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ZARAFA
Un film d’animation de Rémi Besançon et Jean-Christophe Lie I 2012 I 1h18 I France
Librement adapté d’une histoire vraie, celle de la première girafe de France, le premier
long-métrage d’animation de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie puise sa matière
scénaristique et visuelle dans un long travail documentaire. Nourri de personnages,
d’événements et de lieux ayant pour la plupart réellement existé, Zarafa construit, sur cette
base réaliste, un grand récit épique.
▪ La véritable histoire de Zarafa
« N’abimez pas la marchandise » c’est en ces termes que Moreno évoque pour la
première fois Maki, enfant capturé pour être vendu comme esclave en Europe. Dans cette
séquence inaugurale, Maki est considéré non seulement comme un objet, avec une certaine
valeur marchande, mais plus encore comme un gibier. La mise en scène s’organise alors
autour d’une course-poursuite qui prend la forme d’une scène de chasse. À peine libéré de ses
chaînes, Maki court à vive allure, poursuivi par Amok et son maître, le capitaine Moreno. Un
fulgurant traveling arrière les accompagne qui démultiplie la vitesse de leur course et accentue
l’angoisse de la capture. Filmé comme un animal traqué, Maki trouve d’abord refuge dans un
terrier au pied d’un immense baobab. Puis, le danger s’éloignant, il escalade les parois de terre
et remonte à la surface. C’est une seconde naissance pour Maki. Nous l’avons découvert
esclave, nous le suivrons maintenant dans son parcours d’enfant libre.
Agile, rapide, Maki est un jeune héros passionnément épris de liberté, dans la tradition
des grands récits d’enfance (Oliver twist, Tom Sawyer). Le premier plan le saisit dans un
mouvement vers le ciel étoilé qui préfigure tout son parcours. Maki ne cesse de se dresser, de
s’élever : il grimpe dans le baobab pour échapper à Moreno, se glisse dans la montgolfière de
Malaterre pour sauver Zarafa, escalade à Paris un éléphant en bois et retrouve ainsi la trace de
l’aéronaute qui le ramènera vers l’Afrique.
La liberté et la nécessité de tenir sa promesse sont les deux valeurs essentielles du
personnage qui baliseront son destin. En opposant ce parcours d’esclave affranchi aux scènes
de transaction du bois d’ébène (le transfert des esclaves dans le port de Marseille, la vente de
Soula en tant que domestique à Paris), Zarafa prend le parti de la liberté et tourne en dérision
la société coloniale.
Les deux réalisateurs construisent leur film comme une épopée merveilleuse qui
promène ses personnages dans de multiples décors patiemment réalisés à partir de documents
d‘archives. Des photographies d’époque alimentent les premières esquisses des animateurs
ainsi que les œuvres du peintre orientaliste Eugène Delacroix auquel Jean-Christophe Lie
emprunte ses couleurs, ses traits et son goût pour les carnets de voyages. De nombreuses
références littéraires viennent également nourrir le travail graphique, notamment Dickens et
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Interview de Jean-Christophe Lie, Dossier de presse du film
Victor Hugo, dont la description des capitales européennes au XIXème siècle inspire la
reconstitution du Paris de Zarafa.
D’autres décors réalistes ponctuent les étapes du voyage : le temple d’Abou Simbel en
Egypte, les pyramides, la Ménagerie du Jardin des Plantes, la cour de Charles X, celle du
Pacha. Les espaces majestueux (la savane, le désert, la Provence, les sommets enneigés des
Alpes, l’ile grecque de Bouboulina), l’agitation des grandes cités (Alexandrie, Marseille, Paris)
et les points de vue extraordinaires (depuis la terre, depuis le ciel, depuis la mer) sont le fruit
d’une minutieuse reconstitution qui confère à Zarafa un intérêt documentaire.
Pour Maki, chacun de ces lieux est l’occasion d’une rencontre, savoureuse ou
dangereuse, qui jalonne son parcours initiatique : Zarafa, Mahmoud, Hassan, les vaches Moon
et Soon dans le désert ; Malaterre à Alexandrie ; Bouboulina et ses pirates en mer
Méditerranée ; Soula et le capitaine Moreno qu’il retrouvera à Paris... Parmi eux, nombreux
sont les personnages empruntés à l’Histoire (Bouboulina, Hassan, Charles X, Saint Hilaire,
Zarafa ont réellement existé). Sur cette base réaliste, la fiction se donne le privilège et la liberté
d’incarner à sa guise ces espaces, ces personnages et leur histoire en leur conférant une
dimension épique.
Le film se structure en trois parties, chacune dotée d’une identité graphique singulière :
l’Afrique lumineuse, vaste espace de liberté ; le voyage, en ballon et à terre, qui emprunte à
l’esthétique du carnet de route ; et enfin le Paris de la Restauration.
A l’horizontalité de la première partie et son champ des possibles répond la verticalité
agressive de la seconde partie du film qui obstrue l’horizon et limite les perspectives d’avenir
pour les personnages. Les paysages colorés et lumineux de l’Afrique reflètent la gaieté et
l’espoir de Maki. Ce minimalisme chaud contraste avec les espaces froids de la capitale
européenne. Paris, ville de malheurs, est grise, sale, pluvieuse et hostile. Les couleurs y sont
charbonneuses et les plans surchargés de détails, à la différence des pastels qui composent le
ciel limpide et infini du désert africain.
La musique se plie elle aussi à la géographie du film et s’occidentalise au fur et à
mesure du voyage. D’un thème oriental clairement inspiré par celui de Lawrence d’Arabie, la
bande son glisse vers un thème musical « parisien » composé d’instruments traditionnels,
comme cet orgue de barbarie lors de la séquence de Girafomania.
Ce contraste se retrouve dans le graphisme et l’animation des personnages, qui
possède chacun son propre langage corporel, reflet de son caractère et de son intériorité.
Malaterre est affublé d’une jambe de bois. Son corps boiteux et lourd traduit, tout comme son
nom, ses aspirations aériennes. Zarafa, elle, se déplace avec des mouvements doux et amples
qui lui confèrent une certaine majesté. Ses grands yeux et ses longs cils achèvent d’humaniser
l’animal, les réalisateurs ayant refusé de doter Zarafa du pouvoir de la parole. Maki, lui, est un
personnage rapide. Sa tignasse ébouriffée, son regard sûr et franc, servis par une animation
fluide et complexe, reflètent son agilité et l’énergie de sa jeunesse. L’animation d’Hassan le
Berbère, plus lente, incarne la maturité du personnage, sa noblesse et son rapport patient au
temps, propre aux hommes du désert.
La légende est un récit à caractère merveilleux, dans lequel les faits historiques sont
transformés par l'imagination populaire ou l'invention poétique. Pour ce faire, le film recourt à un
narrateur par la voix duquel nous oscillons sans cesse entre deux temps et deux réalités : le
passé et le présent, l’histoire telle qu’elle s’est déroulée et sa narration.
Assis sous un arbre, au cœur d’un village de la savane Africaine, un vieil homme conte
devant une assistance fascinée l’histoire de Maki et Zarafa, avec son lot de rebondissements,
d’anecdotes drolatiques et de tragédies. Instrument de construction et de transmission de
l’Histoire dans la culture africaine, l’oralité possède un autre pouvoir : celui de transformer une
histoire en légende. C’est donc sans surprise que nous découvrons, dans la dernière séquence
du film, que le récit conté n’est autre que la légende sur laquelle s’est édifié le village. L’arbre à
palabres, majestueux baobab, fait lui aussi figure de vecteur entre l’Histoire et sa légende. À
titre d’exemple, dans la séquence d’introduction, un traveling vertical découvre Maki réfugié
dans les branches tandis qu’au pied de l’arbre, dans un autre espace temps, le griot conte sa
légende.
Dans les mains du conteur, les personnages s’animent sous forme de figurines en bois.
Le conteur transfigure la violence en couchant les statuettes à terre (Moon, Hassan), signifiant
par ce geste la mort ou le meurtre d’un des personnages à ses jeunes auditeurs. Mais dans
une légende, des éléments merveilleux peuvent advenir pour transformer la réalité, ressusciter
les morts ou offrir un final lumineux. Alors que nous avons vu son corps s’effondrer sous le tir
de Moreno, nous retrouvons Hasan, dans l’épilogue, plus vivant que jamais, debout devant la
maison grecque de Bouboulina. Le merveilleux s’impose définitivement lorsque, pour la
première et unique fois du film, nous entendons la voix de Zarafa. Dans la ménagerie du Jardin
des Plantes, alors que Maki refuse de la quitter, la voix intérieure de l’animal révèle à l’enfant le
chemin à suivre pour conclure son parcours initiatique. Pour devenir un homme, il lui faudra
consentir à la perdre, retrouver sa terre natale et y construire, avec Soula, une famille, un
village, une légende.