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UN JOURNAL POUR LA ROYA

La marmotte
déroutée
Janvier 2018 - nº13 - Prix libre

Le temps d’un rêve


Souvent, ses rêves sont des villes.
Villes grandes, dont elle arpente le bitume sans objectif
apparent. Paysages issus d’une mosaïque de souvenirs
transformés par l’imaginaire : un coin de rue surmonté
d’une maison colorée à deux étages avec une épicerie ou
un garage donnant sur le trottoir, un édifice flanqué d’au-
tres édifices, le dernier rayon du soleil se reflétant sur
leurs parois en verre. Un arbre, avec des feuilles de prin-
temps, seul au milieu de ces reflets. D’un rêve à l’autre,
ces fragments de ville se mélangent, se recomposent,
s’allient à d’autres fragments. Morceaux de rues couvertes
de boue séchée, bordées de murs peints à la chaux, de
longues voies droites dont les pavés scintillent à la lueur
de la lune, fils électriques d’un tramway enchevêtrés au-
dessus d’un carrefour, cloches violettes des fleurs d’un
jacaranda, un bouleau dégarni par l’automne, traverses
crasses lavées au jet d’eau par quelque somnambule for-
cé. Ces villes, elle les explore souvent de nuit. Souvent, le
ciel finit par s’éclaircir, mais le monstre urbain ne DANS CE NUMÉRO :
s’ébouriffe pas encore. Souvent, elle trouve une sensation
intense à regarder le jour venir dans le silence d’avant le DOSSIER : Le temps d’un rêve
premier chant d’oiseau : la sensation d’avoir le temps. Parole de Marmotte nº13. La chasse aux rêves est ouverte/Rêve de
marmotte … 2
Le temps, une des multiples obsessions sur lesquelles nos Tu rêves !… 3
rêves font le jour. Le temps qui manque, qui passe trop Défragmentation cérebrale … 5
B’Rêve-sur-Roya… 6
vite, qui passe sans qu’il ne se passe rien, qui traîne en
Si j’avais un rêve/si j’avais un cauchemar… 6
longueur quand le sommeil nous fuit. Le temps qu’on tra-
Psychanalyse du tunnel de Tende … 7
que quand on décide de ne pas dormir, qu’on croit avoir
[OREILLES TENDUES] Dialogue avec un chevreuil rêveur… 7
vaincu à la fin d’une nuit blanche ou lorsqu’on se lève
Du rêve à l’action … 8
avant le jour, quand le « tout est à faire » ne nous paralyse
Rêve de sciences … 9
pas encore. Le temps qu’on perd à parfaire quelque ou-
Les nouveaux dieux … 10
vrage qui ne nous satisfera jamais, et que nos rêves met- Aux prisonniers mutinés … 11
tent en scène, dilatent, tordent ou font durer. Le temps JOURNAL DE N’IMPORTE QUI - L’art endormi … 12
dont on refuse la tyrannie quand on se laisse aller à la
rêverie. Ou le temps qu’on saisit, l’espace d’un instant, PAROLE AUX USAGERS DU TRAIN … 13
lorsqu’un rêve rencontre le réel. CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES … 13
INITATIVES LOCALES :
L’hiver est la période d’hibernation chez les marmottes. Le SEL du Citron … 14
Voyant s’accroître la distance entre ses souhaits et la réali- La pépinière de Bendola … 14
té qu’elle n’arrive pas à faire sienne, la nôtre sombre peu à COURRIER DES LECTEURS … 15
peu dans le sommeil : léger d’abord, profond, puis para- ACTUALITÉS : Linky, UNESCO, Véolia, Eau, Train, Tunnel de Ten-
doxal. Le temps de prendre le temps de rêver sérieuse- de, Arrêté 19 tonnes, Loi de sécurité intérieure 2017… 15
ment. Bonne lecture. ÉVÈNEMENTS EN ROYA - BEVERA … 16

Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - contact@la-marmotte-deroutee.fr - 07 68 05 65 34


PAROLE DE/SUR MARMOTTE Nº13 DOSSIER :
Déroutée par sa crainte des bouleversements irréversibles que lui annoncent les travaux au col de Tende, la « petite
reine des tunnels », une marmotte des alpages de la Haute Roya, quitte son terrier et part découvrir le vaste monde à
la recherche d’une solution. « Parole de Marmotte » est son journal de bord. Elle y retrace sa quête et ses appren-
tissages du monde des Humains. Pour retrouver les précédents épisodes, lisez les pages 2 des anciens numéros.

LA CHASSE AUX RÊVES EST OUVERTE


10h35. [Messages reçus. Expéditeur :
Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai le sujet. Respiration - Le fait que les animaux puissent s’organiser ne vous cho-
stable, rythme cardiaque ralenti. Toutes les caractéristiques que pas ?
d’un vrai sommeil hivernal » - Non, mes chats forment souvent des coalitions contre moi
- Aaah ! …. (Le professeur Delporte affiche des signes mani- pour voler de la nourriture.
festes de satisfaction en verrouillant son Smartphone) Voilà - Bien. Lire les rêves de cette marmotte nous permettra d’y
qui est fait. Excellente nouvelle. Nous allons pouvoir commen- retrouver des souvenirs, des images de ce qu’est le RAR. Une
cer ! Enfin, si vous êtes engagée, bien sûr ! forme de vidéosurveillance déléguée. Certes, ces images
- Justement, si vous pouviez me résumer l’objet précis de mon seront déformées par le filtre psychique du rêve, c’est là que
stage… (La candidate, d’une trentaine d’années, brune et nous allons avoir besoin de vous.
anguleuse, sort un stylo et un calepin. Elle est toute ouïe, et - Ce sera un défi passionnant !
souhaite que cela se voie). - Je n’ai pas fini. Pour une raison qu’on ignore encore, notre
- Le programme auquel vous avez postulé est probablement le sujet semble être important pour le RAR. Une hypothèse,
plus ambitieux depuis que l’Homme a marché sur la Lune. A encore à vérifier, est que l’organisation soit, elle aussi, inté-
nous, à vous aussi, si vous avez à travailler avec moi, de le ressée par ses rêves. Voire, même, qu’elle y cherche des
prouver à ceux qui nous prennent pour des rigolos, là-haut, au messages pour orienter ses actions.
Ministère. Comme vous l’avez lu dans la description du poste, - Comme dans certaines sociétés indigènes, guidées par les
il s’agit, dans un premier temps, d’une expérience de capta- rêves des chamans ?
tion et d’interprétation des rêves d’un animal, une marmotte - Par exemple. Si l’hypothèse se vérifie, intercepter les rêves
des Alpes. Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce stage ? de cette marmotte nous permettra d’anticiper les mouve-
- J’ai le projet d’ouvrir un cabinet de zoothérapie [1]. Mon ex- ments du RAR et d’apporter la preuve de son existence.
périence de psychologue a besoin d’être complétée par une - Extraordinaire. Je peux vous poser une question ?
meilleure compréhension des affects d’animaux sauvages. Ce - Faites.
stage m’offre une opportunité immanquable. Bien entendu, je - Pourquoi un laboratoire de pointe comme le vôtre fait-il
serai aussi heureuse d’apporter ma pierre à l’édifice de la appel à des stagiaires pour des missions aussi délicates ?
science. - Par manque de budget. Au Ministère, ils nous prennent
- Bien. Ce que la description ne dit pas, mais que vous devez pour de doux rêveurs. Ils refusent obstinément d’admettre
comprendre pour mesurer l’ampleur de l’enjeu, c’est la nature que les animaux sont capables d’organisation et qu’ils ont
de ces rêves et le choix particulier du sujet. Cette marmotte donc le potentiel de se rendre dangereux pour l’équilibre
n’est pas comme les autres. Depuis plus d’un an, elle a aban- fondamental de notre société. Ils ne se rendent pas compte
donné son habitat naturel, et notre agent vient de la localiser à non plus des formidables débouchés commerciaux que rep-
15 km en aval. L’année dernière, elle
n’a pas hiberné, c’est dire à quel point
son comportement est anormal. Nous
tenons de source sérieuse qu’elle se
comporte ainsi en réaction à une modi-
fication brutale de son environnement.
Mais aussi, tenez-vous bien, il semble-
rait qu’elle soit guidée par ses rêves.
Un rêve en particulier lui a fait prendre
la direction du littoral, jusqu’à rentrer
en contact avec le RAR.
- Le RAR ?
- Renseignements animaux de la Roya.
Une organisation animale dont l’objet
pourrait être subversif. C’est ce que
nous chercherons à prouver.
- Ah…
- Vous me prenez pour un fou ?
- Non, pas du tout, j’ai toujours été
convaincue que le danger était partout.

Page 2 La Marmotte déroutée


LE TEMPS D’UN RÊVE
Le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre, ce n’est
pas la ligne droite, c’est le rêve (proverbe malien)

résenteront les données de notre expérience ! Les chercheurs Rêve de marmotte?


en biologie ou en neurosciences donneront cher pour y accé-
der ! Et que dire des gribouillards en sciences sociales qui vous Dès l’automne, la durée du sommeil des marmottes s’allonge et
font des tartines sur l’intériorité des non-humains ? Non, au Mi- l'activité se réduit au ramassage d'herbes sèches pour installer
nistère, ils nous laissent à peine survivre. Tout notre budget la litière du terrier d'hiver. Puis, nos amies s'endorment en
part dans le matériel. Vous ne serez pas rémunérée. Ils ne fer- boule, la tête logée entre les pattes postérieures, les unes
contre les autres. La vie est maintenue au ralenti grâce aux
ment pas notre labo parce qu’il leur donne une caution écolo,
réserves de graisse accumulées.
cette fleur verte gentille qu’on colle en bas des rapports. Ils En dépit de l'expression « dormir comme une marmotte »,
n’ont aucune idée de la portée géostratégique et commerciale l'hibernation n'est pas un sommeil, mais plutôt une « vie
de nos travaux. Ni de leur contribution notoire à la sécurité in- ralentie ». Toutes les deux à trois semaines, l'hibernation est
térieure. interrompue pour rejoindre les toilettes dans un état second,
- En effet. ou pour... dormir ! Comme les autres mammifères, quand elle
dort, lors de ses phases de sommeil paradoxal, la marmotte
- Et puis, imaginez seulement, si on se laisse rêver un peu, pour
rêve et remue. Elle « défragmente son cerveau » et mémorise
de bon cette fois : si nous trouvions un moyen d’orienter les (cf. p 5). Il semble ainsi que l'action réparatrice du véritable
rêves du sujet ? Ce serait un pari incroyable, mais il n’est pas sommeil et du rêve est indispensable pour la reine des tunnels
complètement hors de portée. Vous savez que des expériences comme pour nous ! AL
sont déjà menées en ce sens sur des sujets humains, avec leurs
premières applications commerciales [2] ? Mais nous n’en som-
mes pas là. Et il nous faudra faire vite, pour remettre cette mar- ***
motte dans le circuit à temps. Vous le voulez, ce stage ? 12h. Vallon de la Bendola, non loin du croisement avec la
- Oui, Monsieur. RD 6204. Le lièvre-messager, essoufflé, halète sa missive à
- Alors, au travail ! l’oreille d’Épicure-le-Chat : « Alerte urgente au centre d’infor-
*** mation de Berghe : les Humains ont pris la Marmotte. Par chan-
10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de ce ou par leur gaucherie, le centre n’a pas été découvert ».
Berghe. Le stagiaire nº 1, regard fuyant, lunettes vissées au
bout du nez, enlève le bout de tissu imbibé d’éther du mu- En guise de merci, le Chat le gratifie d’une œillade perçante
seau de la Marmotte. Il se saisit d’un sac de sport couleur et quelque peu carnassière qui le fait bondir de deux pas en
crème, aux bords renforcés et percés de trous pour y dépo- arrière.
ser délicatement la bête immobile. FLRF

[1] Thérapie qui utilise la proximité d'un animal domestique ou de


*** compagnie auprès d'un humain souffrant de troubles mentaux, phy-
10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de siques ou sociaux pour réduire le stress ou les conséquences d'un
Berghe. Deux ombres encapuchonnées observent la scène. traitement médical ou des problèmes postopératoires (définition de
- Enfoiré, il l’emporte. Wikipédia).
[2] A ce sujet, lire : Guillaume Grallet, « Le high-tech veut contrôler
- T’inquiète. Il a l’air d’un bleu. On va le suivre.
nos rêves ! », Le Point du 10/07/2014, disponible en ligne.

Tu rêves!
« Et si, pour le prochain numéro, on choisissait un thème léger, facile ? » - « Le rêve ? » -
« Bonne idée, enfin un sujet qui nous reposera! » Facile ? Quelle prétention ! Il nous au-
rait été impossible d’être plus loin de la réalité ! Rêve endormi, rêve éveillé, capté, inter-
prété, fou, artistique, technophile, impossible, solitaire, collectif…, - et on n’a pas fini
d’énumérer les directions dans lesquelles le thème du rêve nous entraîne. Mais puisque
c’est décidé, on tente : fermez les yeux, ouvrez les yeux, rêvons, c’est parti !
« Élève Dupont ! Je vous ai posé une question, vous rêvez oudu réel ou du rêve, mondes séparés par des portes, telle cel-
quoi ? » le franchie par Alice qui s'en va au pays des Merveilles. An-
Ben oui, je rêve tout éveillé, je suis cet oiseau qui est passé
dré Breton et ses amis s’étendaient avec une clé en main, la
devant la fenêtre et je pars en voyage loin de cette classe.main placée au-dessus d'une soucoupe et à chaque endor-
missement, celle-ci tombait dans la soucoupe et réveillait
Capter les rêves celui qui la lâchait. Or, à force de s’empêcher de dormir,
Fascinant monde des rêves ! Si les rêves éveillés reflètent donc aussi de rêver suffisamment, les deux mondes se mé-
nos souhaits et nos états d’âmes, quand nous dormons, les langèrent et la folie s'installa !
rêves deviennent plus complexes à cerner. Les surréalistes
ont joué à s’empêcher de s'endormir profondément pour Rêves et folie
avoir accès aux images oniriques qui peuplaient les prémi- Les privations de sommeil sont extrêmement dangereuses
ces de leur sommeil. Y trouver des inspirations au-delà du pour l’équilibre mental, elles sont d'ailleurs utilisées depuis
réel et emmener l’autre, grâce à leurs œuvres ainsi réali- des siècles comme méthode de torture, mais sait-on seule-
sées, dans un monde inexploré. Beaucoup pensent qu'il y a ment si c'est le manque de sommeil ou celui du rêve qui est
bien deux mondes dans lesquels nous vivons alternativement si dommageable ? Il semble bien que nos rêves nous soient

Janvier 2018, nº13 Page 3


DOSSIER Brigitte Bardot a vu en rêve la résurgence de
Notre-Dame-des Fontaines remplie de bébés
phoques...
Et Donald Trump, un mur plus haut que le Bego
le long de la frontière

d'entrer pour réaliser mon rêve ! C'est là que mon


cerveau aura largué ses formidables capacités pour
devenir une vulgaire éponge ! Les écrans de toutes
sortes ont ce pouvoir d'attirer notre attention et de
nous abêtir. Si nous voulons faire avec nos rêves à
nous, il vaut mieux s'en éloigner !

Mais que faire avec nos rêves ?


On l'a vu précédemment, ils sont sources sublimes
d'inspirations créatives artistiques. En peinture, nous
avons une multitude d’œuvres, en voici quelques-
unes qui à mon goût valent le détour. Dès le XVème
siècle, Canavesio plonge dans ses songes pour pein-
dre, à la Brigue, « l’Apocalypse de Notre-Dame-des-
Fontaines » ; au XVème également, Hieronymus
Bosch, « Le jardin des délices » ; au XVIIIème, Wi-
lliam Blake, « l’Ancien des jours » ; au XIXème, Klimt,
« le Baiser » ; Khalil Gibran, « Au cœur du Lotus » ; au
XXème, Dali, « Les montres molles », Picasso, « Les
demoiselles d’Avignon », Magritte, « Pommes ».
Alors, oui, créons à partir de nos rêves, même si le
talent n'est pas toujours au rendez-vous, nous n'en
tirerons que du bon (lire, p. 12, Journal de n’importe
qui).

Nous pouvons également y chercher un sens via l’in-


terprétation. Là, la prudence est requise car il est
trop facile de passer à côté du sens caché et cela
peut nous amener à de grossières erreurs. Pour les
rêves prémonitoires, il y a couramment inversion de
la signification apparente. Il y a plusieurs types de
décryptage. Avant Freud, les rêves étaient ressentis
comme des messages divins : les esprits, les dieux,
voire le diable nous parlaient à travers nos songes et
les augures, spécialistes de l'interprétation, étaient
là, dans les temples, pour décrypter. Pour Freud, le
rêve est la voie royale d’accès à l'inconscient et sa
compréhension, un axe central pour la guérison des
hystéries et autres problèmes psy. Yung y ajoute un
indispensables même si nous ne nous en souvenons pas suffi- accès à l'inconscient collectif. De nombreux livres et sites
samment. Internet, à utiliser toutefois avec prudence, peuvent nous gui-
der dans le décodage de nos rêves. Avant tout, se souvenir
Les liens entre rêve et folie ont retenu l'attention de moult de son rêve, se dire au coucher qu'on va s'en rappeler, avoir
psy. De nombreux thérapeutes se sont penchés et se pen- un carnet et un stylo à portée de main au réveil, car sinon tout
chent encore sur les rêves pour guérir le psychisme, et tout s’évapore. Noter aussi le sentiment lié à l'image.... Bref, il y a
un tas de méthodes consistent à interpréter les rêves à l'aide de quoi s'occuper et il faut prendre son temps. Belle chasse
de clés, comme une langue méconnue qui permettrait de aux trésors !
trouver les causes du mal de vivre. Et si c’était l'essence
même de nos rêves que de nous dire secrets et trésors ? Parlons du rêve éveillé, l’idéal à atteindre ; le plus grand
bonheur, c'est souvent de réaliser son rêve ! Les rabats joies
Rêves imposés sont souvent là pour nous dire « tu rêves ou quoi, c'est pas
Détourné, « le rêve » tient dans notre société marchande un réalisable ! » C'est là que vient le combat face à ceux qui ne
rôle important pour créer les besoins et huiler la consomma- croient pas aux changements ou préfèrent faire l'autruche.
tion. Les rêves d’être et d’avoir se font hameçons pour la Mais là encore, un piège : à force de rêver, la vie s’écoule, le
pêche au consommateur. Le spot publicitaire se fait « rêve temps, lui, ne s’arrête pas, et mon rêve reste rêve. Il peut
endormi » en imitant sa structure irréaliste et incohérente, même insidieusement devenir l'alibi de mon non-faire. Alors,
l'espace et le temps y sont déformés, le fantastique y règne, oui, rêvons et battons-nous pour réaliser nos rêves plutôt que
les couleurs et les formes nous appellent au pays des songes, nos cauchemars !
ce monde attirant que nous avons tant de mal à mémoriser et
qui est pour nous un besoin fondamental. Et l’acquisition du PS : Il était une fois….
produit vanté devient le « rêve éveillé », l’idéal vers lequel … quelques convives autour d’une table ; l’un sort quelques
tout un chacun tend. Ainsi, éveillé, je me rêve au volant d'une poires bien mûres, l’autre s’exclame : “ce serait si bon de les
voiture fabuleuse ; ou bien, belle comme le jour, j'attire le manger chaudes avec du chocolat fondant!” ; et l’une se lève
magnifique autre grâce à ce parfum irrésistible, dont il n'est et en deux temps, trois mouvements, le dessert succulent est
même plus question de prix. Je suis subjuguée et un jour, en sur la table, au grand bonheur des amis. Moralité, à plu-
passant devant une chic parfumerie, je ne pourrai me retenir sieurs, on réalise encore mieux ses rêves.
La belette

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LE TEMPS D’UN RÊVE
La défragmentation cérébrale
Nos connaissances du rêve sont encore limitées. Selon de nombreux neuroscientifiques, ils permet-
traient en quelque sorte de "défragmenter" notre cerveau, organiser et synthétiser notre mémoire,
préparer le terrain pour les informations à recevoir ou à transmettre et digérer nos émotions.
Après une journée chargée, il est temps interrogations, nos ressentis... Il aiderait automatiquement in-
de se mettre au lit. Trois à cinq cycles de à organiser toutes les informations que corporés dans la na-
sommeil de 90 à 120 minutes se suc- traite notre cerveau, à les mettre en lien rration du rêve, au lieu d'en interrompre
cèdent, entrecoupés de périodes d'éveil quand il le faut, à « traiter » nos malheurs l'histoire. Ce qui suggère que le rêve est
(sommeil intermédiaire). On relâche les et nos bonheurs. C'est pour cela que nos le gardien du sommeil" [4].
muscles et le rythme cardiaque pour rêves sont souvent en lien (plus ou Le Dr. Allan Hobson proposait, pour sa
entrer en somnolence et s'assoupir. moins direct) avec nos préoccupations part, en 1977, une "nouvelle théorie du
Durant les 4 à 12 heures de sommeil, la et peuvent même être perçus comme rêve", hypothèse selon laquelle "les
moitié sera caractérisée par un som- des événements vécus. Lorsque l'on rêves seraient une activation-synthèse de
meil léger, très sensible aux stimuli manque de sommeil, la partie frontale la conscience destinée à attribuer un sens
externes. Puis l’activité cérébrale ralen- du cerveau ne fait plus le tri et "notre à des signaux aléatoires produits au cours
tit à son minimum durant le sommeil capacité à décider si un souvenir est vrai du sommeil", qui justifierait ce mélange
lent profond. Ensuite, le sommeil pro- ou faux est alors affaiblie, ce qui peut en- de cohérence et d'étrange.
fond se caractérise par l'endormisse- traîner la production de faux souve- Michel Jouvet désigne ces phases oniri-
ment de l’ensemble du corps (les mus- nirs" [3]. Le cortex pariétal et frontal, ques comme des simulations de la réali-
cles, le cerveau). Cette phase de repos impliqué dans l'esprit critique, est té permettant de s’entraîner et donc
total permet de récupérer la fatigue désactivé ce qui favorise diverses ano- d’accélérer la maturation cérébrale [5];
physique accumulée (c’est aussi à ce malies comme la non réaction aux sons simulations que les rêves lucides per-
moment que peut survenir le mettraient de contrôler.
somnambulisme). Nos yeux De nombreux facteurs altèrent la
sont en mouvement et notre qualité de notre sommeil : l'alcool,
respiration devient irréguliè- la nicotine, les repas trop lourds,
re, le cerveau émet des ondes la télévision, les lumières artificie-
rapides. Nous entrons dans un lles le soir. Le réveil qui sonne
état particulier et profond de tous les matins briserait, selon une
notre sommeil identifié à la fin étude récente, « les périodes de
des années 1950 : le sommeil sommeil paradoxal les plus longues
paradoxal ou sommeil rapi- » [6]. Une vie équilibrée et simple-
de. Il occupe environ un quart ment le fait de s'offrir, dans la me-
du temps de repos mais peut sure du possible, des réveils natu-
laisser penser que l'on est sur rels vous aideront à mieux vous
le point de s’éveiller. Selon reposer, à combler cette nécessité
l’onirologue Michel Jouvet [1], physiologique qu'est le rêve, et
"[cet] état ressemble à un donc à favoriser une bonne santé
éveil, à cause de l'activation mentale et la mémorisation des
corticale qui simule un vérita- données.
ble éveil actif : ce serait alors
Signature
un éveil paradoxal puisque le
seuil d'éveil augmente !" [1]. [1] Michel Jouvet, De la science et des
rêves, mémoires d'un onirologue, Odile
Les rêves, qui peuvent surve-
Jacob, 2013.
nir durant le sommeil léger, se Rêve lucide : Cette technique de rêve contrôlé [2] Une étude a montré que les animaux
manifestent principalement consiste à prendre connaissance de son rêve et l'orienter privés de sommeil paradoxal mourraient
durant cette phase et ne durent pour en changer le déroulement. Cela peut commencer au bout de 3 à 6 semaines.
en réalité que quelques secon- par le constat d'un cauchemar afin de s’éveiller pour le [3] Pr. Diekelmann, psychologue spécia-
des. Ils sont généralement effa- faire cesser. Mais il semblerait qu’il soit aussi possible de liste en neurosciences cognitives à l'Uni-
cés avant le cycle suivant. C'est modifier le cours de son rêve sans devoir s’éveiller ! versité de Tübingen (Allemagne).
pourquoi on ne s'en souvient [4] Pr. Martin Desseilles, du dépar-
que très rarement. Cette phase étrange rentrés dans les habitudes, etc. L’image- tement de psychologie médicale de l'Univer-
sité de Namur (Belgique).
de la vie où l'être est démuni et à la mer- rie cérébrale permet d'observer l'éveil
[5] En observant une corrélation entre la
ci des prédateurs, où notre cerveau de certaines régions du cerveau quantité de sommeil paradoxal dans le règne
bouillonne et consomme beaucoup d'én- (visuelles, motrices, émotionnelles, mé- animal et le niveau de maturité des bébés à la
ergie, semble vitale [2] et anime la vie moire autobiographique) pendant que naissance.
de tous les animaux. d'autres demeurent profondément en- [6] Sarah Winkel, « Rêver, c’est bon pour la
dormies (placement d'objets dans leur santé », 7sur7.be, 30 octobre 2017
Rêves et mémoire contexte). Cela explique probablement (disponible en ligne)
Le monde onirique serait étroitement lié le caractère visuel des rêves et les fré- Autres sources:
à notre mémoire, notre capacité d'enre- quentes aberrations spatiales. Durant le « Rêves, cauchemars… Que veulent-ils nous
dire », www.passeportsante.net
gistrer et d’organiser le chaos mêlant sommeil paradoxal, "une relative quies-
Jean du Chazaud, «Le rêve est-il nécessaire à
nos souvenirs de la journée et de la se- cence du réseau attentionnel peut expli- la santé ? » sur www.endocrino-
maine au reste de notre vécu, à nos quer pourquoi les stimuli externes déli- psychologie.org
raisonnements, nos apprentissages, nos vrés à ce moment sont soit ignorés, soit
Page 5 La Marmotte déroutée
LE TEMPS D’UN RÊVE
B’Rêve-sur-Roya
Et si l’histoire d’un village, d’un lieu était construite par les rêves de celles et ceux qui y
ont vécu ? Et si chaque lieu avait son propre rêve ?
J’ai commencé à rêver les arbres du bosquet sacré de la Gian- me rendit invincible, construisirent des
au temps de ma jeunes- dola. Alors sur une crête rocheuse en- ponts au-dessus des abimes.
se, quand régnaient les guerres des tourée de falaises dominant la rivière, Puis ils détruisirent le château et chaque
clans du Silex. J’étais au col de Brouis les hommes construisirent une forteres- pierre, avec son petit bout de rêve,
affrontant vents et pluies, je me riais se de pierre en s’inspirant des nefs du égayait à présent leurs nouvelles de-
des avalanches, mes bâtisseurs par di- cloué. meures. Ils couvrirent mes toits de terre
zaines s’en allaient graver des prières cuite, pavèrent mes rues de galets, firent
sur le flanc du Bego pour que je rêve C’est ainsi que démarrèrent mes rêves chanter des fontaines et dansèrent à
encore. d’adulte, j’avais trouvé ma place. Les 2000 pendant la Stacada. Pour parfaire
hommes se regroupèrent, toutes les mon paysage onirique, ils sculptèrent
A mon adolescence, je rêvais dans les masures et chaumières se retrouvèrent des milliers d’escaliers dans la montag-
collines, de simples maisons de bois aux au pied du château. ne et créèrent un verger de 150 000 oli-
fondations de pierres me servaient de viers. Et, en guise de cathédrale, ils fi-
corpus. Les hommes faisaient toujours la C’était l’âge d’or, mes plus beaux rêves rent surgir Santa Maria in Albi.
guerre, mais ils défrichaient aussi les se réalisaient tous, les uns après les au-
forêts, chassaient ours et loups pour pro- tres. Avec les faucons, je rêvais d’une 200 ans plus tard, le cauchemar a com-
téger les troupeaux, ils adoraient les tour dominant le ciel. Les hommes cons- mencé, le clan du Progrès est arrivé, il a
dieux de la montagne mais truisirent la Cruella ! Pour égayer mon remplacé ma muraille par des bouchons
avaient oublié le Bego. Leur nombre paysage, les gars de la croix édifièrent de voitures, transformé la terre en gou-
augmentait, un soir j’en ai compté 200. des clochers. Même quand ils s’entre- dron, abandonné les oliviers, cimenté les
Pour organiser leur éternel conflit, les tuaient, je rêvais toujours, mais de pri- maisons et les ponts, grillagé la rivière,
hommes se soumettaient entre eux et les sons, de canons et d’une muraille pour tué les paysans, remplacé les faucons par
chefs les faisaient travailler à m'embellir. protéger mes maisons. des avions, vidé les églises, rempli les
J’étais de bois mais déjà la pierre A présent, les hommes étaient si nom- banques ; le chemin ducal est transformé
s’échappait des fondations pour faire breux que même après une peste, ou en voie rapide, plus de charrettes, plus de
des murs supportant des poutres et un une guerre, il en restait encore plus de mulets, plus de moutons mais des ca-
chapeau de chaume. A ce moment-là mille sur ma commune. mions. Moins de bons sens mais le Crédit
arriva le clan du crucifié avec ses magi- Les hommes pétrissaient les pierres, le agricole, plus de veillée mais des télés,
ciens, ses architectes et ses banquiers. feu, le fer, maitrisaient les rivières, le plus de tavernes et plus de chanson... Et
Ils remplacèrent les anciens dieux par le vent et même les étoiles, je rêvais d’or, comble du cruel, creusé un lac qui sera
cloué vif et stupéfièrent la population en d’encens et de myrrhe. Ils me tracèrent ma tombe ! Sous les caméras de la Ca
construisant une nef de pierre flanquée une route pharaonique creusée dans la d'Breil, entouré d’hommes électriques et
d’un clocher qui montait plus haut que montagne, ils érigèrent une muraille qui de filles en plastique je ne rêve plus !
Zézé
Si j’avais un rêve :
A l’enfant qui sommeille en chacun de nous : ferme les
yeux et fais trois vœux… Mais moi, dans mon rêve, je n’en
ai qu’un : tenir la baguette magique !
Avec elle, j’entendrai les enfants piailler sans craindre
l’asthme et les bronchiolites et courir après leur ballon
sans risquer un destin de hérisson.
Avec elle, notre «train» «riant» comme un «tarin»* est une
ligne de vie, un lieu de vie... Wagon musique, wagon li-
vres, wagon marché, wagon sportif, wagon terrasse,
wagon paysage et tranquillité, wagon « retraite et contem-
plation », wagon surprise, wagon à thème.... Et cela en
incessants allers-retours, de gare en gare fleuries aux
quais enfiévrés.
* petit oiseau chanteur de la famille des passereaux
Si j’avais un cauchemar :
Si j’avais un cauchemar à raconter, dans mon lit à l’étage...
Ma baguette magique est écrabouillée sur la route...
Et alors je vois du gris partout, des volets tous clos, des
plantes désormais anorexiques et moribondes. Au-dessus
de moi des viaducs occultent le soleil et les étoiles.... Je
n’ai plus qu’à partir et dire adieu à la vallée de la Roya
sacrifiée sur l’autel de nos égoïsmes ....« No future »
Les Coyotes des Alpages

Janvier 2018, nº13 Page 6


DOSSIER
L’oiseau vole en cercle
Au-dessus des montagnes, les nuages se chargent d’hiver
La flûte sonne sur les ruines des remparts

Installez-vous. Parlez-moi de vos tension était si fragile…


rêves et de vos cauchemars.
Depuis quelques temps, je rêve que Poursuivez !
je suis deux ! Tout allait bien pour- Je crois que je manque
tant y a quelques années. Et puis, on d’amour. Vous me sui-
a commencé à me faire sentir vieux, vez ? D’apparence mas-
obsolète. Terrible sentiment. Je suis culine, je suis un symbo-
un tunnel, je ne pouvais pas tuer le évidemment féminin…
mon père et me marier avec ma mè- Tandis que les véhicules
re, j’ai donc décidé de refouler mes qui me traversent…
complexes. Je sais, c’est une très phalliques, bien enten-
mauvaise habitude. du. Vous me suivez ? J’ai
beau avoir un bel âge, je
Dites m’en plus sur vos comple- souffre de manque de
xes ? reconnaissance. J’ai l’im-
En fait, je n’en avais pas il y a encore pression que je fais peur.
quelques mois. Un jour, on est venu Pourtant, il ne faut pas se tromper.
me forer les côtés à différents en- Bien entendu, mon «moi » est un tun-
droits et je me suis rendu compte nel austère. Mais mon surmoi, ce
qu’on me rattachait à une sorte d’ex- que je cache à moi-même mais aussi
tension de moi, sensiblement plus aux autres, c’est un vide
récente, mais, avec un mal-être pro- « d’amour » qui n’est pas comblé ! …
fond…Une sacrée expérience. Je Ah, ça va mieux en le disant. Merci
pense qu’il s’agissait de mon incons- de m’avoir écouté. Combien je vous
cient, mais à ce moment-là, je sentis dois ?
beaucoup de souffrance. Cette ex- Jidé

Dialogue avec un chevreuil


OREILLES TENDUES rêveur
Quelle idée saugrenue a-t-elle eu, la Marmotte, de partir à la recherche de rêveurs-rêveuses en ce premier
mois d’hiver ! Et en plus, après les fêtes, à l’entrée d’une période creuse où l’on ne rêve même plus de cadeaux ou de
repas gargantuesques ! Mais si c’était, tout au contraire, le bon moment pour prendre du recul et regarder nos rêves -
enfin, pour ceux/celles qui en ont - avec un peu de sérieux ? Quoi qu’il en soit, la Marmotte a bien fini par tomber sur
un rêveur, et pas des moindres. Son rêve ? Être un chevreuil. Voici quelques extraits de leur conversation.

M : Réalise-t-on vraiment nos rêves ? Mais déjà, pour com- fait du happening. On agite un couteau en plastique, inoffensif
mencer, rêve-t-on vraiment ? même s’il peut être impressionnant, le seul outil admis.
Élaborer tes rêves, c’est un effort, un travail presque, une M : L’émeute, c’est aussi un jeu ?
torture. Délimiter ton espace de subjectivité. Là où c’est toi Non, parfois, c’est spontané et ça peut devenir ingouverna-
qui penses, et pas la morale ou les conventions. Le temps ble. Mais quand c’est un but en soi, donc prévisible, on reste
mort, le manque d’intensité, la mort à petit feu par ennui, dans les règles statistiques. Le théâtre est l’espace qu’on
c’est là que les rêves peuvent devenir sombres, et la violence nous laisse pour canaliser nos rêves et neutraliser notre vio-
faire son entrée. Mais la violence, tu peux la donner pour t’é- lence (fût-ce en la réalisant pour de faux). Pour orienter la
manciper. créativité et l’intelligence des gens dans le sens du pouvoir,
Souvent, et on le sait, même quand on croit réaliser nos on peut utiliser des coups de bâton ou des récompenses. Du
rêves, on reste dans le faux. Même quand ils contiennent pain et des jeux. Un bon spectacle est une bonne récompen-
quelque chose de vrai, c’est noyé dans du faux. Quand les se.
pubs utilisent des termes comme « révolution », « réalité » ou M : Qu’on le regarde ou qu’on en soit l’acteur. Ça défrus-
« rêve » pour vendre un robot épluche-légumes ou une voitu- tre ?
re, on s’habitue à la mise en scène de la vie. Et quand on a un
C’est ça, quand le spectacle finit, on a vécu des choses, puis
choix à faire, on se réfère à un catalogue.
le rideau tombe et on rentre chez soi.
M : Même quand on résiste ?
M : Que faire alors?
Quelqu’un d’opprimé devient agressif, enfin, normalement.
Récupérer le vrai terrain de la rue. Nous associer. Avec des
Mais la plupart du temps, nos résistances sont du théâtre, un
passions à partager.
truc à propos duquel tout le monde sait par avance qu’il sera
inoffensif – la manif en est une incarnation par excellence, M : Et pourquoi vouloir être un chevreuil ?
mais beaucoup d’autres formes de mobilisation le sont tout (Il n’y aura pas de réponse à cette question)
autant, qu’on les étiquette de légalistes ou d’anarchistes. On Oreille tendue par Andrea
Page 7 La Marmotte déroutée
DOSSIER Le sanglier rêve de cimetières remplis de chasseurs,
Et le chasseur, de forêts pleines de sangliers vivants.

Du rêve à l’action : Savourer le vertige sans céder à l’appel du précipice


Rêve (éveillé) : « production idéale ou chimérique de l’imagination destinée à satisfaire un besoin ou un désir, à refuser une réalité
difficile, à représenter ce que l’on veut accomplir » (Dictionnaire Antidote).

Les rêves éveillés n’ont pas pour vocation


première d’être réalisables, ce sont des rêves,
pas des projets. On ne rêve pas un plan d’action
ou une feuille de calcul, on rêve des situations,
des émotions. Mais nos projets peuvent se nourrir
de ces situations imaginaires et nous, avoir be-
soin d’elles pour y puiser nos intentions. Il y a des
rêves qui nous portent, nous accompagnent à la
manière d’une puissance secrète qui nous fait
prendre de la hauteur sur les problèmes du quoti-
dien. D’autres, mettant en scène quelque détail
possible de notre vie, promettent une récompen-
se dont l’avant-goût donne de la niaque à nos ac-
tes et gestes. Mais, à de rares exceptions près, les
choses ne se passent pas comme on les imagine,
et les histoires qu’on se raconte restent trop sou-
vent dans la fiction. Alors, quand la promesse s’é-
vanouit, le rêve n’inspire plus, ne compense plus
l’insipide de la routine, il devient, au contraire, un
facteur d’apathie : quand la distance entre lui et le réel se fait pas tomber dans le travers contraire : mettre trop vite le point
infranchissable, tous nos efforts nous paraissent vains. Nos final à quelque chose qu’on peut rêver de vivre ou de créer,
rêves impossibles rendent nos possibles ternes et creux. De le juger impossible sans lui laisser une chance d’être essayé.
là, il n’y a qu’un pas pour qu’on s’enferme dans l’ennui du « à Un autre piège est le rôle de victime dans lequel on se com-
quoi bon », un vide où on ne veut plus rien puisque tout rêve plait si facilement. Souvent, la réalisation de nos rêves ne dé-
nous semble être un délire. Rêver, c’est vivre dangereuse- pend pas seulement de nous, et les cas où les autres, l’exté-
ment : suivre la ligne de crête au plus près du précipice, sa- rieur et le hasard rentrent en consonance totale avec notre
vourer le vertige sans y céder. Alors, pour peu qu’on veuille imaginaire sont aussi rares qu’un alignement planétaire.
garder ce quelque chose de passion qui fait que nos vies sor- Alors, on peut avoir tendance à rendre les autres responsa-
tent parfois de l’ordinaire, on doit apprendre à apprivoiser bles de nos échecs ou de notre inaction, on fait d’eux des ca-
notre imaginaire et à déjouer les pièges qu’il nous tend. che-sexes de nos peurs existentielles, boucs émissaires de
nos renoncements. Faire face à soi-même est loin d’être faci-
Veiller à ce que le rêve oriente la réalité au lieu d’en prendre le. Il est peut-être plus dur encore, et plus fragilisant à priori,
la place est un jeu d’équilibriste. Oblomov, le héros du roman de parvenir à ajuster nos rêves à ce que sont ces autres, les
homonyme d’Ivan Gontcharov, passe sa vie sur un divan autres vrais, pas tels qu’on les imagine. Et que penser alors
rêvant à un pays chimérique. Les souvenirs d’enfance qu’il y de l’idée folle de partager nos rêves avec eux, de prendre le
retrouve l’égarent dans la nostalgie d’un passé révolu. Sym- risque, pour construire des rêves communs, de voir nos rêves
bole de désœuvrement mélancolique, de perte totale de pri- se désarticuler, de ne plus être uniquement nôtres?
se sur la vie, Oblomov nous éclaire sur la puissance anéantis-
sante des fantasmes [1]. Ces créations psychiques, nos créa- Un rêve devient rarement réalité sous sa forme de départ,
tions, sont faites pour exhausser nos désirs. L’extrême préci- avec tous ses détails. Mais il peut être à l’origine de réalités
sion de leurs voyages immobiles rend le passage à l’acte su- qui n’existaient pas avant lui. Un rêve ne meurt pas : soit il
perflu. En parallèle, souvent, l’intensité des émotions qu’elles nous hante, soit il se métamorphose, et cette deuxième option
nous procurent, alliée à la conscience de ne pouvoir les vivre laisse beaucoup de possibilités. Accepter que nos rêves évo-
que « pour de faux », nous accaparent, nous empêchent luent au contact du réel implique le courage, non pas d’y re-
d’« être là » et d’être sensibles à la beauté de ce qui existe. noncer, mais de pouvoir les mettre en pièces pour les remo-
Notre monde imaginaire devient ainsi un puits à frustrations. deler, tel un échafaudage mental qu’on change régulièrement
C’est un savant dosage que d’imaginer assez pour nourrir le d’endroit et qu’on ajuste sans cesse pour qu’il s’élève plus
désir de faire et s’arrêter avant que les méandres de l’imagi- haut tout en étant plus solidement ancré au sol. L’altérité,
naire ne nous retiennent prisonniers. même faite de blocages, apporte à cette entreprise un salutai-
re décalage, comme lorsque, confronté à une impasse d’or-
Une force vitale plus qu’un espoir dre pratique, on cherche un regard neuf pour en sortir. Nos
rêves peuvent être des trames dont on s’amuse à revisiter les
On rêve toujours au-dessus de nos moyens. L’admettre par scénarios, laissant aux situations réelles, avec ce qui les com-
avance peut nous aider à amortir les chutes. Mais, en antici- pose, un large espace d’improvisation. Souvent, le contenu-
pant et en désamorçant ainsi nos frustrations, faut-il encore ne même de nos rêves reste emprisonné par le déjà-vécu ou par

Page 8 La Marmotte déroutée


LE TEMPS D’UN RÊVE
des idéaux figés, tout comme nos bancs d’essai pâtissent des pré- [1] Un fantasme est une « production de
jugés qu’on cultive sur nos limites. La connaissance de soi, précieu- l’imagination qui exprime des désirs
se pour ne pas tomber trop bas, devient parfois notre plus grande conscients ou inconscients », il n’est pas
forcément sexuel. Un projet, individuel
prison. En acceptant d’ouvrir nos rêves à l’inconnu, celui précisé-
ou collectif, aux attentes trop détaillées
ment qu’on ne peut pas imaginer, on évacue non seulement la peur en est, par exemple, aussi un.
et la douleur des échecs. On s’offre le luxe de rêver au-delà de
nous, pour « devenir sans cesse » [2]. [2] « Ne soyez rien, devenez sans cesse »
est l’adage inspirant d’un des protagonistes du roman
SIgnature
d’Alain Damasio « La Zone du Dehors ».

Rêve de sciences
Être immortel, dompter la nature, s’affranchir des limites de l’espace, voler… La science fait
rêver. Pourtant, le mythe du progrès scientifique infini a beaucoup été critiqué par le passé et fait tou-
jours encore (un peu) débat.

Des superstitions au scientisme Le scientisme, nouvelle superstition ? « Science sans conscience n’est que
ruine de l’âme » (Rabelais)
Pendant des millénaires, la magie, le L’évolution des espèces (Darwin), la
mysticisme et la religion ont joué un mécanique classique (Newton), la ri- Nous sommes (encore …) des êtres sen-
rôle de premier plan dans la com- chesse des nations (Smith) ou la créa- sibles, sujets à des émotions qui nous
préhension que les Humains avaient du tion de l’univers (théorie du big-bang) : sont propres. La colère, l’amour, la tris-
monde. Cette emprise, qui paraissait peut-on réellement tout expliquer tesse, la joie… Sans cela, nous serions
inébranlable, a donné lieu à des régi- scientifiquement ? Aujourd’hui, la scien- des clones, dépossédés de nos subjecti-
mes politico-religieux dont la monar- ce est omniprésente, privilégiée dès les vités, de notre « âme », de ce qui fait
chie héréditaire de droit divin est l’un bancs de l’école, vulgarisée dans les que nous sommes ce que nous sommes.
des exemples paradigmatiques. Puis, magazines grand-public ou les émis-
entre le XVIème et le XVIIIème siècle, sions radio, à portée de nos doigts au Critique du progrès : les néo-luddites
les découvertes scientifiques et les in- travers des smartphones. La fusion nu-
Le néo-luddisme est un mouvement
ventions successives ont fait advenir un cléaire nous promet une énergie quasi-
d'opposition à tout ou partie du progrès
nouveau mode de pensée incarné et infinie, la manipulation génétique per-
diffusé par ceux et celles que nous ap- met d’enrichir le golden riz en vitamine technologique. Héritiers des luddites
pelons « les Lumières » - une métaphore A, nous sommes capables de faire pous- du XIXe siècle (ouvriers et artisans an-
pour signifier qu’ils « éclairèrent » le ser des légumes dans un substrat qui glais qui détruisaient les machines par
monde pour le faire sortir de l’obscu- reproduit le sol martien, de sélection- lesquelles on remplaçait leur travail),
rantisme. Les travaux de Descartes, no- ner le sexe des bébés, de refaire mar- les néo-luddites ne sont pas nécessai-
tamment sa méthode dite « rationnelle », cher les handicapés moteurs et de gref- rement technophobes mais plutôt criti-
c’est-à-dire fonctionnant sur de pures fer de nouvelles têtes sur le tronc d’au- ques des technologies et de leurs effets
déductions logiques et sur des expéri- tres personnes, de lire sur le visage sur les individus et les communautés.
ences concrètes, favorisèrent la nais- d’un dormeur pour savoir de quoi il Ils revendiquent un retour à des va-
sance d’un nouveau courant de pensée : rêve [1] (cf. l’encadré ci-dessous) … La leurs et des pratiques plus « naturelles
le positivisme ou scientisme. La science science peut-elle tout ? Doit-on en avoir » et plus simples que celles portées par
nous permettrait de tout comprendre, peur ? Ou bien, nous n’avons d’autre
la technologie moderne. (Source : Wiki-
de « nous rendre comme maîtres et pos- choix que croire en sa toute-puissance,
pédia)
sesseurs de la nature ». sans libre-arbitre, aveuglement ?

Janvier 2018, nº13 Page 9


LE TEMPS D’UN RÊVE
« Je sens donc je suis », pourrions-nous Les nouveaux dieux : transhumanistes et
répondre aux gourous scientistes. Car
une certaine déraison plane sur les géo-ingénieurs
rêves de technologie. Les mythes et la
fiction s’en délectent : Prométhée, en Peut-on réellement « augmenter » l’Humain, comme on
volant le feu aux Dieux, en avait fait les augmenterait le volume d’un poste radio ? C’est ce que
frais, condamné à se faire dévorer cha-
croient les adeptes du transhumanisme, courant qui se
que jour le foie, qui repoussait chaque
situe à la jonction des nanotechnologies (technique de l’infini-
nuit ; Mary Shelley a mis en scène la folie de la technique
sans éthique dans son roman « Frankenstein ». Parfois, ment petit), des biotechnologies (manipulation du vivant), de la
l’invention détruit son créateur ou peut être lourde de génétique, de la robotique et de l’informatique (intelligence
menaces pour la vie telle que nous la connaissons : le artificielle). Visant « la promotion de l'amélioration de la condi-
nucléaire serait capable de faire littéralement exploser tion humaine à travers des technologies d'amélioration de la vie,
la planète ; les nouvelles molécules chimiques font bais- ayant pour but l'élimination du vieillissement et l'augmentation
ser la fertilité des espèces animales ; les manipulations des capacités intellectuelles, physiques ou psychologiques », ils
génétiques (OGM, Crispr-Cas9) détruisent la biodiver- se définissent comme héritiers de l’humanisme. Mais déjà, de-
sité ou menacent de créer des mutants ; le contrôle cli- rrière ces cantiques, on voit se dessiner un avenir marqué par
matique, encore à ses balbutiements, risque de nous les inégalités. Bientôt, « il y aura des gens implantés, hybridés, et
dérégler des systèmes complexes dont on ignore encore ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas, ne
beaucoup de choses ; l’intelligence artificielle (IA) seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré. » «
pourrait trouver l’être humain gênant et vouloir le Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’amélior-
supprimer comme on efface un fichier sur un disque er auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et
dur ; etc. Si dans un premier temps, la science nous aura
formeront les chimpanzés du futur. » [1].
permis de sortir de l’ignorance, aujourd’hui, devenue
hégémonique, elle met notre existence en question.
Même si des mécanismes [2] ont été mis en place pour La but de la géo-ingénierie n’est ni plus ni moins de contrôler le
brider cette science atteinte de mégalomanie, à l’heure climat, notamment pour amoindrir les conséquences dramatiques
de la compétition mondiale et de la marchandisation de d'un futur et probable réchauffement climatique produit par nos
tout, ils sont bien peu de choses (cf. l’encadré ci-contre). émissions de gaz à effet de serre (GES). Un exemple ? Refroidir la
Méfions-nous : n’est pas rare que les rêves de certains planète en injectant dans l’air de la stratosphère, via des aéronefs,
soient les cauchemars des autres (cf. l’encadré p.9). des particules volatiles filtrantes (soufrés) dans le but de créer un
Jidé bouclier protecteur des rayons solaires. Si les recherches menées
en ce sens aboutissent, il nous faudra nous préparer à voir le ciel
en permanence voilé avec d’autant plus de probabilités que les
dernières COP (sommets internationaux sur le climat) ont inscrit
l’usage de la géo-ingénierie dans les possibles mécanismes de
réduction des émissions de GES, aux côtés des énergies renouve-
lables (solaire, éolien, etc.) [2]. D’autres techniques cherchent à
augmenter la capacité d’absorption du carbone des océans (en les
ensemençant avec du fer, en corrigeant leur acidité avec de la
chaux, du calcaire concassé ou en accélérant l’érosion des roches)
ou à éclaircir les nuages marins. Il y en a qui sont même allés jus-
qu’à imaginer repeindre les Andes péruviennes en blanc pour
augmenter leur albédo (pouvoir réfléchissant) ou couper les forêts
boréales pour laisser à découvert le tapis neigeux ! Les principales
pistes jugées « sérieuses » laissent en suspens de très nombreuses
questions. Dans un ouvrage récent, l’essayiste australien Clive
A lire : «La Silicolonisation du Monde» d’Eric Sadin Hamilton [3] passe au crible leurs limites : un très grand nombre
« Au nom de l’innovation, de l’emploi et des sacro-saints d’inconnues dues à la méconnaissance des processus complexes
points de croissance, le pouvoir politique est totalement à la sur lesquels on prétend intervenir, une efficacité douteuse, des
botte du techno-pouvoir et de son économie des start-ups. coûts souvent très élevés et surtout la nécessité de mettre en place
Jamais il ne s’interroge sur les dommages collatéraux de ce de lourdes infrastructures dévoreuses d’énergie et d’autres res-
soutien aveugle, et plus largement d’une telle évolution. Il ne sources»[4]. Et si la solution était le problème ?
veut pas voir, qu’au travers de ce qu’on appelle l’économie
des données, se construit sous nos yeux un modèle de civilisa- [1] Voir le « Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhuma-
tion basé sur la quantification de tout, la marchandisation et la nisme » de Pièces et Main d’œuvre
régulation continues de la vie. » […] « Cet âge de la mesure (chimpanzesdufutur.wordpress.com), 2017.
de la vie est celui de la connaissance quantitative. […] Via les [2] « COP23 : L'ingénierie climatique est risquée mais doit être explo-
applications […], il induit un « accompagnement algorithmi- rée, selon des experts », mediaterre.org, Florent Breuil, le 17/11/2017
que de la vie » […], l’orientation de nos existences, de façon [3] Lire « Les Apprentis sorciers du climat Raisons et déraisons de la
plus ou moins affichée [...], par des suggestions d’ordre com- géo-ingénierie », de Clive Hamilton, Seuil, Col. Anthropocène, 2013.
mercial » (Eric Sadin, l'âge de la mesure de la vie. Une alerte [4] Lire « Extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logi-
ques, conséquences, résistances », de Anna Bednik, Le Passager clan-
contre l'emprise du tout algorithmique, culturemobile.net,
destin, 2016.
27/02/2016)
Page 10 La Marmotte déroutée
DOSSIER
Le commerçant rêve d’avoir un parking, Le patron d’Alice rêve d’un tunnel de Tende
Le transporteur, d’un tunnel Nice-Turin gratuit, triplé, pour augmenter le trafic.
Et le camionneur rêve de passer ailleurs. Et Alice rêve d’être aveugle.

Aux prisonniers mutinés


A ceux qui rêvent sur les toits…
S’il est un endroit où la police et l’armée ne sont la survie. Raoul Vaneigem, pour en accélérer le pourrisse-
plus que des poupées de chiffons, frappant ce qui est à leur ment et la décomposition, disait un an avant les émeutes de
portée avec de vulgaires bouts de ficelles, ça n’est ni dans mai 1968: « Avec ses hantises, ses obsessions, ses flambées de
les églises, ni dans les cités ouvrières, mais dans chaque haine, son sadisme, l’intermonde semble une cache aux fau-
pensée vagabonde où elles se voient mises en échec par les ves, rendus furieux par leur séquestration. Chacun est libre
armes de l’enfance. Là où tout est possible, les braves pan- d’y descendre à la faveur du rêve, de la drogue, de l’alcool,
dores sont transpercés par le ridicule comme le torero, du délire des sens. Il y a là une violence qui ne demande qu’à
quand il est pour-
chassé et mis en
pièces par sa victime.
La flicaille peut se dis-
soudre dans l’esprit
comme une goutte
d’eau dans un fleuve
en crue. C’est dans les
profondeurs du rêve
et le désir brutal d’un
renversement de
perspective, où liber-
té, créativité et spon-
tanéité se réunissent,
que meurt en moi le
sourire forcé de l’au-
torité. Il me suffit de
parler à mes rêves
pour que mes rêves
me répondent aus-
sitôt. J’entre dans la
forêt sans nom où la
biche de Lewis Ca-
rroll explique à Alice :
« Imagine que la maî-
tresse d’école désire
t’interpeller. Plus de
nom, la voilà qui crie hé ! Ho ! Mais personne ne s’appelle de être libérée, un climat où il est bon de se plonger, ne serait-ce
la sorte, personne ne doit donc répondre »... Heureusement qu’afin d’atteindre cette conscience qui danse et tue, et que
forêt de la subjectivité radicale. Le rêve ne connaît aucune Norman Brown a appelé la « conscience dionysiaque» [3].
morale, ni contrainte qui ne puissent être brisées d’une sim- L’aube rouge des émeutes ne dissout pas les créatures mons-
ple envie. trueuses de la nuit. Elle les habille de lumière et de feu, les
répand par les villes, par les campagnes. La nouvelle innocen-
Pendant que les bigots ou les supermarchés fourrent les din-
ce, c’est le rêve maléfique devenant réalité. La subjectivité ne
des de la pensée unique avec beaucoup de bienveillance,
se construit pas sans anéantir ses obstacles ; elle puise dans
de positif et d’abnégation, la poésie révolutionnaire explore
la négativité et la violence des rêves. Cette poésie amère, l’intermonde la violence nécessaire à cette fin. La nouvelle
armée du désir d’en finir définitivement avec la hiérarchie innocence est la construction lucide d’un anéantissement. » Le
désir d’en finir avec la survie, de transformer passionné-
et de briser les chaînes de l’esclavage, exige de se réaliser
ment le monde selon la volonté de chacun, et de vivre, re-
librement [1] - condition sans laquelle la violence insurrec-
naîtra toujours là où nos rêves, mille fois, ont été brisés et
tionnelle est soumise à la puanteur du pouvoir et à sa corro-
mutilés par la mécanique inhumaine de la réalité. Les fusi-
sion. L'homme n'est ni le bon sauvage de Rousseau, ni le
llés de la Commune de Paris hanteront nos nuits tant qu’ils
pervers de l’Église et de La Rochefoucauld. Il est violent
n’auront pas été vengés ! Le dépassement des rapports de
quand on l’opprime, il est doux quand il est libre. En expri-
domination et du pouvoir hiérarchisé propose les bases
mant la volonté de vivre et les passions débordantes qui en
d’un rêve à la fois individuel et collectif. La société des maî-
découlent, « la longue révolution se prépare à écrire dans les
tres sans esclave reste à réaliser. Signature
faits, les gestes dont les auteurs anonymes ou inconnus rejoin-
dront pêle-mêle Sade, Fourier, Babeuf, Marx, Lacenaire, Stir-
ner, Lautréamont, Lehautier , Vaillant, Henry, Villa, Zapata, [1] Insoumission (refus du sacrifice, de la hiérarchie, de l'enrôle-
ment, de l'idéologie...). - [2] Raoul Vaneigem, 1967, Traité de savoir
Makhno, les Fédérées, ceux de Hambourg, de Kiel, de Crons-
-vivre à l’usage des jeunes générations - [3] « Dionysos le dieu fou
tadt, des Asturies, ceux qui n’ont pas fini de jouer, avec nous démolit les frontières, libère les prisonniers, abolit les refoulements
qui commençons à peine le grand jeu sur la liberté. » [2]. et abolit le principium individuationis pour lui substituer l’unité de
Nous attiserons le feu de l’imaginaire pour que nos incen- l’homme et l’unité de l’homme avec la nature. », Norman O Brown,
dies éclairent les ruines de la réalité qu’est l’organisation de 1967.

Janvier 2018, nº13 Page 11


DOSSIER LE TEMPS D’UN RÊVE
JOURNAL DE N’IMPORTE QUI
L’art endormi
"L'espace autour de moi est profond, dégagé. C'est
un grand cercle, je me tiens debout, au centre. Tout m'évo- supérieur, des centaines de fois. C'est l'exagération et la répé-
que une scène de théâtre : le silence, l'éclairage vif puis tition de cette scène très réaliste qui lui donnent une portée
l'obscurité qui m'entourent, ma solitude. Je suis profondé- artistique. Parfois, au contraire, le symbolique est mis à profit
ment calme et concentré. Autour, aux limites de ce cercle pour exprimer des messages soit indescriptibles, soit très
auquel j'appartiens, flottent des fresques. Elles sont immen- clairs. Je me souviens avoir rencontré "mon âme d'enfant", sous
ses et bariolées, elles flottent, elles dansent, elles n'ont pas la forme d'un enfant joueur et familier qui me rappelait genti-
de support. Ce sont mes peintures, mes couleurs qui se for- ment à l'ordre, m'entraînant dans ses jeux, à une période où il
ment et se déforment d'une façon douce et sublime. Des rou- me semblait, indiciblement, la perdre. Ou encore, m'être vue
ges profonds qui se noient dans les ombres, des bleus pi- affublée d'un costume ridicule alors que j'étais, dans ce rêve
quants, électriques qui éclatent en pigments, de larges cour- comme dans la vie, dans une situation effectivement ridicule,
bes noires qui serpentent et découpent l'espace... La peintu- poursuivant sans mesure l’attention d’un homme qui ne me
re est vivante, elle cherche son support." Ce rêve est celui regardait pas.
d'un peintre, d'un ami qui ne peint plus depuis longtemps.
La plupart du temps, les rêves, ou du moins leurs souvenirs, ne
Le rêve - celui de l'endormi - n'est pas un art, c'est pire. Le rêve sont pas agréables, ni conciliants. Ils sont plutôt perturbants,
est l'art, il en est sa racine. Chacun de nous, la nuit, sous l'em- révélateurs, lancinants. Ils fouillent, bouleversent, dévorent nos
prise de cette transe nocturne, pratique cet art pur, originel fragilités, écartèlent nos tensions. Ils peuvent faire mal, comme
qu'est la transfiguration du réel. Les outils que nous utilisons seuls de vrais amis peuvent le faire, en faisant le jour sur nos
sont communs à toutes les formes d'art "éveillé" : le figuratif, parts d'ombre, liquide révélateur de notre chambre noire. Ils
l’exagération, le symbolisme, la métaphore... Le contenu est peuvent aussi être doux, simples, ou encore ennuyeux et tri-
parfois terriblement explicite : cette femme rêve chaque nuit viaux. Mais, toujours, les rêves, les miens ou ceux que l'on veut
de son travail, elle revit une conversation angoissée avec son bien me raconter, me fascinent par leur audace, leur malice,
leurs messages tordus dignes de vieux contes
mystiques...

Tout le monde ne se souvient pas de ses fic-


tions nocturnes, ou alors seulement quelques
minutes au réveil, puis les images se dislo-
quent et s'évanouissent. Mais, évidemment,
ce qui est vécu est vécu, et reste inscrit dans
la "façon d'être" de chacun. Ces fictions ont
leur propre raison d'être, leur rayon d'action
incontestable, et se fichent d'accéder ou non
au filtre de la lucidité matinale. Pourtant, pour
le chanceux qui s'en rappelle, son "univers
onirique" est un sujet de contemplation hors
du commun. Il peut s'y observer comme dans
un miroir déformant, rire de ses grimaces
folles ou y trouver quelques indices utiles à sa
vie, identifier les grands thèmes qui viennent
et reviennent le "hanter" et servent parfois à
recevoir, comme sur une messagerie privée,
des messages de cette autre entité mystérieu-
se qu'est le corps.

Les songes étant fiction, transfiguration du


réel, ils agissent sur nos esprits de la même
façon que l'art. Cette opération tient principa-
lement d’un déchaussage de notre esprit de
son socle logique, rationnel. Émancipé de
celui-ci, l'esprit sensible s'exprime dans toute
sa liberté et son incohérence féconde. Je ne
m'aventurerai pas plus loin dans le ça du moi
du pourquoi du comment mais en art endor-
mi comme en art éveillé, si l'on veut appro-
cher un sens, une essence, c'est à cet esprit
ailé, vibrant de sensations mais sans mémoi-
re, sans savoir, qu'il nous faut s'adresser
d'abord.
N’importe qui
S. Dali, Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une grenade, Source Flickr.com, Médéric

Page 12 La Marmotte déroutée


CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES
Manifestation pour la liberté de circulation à Menton
Le 16 décembre dernier une importante manifestation de so- débuté à la gare de Menton-Garavan au-
lidarité avec les réfugiés a rassemblé, à Menton Garavan, jourd'hui emblématique du délit de faciès,
près de 800 personnes, dont de nombreux demandeurs d'asi- de la production de faux documents pour
le. Elles sont Venues de toute la France, d’Italie et d'autres favoriser les expulsions et de la violation
pays d'Europe, pour dénoncer le double discours des autori- du droit de circulation des mineurs isolés.
tés, revendiquer le respect du droit d'asile et des droits de Les autorités, mobilisées elles aussi massivement, ont bloqué
l'Homme, l'ouverture des frontières, la fin des violences poli- le cortège et la circulation devant la frontière des Balzi Rossi
cières et la bienveillance entre humains. La mobilisation a où fut posée une plaque à la mémoire des 20 jeunes afri-

Roya Citoyenne ne sera pas dissoute


M. Bettati et Défendre la Roya devront même lui verser 5000€ « braves gens »… Ils vont aller en cassation. Quant à Cédric He-
pour procédure abusive et vexatoire. Par contre, l’appel des « 4 rrou, poursuivi pour diffamation par le préfet, il devra attendre le
papies et mamie » a confirmé leur condamnation pour aide à la 16 avril pour être fixé sur son sort. (RC)
circulation d’étrangers en situation irrégulière (800€ d’amende
avec sursis), même si le procureur général les a traités de
Retour du trafic d’esclaves
En réalité, le commerce d’esclaves ne s’est jamais
arrêté, mais pour la première fois, une chaîne de télé-
vision grand public (CNN) a diffusé un reportage ré-
vélant l'existence de marchés aux esclaves près de
Tripoli, en Libye. Ventes aux enchères, travaux for-
cés, exploitation sexuelle, trafic d’organes...-, la traite
d’êtres humains à l’échelle mondiale (près de 150
pays) engrangerait plus de 27 milliards d’euros de
profits par an. Cela en fait le troisième trafic le plus
lucratif sur Terre, derrière la drogue et la contre-
façon. Les régions les plus touchées sont l’Afrique
subsaharienne, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine,
l’Europe de l'Est, l’Afrique du Nord et le Moyen-
Orient. (Source : Le trafic d'êtres humains, une industrie
planétaire et des millions de victimes, Benoît Zagdoun,
22/11/2017, francetvinfo.fr, vidéo)

PAROLE AUX USAGERS !


A l’occasion du numéro 11 consacré à notre ligne de
train Nice-Vintimille-Cuneo, la Marmotte a enquêté
auprès de ses usagers (35 personnes de tout âge). Son
idée était de recueillir vos impressions, ressentis et yens de transport. Vous aimez y lire ou y dormir (4), y « être
expériences liés à l’usage du train dans votre quoti- tranquilles » (3) et vous y détendre, y faire des rencontres (3),
dien. Pendant toute la durée des travaux de réhabilita- mais aussi y travailler. Le temps du voyage peut être mis à
tion de la ligne, commencés en septembre, nous pu- profit pour une activité ou, simplement à « se poser avant de
blierons de courtes synthèses de vos réponses aux 10 travailler ou de rentrer ». L’unique moyen de transport en com-
questions posées. mun sur le trajet Breil-Sospel, le train est aussi une chance
pour ceux qui n’ont pas le permis (3). Vous trouvez notre lig-
M : Pourquoi prenez-vous le train plutôt qu'un autre trans- ne, en outre, « remarquable » et « agréable ». Un(e) collégien
port ? (ne) qui l’aime pour « profiter de la vue », y voit, comme autre
Voici un petit palmarès des raisons de vos préférences. Le avantage, celui de « laisser travailler nos parents » (les emplo-
confort du train, transport « peu fatiguant », « plus repo- yeurs apprécieront). Enfin, quelques détails pour le côté pra-
sant », arrive en première position (cité 18 fois). Le prix vient tique : « On peut transporter son vélo… si on n’a pas peur des
juste après (14 fois). Le train est, en effet, beaucoup moins camions. Les enfants peuvent circuler, bouger, jouer. Les per-
cher que la voiture - avec la carte zou, bien sûr, et surtout si sonnes âgées peuvent se déplacer plus facilement, […]aller aux
on est seul. En troisième place : la rapidité (10 fois), surtout wc. Les personnes handicapées (mauvaise vue, problèmes
pour qui veut accéder au centre-ville (en plus, on n’a pas de d’ouïe ou handicap majeur) peuvent se déplacer. Les scolaires
problème d’embouteillages !), suivie de la sécurité (8 fois). ou différents groupes peuvent se déplacer ensemble […] En fait,
Le train, dites-vous, ne croise pas les camions. Enfin, il est il n’y a que du positif à prendre le train ».
jugé plus pratique (7, entre autres : il évite le problème de
stationnement en ville, offre un accès direct au centre-ville),
plus écologique (6) et plus convivial (3) que les autres mo- ALA. Merci à Gelsomina pour le questionnaire

Janvier 2018, nº13 Page 13


INITIATIVES LOCALES
Ça vous fera 25 zestes !
Petite tchatche avec le SEL du Citron
C’était un langoureux matin de juin, de ceux qui ne nous écrasent pas encore par leur chaleur alors
que l’ombre tend déjà ses promesses rafraichissantes. On vous fait rêver ? Alors, on a bien fait de
garder ce sujet au chaud ! A Gorbio, c’est un orme tricentenaire qui projette son ombre bienvenue
sur la petite place, ses deux oliviers et une belle fontaine qui clapote joyeusement. Ce 18 juin 2017, la place est tou-
te remplie de gens, de tables et d’objets divers : vêtements, livres, vaisselle, cartes, bijoux, outils, accessoires. Un
vide-grenier ? Non, une « gratiferia », un marché gratuit où chacun peut donner ou emporter ce qu’il veut, sans for-
cément donner quelque chose en échange. La Marmotte s’y est rendue pour rencontrer le SEL du Citron, orga-
nisateur de l’événement.
Le SEL (système d’échange local) de Roquebrune-Menton, dit nourriture (fruits, confitures…). Par ailleurs, chaque réunion
SEL du Citron, existe depuis cinq ans et compte plus de 130 est suivie d’un repas partagé. Certains adhèrent au SEL uni-
adhérents. Le prix de l’adhésion est « symbolique », 5€ pour quement dans le but de participer à ce moment de conviviali-
l’année. Une présence est exigée à au moins une réunion, té.
« pour pas qu’il n’y ait de personnes virtuelles et pour créer des Quand on fait partie d’un SEL, on peut aussi prendre part à
relations de confiance basées sur la convivialité ». Les réunions des échanges inter-SEL, via une plateforme nationale,
sont mensuelles. Chacun amène des choses à donner ou pro- SEL’Idaire (seldefrance.communityforge.net). On peut faire
pose des services à échanger. Le SEL a aussi un site Internet des stages, apprendre quelque chose ou aider à un projet.
(selducitron.communityforge.net), où on met ses offres et Comment on convertit les différentes monnaies ? En passant
demandes. Ceux qui rencontrent des difficultés avec Internet par l’équivalent en heures de travail (unité de valeur). Un
peuvent compter sur d’autres membres du SEL pour les ai- autre site, route-des-sel.org, permet de recevoir des gens
der. Les échanges se font en monnaie locale, le zeste. L’unité chez soi ou de louer des chambres en monnaies locales (60
de référence est l’heure de travail (60 zestes, quel que soit le unités).
travail en question). Sur le site, chacun possède un compte en
zestes, qui démarre à zéro, ne peut pas descendre à moins de Pourquoi monétariser l’échange ? « Dans les villes, ça sert à ce
1000, ni monter au-delà de 3000. Le but, c’est l’échange, pas que les gens se rencontrent. C’est différent dans les villages, où
l’accumulation. On commence à zéro, et on peut aussi faire le lien existe déjà, où les gens ont encore une histoire commu-
des dons. Mais Internet ou pas, « pour que ça fonctionne, il ne ». Payer, même en monnaie locale, et demander un servi-
faut que les gens habitent assez près ». ce ou un objet via un SEL dérange moins que de taper à la
porte du voisin. « Ça redynamise les relations, la vie. Il n’y a
Qu’est-ce qui s’échange le plus ? Des services. Beaucoup de pas d’âme sur le littoral. L’idée est de proposer autre chose que
cours ou de coups de main (comme par exemple ramasser le béton, la mer et le tourisme ».
des cerises, 25 zestes par kilo). Il y a aussi des prêts d’objets
(par exemple un karcher, 120 zests par jour) ou l’échange de

La pépinière de la Bendola
Dans nos vallées, les arbres ont généreusement offert aux po-
pulations ce qui constituait pendant longtemps une des princi-
pales sources et base de leur alimentation, voire de leur survie :
fruits frais et de garde, figues séchées, fruits à coques, fruits et
baies « sauvages », etc. Pourtant, les vergers vieillissent et il est
de plus en plus difficile de trouver ces précieux fruits, aux sa-
veurs et usages variés.

De nombreux habitants continuent néanmoins à planter et à fai-


re vivre les campagnes. C’est aussi pour participer à cette dy-
namique que nous avons créé notre petite pépinière à Saorge !
Nous proposons une centaine de scions de variétés fruitières
anciennes, rustiques et adaptées aux différents sols et climats,
des moyennes montagnes jusqu’au littoral.

C’est une aventure qui démarre. Aidez-nous à retrouver les vie-


lles variétés locales. Si vous connaissez de vieux arbres dont
vous aimez les fruits, faites-nous savoir ! D'autant plus que l’hi-
ver est le bon moment pour prélever des greffons !

Pour plus de détails : tel. 0783321085, mail : pepinierebendo-


la@posteo.net
Catalogue : http://fr.calameo.com/read/001175433d65080e7d66c

Page 14 La Marmotte déroutée


COURRIER DES LECTEURS
Quelques courriers que nous avons reçues - Merci!
Chère Marmotte, Avis aux buveurs de bières et de coca, ce trajet ressemble à une décharge. Je
fumeurs ou adeptes de McDo ou biscuits ramasse un sac plein à chaque fois. J’aime
Peut-être connaissez-vous le mitote, le qui ont l’habitude de jeter leurs emballa- cette vallée, et j’ai autre chose à faire !
brouillard évoqué dans Les Quatre Ac- ges le long de la route Fontan-Saorge :
cords Toltèques écrit par Don Miguel
Ruiz, le brouillard qui brouille notre rêve
personnel.
Pour s'en libérer, se libérer du rêve de la
planète qui nous est imposé à notre insu
dès notre naissance, 4 accords (qui réson-
nent comme des mantras bienveillants
rédigés pour nous aider vraiment à vivre
notre vie!) :
- 1er accord : Avoir une parole impecca-
ble; si ta parole est impeccable, une bulle
de vérité se forme autour de toi et te pré-
serve des sorts de la parole malveillante
d'autrui, elle ne peut plus t'atteindre.
- 2ème accord: Ne rien prendre de ma-
nière personnelle. En effet, je ne suis pas
responsable des agissements d'autrui, de
ce qu'ils disent, font ou pensent, en bien
ou en mal.
- 3ème accord: Ne pas faire de supposi-
tion, poser des questions.
- 4ème accord: Toujours faire de son
mieux, ainsi, quoi qu'il arrive, je n'aurai
rien à me reprocher, j'aurais fait de mon
mieux.
La lecture du livre de Don Miguel Ruiz
présente une aide précieuse pour se rap-
procher de ses propres rêves, elle se ter-
mine par des prières toutes simples. Et si
c'était ça notre rêve, qui dilate l'espace et
le temps, la formidable érosion des con-
tours... la simplicité?

[…]

ACTUALITÉS
Candidature des Alpes de la Médi-
Linky, une « silicolonisation » terranée à l’UNESCO
de nos quotidiens ?
La candidature du site des Alpes de la Méditerranée au patri-
Un simple caisson mis sous scellé comptabilisant votre moine mondial de l’UNESCO, portée par l'Italie, concerne une
consommation d’énergie ? On rigole ! Le Linky, nouveau cinquantaine de communes franco-italiennes (Alpi maritime,
et imposé compteur EDF, en rajoute au rayon des Mercantour, Alpes ligures, Abysses monégasques...) dont ce-
options obligatoires : connecté en permanence via le lles de la Roya et la Bevera, sur une superficie d'environ 200
CPL (Courant Porteur Léger), en plus d’émettre des 000 ha. Elle est basée principalement sur la diversité géologi-
ondes (probablement nocives) dans toutes nos que et en second plan sur la biodiversité. Le grand oral décisif
installations électriques domestiques, il communique aura lieu début 2018. Cet événement est d'une grande impor-
intelligemment tous les détails de notre activité tance car il risque d’enclencher une pompe à touristes diffici-
électrique : combien de fois par nuit je me lève ; fais-je lement contrôlable. L'enjeu principal sera de conserver une
la cuisine au micro-ondes, mon frigo est-il vide ; étais-je gestion locale. Les exemples de dérives du tourisme de masse
chez moi ce jour-là… On peut imaginer d’autres géré par de grandes agences de voyage ne sont que trop
scenarii, mais en a-t-on vraiment besoin pour payer une nombreux pour les zones déjà classées UNESCO. Par ailleurs,
facture d’énergie ? (Cf. Article et encadrés pp. 9-10) l'axe central de la vallée et les villages ne sont pas inclus.
Dommage, car nous aurions pu profiter du cahier des charges
Nous approfondirons ce sujet dans la prochaine de l'UNESCO pour empêcher le réaménagement de la vallée
Marmotte (n° 14). en une grande traversée alpine pour le trafic international de
marchandises… - ce qui aurait limité en retour les aménage-
ments pour le tourisme de masse ! AL

Janvier 2018, nº13 Page 15


ACTUALITÉS (suite)
Veolia aux portes de la vallée
La multinationale de la gestion des déchets et du surtout aux villes côtières. Avec la mise en applica-
transport public est aussi championne de la gestion tion de la loi NOTRE (cf. La Marmotte n°3), la gestion
(comprendre privatisation) de l'eau dans le monde de l'eau, aujourd'hui encore en régie municipale
et, donc, de la mainmise sur les sources. Dans la Ro- dans la majorité de nos communes, devrait être
ya, elle s'intéresse à l'eau de la Maglia et de Mérim transmise à la CARF en janvier 2020. CARF dont le
alimentant Breil et Saorge (cf. La Marmotte nº6), pour cœur balance pour Veolia? (AL).
la revendre aux habitants de la vallée, mais aussi et
Loi de sécurité intérieure 2017
Enfin de l'eau !
La loi de sécurité intérieure, adoptée en août 2017, trans-
Nous avons connu la plus longue période de sécheresse depuis pose la plupart des dispositifs de l’état d’urgence dans
plusieurs décennies ! Espérons que les forêts s'en remettent et le droit commun. C’est un renversement du système ju-
que les sources demeurent. Sinon, nous comprendrons probable- diciaire, qui rend le droit français dérogatoire à tout un
ment mieux ce qui a pu pousser nos congénères du néolithique et tas de principes, comme par exemple la Convention eu-
de l'âge du bronze à venir graver les roches des vallons du Mer- ropéenne des droits de l’homme. « On n’est plus dans le
cantour. Le climat chaud et sec amena probablement les popula- système de la preuve, mais dans celui de présomption de
tions chercher l'eau et l'herbe en montagne… (AL) culpabilité », résume l’avocate Françoise Cotta, qui a
tenu une conférence sur ce sujet à l’université populaire
La Roya italienne prête à interdire de la Roya de décembre. En gros, « on est tous préjugés
les poids-lourds coupables potentiels d’un crime virtuel »… qu’on pourrait
éventuellement, dans le futur, avoir le risque de vouloir
Après les mairies de la Roya française et le conseil départemental commettre !
du 06, les maires italiens Adriano Biancheri (Olivetta), Fausto Mo- Non seulement le préfet gagne tout un tas de prérogati-
linari (Airole) et Enrico Ioculano (Ventimiglia) ont signalé leur ves (il peut interdire une manifestation, ordonner une
intention de signer aussi un arrêté pour interdire le transit des perquisition ou saisir les données informatiques d’un
poids-lourds de plus de 19 tonnes sur la route de la Roya. (ALJ) citoyen sans l’intervention d’un juge), mais on entérine
aussi le système de surveillance généralisé, déjà en pla-
Quid du tunnel de Tende ? ce sous le régime d’état d’urgence. La Commission natio-
Ceux qui ont pu mettre leur museau derrière les barrières qui nale de contrôles des techniques du renseignement, créé
cachent ce qui se passe sur le chantier de doublement du tunnel en 2015, rapporte que plus de 200 000 personnes ont
de Tende nous rapportent qu’on serait proche de la simulation ainsi été espionnées en 2016, dont 76 000 n’ont aucun
d’activité. Peut-être par peur que « la salive » ne tienne pas la lien avec le terrorisme ou le crime organisé. (Andrea)
montagne si bien que ça, d’autant plus que les intempéries mena-
cent… Les expertises ont-elles vraiment été effectuées comme il
se doit? Pourquoi n’avons-nous aucune information ? (Jidé)

Du côté du train
Les travaux de rénovation sont toujours en cours.
En attendant, suite aux intempéries de décembre,
des rochers suspendus quelque part entre Peille et
l’Escarène menacent la voie ferrée. Des bus de
substitution ont été mis en place, mais c’est un vrai
jeu de piste de savoir s’il y en a un. (Jidé)

ÉVÈNEMENTS EN ROYA-BEVERA
31 décembre 2017 à Saorge : Baleti Rock à la salle
des fêtes pour le réveillon 2017 (19h : Apéro avec
Rumpa Baleti, repas partagé ; 22 h: Fran e i Pensieri
Molesti)
1 janvier 2018 : Bonne année!
5 janvier à 19h, à Breil (A Ca de Brei) : Université
populaire de la Roya : paysannerie et véganisme.
Repas partagé La Marmotte déroutée
7 janvier 2018 : fête de solidarité dans la Nervia. Nous
contacter pour plus d’info. Nous cherchons toujours des illustrateurs-dessinateurs, des traducteurs
du français en italien et de nouveaux points de diffusion. Et bien sûr,
03 février à Breil (place Brancion) :
continuez à nous faire parvenir vos idées, vos réactions et réflexions, que
3ème Souperrr Fest'hiver, Fête de la
nous ne manquerons pas de publier dans la rubrique « Courriers des
Soupe lecteurs ». Cette vallée est la nôtre, ce journal aussi!

Nouveau dans la vallée : des ateliers


d'expression et de langue des
contact@la-marmotte-deroutee.fr
signes. Pour tout renseignement et Tél. 07 68 05 65 34
inscription : 06 23 64 40 59
www.la-marmotte-deroutee.fr

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