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Résumé :
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et s’est diffusé en treize langues différentes. Le nombre des manuscrits conservés
s’élève à 141. Le succès ne faiblit pas avec l’arrivée de l’imprimerie, puisque l’on
compte cinq éditions incunables et d’innombrables impressions dans la première moitié
du XVIe siècle. La source première de ce travail est, en effet, constituée par les
manuscrits qui nous transmettent ce texte. Les recherches menées pour cette thèse
permettent d’ajouter huit nouveaux manuscrits par rapport au dernier relevé exhaustif
(fait par Consuelo W. Dutschke en 1993). Ils sont au total relativement nombreux, ce
qui permet de disposer d’une source suffisamment abondante pour pouvoir en tirer
quelques conclusions, mais qui reste aussi abordable dans sa totalité. La date, les
circonstances de la copie, telles que le lieu, le nom du copiste, du destinataire, la qualité
de la réalisation, l’histoire du manuscrit et sa transmission, les marques de lecture et
d’usage qu’il est susceptible de comporter, apportent des données irremplaçables pour
l’étude de la diffusion et de la réception. De la même façon, les impressions incunables
et les éditions du début du XVIe siècles ont été consultées et prises en compte, aussi
bien dans l’étude de la tradition textuelle que dans celles de la diffusion et de la
réception.
Le deuxième type de source mis à profit regroupe les inventaires et catalogues
de bibliothèques, les mentions de livres dans les testaments, etc., qui permettent de
connaître l’existence d’exemplaires qui n’ont pas survécu ou bien de suivre l’histoire de
certains manuscrits. Ces documents apportent en outre des noms de possesseurs
nouveaux – qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques – et élargissent ainsi la
palette des publics touchés par le Devisement du monde.
Les œuvres dans lesquelles le livre de Marco Polo a été utilisé ou cité constituent
le troisième type de source de cette étude. La grande quantité d’utilisations du
Devisement du monde dans d’autres œuvres est révélatrice de son succès et de l’estime
dont il a joui ; l’analyse de la façon dont il est utilisé permet d’affiner ce constat et de
comprendre comment le livre de Marco Polo était considéré. Ces œuvres, pour certaines
d’entre elles encore inédites, appartiennent à des domaines littéraires aussi variés que
les traités de géographie, les textes historiques, la littérature épique, l’hagiographie, la
littérature homilétique ; il convient d’y ajouter la cartographie, qu’il s’agisse de
mappemondes ou de cartes régionales. La diversité des emprunts recensés montre
l’intérêt que le texte a d’emblée suscité et l’attitude d’ouverture dont ont fait preuve les
écrivains et les savants de la fin du Moyen Âge à son égard.
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Cette étude est divisée en trois parties. La première retrace l’ensemble de la
tradition textuelle du Devisement du monde, en présentant toutes les traductions et les
remaniements dont il a fait l’objet. La deuxième s’attache à montrer la large diffusion
du texte et la grande diversité d’usages qui en ont été faits. La troisième partie, enfin, se
concentre sur les usages géographiques et cartographiques de ce texte.
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d’embrasser l’ensemble de ces versions et leurs articulations les unes par rapport aux
autres.
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La version vénitienne VA nous est parvenue en deux recensions, la seconde
regroupant un petit nombre de manuscrits tardifs et d’éditions. Malgré son importance
dans la tradition textuelle, la représentation manuscrite de VA est défectueuse et ne
permet pas de bien connaître le texte de cette version.
En dehors de la traduction de Francesco Pipino, elle a connu une autre traduction
latine, la version LB, conservée par deux manuscrits, qui paraît avoir été faite en
Lombardie. Elle a aussi donné naissance à une seconde traduction toscane (TB), moins
connue que la première (TA), mais conservée par un nombre plus grand de manuscrits.
L’analyse de ceux-ci montre, de façon plus claire encore que pour TA, une diffusion
dans les milieux marchands et urbains de Toscane. La version TB a, à son tour, été
traduite en allemand, version représentée par trois manuscrits et deux impressions
incunables. De TB descend également une version latine jusque-là méconnue : LA.
L’étude approfondie de celle-ci, de ses manuscrits, l’établissement du stemma codicum
et l’analyse de sa réception permettent d’avancer qu’il s’agit d’une version très liée aux
milieux humanistes et de formuler une hypothèse quant à son traducteur, qui pourrait
être l’humaniste toscan Domenico Bandini d’Arezzo (?1335-1418). Cette version LA a
elle-même connu deux traductions : une seconde version allemande et une rétro-
traduction en toscan.
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quelques regroupements de manuscrits en fonction de leurs variantes communes ou de
certains contextes de diffusion. Un schéma provisoire est enfin élaboré pour synthétiser
les hypothèses ainsi formulées.
La version de Francesco Pipino a elle-même donné naissance à plusieurs
traductions. Elle a ainsi été traduite en français, dans la deuxième moitié du XVe siècle,
probablement dans les milieux de la haute bourgeoisie parisienne. Il en existe également
une version gaëlique, à la fois abrégée et interpolée, notamment par des insertions
provenant d’un autre texte, la Fleur des histoires de la terre d’Orient d’Hayton. La
version tchèque paraît, quant à elle, liée au petit groupe de la version de Francesco
Pipino qui s’est diffusé en Europe centrale. Une traduction en vénitien a également été
effectuée, conservée par un unique manuscrit du XVe siècle. La version portugaise issue
de la version de Francesco Pipino n’est connue que grâce à l’impression qu’en donne en
1502 à Lisbonne l’imprimeur morave Valentim Fernandes. Elle appartient au contexte
des expéditions de découvertes portugaises. La version de Francesco Pipino a enfin été
diffusée sous la forme d’un résumé que l’on rencontre dans trois manuscrits ; leur
examen et le stemma codicum dressé permettent d’attribuer l’élaboration de ce résumé
au milieu des établissements religieux réformés du sud de l’Allemagne et du nord de
l’Autriche.
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plusieurs témoignages indiquent que la version Z fut lue et utilisée à Venise tout au long
des XIVe, XVe et XVIe siècles.
Autre version latine de la branche B, la version L, aussi dénommée Compendium
latinum, est une version résumée, qui a néanmoins connu une certaine diffusion,
puisqu’il en subsiste six manuscrits. Elaborée en Vénétie, elle s’est par la suite répandue
dans les pays flamands, comme le montrent nettement l’étude des manuscrits conservés
et l’établissement du stemma codicum.
Les deux autres versions de cette branche sont en vénitien. La version V, dont un
seul manuscrit subsiste, est encore inédite et très mal connue. Il est possible qu’elle ait
été contaminée par l’une des deux versions latines du groupe. La version VB est
conservée par trois manuscrits qui permettent d’en situer l’élaboration au milieu du XVe
siècle et probablement dans des milieux qui s’intéressaient aux questions
géographiques. Il s’agit non seulement d’une version abrégée, mais aussi d’une
réécriture littéraire.
Les quatre versions de la branche B ont connu une diffusion relativement limitée
et, hormis le Compendium latinum, circonscrite à la Vénétie, où elles ont été mises au
point. Aucune d’entre elles n’a donné naissance à son tour à une autre traduction. Leur
importance du point de vue de la réception et leur rôle dans la conservation d’un texte
en partie plus complet sont toutefois loin d’être négligeables.
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Chapitre V : Une diffusion rapide et large
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Du point de vue du lectorat, ce chapitre présente la diffusion du texte dans les
milieux religieux, réguliers comme séculiers, dans les milieux princiers (aussi bien
masculins que féminins), ainsi que dans deux autres catégories sociales : les marchands
et les médecins. Il apparaît ainsi que des milieux très divers ont été touchés par le livre
de Marco Polo. Reste la question du type de lecture qu’ils y ont pratiqué et de l’usage
qu’ils en ont fait, ce qui ne se laisse pas facilement percevoir, faute d’exemplaires
subsistants ou d’annotations portées sur ces exemplaires.
Le chapitre six s’interroge sur le statut du texte et de son auteur. Pour répondre à
cette question, est d’abord proposée une analyse des différents titres attribués au texte,
en fonction des versions et des manuscrits. On observe une certaine stabilité des titres à
l’intérieur d’une même version. Deux grandes tendances se distinguent : soit un titre
court mettant l’accent sur l’identité de l’auteur, soit un titre long, descriptif, proposant
une sorte de résumé du contenu.
Quelques manuscrits nous offrent aussi une représentation figurée de l’auteur,
dont l’examen permet de déceler l’image qu’en avaient les enlumineurs ou les
commanditaires de manuscrits. Si les manuscrits enluminés offrent généralement
l’image d’un jeune voyageur ou d’un jeune noble, quelques-uns représentent aussi
Marco Polo comme un homme d’expérience. Aucun, toutefois, ne le montre en position
d’auteur.
Sont ensuite examinés les remplois du texte dans la littérature épique et
chevaleresque, telle que l’Entrée d’Espagne, le roman de Baudouin de Sebourc, ou
l’Orlando innamorato. L’insertion de motifs poliens dans ces œuvres participe d’un
certain renouvellement de leur matière, où les récits de croisade cèdent la place à des
aventures orientales plus lointaines. L’utilisation du récit de Marco Polo reste
néanmoins souvent difficile à affirmer, car il s’agit davantage de motifs, d’ambiances,
que de citations précises.
Mais la notion de divertissement présente à travers ces emprunts, ainsi que dans
les manuscrits enluminés du Devisement du monde, n’est pas exclusive d’une
perception du livre comme somme de connaissances. L’exemple du zibaldone
d’Antonio Pucci, où de larges extraits du récit de Marco Polo ont été copiés, montre
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qu’un auteur de poèmes chevaleresques pouvait aussi apprécier ce texte pour ses
informations de type historique ou ethnographiques.
Il est également symptomatique que d’autres voyageurs, en particulier Jordan
Catala, Odoric de Pordenone, Niccolò de’ Conti et Arnold von Harff, n’hésitent pas à
utiliser le livre de Marco Polo pour enrichir leur propre récit et proposer ainsi une
description du monde plus complète.
Le chapitre sept s’intéresse au rôle joué par les membres de l’ordre dominicain
dans la diffusion et la réception du récit de Marco Polo. Il apparaît que le livre a
activement circulé parmi les frères prêcheurs des couvents de Lombardie dans les
années 1310-1330, période où Francesco Pipino de Bologne le traduit en latin. Il a en
particulier été utilisé par Filippino de Ferrare dans son manuel de conversation, le Liber
de introductione loquendi, qui lui emprunte une petite vingtaine d’anecdotes ; par Pietro
Calo da Chioggia, dans son Légendier, pour la vie de saint Thomas apôtre d’Inde ; par
Nicoluccio d’Ascoli dans ses sermons ; par Jacopo d’Acqui et Francesco Pipino, dans
leurs chroniques.
Malgré le peu d’informations que nous possédons sur la biographie de chacun de
ces frères, il apparaît que tous appartiennent à la province de Lombardie inférieure, sauf
Jacopo d’Acqui qui est membre de celle de Lombardie supérieure, et qu’ils ont
fréquenté les mêmes couvents, en particulier Bologne, Padoue et Venise. Ils sont actifs
dans les mêmes années et même si tous n’ont pas utilisé la traduction réalisée par leur
confrère, on peut en déduire que l’idée d’utiliser le récit de Marco Polo comme source
circulait à l’intérieur de l’Ordre, en particulier en Lombardie.
Il est en outre intéressant de noter que plusieurs des œuvres dans lesquelles le
texte est utilisé appartiennent au genre homilétique – le manuel de conversation de
Filippino de Ferrare s’y rattache également –, genre qui ne vient sans doute pas
spontanément à l’esprit de qui travaille sur la réception d’un récit de voyage, mais qui
démontre sans conteste la grande diversité d’usages que pouvait connaître ce type de
texte au Moyen Âge. Cela implique également une grande ouverture d’esprit de la part
des dominicains qui n’hésitaient pas à puiser à toutes sortes de textes, et notamment les
plus récents, afin d’enrichir leur corpus de sources.
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Deux passages du livre de Marco Polo ont été particulièrement exploités comme
exempla : le miracle de la montagne déplacée par la foi des chrétiens de Bagdad et celui
de la colonne de l’église Saint-Jean-Baptiste de Samarcande. On retrouve des emprunts
dans la littérature homilétique en Angleterre à la fin du XIVe et au début du XVe siècles,
ce qui confirme la permanence de type d’usage. Le Devisement du monde a donc été
considéré comme une source fiable et digne d’être mise à profit pour l’édification des
fidèles, peut-être dans le but d’attirer leur attention et de susciter leur intérêt.
En raison des riches informations qu’il offre sur l’histoire et les mœurs des
Mongols, le livre de Marco Polo a été utilisé dans plusieurs chroniques ou textes
historiques, dès la première moitié du XIVe siècle. L’analyse de ce type de textes, dans
le chapitre huit, montre que ce sont d’abord les informations relatives aux Mongols qui
intéressent les chroniqueurs, tels que Francesco Pipino ou Giovanni Villani. Le premier,
qui connaît bien le texte pour l’avoir traduit, y puise surtout des informations de type
historique ou ethnographique, qu’il complète avec les récits de Jean de Plancarpin et de
Simon de Saint-Quentin. Le second cite Marco Polo comme source de ses informations
sur les Mongols, conjointement avec Hayton, mais davantage qu’il ne l’utilise
réellement, ce qui montre qu’il le considère avant tout comme une référence
incontournable sur ce sujet.
A partir de la fin du XIVe siècle, le Devisement du monde est davantage utilisé
pour ses informations de nature géographique, que les chroniqueurs insèrent dans leurs
descriptions du monde. Symptomatique de ce changement de perception est l’évolution
de la place accordée au résumé du texte dans l’Historia aurea de John of Tynemouth,
composée vers 1350 : d’abord inséré à l’année 1252, date du départ des frères Polo, ce
résumé se retrouve, dans un manuscrit plus tardif, en tête de cette histoire universelle,
dans le cadre du tableau géographique du monde qui ouvre l’œuvre. Cette utilisation de
nature géographique dans des contextes historiques apparaît également dans un
manuscrit miscellanée conservé à Oxford, où de larges extraits du Devisement du monde
sont mêlés à des récits historiques, portant notamment sur l’histoire de l’Angleterre.
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D’autres chroniques encore utilisent le récit de Marco Polo, notamment la
Chronique de Saint-Bertin, composée par Jean le Long d’Ypres, ou la Cronica ymaginis
mundi du dominicain Jacopo d’Acqui. En dehors de l’intérêt des extraits qu’ils insèrent
dans leur œuvre historique, l’on remarque surtout que Marco Polo lui-même y est
considéré comme un personnage historique et que son voyage ou l’écriture de son récit
constituent des événements historiques à part entière, ce que confirme encore la
chronique du monastère de Meaux (Yorkshire) due à son abbé Thomas Burton.
Dès la première moitié du XIVe siècle, le livre de Marco Polo a donc été
considéré comme une référence en matière d’histoire et ethnographie mongole, puis en
ce qui concerne la géographie de l’Orient. L’autorité dont a rapidement joui son récit a
contribué à faite de son auteur un personnage historique, à citer au rang des « hommes
célèbres ».
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du Devisement du monde par des Vénitiens, notamment dans la mappemonde de fra
Mauro et dans un manuscrit inédit et anonyme, montrent que les érudits de la
Sérénissime ne sont pas restés à l’écart des préoccupations des humanistes de leur
temps, mais qu’ils ont eux aussi produits des œuvres originales en matière de
géographie, où le récit de Marco Polo est utilisé pour commenter ou compléter la
Géographie de Ptolémée.
Venise a aussi été considérée comme un point de référence : elle était le lieu où
l’on venait chercher le livre de Marco Polo, en pensant y trouver le texte original,
comme le montrent les démarches de Valentim Fernandes ou de Rodrigo de Santaella,
tandis que des Vénitiens ont pu être sollicités pour confirmer le récit de leur concitoyen,
notamment en le confrontant avec le récit d’un autre voyageur vénitien, Niccolò de’
Conti.
Il est toutefois difficile de parler, avant le XVIe siècle, de reconnaissance
officielle de Marco Polo par sa cité. Ce n’est qu’au milieu de ce siècle, avec les deux
entreprises de célébration que sont l’édition de Giambattista Ramusio et les cartes de
Jacopo Gastaldi, que Marco Polo acquiert un statut de monument de l’histoire
vénitienne.
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renouvellement des conceptions géographiques, sont fréquemment décrits comme
n’ayant recours qu’aux textes antiques et dédaignant les œuvres « médiévales » ; or, il
apparaît que le livre de Marco Polo tient souvent une place importante dans la
géographie humaniste.
A la fin du XIVe siècle, le récit de Marco Polo est ainsi abondamment utilisé par
deux humanistes florentins, Domenico Bandini et Domenico Silvestri. Le premier, dans
son Fons memorabilium universi, lui emprunte le matériau de nombreuses notices de
cités, de provinces et d’îles, en lui accordant une grande estime. Le second, en revanche,
se montre plus circonspect, mais la quantité d’extraits qu’il insère dans son De insulis et
earum proprietatibus est néanmoins remarquable.
Est ensuite analysée la place du Devisement du monde dans le Liber de figura
mundi de Luis de Angulo, œuvre composée pour le roi René en 1456. Luis de Angulo
juxtapose en les résumant de larges extraits du récit de Marco Polo, ainsi que du livre de
Jean de Mandeville.
Le texte est aussi cité à de nombreuses reprises par Giovanni Fontana dans son
Liber de omnibus rebus naturalibus, composé dans les années 1450, principalement
dans le livre V qui traite des merveilles de la nature et de l’ingéniosité des hommes. Il
reprend au voyageur vénitien la description de plusieurs merveilles architecturales, ainsi
que la description des mœurs à la cour mongole de Khanbaliq. Il n’hésite pas, en outre,
à confronter le récit du voyageur vénitien avec les données de la Géographie de
Ptolémée, notamment en ce qui concerne la question de la fermeture ou de l’ouverture
de l’océan Indien.
Au XVe siècle, en effet, la large diffusion de ce dernier texte engendre des
débats et des confrontations avec la description du monde offerte par Marco Polo, en
particulier en ce qui concerne l’extrême-Orient et l’océan Indien. Si le récit de Marco
Polo paraît absent d’un certain nombre de texte liés au concile de Florence (1439-1441)
ou de l’Asie de Pie II (Aeneas Sylvius Piccolomini), par exemple, l’examen des cartes
produites à partir du milieu du XVe siècle révèle des tentatives menées pour concilier
les deux traditions, polienne et ptoléméenne, soit en juxtaposant les données de l’une et
de l’autre, soit en cherchant une synthèse, comme le font fra Mauro et, dans une
moindre mesure, Giovanni Leardo. Le phénomène de juxtaposition se rencontre
principalement dans les cartes produites à partir de modèles ptoléméens, telles que
celles d’Henricus Martellus ou de Francesco Rosselli, qui imposent un modèle d’océan
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Indien comportant deux péninsules et où l’Asie centrale et méridionale est largement
ptoléméenne, tandis que le matériau polien est rejeté à l’extrême-Orient. Ce modèle
perdure bien avant dans le XVIe siècle.
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Chapitre XII : Le livre de Marco Polo et les grandes découvertes
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de l’Orient. L’utilisation qu’en fait Gomes Eanes de Zurara dans sa Chronique de
Guinée, composée en 1453, où il compare les mœurs des indigènes de la côte africaine
aux descriptions fournies par Marco Polo de certains peuples orientaux, se révèle tout à
fait originale. Elle montre l’autorité acquise par le récit du voyageur vénitien, qui sert de
référence en matière de mœurs de populations indigènes, quelle que soit leur
localisation.
Les indications portées sur les manuscrits conservés, les multiples traductions et
remaniements du Devisement du monde, dans un grand nombre de langues, les
témoignages des inventaires de bibliothèques, les œuvres nombreuses et d’une grande
diversité qui l’ont utilisé comme source montrent sans ambiguité que ce texte a connu
un succès indéniable pendant les deux derniers siècles du Moyen Âge et au début du
XVIe siècle. En deux siècles, le livre de Marco Polo s’est répandu dans l’ensemble de
l’Europe occidentale et centrale et a touché tous les milieux lettrés, du prince au
marchand et du médecin au théologien. Tous ne l’ont pas lu dans les mêmes conditions,
ni pour en tirer le même usage, mais tous ont pu y avoir accès.
La réception se révèle particulièrement riche. Le Devisement du monde fut non
seulement utilisé dans des œuvres géographiques et cartographiques, mais aussi dans de
nombreuses chroniques, dans la littérature épique et, ce qui est sans doute moins
attendu, dans la littérature homilétique et spirituelle. La perception du livre de Marco
Polo comme ouvrage de divertissement, rapportant des anecdotes plaisantes, n’est pas à
rejeter ; toutefois, la majorité des emprunts relevés indique plutôt qu’il fut surtout
considéré comme une source fiable pour l’acquisition de connaissances de nature
historique, ethnographique, géographique, voire hagiographiques.
L’analyse détaillée des emprunts montre que ce récit, ainsi que son auteur, ont
rapidement joui d’une grande estime. Si Marco Polo est entré dès le XIVe siècle dans le
panthéon des hommes célèbres, son livre a, quant à lui, acquis un statut de référence
indispensable et d’autorité.
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Annexes :
Treize annexes accompagnent ce travail. Elles comprennent : les notices des 141
manuscrits du Devisement du monde ; une liste des manuscrits classés par version ; une
transcription partielle de la version LB ; une discussion stemmatique et une édition
partielle de la version LA ; une discussion stemmatique et une édition partielle de la
version L (Compendium latinum) ; une comparaison du texte de la vie de saint Thomas
apôtre par Pietro Calo et du chapitre correspondant de la version Z ; une comparaison
du texte de la chronique de Jacopo d’Acqui avec la version LB ; des extraits de la
chronique de Jacopo d’Acqui ; des extraits du manuscrit Oxford, Bodleian Library,
Digby 196 ; une comparaison du De omnibus rebus naturalibus de Giovanni Fontana
avec les chapitres correspondants de la version de Francesco Pipino ; l’édition des
annotations marginales portées sur le manuscrit Londres, British Library, Add. 19952 ;
des extraits de l’Oculus fidei d’Henri le Chartreux ; des reproductions de manuscrits et
d’éditions imprimées (dix-sept planches).
La thèse est pourvue d’une liste des sources, d’une bibliographie et d’index
(codicum, nominum et locorum).
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