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À PROPOS D’UN PORTRAIT D’ALICE REGNAULT

Le Musée de Besançon détient dans ses réserves un grand tableau qui est un portrait
d’Alice Regnault. Ce portrait a été peint par Gustave Courtois (1852-1923), qui fut à la fois
peintre et professeur de dessin à l’Académie de la Grande Chaumière et à l’Académie
Colarossi.
On peut penser que l’artiste était attaché à ce portrait, que l’on peut voir posé sur un
chevalet sur plusieurs photos de l’atelier que le peintre partageait au 147 avenue de Villiers
avec son ami Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret (1852-1929).
Le portrait d’Alice Regnault date de 1882. C’est probablement en évoquant ce tableau
que Guy de Maupassant, le 4 février 1884, parle d’un « superbe portrait de Mlle Alice
Regnault, par Courtois » dans un article pour Le Gaulois à propos d’une exposition de
peinture à Nice. Ce même tableau fut aussi présenté au Salon de la Société des Artistes
Français de 1887.
La toile souligne sa « taille de guêpe », silhouette alors appréciée de ses
contemporains : les Anglo-saxons font plutôt référence à un sablier (hourglass), parfaitement
dessiné sur son portrait, tout comme sur sa photo par Nadar, prise au début des années 1880.
Dans sa biographie de l’artiste, le peintre comtois Robert Fernier relate que Courtois
donna des leçons de dessin à Alice Regnault et envisagea même un moment… de l’épouser.
Cela ne se fit pas et, sans rancune, elle lui adressa une reproduction du portrait qu’il avait
peint avec cette dédicace : « À mon cher ami, à mon cher professeur, à mon cher peintre, trois
fois excellent, c’est rare1 ! »
On sait que, dans ces années-là, Alice Regnault avait rencontré Octave Mirbeau au
journal Le Gaulois, où l’actrice signait parfois des papiers sous le pseudonyme de « Mitaine
de Soie ». C’est aussi l’époque où Gyp publiait un roman à clef intitulé Le Druide mettant en
cause l’actrice, si bien que Mirbeau et Alice Regnault préféreront aller à Londres pour se
marier en 1887.
Mirbeau fut-il un moment jaloux de Gustave Courtois ? En tout cas, il écrit à Auguste
Rodin le 9 avril 1885 : « Nous avons décidé, Mme Alice Regnault, M. Hervieu, un charmant
esprit que vous avez vu avec moi, et Courtois qui n’a pas le moindre talent, mais qui désire
vivement vous connaître, nous avons décidé de vous aller voir, à votre atelier, demain
vendredi à 11 heures ½ et de vous emmener déjeuner avec nous. »
En fait, Courtois avait une bonne raison de vouloir rencontrer Rodin. Son ami Jules
Bastien-Lepage (1848-1884) venait de mourir et, avec Dagnan-Bouveret, il participait
activement à la souscription pour qu’un monument soit érigé à Damvillers, ville natale de
l’artiste. Rodin réalisa la statue de ce monument et fit plusieurs hauts-reliefs préparatoires en
plâtre, dont l’un est déposé au Musée Georges-Garret de Vesoul, avec la mention : « Dédicacé
par Rodin à Dagnan-Bouveret et à Courtois ».
Courtois étant un adepte de la peinture académique, sa relation avec Mirbeau ne
s’améliora pas et, en juin 1886, ce dernier écrivait à Claude Monet : « Fourcaud est furieux,
et Courtois en colère a ajouté que tous les peintres sérieux me traitaient de fou et
d’énergumène. Mais ce qu’il y a à retenir de cela, c’est que tous les Courtois vous trouvaient
beaucoup de talent, tant que vous n’étiez pas dangereux, et qu’ils ne vous en trouvent plus
maintenant que vous arrivez au public. C’est juste, et consolant. »
Courtois ne fut pas en reste : quelque peu aigri, le 29 décembre 1917, dans une lettre
au peintre Robert Fernier, son élève, il notait : « J’ai appris sans aucun regret la mort de
Rodin. Il a eu une vilaine carrière artistique, toute sa vie il a léché le cul à la presse avec un
cynisme révoltant. Il a tourné le dos aux artistes contemporains pour se ranger du côté des

1 Cf. R. Fernier, Gustave Courtois : 1852-1923, Paris, Chez l'auteur, 1943. p. 66.
flagorneurs qu’il comblait de présents pour acheter leurs éloges dans les journaux. Octave
Mirebaux [sic] avait au moins 15 de ses ouvrages, et les autres critiques à l’avenant, etc2. »
On peut cependant penser que, toute sa vie, Gustave Courtois garda une certaine
tendresse pour Alice Regnault. Pour preuve : à sa mort en 1923, il laissa un legs au Musée de
Besançon, legs de trois tableaux, dont son propre portrait par son ami Dagnan-Bouveret et
celui d’Alice Regnault, qu’il avait peint quarante ans plus tôt. Un portrait peut-être moins
brillant que celui peint par son contemporain Giovanni Boldini (1842-1931), mais un portrait
plein d’affection, alors que Boldini l’avait peint avec un regard particulièrement dur.
Brice LEIBUNDGUT

Iconographie
- Edmond BENARD (1838-1907), Atelier de Gustave Courtois, ca 1887, photographie, 21 x
27 cm, collection particulière.
- Giovanni BOLDINI (1842-1931), Portrait d’Alice Regnault, 1880, huile sur toile, 102 x 82.
- Gustave COURTOIS (1852-1923), Portrait d’Alice Regnault, 1882, huile sur toile, 127 x 89,
Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.
- Pascal Jean Adolphe DAGNAN-BOUVERET (1852-1929), Portrait de Gustave Courtois,
1884, huile sur toile, 122 x 82, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.
- Félix NADAR (1820-1910), Portrait d'Alice Regnault, ca 1880, photographie.
- Auguste RODIN (1840-1917), Portrait de Bastien-Lepage, haut-relief en plâtre, Vesoul,
Musée Georges-Garret.

Bibliographie
- Henri AMIC, Jules Bastien-Lepage, Lettres et souvenirs, Paris, imprimé pour l’auteur, 1896
- ARTCURIAL, Catalogue de la vente Archives Claude Monet, 13 décembre 2006, lot n°164
- Robert FERNIER, Gustave Courtois : 1852-1923, Paris, Chez l'auteur, 1943.
- GYP (Sibylle Gabrielle Riqueti de Mirabeau, Comtesse de Martel), Le Druide, roman
parisien, Victor-Havard éditeur, Paris, 1885
- Pierre MICHEL, Alice Regnault, épouse Mirbeau, Paris, A l’Écart, 1993.
- Octave MIRBEAU, Correspondance générale, volume 1, publiée par M. Pierre Michel,
Lausanne, L’Age d’Homme, 2003.

2 Archives R. Fernier, lettre publiée dans le bulletin n° 23 de l’Association Robert Fernier, septembre 2015.

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