « la danse lui
donne en quelque sorte son lieu privilégié parce qu'elle la fait jouer pour ellemême en
n'ayant que le corps pour exécution et pour œuvre. Le corps transi par un incorporel »
(p. 61). Dans sa démonstration, la transe comme chez Descartes l'entendement, devient
un objet appartenant aux seules sphères de l'esprit. Un peu plus loin, son propos se
modère lorsqu'il dit que « la danse intensifie la transe, la poésie intensifie l'absentement
du sens, la peinture intensifié la présence (...) » (p. 62). La singularité de la danse serait
d'accorder à la transe qui caractérise toute expression artistique un lieu privilégié, et
d'être un endroit où se donne à sentir et à voir cette expression si singulière dénuée de
tout autre chambre d'écho que le corps.
15 L'un des défis tenu par ce livre est de matérialiser un thème cher au milieu des
praticiens de la danse contemporaine selon lequel il y aurait des liens forts quasiment
« organiques » comme aiment à dire les danseurs entre la danse et la pensée. Du coté
des chercheurs en sciences sociales, ce thème est tout autant brandi comme une
nécessité pour exorciser la faiblesse des travaux en français, jalonnés par de récentes
publications (Bruni, 1993. Grau,WierreGore, 2006). Il y aurait ainsi une injonction
contemporaine à penser la danse tout autant qu'à démontrer qu'elle est une pensée en
mouvement. Ce questionnement s'apparente au « à quoi tu penses ? » amoureux, que
Georges Appaix a chorégraphié dans un duo où il accompagne une danseuse en lui
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soufflant la fameuse question. Compris dans la nature même du dialogue entre une
spécialiste du mouvement et un intellectuel, ce thème polymorphe apparaît à plusieurs
reprises, comme à travers la question de l'interprétation que M. Monnier définit comme
l'« écart entre le sujet et la danse (p. 32). Pour J. L. Nancy, « danser engage aussitôt
l'écart», et c'est là selon lui que se situe la pensée du corps : « Ce que j'éprouve devant
vous, les danseurs, c'est combien mon corps, même actif, bougeant, reste tassé sur soi,
en soi et ainsi abstrait. Mais, pour autant, l'écart de soi à soi du corps dansant cet
écart qui fait sa pensée, qui en fait un corps pensant n'est pas une « médiation » (...) »
(p. 33). Cette rhétorique rabat tout ce qui relève de la danse vers la pensée ; mais suffitil
de le dire ou de l'écrire pour que magiquement il en soi ainsi ? Ce texte laisse
transparaître quelque chose de la nature de la réception de la danse chez un philosophe,
comme un complexe d'infériorité qui serait lié à une méconnaissance de la richesse des
possibilités du mouvement, et de la façon dont ce sentiment produirait une sorte
d'abstraction. Celleci est toute relative puisque plus loin, livrant sa façon de concevoir
le texte d'une conférence, J. L. Nancy évoque la part certaine d'imprévisible qui s'y
niche, l'improvisation nécessaire et la façon dont l'énergie qui nourrit ses actes peut être
assimilé à l'élan, au saut, au bond de la danse, et comment dans leur représentation
préalable, il est saisi par le mouvement (p. 78). Au contraire, M. Monnier éprouve une
dissolution de la pensée dans la danse tout comme dans la marche (contrairement à
Nietzsche) où se recomposerait paradoxalement la pensée, dans une mise à « l'épreuve
du sens ou de la vérité » (p. 111).
16 Allitérations} tend à donner des rapports entre danse et pensée une impression de
grande proximité. Ce qui n'était pas le cas en 1934 lorsque M. Mauss n'accordait à la
danse qu'une mention passagère quoique décisive (avec notamment la notion de
« danses enlacées »), vraisemblablement sous l'effet de sa lecture récente de l'Histoire
de la danse de C. Sachs. Quoique de nature très différente par leurs champs
disciplinaires, ces deux textes illustrent le passage d'une émergence de la danse comme
objet anthropologique à sa réévaluation contemporaine à travers les concepts propres à
la philosophie. L'ouvrage prend néanmoins parfois l'allure d'un salon bourgeois où les
auteurs, telles deux femmes savantes, seraient surpris en plein babillage sur la danse,
l'art, l'institution... Quelques fois, le propos semble s'arrimer de mots en mots au gré de
compositions autant convenues qu'imprécises, comme lors de cette discussion des
rapports entre danse et séduction et danse et sexe, où la façon brutale d'assimiler la
séduction et le sexe ne va pas sans étonner (pp. 114115). Ailleurs, J. L. Nancy reconnaît
son ignorance de l'histoire de la danse. S'avouant désarmé, il fait des « paris » sur les
supposés liens entre des pratiques artistiques au néolithique (« les danses rituelles ») et
l'institution, pour en arriver au constat banal que « les pratiques artistiques sont
toujours éminemment sociales » (p. 42). On pense à Philippe Caubère improvisant à
l'épreuve orale de géographie du Baccalauréat, inventant d'un ton convaincu des
fleuves, des montagnes et presque des océans. Ces quelques critiques ne doivent pas
masquer l'ampleur des questions abordées par l'ouvrage et quelques belles pages de
réflexion d'une praticienne qui ne semble jamais aussi juste que lorsqu'elle évoque son
métier. Relatant son expérience de l'enseignement, M. Monnier laisse affleurer des
questions qui lui sont chères et une analyse des procédés de transmission qui
démontrent la maturité de sa démarche réflexive (pp. 4452). Elle livre également une
belle évocation de l'échauffement du danseur avec des mots simples et justes qui
expliquent la fonction et le sens de ce moment que tous les praticiens professionnels et
amateurs expérimentent : « l'échauffement, c'est effectivement une recueillement sur
soi (...), un temps pour retrouver un dialogue conscient entre le corps et l'esprit (...),
donner une matérialité et une physicalité à la conscience (...), entrer dans une vision
cartographique de son corps (...), créer des dispositifs de conscience à soi. » (pp. 134
135). Ce duo renouvelle les manières d'interroger « la danse », comme avec ce constat
que le singulier est comme miné de l'intérieur par la pluralité des danses qui s'y
trouvent comprises mais comme étouffées (p. 116).
17 Références bibliographiques
18 Apprill Christophe, 2005, Sociologie des danses de couple, Paris, L'Harmattan.
19 Bourdieu Pierre, 1979, La distinction, Paris, Edition de Minuit.
https://lectures.revues.org/274 5/6
2017511 Mathilde Monnier, JeanLuc Nancy, Claire Denis, Allitérations. Conversations sur la danse
20 Bruni Ciro (dir.), 1993, Danse et pensée, une autre scène pour la danse, Sammeron,
GERMS.
21 Durham Peters John, 1999, Speaking into the Air. A History of the Idea of
Communication, ChicagoLondres, The University of Chicago Press.
22 Godard Hubert, 2002,«Le geste et sa perception », in La danse au XXème siècle, M.
Michel, I. Ginot, Paris, Larousse, pp. 236241.
23 Grand Amélie, Verrièle Philippe (dir.), 2005.Où va la danse ? L'aventure de la danse
par ceux qui l'ont vécu, Paris, SeuilArchimbaud.
24 Grau Andrée, WierreGore Georgiana, 2006, Anthropologie de la danse, Paris, CND.
25 Guilbert Laure, 2000, Danser avec le IIIe Reich. Les danseurs modernes sous le
nazisme, Paris, Editions Complexe.
26 Heinich Nathalie, 1998, Le triple jeu de l'art contemporain, Paris, Editions de
Minuit.
27 Jaquet Chantal, 2001, Le corps, Paris, Presses universitaires de France.
28 Mauss Marcel, 1950, Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de
France, réédition 1999.
Notes
1 Il accueille également dans sa dernière partie la collaboration de la cinéaste Claire Denis.
2 Dehors la danse, Lyon, Rroz, 2001. L'approche de la danse de JeanLuc Nancy remonte à Corpus
(1992) dont Catherine Diverrès s'était inspirée pour composer un spectacle portant ce titre.
3 C'est l'une des scènes du film de C. Denis Vers Mathilde où elle improvise sur PJ Harvey.
Pour citer cet article
Référence électronique
Christophe Apprill, « Mathilde Monnier, JeanLuc Nancy, Claire Denis, Allitérations.
Conversations sur la danse », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2006, mis en ligne le
23 mars 2006, consulté le 11 mai 2017. URL : http://lectures.revues.org/274
Rédacteur
Christophe Apprill
Sociologue et danseur.
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Pascal Duret, Le couple face au temps [Texte intégral]
Droits d’auteur
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