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L'Homme

Nous-mêmes, nous autres


José Carlos Gomes Da Silva

Citer ce document / Cite this document :

Gomes Da Silva José Carlos. Nous-mêmes, nous autres. In: L'Homme, 1983, tome 23 n°3. pp. 55-80;

doi : 10.3406/hom.1983.368415

http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1983_num_23_3_368415

Document généré le 26/01/2018


NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES

par

JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

Certains des termes dont parfois les sociétés se nomment — « Les Hommes »,
« Les Bons », etc. — font preuve, dit-on, de beaucoup d'exclusivisme. Une variante
de ce procédé peut être repérée dans le fait qu'une communauté s'arroge le droit
exclusif à la parole, condamnant par là même des sociétés voisines au « silence »
ou à la « barbarie ». De tels témoignages ont souvent été produits par les
ethnologues dans des discussions sur le thème de l'ethnocentrisme. C'est néanmoins
au sein même de la littérature sociologique et anthropologique que le problème
doit être soulevé d'abord : ayant débuté par de singulières déclarations d'ethno-
centrisme, la réflexion scientifique sur les sociétés « primitives » n'a jamais pu
échapper au caractère déterminant des premières questions qu'elle s'est posées.
Le fait se dissimule peut-être derrière les concepts et les outils d'une science qui
laisse croire qu'elle possède la clé ultime de la connaissance des hommes. Ainsi
nous croyons-nous fondés à imposer aux sociétés que nous étudions notre
découpage du réel : car nous avons décidé que le réel existe. Le savoir occidental, se
plaît-on à affirmer parfois, est le seul à avoir déployé un discours scientifique sur
les sociétés autres. Encore faudrait-il savoir si l'accent est mis sur les bienfaits
que nous pensons tirer d'une telle connaissance, ou bien sur la solitude privilégiée
où elle nous a finalement placés. D'une façon ou d'une autre, nous détenons le
privilège de la parole, alors que nous acculons autrui au bredouillement, sinon
au mutisme. Peut-être, à la limite, sommes-nous prêts à concéder aux sociétés
« primitives » un ensemble de conceptions concernant les représentations sociales.
Mais celles-ci ne semblent avoir suscité notre intérêt que dans la mesure où elles
peuvent être « traduites » dans notre propre langage. Autrement dit, la véritable
sociologie est celle que nous avons inventée à l'usage de tous. Comme le disait
Max Weber au début du siècle, « only in the West does science exist at a stage of
development which we recognize today as valid » (Weber 1976 : 13) x.
1. Il a fallu attendre longtemps avant de pouvoir trouver clairement exprimée l'idée

L'Homme, juil.-sept. 1983, XXIII (3), pp. 55-80.


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L 'autre est donc d'abord celui qui ne sait pas, celui qui ne peut pas savoir.
Faut-il attirer l'attention sur la remarquable récurrence des jugements qui
illustrent cette conviction ? Pour les évolutionnistes, l'homme primitif, enlisé
dans ses déplorables bévues, ne pouvait que simplifier et confondre. D'une manière
générale, on s'est plu à relever des notions fondamentales qui, jugées par nous
contradictoires, étaient tenues pour équivalentes par la pensée primitive ; et on
n'a pas hésité à considérer des formes particulières de l'expression symbolique
comme le résultat des lamentables méprises de l'esprit humain. Les sociétés
exotiques seraient, pour tout dire, incapables de saisir des différences élémentaires.
Cette façon de voir a imprégné toute la réflexion de Durkheim qui s'attache
essentiellement à la société occidentale de son temps, société qui, selon lui, était
guettée par la crise et l'anomie, mais aussi dominée par la division du travail
social. La société occidentale moderne lui paraissait caractérisée par des
différences qui étaient en quelque sorte le gage de la complémentarité et de la solidarité
(organique) des groupes qui la constituaient. La spécificité de la société qu'il
avait sous les yeux et dont il tenait à accentuer les contours ne pouvait pourtant
être mise en relief que grâce à la comparaison avec des sociétés différentes. La
théorie sociologique de Durkheim trouvera dès lors son assise dans l'opposition
radicale entre la solidarité mécanique (celle des peuples qu'il dit « inférieurs ») et
la solidarité organique (celle de la société « moderne »). Durkheim voyait dans la
société primitive des individus liés par d'inexorables ressemblances, tandis qu'il
assignait à la sienne le privilège des différences, instaurées par la diversité des
métiers : « Plus les sociétés sont primitives, plus il y a de ressemblances entre les
individus dont elles sont formées. Déjà Hippocrate dans son écrit De Aère et Locis
avait dit que les Scythes ont un type ethnique et point de types personnels.
Humbold remarque dans ses Neuspanien que, chez les peuples barbares, on trouve
plutôt une physionomie propre à la horde que des physionomies individuelles, et
le fait a été confirmé par un grand nombre d'observateurs » (Durkheim 191 1 :
103).
L'auteur poursuit avec un passage emprunté à Waitz : « De même que les
Romains trouvaient entre les vieux Germains de très grandes ressemblances, les
soi-disant sauvages produisent le même effet à l'Européen civilisé. A vrai dire, le
manque d'exercice peut être souvent la cause principale qui détermine le voyageur
à un tel jugement ; [...] cependant, cette inexpérience ne pourrait que difficilement
produire cette conséquence si les différences auxquelles l'homme civilisé est
accoutumé dans son milieu natal n'étaient réellement pas plus importantes que celles
qu'il rencontre chez les peuples primitifs. Bien connue et souvent citée est cette

selon laquelle les « indigènes [...], quand ils raisonnent sur eux-mêmes — ce qui leur arrive
assez souvent — se conduisent en ethnographes ou plus exactement en sociologues, c'est-à-
dire en collègues avec lesquels il est loisible de discuter » (Lévi-Strauss 1968 : xl).
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parole d'Ulloa, que qui a vu un indigène d'Amérique les a tous vus » (ibid. :
103-104).
Et Durkheim de conclure : « Au contraire, chez les peuples civilisés, deux
individus se distinguent Tun de l'autre au premier coup d'œil et sans qu'une
initiation préalable soit pour cela nécessaire » (ibid. : 104).
Ces affirmations remarquables doivent retenir notre attention. Pour Durkheim,
la société primitive est effectivement contaminée, de l'intérieur, par une sorte
d'insensibilité à la différence... A l'instar des évolutionnistes britanniques, le
sociologue admettait que sa société constituait le point d'aboutissement d'un
processus de développement susceptible d'être saisi par l'examen des sociétés
primitives. Celles-ci étaient donc simultanément des « sociétés d'autrefois ». La
capacité intellectuelle de saisir et de créer des différences devient dès lors le «
critère » qui permet à Durkheim de se situer et dans l'espace et dans le temps. Ce
point de méthode n'a rien de novateur. Les Konds d'Orissa (Inde) racontent le
mythe que voici : « When men were born they brought with them some sidri seeds
and went to live in the jungle. They lived like monkeys, jumping from bough to
bough and eating their siâri seeds. They did not recognize mother or sister ; each
took his pleasure as he felt inclined. One day Nirantali called the Chief and said,
' How is it you're living in this way, recognizing neither mother nor sister ? ' The
Chief said, ' We live like jungle monkeys. We've no food to give for feasts at
weddings and how can we have relatives without weddings ? ' ' Come, ' said
Nirantali and took him into the house and gave him rice-beer, a pig and a cock
and some rice. ' Eat this sort of thing. First go to the jungle ; sacrifice and cut
your clearings. When you've got the clearing ready, I'll get every kind of seed
from the horse and the elephant and send it to you. Sacrifice when you cut and
fire and sow and when you marry, then you'll be able to recognize who is your
mother and sister. '
The Chief took these things, he sacrificed them and gave a little to everyone.
When they ate, wisdom came to them and they realized this woman was mother,
this sister, this wife. After this men began to eat rice and recognize their relations »
(Elwin 1954 : 534-535)-
On voit aisément que les Konds possèdent une philosophie sociale qui présente
avec la nôtre de remarquables analogies. En bons évolutionnistes, ils attribuent
au passé cet état de « barbarie » et de « promiscuité » auquel la culture des champs
et l'institution du mariage mirent fin pour toujours. En sociologues (et à la façon
de Durkheim), ils réfléchissent sur l'indéniable mérite qui consiste à reconnaître
les différences — pour eux, comme pour Durkheim, les différences, c'est la
culture — et tournent le dos à la nature (la jungle jadis omniprésente), peuplée de
confusions et de similitudes.
Confronté à notre propre savoir, le mythe kond constitue une véritable page
de réflexion sociologique. Comparées à lui, nos théories sociologiques se définissent
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en partie comme une élaboration mythologique de la connaissance. De telles


observations ne sauraient plus nous surprendre, puisque Lévi-Strauss a pu noter
à propos de Sartre : « Son insistance pour tracer une distinction entre le primitif
et le civilisé à grand renfort de contrastes gratuits, reflète, sous une forme à peine
plus nuancée, l'opposition fondamentale qu'il postule entre le moi et l'autre. Et
pourtant, dans l'œuvre de Sartre, cette opposition n'est pas formulée de façon
très différente que n'eût fait un sauvage mélanésien, tandis que l'analyse du pra-
tico-inerte restaure tout bonnement le langage de l'animisme » (Lévi-Strauss
1962a : 330).
Avouons donc que la sociologie française repose sur un ensemble de
conceptions qui n'ont rien de strictement scientifique, au sens que l'on prête normalement
à ce terme. D'une certaine façon, il semblerait que toute réflexion portant sur les
faits sociaux soit invitée à osciller entre la constatation des différences actuelles
et la fiction d'un ensemble de similitudes projetées ailleurs. C'est ainsi que pour les
auteurs du xvne et du xviue siècle, l'inégalité caractéristique de la société de leur
temps ne peut être conçue que par rapport à l'homogénéité rêvée d'autrefois,
lorsque les hommes se trouvaient encore plongés dans l'état de nature. La
diversité est — pour tous — le résultat d'un processus dont le point de départ est à
reconnaître dans cette sorte d'innocence originelle : l'uniformité. « La nature »,
écrit Hobbes, « a fait les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de
l'esprit, que, bien qu'on puisse parfois trouver un homme manifestement plus fort,
corporellement, ou d'un esprit plus prompt qu'un autre, néanmoins, tout bien
considéré, la différence d'un homme à un autre n'est pas si considérable qu'un
homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre
ne puisse prétendre aussi bien que lui » (Hobbes 1971 : 121). Et plus loin : « Les
notions de légitime et d'illégitime, de justice et d'injustice, n'ont pas ici leur place.
Là où il n'est pas de pouvoir commun, il n'est pas de loi ; là où il n'est pas de loi,
il n'est pas d'injustice. La violence et la ruse sont en temps de guerre les deux
vertus cardinales. Justice et injustice ne sont en rien des facultés du corps ou de
l'esprit. [...] Ce sont des qualités relatives à l'homme en société, et non à l'homme
solitaire. Enfin cet état a une dernière conséquence : qu'il n'y existe pas de
propriété, pas d'empire sur quoi que ce soit [« no dominion »], pas de distinction du
mien et du tien ; cela seul dont il peut se saisir appartient à chaque homme, et
seulement pour aussi longtemps qu'il peut le garder » {ibid. : 126).
Le traitement que Jean- Jacques Rousseau a imposé à ce thème est
particulièrement intéressant. Comme Hobbes, il pense que les hommes, dans l'état de
nature, « n'ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus,
ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n'avaient ni vices ni vertus... » (Rousseau
1971 : 194). Mais il va plus loin dans cette voie : « Concluons qu'errant dans les
forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaisons, sans
nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même
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sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l'homme sauvage sujet à peu


de passions, et se suffisant à lui-même, n'avait que les sentiments et les lumières
propres à cet état... » (ibid. : 201-202).
Au delà de cette divergence fondamentale qui résulte du fait que Hobbes
envisage l'état de nature comme étant caractérisé par la « guerre de chacun contre
chacun », alors que pour Rousseau il se définit par l'absence de conflits, on
remarquera que les deux auteurs interprètent le passé comme un temps dominé par de
muettes équivalences. Rousseau, quant à lui, va jusqu'à admettre que tout
individu se voyait alors confronté à l'impossibilité de reconnaître ses semblables...
Il n'est pas difficile de déceler dans de tels récits des articulations de nature
proprement mythologique. Durkheim a d'ailleurs voulu souligner le statut très
particulier de la réflexion de Rousseau lorsque celui-ci se réfère à l'état de nature :
« L'état de nature n'est pas, comme on l'a dit quelquefois, l'état où se trouve
l'homme avant l'institution des sociétés. Une telle expression ferait croire, en
effet, qu'il s'agit d'une époque historique, par laquelle aurait réellement commencé
le développement humain. Telle n'est pas la pensée de Rousseau. C'est, dit-il, un
état ' qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera
jamais ' (Discours sur l'origine de l'inégalité, préface). L'homme naturel, c'est tout
simplement l'homme, abstraction faite de tout ce qu'il doit à la vie sociale, réduit
à ce qu'il serait s'il avait toujours vécu isolé. Le problème à résoudre ne ressortit
donc pas à l'histoire, mais à la psychologie » (Durkheim 1966 : 116).
L'état de nature est une pure fiction : Rousseau se montrait timidement prêt
à l'admettre. Mais avant Rousseau, Hobbes lui-même avait déjà su prévenir les
objections qu'une telle allégorie pouvait susciter. De cet état de nature (dominé
selon lui par « la guerre de chacun contre chacun »), il affirmait discrètement :
« On pensera peut-être qu'un tel temps n'a jamais existé, ni un état de guerre tel
que celui-ci » (Hobbes 1971 : 125).
A partir de thèmes communs (dont on soupçonne la nature non historique),
des propositions nouvelles se dégagent d'un auteur à l'autre dans un jeu
d'inversions et de symétries : comme les mythes, Hobbes et Rousseau se pensent entre
eux...
Mais suivons encore la fable de Rousseau. C'est après avoir forgé ce prodigieux
portrait de l'homme naturel qu'il se propose de nous dévoiler l'avènement de la
société. A l'instar de Hobbes, il imagine l'homme naturel dans un monde où la
propriété privée n'existe pas. Or, « le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa
de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai
fondateur de la société civile » (Rousseau 1971 : 205). Ce passage trahit un
extraordinaire bouleversement : « Tout commence à changer de face. Les hommes
errants jusqu'ici dans les bois, ayant pris une assiette plus fixe, se rapprochent
lentement, se réunissent en diverses troupes, et forment enfin dans chaque contrée
une nation particulière... » (ibid. : 209). A l'uniformité d'autrefois se substitue donc
ÔO JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

peu à peu l'image de la diversité. La culture s'affirme avec la tendance vers


l'inégalité, avec la pluralité des nations et avec la prolifération des langues : « On
entrevoit un peu mieux ici comment l'usage de la parole s'établit ou se
perfectionne insensiblement dans le sein de chaque famille, et l'on peut conjecturer
encore comment diverses causes particulières purent étendre le langage, et en
accélérer le progrès en le rendant plus nécessaire. [...] On conçoit qu'entre des
hommes [...] rapprochés et forcés de vivre ensemble, il dut se former un idiome
commun plutôt qu'entre ceux qui erraient librement dans les forêts de la terre
ferme » (ibid. : 209). Enfin, à l'impossibilité où chacun se trouvait de reconnaître
ses semblables répond maintenant un processus d'identification sociale, puisque
« chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même »
(ibid.: 210).
L'image de la diversité actuelle opposable à celle d'une unité primitive constitue
ainsi une sorte de contrainte de toute pensée qui se donne pour but l'étude des
phénomènes sociaux. Les variations sur ce thème concernent exclusivement,
semble-t-il, la façon dont on envisage et dont on colore la différence et la similitude.
Le mythe biblique de la tour de Babel, si proche de la fable de Rousseau, rappelle
que la société était, à l'origine, un tout indifférencié et homogène. L'avènement
des différences doit être imputé au désir démesuré de ceux qui ont voulu ajouter
à cet état de contiguïté sociale la conjonction cosmogonique du Ciel et de la Terre.
La diversité contemporaine, rendue manifeste par la pluralité des langues, est le
résultat d'une punition et constitue une déchéance. La pensée sociologique de
Montesquieu et de Rousseau reproduit le « pessimisme » du mythe biblique : le
passé, c'est le paradis dont les hommes se sont éloignés à tout jamais (à moins
qu'ils ne parviennent, comme le voulait Rousseau, à réintroduire dans la vie en
société l'égalité perdue, et ce au moyen d'un pacte social). Durkheim, quant à lui,
réaffirme à la façon des Konds l'espoir en un présent où les différences ne sont pas
interprétées comme signes de disgrâce, mais comme le contre-pied de l'empire
funeste des similitudes. On peut donc se demander si c'est Durkheim qui pense
les faits sociaux ou si, au contraire, ce sont les phénomènes sociaux qui se pensent
en Durkheim — et malgré lui.
Les disciples de Durkheim laissent parfois entrevoir le besoin de corriger
certaines des conceptions fondamentales du maître. Mauss avait reconnu que
l'opposition des deux formes de solidarité énoncées par Durkheim était
excessivement rigide et il signalait des cas hybrides où les deux types semblaient se
combiner. Granet montrait qu'en Chine ancienne la différence et la similitude
gagnent à maintenir un rapport d'équilibre au lieu de s'exclure mutuellement.
En effet, les Rites et la Musique, opposables « comme les deux aspects
complémentaires de l'Étiquette », remplissent cette fonction régulatrice : « Les Rites
établissent parmi les hommes et tout ce qui dépend d'eux les distinctions
nécessaires. La Musique oblige tous les êtres à vivre en bonne harmonie » (Granet 1968 :
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 6l

334). Des textes classiques précisent que « la Musique est ce qui rapproche ft'ong) ;
les Rites ce qui différencie (yi). De l'union résulte l'affection mutuelle ; des
différences le respect mutuel... » ( ibid. : 336). La société se trouverait dès lors en
danger si l'on supprimait les similitudes au profit des différences, ou celles-ci au
profit de celles-là : « Si Ton s'écarte un instant des Rites, il n'y a plus, au-dehors,
que cruauté et arrogance ; si l'on s'écarte un instant de la Musique, il n'y a
plus, au-dedans, que licence et perversion » (ibid. : 337).
Les faits chinois que nous venons d'évoquer — et qui pourraient à eux seuls
susciter une reformulation de quelques-unes des thèses de Durkheim — ne
constituent nullement un cas isolé ou exceptionnel. Toute société doit nécessairement
prévoir un ensemble de mécanismes capables de régler la similitude et la
différence, la coopération et l'éloignement. Ce qui est remarquable, c'est la clairvoyance
des penseurs chinois qui sont allés très loin dans la voie d'une prise de conscience
des mécanismes inhérents à la structure sociale. Ils ont échappé au piège dans
lequel Durkheim s'est précipité au moment même où l'on pouvait croire qu'il
posait les assises d'un nouveau savoir.
L'œuvre de Durkheim reste pourtant un carrefour de la connaissance
scientifique occidentale. L'extraordinaire séduction qu'elle exerce toujours sur la pensée
des ethnologues s'exprime de façon admirable dans ce passage de Mary Douglas :
« When I first read Durkheim his sociological determinism affronted me. [...]
But outrage or no outrage, Professor Evans-Pritchard in the chair of
anthropology at Oxford made it very clear that our subject stood in direct line of descent
from Durkheim » (Douglas 1975 : 212). Mary Douglas n'oubliera plus ce rappel
à l'ordre durkheimien...
L'importance même que revêt encore l'œuvre de Durkheim rend nécessaire
une réflexion générale sur la cohérence de sa théorie. Nous n'aborderons ici que
quelques points précis qui nous semblent décisifs.
Il ne suffit pas de suggérer que les conjectures durkheimiennes sur la différence
et la similitude se trouvent engluées dans des conceptions analogues à celles que
l'on repère dans de nombreux systèmes mythologiques. Il faut insister sur le fait
que de telles conjectures ont fini par déterminer la formulation de certaines
notions clés de la théorie de Durkheim. L'idée selon laquelle la société occidentale
peut être ramenée à un réseau de différences s'opposant à l'agrégat de similitudes
dévoilé par la société primitive a conduit à des déductions hasardeuses que
l'observation empirique est loin de confirmer. Qui plus est, la vieille conception en vertu
de laquelle les différences sont notre lot à nous, tandis que les similitudes se
projettent ailleurs et chez les autres, a contribué à créer chez le sociologue l'image d'une
société primitive emblématique, entièrement dominée par des analogies — un
continuum sans failles, un unité sans brisures : « Si l'on essaie de constituer par la
pensée le type idéal d'une société dont la cohésion résulterait exclusivement des
ressemblances, on devra le concevoir comme une masse absolument homogène
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dont les parties ne se distingueraient pas les unes des autres, et par conséquent ne
seraient pas arrangées entre elles, qui, en un mot, serait dépourvue et de toute
forme définie et de toute organisation. Ce serait le vrai protoplasme social, le
germe d'où seraient sortis tous les types sociaux. Nous proposons d'appeler horde
l'agrégat ainsi caractérisé » (Durkheim 191 1 : 149).
Cette communauté « dépourvue et de toute forme définie et de toute
organisation », c'est, nous prévient-on, la société la plus simple que l'on puisse concevoir.
Mais n'est-ce pas plutôt le non-sens que l'on nous décrit ainsi ? Le mythe biblique
de la tour de Babel fait jaillir la diversité des systèmes de communication actuels
de l'uniformité socio-linguistique de jadis ; lorsque Durkheim s'évertue à
concevoir une forme sociale absurde (nous serions enclin à retenir le sens étymologique
de ce terme), n'est-il pas en train de suggérer malgré lui que le non-sens des autres
constitue après tout le gage même de notre propre éloquence ? La sociologie semble
ainsi restaurer à sa manière une image vieillie mais rassurante de la société «
civilisée » : celle d'une société loquace, cernée de bruits et de silences barbares.
Inutile de réaffirmer que la société des ressemblances imaginée par Durkheim
n'a jamais existé. Il le reconnaît lui-même implicitement : « II est vrai que l'on
n'a pas encore, d'une manière tout à fait authentique, observé des sociétés qui
répondissent de tous points à ce signalement » (Durkheim 1911 : 149). C'est donc
par le truchement d'une opération intellectuelle purement spéculative que
Durkheim se représente la horde primitive et on pourrait lui rétorquer ce qu'il dit à
propos de Rousseau, lorsque celui-ci élabore la fiction de l'état de nature : le
problème qu'il pose « ne ressortit [...] pas à l'histoire mais à la psychologie ».
Ajoutons cependant que cette fiction d'une « société idéale » constituée « par
la pensée » n'est nullement dénuée de valeur conceptuelle : c'est à partir de là que
Durkheim organise le système de représentations symboliques qui lui permet de
saisir sa propre société. Mais c'est aussi en ce sens que l'on peut parler d'un
véritable mythe de fondation de la sociologie française — le mythe durkheimien des
sociétés imaginaires. Là encore, la réflexion de Durkheim n'offre rien de
fondamentalement original. Comme le faisait remarquer Nadel à propos d'une
civilisation du Nigeria, « pour affirmer, sur le plan idéologique, l'identité culturelle de sa
propre communauté, le Nupe tend à exagérer — ou même à forger — des
oppositions sur des faits minimes, ou inexistants, entre la culture de son village et
celle des autres » (Nadel 1971 : 78).
Mais revenons encore au parti pris durkheimien de l'unicité sociale. Les idées
soutenues par Durkheim en 1893 dans De la Division du travail social seront reprises
par la suite avec une remarquable insistance. Les Règles de la méthode sociologique
(1895) réaffirment que la horde « est un agrégat social qui ne comprend et n'a
jamais compris dans son sein aucun autre agrégat plus élémentaire, mais qui se
résout immédiatement en individus » (Durkheim 1981 : 82). Et plus loin : « Quand
la horde devient [...] un segment social au lieu d'être la société tout entière, elle
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 63

change de nom, elle s'appelle le clan ; mais elle garde les mêmes traits
constitutifs » (ibid.: 83).
D'ailleurs, la pluralité actuelle des clans ne parvient pas toujours à dissimuler
le fait qu'ils fusionnèrent dans le passé. C'est cette vision des choses que Ton
retrouvera en 1903, dans l'article signé par Durkheim et Mauss, « De Quelques formes
primitives de classification »:«... d'une manière générale, toutes les fois où l'on
rencontre des clans différents groupés ensemble de manière à former un tout d'une
certaine unité morale, on peut être à peu près assuré qu'ils sont dérivés d'un même
clan initial par voie de segmentation » (Mauss 1969, 2 : 51).
Cette thèse se trouve développée en 1912 dans Les Formes élémentaires de la
vie religieuse. Et Mauss, qui pourtant s'est penché, en 1923-1924, sur des
phénomènes sociaux de type agonistique susceptibles de déchirer l'unité sociale, se fera
encore, après cette date, le porte-parole fidèle des mêmes conceptions.
Mais la société, sous la forme démembrée qu'elle exhibe, ne manifeste pas
uniquement les effets d'une scission, l'affaiblissement de sa cohésion initiale. Par un
singulier retournement, les parties constitutives de l'organisation sociale tendent
toujours à la solidarité de l'ensemble. Comme le dira Mauss dans « Fragment d'un
plan de sociologie générale descriptive » (1934), la société se définit « par sa
volonté d'être une » (Mauss 1969, 3 : 315).
Autrement dit, pour les sociologues (tout comme pour Rousseau qui voyait
la société de son temps coincée entre l'égalité de l'état de nature et celle du pacte
social), les formes sociales connues proviennent d'un tout indivisible et elles
aspirent opiniâtrement à y retourner. Mais, d'une part, cette masse homogène et
indivise que le sociologue considérait comme le vrai protoplasme social n'a jamais
été repérée ; d'autre part, les sociétés morcelées actuelles ne semblent pouvoir
reconstituer l'unité perdue qu'elles sont censées avoir encore pour but. Dès lors,
la raison d'être de leur segmentation et l'impossibilité d'y remédier restent une
sorte de mystère hérité de Durkheim. Nous y reviendrons.
Nous avons essayé de montrer que l'opposition durkheimienne entre solidarité
mécanique et solidarité organique est, dans une large mesure, une illusion du savoir
scientifique. Mais nous voudrions encore insister sur le fait qu'elle loge au centre
d'une conception éminemment négative de l'autre. Car, chez le sociologue,
l'incomplétude d'autrui annonce en quelque sorte sa propre plénitude.
On sait que, pour Durkheim, la solidarité mécanique « ne peut être forte que
dans la mesure où les idées et les tendances communes à tous les membres de la
société dépassent en nombre et en intensité celles qui appartiennent
personnellement à chacun d'entre eux. Elle est d'autant plus énergique que cet excédent est
plus considérable. Or, ce qui fait notre personnalité, c'est ce que chacun de nous
a de propre et de caractéristique, ce qui le distingue des autres. Cette solidarité
ne peut donc s'accroître qu'en raison inverse de la personnalité » (Durkheim 191 1 :
99). Autrement dit, au sein des sociétés primitives, la personnalité n'existe pas,
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ce que Durkheim affirme de façon explicite : « La solidarité qui dérive des


ressemblances est à son maximum quand la conscience collective recouvre exactement
notre conscience totale et coïncide de tous points avec elle : mais, à ce moment,
notre individualité est nulle » [ibid. : 99-100). Dans ce cas, « l'individu ne
s'appartient pas [...] ; c'est littéralement une chose dont dispose la société » (ibid. : 100).
Ou encore : « En fait, si dans les sociétés inférieures une si petite place est faite
à la personnalité individuelle, ce n'est pas que celle-ci ait été comprimée ou refoulée
artificiellement, c'est tout simplement qu'à ce moment de l'histoire elle n'existait
pas » (ibid. : 171).
Un pont se trouve donc jeté entre la notion de personnalité et le schéma des
solidarités. Durkheim ne se contente pas de créer la fiction d'une société
indifférente aux différences : il estime aussi que dans une telle société, on ne peut concevoir
la notion de personne. Sous les dehors d'une élaboration scientifique, la sociologie
durkheimienne ne fait que reprendre à son compte l'attitude qui consiste à
affirmer sa propre réalité après avoir nié l'existence d'autrui ou avoir méconnu
une part fondamentale de son essence.
En 1800, De Gerando écrivait : « Enfin de toutes les facultés, celle qui se
développe le plus facilement, celle qui semble appartenir plus en propre à l'homme
civilisé, c'est la réflexion, c'est-à-dire cette faculté en vertu de laquelle nous nous
replions sur nous-mêmes pour nous rendre compte de nos sentiments, de nos
pensées, et pour pénétrer dans les plus intimes secrets de notre manière d'être. Il
serait intéressant de savoir si le sauvage ne possède pas du moins quelque
commencement d'une si noble puissance, ou s'il demeure toujours étranger à lui-même ;
il faudrait observer si, lorsque son activité n'est pas attirée au-dehors par les
objets qui l'entourent, et qui sont en rapport avec ses besoins, il retombe alors
dans un entier assoupissement, et dans une sorte de végétation, ou s'il ne jouit pas
en quelque manière de sa propre existence » (Copans & Jamin, eds., 1978 : 153).
C'est à cette question que, presque cent ans plus tard, la théorie de Durkheim
permet de fournir une « réponse » : une réponse radicalement négative qui ne
découle évidemment pas de l'observation empirique mais de la seule déduction,
conduite à partir des termes dont la sociologie a hérité. Durkheim se borne à
élaborer un nouvel assemblage, au moyen des « bribes » d'une forme de
connaissance mise depuis bien longtemps à sa disposition : il procède en « bricoleur »,
pour reprendre les termes de Lévi-Strauss.
De Durkheim à Lévy-Bruhl, de la solidarité mécanique à la théorie de la
participation, on ne trouvera pas de rupture significative en ce qui concerne le
traitement de la notion de « personne ». Il est vrai que Radcliffe-Brown écrivait en
1922 : « It is a commonplace of psychology that the development of the sense of
self is closely connected with the perception of one's own body. It is also generally
recognized that the development of the moral and social sentiments in man is
dependent upon the development of self-consciousness, of the sense of self »
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 65

(Radcliffe-Brown 1964 : 315). Cet auteur est prêt à reconnaître aux parures, aux
peintures corporelles et aux scarifications des indigènes des îles Andaman un rôle
important dans l'éveil de la conscience de soi. Pourtant, et pour cette même raison,
la notion de personne restait encore, dans une large mesure, prisonnière de la
pression sociale.
Les sociologues français ont été plus rigides, plus fidèles aussi à la fiction qu'ils
avaient eux-mêmes façonnée. Pour eux, la notion de personne avait forcément
une longue histoire dont il fallait retracer les étapes : elle n'avait pu s'épanouir
que le jour où l'individu s'était finalement détaché de la foule pour devenir un
être distinct. En 1938, Mauss nous invite à fixer quelques-uns des moments de
cette histoire. Chez les Zufii et chez les Kwakiutl, il retrouve des sociétés à masques,
dont les cérémonies rituelles soulignent le caractère singulier des acteurs par
rapport au groupe2 : « II en ressort évidemment que tout un immense ensemble de
sociétés est arrivé à la notion de personnage, de rôle rempli par l'individu dans des
drames sacrés comme il joue un rôle dans la vie familiale » (Mauss 1968a : 346-
347) . La société romaine, où le mot persona a le double sens de « masque » et de
« personne », fournirait un nouvel exemple de ce processus. Ainsi les sociologues
français ont-ils contribué au refoulement de la notion de personne et du problème
de l'identité dans l'étude des sociétés « primitives ». Ce n'est que récemment que
des recherches anthropologiques se tournent résolument vers ces nouveaux
horizons. Certains des malentendus inhérents à la problématique durkheimienne
demeurent pourtant.
La configuration énigmatique de quelques-uns des problèmes autour desquels
s'affairent les ethnologues semble essentiellement commandée par le biais de leur
regard. Si l'image que nous nous faisons de la société occidentale est fonction de
notre perception des sociétés exotiques (l'avènement de la sociologie est postérieur
aux premiers développements de la réflexion ethnologique et les premiers écrits
des sociologues témoignent du besoin de décrire leur société à partir de la
comparaison avec des systèmes sociaux différents), et si nous admettons avoir accumulé
des méprises dans l'étude des sociétés « primitives », il en résulte que notre
perception de nous-mêmes ne repose sur rien de bien précis. Peut-on même être sûr
de formuler les bonnes questions lorsqu'on s'interroge sur la façon dont on regarde
les autres (ou dont on croit les regarder) ?
Il n'est pas invraisemblable que les termes du débat sur l'ethnocentrisme
expriment en premier lieu la nature du savoir sociologique. Avant de mettre en
application le précepte qui veut qu'en sociologie « l'observateur est lui-même une
2. Le fait qu'à une même époque, un même système culturel puisse suggérer des
interprétations aussi divergentes laisse entrevoir le caractère aléatoire des études sociologiques :
en 1934, Ruth Benedict regardait la société zufii comme un exemple du modèle apollinien,
où l'individu se soumet entièrement aux normes collectives ; en 1938, Mauss se réfère à la
même société pour y voir plutôt l'éveil de la notion de personne et de la tendance à
l'individualisation.
66 JOSE CARLOS GOMES DA SILVA

partie de son observation », les sociologues — et Durkheim d'abord — ont essayé


d'introduire entre l'observé et l'observateur l'écart de 1' « objectivité » : « II nous
faut [...] considérer les phénomènes sociaux en eux-mêmes, détachés des sujets
conscients qui se les représentent ; il faut les étudier du dehors comme des choses
extérieures » (Durkheim 1981 : 28). Et en effet, l'ethnologue ne s'est jamais
entièrement départi de son rôle d'observateur éloigné, assuré du privilège de sa place.
Il faut trouver le lieu de l'observateur avant d'entamer la question de l'ethno-
centrisme, car le problème se pose de façon implicite dans tous les débats sur cette
matière. Discutant un texte célèbre de Lévi-Strauss, Raymond Aron écrit : « Si le
barbare est l'homme qui croit à la barbarie, si ceux que le non ethnologue appelle
spontanément ' barbares ', refusent effectivement l'humanité aux membres d'une
autre tribu — se conduisant ainsi en barbares selon la définition de Lévi-Strauss — ,
l'ethnologue devra, bon gré mal gré, ratifier le jugement du non ethnologue. Les
' barbares ' que le civilisé qualifie comme tels, méritent cette qualification d'après
l'ethnologue lui-même. Ce dernier garde le recours, légitime, de retrouver le
barbare dans le civilisé non ethnologue. Mais il demeure confronté par une alternative :
ou bien il reconnaît la supériorité morale de ceux qui ne nient l'humanité d'aucun
des membres de l'espèce humaine et, en ce cas, l'ethnologue s'affirme le civilisé
par excellence, les civilisés continuant de participer à la barbarie mais en une mesure
moindre que les ' barbares '. Ou bien il pousse le relativisme culturel jusqu'à ne
pas trancher entre ceux qui ne connaissent pas d'hommes en dehors de leur village
ou de leur tribu et lui-même qui reconnaît l'humanité de tous les hommes. Mais
ce relativisme culturel lui interdit de condamner logiquement les racistes, ceux-ci
démontrant, par leurs préjugés, que la notion d'humanité n'est pas établie, en
effet, ' à l'abri des régressions ' » (Aron 1970 : 944).
Une demi-solution pourrait, selon Aron, être formulée comme suit : «
L'ethnologue se condamne lui-même, par sa profession, au relativisme culturel, mais il
n'a pas le droit d'infliger cette condamnation aux autres, ni à ceux qui
appartiennent à la même société que lui ni à ceux qui appartiennent à d'autres sociétés.
Le relativisme intégral convient à l'ethnologue et à l'ethnologue seul » [ibid. : 945).
Nous voyons ici discrètement rétablie la prééminence de l'ethnologue, la
distance qui le sépare des peuples qu'il étudie. Le paradoxe relevé par Aron ne
peut par conséquent se résoudre qu'au prix d'une option qui renvoie à un nouveau
et plus grave problème : l'ethnologue se définit encore par l'acquisition d'un savoir
qui s'oppose radicalement au non-savoir des autres. Il est clair que l'ethnologue
est condamné à toujours errer entre deux savoirs. Mais ne faudra-t-il pas admettre
que les paradoxes qu'il croit parfois déceler sont susceptibles de dénoncer les
limites d'une forme de connaissance (la sienne) qui s'affirme comme celle à partir
de laquelle on regarde et on formule toutes questions ?
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 67

II

L'œuvre de Lévi-Strauss constitue la plus convaincante des dénégations de la


thèse durkheimienne des « ressemblances primitives » et de ses nombreux
prolongements. La pensée sauvage procède « à l'aide de distinctions et d'oppositions,
non par confusion et participation » (Lévi-Strauss 1962a : 355).
L'anthropologie structurale a montré d'autre part combien il peut être
avantageux de centrer l'analyse des faits sociaux sur la notion de relation3. La
notion d'identité aurait pu se dégager d'une analyse fondée sur l'emploi des mêmes
principes. Benveniste, dont les écrits ont souvent stimulé la réflexion des
ethnologues, publiait en 1946 un article qui jetait les fondements d'une théorie
constituée « sur la base des oppositions qui différencient les personnes » (Benveniste
1966 : 227). Il soulignait le caractère particulier de la troisième personne — la
« personne absente » des grammairiens arabes — , nettement marquée
(positivement ou négativement) par rapport aux deux autres. La troisième, dont on peut
dire qu'elle constitue « la forme verbale qui a pour fonction d'exprimer la non-
personne » (ibid. : 228), s'affirme en dehors du rapport explicitement posé entre
« je-tu ». Or, tout en illustrant de façon remarquable le caractère singulier de cette
non-personne (dont il montre que le statut particulier jaillit de la flexion verbale
de la plupart des langues), Benveniste place simultanément l'accent sur la relation
fondamentale et nécessaire entre la première et la deuxième personne : « ' Je '
désigne celui qui parle et implique en même temps un énoncé sur le compte de
' je ' : disant ' je ', je ne puis ne pas parler de moi. A la 2e personne, ' tu '
est nécessairement désigné par ' je ' et ne peut être pensé hors d'une situation
posée à partir de ' je ' ; et, en même temps, ' je ' énonce quelque chose comme
prédicat de ' tu ' » (ibid. : 228).
Chacune de ces deux personnes n'existe donc que par rapport à l'autre : elles
sont associées dans une sorte de jumelage que l'on ne parviendra jamais à
supprimer. Dénouer une telle relation équivaudrait à éliminer aussitôt chacun des termes
qui la constitue. Cette situation n'est pas seulement de caractère linguistique :
c'est avant tout une situation sociale dont l'inexorabilité doit être posée si l'on
veut comprendre la spécificité du problème de l'identité. J.-M. Benoist l'avait
déjà suggéré dans des pages où il se réfère directement à la pensée de Lévi-Strauss :
«... une identité grossière, immédiate, une identité ' de surface ' doit laisser la
place à une quête des structures profondes qui façonnent l'identité dans son aspect

3. Cette notion peut déjà se comprendre comme un terme moyen qui abolit le caractère
tranchant de l'opposition durkheimienne individu /société. En 1957, Nadel attirait aussi
l'attention sur le besoin de « franchir le pas entre les notions d'individu et de société » (Nadel
1970 : 50). Ce hiatus est comblé, selon lui, grâce au concept de rôle et au « seul comportement
pertinent du point de vue sociologique [qui] est celui qui vise autrui » (ibid. : 53).
68 JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

relationnel : la question de l'Autre apparaît comme constitutive de l'identité »


(Benoist 1977 : 17).
Mais il ne suffit pas de dire que l'identité se nourrit d'altérité : il faut apprécier
la portée d'une telle constatation et essayer d'en tirer toutes les conséquences. Ne
craignons donc pas d'insister sur cette idée : pour que l'identité puisse s'affirmer il
faut que, d'une façon apparemment paradoxale, l'on soit prêt à renoncer à un
rapport exclusif avec soi. Un tel abus ne serait après tout que la condamnation
formelle de l'identité elle-même. C'est, semble-t-il, ce que raconte le mythe de
Narcisse, rapporté par Ovide. Mais voici, avant tout, comment Sir J. G. Frazer
a voulu expliquer ce thème : « As some peoples believe a man's soul to be in his
shadow, so other (or the same) peoples believe it to be in his reflection in water or
a mirror » (Frazer 1938 : 92). Et plus loin : « The reflection-soul, being external to
the man, is exposed to much the same dangers as the shadow-soul. [...] We can
now understand why it was a maxim both in ancient India and in ancient Greece
not to look at one's reflection in water, and why the Greeks regarded it as an
omen of death if a man dreamed of seeing himself so reflected. They feared that
the water-spirits would drag the person's reflection or soul under water, leaving
him soulless to perish. This was probably the origin of the classical story of the
beautiful Narcissus, who languished and died through seeing his reflection in the
water » (ibid. : 93-94) .
La véritable leçon du mythe de Narcisse doit, quant à nous, être cherchée
ailleurs. Lorsque Narcisse est né, sa mère voulut savoir s'il lui avait été accordé de
vivre longtemps. « Oui, répondit le devin consulté, à condition qu'il ne se connaisse
pas lui-même » (si se non nouerit). Autrement dit, le nouveau-né ne pourra
survivre que s'il renonce à un rapport réflexif. Son histoire, dont on connaît le
dénouement, représente l'exemple typique d'un abus de l'identité. Non seulement parce
que Narcisse devient amoureux de sa propre image (le seul épisode de l'histoire
que Frazer a voulu retenir), mais aussi parce que son rapport à autrui ne pouvait
que reproduire cette relation d'exclusivité : Écho, la nymphe un jour condamnée
à un usage limité de la parole, ne pouvait que répéter les mots prononcés par le
jeune homme dont elle était tombée amoureuse. Narcisse est en somme celui qui
se parle à lui-même, à la fois sujet et objet. Il se trouve par conséquent soustrait
aux rapports sociaux.
On sait qu'il n'est nullement enviable, le sort des individus solitaires dans la
société traditionnelle. Mais cette solitude est blâmée d'une façon particulièrement
tranchante par les mythes qui s'évertuent à la concevoir. Celui qui se refuse
opiniâtrement aux contacts sociaux est alors dépeint comme un monstre et prend,
tel Narcisse, les contours d'un être qui, en quelque sorte, se nourrit de lui-même.
On connaît l'histoire du roi Agreste, du pays de Camaaloth, que l'évêque Josephé
essaya de convertir. Insensible au prosélytisme de l'évêque, qu'il a fait semblant
de croire sur parole mais dont il n'attendait que le départ définitif, le roi employa
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 69

tous les moyens pour rétablir l'ancienne foi du royaume. Il fit poursuivre et
massacrer les parents que Josephé avait laissés dans le pays et ordonna de faire
disparaître toute trace de la religion des étrangers. Vu par les chrétiens, le roi Agreste
est un personnage resté sourd à leurs tentatives de nouer des rapports sociaux,
fondés, bien entendu, sur la foi chrétienne. Il a préféré s'enfermer dans une
solitude désormais impossible. Car, ayant rejeté, comme Narcisse, tout rapport à
autrui, il est condamné à périr. Et, en effet, faisant montre de manières bizarres
que les textes attribuent à un accès de folie, « il se mit à se dévorer les mains » et,
« ayant rencontré l'un de ses enfants, il l'étrangla de ses poings à demi rongés.
Enfin, il courut comme un forcené par la maîtresse rue de la cité et se jeta dans
un grand four qu'il vit ouvert, où il brûla tout entier » (Boulanger, éd., 1971, II :
256-257). La légende tient donc à souligner ce rapport excessif et entièrement
négatif que l'individu solitaire (ou regardé comme tel) est censé entretenir avec
lui-même. Le roi de Camaaloth, qui se défend de tout contact avec des étrangers
qui se prétendent bienveillants, est réduit au besoin de se dévorer, au sens propre
puisqu'il se ronge les mains, et au sens figuré puisqu'il met à mort l'un de ses
descendants.
Les bylines russes emploient des procédés analogues. Les nombreuses variantes
du récit concernant Ivan Godinovic racontent comment le héros s'est un jour
emparé d'une jeune fille que son père avait déjà promise à autrui. Or, le fiancé
abusé, que le héros condamne brutalement à la solitude, est invité par la jeune
fille à une dernière épreuve : il doit partir à la chasse et lui rapporter un oiseau.
Il obéit et, ayant repéré un cygne, décoche une flèche. Celle-ci décrit une trajectoire
capricieuse et retombe inopinément sur la tête du chasseur {cf. Rybnikov 1909-
1910, III).
Narcisse illustre la passion immodérée de soi : se refusant à autrui, il est
condamné à périr. Les bylines sur Ivan Godinovic renversent ce schéma. Elles
décrivent d'abord la situation désespérée d'un personnage acculé à une solitude
qu'il n'a pas choisie ; et elles s'appliquent ensuite à codifier l'isolement de cet
individu dans les termes éloquents du rapport à soi : elles font de lui un chasseur
devenu sa propre cible.
Malgré cette inversion, les deux séries s'accordent sur un point essentiel :
involontairement ou non, la solitude, c'est l'impossible. Elle consiste en un rapport
d'exclusivité avec soi dont témoignent l'individu qui, de son propre chef, s'est
exclu du réseau des relations sociales et celui qui, sans le vouloir, s'en est vu rejeté.
Le mythe de Narcisse peut ainsi être confronté avec des traditions qui, déployant
le même sens, n'utilisent pourtant pas le thème de l'image reflétée. Le commun
dénominateur des règles qui interdisent le contact immédiat d'un individu avec
lui-même doit être cherché dans le souci fondamental d'éliminer résolument les
circonstances susceptibles de placer le sujet en deçà de l'univers des relations
sociales. A vrai dire, un tel sujet n'aurait pas d'existence...
70 JOSE CARLOS GOMES DA SILVA

Soumises, bien sûr, à des arrangements toujours inédits, de telles


préoccupations se retrouvent partout. Où qu'elles soient repérées, elles comportent toujours
une même leçon : elles disent, malgré Durkheim, l'impossibilité d'être un. C'est,
croyons-nous, de la même façon qu'il faudra réinterpréter le mythe biblique de la
tour de Babel. Ce récit, où l'on essaie d'expliquer la diversité en la faisant jaillir
d'une homogénéité initiale, se rapporte aussi au péché qui consiste à convoiter une
unité dont on n'est jamais entièrement comblé. La condamnation irrévocable à
laquelle ont été voués les bâtisseurs de la tour est donc comparable à la
condamnation universelle de l'inceste, ainsi que l'a suggéré Lévi-Strauss. L'anéantissement
de la tour est, si l'on peut dire, 1' eradication inévitable de la tendance à un abus
d'identité. Joignant le Ciel et la Terre, les hommes s'imaginaient qu'une
communication non médiatisée était possible. Ils se seraient trouvés alors, plus que jamais,
dans la situation de Narcisse se parlant à lui-même ou dans celle du roi de Camaa-
loth dévorant ses propres mains. La « tragédie » de Babel permet de recréer la
diversité des groupes et des langues et instaure en fin de compte des identités
réelles, affirmées dans la reconnaissance de l'attenté fécondante.
C'est toujours Vautre qui, par le biais des différences qu'il exhibe par rapport
à moi, me permet de me faire une image de moi-même. C'est lui, en outre, le témoin
indispensable, invariablement convié, de mes actes, de mon rôle, de mon statut
et de mon existence. A l'instant où il disparaît de mon horizon, c'est ma propre
image qui s'évanouit, comme s'il l'emportait dans sa fuite. Il faut s'accommoder
de ce jeu. Il faut que j'établisse avec autrui — son besoin de moi est équivalent à
mon besoin de lui — une relation réglée de proximité et de distance. Nous ne
devons, en aucune circonstance, trop nous éloigner l'un de l'autre, ce qui ne
manquerait pas de briser une relation instituée ; nous ne devons pas non plus nous
rapprocher au delà d'une certaine limite, ce qui risquerait de confondre nos
identités relatives. Ces deux excès aboutissent à une même conséquence : l'éloigne-
ment exagéré et l'assimilation des statuts — qui, par définition, se veulent
distincts — mènent à la perte de la différence incarnée par autrui — différence qui,
seule, permet la constitution du moi. Des mesures analogues sanctionnent d'ailleurs
ces deux formes d'abus. L'identité n'est donc pas une notion abstraite,
péniblement acquise au long d'une obscure histoire. Elle est le noyau fondamental autour
duquel s'articule toute organisation sociale.
Du besoin de renoncer à l'isolement, de la nécessité d'instituer une relation
fondatrice d'identités complémentaires découle de façon immédiate l'organisation
dualiste. Les explications ethnologiques de ce phénomène ont longtemps illustré
le parti pris de l'unicité sociale tel que nous l'avons rencontré chez Durkheim.
L'organisation dualiste a été regardée tantôt comme le résultat d'une association
établie par deux populations voisines (mais jusqu'alors autonomes), tantôt comme
la conséquence de phénomènes d'érosion et de désagrégation internes. D'une façon
ou d'une autre, on postulait toujours implicitement l'unité sociale d'autrefois.
NOUS-MEMES, NOUS AUTRES J~L

Cette tendance est dépassée et, en 1949, Murdock et Lévi-Strauss proposaient


des interprétations d'un nouveau type. Le premier écrivait alors : « II est possible
que l'organisation dualiste d'une communauté ou d'un groupe social plus étendu
constitue une sorte de soupape de sûreté permettant à l'agressivité engendrée par
les contraintes intrinsèques de la vie en groupe de s'épancher de façon inoffensive
à l'intérieur des limites de celui-ci, par l'intermédiaire d'un biais socialement
codifié, au lieu de déferler vers l'extérieur sous la forme d'attitudes hostiles et
belliqueuses » (Murdock 1972 : 101). Lévi-Strauss, quant à lui, ramenait le
problème au « principe de réciprocité dont elle [l'organisation dualiste] constitue,
en quelque sorte, la codification » (Lévi-Strauss 1967 : 83).
Dans leur frappante symétrie, chacune de ces deux explications semble ne
s'adresser qu'à un aspect du problème car, à vrai dire, l'organisation dualiste se
définit partout par un ensemble de traits qui expriment à la fois l'hostilité et la
réciprocité. Il faut tenter de surmonter cette opposition. Or, les éléments
apparemment contradictoires qui intègrent le schéma dualiste s'expliquent au mieux
par la nécessité logique du processus de l'identité qui ne se réalise pleinement que
par le choix d'un partenaire (individuel ou collectif) dont il faut garantir la
présence et la collaboration, mais à l'égard duquel doit se développer aussi une
attitude critique d'éloignement et de réserve.
C'est la rigoureuse interdiction de se fixer sur soi-même qui guette encore
l'organisation totémique. La règle première du totémisme consiste à éviter de
manger (et souvent aussi de toucher, de désigner ou de regarder) l'être qui
subsume l'identité du groupe clanique. Entre l'interdit de regarder son propre reflet
et celui de consommer, de nommer ou de regarder l'être totémique dont on porte
le nom ou dont on partage l'essence, il y a évidemment des différences. Mais
celles-ci ne concernent pas le fond du problème. En réalité, le totémisme
manifeste un passage décisif. Individuel ou collectif, il tourne le dos à la représentation
immédiate de soi (acquise de façon mécanique par le jeu des lois physiques du
monde naturel), pour élaborer une représentation métaphorique de soi (conquise
par le truchement d'opérations intellectuelles). L'enjeu de ce processus reste
pourtant le même : il consiste à signifier qu'il faut se détourner de soi-même si
l'on veut se munir de la seule forme d'identité reconnue, celle qui ne peut que se
nourrir d'altérité. Toute société se murmure sans cesse le mot prononcé par le
devin du mythe de Narcisse : il faut renoncer à une intimité excessive avec soi-
même si l'on tient à exister socialement.
Attirés par la disposition ethnocentrique des peuples qu'ils étudient, les
ethnologues n'ont jamais remarqué qu'une telle attitude est toujours contrecarrée par
celle qui suppose le refus d'un rapport d'exclusivité avec soi-même. Or, si le besoin
de renoncer à soi constitue le point de départ de toute relation sociale (son degré
zéro en quelque sorte), l'ethnocentrisme impose la limite à partir de laquelle les
rapports sociaux sont jugés non avenus. D'un côté, on tendrait excessivement
72 JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

vers le même, on aboutirait à une non-relation et à l'identité impossible. De l'autre,


on pencherait vers une différence radicale dont on ne songerait plus à nourrir sa
propre identité.
Ethnocentrisme et refus de soi doivent, par conséquent, être pensés ensemble :
ils désignent les jalons qui délimitent le domaine où s'élaborent les mécanismes de
l'identité.

III

On sait que Needham regarde avec scepticisme toute tentative d'élaboration


d'une théorie générale de la parenté. En ce qui concerne le problème particulier
de l'interdit de l'inceste, il note d'abord la diversité des explications. A cette
diversité de points de vue correspondrait, selon lui, le caractère multiforme des
prohibitions : « II y aurait donc autant de sortes de prohibitions de l'inceste que
de systèmes sociaux distincts » (Needham 1977 : 124-125). Les termes chinois
luan lun, indonésien sumbang, recouvrent apparemment une réalité plus complexe
que celle que nous reconnaissons dans la notion d'inceste. « En outre, certaines
cultures n'ont pas de notion aussi explicite que 1' ' inceste '. Dans l'Athènes du
Ve siècle, non seulement le mot était totalement absent, mais il n'existait pas
d'action en justice contre ce genre de délit », note l'auteur en se rapportant à un
exemple emprunté à A. R. W. Harrison (ibid. : 126). En somme, « les prohibitions
de l'inceste n'ont de commun que leur caractère de prohibition » ; Needham estime
dès lors que « le concept sociologique d' ' inceste ' est erroné et qu'il n'a rien
d'universel. Il ne peut donc exister aucune théorie générale de l'inceste » (ibid. : 127).
Ces conclusions semblent excessives, même si elles expriment une réaction
salutaire qui doit nous prémunir contre les pièges de nos propres classifications.
A regarder celles-ci comme définitives, nous risquerions de ne plus pouvoir y
intégrer de façon satisfaisante des configurations culturelles dont les frontières
n'épousent pas exactement les nôtres. De la diversité des faits observables et du
caractère restreint du concept sociologique d'inceste, Needham est prêt à conclure
à l'impossibilité d'une théorie générale. Il est pourtant une autre voie qui mérite
d'être tentée et qui est, croyons-nous, la seule démarche possible en anthropologie.
Elle consiste à toujours questionner la portée de nos concepts et à les reformuler
sans cesse à la lumière des enseignements acquis auprès des sociétés que nous
étudions. Car toute réflexion sur les sociétés primitives débouche simultanément
sur un travail d'archéologie ayant pour objet nos contraintes et notre tissage
mental. Le regard ethnologique ne peut donc jamais s'adresser exclusivement à la
société primitive. Il n'a pas pour seul effet de transformer notre conception des
autres ; il est contraint à modifier aussi l'image que nous nous faisons de nous-
mêmes. C'est encore en ce sens que l'ethnologue est, en définitive, une parcelle
fondamentale de son observation.
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 73

Françoise Héritier (1979 : 209) a sainement réagi contre l'attitude de Needham :


« Ce n'est pas parce qu'une classe de faits (l'expérience ethnologique montre en
effet qu'il existe à tout le moins une tendance universelle à réglementer les rapports
sexuels entre proches) présente une grande diversité qu'il faut en conclure
nécessairement qu'elle n'en est pas une. » Au long d'un article passionnant, elle se
propose d'étudier la « symbolique de l'inceste » sous l'angle de l'opposition de
l'identique et du différent, et dans un premier temps cherche à élargir la notion
même d'inceste. On nous rappelle des exemples classiques : chez les Nuer, on
considère incestueux les rapports d'un individu avec la sœur de son épouse ou ceux
qu'il entretient avec la femme d'un parent. « Chez les Kaguru matrilinéaires
(Beidelman, 1977), la prohibition la plus stricte concerne les rapports sexuels
entre membres du même matriclan, puis vient la prohibition qui concerne les
rapports entre individus dont les pères appartiennent au même matriclan (ils
sont en position symétrique par rapport aux membres de ce clan) . Mais le délit le
plus courant, mahasa, consiste à enfreindre la règle qui veut que deux frères de
clan ne doivent pas épouser deux sœurs d'un autre clan, ni même qu'un homme
séduise ou courtise deux sœurs, qu'elles soient célibataires ou non. Il ne s'agit donc
pas d'un adultère banal puisque, comme chez les Nuer, les partenaires peuvent
être tous trois célibataires » (ibid. : 215-216). L'auteur observe que, dans ce cas, la
sanction retombe sur les femmes et ne concerne nullement l'homme. Dès lors, il
faudra se tourner vers certaines particularités de l'interdit de l'inceste pour tenter
de montrer « qu'elles se comprennent par rapport à une symbolique de l'identique
et du différent » (ibid. : 217).
Les cas examinés ensuite confirment l'hypothèse de départ et permettent une
nouvelle définition de l'inceste : « II ne s'agit plus du rapport qui unit deux
consanguins de sexe différent dans une relation sexuelle prohibée, mais du rapport qui
unit deux consanguins de même sexe qui partagent un même partenaire sexuel. Ce
sont ces consanguins de même sexe, en relation de frère /frère, sœur /sœur, père/fils,
mère /fille, qui se trouvent être en relation incestueuse du fait de leur partenaire
commun et qui en supportent les dangers » (ibid. : 219). Ainsi, « dans le mahasa des
Kaguru, les dangers de stérilité et de maladie par échaufïement visent les deux
femmes consanguines impliquées dans la relation commune avec un même homme,
et leurs consanguins de matriclan. Chez les Samo, la femme mariée qui apprend
que son mari couche avec une de ses cousines le quitte ; elle s'en va par peur et
colère contre le mari et la parente qui lui font courir des risques. Chez les
Gusii (Le Vine, 1959), ' lorsque deux hommes du même clan ont eu des rapports
sexuels avec la même femme mariée, qu'elle soit ou non l'épouse de l'un d'eux, on
pense que la visite de l'un à l'autre quand ce dernier se trouve malade a pour
conséquence directe la mort du malade ' » (ibid.). Cette nouvelle définition passe
néanmoins sous silence l'interdit qui s'applique aux relations entre frère et sœur.
C'est que, selon F. Héritier, « la prohibition de l'inceste n'a généralement besoin
74 JOSE CARLOS GOMES DA SILVA

d'être édictée comme règle sociale qu'à partir du moment où le principe de


l'identique n'est plus aussi fortement structuré, c'est-à-dire le plus souvent quand sont
mis en rapport des consanguins de sexe différent, la plus forte structuration de
l'identique passant au premier chef par la communauté de sexe » (ibid. : 230). Il
est bien difficile de la suivre sur ce point particulier, car les principes de l'identique
et du différent ne semblent nullement réductibles à l'argument de la similitude
sexuelle pas plus qu'à celui qui fait intervenir des considérations concernant le
problème de la consanguinité. Qu'il nous suffise de rappeler que chez les Bakaondo,
« le degré prohibé, dont la violation équivaut à l'inceste [...] comprend toutes les
personnes qui ont le même totem, même si elles sont d'une autre tribu, et sans
aucun lien de parenté (comme nous l'entendons) » (Lévy-Bruhl 1931 : 253).
F. Héritier proclame sans doute que certaines particularités de l'interdit de
l'inceste ne se comprennent que « par rapport à une symbolique de l'identique et
du différent », mais dans la pratique seul l'identique semble retenir son attention,
le différent n'étant après tout que sa frontière.
Revenons aux Kaguru. Lorsque Beidelman présente leur conception de
l'inceste, il note : « Le terme inceste [...] n'est pas entièrement adéquat : il suggère
une série d'interdits comparables à ceux des sociétés européennes et cela n'est
plausible que dans la mesure où les notions kaguru impliquent la prohibition
rigoureuse de certains rapports sexuels, lesquels suscitent des sentiments d'horreur
déclarés ; mais le problème est plus complexe, surtout lorsque ces idées entrent en
relation avec les concepts d'exogamie et d'endogamie » (Beidelman 1977 : 269).
Cette société matrilinéaire est divisée en un grand nombre de clans exogames. Un
Kaguru doit en principe contracter des alliances matrimoniales au sein de sa tribu.
Il condamne fermement tout mariage avec un membre d'une tribu patrilinéaire.
Mais il en est un qui serait blâmé avec une véhémence particulière : le Kaguru,
soumis à la circoncision dont il proclame la valeur culturelle, condamne — et
déclare porteuse de souillure — la relation nouée par une femme de la tribu avec
un homme d'une société patrilinéaire et incirconcis. Cette transgression ne relève
pas de manière évidente de ce type particulier de rapports que les ethnologues
considèrent comme incestueux. Pourtant, ainsi que Beidelman l'a souligné à juste
titre, elle se range parmi « les divers interdits sexuels et matrimoniaux » reconnus
par les Kaguru. Nous ne voyons pas pourquoi il faudrait introduire entre ceux-ci
des distinctions et proposer des explications indépendantes. L'infraction en cause,
tout comme la transgression dite mahasa, déclenche les mécanismes de la pollution,
puisque les deux sœurs ayant partagé un même partenaire sexuel sont aussitôt
déclarées impures.
Pour expliquer de tels faits, il n'est nullement nécessaire (ni souhaitable) de
remettre en question l'essentiel de la théorie de F. Héritier. Il faut pourtant se
placer à un point de vue plus général et admettre que la notion d'inceste doit être
élargie au delà des frontières que l'on venait de tracer. On comprendra ensuite que
NOUS-MÊMES, NOUS AUTRES 75

la dernière modalité d'inceste que nous avons considérée ne renvoie nullement à un


quelconque danger de similitude sexuelle.
Si, comme nous essayons de le montrer, toute relation sociale se définit par une
recherche de l'identité qui s'affirme quelque part entre la rupture, qui placerait
dos à dos les partenaires sociaux, et la superposition qui abolirait leurs différences,
on peut alors envisager autrement les stratégies de l'interdit de l'inceste. Les
Kaguru fournissent un exemple éclairant d'une stratégie globale. Ils condamnent
d'une part des relations « trop éloignées », c'est-à-dire nouées par des individus dont
les différences sont tellement sensibles que jamais ils ne pourraient se penser à
l'intérieur d'une véritable complémentarité : les Kaguru disent des Nyamwezi,
des Hehe et des Sukuma, peuples patrilinéaires qui ne pratiquent pas la
circoncision, « qu'ils ne sont pas tout à fait humains » (ibid. : 270) ; d'autre part, ils
prohibent des relations « trop proches » qui risqueraient de faire s'évanouir les
frontières déjà fragiles qui séparent les semblables et qui placeraient chacun d'entre
eux dans la situation intenable d'un être social dont le processus identificatoire
s'affirme dans le refoulement des différences nécessaires.
Les partenaires sociaux sont ainsi comparables aux voyageurs de la pirogue
amérindienne dont Lévi-Strauss a étudié l'utilisation symbolique dans les mythes :
« En elle, les mythes découvrent le vecteur d'une solution moyenne entre les deux
formes extrêmes d'une opposition qui, à défaut de terme intermédiaire, s'abolirait
par la conjonction ou la disjonction de ses pôles [...]. Un voyage en pirogue de
quelque durée requiert au moins deux passagers qui remplissent des fonctions
complémentaires : l'un propulse l'embarcation, l'autre la gouverne. Ce dernier
doit s'asseoir à l'arrière et, pour équilibrer la nacelle, il faut que le premier se
tienne à l'avant. Pendant le voyage, ni l'un ni l'autre ne saurait remuer, et à plus
forte raison se déplacer, sans imprimer à la pirogue un brusque mouvement qui la
ferait chavirer. A aucun moment, donc, les deux passagers ne peuvent être trop
près l'un de l'autre ; mais, associés dans une commune entreprise, ils ne peuvent
non plus être trop loin. L'espace mesuré de la pirogue et les règles très strictes de
la navigation conspirent pour les maintenir à bonne distance, tout à la fois ensemble
et séparés... » (Lévi-Strauss 1968 : 157).
D'une façon ou d'une autre, les ethnologues ont toujours cherché à articuler le
concept d'inceste avec celui d'exogamie. Lévi-Strauss considère celle-ci comme
« l'expression sociale élargie » de la prohibition de l'inceste. Il faut pourtant
questionner le bien-fondé d'une telle association. L'exemple kaguru nous y invite déjà.
Rapportons-nous d'abord à la prohibition considérée par F. Héritier, concernant
le rapport de deux sœurs avec un partenaire commun d'un autre clan. Ce qui est
en jeu dans ce cas, ce n'est nullement la possibilité d'une relation exogamique (que,
d'ailleurs, loin de stimuler, on s'efforce au contraire de supprimer !), mais le fait
qu'on cherche à abolir la superposition de deux individus inscrits dans le même
matriclan. Ce qu'on essaie de conjurer c'est, à proprement parler, une « confusion ».
y6 JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

Le terme mahasa, qui désigne de tels délits, se révèle très significatif : selon
Beidelman, il dérive de kuhasa « mélanger », « confondre ».
Mais Beidelman ne se borne pas à relier les prohibitions à la seule loi d'exo-
gamie. Elles lui semblent renvoyer aussi au concept d'endogamie. Or, si l'exercice
de Yexogamie clanique n'est nullement le premier but à atteindre lorsqu'on interdit
à deux sœurs d'entretenir des rapports avec un homme d'un autre clan, il faut
reconnaître que la norme de l'endogamie tribale (postulée par Beidelman) n'est pas
non plus le véritable souci des Kaguru. Ils tolèrent au contraire sa transgression
s'ils estiment qu'un minimum de similitude est assuré entre les conjoints. Étant
donné que selon la tradition toutes les tribus matrilinéaires connues des Kaguru
(incluant la leur) descendent d'une même souche, on considérera avec indulgence
la possibilité d'une alliance entre un individu kaguru et un conjoint issu d'une
autre tribu matrilinéaire. Un mariage de ce type serait même accueilli avec
bienveillance si le clan d'origine du conjoint portait le nom d'un clan kaguru : « Cela
est presque aussi souhaitable que d'épouser un Kaguru... » (Beidelman 1977 : 269).
Ce que l'on rejette, ce sont les unions matrimoniales entre individus dont les
dissemblances semblent absolument irréductibles.
Ces constatations montrent le caractère inadéquat des notions d'endogamie et
d'exogamie. Les Kaguru ne sauraient les retenir. Et ils ne seraient pas les seuls.
Les Nagas d'Oting, étudiés par Fùrer-Haimendorf, sont divisés en deux groupes
claniques : les Ang (aristocrates) et les Ben (roturiers). Le système de mariage
admet que les Ang s'unissent soit à des Ang d'un autre village, soit à des Ben du
même village. On ne voit pas comment on pourrait parler ici d'endogamie et
d'exogamie puisque ces notions se contredisent dans la pratique sociale. Tout ce que
l'on essaie de réaliser, c'est un état d'équilibre entre la similitude et la différence.
On ne saurait se marier qu'avec un semblable d'ailleurs ou avec un étranger de chez
soi; on doit répudier et les semblables de chez soi (les conjonctions excessives) et
les étrangers éloignés (les disjonctions dangereuses).
La stratégie générale de l'interdit de l'inceste est donc à confronter avec les
deux tendances majeures du dispositif sociologique que nous avons opposées à la
fin de la section IL Par l'un de ses versants, celui des similitudes abhorrées, elle
se rapproche de toutes les circonstances de la vie sociale où il faut protester contre
l'étranglement et la solitude ; par l'autre, celui du refus des différences excessives,
elle se confond avec le phénomène de l'ethnocentrisme : nous avons pu remarquer
que, chez les Kaguru, on considère « incestueux » le rapport entretenu par une
femme de la tribu avec un homme appartenant à ces sociétés patrilinéaires dont
les membres, insensibles à la portée culturelle de la circoncision, « ne sont pas tout
à fait humains »...
Mais prétendra-t-on, parlant des Kaguru ou des Nagas, que cette attitude qui
consiste à éviter des rapports sociaux avec des gens trop différents ou trop éloignés
est une preuve d'ethnocentrisme au sens que nous prêtons communément à ce
NOUS-MEMES, NOUS AUTRES JJ

terme ? Nous avons déjà dit que nous préférons regarder cette forme d' « ethno-
centrisme » comme l'une des limites de l'échiquier où se décide la question
fondamentale de l'identité. Est-ce à dire cependant que l'ethnocentrisme (sans
guillemets, cette fois-ci) n'existe pas ? Évidemment non. L'ethnocentrisme existe — et
le racisme, sous toutes ses formes, suffit à le prouver. Pourtant, il doit être placé
aux antipodes de l'attitude que nous venons de décrire et qui nous vaut souvent
(mais à tort) la même désignation : car si le refus des similitudes et des différences
excessives rend possible le jeu subtil de l'identité, l'attitude ethnocentrique, qui
consiste à éliminer les différences et à imposer brutalement une vision
monolithique de la culture et de la société, risque de déboucher un jour sur la perte
définitive d'un ensemble de mécanismes dont on n'aura pas saisi l'importance. A moins
qu'elle n'invente de nouveaux écarts, cette partie de l'humanité qui, sous la
pression occidentale, tend à devenir « une et identique à elle-même » (Lévi-Strauss
1961 : 24), ressemblera peu ou prou au monstre mythologique qui, guetté par la
solitude, s'acharne à dévorer sa propre substance.

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Résumé

José Carlos Gomes Da Silva, Nous-mêmes, nous autres. — Le thème de


l'ethnocentrisme — point de départ et d'aboutissement de cette étude —
sert de prétexte à une tentative de reformulation d'un problème classique :
celui de l'interdit de l'inceste et de son articulation avec le concept d'exo-
gamie. On suggère que certains des points obscurs du champ
anthropologique ne peuvent être élucidés que par un travail qui porte simultanément sur
les principes mêmes de la réflexion sociologique en général.
80 JOSÉ CARLOS GOMES DA SILVA

A bstract

José Carlos Gomes Da Silva, Us Others, We as Others. —The theme of ethno-


centrism— the issue which this study both begins and ends with — serves as a
pretext for trying to reformulate a classical problem: that of the incest
prohibition and its relationship to exogamy. The author suggests that
certain obscure points in the field of anthropological inquiry can be elucidated
by simultaneously considering the very principles governing sociological
reflection in general.

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