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L'art africain a tout son avenir dans le numérique Un faux débat

fait l'objet de spéculations dans le monde des arts plastiques au


Sénégal, depuis quelques temps, voire depuis quelques années.
Ce faux débat fondé sur une fausse problématique, celle de «la
place du numérique dans le Dak'art», s'est poursuivi jusqu'au
séminaire d'évaluation de la biennale Dak'art 2004. Il est alors
difficile, à la limite impardonnable de garder le silence en tant
qu'artiste plasticien-vidéaste, conscient de l'avenir des arts
plastiques face aux mutations engendrées par les technologies
numériques. L'envie me vient à l'instant de demander à ces
pseudo-intellectuels (artistes, critiques d'art, journalistes,
commissaires d'exposition, experts en arts plastiques, ou
spécialistes en je ne sais quoi encore, confondus) d'arrêter tout
simplement de parler de choses qu'ils ne maîtrisent pas, de poser
des questions qui ne sont nullement pertinentes et qui les
dépassent parce qu'ils n'ont ni d'arguments valables, ni de vision
claire pour déterminer une quelconque place du numérique
dans la création artistique contemporaine africaine. Je trouve
regrettable que les acteurs culturels africains en général et
sénégalais en particulier ne veuillent pas changer leurs
mentalités archaïques d'éternels complexés, et qu'ils se focalisent
toujours sur des détails que l'on ne peut plus se permettre de
poser, c'est-à dire des questions que les autres (les occidentaux
en particulier) ont réglées depuis des décennies, voire des siècles,
et qu'ils reviennent re-poser chez nous en Afrique pour
cloisonner notre réflexion, inhiber notre vision de l'avenir afin
de mieux délimiter notre imaginaire. Aujourd'hui, le concept
d'art même, contemporain ou pas, est problématique en Afrique
comme il l'est partout ailleurs. L'enjeu majeur dans la création
artistique n'est plus l'apanage d'un quelconque médium.
Autrement dit, il ne s'agit plus, ni ne suffit plus de parler
séparément d'arts plastiques (peinture, sculpture, design, etc.),
de poésie, de théâtre, de cinéma ou de vidéo, mais plutôt d'Image
au sens global du terme. Il est évident que ceux qui brandissent,
à tort et à travers, le terme «identité culturelle» ne sont pas
capables de donner à ce concept une signification valable et
légitime, c'est-à-dire un sens positif et constructeur de valeurs
progressistes, permettant à nos sociétés d'évoluer et d'avancer
dans la voie d'une modernité africaine. A ceux là, je dirais que
l'identité à tout prix n'existe pas, n'est pas viable, car comme le
dit souvent l'artiste plasticien critique d'art sénégalais Sidy Seck,
«l'identité n'est pas figée, l'identité est dynamique». Par ailleurs,
il est temps que les Africains (les artistes en premier) soient
conscients du fait qu'ils ont largement le choix d'utiliser comme
outil ou support de création, les technologies numériques comme
ils veulent et d'y mettre les contenus qui leur conviennent, pour
produire leurs propres images ; des images qui parlent de
l'Afrique, de ses réalités, de ses rêves, mais également de ses
differents rapports avec le reste du monde.
Pour revenir à cette «place suspecte» du numérique dans le
Dak'art, nous savons que les médiums artistiques traditionnels
que sont la peinture, la sculpture et la photographie ont montré
depuis très longtemps leurs limites dans le traitement de l'espace
et du temps, mais aussi par rapport à leur capacité à toucher le
nouveau public que la société de l'information est en train de
formater. Aujourd'hui, l'avenir est dans l'interactivité. Il faut
que les artistes africains, dans la continuité de leurs travaux,
s'investissent dans des systèmes multimédia et hypermédia,
qu'ils se forment et apprennent des techniques, logiciels et
méthodes permettant l'intégration dans les créations de données
de diverses origines (textes, images et sons), car l'ère de
l'hypertexte a sonné.
L'art africain doit adopter sur toute sa chaîne (création,
monstration, promotion, commercialisation) des méthodes
d'organisation de l'information, qui procèdent non plus de façon
linéaire, mais par association d'idées, en structurant un réseau
vivant de liens entre les données. De nos jours, toute forme d'art
qui occulterait le numérique, réduirait de façon considérable ses
possibilités relatives à la créativivité mais aussi à la diffusion,
éventuellement à la commercialisation des œuvres qu'elle
engendre. Ce serait donc une grave erreur de penser que les
artistes africains n'ont rien ou presque pas grande chose à voir
avec le numérique, que le numérique ne puisse pas traduire
«l'expression profonde de notre identité culturelle», ou encore de
catégoriser, d'étiquetter le numérique comme étant «le regard
de l'autre qui nous chosifie». C'est quand même étonnant, à la
limite révoltant, de constater que tous ces gens confondent, en ce
qui concerne un médium artistique donné, support et contenu ;
qu'ils ne distinguent pas l'œuvre d'art du dispositif qui le
conditionne en amont (de sa production) et en aval (de son
exhibition). Le numérique qui est en passe de devenir une
discipline artistique à part entière, gagnera sa légitimité si les
artistes africains transcendent sa nature de support de création,
dépassent l'immense reproductibilité technique qu'offre son
dispositif pour créer une véritable «esthétique du numérique»
qui bouleversera, à coup sûr, tous les schémas de la pratique
artistique en donnant naissance à de nouveaux artistes, de
nouveaux critiques d'art, de nouveaux commissaires
d'exposition, de nouveaux experts en art plastique et surtout une
nouvelle fonctionalité des espaces de monstration.

Arfang Sarr-CRAO Artiste plasticien poète vidéaste


email:art_fang@yahoo.fr (Source Walf fadjri 04 Novembre
2004)

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