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QUELQUES PISTES DE CORRECTION DU SUJET S/ES – EAF Métropole 2018

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos
jours

Le sujet comprend :

Texte A : MONTAIGNE, Essais, livre II, chapitre 11 « De la cruauté », (1580-1588), adapté en français
moderne par André Lanly ;
Texte B : ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, préface
(1754) ;
Texte C : VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, article « BÊTES » (1764) ;
Texte D : Marguerite YOURCENAR, Le Temps, ce grand sculpteur, « Qui sait si l’âme des bêtes va en
bas ? » (1983).

QUESTION DE CORPUS

Notre corpus de quatre textes plutôt ouvert et disparate rassemble quatre écrits portant sur
la définition, la condition et les limites de l’humanité face à l’animalité, par des auteurs aussi bien
philosophes que romanciers ou conteurs : un extrait des Essais, texte emblématique des Humanistes
par MONTAIGNE tout à la fois stoïcien et épicurien, puis la préface de l’un des grands discours du
philosophe amoureux des arts, JJ ROUSSEAU, suivie d’un article de l’avocat, philosophe et polémiste
VOLTAIRE et enfin un passage que l’on doit à Marguerite YOURCENAR, première femme admise à
l’Académie Française pour ses romans mais aussi ses essais et première femme publiée de son vivant
dans la prestigieuse collection de la Pléiade : auteur moins lue par les scolaires de nos jours mais très
prisée des universitaires.
Nos quatre textes dénoncent des comportements humains, mais pas dans le même but, pas
de la même manière. Si tous veulent relativiser et critiquer la place de l’homme, tous ne lui reprochent
pas les mêmes travers. Ainsi, les textes A et B (MONTAIGNE, ROUSSEAU) veulent -ils engager la
polémique, virulente, par le biais de réquisitoires sévères qui n’excluent pas la provocation pour
bousculer le lecteur. En revanche, les textes C et D (VOLTAIRE, YOURCENAR) choisissent plutôt la voie
de la responsabilisation, plus subtile, de l’homme censé se mobiliser et s’élever ; plus didactiques, ces
textes sont à comprendre plus comme des appels.
Les textes de MONTAIGNE et ROUSSEAU dénoncent la brutalité de l’homme : bestialité et goût
du sang pour le texte A, amnésie, absence de réflexion et de recul pour le texte B. Pour MONTAIGNE,
il s’agit de dégoûter le lecteur de l’homme, en montrant ce dernier comme un être assoiffé de sang et
pris dans une violence dont il ne peut plus sortir, ce dont témoigne l’accumulation de termes relatifs à
l’animalité (« bête », « instinct », « cerf », « se démembrer », « haleine ») ; les champs lexicaux du
corps et de l’animalité renvoient l’homme à ce qu’il ne devait pas se contenter d’être, faute morale et
erreur de discernement condamnables pour MONTAIGNE. Chez ROUSSEAU, moins que le champ
lexical, c’est plutôt la structure même du texte qui se charge de traduire la critique adressée à cet
homme qui pense mal et se pense mal au sein du règne animal : si le premier paragraphe du texte
porte la marque de la raison « droit », « raison », avec des termes engageants, évoquant le progrès et
la culture, en revanche, le second paragraphe se laisse contaminer par un lexique terriblement
pessimiste et tragique : « assujetti », « dépourvu », « maltraiter ». Cette opposition frontale laisse
apparaître la cassure violente entre ce qu’aurait dû être l’homme et ce qu’il s’avère être. C’est e
confrontant les deux que le lecteur comprend alors toute la misère de la condition humaine :
ROUSSEAU condamne le manque de discernement de l’homme, prisonnier d’une façon de penser
limitée car réduite à une binarité schématique.
La visée et la stratégie des textes C et D (VOLTAIRE et YOURCENAR) sont sensiblement
différentes : bien que toujours objet de la critique, l’homme est aussi entendu comme son propre
sauveur, puisqu’il est fait appel à sa capacité de révolte et de réforme. Les deux textes se donnent les
moyens de mobiliser leur lecteur : l’on trouvera une forte expressivité dans le texte de VOLTAIRE
interjections, tournures impératives et apostrophes (« Eh bien !! », « machiniste », « Quoi ! » et pas
moins de sept interrogatives qui rendent le propos particulièrement vivant et persuasif. Le texte D
(YOURCENAR) entend lui-aussi responsabiliser le lecteur, pris dans la première personne du pluriel
récurrente (« changeons », « révoltons-nous », « rappelons-nous »). Les impératifs peut-être quelque
peu infantilisants revoient l’homme à son erreur d’appréciation (la vanité des lois qu’il se donne) sont
aussi la marque d’une confiance portée à l’homme, très présent dans le dernier paragraphe dans toute
sa diversité (aussi bien les bourreaux que les innocents : « chasseurs », « enfants », « gibier humain »).
Au fond, ce que YOURCENAR condamne dans l’homme, c’est moins son animalité résiduelle (qu’il
faudrait commencer de considérer lucidement) que son humanité de façade, bref son hypocrisie, qui
est bel et bien un défaut proprement humain.
Ces quatre textes parlent de l’animalité pour mieux questionner l’humanité ; on pourrait leur ajouter
les Fables d’Esope ou LA FONTAINE qui ne parlent que de l’homme, ou encore ces représentations
animales métaphoriques qui renvoient à notre part de bestialité : Rhinocéros de IONESCO ou encore
le long métrage israélien Valse avec Bachir (2008), film d’animation avec sa scène d’ouverture
impressionnante (une meute de chiens enragés) illustrant avec force l’adage homo homini lupus.

PLAN DE COMMENTAIRE

Introduction
Le philosophe, épistolier, conteur VOLTAIRE, auteur emblématique du mouvement des LUMIERES,
Encyclopédiste, ténor du barreau (affaire du Chevalier de la Barre ou Affaire Calas) aura bâti une
grande partie de son œuvre en réaction et en opposition à : avec le Dictionnaire Philosophique,
opposition à Diderot et son Encyclopédie, avec Candide opposition à la pensée leibnizienne ou
rousseauiste, et ici, en opposition aux théories cartésiennes de l’homme-machine. Toute sa vie
VOLTAIRE le plaideur aura donc été avant tout un contradicteur, résolu et acharné dans le réquisitoire
polémique.
PROBLEMATIQUE :
En quoi cette charge de VOLTAIRE contre la bêtise humaine est-elle efficace ?
Elle joue sur trois tableaux, trois degrés d’argumentation, de la plus facile à la plus subtile ou exigeante,
s’adressant par strates à trois types de lecteur.

I/ EMOUVOIR
Pour obliger l’homme à se réformer, VOLTAIRE oblige à une prise de conscience par le choc et la
vivacité du propos
1) Images choquantes (« chassent », « clouent », « dissèquent », « enfermé », « attacher » =
images de soumission et de brutalité ;
Hyper-réalisme du texte qui se veut presque scientifique avec jargon médical: « dissèquent », « veines
mésaraïques », « nerfs ».
Discours d’autant plus poignant que le présent autant à valeur d’actualisation (l’exemple du chien mis
sous nos yeux, l’anecdote du chien « qui entre dans la maison (…), descend (…), monte ») veut faire
vrai.
2) Expressivité (interrogatives nombreuses -au nombre de 7- , interjections, exclamatives). Le
texte s’ouvre sur une double exclamative (« quelle pitié, quelle pauvreté… ! »)

II/ PROVOQUER
1) Aller chercher son destinataire : démarche osée (« machiniste » = apostrophe provocatrice
dans son ton réducteur) et volontariste (énonciation à la 2e personne, impératifs) ;
2) Déranger le lecteur : dans le texte déjà les animaux prennent toute la place
(« bêtes », « oiseaux » au début du passage, « chien » en fin de texte). Dans l’espace du texte,
la fin de l’anthropocentrisme est déjà signée. Le lecteur chrétien de l’époque pourra aussi
s’émouvoir d’une sorte de transfert des représentations, l’imagerie du martyre chrétien ici
appliqué à l’animal (« ils le clouent »). Enfin, l’impersonnalité change peu à peu de camp : du
pluriel informe appliqué à « bêtes », l’on passe peu à peu du pluriel anonyme appliqué aux
humains réduits à la vague périphrase péjorative (« barbares ») tandis que le chien demeure
singulier autant dire singularisé (première condition de l’empathie à éprouver à son égard).

III/ FAIRE REFLECHIR


Le texte veut engager la réflexion sur les limites de la réflexion humaine et l’invalidité de ses schémas
flatteurs, auto-complaisants mais vite mis à mal par les arguments et exemples voltairiens, qui tendent
à relativiser drastiquement ladite supériorité de l’homme (qui n’a finalement pas l’apanage du
raisonnement ni du sentiment).
Le texte, assez subtilement, met l’homme face à ses excès et ses erreurs de jugement, par l’exemple.
1) Le texte multiplie les énumérations et accumulations, or la quantité ne vaut pas pour qualité.
2) Le texte multiplie les schémas binaires, presque singés ici (redondances, coordinations
insistances, reprises de termes, doublons, parallélisme de construction : « se reprend et se
corrige », « n’apprennent rien, ne perfectionnent rien ») = un style fondé sur la duplication
plus que sur l’explicitation et l’approfondissement. Les travers stylistiques, les lourdeurs de
style miment les égarements du raisonnement humains et ses facilités. C’est ici le style,
manifeste, qui est chargé de dénoncer les excès : le texte lui-même se laisse voir comme une
machinerie illusoire, une mécanique trop bien huilée, volontiers abonnée à de mêmes
schémas stylistiques et syntaxiques, presque paresseuse, comme l’est le raisonnement humain
ici mis en cause.

OUVERTURE DE CONCLUSION
VOLTAIRE s’inscrit dans une longue tradition de la relativisation de la place de l’homme et de son
nécessaire décentrage par rapport à une image de lui-même idéalisée et catégorique : déjà aux 16e
siècle, l’humaniste MONTAIGNE appelait à redéfinir les barbares (cf. « Des Cannibales », Essais, I, 31).
Après VOLTAIRE, LE CLEZIO dont l’ expérience du Mexique est fondatrice ou encore Edouard GLISSANT
qui concepteur du « tout-monde », dont l’homme n’est qu’une composante et d’une créolité
universelle.

Pour aller plus loin, de la littérature à la philosophie, de la première à la terminale :


• http://www.les-ernest.fr/dominique-lestel-lanimal-est-lavenir-de-lhomme/
• https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lanimal-est-il-un-
homme-comme-les-autres

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