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Revue Philosophique de Louvain

Pérennité de Boèce, philosophe et théologien


Jacques Follon

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Follon Jacques. Pérennité de Boèce, philosophe et théologien. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 90,
n°86, 1992. pp. 192-205;

http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1992_num_90_86_6735

Document généré le 25/05/2016


ETUDES CRITIQUES

Pérennité de Boèce, philosophe et théologien*

La nouvelle collection «Sagesses chrétiennes» des Éditions du Cerf


d'unf"
vient de s'enrichir volume contenant les opuscules théologiques
de Boèce. Ces opuscules, enfin traduits en français1 et rassemblés par
Mme Hélène Merle, sont dans l'ordre: Bref exposé de la foi catholique
(De fide catholica), Traité sur la personne et les deux natures du Christ
(Contra Eutychen et Nestorium), Comment les substances, du fait même
qu 'elles sont, sont bonnes, bien qu 'elles ne soient pas des biens
substantiels (De hebdomadibus), Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont-ils
des attributs substantiels de la divinité? (Utrum pater), La Trinité est un
Dieu unique et non trois Dieux (De Trinitate). On notera que cet ordre
de présentation n'est pas celui des manuscrits et des éditions habituelles,
mais bien «l'ordre chronologique qui paraît le plus vraisemblable aux
chercheurs actuels, britanniques notamment» (p. 22), lequel ordre
présente l'indéniable avantage de montrer le développement de la pensée de
Boèce en matière de théologie, car le De fide catholica, écrit avant 512
et placé ici en premier lieu, est bien comme une «sorte de déclaration de
foi boécienne» (p. 27), où notre théologien présente des thèmes qu'il
développera par la suite dans le Contra Eutychen (écrit vers 513),
l' Utrum Pater (rédigé en 519) et le De Trinitate (composé entre 519 et

* Boèce, Courts traités de théologie. Opuscula sacra. Textes traduits, présentés et


annotés par Hélène Merle (Sagesses chrétiennes). Un vol. 19,5 x 12,5 de 152 pp. Paris,
Éditions du Cerf, 1991. Prix: 98 FF.
1 Rappelons qu'il existe déjà depuis assez longtemps diverses traductions de ces
opuscules en plusieurs langues modernes, telles que l'anglais (Boethius, The Theological
Tractates, with an English Translation by H.F. Stewart and E.K. Rand, The Consolation
of Philosophy, with an English Translation of 'I.T.' (1609), Revised by H.F. Stewart,
Londres, Heinemann (Loeb Classical Library), 1918), l'italien (Boezio, Opusculi
teologici, testo con introduzione e traduzione di E. Rapisarda, 2e éd. rev., Catane, 1960;
Severino Boezio, La consolazione della filosofia. Gli opusculi teologici, a cura di Luca
Obertello, Milan, Rusconi, 1979) et l'allemand (A.M.S. Boethius, Die Theologischen
Traktate, iibersetzt, eingeleitet und mit Anmerkungen versehen von Michael Elsâsser,
Hambourg, Meiner (Philosophische Bibliothek, 397), 1988).
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523). En même temps, le De fide catholica est certainement, de tous ces


opuscules théologiques, le plus accessible et donc, en ce sens, celui par
lequel il est recommandé d'aborder la théologie de notre auteur. Enfin,
dans le De hebdomadibus, Boèce pose sept règles intellectuelles (d'où,
probablement, le titre de cet opuscule) qui sont appliquées non
seulement dans ce traité même, mais aussi dans le De Trinitate, ce qui
constitue une raison de plus de suivre l'ordre chronologique.
Ceci dit, on ne saurait trop souligner l'importance de ces petits
traités dans l'histoire de la théologie aussi bien que de la philosophie en
Occident, et donc l'urgence de les lire ou de les relire, et surtout de les
méditer, car il s'agit là de textes d'une densité spéculative extrême, pour
la compréhension desquels l'introduction générale, qui résume la vie et
l'œuvre de Boèce, ainsi que les introductions particulières qui précèdent
chaque opuscule apportent une aide précieuse, bien que
malheureusement limitée. Rappelons-en ici brièvement le contenu. Le De fide
catholica est un exposé synthétique des points essentiels de la foi
catholique, probablement écrit à l'intention des catéchumènes de l'Église de
Rome, afin de les mettre en garde contre les grandes hérésies, encore
très actives à cette époque. Les points exposés sont dans l'ordre: 1° la
Trinité (à propos de laquelle la doctrine des catholiques est clairement
distinguée de celle des ariens, des sabelliens et des manichéens); 2° la
création du monde par le Verbe divin (et non par un démiurge); 3° les
anges (dont une partie est, par sa révolte contre Dieu et sa chute,
responsable de la première atteinte à l'ordre du monde voulu par Dieu);
4° la création de l'homme (être doté de la raison, du libre arbitre et de la
volonté de demeurer ou non sans péché dans le Paradis), sa séduction
par Satan, sa désobéissance à Dieu, son bannissement du Paradis, son
expérience de la mort (dans la perte de son fils Abel) et enfin la
transmission du péché originel à sa descendance (tout ceci contre
Pelage, qui niait précisément l'existence, la fatalité et la transmission
dudit péché); 5° les trois «réparations» opérées successivement par Noé,
Abraham (avec Israël et la lignée de David) et le Christ (dont Boèce
affirme avec force la double nature, humaine et divine, à rencontre des
hérésies tant de Nestorius que d'Eutychès); 6° la vocation véritablement
universelle du catholicisme (laquelle est, aux yeux de Boèce, une preuve
de la vérité et du caractère unique de cette doctrine); enfin, 7°
l'espérance de la fin du monde, de la résurrection des morts et du Jugement
dernier, à la suite duquel les justes auront leur récompense (consistant
dans la contemplation du Créateur) et rétabliront ainsi le nombre
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originaire des anges. Le Contra Eutychen et Nestorium, pour sa part,


reprend et approfondit un thème seulement effleuré dans le De fide
catholica, à savoir la double nature, divine et humaine, de Notre
Seigneur Jésus-Christ. On sait en effet que les Monophy sites, sectateurs
d'Eutychès, affirmaient que le Christ était formé de deux natures, mais
non en deux natures. A l'opposé, les Nestoriens soutenaient que dans le
Christ il y avait, non seulement deux natures, mais aussi deux personnes
distinctes. Or, contre les uns et les autres, Boèce explique parfaitement
la doctrine catholique, qui est, comme chacun sait (ou devrait savoir...),
que le Christ est formé à la fois de deux natures distinctes, divine et
humaine, et en ces natures mêmes, unies indissolublement dans une
seule et même personne, qui est celle du Fils. En même temps, il montre
que cette doctrine catholique constitue le juste milieu entre les deux
extrêmes opposés du monophysisme et du nestorianisme. Mais la valeur
et l'intérêt de cette démonstration aux yeux du philosophe proprement
dit viennent surtout de ce que Boèce y est amené à fournir des
éclaircissements importants sur ces termes philosophiques latins
fondamentaux que sont essentia, subsistentia, substantia et persona, dans leurs
rapports avec les termes grecs qui leur correspondent plus ou moins et
qui sont ousia, ousiôsis, hypostasis et prosôpon. Non moins intéressant
pour le philosophe est d'ailleurs le traité suivant, le De hebdomadibus,
dont on sait qu'il fit l'objet de nombreux commentaires au moyen âge.
Car, comme le dit très bien la traductrice, cet opuscule «a joué un rôle si
important par la structure conceptuelle, la terminologie philosophique et
la méthode dialectique qu'il exposait, que c'est principalement à lui que
Boèce doit d'avoir été appelé Y instituteur de l'Occident latin et le
premier des scolastiques. En effet, d'Alcuin, de Jean Scot l'Irlandais et
des écoles d'Auxerre et de Reims au IXe siècle, jusqu'aux
commentateurs les plus brillants de l'école de Chartres au XIIe siècle (...), et au
XIIIe siècle Thomas d'Aquin (f 1274) et bien au-delà, ce texte a été
constamment exploité, mémorisé comme peut l'être un manuel scolaire,
intériorisé en quelque sorte, au point que l'on ne savait même plus, à la
fin du XVIIIe siècle, d'où venait une formule manifestement boécienne
comme celle-ci: forma dat esse rei, 'la forme donne l'être à la chose',
qu'utilise Kant dans ses textes en latin» (p. 87). Si cet écrit a eu une telle
influence, c'est donc parce que Boèce, qui avait senti la nécessité,
devant le développement des hérésies, d'élaborer une théologie
scientifique, y prend comme points de départ des règles ou canons
intellectuels, comparables aux axiomes que les mathématiciens posent eux-
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mêmes au début de leurs recherches. Car c'est avec ces règles qu'il
résout la question soulevée par son ami Jean le Diacre «sur le sens dans
lequel on peut dire que les substances, du fait qu'elles sont, sont bonnes,
bien qu'elles ne soient pas des biens substantiels» (p. 99). Comme telle,
cette question venait peut-être des manichéens, pour lesquels on sait
qu'il existait deux principes équivalents, le bien et le mal, agissant et se
combattant dans l'univers. Mais Boèce démontre ici, avec une rigueur
scientifique remarquable, qu'il n'existe qu'un seul principe et que celui-
ci est bon. Enfin, dans le De Trinitate, il réfute la position des ariens, qui
introduisaient la pluralité dans la Trinité et brisaient l'unité des
personnes divines en distinguant des degrés dans les mérites de celles-ci.
Là aussi cette réfutation est éminemment philosophique (et donc, de ce
fait, accessible en principe à tout homme cultivé et de bonne volonté),
car elle se fonde sur des notions empruntées à la philosophie classique,
à savoir les concepts de différence (dans les corporels aussi bien que
dans les incorporels), de forme et de substrat matériel, ainsi que sur les
catégories aristotéliciennes de substance, de qualité, de quantité et de
relation, dont Boèce compare le statut dans les créatures et en Dieu, où
elles se trouvent transmuées. Parmi ces catégories, c'est évidemment
celle de relation qui retient tout spécialement son attention, car c'est elle
qui permet justement de définir les différences existant entre les trois
personnes de la Trinité, alors qu'elle n'affecte nullement Y essence des
choses auxquelles elle est attribuée: «Si père et fils se disent
relativement l'un à l'autre et s'ils ne diffèrent (. . .) par rien d'autre que par cette
seule relation, et si la relation n'est pas attribuée à l'objet de cette
attribution, le père/le fils, comme portant sur la chose elle-même, et
selon la réalité de la chose qui est l'objet de l'attribution, dans ce cas,
elle n'introduira aucune altérité entre les choses dont se dit l'attribution,
ni (...) entre les personnes divines» (p. 141).
Cependant, au moins aussi importante que le contenu de ces
démonstrations mêmes est certainement la méthode que Boèce suit pour
les mener et qui lui a valu précisément le titre de «premier des sco-
lastiques». Certes, dans son introduction générale, Mme Merle rappelle
à juste titre que les travaux récents de B.E. Daley ont montré «les
similitudes existant entre la méthode employée par Boèce dans ses
traités théologiques et celle de ce qu'il (Daley) appelle la première
scolastique byzantine, telle qu'elle s'est développée dans la sphère des
écoles néo-platoniciennes d'Alexandrie» (p. 16). Car en Orient, à
l'époque du concile de Chalcédoine et de Cyrille d'Alexandrie et donc
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bien avant le début du VIe siècle, la théologie s'était déjà constituée,


comme chez Boèce et pour les mêmes raisons que les siennes (la
réfutation des hérésies avec les armes de la logique aristotélicienne), «en
science rigoureuse répondant aux exigences posées par l'aristotélisme»,
ce qui veut dire que cette théologie orientale pratiquait déjà les
méthodes (scolastiques avant la lettre) d'approche d'un texte qu'elle
avait elle-même empruntée aux écoles néo-platoniciennes. D'où, chez
ces théologiens orientaux, «leur processus logique, leur souci de définir
très précisément les termes clés utilisés en christologie ou, s' agissant du
Dieu un et trine, leur souci également de poser des règles universelles
ou axiomes évidents par soi qui font, comme le dit Boèce, que la foi
chrétienne est réellement catholique, entendez universelle, puisque tout
homme raisonnant droitement peut y adhérer», (pp. 16-17). Toutefois,
admet Mme Merle, «il n'y a pas de preuve de contacts décelables entre
la scolastique byzantine et celle qui s'est développée au Ve siècle à
Rome, autour de Jean le Diacre, Symmaque et Boèce» (p. 17). Et il n'y a
pas lieu de s'étonner, ajoute-t-elle, «que la réponse des intellectuels
catholiques de Rome, placés devant des problèmes théologiques
identiques et déterminés par les positions prises à Nicée et à Chalcedoine, ait
été sensiblement la même» (p. 17).
Concluons cette brève recension par quelques remarques critiques.
1°. Au début du troisième chapitre du Contra Eutychen et Nesto-
rium (p. 59 de la traduction), Boèce donne de la personne une définition
qui deviendra classique dans la théologie chrétienne: la personne est
«une substance individuelle de nature rationnelle». Mais il ajoute
aussitôt que par cette définition les Latins désignent ce que les Grecs, pour
leur part, nomment «hypostase» (hupostasis). Et, un peu plus loin
dans le même chapitre, il entreprend de distinguer plusieurs termes
techniques importants dans le débat sur la Trinité et la personne du
Christ. Ce que les Grecs, dit-il, appellent ousiôsis, nous, les Latins,
nous l'appelons «subsistence»2 (subsistentia), et ce qu'ils appellent
hypostasis, nous l'appelons «substance» (substantia). Une chose
subsiste quand elle n'a pas besoin d'accidents pour être. Et une chose est
une substance quand elle fournit un substrat (subjectum) pour les acci-

2 La traductrice transcrit «le mot latin subsistentia, du verbe subsistere, avec un e et


non un a comme il est normal en français, par subsistence pour traduire, à la suite de
Rufin, le grec hupostasis d'Origène au sens transcendant ... de procession
intrinsèquement parfaite, ne 'sortant' pas, si l'on peut dire, de sa monade-principe, mais au
contraire restant en elle en la modalisant» (p. 60, n. 1).
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dents. C'est pourquoi les genres et les espèces, qui sont des universaux
sans accidents, subsistent, sans être pour autant des substances. En
revanche, les choses individuelles, non seulement subsistent, mais sont
aussi des substances. En effet, non seulement ces choses n'ont pas non
plus besoin d'accidents pour être (puisque leur forme les a déjà
pourvues de leurs différences propres et spécifiques), alors que les accidents,
eux, dépendent des choses individuelles pour exister, mais elles sont
aussi pour ces accidents un substrat. Or, pour désigner la substance,
poursuit Boèce, les Grecs se servent non seulement de hupostasis, mais
aussi de prosôpon, qui correspond précisément au latin persona. Ici,
note-t-il, il y a pourtant une légère différence entre les Latins et les
Grecs, puisque ceux-ci n'appliquent jamais le terme hupostasis à un
animal irrationnel, alors que les Latins peuvent se servir du mot
substantia pour parler des bêtes, mais non du mot persona. Ainsi,
l'homme a une essentia ou ousia, parce qu'il est une subsistentia ou
ousiôsis (car il n'est pas un accident dans un sujet), mais il est aussi
substantia ou hupostasis (car il est un substrat pour d'autres choses, les
accidents, qui ne sont pas des subsistentia ou ousiôseis); et il est encore
persona ou prosôpon, puisqu'il est un individu rationnel.
De tout ceci il ressort clairement que pour Boèce les termes
«substance» et «personne» sont équivalents dans le cas des individus
rationnels, de même que sont aussi équivalents les termes «essence» et
«nature», puisque, parmi les différents sens que ce dernier terme
possède, celui qui intéresse Boèce et sur la définition duquel les
catholiques et les Nestoriens sont du reste d'accord, est le sens où «la
nature est la différence spécifique qui donne sa forme à chaque chose»
(p. 56 de la traduction; voir aussi le début du chap. 4, où natura est
donné comme équivalent à' ousia). Aussi ne peut-on manquer d'être
étonné de lire dans le chapitre 7 du même traité (p. 79 de la traduction)
cette affirmation, présentée comme le juste milieu entre deux hérésies,
que dans le Christ «double est la nature et double la substance, puisqu'il
est Homme-Dieu, mais unique est sa personne, puisque c'est le même
qui est homme et qui est Dieu» {Fitque in eo gemina natura geminaque
substantia, quoniam homo-deus unaque persona, quoniam idem homo
atque deus). De même, quelques lignes plus loin (p. 79 également), on
lit encore que, selon la foi catholique (évidemment confessée par
Boèce), il y a dans le Christ «une double substance, mais une personne
unique» {restât ut ea sit uera quam fides catholica pronuntiat geminam
substantiam sed unam esse personam). Dès lors, on pourrait se
198 Jacques Follon

demander si l'emploi du vocable «substance» dans ces deux dernières


phrases n'est pas un lapsus pour «essence»; à moins que Boèce, à
l'encontre des distinctions soigneusement établies par lui-même, n'en
soit revenu, dans ces phrases, à la traduction équivoque (qui était celle
de Quintilien, Sénèque et Tertullien) de ousia par substantial. Il est vrai
que dans le chapitre 2, et donc avant les distinctions établies dans le
chapitre 3, il avait dit que «parmi les substances, les unes sont
universelles, les autres particulières», les substances universelles étant
évidemment ce que dans les Catégories Aristote appelait les substances
secondes, c'est-à-dire «celles qui sont attribuées à des individus comme
homme, animal, pierre, bois et à tout ce qui, de la même manière relève
ou du genre ou de l'espèce. . .» (p. 58). La seule explication plausible me
semble alors être celle-ci: dans les phrases traduites à la page 79, Boèce
entend «substance» au sens second, et donc comme un équivalent de
«essence». Mais c'est d'autant plus curieux qu'à la p. 80 de la
traduction, notre auteur dit qu'il lui faut maintenant «chercher comment il a pu
se faire que deux natures aient pu être réunies dans une seule substance»
(nunc quaerendum est quomodo fieri potuerit ut duae naturae in unam
substantiam miscerentur), ce qui correspond bien, cette fois, à
l'équivalence posée plus haut entre personne et substance, celle-ci étant
entendue cette fois au sens (défini au chapitre 3) de l'individu de nature
rationnelle. Toujours est-il que son langage paraît ici quelque peu confus
et qu'une note aurait été la bienvenue de la part de la traductrice pour
nous éclairer sur ce point3. . .
2°. Toujours dans la traduction du Contra Eutychen (p. 62), Mme
Merle traduit la phrase latine Ideo autem «hupostaseis» Graeci indiui-
duas uocauerunt, quoniam ceteris subsunt et quibusdam quasi acci-

3 Notons tout de même que dans son Commentaire aux «Opuscula sacra» de Boèce
(édité par E.K. Rand dans L. Traube, Quellen und Untersuchungen zur lateinischen
Philologie des Mittelalters, vol. I, 2e partie, 1906, pp. 77-78), Jean Scot Érigène observe,
à propos de la phrase «Fitque in eo gemina natura geminaque substantia, quoniam homo-
deus unaque persona, quoniam idem homo atque deus», que «substantia hoc loco
secundum Latinos pro natura ponitur», tandis qu'à propos de la phrase «nunc
quaerendum est quomodo fieri potuerit ut duae naturae in unam substantiam
miscerentur», il remarque au contraire que «substantiam hoc loco secundum Graecos pro
persona ponit. Licenter enim vel secundum Latinos substantiam pro natura ponit vel
secundum Graecos pro persona». Preuve, s'il en est, que les commentateurs médiévaux
étaient souvent plus attentifs aux textes qu'ils commentaient que ne le sont les
modernes... Mme Merle, pour sa part, ne craint pas d'affirmer, dans la note 23 de la page
61 de sa traduction, que, dans toutes ces pages du Contra Eutychen où il est question des
termes essentia, substantia, etc., «compte tenu de la difficulté propre à ces termes et à
leur traduction, Boèce est remarquablement clair (sic)»!
Pérennité de Boèce, philosophe et théologien 199

dentibus subpositae subiectaeque sunt par la tournure française suivante:


«Mais si les Grecs ont appelé hypostases les substances individuelles,
c'est qu'elles sont placées sous les autres choses, et qu'elles sont sous-
jacentes et soumises à certaines choses telles que les accidents». Il me
semble que le mot «soumises» est ici particulièrement malheureux,
parce qu'il fait irrésistiblement penser à une dépendance des substances
(ici entendues au sens premier) par rapport aux accidents, alors que c'est
tout le contraire (ce sont évidemment les accidents qui dépendent des
substances pour exister). Dès lors, pourquoi ne pas avoir traduit
subpositae subjectaeque sunt tout simplement par «sont supports et
substrats»? D'autant plus que quelques lignes plus haut (p. 61), Mme
Merle avait traduit (et paraphrasé) la phrase sub Mis (= accidentibus)
enim stat, dum subiectum est accidentibus en ces termes: «Car la
substance se-tient-sous ces accidents aussi longtemps qu'elle est, pour
eux, un 'sujet' (subjectum: placé sous), un substrat».
3°. A la page 130, dans le De Trinitate, Boèce distingue trois parties
dans la philosophie spéculative: «la science de la nature, qui porte sur
ce qui est en mouvement et non séparé de la matière (...); la science
mathématique, portant sur ce qui est sans mouvement et non séparé de
la matière (...); la science théologique, portant sur ce qui est sans
mouvement, abstrait et separable de la matière». Ici aussi une note aurait
été souhaitable pour indiquer que cette distinction se trouve déjà dans le
chapitre premier du livre VI (Epsilon) de la Métaphysique d' Aristote.
4°. A la page 133, note 26, ligne 1, je suppose qu'il faut lire
«distinction» au lieu de «destruction»!
5°. Au début du chapitre 5 du De Trinitate, page 140, on lit une
traduction à première vue assez incompréhensible. Voici en effet le texte
latin du passage traduit:
Age nunc de relatiuis speculemur pro quibus omne quod dictum
sumpsimus ad disputationem; maxime enim haec non uidentur
secundum se facere praedicationem quae perspicue ex alieno
adventu constare perspiciuntur. Age enim, quoniam dominus ac
seruus relatiua sunt, uideamus utrumne ita sit ut secundum se sit
praedicatio an minime. Atqui si auferas seruum, abstuleris et
dominum; at non etiam si auferas albedinem, abstuleris quoque
album, sed interest, quod albedo accidit albo, qua sublata périt
nimirum album. At in domino, si seruum auferas, périt uocabulum
quo dominus uocabatur; sed non accidit seruus domino ut albedo
albo, sed potestas quaedam qua seruus coercetur. Quae quoniam
sublato dépérit seruo, constat non earn per se domino accidere sed
200 Jacques Follon

per seruorum quodam modo extrinsecus accessum. Non igitur did


potest praedicationem relatiuam quidquam rei de qua dicitur
secundum se uel addere uel minuere uel mutare. Quae tota non in
eo quod est esse consistit, sed in eo quod est in comparatione
aliquo modo se habere...
Et voci la traduction de Mme Merle:
Venons-en maintenant à considérer les relations, car c'est en vue de
celles-ci que nous avons soumis à discussion tout ce qui a été dit
jusqu'ici. Celles-ci, tout particulièrement, considérées comme
établissant clairement un rapport avec l'intervention d'un facteur
d'altérité, ne semblent pas par elles-mêmes fonder une attribution.
Prenons un exemple: maître et esclave sont des termes relatifs;
voyons donc si leur relation est telle qu'il y a attribution par soi, ou
non. Or, si tu supprimes le terme «esclave», tu supprimes par là
même le terme «maître». Mais dans cet autre cas au contraire, si tu
supprimes la blancheur, tu ne supprimeras pas aussi ce qui est
blanc, car il est indispensable que la blancheur appartienne à ce qui
est blanc: la blancheur supprimée, disparaît sans aucun doute la
chose blanche. Au contraire, dans le cas du maître, si tu supprimes
l'esclave, le mot qui désigne le maître n'a plus sa raison d'être:
l'esclave n'est pas un accident du maître comme l'est la blancheur
pour ce qui est blanc, il y a là un certain pouvoir par lequel
l'esclave est soumis à son maître. Et ce pouvoir, qui n'existe plus
dès lors qu'il n'y plus d'esclave, il est clair qu'il n'est pas un
accident lié par soi au maître, mais que le maître, de façon en
quelque sorte extérieure, l'a eu en possédant des esclaves. On ne
peut donc pas dire qu'une attribution de relation, en elle-même,
ajoute, diminue ou modifie en quoi que ce soit une chose au sujet
de laquelle cette attribution est affirmée; elle consiste entièrement,
non pas en ce qui intéresse l'être de la chose, mais dans le rapport
que cette chose, de quelque manière, a avec autre chose. . .
Avouons qu'ainsi traduit, ce passage n'est pas très clair! Tout
d'abord, Mme Merle ne semble pas avoir vu que l'expression prae-
dicatio secundum se appartient au langage technique de la logique et
qu'il signifie, dès sa première occurrence dans le passage, «prédication
par soi» ou «prédication substantielle». Mais surtout, en ce qui concerne
la blancheur, Boèce semble, dans cette traduction, se contredire,
puisqu'il dit d'abord que, si l'on supprime la blancheur, on ne supprime pas
ce qui est blanc, et ensuite que, la blancheur supprimée, disparaît la
chose blanche... Enfin, dans l' avant-dernière phrase, on trouve le verbe
«ajoute», là où il faudrait évidemment le verbe «augmente», pour
conserver le parallélisme avec «diminue» et «modifie». . .
Pérennité de Boèce, philosophe et théologien 201

Aussi, en me tenant le plus près possible du texte latin et en


m' appuyant sur le commentaire médiéval de Gilbert de La Porrée, je
propose du passage incriminé la traduction suivante:
Considérons à présent les relations, en vue desquelles tout ce que
nous avons dit a été soumis à discussion. En effet, celles-ci, qui de
toute évidence existent par l'association d'un terme étranger, ne
semblent pas donner lieu à une prédication substantielle. Prenons
un exemple: maître et esclave sont des termes relatifs; voyons donc
s'il y a là prédication substantielle ou non. Si tu supprimes
l'esclave, tu auras supprimé aussi le maître. Or n'est-ce pas aussi le
cas que, quand tu supprimes la blancheur, tu auras aussi supprimé
ce qui est blanc? Mais il y a une différence: c'est que la blancheur
est inhérente, comme accident, à ce qui est blanc, d'une manière
telle qu'une fois ôtée, ce qui est blanc disparaît assurément. Mais,
dans le cas du maître, si tu supprimes l'esclave, disparaît le nom
dont le maître est appelé, et l'esclave n'est pas un accident du
maître comme la blancheur l'est de la chose blanche; mais il y a là
un certain pouvoir auquel l'esclave est soumis. Et, puisque ce
pouvoir disparaît dès que l'esclave est supprimé, il est clair qu'il
n'est pas un accident de la substance du maître, mais qu'il se
rapporte à celui-ci par l'apport, en quelque sorte extérieur,
d'esclaves.
Dès lors, tout devient clair. En effet, Boèce examine ici la catégorie
de relation et il remarque que les prédicats de cette catégorie, qui
existent par l'adjonction d'un terme extérieur, ne semblent pas produire
des attributions qui sont dites secundum se, c'est-à-dire intrinsèques ou
substantielles, en ce sens qu'elles affectent la substance même du sujet.
C'est précisément pour illustrer ce propos que Boèce produit les
exemples qu'on vient de voir. Ainsi, maître et esclave sont des termes
corrélatifs, c'est-à-dire tels que l'existence de l'un dépend de l'existence
de l'autre, car, en supprimant l'esclave, on supprime ipso facto le maître.
Mais, dira-t-on, n'en va-t-il pas de même dans le cas de la catégorie de
qualité4? En effet, quand on supprime la blancheur, on supprime aussi
4 Cf. le commentaire de Gilbert de La Porrée (dans lequel les termes de Boèce sont
insérés et figurés en majuscules): «At opponit quis dicens: cum album albedine sit,
NONne similiter etiam, SI AUFERAS ALBEDINEM, in eodem ABSTULERIS
QUOQUE ALBUM? Respondemus: utique, sublata albedine, album quoque in eodem
esse sublatum sic ut, sublato seruo, dominus quoque in eodem sublatus est. SED quamuis
hec similiter consequantur, tamen INTEREST i.e. consequendi ratio ex conexorum inter
se diuersa ratione differt QUOD scilicet ipsa ALBEDO albi ACCIDIT ipso ALBO» (The
Commentaries on Boethius by Gilbert of Poitiers, Edited by N.M. Hàring, Toronto,
Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1966, pp. 139-140).
202 Jacques Follon

ipso facto ce qui est blanc; car là aussi il y a un rapport entre deux
termes, dont l'un (la chose blanche) dépend de l'autre (la blancheur), et
l'on dit aussi bien «la blancheur de ce qui est blanc» que «le maître de
l'esclave». Certes, répond en quelque sorte Boèce, dans les deux cas la
suppression d'un terme entraîne celle de l'autre. Mais il y a quand même
une différence importante. En effet, la blancheur est un accident inhérent
à ce qui est blanc, et à ce titre c'est une qualité intrinsèque qui affecte la
substance même de l'objet auquel elle est attribuée; c'est une qualité qui
altère ou modifie l'être de la chose qu'elle qualifie, c'est-à-dire comme
le dit Jean Scot Érigène, «une qualité qui, étant l'accident d'un corps le
rend blanc, mais qui, une fois enlevée, fait qu'il n'y a plus de chose
blanche»5. Et c'est bien pourquoi Boèce parle précisément à ce propos
d'attribution secundum se ou substantielle. En revanche, dans le rapport
maître-esclave, si on supprime l'esclave, ce qui en résulte est seulement
la suppression du nom {vocabulum) qui a été attribué à l'individu appelé
«maître» et qui n'exprimait qu'un certain rapport de domination-
soumission entre lui et l'esclave, rapport qui n'était évidemment pas
pour le maître une propriété inhérente à sa personne, une qualité
intrinsèque, mais seulement une détermination extrinsèque, ne l'affectant
nullement dans sa substance. Comme le dit encore Scot Érigène, dans ce
cas «c'est seulement le mot qui périt, mais non la substance, parce que
la catégorie de relation ne se prédique pas de la substance, mais bien des
termes (yocabulis)». Car dans une relation ce sont les termes qui sont
dans un rapport de dépendance réciproque: «quand le nom de l'un
disparaît, disparaît aussi le nom de l'autre; par exemple, on ne parle pas
d'un maître s'il n'y a pas un esclave qu'il domine, ni, réciproquement,
d'un esclave, s'il n'y a pas un maître. Mais blancheur et chose blanche
ne sont pas de tels termes relatifs, parce que la blancheur appartient
substantiellement à ce qui est blanc, et quand on dit blancheur, on ne
comprend pas aussitôt chose blanche, car la blancheur peut être sans la
chose blanche»6. D'où la conclusion de Boèce:

5 Ed. Rand, p. 44.


6 Voici le texte entier de cette intéressante glose de Scot Erigène (dont les phrases
en italique sont traduites dans le corps de l'article): «Vocabulum tantum périt, non autem
substantia, quia categoria ad aliquid non praedicatur de substantia, sed de vocabulis,
quo pendet alterum ex altero et dicuntur aliquo modo se habere atque convertuntur
adinvicem et dum unius périt vocabulum, périt et alterius; ut dominus non dicitur, nisi sit
servus cui dominetur, neque servus, nisi sit dominus. Albedo vero et album non sunt ita
relativa, quia substantialiter albedo accidit albo, et cum dicitur albedo, non statim
intelligitur album. Potest enim haec esse sine hoc.» (éd. Rand, p. 44).
Pérennité de Boèce, philosophe et théologien 203

On ne peut donc pas dire qu'une prédication relative ajoute, retire


ou change quelque chose de substantiel de ce dont elle est dite.
Cette prédication consiste entièrement, non pas dans ce qui est
l'être, mais dans le fait de se trouver, de quelque manière, en
comparaison...
Évidemment, si cette démonstration (qui dit que, contrairement à la
catégorie de qualité, la catégorie de relation est une propriété
extrinsèque, qui n'altère pas la substance ou l'être des choses auxquelles elle
est attribuée), est tellement importante pour Boèce, c'est parce qu'elle
va lui permettre de montrer, dans la suite du De Trinitate, que la relation
Père-Fils n'affecte pas les personnes divines dans leur être divin et
n'introduit aucune altérité entre elles.
La traduction que j'ai proposée plus haut suppose bien sûr un point
d'interrogation à la fin de la phrase «at non etiam si auferas albedinem,
abstuleris quoque album», au lieu de la virgule qu'on trouve dans la
Patrologie latine de Migne, qui a été reprise par tous les autres éditeurs
modernes du texte. Si l'on veut toutefois conserver cette ponctuation
traditionnelle, la seule solution possible me semble être de s'orienter
vers une traduction comme celle que H.F. Stewart et E.K. Rand ont
donnée dans la Loeb Classical Library (Boethius, The Theological
Tractates and the Consolation of Philosophy, Londres, Heinemann,
1918, p. 25; les italiques, qui soulignent la phrase en question, sont de
nous):
For instance, master and slave are relative terms; let us see whether
either of them are predicates of substance. If you suppress the term
slave, you simultaneously suppress the term master. On the other
hand, though you suppress the term whiteness, you do not suppress
some white thing, though, of course, if the particular whiteness
inhere as an accident in the thing, the thing disappears as soon as
you suppress the accidental quality whiteness. But in the case of
master, if you suppress the term slave, the term master disappears.
But slave is not an accidental quality of the master, as whiteness is
of the white thing; it denotes the power which the master has over
the slave.
Cependant, on admettra que ces lignes de Stewart et Rand tiennent
davantage de la paraphrase que de la traduction proprement dite. C'est
que, pour donner un sens acceptable à leur prose, les traducteurs ont été
obligés d'y introduire des termes qui ne se trouvent pas dans le texte
latin. En particulier, on constate qu'ils ont traduit la première occurrence
d' albedo {albedinem) par «the term whiteness», et la seconde {albedo)
par «the particular ■ whiteness», eomme si Boèee avait voulu opposer la
204 Jacques Follon

blancheur en tant que terme abstrait ou élément purement linguistique


ou logique à la blancheur comme propriété concrète de telle chose
blanche. Dans ce cas il faudrait alors comprendre le texte de Boèce
comme suit:
Prenons un exemple: «maître» et «esclave» sont des termes relatifs;
voyons donc s'il y a là prédication substantielle ou non. Si tu
supprimes le terme «esclave», tu auras aussi supprimé le terme
«maître». En revanche, même si tu supprimes le terme «blancheur»,
tu n'auras pas supprimé aussi une quelconque chose blanche; au
contraire, il y a cette différence que la blancheur (concrète) est un
accident inhérent à une chose blanche, de sorte que celle-ci
disparaît dès que cette blancheur est ôtée. Par contre, dans le cas du
maître, si tu supprimes le terme «esclave», disparaît le terme sous
lequel est désigné le maître, etc.
Selon une telle traduction, Boèce comparerait donc le rapport entre
deux mots ou termes tel qu'il existe dans une attribution de relation
comme «L'esclave du maître» ou «L'esclave est (appartient) au maître»,
avec le rapport entre un terme et une chose tel qu'il existe dans une
attribution de qualité comme «La blancheur de la chose blanche» ou «La
blancheur est (appartient) à la chose blanche». Et il tirerait la conclusion
que, si la suppression du terme «maître» entraîne bien la suppression du
terme «esclave», en revanche la suppression du terme «blancheur»
n'entraîne pas la suppression de la chose blanche elle-même,
précisément parce que la blancheur est un accident inhérent à toute chose
blanche, c'est-à-dire une qualité intrinsèque qui affecte la substance
même de l'objet auquel elle est attribuée, une qualité donc qui altère ou
modifie l'être de la chose qu'elle qualifie, et pas seulement un terme
exprimant une relation extrinsèque de l'objet avec quelque chose
d'autre, comme dans le cas de la relation maître-esclave, ainsi que
Boèce l'explique dans la suite. A partir de là, on retomberait
évidemment sur l'interprétation que j'ai donnée plus haut de la différence entre
attribution de relation et attribution de qualité.
Je laisse aux spécialistes de Boèce le soin de décider laquelle de ces
deux traductions ou exégèses de ce passage difficile est la plus
vraisemblable... Pour ma part, je me demande quand même si la seconde ne
suppose pas trop de sous-entendus. En tout cas, je soutiens que la
plupart des autres traductions modernes, dont celle de Mme Merle, sont,
pour les raisons que j'ai dites plus haut, incompréhensibles et donc
inacceptables.
Pérennité de Boèce, philosophe et théologien 205

6°. Dans la traduction du chapitre 6, au début de la page 143, on lit


la longue phrase suivante:
Mais puisque aucune relation ne peut se reporter à elle-même, vu
qu'elle est en elle-même une attribution dépourvue en tant que telle
de relation, la multiplicité de la Trinité est le résultat du fait qu'il y
a attribution de relation, mais l'unité a été préservée du fait qu'il
n'y a aucune différence soit de substance, soit d'activité, soit, en
général, de toute attribution se disant par rapport à elle-même.
Or la traduction de la fin de cette phrase, qui correspond au latin vel
omnino eius quae secundum se dicitur praedicationis, est ambiguë, car
il ne s'agit pas d'une «attribution se disant par rapport à elle-même» (ce
qui peut signifier une attribution se disant par rapport à cette attribution
même), mais, encore une fois, d'une prédication secundum se ou
substantielle, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà vu, d'une prédication
affectant la substance de l'objet auquel elle s'applique. Ici, d'ailleurs, la
traduction «attribution se disant par rapport à elle-même» est d'autant
plus étonnante qu'à la ligne 8 de la page 140, Mme Merle avait traduit la
même expression «secundum se praedicatio» par l'équivalent français
«attribution par soi». . .
De toute façon, dans l'ensemble, étant donnée la densité des textes
traduits, on aurait aimé des introductions et surtout des notes un peu plus
substantielles, notamment à propos des passages difficiles que j'ai
signalés7. Il reste cependant que, malgré un certain manque de rigueur
dans la traduction, ce petit livre a tout de même l'immense mérite de
rendre accessible à des lecteurs qui ne lisent pas facilement le latin ou
qui sont tout simplement pressés, des écrits qui, on l'a montré, ont joué
un rôle considérable dans le développement de notre tradition
philosophique aussi bien que théologique.

Louvain-la-Neuve,
Université Catholique de Louvain,
Institut Supérieur de Philosophie. Jacques Follon.

7 D'une manière générale, ce devrait être une règle des traductions en langues
modernes de textes de philosophie ancienne et médiévale, que de proposer des notes
explicatives pour éclairer les passages difficiles, ainsi que l'a fait J. Tricot, par exemple,
pour ses traductions d'Aristote.

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