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O C7
L' A U T E U R.
DE L'OUVRAGE INTITULÉ
A L I E G E,
Chez P. A. PAINsMAY , Imprimeur - Libraire ,
à au Prince de Galles, rue ſur Meuſe.
•#+ a:e= =s#.
M. D C C. L X X IX.
Avec Approbation & Permiſſon,
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A VE R T I.S.SE MEN T.
Lo . Philoſophie du
fiecle ne met point de bornes à
ſon audace, parce qu'elle n'a au
cune pudeur, & qu'elle s'eſt fait
un front de proſtituée, qui ne ſait
rougir de rien. Folle juſqu'au dé
lire le plus complet, & le moins
interrompu , elle oſe uſurper le
nom de ſage , s'attribuer excluſi
vement la raiſon, le Bon-Sens,
la véritable force d'eſprit, toutes
les précieuſes prérogatives de la
vertu, & déployer, pour le per
ſuader aux ſimples, tous les ſecrets
de l'art perfide des ſophiſmes en
taſſés les uns ſur les autres. C'eſt
ce qu'on peut voir en particulier
dans l'Ecrit intitulé , le Bon-Sens.
L'Auteur ne craint pas de l'invo
quer, de ſe l'approprier, de ſe
l'identifier, comme ſi c'étoit lui
qu'on vît peint au naturel, ſous
A ij ,
| 4l
iv A VERTISSEMENT.
chaque trait de ſa plume, dans le
tems même qu'il l'offenſe, le ré
volte, le bleſſe mortellement à
chaque ligne, dans toutes les ma
tieres de la derniere importance
qu'il entreprend de traiter, telles
que la Divinité & ſes attributs,
la Providence , la Religion , la
Foi , la Révélation, la Théolo
gie, le Chriſtianiſme & ſes Mi
niſtres, la Puiſſance ſpirituelle &
temporelle, les Souverains & les
Sujets, la ſociété , les Loix, la
vertu , la Morale, le bonheur, la
liberté de l'homme, l'ame , les
maux phyfiques & moraux, &c.
Voilà ce qui nous a déterminés
à le choiſir au milieu de ce tor
rent d'Ecrits contagieux enfantés
par l'irréligion pour en faire voir
l'extrême foibleſſe, & prévenir les
affreuſes impreſſions qu'il pourroit
}•!
faire, malgré ſon peu de ſolidité,
ſur des eſprits crédules.
i- •
P R E F A C E.
DE L'AUTEUR DE L'OUVRAGE
· I IV T I T U L É
L E B O N-S E N S.
Ette Préface contient douze
pages, dont voici le ſommaire
exact. Les principes de la #
ne ſont que des ſuppoſitions ha
ſardées, imaginées par l'ignoran
ce, propagées par l'enthouſiaſme
ou la mauvaiſe foi, adoptées par
, la crédulité timide, conſervées par
l'habitude qui jamais ne raiſonne,
& révérées uniquement parce qu'on
n'y comprend rien. Les uns, dit
§ , font accroire au monde
qu'ils croient, ce qu'ils ne croient
:
pas; les autres en plus grand nom
bre, ſe le font accroire à eux
mêmes, ne ſachant pas pénétrer
ce que c'eſt que croire. En un
A iij
vj P R E F A C E.
mot, quiconque daignera conſulter
le Bon-Sens ſur les opinions reli
gieuſes, & portera dans cet exa
men l'attention que l'on donne
communément aux objets qu'on
préſume intéreſſans , s'appercevra
facilement que ces opinions n'ont
aucuns fondemens ſolides ; que
toute Religion eſt un édifice en
l'air; que la Théologie n'eſt que
l'ignorance des cauſes naturelles
réduite en ſyſtéme; qu'elle n'eſt
f
qu'un long tiſſu de chimeres & de
contradictions; qu'elle ne préſente
en tout pays aux différens peuples
de la terre que des Romans dé
pourvus de vraiſemblance dont le
héros lui-méme eſt compoſé de qua
lités impoſſibles à combiner;#
nom, en poſſeſſion d'exciter dans
tous les cœurs le reſpect & l'effroi,
ne fe trouvera qu'un mot vague
que les hommes ont continuelle
ment à la bouche, ſans pouvoir
y attacher des idées ou des qua
P R E F A C E. vij
lités qui ne ſoient démenties par
les faits ou qui ne répugnent évi
demment les unes aux autres.
Prévenus de l'opinion que ce
phantôme ( Dieu ) eſt une réalité
très-intéreſſante pour eux, les hom
mes , au lieu de conclure ſagement
de ſon incompréhenſibilité qu'ils
ſont diſpenſés d'y ſonger, en con
cluent au contraire qu'ils ne peu
vent aſſez s'en occuper, qu'il faut
le méditer ſans ceſſe, en raifonner
ſans fin, ne jamais le perdre de vue.
Nous retrouvons dans toutes les
Religions de la terre un Dieu des
armées , un Dieu jaloux , un Dieu
vengeur, un Dieu exterminateur,
un Dieu qui ſe plaît au carnage,
& que ſes Adorateurs ſe ſont fait
un devoir de ſervir à ſon goüt. On
lui immole des Agneaux, des Tau
reaux, des Enfans , des Hommes,
des Hérétiques, des Infideles, des
Rois, des Nations entieres. Les
Serviteurs zélés de ce # ſi bar
1V
viij P R E F A C E.
bare, ne vont-ils pas juſqu'à ſe
croire obligés de s'offrir eux - mé
mes en Sacrifice à lui ? Par tout
on voit des forcénés qui, après
avoir triſtement médité leur Dieu /
xij P R E F A C E.
Voilà le précis exact de la Pré
- face de notre Auteur : revenons
ſur les choſes admirables qu'elle
· nous offre. Les principes de la
Théologie, dit-il, ne ſont que des
ſuppoſitions haſardées & unique
ment révérées parce qu'on n'y com
prend rien. Il ignore donc , ou il
fait ſemblant d'ignorer que la
Théologie Chrétienne qui donne
la connoiſſance de Dieu & des
| choſes divines , eſt une ſcience
fondée ſur des principes infailli
blement certains, la raiſon & l'au
torité. L'homme n'a point d'au
tres voies ou d'autres moyens pour
parvenir à la connoiſſance de la
vérité des choſes, & le Théolo
gien n'en a point d'autres non plus
pour faire recevoir les choſes qu'il
enſeigne. Il emploie heureuſement
la raiſon, même dans les matie
res de foi, non pour les approfon
dir & les pénétrer , mais pour
conduire ſûrement à l'autorité in
P R E F A C E. xiij
faillible qui les propoſe. La rai
ſon la montre cette autorité, &
veut qu'on lui rende hommage :
fermer les yeux à ſa lumiere ,
c'eſt donc ceſſer d'être raiſonnable.
Oui, l'on ceſſe d'être raiſonnable,
quand on refuſe d'écouter la voix
de la raiſon qui crie que la Théo
logie ſurnaturelle dont il s'agit
dans tout cet Ouvrage, ayant pour
baſe la révélation, & que la ré
vélation étant un fait à diſcuter
· pour en connoître la vérité ou la
fauſſeté, il eſt néceſſaire de pro
céder dans cette diſcuſſion par la
voie du témoignage & de l'auto
rité, parce que chaque choſe a
un moyen qui lui eſt propre, &
† les choſes phyfiques ont con
équemment des moyens phyſi
ques ; les métaphyſiques , des
moyens métaphyſiques , & les
morales, des moyens moraux. Puis
donc que la révélation ou la Re
ligion révélée qui fait l'objet de
»/
xiv P R E F A C E.
la Théologie ſurnaturelle, eſt un
fait ou une ſuite de faits qu'il faut
néceſſairement conſtater pour s'aſ
ſurer de leur vérité ou de leur
fauſſeté, puiſqu'il s'agit de ſavoir
fi Dieu a vraiment manifeſté cette
Religion aux hommes, la raiſon
dicte qu'il faut procéder dans cette
recherche par la voie des moyens
moraux propres à ce genre de
choſes, c'eſt-à-dire , par l'autorité
· du témoignage qui conſtate ces
faits, & qui forme en leur faveur
une certitude morale.
Prétendre procéder par une au
tre voie, c'eſt vouloir parvenir à
une fin en prenant un moyen qui
n'a aucune proportion avec la fin
qu'on ſe propoſe, & reſſembler à
celui qui voudroit entendre par
les yeux & voir par les oreilles.
Quelle folie ! Telle eſt celle de
notre nouveau Docteur, quand .
il prétend qu'on doit juger des
dogmes de la Théologie chrétien
P R E F A C E. Xv
ne , par la nature même de ces
dogmes qui eſt incompréhenſible,
& non par l'autorité du témoi
gnage de Dieu même, qui en at
teſte la vérité. Je pourrois l'arrê
ter ici, ſans lui permettre d'avan
cer d'une ligne, en lui diſant que
»uiſqu'il prend un moyen qui n'a
point de proportion avec les faits
que nous nous propoſons de diſ
cuter, il ne peut que battre l'air
dans tout le cours de ſa marche :
/
ſuivons-le néanmoins, après avoir
remarqué en paſſant, que la pen
ſée du cynique Montagne, dont
il s'étaie, eſt des plus ſºuſſes. Qui
a donc révélé à ce ſcurrile Ecri
vain, qu'une partie du troupeau
croyant fait accroire ce qu'elle ne
croit pas, & que l'autre ſe le fait
accroire à elle-même ? A-t-il lu
dans le fond des cœurs de tous
les croyans pour ſavoir ce qui s'y
paſſe ? C'étoit ſans doute pour
avoir le doux plaiſir de faire ac
xvj P R E F A C E.
croire au monde ce qu'ils ne
croyoient pas en effet que des
millions de Chrétiens ont mené la
vie la plus auſtere, ou ſouffert les
tourmens les plus cruels, & c'eſt
encore pour jouir d'une ſatisfac
tion ſi §, que tous les vrais
Chrétiens ſe condamnent à mener
aujourd'hui une vie pénitente &
, crucifiée ; convaincus qu'ils ſont de
v l'exiſtence d'un Dieu, c'eſt-à-dire
' d'un Etre néceſſaire, éternel , in
finiment parfait, Principe & Créa
teur de toutes choſes , vengeur
du crime & renumérateur de la
vertu ; d'un Dieu que tout hom
me qui penſe, connoîtra facile
ment & par le ſentimer t intérieur,
& par le magnifique ſpectacle de
l'Univers; d'un Dieu dont toutes
les qualités ou tous les attributs
dans un parfait accord entr'eux ,
ne paroiſſent diſcordans qu'à des
eſprits auſſi ſuperbes que foibles
& rétrecis, qui prétendent meſu
reyr
P R E F A C E. xvij
rer l'impalpable & l'infini ; d'un
Dieu enfin qui s'eſt révélé aux
hommes pour leur apprendre le
culte qu'il exige d'eux, en leur
envoyant ſon propre fils, Dieu
comme lui & homme comme eux,
pour les inſtruire des vérités né
ceſſaires au ſalut. Voilà ce que
croient tous les vrais Chrétiens ,
ainſi que tous les faits qui ſont la
ſuite de la miſſion du #ls unique
de Dieu, ſa prédication, ſa mort,
ſa réſurrection, la converſion du
monde idolâtre, ſavant, éclairé,
puiſſant, formidable, par douze
pauvres pêcheurs, gens ſimples,
groſſiers, ſans lettres, ſans talens,
le rebut du monde, & ne prêchant
, au monde que ce qui pouvoit l'ir
riter davantage, & l'indiſpoſer à
jamais contre la Religion qu'ils
lui annonçoient, le mépris des ri
cheſſes, des honneurs, des plai
ſirs, le pardon des injures, & l'a
mour des ennemis, de la pauvre
4
xviij P R E F A C E.
té, de la chaſteté, de la mortifi
cation des ſens, de la pénitence 4,
& du crucifiement de la chair.
Tous les vrais Chrétiens croient
ces faits, parce qu'ils ont des ca
racteres indubitables de certitude,
ſouverainement propres à obtenir
ou plutôt à arracher l'aſſentiment,
l'adhéſion, la ferme croyance ;
& qu'il faut être inſenſé pour les
révoquer en doute, de même que
tous les faits authentiques de l'Hiſ
toire profane, parce que les uns
& les autres ont la même évidence
morale, & ſont auſſi faciles à con
noître. -
# ##
3
:I'
Ule
bſ A P O L O G U E.
ice
)Il
33
FEI L eſt un vaſte empire
23
I |gouverné par un Mo
92
# = # narque, dont la con
99
duite bizarre eſt très-propre à
22
confondre les eſprits de ſes ſu
23
jets. Il veut être connu , chéri,
32
reſpecté, obéi ; mais il ne ſe
22
montre jamais, & tout conſ
92
pire à rendre incertaines les no
92
tions que l'on pourroit ſe former
13
ſur ſon compte. Les peuples
23
ſoumis à ſa puiſſance n'ont ſur
22 le caractere , & les Loix de leur
35
Souverain inviſible que les idées
92
que leur en donnent ſes Miniſ
22
tres; ceux-ci conviennent pour
C ij
2, L'Anti-Bon-Sens.
22
tant que ſes voies ſont impé
22
nétrables, que ſes vues & ſes
22
qualités ſont totalement incom
22
· préhenſibles ; d'ailleurs ſes Mi
22 niſtres ne ſont nullement d'ac
23
cord entr'eux ſur les ordres qu'ils
-22
prétendent émanés du Souverain
92
dont ils ſe diſent les organes...
22 Les édits & les ordonnances
92
qu'ils ſe chargent de promul
52
guer, ſont obſcurs; ce ſont des
35
énigmes peu faites pour être en
92
tendues ou devinées par les ſu
25
jets pour l'inſtruction deſquels
'92 on les a deſtinées. Les Loix du
25 Monarque caché ont beſoin
22
' d'interprêtes; mais ceux qui les
22
expliquent ſont toujours en diſ
22
pute entr'eux ſur la vraie fa
22
çon de les entendre. Bien plus
32
ils ne ſont pas d'accord avec
92
eux-mêmes; tout ce qu'ils ra
92 content de leur Prince caché
95
n'eſt qu'un tiſſu de contradic
' 22 tions; ils n'en diſent pas un ſeul
L'Anti-Bon-Sens. 3
» mot qui, ſur le champ , ne ſe
» trouve démenti. On le dit ſou
» verainement bon, cependant il
» n'eſt perſonne qui ne ſe plaigne
» de ſes décrets. On le ſuppoſe
» infiniment ſage , & dans ſon
» adminiſtration tout paroît con
» trarier la raiſon & le Bon-Sens.
» On vante ſa juſtice, & les meil
» leurs de ſes ſujets ſont commu
» nément les moins favoriſés. On -
» aſſure qu'il voit tout, & ſa pré
» ſence ne remédie à rien. Il eſt,
» dit-on ami de l'ordre , & tout
» dans ſes états eſt dans la con
» fuſion & le déſordre. Il fait tout
» par lui-même, & les événemens
* répondent rarement à ſes pro
» jets. Il prévoit tout, mais il ne
» ſait rien prévenir. Il ſouffre im
» patiemment qu'on l'offenſe, &
» pourtant il met chacun à por
» tée de l'offenſer. On admire ſon
» ſavoir, ſes perfections dans ſes
» ouvrages; cependant ſes ouvra
11j
L'Anti-Bon-Sens.
7) ges remplis d'imperfections ,
92 ſont de peu de durée. Il eſt
92 continuellement occupé à faire,
97 à défaire, puis à réparer ce qu'il
97 a fait, ſans jamais avoir lieu d'ê
9) tre content de ſa beſogne. Dans
95 toutes ſes entrepriſes il ne ſe pro
9) poſe que ſa propre gloire ; mais
22 il ne parvient point à être glo
27 rifié. Il ne travaille qu'au bien
7) être de ſes ſujets, & ſes ſujets
92 pour la plupart manquent du
27 néceſſaire, Ceux qu'il ſemble
92 favoriſer, ſont pour l'ordinaire
97 les moins ſatisfaits de leur ſort;
97 on les voit preſque tous per
22 pétuellement révoltés contre un
27 Maître dont ils ne ceſſent d'ad
39 mirer la grandeur, de vanter la
27 ſageſſe, d'adorer la bonté, de
, 95 craindre la juſtice, de révérer
9)
les ordres qu'ils ne ſuivent ja
22 11121S,
du La conduite du Monarque du
1ble monde n'eſt donc nullement bi
aire zarre, & il ne peut y avoir que
ort; des eſprits mal-faits qui s'imagi
)er- nent y trouver des bizarreries qui
2 ufl le confondent ; car tous les eſprits
'ad- bienfaits ne ceſſent d'en admirer
·r la la ſageſſe qui les ravit hors d'eux
de mêmes. Si le Monarque ne ſe
érer montre jamais en perſonne, c'eſt
ia-
j
qu'il
eſprit,eſt& par ſon eſſence inviſible
par conſéquent un pur
de ! en lui-même; mais il brille dans -
tion
'ellX ,, Il eſt une ſcience qui n'a pour
ité, ,, objet que des choſes incompré
2
$. 7.
,, La Religion unit l'homme
,, avec Dieu , ou les met en com
,, merce; cependant ne dites-vous
4
/
24 L'Anti-Bon-Sens. .
,, pas que Dieu eſt infini?Si Dieu
,, eſt infini, nul être fini ne peut
,, avoir ni commerce, ni rapport
,, avec lui.
Quelle pauvreté, grand Dieu !
Oui, nous diſons que Dieu eſt
infini, & nous ſoutenons en mê
me-tems que l'homme quoique .
fini & très-borné peut avoir, & a
effectivement des rapports avec lui
& des devoirs à remplir à ſon égard ;
ce qui forme entr'eux un com
merce auſſi réel que délicieux &
tendre. Dieu eſt donc infini &
' l'homme eſt fini : cela eſt vrai.
Donc l'homme ne peut ni égaler
l'Etre de Dieu par ſon être pro- .
pre, ni même le comprendre, le
connoître parfaitement , totale
ment, infiniment. C'eſt toute la
conſéquence qu'on peut raiſonna
blement tirer de l'infinité de Dieu.
Mais parce que Dieu quoiqu'infini
ne laiſſe pas d'être intelligible, &
que l'homme tout borné qu'il eſt,
L'Anti-Bon-Sens. 25
ne laiſſe pas d'être une créature
intelligente, il s'enſuit évidem
ment qu'il y a des rapports néceſ
ſaires entre Dieu & l'homme, en
tre le Créateur & la créature in
telligente, penſante, raiſonnable.
Il eſt un Dieu, c'eſt-à-dire, un
Etre infiniment parfait; je n'en
puis douter, tout me l'annonce
au dedans & au dehors de moi. ,
La voix de ma conſcience , le ſen
timent intime de mon ame, les
deſirs immenſes de mon cœur, me
le font, pour ainſi dire toucher
au doigt, tandis que les cieux qui
roulent ſur ma tête avec tant de
majeſté , m'annoncent ſa gloire,
ſa force, ſa ſageſſe, en me déce
lant un ouvrier d'une intelligence
toute-puiſſante. J'ai donc l'idée de
l'infini ou de l'Etre infiniment par
fait, de Dieu en un mot, Créa
teur de tout ce qui exiſte , ſoit
qu'il l'ait gravée lui-même de ſa
main divine dans mon ame, ſoit
t
26 L'Anti-Bon-Sens.
que mon ame ſe la forme comme
cauſe efficiente, en vertu de la
puiſſance active qu'elle a reçue du
Créateur. Mais puiſque j'ai l'idée
de Dieu, quelqu'en ſoit l'origine,
j'ai donc par conſéquent auſſi des
rapports eſſentiels avec lui, & je
ne puis me diſpenſer de le crain
dre , de l'aimer, de le remercier,
de le bénir , de l'admirer , de le
louer, de le prier, de le ſervir,
de le glorifier, puiſqu'il eſt éga
lement juſte, bon, ſage, bienfai- .
ſant, &c. C'eſt en cela que con
fiſte le commerce réciproque de
Dieu & de l'homme ; de Dieu
qui s'eſt manifeſté à l'homme ſa
créature ; de l'homme qui doit
glorifier Dieu ſon Créateur; puiſ
que c'eſt pour cela même qu'il l'a
fait à ſon image , & qu'il lui a
donné un eſprit capable de le con
noître , & un cœur capable de
l'aimer, quoiqu'il ne puiſſe ni le
connoître ni l'aimer autant qu'il
• , L'Anti-Bon-Sens. 27
$. 8.
,, Si Dieu eſt un Etre infini,
,, il ne peut y avoir , ni dans le
27 , monde actuel ni dans un autre,
,, 'aucune proportion entre l'hom
,, me & ſon Dieu ; ainſi jamais
,, la notion de Dieu n'entrera dans
,, l'eſprit humain.
Si par le mot de proportion, l'on
entend l'identité, l'égalité, c'eſt-à
dire, une conformité parfaite, une
reſſemblance entiere, il eſt très
certain qu'il ne peut y avoir ni
en ce monde ni en l'autre, aucune
proportion entre l'homme qui eſt
eſſentiellement fini, & Dieu qui
n'eſt pas moins eſſentiellement
infini. Mais ſi par le mot de pro
portion, l'on n'entend qu'une #
de reſſemblance, de conformité,
d'analogie, de rapport, telle que
celle qui ſe trouve néceſſairement
entre les créatures intelligentes-&
L'Anti-Bon-Sens. 29
les objets intelligibles, il n'eſt pas
moins certain que cette ſorte de -
proportion ſe trouve entre l'eſprit
de l'homme & Dieu , puiſque
l'eſprit de l'homme eſt un être in
telligent, & Dieu un Etre intel
ligible. La difficulté propoſée ſe
réduit donc à ceci : un Etre quel
conque n'en peut connoître un
autre, à moins qu'il ne ſoit en
tout point de la même nature que
celui qui fait l'objet de ſa con
noiſſance , & qu'il ne le connoiſſe
parfaitement,qu'il n'en ait une idée
complette : ce qui eſt évidemment
faux, puiſqu'il s'enſuivroit de là !
que l'eſprit humain devroit être
matériel pour connoître la matiere,
& qu'il ne peut rien connoître, à
moins qu'il ne le connoiſſe parfai--
tement, qu'il ne le pénetre de
toute part, & qu'il n'en ait une
idée ſi complette qu'il ſoit impoſ
ſible d'y rien ajouter. Si cela étoit
nous ne connoîtrions rien du tout,
3o L'Anti-Bon-Sens.
puiſque nous ne connoiſſons rien
parfaitement, que la nature inti
me des choſes ſe dérobe aux eſ
prits les plus perçans, & qu'ils ne
les connoiſſent que par leurs effets
ou leurs propriétés viſibles.
Nous diſons que l'eſprit humain
quoique fini , a une idée claire &
nette de l'infini; qu'il le diſtingue
du fini , & que l'idée qu'il en a
quoique finie & limitée, n'en eſt
ni moins claire ni moins réelle. Ce
n'eſt donc nil'ignorance, ni la peur,
comme le prétend notre Sophiſte
dans les Paragraphes ſuivans , mais
la connoiſſance claire & commune
à tous les hommes qui a donné
l'idée de l'infini. C'eſt parce que
la néceſſité de la Religion eſt évi
dente, & qu'elle date de l'origine
du monde, que tous les Peuples
l'ont par-tout adoptée.
$. 16.
,, L'exiſtence d'un Dieu eſt la
baſe
L'Anti-Bon-Sens. 3I
,, baſe de toute Religion. Peu de
,, gens paroiſſent douter de cette
,, exiſtence ; mais cet article fon
,, damental eſt préciſément le
,, plus propre à arrêter tout eſprit
7 ) qui raiſonne. La premiere de
,, mande de tout Catéchiſme fut
,, & ſera toujours la plus difficile | s
,, à réſoudre.
Pour appuyer ce paradoxe l'Au
teur nous raconte gravement qu'en
l'année 17o1 les Peres de l'Ora
toire de Vendôme ſoutinrent dans
une theſe cette propoſition, que
ſuivant S. Thomas, l'exiſtence de
Dieu n'eſt pas & ne peut pas être
du reſſort de la foi. Dei exiſtentia
nec ad fidem attinet, nec attinere
poteſt juxta ſanctum Thomam. Oui,
S. Thomas dit, que l'exiſtence de
Dieu n'eſt & ne peut être du reſſort
de la foi, parce que nous la con
noiſſons par les lumieres naturel
les, qui nous mettent, pour ainſi
dire la Divinité ſous les yeux, &
32 L'Anti-Bon-Sens.
nous en développent toutes les per
fections ; d'où vient qu'elle n'eſt
pas du reſſort de la foi, cette vertu
ſurnaturelle, qui a pour objet les
vérités révélées, que nous ne pou
vons connoître par les lumieres
naturelles & auxquelles la raiſon
humaine ne ſauroit atteindre. De
ce que l'exiſtence de Dieu ne peut
être du reſſort de la foi , il ne s'en
ſuit donc nullement qu'il n'exiſte
pas, il s'enſuit au contraire qu'il
exiſte ſi évidemment, & que la
raiſon toute ſeule démontre ſi com
plettement ſon exiſtence, qu'il eſt
impoſſible qu'elle ſoit du reſſort de
la foi, parce qu'on ne croit pas ſur
l'autorité & le témoignage des au
tres, ce que l'on voit de ſes pro
pres yeux ou que l'on touche de
ſes propres mains : l'évidence ex
clut la foi. Je vois le ſoleil qui luit
en plein midi : je ne le crois donc
pas, & ne puis le croire ſur le té
moignage de mon voiſin qui me
· L'Anti-Bon-Sens. 33
· l'aſſure. C'eſt ainſi que notre Au
teur eſt aſſez habile pour étayer
ſon délire d'une autorité qui le met
en poudre , & qu'il prouve par-là,
combien doit être copieuſe la doſe
de Bon-Sens dont il eſt pourvu.
$. 17.
,, Peut-on ſe dire ſincérement
,, convaincu de l'exiſtence d'un
,, être dont on ignore la nature,
,, qui demeure inacceſſible à tous
,, les ſens , & dont on aſſure à
,, chaque inſtant que les qualités
,, ſont incompréhenſibles pour
77 nous ? -
L'Anti-Bon-Sens. 39
gnifiques ouvrages de la nature,
qui ne peuvent avoir qu'un Dieu
pour cauſe ; que les yeux la liſent
dans le grand Livre de l'Univers,
| & qu'on ne peut la nier ſans ſe voir
auſſi-tôt accablé de tout le poids
de l'Univers lui-même & de tous
les corps immenſes qu'il renferme.
Enfin , tout ce qu'on attribue à
Dieu s'accorde parfaitement; rien
n'eſt contradictoire, & l'on prouve
invinciblement ſon exiſtence par
des raiſons très-claires & très-intelli
gibles de toute eſpece. On la prouve
parce qu'il exiſte des êtres, qui éta
bliſſent invinciblement l'exiſtence
' d'une cauſe éternelle.En deux mots:
il exiſte des êtres; or, ils n'exiſte
roient pas ſi l'on pouvoit ſuppoſer
un ſeul inſtant où rien n'eut exiſ
té, parce qu'il n'y a point d'effet
ſans cauſe ; le néant n'eſt rien & ne
peut rien produire ; donc en ſup
poſant un néant total , il auroit
toujours perſévéré; donc il y a eu
4
4O L'Anti-Bon-Sens.
de toute éternité , une cauſe des
êtres qui exiſtent, & cette cauſe
éternelle c'eſt Dieu.
On la prouve parce que la ma
tiere aveugle, paſſive & inactive
d'elle-même, n'a pu recevoir le
mouvement dont elle jouit que
d'un Étre diſtingué d'élle , qui
donne le mouvement à tous les
autres en agiſſant par une activité
, qui lui ſoit propre. On la prouve
comme l'on prouve qu'un vaiſſeau
qui arrive au port au milieu des
vagues & des tempêtes, eſt con
duit par un habile pilote ; qu'une
bonne montre a été faite par un
bon horloger; une belle maiſon ,
par un architecte capable; un ma
gnifique poëme, par un excellent
poëte, &c. On la prouve par l'exiſ
tence de tous les êtres contingens,
qui n'ont pu ſe produire eux
mêmes comme cauſes efficientes
& qui ont reçu leur exiſtence d'une
cauſe improduite & conſéquem
,º
L'Anti-Bon-Sens. 4I
| ment néceſſaire & éternelle. On
la prouve parce qu'il y a une con
nexion eſſentielle entre l'idée , la
poſſibilité, & l'exiſtence actuelle
de l'Etre infiniment parfait. On
la prouve par le conſentement
unanime des hommes, par le ſen
timent intérieur de chacun d'eux
en particulier, par le deſir invin
cible qu'ils ont tous de la béati
tude & de l'immortalité qui ne ſe
trouvent que dans le ſein d'un
objet infiniment parfait. On la
prouve par les principes invaria
bles de la Loi naturelle gravée
dans nos cœurs, qui nous inſtruit
de nos devoirs indiſpenſables en
vers Dieu , ce premier modele de
toutes les Loix, cette Juſtice ori
ginale & primitive qui eſt la regle
ſouveraine , éternelle , immuable
de celle des hommes , &c. Ah !
qu'il faut être aveugle, inſenſible,
ſtupide pour ne pas voir la Divi
nité dans le brillant ſpectacle de la
4
42 L'Anti-Bon-Sens.
nature & le grand Livre de l'Uni
vers, dans les claires idées de l'eſ
prit, les pures lumieres de la rai
ſon, les ſentimens intimes du cœur,
l'accord enfin de tous les hommes,
de tous les êtres même inanimés à
publier hautement & par des mil
liers de cris redoublés, la puiſſan
ce, la majeſté, la bonté, la gran
deur , l'immenſité, toutes les infi
nies perfections de leur magnifiqu
• Auteur. -
$. 3o.
,, Il faudroit commencer par
,, nous prouver d'une façon ſa
•
L'Anti-Bon-Sens. 43
,, tisfaiſante l'exiſtence d'un Dieu,
,, avant de nous dire qu'il eſt plus
-,, ſûr de la croire.,,
C'eſt auſſi par-là que l'on com
, mence, & ce que l'on éxécute
d'une façon ſi ſupérieurement ſa
tisfaiſante , & fi victorieuſement
démonſtrative, qu'il n'y a que des
aveugles volontaires & des endur
cis décidés qui puiſſent ſe roidir
contre la force & l'évidence des
preuves multipliées qui démon
trent l'exiſtence d'un Dieu. Mais
je veux pour un moment que
cette multitude de preuves toutes
plus fortes les unes que les autres
aboutiſſent uniquement à ſoulever
des doutes ſur cet important objet ;
je ſuppoſe qu'il eſt ſeulement dou
teux qu'il y ait un Dieu. Eh ! bien
dans cette ſuppoſition même, tout
homme ſage & ſenſé croira qu'il
y en a un, puiſque dans le doute il
faut prendre le parti le plus ſûr, &
que dans le doute de l'exiſtence ou
L'Anti-Bon-Sens.
de la non exiſtence d'un Dieu, le
plus ſûr ou plutôt l'unique ſûr eſt
de croire qu'il exiſte, parce qu'en
le croyant on ne riſque rien , &
qu'en ne le croyant pas on riſque
tout, & tout pour une éternité.
J'en atteſte la raiſon, le jugement,
la conſcience de tous les hommes
ſans en excepter notre Auteur. Si
l'on diſoit à un voyageur le che
min que vous tenez vous conduira
ſûrement au précipice ou dans une
embuſcade d'aſſaſſins , qui vous
égorgeront ſans pitié ; l'aliment
que vous allez prendre eſt empoi
ſonné ; prenez cet autre chemin
ou cet autre aliment, que vous
ſavez évidemment n'être ſujets à
aucun danger; ſi l'on tenoit ce pro
pos à un voyageur , & qu'il s'obſ
tinât à pourſuivre ſa route , ou à
prendre l'aliment qu'on lui déclare
être empoiſonné , ne paſſeroit-il
pas à juſte titre pour le plus inſenſé
des hommes , quand même les
L'Anti-Bon-Sens. 45
dangers dont on le menace ne ſe
roient que ſimplement douteux ?
Mais nulle comparaiſon entre la
folie de ce voyageur & celle de
l'Athée.
Tout crie à l'Athée d'une voix
de tonnerre, qu'il y a un Dieu
vengeur du crime & rémunérateur
de la vertu ; qu'en le croyant il ne
riſque rien , ſoit qu'il exiſte ou
qu'il n'exiſte point, & qu'en ne le
croyant pas, il riſque tout pour
une éternité toute entiere , puiſ
qu'il court à des tourmens affreux
qui n'auront pas de fin. N'eſt-ce
donc pas pour lui le comble de la
folie de ne pas croire , ſous pré
texte qu'en croyant, & pour des
biens douteux, qu'on lui promet
dans une autre vie, il faudra qu'il
ſe prive des biens aſſurés de la vie
préſente : comme ſi dans cette hy
potheſe même, il pouvoit y avoir
aucune comparaiſon à faire entre
les biens préſens quoique certains,
4
46 L'Anti-Bon-Sens.
mais frivoles, périſſables, momen
tanés , & les biens ainſi que les
maux futurs , incertains , on le
ſuppoſe, mais complets , infinis,
éternels, & que ce ne fut pas une
extrême folie de préférer le fini &
le périſſable quoique certain , à
l'infini & à l'immortel , quelque
douteux & incertain qu'on veuille
le ſuppoſer.
,, Enſuite , il faudroit nous
,, prouver qu'il eſt poſſible qu'un
,, Dieu juſte puniſſe, avec cruau
,, té, des hommes, pour avoir été
,, dans un état de démence qui
,, les a empêché de croire l'exiſ
,, tence d'un être que leur raiſon
,, troublée ne pouvoit concevoir.
Point du tout, ce n'eſt pas cela qu'il
faudroit prouver.Ce qu'il faut prou
ver & ce que l'on prouve en effet,
c'eſt qu'un Dieu juſte punit avec
équité des hommes, non pas inſen
ſés , mais pervers & méchamment
ſuperbes, dont l'orgueilleuſe raiſon
a
| \
- · L'Anti-Bon-Sens. 47
a conſtamment refuſé de conve
nir de l'exiſtence d'un Etre qu'elle
connoiſſoit très-bien , quoiqu'elle
ne le comprit pas, tout comme une
infinité d'autres choſes dont elle
connoît clairement l'exiſtence,
quoiqu'elle n'en comprenne pas
l'eſſence. C'eſt pour une diſpoſi
tion auſſi perverſe & auſſi horrible
à penſer qu'un Dieu juſte punira
ſans cruauté & avec une ſouveraine
équité, tous les Athées qui furent
jamais, qui ſont ou qui ſeront dans
toute la ſuite des fiecles. Ce n'eſt
donc pas , comme l'ajoute notre
Auteur avec beaucoup de bonne
foi, ce n'eſt pas à cauſe que les
Athées auront ignoré invincible
ment & néceſſairement l'eſſence
divine, qu'ils ſeront punis de Dieu,
c'eſt au contraire parce qu'ils au
ront voulu cpmprendre ſon eſſen
ce, avant de croire ſon exiſtence,
& que faute de comprendre ſon
eſſence qui eſt eſſentiellement in
- F
48 L'Anti-Bon-Sens.
compréhenſible , ils auront conſ
tamment refuſé de croire ou plu
tôt de voir ſon exiſtence plus claire
que le ſoleil en plein midi. Voilà
pourquoi les Athées ſeront punis
de Dieu d'une maniere terrible,
mais juſte, parce qu'elle n'excé
dera pas la meſure du châtiment
que mérite l'affreuſe diſpoſition
de ces hommes préſomptueux, &
ſuperbes, qui ferment volontai
rement les yeux à la vérité con
nue, & qui ſe glorifient d'être les
ſeuls favoris du Bon-Sens & de la
raiſon , eux dont l'eſſence, pour
ainſi dire, eſt de déraiſonner &
de choquer le Bon-Sens à chaque
inſtant.
$. 3 I.
,, Les hommes ne croient en
,, Dieu que ſur la parole de ceux
,, qui n'en ont pas plus d'idées
,, qu'eux-mêmes.,
Les hommes ne croient pas ſeu
L'Anti-Bon-Sens. 49
lement en Dieu ſur la parole de
leurs inſtituteurs ou inſtitutrices ;
ils y croient en faiſant uſage de
leurs facultés naturelles , & des
ſimples lumieres de la raiſon. D'où
vient que quoique LocKE n'ad
mette aucune idée innée , pas mê
me celle de Dieu , ce fameux Phi
loſophe n'en eſt pas moins perſuadé
qu'il eſt impoſſible de ne pas le re
connoître en faiſant uſage de ſa
raiſon. Ecoutons-le parler lui-mê
les me. Les marques éclatantes d'une
ſageſſe & d'une puiſſance extraor
)llſ dinaires paroiſſent ſi viſiblement
dans tous les ouvrages de la créa
l: tion, que toute créature raiſonnable
qui y voudra faire une ſérieuſe ré
flexion, ne ſauroit manquer de dé
couvrir l'Auteur de toutes ces mer
eſ veilles; & l'impreſſion que la dé
llY couverte d'un tel Etre doit faire
néceſſairement ſur l'ame de tous
ceux qui en ont entendu parler une
ll ſeule fois eſt ſi grande & entraîne
F ij
4
5c L'Anti-Bon-Sens.
avec elle une ſiiite de penſées d'un
ſi grand poids, & ſi propres à ſe
répandre dans le monde, qu'il me
paroît tout-à-fait étrange, qu'il
puiſſe ſe trouver ſur la terre une
nation entiere d'hommes, aſſeſ ſtu
pides pour n'avoir aucune idée de
Dieu : cela, # , me ſèmble auſſi
ſurprenant que d'imaginer des hom
mes, qui n'auroient aucune idée des
nombres, ou du feu. Le nom de
Dieu ayant été une fois employé
en quelqu'endroit du monde pour
%gnifier un Etre ſupréme, tout
puiſſant, tout ſage & inviſible, la
conformité qu'une telle idée a avec
les principes de la raiſon, & l'inté
rét des hommes qui les portera tou
jours à faire ſouventmention de cette
idée, doivent la répandre néceſſai
rement fort loin, & la faire paſſer
dans toutes les générations ſuivan
tes. (Eſſai philoſophique concer
nant l'entendement humain , édi
tion de 1758, t. I. p. 135 & 136.)
L'Anti-Bon-Sens. 51
Ce n'eſt donc pas uniquement
ſur la parole de leurs inſtituteurs &
de leurs inſtitutrices que l'on croit
en Dieu, mais parce que l'idée de
Dieu a une telle conformité avec
les principes de la raiſon, qu'il eſt
impoſſible qu'une créature raiſon
nable ne la découvre pas cette idée
d'un Dieu, c'eſt-à-dire, d'un Etre
ſuprême, tout-puiſſant, tout ſage
inviſible, &c. Il faut donc ceſſer
d'être raiſonnable, pour rejetter
l'exiſtence de Dieu, & pour ſou- ,
tenir qu'on n'en peut avoir aucune
idée. -
$- 4I.
,, Pour appercevoir ou ſentir
95 un objet, il faut que cet objet
9) . agiſſe ſur nos organes; cet objet
» ) ne peut agir ſur nous ſans quel
2) que mouvement en nous; il ne
27 peut produire ce mouvement en
27 nous, s'il n'eſt en mouvement
95 lui-même. Dès que je vois un
25 objet, il faut que mes yeux en
,, ſoient frappés : je ne puis con
,, cevoir la lumiere & la viſion,
,, ſans un mouvement dans le
,, corps lumineux, étendu, colo
55 ré, qui ſe communique à mon
55 œil ou qui agit ſur ma retine.
L'Anti-Bon-Sens. 59
º ) Dès que je flaire un corps, il
2) faut que mon odorat ſoit irrité
27 ou mis en mouvement par les
9) parties qui s'exhalent d'un corps
97 odorant.... je ſuis donc forcé de
9) conclure que le mouvement eſt
. )) auſſi eſſentiel à la nature que
•)5 l'étendue , & qu'elle ne peut
25 être conçue ſans lui.,,
Il y a quatre défauts eſſentiels
dans ce raiſonnement. Le premier
eſt de conclure du particulier au
général, de l'odorat , par exem
ple, à tous les autres ſens. Parce
que mon odorat eſt mis en mou
vement par les parties qui s'exha
lent d'un corps odorant, s'enſuit
il que mon ſens du toucher eſt
mis de même en mouvement par
les parties qui s'exhalent d'une pie
ce de marbre, quand je la touche ?
Le ſecond défaut de ce raiſonne
ment conſiſte à ſuppoſer que les
objets extérieurs ſont les cauſes
efficientes, & non pas ſeulement
6o L'Anti-Bon-Sens.
occaſionnelles de nos ſenſations ;
le troiſieme à conclure qu'on ne
peut concevoir la matiere ſans
mouvement non plus que ſans
étendue, & enfin que la matiere
ſe meut d'elle-même, & qu'elle a
en ſoi par ſa propre eſſence le prin
cipe du mouvement. Concluſion
évidemment fauſſe; puiſque quand
même on accorderoit que la ma
tiere eſt toujours en mouvement,
& qu'elle n'agit ſur nous que par
e mouvement, il ne s'enſuivroit
nullement qu'elle ſe ſuffit à elle
même , ni qu'elle eſt le premier
principe de ſon mouvement; mais
ſeulement qu'elle eſt mue & qu'elle
ſe meut en vertu de l'impreſſion
u'elle reçoit d'une premiere cau
e, à laquelle il faut néceſſairement
remonter, & qui eſt inviſible &
immatérielle. Le mouvement n'eſt
donc point eſſentiel à la matiere,
on la conçoit parfaitement ſans
cela; & lors même qu'elle ſe meut,
L'Anti-Bon-Sens. 6I
on comprend clairement qu'elle ne
ſe donne point le mouvement à
elle-même, mais qu'elle le reçoit
d'un-principe immatériel & ſouve
3e$ rainement actif.
$ 42.\
Ce raiſonnement, diſons-nous,
eſt encore beaucoup plus mauvais
que celui qui le précede, parce
qu'en diſant que Dieu eſt matériel,
on lui attribue ſeulement une im
perfection qui ne lui convient pas,
au lieu qu'en diſant qu'il eſt mé
chant, on lui attribue un vice qu'il
abhorre, & que la ſainteté de ſa
nature repouſſe eſſentiellement.
L'homme eſt donc l'ouvrage de
Dieu , oui, mais l'homme ſain,
droit, juſte, vertueux, & non pas
l'homme malade, tombé, méchant,
pécheur; en un mot, le péché eſt
l'œuvre de l'homme rebelle, qui
s'eſt perdu par ſa faute en ſe ré
voltant contre Dieu , & en effa
çant par cette criminelle révolte ,
G iv
7o L'Anti-Bon-Sens.
les beaux traits de l'innocence &
de la juſtice primitives, qui l'ap
prochoient ſi fort de ſon Créateur,
la pureté par eſſence.
» De quelque façon que laThéo
» logie s'y prenne , Dieu ſera
» toujours une cauſe contredite
» par ſes effets , ou dont il eſt
» impoſſible de juger par ſes œu
» vres. Nous verrons toujours ré
» ſulter du mal, des imperfections,
» des folies, d'une cauſe que l'on
» dit remplie de bonté , de per
» fections, de ſageſſe.
Le mal que nous faiſons , nos
imperfections , nos folies n'ont
point d'autre cauſe que le méchant
uſage que nous faiſons de notre
liberté, & pour le mal que nous
ſouffrons, il vient de la juſtice de
Dieu. Il n'eſt donc pas contredit
par ſes effets, & l'on en juge très
bien par ſes œuvres ; elles ſont
- toutes bonnes , & très-propres à
nous donner la plus haute idée de
L'Anti-Bon-Sens. 71
ſa puiſſance, de ſa ſageſſe, de ſa
juſtice, de ſa bonté, &c..
Avant d'oſer imputer des im
perfections, des folies, du mal à
l• la Divinité , il faudroit, ce me
ſemble , être en état de détermi
ner ſans s'y méprendre, tout ce
que comporte la nature des cho
ſes, & connoître parfaitement les
rapports qu'elles ont entr'elles &
avec l'ordre univerſel , toutes les
proportions , toutes les combinai
ſons du ſyſtême général du mon
de, où tout ſe tient, & dont tou
tes les parties ſe lient , s'enchaî
nent les unes dans les autres ,
depuis le brin d'herbe que nous
foulons aux pieds, juſqu'à ces corps
céleſtes d'une fi étonnante gran
deur que nous admirons , & qui
roulent avec tant de majeſté ſur
nos têtes. Et quel eſt l'homme qui
oſe ſe flatter de poſſéder toutes
ces connoiſſances?
-
#
72. L'Anti-Bon-Sens.
$ 43.
,, Ainſi donc, direz-vous, l'hom
97 me intelligent de même que
9) l'Univers & tout ce qu'il ren
7 ) ferme, ſont les effets du ha
92 ſard ! Non, vous répéterai-je ;
22 l'Univers n'eſt point un effet,
7 ) il eſt la cauſe de tous les effets :
92 tous les êtres qu'il renferme ſont
9) des effets néceſſaires de cette
72 cauſe , qui quelquefois nous
9) montre ſa façon d'agir, mais
7) qui bien plus ſouvent dérobe
7 ) ſa marche... La nature eſt un
77 mot dont nous nous ſervons
9 ) pour déſigner l'aſſemblage im
9) menſe des êtres, des matieres
22 diverſes , des combinaiſons in
97 finies des mouvemens dont nos
9 ) yeux ſont témoins... Rien dans
» la nature ne peut ſe faire au
99 haſard ; tout y ſuit des Loix
2) fixes ; ces Loix ne ſont que la
A
L'Anti-Bon-Sens. 73
,, liaiſon néceſſaire de certains ef
,, fets avec leurs cauſes... Ce n'eſt
,, point le haſard qui a placé le
,, ſoleil au centre de notre ſyſtê
,, me planetaire, c'eſt que par ſon
,, eſſence même la ſubſtance dont
,, il eſt compoſé , doit occuper
,, cette place, & delà ſe répan
,, dre enſuite pour vivifier les êtres
,, renfermés dans les planetes.
L'homme eſt donc intelligent, la
nature eſt l'aſſemblage de tous les
étres renfermés dans l'Univers; il
y a des loix fixes qui ne ſont que
la liaiſon néceſſaire de certains ef
fets avec leurs cauſes ; c'eſt par
ſon eſſence méme que le ſoleil ſe .
trouve placé au centre de notre
ſyſtéme planetaire; l'Univers n'eſt
· point un effet, il eſt la cauſe de tous
les effets : tous les étres qu'il ren
ferme ſont des effets néceſſaires de
cette cauſe.
Voilà ce que dit notre Auteur
en propres termes, & voilà ce qui
74 L'Anti-Bon-Sens.
forme à peu près autant d'abſur
dités & de contradictions que de
lignes. -
#
8c L'Anti-Bon-Sens.
nel, infini & penſant , mais un
nombre infini d'Etres éternels , fi
nis, penſans, qui ſeroient indépen
dans les uns des autres, dont les
forces ſeroient bornées, & les pen
ſées diſtinctes, & qui ne pourroient
par conſéquent jamais produire cet
ordre , cette harmonie , & cette
beauté qu'on remarque dans la na
ture.Puis donc que le premier Etre
doit être néceſſairement un étre pen
ſant, ... il s'enſuit néceſſairement
de là, que le premier Etre éternel
ne peut être la matiere. Si donc il
eſt évident, que quelque choſe doit
néceſſairement exiſter de toute éter
nité, il ne l'eſt pas moins, que cette
choſe doit être néceſſairement un
être penſant. Caril eſt auſſi impoſſi
ble que la matiere non penſante pro
# un étre penſant, qu'il eſt im
poſſible que le néant ou l'abſence de
tout être put produire un étre poſi
tif, ou la matiere.
2°. Le mot de Loi emporte né
L'Anti-Bon-Sens. 8r
ceſſairement l'idée d'intelligence,
de ſageſſe, de prudence, de choix
judicieux, & ſi comme l'aſſure
l'Auteur, la nature eſt l'aſſemblage
de tous les étres renfermés dans
l'Univers, il s'enſuit néceſſaire
ment que tous les êtres renfermés
dans l'Univers ont de l'intelligen
ce, de la ſageſſe, &c. puiſqu'ils
ont tous leurs Loix. -
: $. 45.
,, En ſuppoſant Dieu l'Auteur
L'Anti-Bon-Sens. 85
,, & le moteur de la nature... s'il
,, venoit à changer le cours or
,, dinaire des choſes, il ne ſeroit
,, pas immuable. -
#
92 L'Anti-Bon-Sens.
mun, de reſſemblant & d'analo
gue entre l'intelligence, les idées,
les vues divines & celles des hom
mes ; que cette reſſemblance &
cette analogie ſont fondées ſur la
nature de l'ame humaine, qui eſt
eſprit comme Dieu eſt eſprit ,
quoique non auſſi parfait eſprit
que lui; qu'en vertu de la ſpiritua
lité qui lui eſt commune avec Dieu,
l'ame des hommes a auſſi une in
telligence, & une infinité d'idées,
de vues, de penſées, de deſirs,
d'affections , de ſentimens, qui
ont beaucoup de reſſemblance &
de conformité avec l'intelligence,
les vues, les idées, les penſées
divines, &c. , qu'il y a néanmoins
cette différence entr'elles que l'in
telligence & les penſées de Dieu
ſont infinies, & par conſéquent
infiniment élevées au deſſus de
l'intelligence & des penſées des
hommes, à raiſon du degré, puiſ
que l'intelligence divine eſt ſans
L'Anti-Bon-Sens. 93
bornes , au lieu que celle de
l'homme eſt très - bornée ; mais
toujours ſans préjudice de la reſ
ſemblance réelle de l'une & de
l'autre, à raiſon de leur nature ſpi
rituelle & de l'ordre de la ſpiri
tualité ; deux choſes qui-leur ſont
néceſſairement communes. C'eſt
donc avec raiſon que nous admi
rons les vues infinies de la ſageſſe
divine , dont nous avons des idées
très-réelles, & plus ou moins diſ
tinctes, ainſi que de ſes autres
attributs, toutes les fois que nous
venons à nous conſidérer nous
mêmes, ou le plan & la marche
conſtante de l'Univers. |
S. 47.
97 Toutes ces qualités qqu'on
», donne à Dieu , ne peuvent au
25 cunement convenir à un Etre
7) qui par ſon eſſence même eſt
•) ) privé de toute analogie avec
4
94 L'Anti-Bon-Sens.
,, les êtres de l'eſpece humaine.,,
Cent & mille fois on a démontré
· qu'il eſt une analogie , des rap
ports, des proportions néceſſaires
entre Dieu & les êtres de l'eſpece
humaine, qui n'ont été créés intel
ligens que pour connoître leur Au
teur & ſe porter vers lui comme
vers l'unique ſource de leur bon
heur permanent , puiſqu'il eſt le
ſeul bien par eſſence , dont tout
dérive, & auquel tout doit ſe rap
porter. C'eſt dans cette rélation,
cette union avec la Divinité que
conſiſte tout le bonheur des créa
tures intelligentes, dont le propre
eſt de deſirer une félicité .com
plette & à jamais durable ; félicité
pour laquelle ſeule elles ſentent
bien qu'elles ſont faites, qui eſt
tout-à-fait dans l'ordre de leur
être, qui convient à la dignité de
leur nature, & ſe trouve avoir les
plus juſtes proportions avec les fa
cultés qu'elles ont reçues de la mu
# nificence
L'Anti-Bon-Sens. 95
nificence du Créateur; ces facultés
ſi excellentes & ſi nobles , mais
toujours inquietes & agitées, juſ
qu'à ce qu'elles ſe repoſent dans le
principe dont elles dérivent : Irre
quietum eſt cornoſtrum, donec re
quieſcat in te. (S. Auguſtin.)
$. 48.
,, La réflexion la plus légere ne
27 devroit-elle pas ſuffire pour nous
27 prouver que Dieu ne peut avoir
22 aucune des qualités des vertus
97 ou des perfections humaines ?
99 Nos vertus & nos perfections
97 ſont des ſuites de notre tempé
") ) rament modifié. Dieu a-t-il donc
79 un tempérament comme nous ?
90 Nos bonnes qualités ſont des
·)? diſpoſitions relatives aux êtres
5 ) avec qui nous vivons en ſociété.
9 ) Dieu, ſelon vous, eſt un Etre
7) iſolé... Convenez donc d'après
0) vos principes même, que Dieu
(:
96 L'Anti-Bon-Sens.
,, ne peut avoir ce que nous ap
,, pellons des vertus, & que les
,, hommes ne peuvent être ver
,, tueux à ſon égard.
Non, nous ne conviendrons pas
que ce ſoient là nos principes, &
nous n'aurons garde d'avouer les
| conſéquences qu'il plaît à l'Auteur
d'en tirer. Nous avons donc pour
principe que nos vertus & nos per
fections ſont de bonnes habitudes,
ou de bonnes qualités de l'ame,
qui la portent à faire le bien moral,
à obſerver la loi, à ſuivre la raiſon ;
d'où il ſuit que les vertus ne ſont pas
des modifications du tempérament,
c'eſt-à-dire, de la complexion na
turelle, ou de la conſtitution pure
rement phyſique & corporelle de
l'homme, mais des diſpoſitions ou
modifications ſoit infuſes, ſoit ac
quiſes de l'ame , cette ſubſtance
ſpirituelle, intelligente, libre, im
morcelle. Nos vertus ne ſont donc
pas les ſuites de nos tempéramens
L'Anti-Bon-Sens.
modifiés ; ce ſont des habitudes,
ou des actes & des modifications
libres de notre ame , qui com
mande avec empire, quand elle le
veut, au tempérament, à l'imagi
nation, aux paſſions, aux ſens, qui
ne ſont que ſes organes &°ſes ſim
ples miniſtres. L'exercice continuel
du ſage n'eſt-il donc pas de ſacri
fier aux charmes réels de la vertu
le preſtige des ſens, les illuſions de
l'imagination, la fougue des paſ
ſions, toute la violence du tempé
rament? Dieu n'a donc pas beſoin
d'avoir un tempérament comme
nous pour avoir nos vertus, puiſ
qu'elles ne ſont pas du reſſort de la
nature de notre tempérament; il
les a donc ces vertus, mais dans un
éminent degré, qui ſurpaſſe infi
niment celui dans lequel nous les
avons nous-mêmes; il les a toutes
pures & ſans le moindre alliage,
ſans aucun mêlange
tIOIlS.
§
I ij
98 L'Anti-Bon-Sens.
Un autre principe, c'eſt que nos
bonnes qualités ne ſont pas ſeule
ment des diſpoſitions relatives aux
êtres avec qui nous vivons en ſo
ciété; elles ſe rapportent à tous les
êtres ſpirituels, à commencer par
la Divinité elle-même, en compa
raiſon deſquels, tous les êtres avec
qui nous vivons, forment à peine
un point. Pour compter toutes les
relations que nous pouvons avoir,
il faudroit donc pouvoir nombrer
tous les objets inviſibles & pure
ment ſpirituels qui peuvent affec
ter notre ame ; & les objets ſont
infinis, Dieu & tous ſes attributs,
toutes ſes opérations, tous les êtres
abſtraits ou moraux , l'ordre , la
vérité, &c. Il eſt donc faux de dire
que nos bonnes qualités ne ſont
que des diſpoſitions relatives aux
êtres avec qui nous vivons en ſo
ciété, puiſqu'elles ſe rapportent à
une infinité d'autres objets ; & il
n'eſt pas moins faux que nous ne
L'Anti-Bon-Sens. 99
puiſſions être vertueux à l'égard de
Dieu. N'eut-il créé qu'un ſeul
homme, cet unique mortel ſi fort
iſolé , n'en ſeroit pas moins tenu
de ſe tourner vers ſon Créateur par
de vifs ſentimens d'adoration, de
reconnoiſſance, d'amour, d'obéiſ
ſance, parce que ces devoirs ſont
inhérens à l'eſſence même des cho
ſes & intrinſéquement fondés ſur
les rapports immuables qui ſe trou
vent entre un être intelligent créé
& l'être incréé dont il dérive.
La plus légere réflexion ſuffit
donc pour ſe convaincre que Dieu
peut poſſéder éminemment des
vertus qui aient des traits de reſ
ſemblance avec les vertus humai
nes; que ces vertus humaines ne
ſont pas les ſuites de notre tempé
rament modifié, ni des diſpoſitions
purement relatives aux êtres avec
· qui nous vivons en ſociété, & que
nous ne pouvons nous diſpenſer
d'être vertueux envers Dieu, parce
I iij ,
4
1oo L'Anti-Bon-Sens.
que nous portons gravé ſur le front
le ſceau de nos devoirs à ſon égard,
& qu'ils ſont entés ſur nos rapports
intimes avec lui.
$ 49. |
1
L'Anti-Bon-Sens. Io7
ment de ſon ſouverain maître,
de s'occuper des vues & des deſ
ſeins qu'il a ſur elle, de mériter
ſes bontés, de travailler infatiga
blement à ſe rendre digne de ſes
hautes deſtinées , & du bonheur
incomparable qu'on lui prépare,
aux conditions marquées ; bonheur |
$. 53.
» Si c'eſt elle (la providence )
» qui gouverne le monde, nous
» la trouvons autant occupée à
» détruire qu'à former, à exter
» miner qu'à produire. Eſt - ce
» donc là ce qu'on appelle con
» ſerver l'Univers ?
Oui, c'eſt vraiment là conſerver
' 1'Univers, puiſqu'il ſe conſerve &
qu'il ſubſiſte au milieu, & par le
moyen même de ces productions
& de ces deſtructions continuelles.
Eh ! que ſeroit-ce ſi tous les êtres
vivans qui ont exiſté depuis la créa
tion du monde, ſe § conſer
vés juſqu'aujourd'hui , ſans qu'il
en fut mort un ſeul ? N'auroit-iI
pas fallu créer pluſieurs autres
mondes pour les renfermer & les
entretenir ?
» Les.Hottentots en cela bien
» plus ſages que d'autres Nations
L'Anti-Bon-Sens, 119 /
$2
qui les traitent de barbares, re
22
fuſent, dit-on , d'adorer Dieu,
35
parce que s'il fait ſouvent du
22
bien, il fait ſouvent du mal.
22
Ce raiſonnement n'eſt - il pas
92
plus juſte que celui de tant
22
d'hommes qui s'obſtinent à ne
35
voir dans leur Dieu que bonté,
22
que ſageſſe, que prévoyance ;
22
& qui refuſent de voir que les
25)
maux ſans nombre , dont ce
22
monde eſt le théatre , doivent
22 .
partir de la même main qu'ils
22
baiſent avec tranſport.
Non; ce raiſonnement qu'on at
tribue aux Hottentots n'a nulle
juſteſſe.Dans l'hypotheſe que Dieu
fait ſouvent du bien & ſouvent du
mal , il mérite des ſentimens de
reconnoiſſance & d'adoration tou
tes les fois qu'il fait du bien, ſauf
à s'en diſpenſer quand il fait du
mal. Mais ce que nous appellôns
mal, parce qu'il nous ſemble tel ,
l'eſt-il véritablement en ſoi? Non,
I2O L'Anti-Bon-Sens.
parce que ce qui ſemble mal à ne
l'enviſager relativement à quelques
hommes en particulier, eſt vrai
ment bon par rapport au monde
entier. Non encore par la raiſon
que ce que les particuliers regar
dent comme un mal , eſt très-ſou
vent un vrai bien même pour eux.
La pauvreté , par exemple , que
l'on regarde communément com
me un grand mal, eſt dans la vé
rité un grand bien, parce qu'elle
coupe la racine à un grand nom
bre de vices en donnant lieu à un
areil nombre de vertus , tandis
que l'abondance enfante une infi
nité de crimes. Quand eſt-ce que
Rome & Lacédémone ſe corrom
pirent entiérement, en perdant
avec la rigidité de leurs mœurs
antiques toute leur ſplendeur ,
toute leur conſidération , toute
leur puiſſance ? Ne fut-ce pas lorſ
qu'en ceſſant d'honorer & de cul
tiver la pauvreté , elles introduiſi
L'Anti-Bon-Sens. 121
rent les richeſſes dans leur ſein,
& avec les richeſſes le luxe, le
faſte, le plaiſir, la volupté, la li
cence, & tous les vices enfin, qui
en ſont comme inſéparables ? Di
ſons-le donc ſans craindre de nous
tromper, ſi la providence banniſ
ſant du monde tous les maux phy
# ſiques n'y eut laiſſé que des biens
de la même nature, elle n'eut fait
du monde entier qu'une immenſe
cloaque d'immondices & de cor
ruptions. Elle a donc fait ſupé
rieurement éclater ſa ſageſſe, ſa
prévoyance, ſa bonté même en
mêlant le bien au mal, & ce n'eſt
pas ſans raiſon que nous baiſons
avec tranſport la main ſage & pleine
de tendreſſe à laquelle nous devons
un alliage ſi ſalutaire & fi aſſorti
à nos beſoins.
S. , 54.
de », La logique du Bon-Sens nous
-
122 L'Anti-Bon-Sens.
29 apprend que l'on ne peut & ne
27 doit juger d'une cauſe que par
22 ſes effets. Une cauſe ne peut
$. 55.
,, Vous prétendez que Dieu eſt
,, immuable ! Mais qu'eſt-ce qui
,, produit une inſtabilité conti
,, nuelle dans ce monde dont vous
,, faites ſon empire ?
, Ce qui produit l'inſtabilité con
tinuelle que nous voyons dans le
monde, c'eſt l'inconſtance natu
L'Anti-Bon-Sens. 125
l$ relle des choſes humaines, qui ſont
toutes ſujettes au changement ;
le mais leurs viciſſitudes ne préjudi
Ut cient en rien à l'immutabilité de
$, Dieu. Un Général d'armée fait
faire aux troupes qu'il commande,
des marches, des contreamarches,
& diverſes autres évolutions qu'il
nſ a toutes combinées : l'armée chan
fº, ge, mais l'eſprit du Général de
RU meure immuable au milieu des
changemens de ſon armée qu'il a
# prévus & arrêtés.
» Vous me dites que ce ſont
» nos péchés qui le (Dieu) for
» cent à punir, je vous répondrai
» que Dieu, ſelon vous-mêmes,
» n'eſt donc point immuable, puiſ
§
» que les péchés des hommes le
ſt » forcent à changer de conduite à
'0# » leur égard.
La ripoſte n'eſt point juſte.
0f Quand Dieu punit le pécheur qu'il
favoriſoit avant ſon péché, il ne
iſl' change point pour cela , par la
126 L'Anti-Bon-Sens.
raiſon qu'il avoit réſolu de toute
éternité ces deux actes , ou plutôt
ces deux effets extérieurs , qui ne
ſuppoſent en Dieu qu'un même .
acte éternel.
» Un Etre qui tantôt s'irrite ,
» & tantôt s'appaiſe, peut-il être
» conſtamment le même ?
Non , mais ce paſſage d'un état
à l'autre, comme de la colore au
calme , ne convient nullement à
Dieu , parce qu'il ne s'irrite & ne
s'appaiſe jamais réellement. Les
locutions de l'Ecriture qui attri
buent à Dieu de s'irriter & de s'a
paiſer, ne ſont que des façons de
parler métaphoriques & figurées,
qui doivent s'entendre des effets
extérieurs , qui font juger aux
hommes qu'on s'irrite & qu'on
s'appaiſe, mais non pas d'un chan
gement réel en Dieu. Il ne change
donc pas réellement, ſoit qu'il s'ir
rite , & qu'il puniſſe, ſoit qu'il
s'appaiſe, qu'il flatte & qu'il ré
compenſe,
L'Anti-Bon-Sens. 127
compenſe, ou plutôt qu'il ſoit dit
qu'il s'irrite & qu'il s'appaiſe; ces
expreſſions néceſſaires à notre foi
2
bleſſe & à notre façon de conce
voir les choſes, ne portent que
ſur les effets extérieurs des attri
buts, & de l'action de Dieu, ſans
dénoter en lui l'ombre de chan
gement réel & intrinſeque : il eſt
donc toujours le même, toujours
conſtant , toujours immuable ,
quand il menace ou qu'il careſſe,
qu'il châtie , en exerçant ſa juſti
ce, ou qu'il pardonne en faiſant
éclater les richeſſes de ſa miſéri
corde, parce qu'il ne fait qu'exé
cuter la volonté éternelle qu'il a eu
de ſignaler ſa juſtice ou ſa bonté,
ſans aucune altération de ſon im
muable eſſence par des effets qui
nous paroiſſent différens, & qui
partent néanmoins d'une ſeule &
même cauſe très-ſimple.,, Le ſo
,, leil ne change pas, dit S. Au
,, guſtin, quand ſa lumiere eſt
- I,
I28 L'Anti-Bon-Sens.
27 agréable à ceux qui ont la force
77 de l'enviſager , & qu'elle eſt
| 22 inſupportable à ceux qui ont
2» les yeux foibles : ainſi, lorſque
22, vous êtes juſte & pénitent, Dieu
22 vous.paroît bon & miſéricor
» dieux , & lorſque vous êtes cou
» pable, il vous paroît irrité. (S.
97 · Auguſtin, ſur le Pſeaume 72.)
, Je vous vois, ô mon Dieu ,
, 79 dit encore le même Pere, je
| 22 vous vois plein d'amour, & vous
| 27, ne brûlez pas; en ſollicitude &
| 72 en zele, & vous ne ſortez pas
» de votre repos; en colere &
»» vous êtes tranquille ; vous vous
, repentez, & vous êtes †
25
' 22ſible à la douleur; vous an
, gèz vos ouvrages, & vous ne
52
$. 56.
,, L'Univers n'eſt que ce qu'il
,, peut être... Dans un monde où
,, tout eſt néceſſaire , un Dieu qui
,, ne remédie à rien , qui laiſſe
,, aller les choſesd'après leur cours
,, néceſſaire , eſt - il donc autre
,, choſe que le deſtin ou la né
,, ceſſité perſonnifiée ? C'eſt un
,, Dieu ſourd qui ne peut rien
L ij
13o L'Anti-Bon-Sens.
,, changer à des Loix générales,
,, auxquelles il eſt ſoumis lui
,, même. -
##
ſur elles, &c. Il peut auſfi laiſſer
#
des défauts & des imperfections
#
dans le monde viſible, ou plutôt,
#.
il ne peut ſe diſpenſer d'en laiſſer,
#
puiſque tout ce qui eſt créé, eſt né
#
ceſſairement plus ou moins impar
fait, & que ſi Dieu pouvoit faire
l,! un ouvrage abſolument parfait, il
e ſi
pourroit faire un autre lui-même;
t,!
ce qui répugne. Il peut donc faire
le mal phyſique, ou plutôt, il ne
#º peut pas ne le point faire, dès qu'il
#
14o L'Anti-Bon-Sens.
ſe détermine à créer, puiſque la
créature eſt eſſentiellement plus ou
moins défectueuſe & imparfaite ,
& par conſéquent plus ou moins
chargée de maux phyſiques.
· Quant au mal moral, il n'eſt pas
l'ouvragé de Dieu, parce qu'il eſt
indigne de lui. Il ne le fait donc
pas, mais il le permet, c'eſt-à
dire, qu'il ne l'empêche pas, quoi
qu'il pût abſolument l'empêcher.
Si donc il ne l'empêche pas tou
jours, c'eſt qu'il n'eſt pas tenu
d'uſer de ſon pouvoir abſolu pour
l'empêcher, ni de rendre l'homme
impeccable, & qu'il ſait tirer le
bien du mal même qu'il permet ,
ſoit pour la manifeſtation de ſes .
attributs, ſoit pour la perfection des
juſtes, qui ſeroient moins vertueux,
ſi les méchans n'avoient le pouvoir
de les exercer. C'eſt par leur faute
que ces derniers abuſent de leur
liberté; ils pourroient en bien uſer
· s'ils vouloient; ce n'eſt donc pas
L'Anti-Bon-Sens. 141
à Dieu , mais à eux-mêmes qu'ils
doivent s'en prendre quand ils vien
nent à en abuſer. La liberté eſt un
bien en ſoi, & un bien inſéparable
| de la créature intelligente & rai
ſonnable dans l'ordre préſent des
choſes. Dieu ne pouvoit donc la
refufer à l'homme , en lui donnant
d'ailleurs, comme il l'a fait, les
moyens d'en bien uſer. Il n'en
eſt donc ni moins ſage, ni moins
bon, pour avoir prévu que pluſieurs
en abuſeroient, puiſque cette pré
viſion, ne diminuant rien de la li
berté de l'homme, ni des moyens
qu'il a d'en bien uſer, ne peut
empêcher qu'il ne ſoit coupable &
le ſeul coupable par l'abus volon
' taire qu'il en fait. L'homme devenu
criminel par ſa faute, & refuſant
· avec opiniâtreté de s'attacher à
| Dieu par amour, pour éprouver
toutes les douceurs de ſes miſéri
cordieuſes bontés , tombe infailli
blement dans les mains de ſa juſtice
142 L'Anti-Bon-Sens.
pour en ſentir toutes les rigueurs.
Et c'eſt ainſi qu'éclatent les divers
attributs de Dieu, ſans qu'on puiſſe
lui reprocher de manquer de bon
té , ou de ſe plaire à faire ſouf
frir & à tourmenter. Un Monarque
égalemént juſte & bon, ſe plaît-il
donc dans les tourmens des ſcé
lérats qu'il fait punir ? Non : il ſe
plaît dans la beauté de l'ordre, de
la juſtice, de ſes devoirs.
$. 59.
,, Le monde, dira-t-on, a toute
,, la perfection dont il étoit ſuſcep
,, tible : par la raiſon même que le
,, monde n'étoit pas le Dieu qui l'a
,, fait, il a fallu qu'il eut & de
,, grandes qualités & de grands
,, défauts. Mais nous répondrons
,, que le monde devant néceſſai
» , rement avoir de grands défauts,
,, il eut été plus conforme à la na
,, ture d'un Dieu bon, de ne point
», créér
L'Anti-Bon-Sens. 143
,, créer un monde qu'il ne pou
,, voit rendre complettement heu
,, reuX. " •
L'Anti-Bon-Sens. 145
frir, parce que tel eſt l'ordre de
la juſtice, de la ſouveraine raiſon ;
en tout rien d'indigne de Dieu ;
rien qui prouve qu'il devoit de- .
meurer en repos, lui qui eſt ſouve
rainement indépendant, & le maî
tre abſolu de lui-même. ° -
$. 6o.
,, Dieu n'eſt-il pas le maître de
27 ſes graces ? N'eſt-il pas en droit
25 de diſpoſer de ſon bien ? .... Il
| ») peut diſpoſer à ſon gré des ou
2) vrages de ſes mains ; Souverain
9b abſolu des mortels, il diſtribue
57 le bonheur ou le malheur ſui
», vant ſon bon plaiſir. Voilà les
25 ſolutions que les Théologiens
2) nous donnent pour nous conſo
y ) ler des maux que Dieu nous !
25 fait. ,, - -
$. 6 I.
,, Suivant les Théologiens, les
,, afflictions & les maux de cette
,, vie ſont des châtimens que les
,, hommes coupables s'attirent de
,, la part de la Divinité.,,
Cette idée des maux de la vie
| L'Anti-Bon-Sens. 155
eſt très-incomplette ; ils ſont tout
à la fois des châtimens & des épreu
ves; des châtimens pour les coupa
bles ; des épreuves pour le juſte ;
mais châtimens ou épreuves , la
Divinité qui les diſpenſe avec au
tant de ſageſſe que d'équité, n'en
mérite pas moins nos hommages &
notre admiration.
Mais pourquoi les hommes ſont
ils coupables ? Parce qu'ils ſont
libres, & qu'ils abuſent de leur li
berté par leur faute. -
162 L'Anti-Bon-Sens.
te, en ſe jouant des termes : il
eſt juſte, droit, équitable.
$. 62. -
L'Anti-Bon-Sens. 163
ſuppoſer comme le ſuppoſe ici no
· tre Auteur , qu'elle nous peint
Dieu ſous l'emblême d'un tyran
qui, ayant fait crever les yeux au
plus grand nombre de ſes eſcla
ves, les renfermeroit dans un ca
chot, où, pour ſe donner du paſſe
: tems, il obſerveroit incognito leur
conduite par une trappe, afin d'a
", voir occaſion de punir cruellement
tous ceux qui, en marchant, ſe ſe
roient heurté les uns les autres,
mais qui récompenſeroit magnifi
quement le petit nombre de ceux à
qui il auroit laiſſé la vue pour avoir
eu l'adreſſe d'éviter la rencontre de
leurs camarades.
On demande où eſt la bonne foi
d'attribuer à la Théologie un en
ſeignement qu'elle charge de tous
les anathêmes, & qui eſt horrible
à penſer.
$. 63.
» Bien de gens nous font une
N iij
164 L'Anti-Bon-Sens.
» diſtinction ſubtile entre la Re
» ligion véritable & la ſuperſti
22 t1OI1. - -
17o L'Anti-Bon-Sens.
non plus les châtimens attachés à
leurs attentats. Un vil ſujet ſe ré
volte contre ſon Roi, qui ne ſent
rien des coups que le débile re
belle s'efforce inutilement de lui
porter. Ce monſtre en eſt-il donc
moins pervers & moins puniſſable ?
$. 67.
,, Prétendre que Dieu peut s'of
,, fenſer des actions des hommes,
,, c'eſt anéantir toutes les idées
,, que l'on s'efforce d'ailleurs de
,, nous donner de cet être.
Dieu ne peut s'offenſer des ac
tions des hommes, à la maniere
des hommes, c'eſt-à-dire , en ſe
livrant comme eux à la colere, à
la rage, à la vengeance , à toute
autre paſſion : cette maniere vi
cieuſe de s'offenſer anéantiroit l'i
dée de Dieu. Il n'en eſt pas moins
vrai néanmoins qu'il peut s'offen
ſer & qu'il s'offenſe en effet des
L'Anti-Bon-Sens. 171
actions criminelles des hommes,
& en les improuvant & en les
puniſſant ſelon leurs mérites, ſans
la moindre altération, qui puiſſe
troubler le calme dont il jouit par
ſon eſſence. Sans cela il ne ſeroit
ni ſaint , ni juſte.
,, Dire que l'homme peut trou
,, bler l'ordre de l'Univers, qu'il
,, peut allumer la foudre dans les
,, mains de ſon Dieu , qu'il peut
,, dérouter ſes projets ; c'eſt dire
,, que l'homme eſt plus fort que
,, ſon Dieu, qu'il eſt l'arbitre de
,, ſa volonté, qu'il dépend de lui
,, d'altérer ſa bonté, & de la chan
,, ger en cruauté.
Dire que l'homme peut troubler
l'ordre de l'Univers en péchant,
c'eſt dire préciſément qu'il peut
donner occaſion à la juſtice de
Dieu de s'exercer par la punition
des crimes, ſans la moindre alté
ration de ſa bonté, ni même de ſa
juſtice qui punit : voilà tout. Nous
172 L'Anti-Bon-Sens.
voudrions bien ſavoir ce que ré
ondroit notre Auteur à un co
quin de valet qui oſeroit lui dire :
Monſieur je ſuis plus fort que vous
& l'arbitre de votre volonté, parce
qu'il dépend de moi d'altérer votre
volonté & de la changer en cruau
té, en vous ſifflant , en vous naſar
dant, en vous inſultant, & en vous
maltraitant à mon gré. -
- $. 7o.
,, Toute Religion eſt viſible
,, ment fondée ſur le principe que
,, Dieu propoſe & l'homme dif
,, poſe. Toutes les Théologies du
,, monde nous montrent un com
,, bat inégalentre la Divinité d'une
',
174 L'Anti-Bon-Sens.
25 part & ſes créatures de l'autre.
Dieu ne s'en tire jamais à ſon
,, honneur : malgré ſa toute-puiſ
,, ſance il ne peut venir à bout
,, de rendre les ouvrages de ſes
,, mains tels qu'il voudroit qu'ils
,, fuſlent.
| Le vice de ce raiſonnement,
comme de tant d'autres de notre
Auteur, eſt de tout embrouiller,
de tout confondre, les êtres phy
ſiques & les moraux, les loix de
la nature , & celles de la raiſon,
l'empire de la néceſſité & celui de
la liberté. Dieu diſpoſe donc en
Maître abſolu de tous les êtres
phyſiques & non moraux, en les
conduiſant infailliblement & né
ceſſairement à leurs fins ; il n'en
eſt aucun qui ne lui rende une
obéiſſance aveugle & irréſiſtible.
Il diſpoſe encore abſolument de
la nature & de ſes loix qu'il dé
range, quand il veut auſſi facile
ment qu'il les a poſées. Son em
p1re
L'Anti-Bon-Sens. 175
pire ſuprême n'éclate pas moins
- dans le ſalut des prédeſtinés ; on
ne peut lui refuſer la gloire d'en
être le principe tout-puiſſant, la
premiere cauſe infaillible. Quand
eſt-ce donc que ſa puiſſance ſe
trouve en défaut, ſi l'on'peut par
ler ainſi ? c'eſt quand il s'agit de
perdre l'homme; c'eſt donc par ſa
ſeule faute que l'homme ſe perd,
& il eſt bien glorieux à la religion
que les combats qu'on lui livre,
ne ſervent qu'à la faire triompher,
en étayant ſes dogmes. L'homme
diſpoſe donc de ſa part, elle eſt
ſon ouvrage ; Dieu ne l'opere .
& ne peut l'opérer, ſans qu'il en
ſoit moins puiſſant.
$. 71 & 72.
» Suivant tous les ſyſtêmes re
» ligieux de la terre , Dieu ne
» ſemble occupé qu'à ſe faire du
» mal lui-même. .. Dieu eſt l'au
O
176 L'Anti-Bon-Sens.
32
teur de tout : cependant on nous
32
aſſure que le mal ne vient point
22 de Dieu. D'où vient-il donc ?
55
des hommes. Mais qui a fait les
22 . hommes? C'eſt Dieu. C'eſt donc
22
de Dieu que vient le mal; s'il
52
n'eut pas fait les hommes tels
» qu'ils ſont, le mal moral ou le
32
péché n'exiſteroit pas dans le
39
monde. C'eſt donc à Dieu qu'il
33
faut s'en prendre de ce que
92
l'homme eſt ſi pervers. Si l'hom
9)
me a le pouvoir de mal faire
33
ou d'offenſer Dieu, nous ſom
97
mes forcés d'en conclure que
32
Dieu veut être offenſé; que
35
Dieu , qui a fait l'homme, a
35
réſolu que le mal ſe fit par
92
l'homme ; ſans cela l'homme
95 , ſeroit un effet contraire à la
22
Cauſe de laquelle il tient ſon
35 - être. -
6T
$. 73.
» Si Dieu a la preſcience de
92
l'avenir, n'a-t-il pas dû prévoir
32
la chûte de ſes créatures qu'il
95 avoit deſtinées au bonheur ? Ne
92
pouvoit - il pas ſe diſpenſer de
»2
créer des êtres qu'il pouvoit être
22
dans le cas de punir & de ren
92 l
dre malheureux par un décret
32
ſubſéquent ? .... Ne ſeront-ils
22
pas en droit de ſe plaindre d'un
92
Dieu qui pouvant les laiſſer dans
25
le néant, les en a pourtant ti
92
rés , quoiqu'il prévit très-bien
92
que ſa juſtice le forceroit tôt ou
22
tard à les punir ? -
$. 74.
» Si l'homme a pu pécher ,
» même au ſortir des mains de
» Dieu , ſa nature n'étoit donc
» pas parfaite ? Pourquoi Dieu a
» t-il permis qu'il péchât, & que
2» ſa nature ſe corrompît ?
La nature de l'homme quoique
' capable de pécher, étoit parfaite
en ſon genre, parce que la liberté
· qui lui donnoit cette capacité, eſt
une perfection de la créature rai
| ſonnable. Dieu a donc pu1Vpermet
182 L'Anti-Bon-Sens.
tre que ſa nature ſe corrompît,
ou plutôt, il n'a pu ne pas le per
mettre; une telle permiſſion étant
la ſuite de la liberté de la créature
raiſonnable.
" $. 76.
» Si Dieu n'a pu rendre l'hom
» me impeccable, pourquoi s'eſt
» il donné la peine de créer l'hom
» me, dont la nature devoit né
» ceſſairement ſe corrompre, &
» qui , conſéquemment, devoit
» néceſſairement offenſer Dieu ?
» D'un autre côté, ſi Dieu lui
s» même n'a pu rendre la nature
» humaine impeccable, de quel
» droit punit-il les hommes de
» n'être point impeccables ?
Dieu pouvoit abſolument par
lant rendre l'homme impeccable,
mais le devoit-il ? C'eſt ce qu'on
ne prouvera jamais, puiſque pour
le prouver, il faudroit connoître
L'Anti-Bon-Sens. 183
à fond, pénétrer l'infini. De ce
que l'homme n'eſt pas impecca
ble , il ne s'enſuit pas qu'il peche
néceſſairement; il eſt libre de ne
pas pécher, & s'il eſt libre de ne
pas pécher, Dieu le punit juſte
ment quand il peche, nbn de ce
qu'il n'eſt pas impeccable, mais
de ce qu'il commet librement le
péché, dont il peut & doit s'abſ
teIl1I'.
$. 78.
,, Le mal phyſique paſſe com
,, munément pour être la puni
,, tion du péché... Cependant ne
,, voyons-nous pas ces fléaux (les
2, maladies , les guerres , les fa
,, mines , &c. ) tomber indiſtinc
,, tement ſur les bons & ſur les
,, méchans ?
· On a déja répondu que le mal
phyſique eſt tout à la fois la pu
nition du péché, & l'épreuve de
la vertu. Qu'on l'enviſage dans ce
point de vue, le ſeul vrai, & tou
tes les difficultés diſparoîtront.
I'Anti-Bon-Sens. 189
$. - 79.
L'Anti-Bon-Sens. 195
Je ſoutiens encore que quand
les motifs qui détournent un hom
me d'un objet, ſont plus forts que
ceux qui le pouſſent vers cet ob
jet, ſa réſiſtance alors n'eſt nul
lement néceſſaire, & qu'elle l'eſt
même ſi peu que très-ſouvent elle
ne s'enſuit pas, puiſque très-ſou
vent l'homme n'écoute pas les mo
tifs quoique plus forts qui le dé
tournent d'un objet: Video meliora
proboque, deteriora ſequor Il faut
donc mettre une grande différence
entre la conviction de l'eſprit qui
approuve un parti comme le ſeul
bon, & la perſuaſion du cœur qui
embraſſe le parti contraire quoi
que reconnu pour méchant. Les
motifs qui obtiennent l'approba
tion de l'eſprit & qui produiſent
ſa conviction par la ſupériorité de
leur force ſur les motifs contraires,
n'ont pas toujours le même em
pire ſur le cœur & la volonté, qui
, prennent trop ſouvent le parti op
11j
196 L'Anti-Bon-Sens.
poſé à celui que l'eſprit approuve,
& dont il démontre la bonté par
les motifs les plus forts. La vo
lonté eſt donc toujours la maîtreſſe
de céder ou de réſiſter aux motifs
les plus forts. Elle n'eſt donc ni
maîtriſée, ni néceſſitée par ces mo
tifs. C'eſt donc par ſa § intrin
ſeque, en vertu de ſa liberté &
de ſon domaine ſur ſes actions
qu'elle ſe détermine à l'une plu
tôt qu'à l'autre , malgré la force
prépondérante des motifs qui la
pouſſent vers l'une en la détour
nant de l'autre. L'homme eſt donc
maître de ſes volontés & de ſes
deſirs délibérés. Il eſt donc faux
de dire, comme le dit notre Au
teur, que l'homme n'eſt point li
bre dans ſon choix ; qu'il eſt évi
demment néceſſité à choiſir ce qu'il
juge le plus utile ou le plus agréa
ble pour lui-même. Comme ſi les
hommes ne choiſiſſoient pas tous
les jours des choſes qu'ils ne ju
L'Anti-Bon-Sens. 197
gent ni plus utiles, ni plus agréa
bles pour eux-mêmes. Que l'on
demande à un grand nombre de
· pécheurs d'habitude en tout gen- .
re, qui n'ont cependant pas perdu
la foi, s'ils jugent plus utile ou
plus agréable pour eux, de ſe li
vrer à leurs diverſes habitudes cri
minelles. S'ils ſont ſinceres & dé
bonne foi , ils répondront qu'ils
ne le jugent ni plus utile ni plus
agréable, mais que c'eſt par leur
faute, & par la libre détermina
| tion de leur volonté perverſe, qu'ils
ſe laiſſent aller à leurs habitudes
ordinaires , ſachant bien qu'elles
leur ſont très-nuiſibles , loin de
leur être utiles, & ſans y trouver
ſouvent que du dégoût & de l'a
mertume, au lieu des douceurs &
· des agrémens qu'elles ſembloient *.
, leur promettre.
Si je fais la gageure de faire ou
de ne pas faire une choſe, ne ſuis-je
pas libre, demande l'Auteur ? Ne
| · P iv
198 , L'Anti-Bon-Sens.
dépend-il pas de moi de la faire ou
de la pas faire ? Non, répond-il, le
deſir de gagner la gageure , vous
détermine néceſſairement à faire ou
à ne pas faire la choſe en queſtion.
Mais ſi je conſens à perdre la ga
geure ? Alors le deſir de me prouver
que vous étes libre, ſera devenu en
vous un motifplus fort, que le deſir
de gagner la gageure, & ce motif
vous aura néceſſairement déterminé
à faire ou à ne pas faire la choſe
dont il s'agiſſoit entre nous. p. 9I.
Il eſt ſurprenant que l'Auteur
ne veuille pas s'appercevoir qu'il
veut prouver la non exiſtence de
la liberté par l'exercice même de
cette liberté. Lors donc que je
conſens à perdre une gageure que
j'aurai faite, le deſir de prouver
ma liberté, n'eſt nullement atta
ché à ce conſentement comme la
· cauſe à ſon effet; il peut très-bien
ſe faire que je conſente à perdre
ma gageure , non pour prouver
L'Anti-Bon-Sens. 199
ma liberté à qui que ce ſoit,) mais
-
2o8 L'Anti-Bon-Sens.
que de dire que, pouvant en pro
duire un meilleur, il a eu la ma
lice d'en faire un très - mauvais ?
, C}C). ICO.
Pºo# , les Théologiens voient
u'il ſeroit moins outrageant pour
Dieu de prétendre qu'il n'eſt pas
tout-puiſſant, que de ſoutenir qu'il
eſt méchant. Mais ce qu'ils ne
voient pas & ne verront jamais,
c'eſt que Dieu n'ait pu ſe diſpen
ſer de créer le meilleur de tous
les mondes poſſibles, ſans être mé
chant; comme s'il étoit obligé de
faire tout ce qu'il peut de ſon pou
voir abſolu. Eh ! que deviendroit
alors ſa ſouveraine liberté ? Ce -
22o L'Anti-Bon-Sens.
l'Auteur de la conduite de Dieu
envers les hommes, avec celle d'un
oiſeleur qui prend l'oiſeau dans ſes
filets pour s'en nourrir, après s'en
étre amuſé dans la voliere. Comme
ſi Dieu qui a formé les hommes à
ſa reſſemblance pour les rendre
| heureux en le poſſédant lui-même,
ne les avoit tirés du néant que pour
les mettre en cage , "s'en amuſer
quelque tems, & les dévorer en
ſuite à belles dents. C'eſt ainſi que
tant d'Ecrivains impies ſe jouent
de la crédulité de leurs Lecteurs,
en calomniant ſans ceſſe la Divi
nité pour la leur rendre haïſſable.
On nous affure que l'ame hu- .
maine eſt une ſubſtance ſimple; mais
fi l'ame eſt une ſubſtance ſi ſimple,
· elle devroit étre préciſément la mé
me dans tous les individus de l'eſ
pece humaine, qui tous devroient
avoir les mémes facultés intellec
tuelles : cependant cela n'arrive pas ;
les hommes diffèrent autant par les
L'Anti-Bon-Sens. 22 r
qualités de l'eſprit, que par les traits
du viſàge. pp. I 13. I I4.
L'Auteur fait briller ici ſon Bon- -
#
néceſſaire de diſtinguer la ſubſtance
# ou l'eſſence de l'ame & ſes per
222 L'Anti-Bon-Sens.
fections accidentelles. Les perfec
tions accidentelles de l'ame varient
à l'infini dans les divers individus
de l'eſpece-humaine, & il n'y en
a pas deux qui ſe reſſemblent par
faitement non plus que les traits
de leurs viſages; mais la ſubſtance
ou l'eſſence de l'ame ne varie pas,
elle eſt abſolument la même dans
tous les hommes; & l'ame du plus
ſtupide des Lapons ou des Hot
tentots ne differe en aucune ſorte
à cet égard, de celle des Leibnitz
ou des Newton , tout comme un
laid viſage ne differe pas ſubſtan
tiellement du plus beau & du plus
charmant.
L'homme ne differe des autres
animaux que par la différence de
ſon organiſation, qui le met à por
tée de produire des effets dont ils ne
ſont point capables. La variété que
l'on remarque entre les organes des
individus de l'eſpece humaine, ſiuffit
pour nous expliquer les différences
qut
L'Anti-Bon-Sens, 223
qui ſe trouvent entr'eux pour les fa
cultés que l'on nomme intellectuel
· les. p. 114.' -
244 L'Anti-Bon-Sens. #
#
En deux mots : Dieu a pu créer
254 L'Anti-Bon-Sens. ".
L'Anti-Bon-Sens. 265
fie, les féconde, les ennoblit , les
éleve à l'ordre ſurnaturel , & les .
rend méritoires en les rapportant
à la gloire de Dieu , leur vérita
· ble & derniere fin... Aimer Dieu
ſouverainement & plus que ſoi
même, tendre à lui de toutes ſes
puiſſances, de tout le poids de
ſon cœur, comme au bien ſuprê
me, lui rapporter toutes ſes ac
tions, tous ſes deſſeins, tous ſes
deſirs, toutes ſes affections , &
juſqu'à ſes plus ſecretes penſées,
· comme au centre univerſel où tout
doit aboutir ; n'aimer que lui ou
rien que par rapport à lui, & pré
férer ſon amour à tout le reſte,
en ſorte qu'on ſoit toujours prêt
à tout ſouffrir & à tout ſacrifier
gaiement plutôt que de le perdre.
Voilà la vertu annoncée par la
Divinité; la vertu évangélique &
chrétienne , la vertu bien ſupé
rieure à celle de l'homme ſimple
· ment raiſonnable, du Payen laiſſé
266 L'Anti-Bon-Sens. .
à lui-même, & que le Paganiſme
ne connut jamais. Voilà ce qui
effaça dans tous les tems ce que
les Sages & les Philoſophes purent
imaginer de plus grand, de plus
héroïque, de plus ſublime en fait
de vertu, par tous les efforts de
, leur raiſon... Et voilà auſſi par où
les moindres Chrétiens ſurpaſſoient
ſi fort les plus fameux Sages du
Paganiſme , que leur ſupériorité
frappoit, inſpiroit l'admiration, le
reſpect , l'attachement pour des
hommes ſi viſiblement élevés au
deſſus des autres, & gagnoit enfin à
la Religion qui les avoit formés.
Je h'en citerai qu'un exemple qui
nous tiendra lieu de tous les au
tres : je le prends dans la perſonne
de Bruttus ce dernier des §
& l'un des plus grands Stoïques,
que je place vis-à-vis du plus vil
des Chrétiens , l'un & l'autre aux
' portes du tombeau.
Ecoutons d'abord parler l'illuſtre
v
L'Anti-Bon-Sens. 267
# Romain, prêt à ſe donner la mort,
après la ſeconde bataille de Philip
9 r - * | - -
. . - L'Anti-Bon-Sens. , 277,
ricom#§e e#
attribut néceſſaire de ſa hauteur,
& de ſa ſublimité . .. , .
| . Qu'eſt-ce qu'un miracle ? C'eſt
· une opération directement oppoſée
aux loix de la nature. Mais, ſè-,
5
# vous, qui a fait ces loix ? C'eſt
Dieu. Ainſi votre Dieu qui, ſelon
vous , a tout# , contrarie les,
loix que ſa ſageſſe avoit impoſées,
à la # # -
292 L'Anti-Bon-Sens.
tion qu'il juge aſſorti au deſſein
qu'il ſe propoſe en le faiſant avec
une entiere liberté, ſans qu'on
puiſſe l'accuſer ni d'impuiſſance,
il pouvoit le faire meilleur ; ni
d'inconſtance, il a réſolu en le fai
ſant, qu'il le réformeroit au tems
marqué dans ſes décrets; ni d'im
prudence ou d'imprévoyance, il a
tout prévu; ni enfin de malice ou
d'injuſtice ; ſouverainement libre
& indépendant, nulle loi ne peut
l'obliger à faire les choſes autre
ment qu'il les fait en effet.
Dire que Dieu a voulu que ſà
Religion fut ſcellée par le ſang,
c'eſt dire que Dieu eſt foible, in
juſte, ingrat & ſanguinaire, & qu'il
ſacrifie indignement ſes envoyés
aux vues de ſon ambition. pp. 175.
I76. Point du tout , c'eſt dire
préciſément tout le contraire. Oui,
c'eſt dire que Dieu eſt très-fort,
puiſqu'il donne à ſes envoyés la
force de mourir avec joie dans
L'Anti-Bon-Sens. , 293
les plus cruels ſupplices. C'eſt dire
qu'il eſt très-ſage, puiſqu'il éta
blit ſa Religion par des moyens en
apparence diamétralement oppoſés
à ce merveilleux établiſſement.
C'eſt dire qu'il eſt très-juſte, très
reconnoiſſant, très-déſintéreſſé &
très-bon, puiſqu'il donne à ſes en
voyés des récompenſes qui ſurpaſ
ſent infiniment le peu qu'ils ont
eu à ſouffrir pour les mériter, &
que ce ſont ſes propres dons qu'il
couronne en couronnant leurs com
bats & leurs victoires, puiſque c'eſt
encore lui qui leur a donné très
gratuitement & la grace de com
· battre & celle de triompher. L'in
crédule a beau faire , la Religion
chrétienne établie dans le monde
& le monde converti par le ſang
des Martyrs, cet événement ſi éton
nant paſſera toujours avec raiſon
pour le chef-d'œuvre de la toute
puiſſante main de Dieu , qui ſait
faire ſervir au ſuccès de ſes entre
X iv
294 L'Anti-Bon-Sens.
priſes des moyens tout contraires
ſelon le cours ordinaire des choſes.
Mourir pour une opinion , ne
prouve pas plus la vérité ou la
bonté de cette opinion, que mourir
dans une.bataille ne prouve le bon
droit du Prince aux intéréts duquel
tant de gens ont la folie de s'im
moler. p. 177.
Il y a une grande différence en
tre mourir pour un Prince & mou
rir pour une opinion. Ceux qui
meurent pour un Prince ne s'avi
ſent gueres d'examiner ſi le bon
droit eſt pour lui , ou s'il eſt du
côté de ſon ennemi , & en s'ex
poſant à la mort, ils ne ſe pro
poſent nullement de prouver la
bonté de ſa cauſe ; ils combattent
donc ſous ſes drapeaux dans l'eſ
pérance d'y acquérir de la gloire,
s'ils s'y rangent comme volontai
res, ou pour obéir à ſes ordres ,
ſi leur profeſſion l'exige. Il n'en
eſt pas de même de la mort ſouf
-
L'Anti-Bon-Sens. 295
# ferte pour une opinion , on ne
# meurt pour elle que parce qu'on
| eſt intimement convaincu de ſa
vérité; & ſi l'on m'objecte que les
Catholiques ont cela de commun
avec les Payens & les Hérétiques
qu'on voit ſouvent mourir avec
joie pour des opinions bizarres,
dont ils ont une pleine & intime
conviction, je répondrai qu'il n'y
a aucune comparaiſon à faire en
tre les Martyrs des Catholiques
& ceux des autres Religions.
Je ne nie pas qu'il ne puiſſe y
avoir & qu'il n'y ait eu en effet
dans toutes les Religions des hom
mes en petit nombre aſſez fanati
ques & aſſez forts tout à la fois pour
mourir plutôt que de renoncer à
leur croyance , mais je ſoutiens
qu'il y a une différence énorme
entre ces perſonnages & les Mar
tyrs des Catholiques ; différence
qui laiſſe ſubſiſter dans toute ſa
force la preuve que nous fournit
296 L'Anti-Bon-Sens.
en faveur de la Religion catholi
que le courage des Martyrs qui
ont ſacrifié leur vie pour ſa dé
fenſe. ·
En effet, je veux que les Mar
tyrs des payens & des hérétiques
qu'on pourroit nous citer, ne ſoient
ni des hommes vains , entêtés &
ſuperbes, ni des traîtres, ni des
ſéditieux, ni des conſpirateurs &
des rebelles , ni des fourbes, ni
des ambitieux, ni des gens décriés
par leurs mœurs, & je demande
s'ils peuvent entrer en parallele
avec ces millions de Chrétiens de
tout âge , de tout état, de tout
ſexe, de toute complexion qui
ont eu la force de mourir au mi
lieu des plus cruels ſupplices pour
rendre témoignage à leur foi? Sont
ils comparables aux Polycarpes,
aux Ignaces , aux Pamphiles, aux
Luciens, aux Pothins, aux Irenées,
aux Juſtins, aux Cypriens , aux
Clémens, auxApollones, & à tant
L'Anti-Bon-Sens. . 297
d'autres grands hommes auſſi re
commandables par la pureté de
leurs mœurs , que par l'éterdue
du ſavoir, la délicateſſe de l'eſprit,
la profondeur du génie, de l'aveu
- des payens mêmes? Sontsils com
parables à ces femmes délicates,
à ces tendres enfans, à ces peres
reſpectables, à ces perſonnes enfin
de toute les conditions, que l'on
vit mourir en foule les unes ſur
les grils ardens, les autres ſur les
roues armées de lames tranchan
tes, celles-ci ſous la dent des bê
tes féroces ou ſous le glaive étin
celant des bourreaux, celles-là dans
des chaudieres d'huile bouillante ;
toutes au milieu des tortures les
plus barbares, & avec une conſ
tance, un calme, une ſérénité bien
au deſſus de la nature ? Non , ſans
doute ; & tout homme ſincere
• avouera de bonne foi qu'on ne
peut attribuer qu'à la force d'une
grace ſurnaturelle & divine, une
298 L'Anti-Bon-Sens.
conſtance auſſi héroïque, auſſi gé
nérale, auſſi ſoutenue & auſſi per
ſévérante, ſur-tout ſi l'on fait at
tention que les ingénieux perſécu
teurs ne manquoient pas de join
dre à ce que les tourmens les plus
recherchés ont de plus cruel, tout
ce qu'ils croyoient de plus propre
à abattre le courage des Martyrs ;
les larmes d'un pere, d'une mere,
d'une épouſe; les exhortations &
les ſoupirs d'un ami, les ſanglots
& le déſeſpoir des enfans : tenta
tion plus ſéduiſante & plus forte
pour des ames honnêtes & des
cœurs ſenſibles que les douleurs
mêmes les plus aigues & toute la
barbarie des ſupplices les plus hor
ribles.
D'ailleurs les Apôtres & les pre
miers Diſciples de Jeſus-Chriſt ne
ſont pas morts volontairement pour
de ſimples opinions, ils ſont morts
pour atteſter des faits tels que la
vie, les ſouffrances, le trépas igno
· L'Anti-Bon-Sens. - 299
minieux de Jeſus-Chriſt ſur une
croix & ſa réſurrection glorieuſe
'• du tombeau. Or , quand il ſeroit
vrai que des millions d'hommes
puſſent ſouffrir naturellement mille
| ſortes de ſupplices, plutôt que de
· renoncer à des opinions religieuſes
dont ils ſe ſeroient coëffés , il ſe
roit impoſſible qu'ils fiſſent paroî
- tre la même conſtance pour ſou
tenir des faits dont ils connoîtroient
la fauſſeté, & qu'ils n'auroient au
cun intérêt à ſoutenir ni en ce
monde, ni'en l'autre, ou plutôt
que tous leurs intérêts réunis for
· ceroient à abandonner : cela eſt
viſiblement contre le ſens le plus
commun & la nature toute entiere.
Les faits que les Apôtres & les
premiers Diſciples ont ſcellés de
º leur ſang, ſont donc vrais, & par
º conſéquent la Religion chrétienne
ºſſ qui conſiſte eſſentiellement dans
, ces faits, n'eſt pas moins véritable
#
$> #
que ces faits le ſont eux-mêmes.
-
;
1
3oo L'Anti-Bon-Sens. .
Le métier de miſſionnaire fut
toujours flatteur pour l'ambition,
& commode pour ſubſiſter aux dé
pens du vulgaire. p. 178. Oui, il
eſt très-flatteur pour l'ambition de
mourir ehez des nations barbares
par les plus honteux comme les
plus cruels ſupplices, & très-com
modes de renoncer à toutes les
commodités, ſouvent même à tous
les délices & à tous les agrémens
de la vie, pour aller vivre ou plu
tôt languir dans des contrées éga
lement inſalubres & infertiles, qui
fourniſſent à peine de la façon la
plus groſſiere, le plus inſipide, &
la plus dégoûtante, aux beſoins de
la premiere néceſſité , ſur - tout
pour des étrangers accoutumés à
vivre tout différemment.
Vous nous dites, ô Théologiens !
que ce qui eſt folie aux yeux des
hommes, eſt ſageſſe devant un Dieu,
qui ſe plaît à confondre la ſageſſe
des Sages. Mais ne prétendez-vous
\
L'Anti-Bon-Sens. 3o1
pas que la ſageſſe humaine eſt un
préſent du Ciel ? En nous diſant
que cette ſageſſe déplaît à Dieu,
n'eſt que folie à ſes yeux & qu'il
veut la confondre , vous nous an
noncez que votre Dieu n'eſt l'ami
· que des gens ſans lumieres, & qu'il
fait aux gens ſenſés un funeſte
préſent, dont ce tyran perfide ſe
promet de les punir cruellement un
jour. N'eſt-il pas bien étrange que
l'on ne puiſſe étre l'ami de votre
Dieu , qu'en ſe déclarant ennemi
de la raiſon & du bon - ſens ?
p. 178.
Toute cette prétendue contra
diction ne roule que ſur deux équi
voques qu'il eſt facile de démê
- ler en diſtinguant deux ſortes de
ſageſſe & de raiſon, la fauſſe &
la véritable. La ſageſſe ainſi que
la raiſon véritable eſt telle tant aux
yeux de Dieu qu'à ceux des hom
mes, c'eſt-à-dire, un riche préſent
•^
-,'
du Ciel, que les hommes ne ſau
, 3o2 L'Anti-Bon-Sens.
roient trop priſer, à cauſe des avan
tages qu'il leur procure. Qu'eſt-ce
donc qui n'eſt aux yeux de Dieu
qu'une pure folie qu'il ſe plaît à
confondre & à charger d'oppro
bre ? C'eſt la ſageſſe & la raiſon
purement humaine, la fauſſe ſa
geſſe du ſiecle pervers & corrom
pue , la raiſon obſcurcie par les
noires vapeurs des paſſions qui la
troublent en la dégradant; la rai
ſon affoiblie, vitiée par le péché;
· la raiſon ſottement curieuſe qui
veut tout ſavoir & tout compren
dre; la raiſon effrontément ſuperbe
qui oſe ſonder l'abyme impéné
trable des profondeurs de la Di
vinité & lui donner la loi; la rai
ſon mille fois préſomptueuſe &
téméraire qui ſe perſuade que ce
qu'elle ne comprend pas, ne peut
être, & ne craint pas de s'ériger
en juge de ſon Juge même, & de
ſon Juge ſuprême, univerſel, in
défectible. Voilà la ſageſſe que
Dieu
L'Anti-Bon-Sens. . 3o3
Dieu réprouve & qui n'eſt que
folie à ſes yeux. Voilà la raiſon
qu'il mépriſe & qu'il aime à con
fondre en lui imprimant un carac
tere de honte, & en permettant
qu'elle ſe dégrade elle-même par
la profondeur de ſes chûtes, &
l'excès de ſes prodigieux égare
mens, qui la couvrent §
aux yeux de Dieu & des hommes
vraiment ſenſés.
La foi ſuivant les Théologiens
# un conſentement inévident. Ibid.
ui, pour le fonds intime des Myſ
teres révélés, mais évidente pour
les motifs de crédibilité , c'eſt-à
dire, pour les raiſons qui nous por
tent à les croire. Elles ſont clai
res & évidentes ces raiſons ; & il
n'y a que des aveugles volontai
res, endurcis, déterminés à fermer
les yeux à la lumiere , qui puiſ
ſent ne point céder à tout ce qu'el
les ont de force & d'éclat ; ſem
blables à ces faux sºsºydu Paga
3c4 L'Anti-Bon-Sens.
niſme , qui, ayant connu Dieu,
n'ont point eu le courage de l'ho
norer comme Dieu , ni de venger
& de réclamer ſes droits indigne
ment transférés aux plus viles créa
tures, pnr le plus ſanglant de tous
les outrages envers le Créateur. La
raiſon nous conduit donc juſqu'aux
portes du ſanctuaire qui renferme
nos Myſteres; mais elle s'y arrête
ſans vouloir y entrer ; parce que
1à finit ſon office, avec la ſphere
de ſon activité. En un mot, la rai
ſon voit clairement qu'elle doit
croire, mais elle ne voit pas ce
qu'elle croit. : il lui ſuffit de s'y
ſoumettre ſous la garantie de la
parole de Dieu, qui l'a révélé.
| Vous me répétez ſans ceſſè que
les vérités de la Religion ſont au
deſſus de la raiſon. Mais ne con
venez-vous pas 2, dès-lors 2- aue
ſ1 ces
-
L'Anti-Bon-Sens. 3o5
s'enſuivroit de mon aveu, que rien
· de ce qui exiſte, n'a été fait pour
l'homme. De tout ce qui exiſte
dans toutes les parties hautes ou
baſſes de ce vaſte univers, l'hom
me ne comprend rien, non abſo
lument rien , pas même un brin
d'herbe , une goutte d'eau , un
grain de ſable ; il ne ſe comprend
pas lui-même; il n'exiſte donc ni
lui, ni rien de ce qui l'environ
ne ; rien n'eſt fait, rien ne ſub
ſiſte pour lui. Diſons mieux : Tout
eſt fait pour lui dans l'ordre de la
Religion comme dans celui de la
nature , non pour qu'il le com
prenne, mais afin qu'il le contem
ple, qu'il l'admire, qu'il en uſe
ſelon les deſſeins de l'Auteur ſu
prême de toutes choſes, ſoit viſi
bles, ſoit inviſibles.
Prétendre que nous ſommes obli
és de croire des choſes qui ſont
au deſſus de notre raiſon , c'eſt une
aſſertion, auſſi ridicule, que de dire
- Y ij
3o6 L'Anti-Bon-Sens.
que Dieu exige que ſans atles nous
nous élevions dans les airs. p. 182.
Point du tout, & il n'y a de ridi
cule ici, que la comparaiſon de
l'Auteur. Il n'eſt pas au pouvoir
de l'homme de s'élever dans les
airs ſans aîles ; mais il peut très
bien, quand il veut , croire les
choſes qui ſont au deſſus de ſa rai
ſon ; il le peut , & il le fait tous
les jours un million de fois, té--
moins tous les Chrétiens du mon
de, qui croient tous les Myſteres
du Chriſtianiſme ſans les com
prendre, en pliant leur raiſon ſous
le poids de l'autorité divine dont
ils émanent. .
Le Chriſtianiſme, ſorti du Ju
daiſme, très-humble dans ſon ori
gine obſcure, devint puiſſant &
cruel ſous les Empereurs Chrétiens
qui, pouſſés d'un ſaint gele, le ré
pandirent merveilleuſement dans
leur Empire par le fer & par le feu.
p. 187. Non ; ce fut ſous le fer
L'Anti-Bon-Sens. 3o7
& dans le feu que le Chriſtianiſ
me ſe répandit par tout l'univers,
& voilà ce qui fait la gloire, ce
qui prouve ſa divinité, & ce qui fera
à jamais la honte & le déſeſpoir
de ſes ennemis, Mais puiſqu'à les
entendre, ce ſont les Empereurs
Chrétiens qui ont étendu le Chriſ
tianiſme par le fer & par le feu ,
qu'ils nous diſent de grace, com
ment ces Empereurs eux-mêmes
ſont devenus Chrétiens. Eſt-ce par
leur propre fer, ou bien par celui
des Chrétiens leurs ſujets, qui ſe
laiſſoient égorger comme de doux
& innocens agneaux, ſans ouvrir
la bouche, ſi ce n'eſt pour bénir
leurs bourreaux, & demander leur
converſion par les plus ardentes
prieres. Ne fut-ce pas durant trois
:
|
ſiecles de perſécutions toutes plus
cruelles les unes que les autres ,
qu'on vit le Chriſtianiſme gagner
& s'étendre de toute part, au point
que du tems de Tertullien qui mou
Y iij
3o8 L'Anti-Bon-Sens.
. rut vers l'an 245 , les Chrétiens
rempliſſoient déja tout l'Empire,
les Villes, les Places fortes, les
Bourgs, les Tribus, les Décuries,
les Armées, le Sénat, le Palais,
les Places publiques ? Tout hom
me de bonne foi conviendra ſans
peine que la propagation du Chriſ
tianiſme eſt l'ouvrage du Très
Haut , le chef-d'œuvre de ſa ſa
geſſe, le coup le plus étonnant de
ſa puiſſance, puiſque les moyens
qu'il a mis en œuvre pour y réuſ
fir, n'avoient aucune proportion
avec la fin qu'il ſe propoſoit, &
que ſa conduite à cet égard, étoit
infiniment au deſſus de toutes les
regles de la prudence humaine.
Le monde converti par la vertu
du ſang des Martyrs qu'il faiſoit
couler à grands flots, & dont il
étoit comme inondé : voilà tout
à la fois le ſcandale des Juifs , la
folie des Gentils, la force & la
ſageſſe de Dieu, qui s'eſt plu à
L'Anti-Bon-Sens. , 3o9
confondre la fauſſe ſageſſe du ſie
cle, par l'apparente folie de la
croix. Voilà le chef-d'œuvre de la
droite du Très-Haut. -
Il y a long-tems qu'on la ob
ſervé , & l'on ne ſauroit trop le
remettre ſous les yeux. Les Ecri
vains impies ne ſont pas moins en
nemis du Trône que de l'Autel ;
ils ne laiſſent échapper aucune oc
Y iv
31o L'Anti-Bon-Sens.
caſion de frapper ſur l'un & ſur
l'autre ſans aucun ménagement ;
bien réſolus de les mettre en pie
ces, s'ils le pouvoient; afin de ne
plus rencontrer d'obſtacle à la ré
volution «qu'ils préparent : la con
verſion du monde à la nouvelle
Philoſophie, par l'extinction de
tout ſentimént de Divinité, d'or
dre, de reſpect & de ſoumiſſion
envers les Puiſſances, qu'ils nous
préſentent toujours comme des fu
ries déchaînées, & agiſſant de con
cert pour rendre les hommes mal
heureux par principes. On a beau
leur prouver que la Religion ne
ceſſe de repréſenter aux Princes ,
qu'ils ſont hommes comme les
derniers de leurs ſujets; que Dieu
ne les a placés ſur leur tête que
pour les rendre heureux ; que les
devoirs de la Royauté ne ſont pas
moins étendus que ſes droits &
ſes privileges ; que les Rois ont
au deſſus d'eux un Maître qui leur
L'Anti-Bon-Sens. 31 1
a mis le ſceptre en main , & qui
leur fera rendre compte de l'uſage
qu'ils en auront fait, en les ju
geant dans toute la rigueur de ſon
inflexible juſtice; comme les moin
dres des mortels , ſur la regle de
l'Evangile qui ordonne à tous ſans
diſtinction d'être juſtes, droits,
finceres , modérés , doux , hum
bles , chaſtes, humains, compa
tiſſans , charitables. Inutilement
leur rappelle-t-on cette longue &
précieuſe ſuite de Rois Chrétiens
qui ont ſi fort honoré la Royauté
par la pratique conſtante des plus
ſublimes vertus. En vain leur mon
tre-t-on ce jeune Monarque qui,
formé par les mains de la Reli
gion même , l'a fait aſſeoir à ſes
côtés ſur le premier Trône de l'u
nivers , pour ſe conduire lui-mê
me ſelon ſes maximes, & rendre
ſon peuple heureux, d'après ſes
leçons : tout eſt inutile à l'impie ,
qui n'en ſera pas moins ardent à
312 K'Anti-Bon-Sens.
blaſphémer contre Dieu & contre
ſes Chriſts.Il n'en répétera pas moins
que la Religion ne forme que trop
ſouvent des deſpotes licentieux &
ſans mœurs, obéis par des eſclaves;
que la façon injuſte & cruelle dont
tant de nations font gouvernées
ici-bas, fourniſſant une des preu
ves les plus fortes de la non-exiſ
tence de la Providence & de la
Divinité, que la Religion des Chré
tiens imagina de mettre les tyrans
en ſûreté; que la Religion, pour
les Princes, n'eſt qu'un inſtrument
deſtiné à tenir les peuples plus for
tement ſous le joug; qu'un ſouve
rain ſincérement dévot eſt commu
nément un cheftrès-dangereux pour
un état; qu'un dévot à la téte d'un
empire, eſt un des plus grands
fléaux que le Ciel dans ſà fureur
puiſſe donner à la terre ; que la
Religion, loin d'étre un frein pour
les ſouverains, les a mis à portée
de ſe livrer ſans crainte & ſans re
L'Anti-Bon-Sens. 313
mords à des égaremens auſſi fu
neſtes pour eux - mémes que pour
les nations qu'ils gQuvernent; que
les # de la Religion ont
eu grand ſoin de faire de leur Dieu
un tyran redoutable, capricieux &
changeant; que la Religion , ſur
tout chez les modernes , en s'em
parant de la morale, en a totale
ment obſcurci les principes; qu'elle
a rendu les hommes inſociables par
devoir, & les a forcés d'étre in
humains envers tous ceux qui ne
penſènt pas comme eux; que l'hom
me n'eſt pas plus le maitre de ſes
opinions religieuſes , de ſa crédu
lité ou de ſon incrédulité, que de
la langue qu'il apprend dès l'en
fance & qu'il ne peut plus changer;
que toute Religion nationale eſt
faite pour rendre l'homme vain ,
inſociable, méchant; & que le pre
mier pas vers l'humanité eſt de per
mettre à chacun de ſuivre en paix
le culte & les opinions qui lui con
314 L'Anti-Bon-Sens.
viennent; que toutes les Religions
du monde ont autoriſé des forfaits
innombrables; que la Religion au
lieu de contenir les paſſions des
hommes ne fait que les couvrir
d'un manceau qui les ſanctifie; que
rien ne ſeroit plus utile que d'ar
racher ce manteau ſacré, dont les
hommes font ſi ſouvent un ſi ter
rible uſage ; qu'il faut à la morale
une baſe moins chancelante que
l'exemple d'un Dieu dont la con
duite varie & que l'on ne peut dire
bon qu'en fermant obſtinément les
yeux ſur le mal qu'à chaque inſ
tant il fait ou # permet dans ce
monde ; que le Dieu des Juifs eſt
un Dieu dont la conduite ne peut
étre imitée que par un chef de bri
gands ; que le Jeſus des Chrétiens
ne nous offre qu'un Dieu, ou plu
tôt un fanatique, un miſantrope ,
qui lui-méme plongé dans la mi
ſère & préchant des miſérables, leur
conſeille d'étre pauvres , de com
L'Anti-Bon-Sens. 315
battre & d'étouffer la nature; que
la pratique littérale & rigoureuſe
de la morale divine des Chrétiens
· entraîneroit infailliblement la ruine
des nations ; qu'une morale qut
contredit la nature de l'homme n'eſt
point faite pour l'homme; que Dieu,
dans toutes les Religions du mon
de, eſt un protée véritable; que
Paſcal ne prouve rien en faveur
de la Religion, ſinon qu'un hom
me de génie peut avoir un coin de
folie, & n'eſt plus qu'un enfant,
quand il eſt aſſez foible pour écou
ter ſes préjugés ; que les rapports
· qui ſubſiſtent entre les hommes &
Dieu , ou ſont parfaitement incon
nus , ou ſont imaginaires; que les
regles de la conduite des hommes
découlent de leur propre nature,
qu'ils ſont à portée de connoître,
& non de la nature divine dont
ils n'ont nulle idée; que le fon
dement de toute morale eſt : Je ſens,
& un autre ſent comme moi; que
316 L'Anti-Bon-Sens.
quiconque a médité ſérieuſement la
Religion & fa morale ſurnaturelle,
demeurera convaincu, que l'une &
l'autre ſont nuiſibles aux intérêts
du genre humain ou directement
oppoſées è la nature de l'homme ;
que la Religion, qui ſe donne pour
le plus ferme appui de la morale,
lui ôte évidemment ſes vrais mo
biles pour leur ſubſtituer des mobi
les imaginaires , des chimeres in
concevables; que l'autre monde ne
fournit aucuns motifs de bien faire
à celui qui n'en trouve point ici
bas ; qu'un Prince athée ne ſauroit
ſaire plus de mal au monde qu'un
Louis XI, un Philippe II, un Ri
chelieu ; que rien n'eſt moins ordi
naire que des Princes athées, mais
que rien n'eſt plus commun que des
· tyrans & des miniſtres très-méchans
& très-religieux ; que les opinions
religieuſes produiſent beaucoup de
mal contre très-peu de bien ; que
la Théologie n'eſt qu'un tiſſu de
L'Anti-Bon-Sens. . 317
chimeres; que la Religion eſt con
traire à tous les principes du Bon
Sens ; que rien n'eſt moins décidé
pour les Chrétiens, que la queſtion
importante ſi l'on peut, ou ſi l'on
doit aimer ou ne pas aimer Dieu ;
que Dieu n'exiſte que dans le cer
veau des hommes, qu'il # qu'un
amas informe de contradictions ;
que l'orgueil & la vanité furent &
ſeront toujours des vices inhérens
au ſacerdoce; que le deſir de do
miner les hommes eſt de l'eſſence
méme de leur métier; # careſ
ſant les ſouverains, en leur forgeant
des droits divins, en les diviniſant,
en leur livrant les peuples pieds &
poings liés, ils travaillent à en
faire des tyrans; que de la ma
niere dont on éleve les hommes,
,' ils ne ſont utiles qu'au Clergé qui
les aveugle , & aux tyrans
-- 5 -- 7
qui les
yrans q
dépouillent ; que la ſtupidité des
peuples eſt due à la négligence des ,'4,s
#
Princes, qui ne s'embarraſſent att
318 L'Anti-Bon-Sens.
· cunement de l'éducation publique,
ou qui s'oppoſent à l'inſtruction de
leurs ſujets; que la Religion ne
fait peur qu'à quelques eſprits pu
ſillanimes que la foibleſſe de leur
caračtere,rend déja peu rédoutables
à leurs concitoyens ; que des myſ
teres impénétrables ne ſont pas faits
pour des eſprits bornés; qu'il doit
étre permis à chacun de penſer com
me il voudra; qu'ôter la Religion
au peuple , # ne lui rien ôter ;
qu'elle eſt plus propre à égarer les
mortels , qu'à les guider dans la
route de la ſcience & du bonheur;
qu'elle ne # avoir pour objet
que de retrecir le cœur & l'eſprit
des hommes , qu'on n'a aucune
idée ni de Dieu , ni de la créa
tion; que la Religion eſt incapa
ble de rendre les hommes meilleurs ;
qu'elle leur fait ſouvent un mérite
d'étre injuſtes & méchans; que c'e,?
une folie déplorable qui, loin de
procurer aucun bien à la race hu
- maine,
" -
L'Anti-Bon-Sens. .
• 5 -
319
-.
Z iv
326 | L'Anti-Bon-Sens.
69. Peut-on dire avec vérité que
la Religion chrétienne rend les
hommes inſociables & les force
d'étre inhumains, parce qu'elle ne
promet le ſalut qu'aux Chrétiens
qui croieht & qui font tout ce qu'il
· faut croire & faire pour étre ſauvé,
d'après l'ordre formel de Jeſus
Chriſt ſon fondateur ? Pourroit
elle parler différemment aux hom
mes ſans les tromper, & n'eſt-ce
, pas de ſa part une inſigne faveur
envers eux, que de leur montrer
la ſeule voie qui puiſſe les con
duire au ſalut ? Que diroit-on d'une
mere qui laiſſeroit courir ſes en
fans par des chemins funeſtes qui
· aboutiſſent à un précipice certain ;
au lieu de les mettre dans la route
qui les meneroit ſûrement à un
terme heureux , & le ſéjour ai
mable de toutes ſortes de biens ?
Sixieme queſtion.
7°. L'homme n'étant pas plus
le maitre de ſes opinions religieu
A
L'Anti-Bon-Sens. 327
ſes que de la langue qu'on lui ap
prend dans l'enfance, & qu'il ne
peut plus changer, comment le
| monde entier , en embraſſant le
Chriſtianiſhme, a-t-il pu changer
les opinions religieuſes tlu'il avoit
ſucées avec le lait, & qui avoient
jetté les racines les plus profondes
dans ſon ame ? Septieme queſtion.
· 8°. Comment concilier le repos
des familles , la tranquillité des
Royaumes & la paix des Etats avec
la pleine liberté donnée à un cha
cun de ſuivre le culte & les opi
# nions qui lui conviennent ? Le bou
leverſement général du monde ne
ſeroit-il pas la ſuite néceſſaire d'une
pareille liberté? Chacun ayant per
miſſion de ſuivre les opinions &
de pratiquer le culte qu'il lui plai
roit, ne pourroit-il pas arriver
qu'il y eut dans une même famille
& dans une même Ville , autant
d'opinions & de cultes différens
ou contraires que de têtes; & le
r
328 I'Anti-Bon-Sens.
moyen d'accorder ces diſparates &
ces contrariétés avec le repos des
villes & des familles ? Huitieme
queſtion. .
5°. Quels ſont les forfaits in
nombrables, que la Religion chré
tienne a autoriſés, elle qui défend
ſévérement & ſous les plus gran
des peines juſqu'à un clin d'œil,
une penſée légere, un deſir naif
ſant, & le premier eſſai d'une vo
lonté qui commence à s'ébranler,
à moins que la vertu la plus pure
& la plus auſtere ne les reconnoiſſe
pour ſes productions ? Neuvieme
queſtion.
1o°. Eſt-il croyable, eſt-il poſ
ſible que la Religion chrétienne
ſanctifie les paſſions en les couvrant
de ſon manteau ſacré, dans le tems
même qu'elle les blâme, qu'elle
les proſcrit, qu'elle les condamne,
qu'elle les charge de tous ſes ana
thêmes , & les dévoue aux flam
mes éternelles, en déclarant à l'U
L'Anti-Bon-Sens. 329
# nivers , que ni les avares , ni les
ſuperbes, ni les ambitieux, ni les
impudiques, aucun.de ceux qui ſe
ſeront laiſſés dominer par quelque
paſſion criminelle que ce puiſſe
être , ne poſſéderont" point le
Royaume de Dieu ? Dixieme queſ
llO1l. - - - -
L'Anti-Bon-Sens. 335
cent & cent autres héros, tous ces
braves croiſés , ces foudres de
guerre pleins de Religion & de
foi , qui affronterent la mort
tant de fois.en allant la chercher,
la provoquer au milieu •des ha
ſards, n'étoient-ils donc que des
eſprits puſillanimes que la foibleſſe
e leur caractere rendoit déja peu
redoutables à leurs concitoyens ?
Vingt-deuxieme queſtion.
23°. Eſt - il bien vrai que des
myſteres impénétrables ne ſoient .
pas faits pour des eſprits bornés ;
& cela ſuppoſé, comment le monde
#
les a-t-il comme étant faits
pour . ? Vingt-tr
#
24°lui CIl #†
oiſieme queſtion.
•
: }
*
F I N.
A P P R o E A T 1 o N. !
T'Ai lu le Livre intitulé : l' Anti
J Bon-Sens, il ne contient rien con
tre la foi ni les mœurs :,& la lecture
en ſeroit néceſſaire à ceux qui au
roient oſé puiſer le venin dans le pré
tendu Bon-Sens. A Liege ce 12 No
vembre 1779. « '
G. LA RUE L L E, €enſeur
des Livres.
P E R M I S S I O N.