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Jacques Blondel

De la réforme au puritanisme
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°4, 1977. pp. 5-19.

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Blondel Jacques. De la réforme au puritanisme. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et
XVIIIe siècles. N°4, 1977. pp. 5-19.

doi : 10.3406/xvii.1977.916

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1977_num_4_1_916
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DE LA REFORME AU PURITANISME

Ce fut entre 1556 et 1564 que le terme de "puritain"


fut appliqué aux membres de l'Ecclesia Anglicana qui
s'avisèrent de contester la réforme, incomplète à leurs yeux,
confirmée par l'Acte de Suprématie d'Elisabeth Ire (1559). Les
"puritani" avaient été au Ille siècle, bien avant les Cathares,
des sectataires soucieux d'une plus rigoureuse discipline dans
le culte; d'une autre manière, les adversaires du régime
ecclésiastique, indifférents à la fois aux conseils de modération
prodigués à leur endroit par Calvin, et aux injonctions de
l'épiscopat anglican, refusèrent avec l'audace et souvent le
fanatisme que l'on sait, d'admettre le principe royal d'Henry
VIII - Cujus regio ejus religio . Tel est le visage du
puritanisme anglais légué par l'histoire. La réalité est toutefois
plus complexe. Le terme même a servi à couvrir bien des formes
de pensée et des attitudes religieuses et politiques parfois
contradictoires .
On ne peut oublier en premier lieu que le puritanisme,
phénomène essentiellement anglais au départ, se situe dans la
tradition des réveils sociaux et religieux comme celui que
suscitèrent, dans les temps troublés du règne de Richard II au
XlVe siècle, les "Lollards", prédicateurs itinérants, suspects
d'hérésie, fidèles de Wyclif, dont la traduction du Nouveau
Testament en anglais avait été brûlée par ordre de la Papauté.
Cependant, au Siècle d'Or, la volonté d'une réforme plus poussée
de l'Eglise (Root and Branch, comme on dira au siècle de Cromwell),
ne recouvre pas toute la réalité puritaine. Henry Parker,
contemporain de Milton, distinguait quatre types de puritains selon
leur attitude vis-à-vis de la politique de l'Eglise, de la
religion, de l'Etat et de la vie morale. Les deux premiers
s'appliquent à ceux qui, sans vouloir quitter la nef anglicane,
exigeaient que toute tentation de renouer avec Rome fût écartée.
Mais plus généralement, l'opposition à l'égard d'un gouvernement
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soutenant l'Eglise établie est le fait du puritain. Citons


encore Henry Parker à ce sujet :

If they hold not against Parliaments and with Ship


Money, they are injurious to Kings; and to be
injurious to kings is proprium quarto modo to be a
Puritan (2) .

Toute la polémique de Milton contre l'arbitraire royal relève


de cette opposition réfléchie aux prérogatives de la couronne
Stuart, ou, en d'autres termes, à 1 'érastianisme érigé en
principe par le clergé anglican, et même le presbytérianisme
auquel se heurta Milton dans Areopagitica (1644) . Ainsi
recouvrira-t-il par extension des attitudes morales, et en
particulier dans le domaine civique, qui n'impliquent pas
nécessairement une doctrine propre :

. . . Men of strict life and precise opinions which


cannot be hated for anything but their singularity
in zeal and piety . . . The number of such men is
... small, and their condition ... low and dejected.
But they which are the Devil's chief artificers in
abusing this word . . . can so stretch and extend the
same, that scarce any civil honest Protestant ...
can avoid the aspersion of it (3) .

Il faudra donc bien distinguer un puritanisme d'église et une


mentalité puritaine étrangère et hostile aux structures
traditionnelles dont les sectes, au cours de la Guerre Civile,
traduiront souvent la volonté de subversion politique et éthique
(Ranters, Levellers, Diggers, et partiellement seulement les
Quakers). Celles-ci s'écartent de l'inspiration théologique
des Réformateurs. Mais dans l'Eglise anglicane, un John Donne,
devenu Doyen_de_Saint-Paul,_peut~déclarer- en -chaire :-

Men and Brethren, I am a Puritan, if Puritanism


means opposing oaths and profanation of the Sabbath.

On savait en effet que les royalistes aimaient jurer; on devait-


surnommer "Daitimees" les Cavaliers. Il est vrai que la doctrine
relative à l'observance du "Sabbat" était d'origine puritaine
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(1595), mais elle ne fait que confirmer ce que l'épiscopat


anglican avait déjà établi à l'endroit des "church ales, May
games, morris dances and other vain pastimes" (Bishop Cooper
of Winchester, 1575) . Le très anglican Lancelot Andrewes et
les amis de l'archevêque William Laud, favorables par ailleurs
à un retour au ritualisme catholique, tenaient autant que les
puritains au respect du dimanche. Ils s'accordaient avec les
puritains qui jugeaient conforme à la loi divine d'entendre
deux sermons ce jour-là, par respect du quatrième commandement
de Moïse. Ainsi le pensait Calvin. Le roi presbytérien Jacques 1er
se montra plus conciliant; dans The Book of Sport (1618) , il
recommandait :

that after the end of Divine Service, our good


people be not disturbed, letted, or discouraged
from any lawful Recreation; such as dancing, either
men or women, Archery for men, leaping, vaulting or
any such harmless Recreation, nor from having of
May-Games Whitsun-Ales, and Morris-Dances, and the
setting up of Maypoles and other sports therewith
used. (Cité par John F.H. New, Anglican and Puritan,
1964, p. 24) .

Charles 1er reconduisit cette décision, au grand scandale de


puritains intransigeants comme William Prynne. Ainsi
l'entendait de son côté un Gouverneur de Nouvelle-Angleterre, pays
neuf où la règle puritaine allait jusqu'à interdire la fête
de Noël, soupçonnée d'être entachée de "papisme". On a avancé
que l'obligation de ne pas se distraire comme les honnêtes gens
était liée aux exigences d'ordre économique :

such innocent and indifferent celebrations were


unscriptural and economically dangerous.
(H.W. Schneider, The Puritan Mind, 1958, p. 82)

Sagement, le roi refusait de voir d'un mauvais oeil que le


peuple dansât autour du mât de mai, symbole de la joie
villageoise (et tentation pour le jeune Bunyan) :

I could not read the Scriptures in our family without


the great disturbance of a tabor and pipe and noise in
- 8 -

the street ,

écrit Richard Baxter, puritain d'une sérénité exemplaire. Plus


virulent, Prynne, ennemi des réjouissances, s'écriait en 1618 :

What could Beelzebub, had he been the Archbishop,


have done more than in publishing the book against
Sunday?

Autoriser certains divertissements le jour du Sabbat, ce sera,


aux yeux des puritains, ébranler la structure même de la
société en permettant ainsi aux serviteurs de ne plus respecter
leurs maîtres, aux enfants, leurs parents. La religion et
l'économie domestique avaient conclu une alliance que nul
puritain n'aurait osé dénoncer comme diabolique : "Religion,
the guard of property" (4) . "Parce que tu es un puritain,"
demande la brave servante Maria à Malvolio (Twelfth Night,
1603), "crois-tu donc que l'on n'aura plus le droit de boire
de la bière et de manger des gâteaux?". Les brocarts ne
manquent pas, on le sait, à l'endroit de "tels gens creux, les
faux élus" ("the hollow crew, the counterfeit elect", selon
George Wither). Il suffit d'évoquer aussi l'Angelo de Measure
for Measure pour rappeler que l'habit ne fait pas le moine,
ou Zeal-of-the-Land-Busy dans Bartholomew Fair (1614) de
Ben Jonson, personnage dominé par ses "humeurs" gourmandes.
Cependant l'excès de sérieux et la tentation inévitable
d'hypocrisie qui l'accompagne, seront plutôt le fait de certains
groupes "séparatistes".

John Earle (1601-65) , du camp royaliste, écrivant des


"Caractères" à la manière de Théophraste et de son contemporain
Overbury, laisse ce portrait du puritain :

A Puritan is a diseas'd peece of Apocrypha : bind


him to the Bible and he corrupts the whole text :
ignorance and fat feed are his founders . . . His
life is but a borrowed blast of wind, for betweene
two religions as betweene two doores, he is ever
whistling. Truly whose child he is, is yet unknowne,
for willingly his faith allowes no father . . . Women
9 -

and lawyers are his best disciples, the one, next


fruit, longs for forbidden doctrine, the other to
maintain forbidden titles, both of which he sowes
amongst them Honest he dare not be for that loves
order; yet if he can be brought to cérémonie and
made but master of it, he is converted.

Owen Feltham n'est guère plus favorable :

Methinks the reading of Ecclesiastes should make


a Puritan undress his brain and lay off all those
Phanatique toyes that giggle about his understanding.
For my own part I think the world hath not better
men than some that suffer under that me (puritan)
nor withall more scelestique villains. For where
they are once elated with that pride, they so contemn
other that they infringe the laws of all human
society. (Resolves Divine and Moral, Political, 1623)

L'on a assez écrit sur l'orgueil puritain, masque fragile,


proie légitime de la satire, pour qu'il soit nécessaire d'aller
au-delà de ce que l'on a justement appelé "la délectation
sereine de ses propres vertus" (5) .11 n'est pas question de
décrire le puritain idéal; mieux vaut s'appliquer à retrouver,
dans la psychologie d'une mentalité, ses traits spirituels.

La piété puritaine, qui tend à être non-conformiste


elle-même par rapport à ses origines réformées, est le propre
de croyants voués à l'errance et à la persécution, hors de la
période cromwellienne, membres de communautés sans prêtres,
sollicitant toujours l'exhortation, entretenant "la superstition
du sermon", l'instruction catéchétique et la connaissance
exhaustive de la Bible. Hobbes pouvait faire remarquer qu'aux
alentours de 1640, nombre de jeunes enfants avaient déjà lu deux
fois la Bible. En un temps Milton dénonçait le mauvais clergé
("Blind Mouths" "Bouches sans yeux", Lycidas, 1638), "the most
zealous preachers of the Gospel were the most diligent barkers
against the popish wolf". La hiérarchie anglicane pouvait faire
preuve de quelque réticence quant à la nécessité d'instruire le
bas clergé et le peuple, l'impulsion venait de celui-ci. Quel
était donc le fondement de sa ou de ses croyances?
Le puritain sait, par l'attention scrupuleuse qu'il porte
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à l'Ecriture et par son expérience politique, qu'il ne peut


s'installer dans le siècle, qu'il est "étranger et voyageur"
(I, Pierre, 2, II), ou, si l'on préfère, "pèlerin", tels
Bunyan et bien d'autres avant lui. "La grande Babylone" de
1 'Apocalypse à laquelle la prédication fait souvent allusion,
c'est ce que Saint Augustin appelait la civitas terraena.
Dieu est absent. Ce peut être aussi la Rome des Papes, à la
robe écarlate ... Mais selon la foi qui oeuvre à travers l'amour
selon la formule même de Saint Augustin ("perplexae quippe
sunt ista duae civitates", Civitas Dei) , se fonde l'espoir de
la cité céleste. C'est cette vision eschatologique qui se
détache au fond du tableau dramatique laissé par Milton
lorsqu'il songe au Massacre perpétré en 1655 par le Duc de
Savoie contre les Vaudois du Piémont . . .

that from these may grow


A hundredfold, who, having learnt thy way,
Early may fly the Babylonian woe (6) .

Fuir le monde perdu, cette "massa perdita" dont parle encore


l'évêque d'Hippone, oui. Mais que faire pour avoir l'assurance
du salut au terme du voyage? Il y eut un désespoir puritain
devant la crainte, collectivement entretenue, de la damnation.
On pouvait aux alentours de 1630, lire des traités intitulés
comme celui-ci Life's Preservation Against Self -Killing (Sym,
1637) . William Perkins, prédicateur puritain, écrivait en
1612 : "Despair came and went in fits after the manner of an
ague". Sans doute est-ce là la marque plus accusée de la pensée
luthérienne selon laquelle l'effroi de la conscience devant le
péché doit frayer la voie à l'apparition de la foi : ce sera
cette évolution que suivra le pèlerin de Bunyan; il ne
rencontrera le Christ qu'une fois saisi d'angoisse par le poids de
son fardeau. C'est la prise de conscience du dénuement total de
l'homme sans Dieu que résume ainsi Thomas Goodwin :

Examine what we offer up to God . . . That righteousness


which enkindled in thy heart and blazeth in thy life,
whence was it first enkindled? By the Holy Ghost burning
up thy lasts ... or is it no more than that whereas
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everyman hath some sparks of ingenuity and honesty


towards others and of sobriety and devotion to a
Deity raked up in the ashes of corrupt nature (for
even the Heathen have the Law written in their
hearts, Romans , 2, 14)... yet know that there be no
other principle nor no more, it is but fire of your
own kindling and you will lie down in sorrow.
(A Child of Light Walking in Darkness, 1638)

On trouve ici l'expression même, la plus outrée, de 1'


antihumanisme puritain, la voie d'un certain ascétisme que Milton,
entre tous, récusait en évoquant "the human face divine"
(Paradise Lost, III, 44), refusant de confondre la création
originaire et le péché originel. C'est ce qui faisait dire à
l'historien Gardiner :

Puritanism was the demand for more than could be


achieved by human nature till the search for ideal
beauty and goodness led to contemptuous blindness
to the beauty and goodness inherent to our mingled
nature (7) .

Pour mieux comprendre un tel radicalisme, il convient de se


rappeler qu'au coeur même de la Renaissance anglaise, le choix
devait pour beaucoup se faire entre la proclamation de
l'autonomie totale de l'homme et celle de sa dépendance vis-à-vis de
la volonté de Dieu. Mais il faut dire que l'interprétation
pessimiste la plus désespérée n'est le fait que des stoïciens
se réclamant du drame de Sénèque et dont on sait que le drame
élisabéthain s'inspira.
"How tedious is a guilty conscience," déclare un perSOn-
nage de Webster, face à la mort . Mais de tels tourments
n'étaient sans doute pas le fait de ceux qui avaient accepté
la doctrine calvinienne de la prédestination :

The fierce young don, the learned lady, the courtier


with intellectual leanings were very likely to be
Calvinists . . . When hard rocks of Predestination
outcrop the flowery soil of The Arcadia or The Faerie
Queene we are apt to think them anomalous, but we are
wrong (9) .
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La réponse que les croyants qui s ' interrogeaient avec


angoisse sur leur destin, leur eût été fournie par Luther,
dans l'un de ses Commentaires les plus lus (sur l'Epitre aux
Galates) :

Si tu veux être sauvé, si tu en doutes, prononce


ta prière et tu peux conclure que tu l'es vraiment .

Anglicans et Puritains, à l'intérieur même de leur


Eglise ou séparés d'elle, se réclamaient unanimement de
l'autorité souveraine des Ecritures en matière de foi. On se trouve
donc embarrassé pour entendre ce que signifiait un théologien
du XVIIe siècle, William Chillingworth, en proclamant : "The
Bible, I say, the Bible only is the religion of the
Protestants" .11 s'exposait par son "Latitudinarisme" aux
reproches des Calvinistes, se réclamant pourtant du même
principe. La formule caractérisait un comportement généreux, mais
ne rendait pas suffisamment compte de la manière dont l'autorité
scripturaire pouvait être comprise. Les "Royalistes" ne
manquèrent pas de dénoncer l'esprit batailleur et polémique de
leurs adversaires; ainsi Samuel Butler dans Hudibras (1663-78)
décrivant les Presbytériens :

Stubborn crew
Of errant Saints, whom all men grant
To be the true Church Militant :
Such as do build their faith upon
The holy Text of Pike and Gun,
Decide all controversy by
Infallible Artillery .

Mais à rester sur un plan trop général, on risque de passer à


côté de l'essentiel : pourquoi fallait-il mettre l'accent sur
le texte révélé? C'est la raison d'être de la prédication telle
qu'on l'entendait alors : l'Archevêque Grindal disait à la
reine en 1575 : "Preaching is the only mean and instrument of
the salvation of mankind". Mais la hiérarchie inspirée par
l'Archevêque William Laud, inclinant aux pratiques catholiques,
soixante ans plus tard, était plus réticente :
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What edification have we by our Bishops, unless


edification of altars, images and popery? But for
edification by the Word, who are the greater enemies
thereunto than bishops? Preaching twice a day is
sufficient to put a conformable minister into their
black bill . . . There are divers thousands of
congregations without a preaching ministry (11) .

Pour tracer les lignes de force du message biblique


inlassablement développé et commenté par le sermon, le traité,
la catéchèse, les puritains portaient plus volontiers l'accent
sur 1 'Apocalypse, en raison même de leur vision d'une Nouvelle
Jérusalem, et retenaient au fond d'eux-mêmes la certitude
d'appartenir au "peuple en marche sortant du pays d'Egypte"
et guidé par Moïse; d'autre part, les presbytériens d'Ecosse
étaient attentifs, avant tout, à affermir la doctrine de
l'Eglise et mettaient plus volontiers l'accent sur la pensée
paulinienne. Ainsi, deux tendances parallèles se côtoyaient :
celle des "spirituels" d'un côté, et celle des "orthodoxes"
de l'autre, auxquels se joignaient pour une large part les
anglicans partageant avec ces derniers l'idée d'un même Corpus
Christianum.
C'est sur ce deuxième point que la distinction apparaît
entre anglicans et puritains quand on se réfère à la christolo-
gie. L'église anglicane, restée proche de la chrétienté
médiévale, conserve le ministère sacerdotal et, donnant une importance
moindre à la prédication, fonde l'autorité du magistère sur la
succession apostolique, le triple ministère des évêques, des
prêtres et des diacres. La christologie anglicane exalte le
Christ "souverain sacrificateur" (Hébreux, VI, 26) pour justifier
la médiation sacerdotale de l'église.
Du côté "réformé", calviniste, luthérien, zwinglien
(très marqué dans les milieux dissidents), s'affirme la doctrine
qui institue toute l'église comme sacerdotale, toute hiérarchie
entre prêtres et laïcs étant abolie. L'ordre des "ministres",
et non plus celui des "prêtres", ne constitue pas une cléri-
cature et n'est là que pour enseigner et signifier par les
sacrements que tout le corps de l'église constitue une prêtrise
de fait. Toute l'église est sacerdotale; en son sein, les minis-
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très exercent, seulement une fonction particulière.

La conception anglicane, voisine de la doctrine romaine,


fonde la prêtrise sur celle de l'ancien Israël, selon l'ordre
d 'Aaron (12)' , tandis que la conception réformée dont héritera
le puritanisme est fondée sur le "Nouvel Israël", ce qui ne
justifie plus ni la prêtrise, ni la succession apostolique.
Telles sont les positions théologiques qui déterminent
les conceptions politiques et divisent la nation en deux
camps. Leur affrontement coûta la vie à Charles 1er en 1649.
La controverse, en un temps où seule la force des armes
confirmait la justice d'une cause - ici "the good old cause" -
démontrait que l'unité religieuse était impossible. Le
compromis anglican (via media) institué par Elisabeth Ire dissipait
tout rêve d'une chrétienté théocratique après la mort de
Cromwell (1659) . Les dissidents, ainsi appelés à partir de
1662 (date du renouvellement de l'Acte d'Uniformité signé par
la souveraine en 1559), sous Charles II, restèrent moins un
ferment de subversion politique qu'un levain d'où surgirait au
XVIIIe siècle un nouveau réveil - le Méthodisme en Angleterre,
et, en Amérique, le piétisme de Jonathan Edwards. La grande
famille des Whigs est héritière du puritanisme politique.
Ainsi dans le dernier tiers du siècle, le puritanisme,
en entendant par là le souci de rester à la fois trinitaire en
théologie et méfiant vis-à-vis de l'autorité d'un magistère
institutionnel, faisait figure d'attardé. Qu'on en juge par cet
extrait d'un sermon de John Tillotson (devenu archevêque de
Canterbury en-1691), où l'on devine un jugement implicite, à
peine voilé, contre l'esprit de ceux qui avaient pu trouver en
Bunyan leur inspirateur :

To the same merciful Providence of God we owe that


whilst we continue in life we have any comfortable
possession and enjoyment of ourselves and of that
which makes us men, I mean our Reason and our
understanding : That our Imagination is not let loose upon
us, to haunt and torment us with melancholick
freaks and fears; That we are not deliver 'd up to
the horrors of a gloomy and guilty mind : That every
day we do not fall into frenzy and distraction, which
next to wickedness and vice is the sorest calamity
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and saddest disguise of human Nature (Sermon XL,


1692) (13).

La voie était ouverte au déisme, au "Christianisme


raisonnable" de John Locke, à la religion du sentiment réprouvée
par Bunyan (1696) (14) .La vision première des deux royaumes,
qui, nous l'avons vu, est au centre de la spiritualité
puritaine, va s'estomper, la Cité Céleste vers laquelle s'avancent
les pèlerins de Bunyan se voile au profit de la cité terrestre
dans laquelle le souverain bien prend le visage de la réussite
sociale et de la tranquillité politique. L'esprit bourgeois
qui avait triomphé, avec la sauvegarde des libertés religieuses
essentielles, enseignerait de plus en plus la soumission aux
autorités, tout en tenant en bride le "zèle" évangélique,
désormais l'apanage des mystiques, des sectes issues des Nive-
leurs, des "Ranters" dispersés. Il est significatif qu'au temps
où Bunyan est très écouté et largement dans les campagnes du
sud, l'esprit latitudinaire se développe. Cette formule de
Richard Cumberland, évêque de Peterborough, répond bien à
l'attente d'une époque lasse des controverses théologiques :

Happiness rather than salvation is our being's end


and aim (15) .

Pope, plus nettement encore, proclamera en 1732 :

Self-love but serves the virtuous mind to wake


(Essay on Man, IV, 363) .

On ne saurait parler d'un effritement du puritanisme, mais


plutôt d'une mise en question par des esprits aussi divers que
les anglicans eux-mêmes, platoniciens de Cambridge, les
philosophes épris d 'Epicure, ou les partisans de Hobbes. Qu'il y
eut, dès l'origine, des éléments étrangers à l'inspiration
chrétienne dans le puritanisme, est incontestable, tout autant
que le fait qu'il n'ait pas résisté à la critique rationnelle
dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

Jacques BLONDEL
Université de Clermont-Ferrand
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NOTES

Calvin, écrivant au Protecteur Somerset, sous le règne du


jeune Edouard VI, fils d'Henry VIII et de Jane Seymour,
l'admonestait de "couper la broche à toute invention et
curiosité nouvelle de ceux qui ne demandent qu'à extra-
vaguer" et l'invitait "à ébrancher plus qu'à demi la
chrétienté anglaise, pour ce que d'aucuns sous ombre de
modération sont d'avis qu'on épargne beaucoup d'abus sans y
toucher, leur semble que c'est assez d'avoir déraciné le
principal ..." in Lettres aux Anglais, rééd. Berger-Levrault
(1959) , pp. 56-9.

"En quelles folles raisons s'entortillent ceux qui par


folle ambition s'élèvent outre les limites que Dieu leur
avait établie " (Commentaire sur l'Epître aux Romains). Le
texte visait les mystiques, ou "spirituels", aussi appelés
les "fantastiques".

Il faut évoquer la fraction de puritains qui voulurent


par la violence réformer l'église établie, tel Kirkrapine,
personnage allégorique de Spenser :

"He was to weete a stout and sturdie thief e,


Wont to robbe Churches of their ornaments,
And poore mens boxes of their due relief e,
Which giuen was to them for good intents;
The holie Saints of their riche vestiments
He did disrobe, when all men carelesse slept
And spoild the Priests of their habiliments,
Whiles none the holy things in safety kept;
Then he by cunning sleights in at the window crept."
(The Faerie Queene, I, III, 17)
La "Martin MarPrelate Controversy" représente l'opposition
au compromis anglican. Il faut distinguer cette fraction de
celle des "Separatists", dont le chef était Robert Browne.
C'est
"puritain"
à eux. que s'appliquait plus volontiers l'adjectif

Cité par Ch. Hill, Society and Puritanism in Pre-Revolution-


ary England (Londres, 1964) , p. 23. "As he is more generally
in these times taken, I suppose we may call him a church-
rebel, or one that would exclude order, that his brain
might rule" (Owen Felltham, 1602-68, Resolves, circa 1620).

Loc. cit. p. 27.

L'expression se trouve sous la plume d'un certain Osborn qui


dénonce la subversion sociale et l'hypocrisie "of all those
who cheated under a pretence of sanctity" (loc. cit. p. 26) .
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"La période révolutionnaire fut dans l'ensemble hostile aux


misérables ... De plus en plus on associe pauvreté et vice
et on songe davantage à combattre le vagabondage qu ' à
pratiquer la charité et à procurer des ressources" in R. Marx,
L'Angleterre des Révolutions (Colin, U2 , 1971), p. 230.

5. L'expression est d'A.M. Schmidt, Protestantisme français


(Paris, 1945>, p. 56.

6. ... avant peu fais surgir


Un troupeau plus nombreux cent fois, qui sache fuir,
Tandis qu'il en est temps, Baby lone et ses crimes"
(Trad. E. Saillens, Aubier, 1971)

On comprend ces propos de Richard Baxter, pasteur


presbytérien, éminemment tolérant qui au reste devait se
prononcer en 1660 en faveur du retour du roi Charles II :
"Puritanism made the world to me a carcass that hath
neither beauty nor loveliness. It caused me first to
seek God's Kingdom and his Righteousness and most to
mind 'the one thing needful1 and to determine first
my ultimate end".
(Cité dans l'ouvrage de Hugh Martin, Puritanism and Richard
Baxter, 1956) .

En termes semblables, la pieuse méthodiste, Dinah Morris,


dans Adam Bede (1859) répond à Mrs. Poyser qui veut la
retenir auprès d'elle en paix, après ses épreuves : "It is
a temptation that I must resist, lest the love of the
creature should become like a mist in my soul shutting out
the heavenly light". (Livre 6, chap. 49).
On ne saurait mieux marquer comment la piété ainsi conçue
aboutit à un angélisme fort éloigné de l'Evangile même dont
il se veut inspiré.

7. Ce jugement est corroboré par Th. Spencer, Shakespeare and


the Nature of Man, 1949 :
"As we look back upon the period we are tempted to ask
whether Protestantism, like the earlier glorification of
man's capacity to raise himself to an angelic level, did
not put more responsibility on human nature than it could
stand, so that, for the time being, a reaction was bound
to set in".
Cette réaction, ce sera le courant pessimiste jacobéen et
la "nausée" qui l'accompagna, de Hamlet à la satire de Donne,
le premier déclarant : "Man delights me not, nor woman either"

8. The Duchess of Malfi, V, 5 (1614).


Les influences du néo-stoïcisme sur certains puritains ne
sont pas négligeables. Ainsi, lassé par l'insistance de
plusieurs de ses coreligionnaires en matière de doctrine
relative au salut des seuls élus, William Walwyn (né en
1600) s'affranchit de l'orthodoxie puritaine. Il fut jugé
- 19 -

"strong head", "Seeker", parce qu'il s'avisa de rechercher


chez les écrivains païens "une lumière de vérité" que Calvin
lui-même ne leur déniait pas.

"Thus Seneca and such exponents as Hall and Charron of


Stoic doctrine mixed with Christian piety showed Walwyn
how to contain his soul in peace while the preachers
fomented anxiety and disagreement"

in William Haller, Liberty and Reformation in the Puritan


Revolution (1955), p. 171.
Allier l'Ecriture et la Raison apparaîtra à Bunyan comme
un dangereux compromis.

9. C.S. Lewis, English Literature in the XVIth Century (1944),


p. 43. Nombreuses sont les traductions de Luther et de
Calvin mentionnées par le Short Title Catalogue of English
Books (Pollard & Redgrave) . Complétons la citation de
C.S. Lewis :
"... It must be clearly understood that they (i.e. the
doctrines of predestination) were at first doctrines not
of terror but of joy and hope; indeed more than hope,
fruition, for as Tyndale says, the converted man is
already tasting eternal life. The doctrine of
predestination, says the XVIIth article (des 39 articles
sanctionnés par Elisabeth Ire en 15 63) is full of
sweet, pleasant and unspeakable comfort to godly persons"

10. Cité par Greenslade, The Cambridge History of the Bible


(1963) , ch. 5.

11. Cité par Ch. Hill, op. cit. , n. 2, p. 74.

12. Frère aîné de Moïse. Cf. Epître aux Hébreux, V, 4 et VII,


II sq.

13. Cf. Pilgrim's Progress, p. 140 (éd. Penguin), le cas de


Mr. By-Ends.

14. Cf. "Mr. Ignorance et les lendemains du puritanisme", notre


communication au Congrès de la S.A.E.S., Grenoble (Didier,
1976) .

15. Cité par A.R. Humphreys, "The Friend of Mankind", Review


of English Studies, July 1948.

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