Professional Documents
Culture Documents
Guy Hadad
1
trouver parfois trop simples et en même temps le regret de n'y avoir pas
songé moi-même.
Ainsi, en moi, je lisais une pensée au calcul plus logique et pourtant
incertaine parce que je ne me satisfaisais pas de ses réponses mais espérais
en une voie plus imaginative, plus livrée au hasard que peut-être tracée par
un destin que d'autres auraient forgé à ma place.
2
connaissance d'eux-mêmes au sens de Socrate, et sans trop se mesurer à une
adversité fataliste qui réclamait sans cesse son tribu de malades ou de
dépressifs.
Tout dans le personnage révélait une confiance en sa bonne volonté de
solutionner la question du sens aigu de l'esthétique et de la finalité du
monde, par des esquisses bien tracées, quelques traits ou équations d'ordre
dignes d'intérêt pour ceux que l'innocence et le courage de la jeunesse
n'avaient pas encore abandonnés.
3
Je paressai à examiner le revêtement de la rue et des trottoirs sous un ciel
givré. Cette pureté blanche du monde ne laissait plus rien voir de la chaleur
parvenue en son sein.
Comme une première fois, je songeai que le blanc sied au deuil, ainsi qu'en
Inde. Je ne m'arrêtai pas au style très utilitaire des chaumines en ce pays,
mais peu d'arbres, peu de verdure, faisaient trop mal à les aimer ou à les
haïr. Sur mon palier, la chienne du voisin me fit une petite mine où ses yeux
à l'expression agrandie semblaient défier toute faiblesse dans les miens.
Je conversais longtemps avec le médecin mais je le laissais, à quelques
moments aussi enfiler ses écouteurs pour se plonger dans la récitation de ses
malades qui lui ouvraient ainsi leurs cœurs.
Quelques notes éparses et saisies sans entrain, achevaient de le remettre en
humeur de parler.
J'avalai à petites gorgées chaudes un café, craignant d'embarrasser par
un refus et quoique que je ne le prise guère à la veillée.
Je bus aussi ce qu'il avait à me raconter.
Je le regardai serrer le nœud de sa veste d'intérieur, dans une pièce
aménagée en salle d'étude, palpant ou froissant l'étoffe comme pour
s'assurer qu'il n'avait pas d'embonpoint.
Nous fûmes bientôt des amis, que le temps, facteur garant, avait mis dans
des relations au goût plus familier.
4
Il y apportait le sérieux d'un vrai journaliste, confectionnant une
information qui lui permît de décrire les personnes qui resurgissaient dans
la chronique des faits divers, ou celle des scandales.
Il était lié avec un confrère de la justice et cet entretien avait fait naître en
lui la foi qu'il le distrairait et occuperait dans son esprit une place laissée
vacante par l'intérêt seul de la médecine insuffisante à l'enrichir.
5
Au vu du noir de mon café, je repensai au deuil du blanc, mais ne pus
considérer de rapprocher le noir de l'idée de joie.
Il fut en visite chez ses parents et je repris mon existence monocorde sans
plus me soucier d'exaspérer en moi le souci de réponses plus ou moins
philosophiques.
J'avais appris à m'intéresser avec le médecin, à une recherche plus suivie
et à ne plus voguer dans l'imaginaire d'un raisonnement presque dissolu.
Bien sûr, je n'étais pas fort de plus de convictions, mais c'était plus pour
ne pas perdre son contact, que par le goût de laisser se développer en moi
les idées fortes que je croyais les siennes.
Je pouvais me mettre à sa place, mais j'espérais facilement du monde qu'il
établît de lui-même une plus grande justice et je trouvais son combat
personnel encore assez jeune pour un aîné qui aurait dû se faire déjà au
carcan de la vie.
J'ai descendu les escaliers le plus vite que l'on peut.
La consultation est pleine ce matin à l'hôpital et les malades vont me
solliciter tout entier. Un café bu rapidement et j'en reprendrai un tout à
l'heure.
Je n'ai pu me résoudre à acheter une automobile et voyage dans des
autobus bondés.
Non que je n'aie pas confiance en ma capacité de très bien conduire ces
engins, mais parce que j'apprécie d'autant plus le service qu'on peut me
rendre en m'emmenant, pour un prix modique.
Une manie peut-être d'intellectuel que je n'avais pas autrefois, pendant le
temps de mes études. J'empruntais volontiers la voiture de mon père pour
me rendre dans une certaine banlieue où avec des amis des bancs
universitaires, il faisait bon discuter des manières et du temps, qu'entre
deux livres on passait au loisir de critiquer une musique ou à imiter dans la
paraphrase des auteurs et nos maîtres.
6
La pluie, qui n'a pas cessé de tomber hier durant la nuit, n'a pas reparu.
Le sol est gris. Dans mes vêtements, j'ai presque froid, mais je ne l'avoue
pas.
Et puis, je profite de l'hiver pour faire une petite cure en ne répondant pas
toujours aux exigences caloriques de mon corps.
Ne dit-on pas que j'ai tout d'un jeune homme, le même qui me visite et
s'enquiert du monde tel que je peux le voir à mon âge ou dans ma condition.
Cette dernière soirée, nous nous sommes entretenus de chapitres
intellectuels, comme ceux de ma vie.
Sans qu'il ait à formuler de critique sur un quelconque côté de ma vie, il
puise dans mon registre des arguments plus vifs au discours de sa loi
propre.
7
Ce que j'apprends de son allure, de son "air" m'enseigne de rebâtir avec
elle un autre être, peut-être différent de celui qu'elle aura jamais été.
L'empêcher de fuir en arrière vers un passé où elle ne peut que se perdre.
J'appuie son discours de notes prises sur des fiches interchangeables
qui peuvent me permettre aussi de retrouver l'ordre de son récit.
Ici, la féminité a presque totalement disparu, comme anéantie; je pense à
m'attacher à la reconstruire, l'image virile étant constituée par celle de son
jeune enfant avec qui elle entretient des rapports plus que difficiles, on
dirait même ambivalents. Cette affection qu'elle recherchait dans le père du
petit, c'est à lui qu'elle en fait maintenant la demande.
Le vocabulaire psy est riche de matériaux très propres à lui, comme ceux
d'une construction dont on n'entrevoit pas encore le plan final.
Chacun va sa route, comme les ouvriers d'un chantier, qui obéissant ou
non aux ordres d'un maître, s'en réfèrent aussi à leur art propre.
L'enfant est atteint d'un point de toux qui inquiète sa mère.
C'est à peu près normal, mais pourtant tout semble clocher.
Un abandon à une facilité ou à ce qui ne l'est pas; abandon au monde qui,
interpellé, reste sans réponse exacte.
Il n'y a pas de recettes au bonheur, et est-ce même tellement encourageant
d'être heureux ?
On parle du malheur et de la souffrance comme tremplin au saut du
progrès.
Son malheur contribuerait quelque part à assumer les efforts de
survivance du monde.
Ce n'est pas ce que je peux lui expliquer, car son malheur semble trop
durer.
Je comprends sa solitude, ce qui a pour effet de l'accentuer, mais je l'invite
à saisir les moyens de s'en occuper. Elle écoute difficilement, à mesure que
je veux redonner un sens constructif à sa tâche journalière qui n'en a peut-
être plus à ses yeux.
Je valorise sa morale personnelle aux instants où j'ai le sentiment qu'elle
existe. J'essaye de l'apaiser, de la réconforter, lui redonner le sens de son
devenir.
Le temps présent reste ici totalement absent. Le passé est impossible à
assumer et l'avenir illisible, incapables où nous sommes de franchir
l'obstacle de ce présent irréductible, magma informe où la personne a cessé
d'être, pour un temps, on l'espère.
Jeu du transfert, accident de l'histoire ou dans sa nécessité même.
L'heure n'est pas à la philosophie.
J'ai du mal à ne pas convenir avec elle que les médecines qu'elle prend lui
ont vidé la bouche de la plupart de ses dents. Quelques unes ont été
remplacées en leur temps. Sa sœur est importune. Elle n'a pas de quoi
régler les frais de sa location. Le sol par moment se dérobe sous elle, comme
8
une jeune fille en pâmoison, et j'utilise des associations douces pour la
rassurer.
Seul, je ne veux pas conclure. Sans refermer la porte sur elle, je la guide
au dehors avec plus d'appui pour s'engager dans cet avenir incertain.
Je vais m'assurer que les plantes grasses sont toujours à leurs places
L'heure est morne. Pourtant la matinée se fait plus claire.
C'est le moment où un pâle soleil, derrière d'invisibles nuages avec
lesquels il joue, dessine des aquarelles légères sur un papier de soie qui fait
comme des tableaux où se distinguent quelques rayons de pur or.
J'ai pris l'allée qui monte entre les rosiers et quelques plants taillés comme
les aubépines de Proust, avec un carmin vif et un blanc âpre, telles qu'il me
semble me les rappeler dans les promenades de Swann.
Derrière la consultation, je sais du jasmin dont les fragrances me semblent
parfois même trop fortes.
Après viennent des feuillus, et l'espace déjà manquant, se réduit.
Qui croirait trouver ici un coin du monde, de toute rencontre, où la
végétation est si riche qu'elle appelle à un meilleur entretien des êtres et à la
confiance d'un plus grand amour ?
Dans l'allée fine, moult gens se croisent ou s'épient. L'un adresse un regard
d'inquiétude, l'autre affiche une rectitude consciente de sa charge. En fait,
le plus ou le moins, on a assez peu envie d'être accaparé par les soucis
d'autrui. Pas même moi qui me limite plutôt aux seuls cas que je traite.
Pour les autres on feint une curiosité mêlée le plus souvent d'indifférence.
Nous avons un "staff" dans un des sous-sols. Tous les traitants se pressent
pleins de gravité et les bras chargés de documentation vers le lieu de la
rencontre. Je mesure encore la distance qui nous sépare tous et de ceux des
patients qu'il nous apparaît parfois plus commode d'aborder.
L'hospitalisation est réservée à ceux qu'une décompensation sévère ou un
traitement mal supporté ont fait rechuter.
Dans la majeure partie des cas, les mêmes viennent nous revisiter
à fréquence régulière.
Rares sont ceux qui s'en tirent après leur premier essai. Ceux qui
m'occupent présentement, sont ceux qui ont recouvré la liberté, ou peut-
être même ne l'ont jamais perdue.
Au cours de la présentation des cas cliniques qui sont ensuite discutés, et
après un bref exposé, j'ai laissé s'envoler mon attention, autour d'une
psychologie comportementale, de sentiments acquis de haine, de colère ou
de jalousie qui me ramène à examiner les patients qui m'ont laissé une
image vivante semblable. D'autres, avec moins de chance, semblent s'être
momentanément dissipés de ma mémoire.
9
La perversion du caractère est l'expression inconsciente d'un contre-
balancement nécessaire à des situations de faiblesse. Le droit et la morale
ont plus de place à tenir ici qu'on ne leur fait.
Les exhibitions de symptômes et les thérapeutiques à leur appliquer font
seuls l'objet de l'intervention qui doit être rapide.
A l'instar de Freud, dans un regard assoiffé de vengeance, je lis seulement
le regret d'un moi devenu dégradé mais qui continue à exister, et avec des
exigences narcissiques plus fortes, dans l'inconscient.
Ego à construire par le jeu des identifications et des problèmes de
jeunesse qui resurgissent et qu'on essaye de solutionner quand ils
apparaissent plus criants la nuit.
Décompensation après une longue insomnie ou d'affreux cauchemars.
La fatalité qui semble lier l'individu à sa peur entrevue en songe, apparaît
aussi dans l'interprétation de certaines conduites où la névrose s'enfle.
Le "staff" se conclue, sans notes, parce que je n'ai pas remarqué qu'il
fallait en prendre ; les questions restant essentiellement les mêmes, je
m'apprête à sortir. Le temps de ramasser courtoisement le stylo d'un
collègue et je m'engouffre à nouveau dans le couloir au bout duquel attend
la maladie, et la mortalité aussi qui avec chaque année apporte son lot de
disparus.
Le tumulte d'une bousculade presque enfantine se dissipe rapidement.
Déjà une jeune hospitalisée s'avance, amoureuse de moi parce qu'elle
réclame en fait mon affection. Elle me dédie quelques vers de sa façon
accompagnés d'une fleur au bout de sa main tendue. L'attention est délicate
et je l'en remercie.
Presque midi et je file me restaurer.
A mon retour, il règne un silence lourd dans la salle d'attente.
On peut suivre des jeunes gens échanger des cigarettes, tandis qu'agités
intensément le long de leurs membres, ils s'essayent difficilement à faire
jaillir du feu.
A la fin de la semaine, je rends visite à mes parents, comme environ une
fois par quinzaine.
Mon père, en retraite, n'aime pas les histoires de fous, et son visage est
simplement bon pour me le dire. Ma mère en est plus curieuse, quand isolé
à la cuisine avec elle, je lui parle de ce métier.
Est-ce que ce n'est pas le moment aussi de penser à fonder un foyer?
Ce qui rend les rencontres assez monotones.
Suit le repas traditionnel aux habitudes rigoureuses - une morale et une
religion qui feraient envie à un cardinal, mais le tout mêlé encore un peu
trop de superstitions à mon goût.
10
Quelques repris de justice sont en traitement chez moi, au caractère
grossier, au physique parlant, qui me font l'effet de ce qu'ils sont dès avant
même que je les connaisse. Leur manière brutale ou la puanteur de l'ivresse
me répugne. Ainsi que leur fierté à taire les mauvais coups qui n'en sont pas
pour eux.
A la nuit, j'ai tiré les volets et me suis plongé dans la lecture d'un policier.
Il détaille des caractères burlesques au potentiel très estimé du Crime.
Un coup de fil me tire de mon roman. Un psy attaché de justice me
raconte longuement ses cas, semblables au miens, comme résonants.
Des hommes qui ont pêle-mêle embrouillé la fin et les moyens. Ma lecture
que je cite ne semble pas trop l'intéresser.
Quelques uns de ces types se distinguent, mais pour lui ce sont tous les
mêmes. Du menu bétail.
Le crime est une maladie mentale qui peut tenter chacun de nous. On
pourra en reparler.
Pour l'heure, je n'ai même pas envie d'en rire. Lui me salue, bonhomme.
Une boisson chaude avant de dormir, et je m'apprête à attendre un
sommeil presque dénué de rêves, si ce n'est ceux dont je me souviens mal et
qui ne retiennent pas l'attention.
La séduction du mariage me fait sourire mais je crains d'avoir trop à
consacrer à une épouse ou à une famille, ce qui m'empêcherait d'être
productif dans mon travail et me retiendrait de progresser.
Un article de psy que j'écris, sur une observation de routine et mon petit
magnéto m'occupent ce matin.
11
De bonne heure rendu, j'observe le ciel plus serein, rayonnant tel le visage
d'un patient qui dans un accès de bonheur artificiel, thérapeutique,
rendrait au monde toutes les marques de sa bienveillance.
On peut aussi interroger le ciel, comme les Anciens.
Quel mal a pénétré le cœur et les cerveaux de ceux qui souffrent sans
pouvoir nous le révéler ?
Le monde en est encore à sa préhistoire pour que persiste, invincible, un
tel amoncellement de pourriture morbide.
Extirper les racines du mal pourrait permettre de solutionner les maladies
générales et psychiatriques.
Bien sûr, il nie. Ce n'est pas qu'il ait été peu fier de ce qui lui était arrivé.
Il se laisse gronder mais prétend pour sa défense, égayer un peu une vie qui
autrement ressemblerait à la végétation d'une légume.
Quelqu'un un peu trop direct, s'est ri de lui à sa sortie de l'entretien.
La statistique nous enseigne que ces cas de truands ne sont pas aussi rares
qu'on pourrait le supposer.
12
L'heure est celle de l'horloge pour le malade. Dans le milieu qu'il habite,
qu'il visite à loisir pour s'instruire de lui-même, il est à la recherche de ce
que des écrivains ont décrit comme l'heure fatale, celle qui prédit ou
préinscrit l'accident, le crime. Minuit, partage artificiel des jours, est
chargé de symbolique.
Frustré par l'heure et son appel fatal, il l'est plus encore de ce qu'elle
pourrait ne pas l'être. L'incident doit se produire et il s'est réellement
produit, pour compléter le tableau d'un entendement où il manquerait.
13
Elle essaye simplement de me désarçonner, sans perdre de l'œil une
maturité qu'elle envie.
Ses cheveux bruns retenus en une queue de cheval par un nœud brillant,
quelques mèches encadrant un visage hâlé et aux yeux clairs dessinés, elle se
monte sur des talons mi-hauts qui portent ses jambes fines et tiennent droit
son buste moulé.
La plus grande moralité des femmes est tout de même un sujet qui
l'intéresse, mais aussitôt abordé, comme pour lui laisser la force de plus de
mystère, elle me quitte, lumineuse, après un salut presque insensible.
Pour moi, la loi hébraïque est morale mais aussi concurrente de l'édifice
d'un veau d'or. C'est à dire qu'elle révèle le danger où est le monde d'une
idolâtrie et qu'elle nous guide pour lutter contre elle.
L'idolâtrie absolue, le veau à tête humaine, même s'il possédait toute une
magie de gouffre, n'en reste pas moins un veau œdipien, détenteur d'un
oracle que n'apprécient que ceux qui le louent ou s'y soumettent. Défaite du
sens. Perte de la maîtrise de son devenir face à un diktat intriqué dans de
fausses valeurs.
Le groupe qui le revendique est aussi malade de lui-même; de son
élection.
Le prophète tente de le ramener aux règles de la morale essentielle mais il
est sacrifié à cette perte de sens.
14
Cette mystique repose sur la méconnaissance de la mort et la cultive en
quelque sorte.
Ainsi, toute parcelle de la connaissance qui nous échappe peut fonder une
idolâtrie parce qu'elle confère au péché, dit de connaissance un caractère
d'irrémission.
S'y oppose le pardon ou abandon de l'idée de vengeance, la foi dans une
justice que le monde, mais aussi les hommes révèlent.
L'amour n'y suffit, puisque la mort semble tout emporter. Alors comment
déjouer cette idolâtrie qui prétend tourmenter indéfiniment?
Comment se réinventer devant les abysses promises d'une mort, impure
par excellence, prouver une vie éternelle qui n'est qu'un acte de foi facilité
plus ou moins par le milieu où l'on entre?
Les malades ont souvent grandi en l'absence d'ordre moral.
Frustrés de protection, raillés dans leur candeur ou leur simplicité, ils ont,
par imitation d'abord, peu à peu développé un sens amer de destruction de
soi et des autres, renonçant au tumulte d'imaginer une éternité, mais
s'appliquant à l'expérience de la souffrance et de la mort.
Le monde de la perversité n'est pas le seul à exiger le recours à la psy.
Des chercheurs et des utopistes, imaginant de sécréter des idées trop
neuves, en rupture avec le monde, réclament le secours de la thérapie.
Qu'ils aient ennuyé ou manqué de l'intérêt nécessaire à leur équilibre, et
ils recherchent une panacée de justice dans la loi du talion.
Exaspérés par un monde intéressé et où ils ne trouvent pas d'aide, ils s'en
vont compter sur celles de psy, plus soucieux de leurs travaux que capables
de les soutenir réellement.
Ces révolutionnaires sont un levain, dont peut-être je fais partie, mais je
n'ai pas encore courbé sous le vent.
Je continue avec enthousiasme à explorer jusqu'aux réponses que je
m'apporte à moi-même, à enregistrer celles que mon métier me découvre.
15
Le froid m'a gelé les os. L'hiver, venu du continent, ne subit pas
l'influence de la mer, pourtant proche.
Un ancien ami de passage, m'a trouvé plus occupé de mes fonctions que
par le passé.
16
J'ai accepté aujourd'hui un patient en consultation chez moi.
Arrivé plus tôt que prévu, il est demeuré au salon, tandis que je feuilletais
un article de médecine dont le contenu m'avait quelque peu échappé
premièrement.
Assis à mon bureau, je le guette en même temps. Il n'a pas de lecture pour
le distraire et promène son regard à l'entour, ou s'arrête dans une pose plus
méditative.
Son œil sévère, quelquefois plus inquiet, m'attend, vide.
Il est assis, encore embarrassé de son manteau gris que je l'invite à quitter
aussitôt qu'il prend place devant moi.
D'un langage direct et presque convaincant, il me parle comme s'il me
connaissait tout à fait, et de choses dont je ne sais d'où il les tient.
Sans doute un peu de paranoïa qu'il masque et je saisis peu à peu le sens
de ses phrases fantasmatiques, protégé d'un monde dont il n'attend que des
coups. Je retrouve les aspects de sa personnalité qui se redessinent pour
moi.
Déréglé, sans grossièreté, il est contraint par un univers qui semble
d'autant plus vaste qu'il est le seul à l'habiter.
Non pas le rejet total de tout ce qui l'environne, mais une perception aiguë
et singulière où il est reclus, où il se perd.
Habitué au mépris des autres, il élabore des sentences graves sans en
châtier le style.
Quelque chose d'assez pur en lui, malgré tout, mais une réalité dont il a
perdu le langage, même s'il essaye à sa manière de la reconstituer, l'ont
déconnecté du monde imperceptiblement, lui ont fait perdre un bonheur
auquel il a droit et qu'il ne s'habitue plus à réclamer, une saveur des jours
qu'il tente vainement de réinventer.
Malgré une culture étendue, il est parvenu à un châtiment de lui-même qui
s'aperçoit jusque dans la manière avec laquelle il sert les coudes sur les
flancs et rejette machinalement sa tête en arrière, qu'aucune mèche ne vient
pourtant déranger.
J'aime à penser qu'il puisse lui plaire que je l'aide, à la révélation qu'il me
fait de sa naïveté, et le sentiment d'échapper à mon rôle ne me retient pas.
J'estime ses révolutions, son attention philosophique m'émeut un peu.
Il me plaît de m'investir en lui, parce qu'en homme de goût, il se refuse à
revenir en arrière, à renier ce qu'il a aimé, du moins c'est ce qu'il m'en
semble.
Je crois l'apercevoir mieux, mais son histoire se dissipe peu à peu pour ne
laisser que son regard aiguisé et une certaine application à ses manières.
Son maintien droit interdit qu'on le suspecte et sympathique, il a quelque
chose d'une personnalité presque morale, dont il se joue. Il s'imagine autre,
et par le jeu du transfert, je m'imagine un instant à sa place, comme pour
pouvoir mieux l'aimer, mais sans exagérations.
17
Il ne se complaît pas en son état, mais comme la résultante d'un jeu de
mauvaises occasions, il insiste sur le manque de soutien de son entourage,
une vie amoureuse ayant tôt échoué sur des rivages de frustrations.
Je pense à cette faiblesse que d'accepter son transfert, mais j'ai moins le
sentiment de manquer à l'aide que je puis lui accorder.
Je connais peut-être mieux la mienne, ainsi.
En se levant, sa bouche s'est plissée dans un rictus indélicat, qu'il emporte
avec sa victoire.
Des problèmes, je puis lui en faire connaître; c'est un argument que je
garde.
Je ne l'ai pas raccompagné.
J'ai envie de rester avec moi-même, rediscuter les termes de mon discours.
Se connaître à travers les autres mais rester prudent avec des patients qui
sont le plus à même de nous faire abjurer notre moi, si on les considère avec
le plus d'aménité. Je sais que cela peut-être dangereux.
Mais n'est-ce pas à cela que j'ai aspiré, une abnégation de soi ?:
laisser un autre se repérer à travers l'inventaire qu'il peut faire des forces
que je possède au cours de notre échange.
N'est-ce pas cela vraiment aimer? Donner tout de soi au même, une fois;
se réinventer à chaque fois et recommencer. Débile !
Echanger son identité avec son patient est un acte de charité, mais c'est
bien peu psychiatrique.
Est-ce qu'on ne doit pas aller jusqu'au bout de ce qu'on vit, qu'on étudie ?
N'y a t-il pas une hypocrisie à se protéger soi-même de ce que finalement
on ne pourra qu'apercevoir ou décrire, sans jamais en avoir soupesé le
caractère d'existence réellement ?
18
Je ne me souhaite pas d'être patient, mais j'ai lu des revues où l'expérience
de la maladie, donne au psy une dimension humaine, comme une passion
qui le délie de s'introspecter.
e connais les éléments du tableau, pourtant je perçois déjà que j'ai moins
de prise sur moi, sur ma conscience, comme si mon raisonnement pouvait
s'échapper si je ne le retenais, automatique, autre que moi-même.
n vit la vie d'un autre, tandis qu'il semble vivre la nôtre.
Est-ce contre la morale ? Et je me retrouve à m'examiner avec la lentille
qui me faisait regarder les autres.
qu'y a-t-il d'anti-moral à s'imaginer un autre? Dénoncer des valeurs qui
n'en sont même pas pour l'autre, et vice-versa?
Si l'on a tant peur de fauter, il vaut mieux ne pas croiser le chemin d'un
quelconque autre !
Je n'envisage pas cela comme une tâche, mais un point de départ, qui doit
me permettre de comprendre dans quelle mesure le devenir de justice est
solvable, probable, l'inversion des rôles capable de donner de vivre de
multiples possibles, qui réalise l'être en prêtre-dieu, comme prêchait Jésus.
Ne vivre sa vie que comme telle, c'est être totalement prédestiné, et ne pas
pouvoir prévoir aucune aventure, laquelle étant elle-même le creuset où se
joue la faute, mais où il est possible aussi de lui résister.
19
que l'on a été, dans un temps imaginaire, plus lié à notre vie que la réalité
même de la lumière qui nous inonde.
L'acquis d'une vie où l’on n'a, à soi, rien, sinon ce qu'on possède sans
l'avoir réellement goûté. Vaincre une mort qui nous fait risquer de tout
laisser échapper.
20
On ne peut non plus vivre dans l'asepsie totale.
Accomplir sa peur et son inconnu dans une révolution sur soi du temps,
qui définisse totalement nos tenants et nos aboutissants, peut-être?
Une pointe de ses seins m'a fait légèrement rougir quand je l'ai devinée.
Moins maître de moi, je me demande si j'ai le droit de trouver une femme
attirante, si j'estime qu'elle restera entièrement, même nue, indémontable,
irréductible à ma perception d'aucun élément essentiel.
Sa blouse est d'un tissu léger. Rien ne laisse voir son âge exact et je ne
crois pas qu'elle ait un homme dans sa vie.
Les arbres me semblent rougis, comme par une tension de mes yeux
gorgés de sang chaud. Un rouge révolutionnaire, impur, qui est peut-être
celui du crépuscule.
21
superbement surgis de l'ombre, pour annoncer les temps derniers de
l'Apocalypse.
Contrôler ce qu'on n'a été que dans l'imaginaire, à travers les autres; ou le
vivre soi et n'en plus se relever ?
22
lecture. Ici l'on fait du travail sur cuivre ou du dessin sur bois au stylet
électrique.
La concentration la plus grande réclame de tous des efforts où ils
s'épuisent rapidement.
Quelques uns, plus près de leur sortie, sont occupés à des opérations de
calcul assez élémentaires.
Si j'en juge par son dessin adroit, le choix harmonieux et délicat des
couleurs, elle est prise par son sujet, qui ne lui est du reste pas imposé.
A l'aide de gouaches, elle compose habilement des bouquets multicolores,
entrelacés, ou bien est-ce un verger entouré de buissons?
Je m'assois près d'elle après lui avoir été présenté. Mes fantasmes me font
plus proche du malade, quand je les sens qui me pressent de resurgir à ma
pensée.
Je puis être objet d'intérêt pour la même patiente qui l'est pour moi.
23
Je serai remplacé assez facilement, peut-être un peu trop tôt.
24
J'ai remarqué un intérieur soigné, et plus de goût que de moyens.
Je me demande si je ne me suis pas envolé un peu trop brutalement.
Dans la soirée, je lui ai fait porter une gerbe d'œillets et elle, peu
embarrassée, en m'indiquant qu'elle les a reçus comme pour me remercier,
m'introduit aussitôt dans sa chambre.
Quelle malchance d'entrer dans l'intimité d'une femme que je n'ai pas
cherché plus tôt à connaître.
Notre attirance physique parvient rapidement à son paroxysme et je veux
déjà me retirer de cette expérience avec le plus de prestige possible.
Passé le premier essai, que me restera t-il de cette rencontre ?
Je me retrouve un instant moi-même, flatté d'être celui qu'elle pressent
que je suis.
Je ne suis pas ici plus satisfait de mes rapports sexuels que je ne l'ai été
avant.
Qu'importe, je cherche une réponse à des questions que je ne sais pas très
bien encore formuler, que la lecture d'autrui aurait autrement tardé à
m'apporter.
25
A la limite, un hologramme parfait, comme une bible résumant les oracles
du temps, livrerait les termes inclus du transfert et ses secrets. Comprendre
ce qu'est de comprendre, ou se faire sauter la cervelle pour y arriver, en
exigeant du programme des tensions électriques qui ruineraient l'équilibre
des tensions de surface du monde, ou les éroderaient.
Comment alors déjouer la parole de l'oracle, sa malédiction possible - ou
au contraire en tirer le meilleur profit ?
La malédiction du transfert est liée à un devenir sémantique incompris.
Elle nous emprisonne dans notre propre insatisfaction, nos exigences
impatientes, la difficulté à se trouver une place; mais elle est due aussi au
refus de l'hologramme, même seulement imaginé, de nous livrer le secret de
l'observation de nous-mêmes, ou de ce qui serait une connaissance du
transfert après les prémices de l'expérience.
Avant de résoudre historiquement le problème de cette pâte inaccomplie,
on en accepte la malédiction.
Entre-temps, la solution serait d'échapper à l'incompréhension de ce
qu'est donner et recevoir.
Ou bien, après qu'on aura imaginé un premier hologramme, en imaginer
un autre.
Le dessin suranné des années chiffons où le passé est intriqué dans une
maille confuse avec un présent diffus, fait comme un brouillard
impénétrable et que déchire la douleur physique naissante.
Pour croire que je puisse encore vacciner de leur goût du mal de simples
truands, j'essaie, au repos, d être à moi-même ce que je veux être pour les
autres.
Le ciel m'apparaît tel une image d'Epinal, enfantine et pourtant
impossible à saisir.
Je me rappelle le contact de ce corps et sa caresse tendre, sous laquelle il
me semblait que la souffrance s'exagérât.
Cette caresse ne m'a jamais appartenu réellement.
Je suis jaloux de la place que d'autres peuvent occuper dans mon esprit.
Ils ne m'apportent plus de réconfort, mais augmentent ma préoccupation.
26
J'ai un besoin spirituel très fort, qui s'exacerbe à la mesure grandissante
de mon chagrin moral.
27
Je m'y suis soumis, l'ai admis aussi.
Comment continuer de le faire si j'ai vérifier l'insuffisance des théories des
maîtres les plus justes, de leurs vérités héréditaires ?
Je me sens déphasé et non pas ragaillardi par une morale qui me semble
déchue même si je lutte contre l'idée d'aimer.
Cette gifle constituée du transfert qui me vole ce que je suis ou puis être
aux autres, est comme celle de la joue tendue chrétienne.
Je n'aime pas le gris des grands ensembles et la pluie fine qui leur est
toujours liée, mais dans son opposition aux plus vieilles demeures, il fait un
contraste de temps que semblent délimiter les rues qui en quadrillent la
géométrie.
Dans un centre, des mannequins aux formes ondulantes, trônant dans des
vitrines oniriques et onéreuses, la pâleur poisseuse des trottoirs poussiéreux,
m'inclinent à l'indolence de la paresse, à remarquer qu'on ne me remarque
plus. Ou bien manqué-je de maintien? J'accorde de plus en plus une
attention qui me manque. Je la sentais si chère dans le passé à ceux
auxquels je l'adressais avec bienveillance.
28
Ici, je crois qu'on me regarde et qu'on me cherche. Luna Park où chaque
corps est de la fête comme un lumignon qui projette sa lueur mensongère et
rieuse sur les rivages vierges d'un paradis artificiel.
Le ciel est un magma chargé de gaz d'autos, dégagés en une coiffe, qui
surplombe la ruelle étroite et dont on ne voit plus les pâtés de maisons.
Je sais qu'il me faut jouer autant qu'être sérieux, pour laisser à l'amour sa
chance ; rester maître de ses sentiments devant des femmes dont l'attraction
n'est peut-être pas seulement fausse. Romantisme résigné et éclectique.
Quelques minutes peut-être d'un plaisir ressenti aussitôt après comme une
gifle. Des mots qu'on échange dans l'indifférence.
Pour se jouer peut-être du destin, la première vers laquelle je me tends
m'en laisse voir une autre, à ses côtés, sans qu'elle me l'ait indiquée
réellement. Ou bien est-elle sensible au poids du fatum qui semble sur mes
épaules?
Peut-être cette professionnelle-là lèvera-t-elle l'écrou de ma prison
intérieure ? L'abolir en soi par une seconde d'instinct, de brutalité agressive
qui reste à purger, mais que j'essaie de contraindre.
J'ai encore l'impression de vouloir en finir avant même d'avoir commencé.
Ce n'est pas la honte, mais parce que l'après de l'expérience se justifie plus
qu'elle-même, qu'il est plus riche d'enseignements.
Je suis renfermé et lui trouve beaucoup de conscience au travail.
Je cultive trop d'idées sur les effets du mal pour être capable de me laisser
aimer.
Je n'ai pas été moins aimable mais sans plus saisir pourquoi, il me semble
être plus odieux à moi-même. Ce n'est pas encore l'expérience de l'amour
tant attendue, malgré un intérêt quelconque de cette fille, qui n'est pas seul
celui du gain.
Elle m'apparaît maintenant au front lisse et blanc, sans la tâche d'aucune
salissure et je sais que j'exagère une réalité que je ne fais qu'assumer seul en
moi. Mon langage me devient de plus en plus personnel.
Ou bien est-ce l'orgueil d'une culture qui m'interdit toute réplique à
l'insolence de l'amour?
29
J'ai un moment de paranoïa dans la rue, dont l'analyse n'indique pas
même que j'en sois libre pour longtemps.
Enfin, la pluie, plus froide, vient rythmer les battements de mon cœur.
Quelque chose de pervers me la fait retrouver avec l'instinct du plaisir;
comme l'annonce maussade de vérités qu'il me plaît de lire.
Je réintègre mes pénates, sans chercher à voir quiconque.
30
Avoir été trompé en amour, par l'acrimonie qu'il entraîne, constitue un
état dit de perversion, qui peut condamner en ne songeant pas à aider.
Une exigence de justice perverse prend le relais de la conscience claire.
Mais même cette philosophie ne peut parer d'un coup où l'on a participé,
qu'on a choisi d'initier.
Une fois acceptée l'idée de pardon, il est difficile d'y apporter un refus.
31
Quand même le domaine a été interpellé, parcouru, s'il nous apparaît
encore en friches, loin de mépriser les redites, mais non pas l'imitation, on
s'exercera avec les moyens qui le poursuivent et dont on est pourvu - et qui
apporteront la satisfaction, non pas d'une annexion du monde, et c'est égal,
mais d'une connaissance d'une région d'icelui.
De fait, par sa subjectivité, on devra développer un accès au monde, qui
par la simple concurrence des faits et de leur appréciation, réalise une
adéquation au présent objectif.
On se prépare à vivre en symbiose les événements mêmes que l'on vit
exactement.
Parler d'une volonté qui serait rendue à celle de l'entendement divin, n'est
pas décrire entièrement le phénomène, si l'on prétend en même temps, que
la possession du monde se fait en rivalité avec lui.
C'est un paradoxe que je laisse à de certains religieux et ne reprends pas.
Si l'on prétend être supérieur à dieu, il reste autant à en chercher un
autre, ou n'en pas chercher du tout.
Il est bon de considérer ici que la catégorie de dieu est un ustensile qui
doit servir le gaspillage des œuvres enfantines, tout en leur donnant la
maturité de créer, par la même symbolique que celle des jouets, sur lesquels
leur préhension développera son exercice.
Un bon mot, une occasion favorable sont regardés par l'homme de "bien"
comme un message essentiel qui n'appartiendrait qu'à lui, mais aussi
comme une entité qu’appréhende l'inconscient ou la vie cachée.
32
La connaissance de vérité et le goût du réel interviennent entre les êtres
qui les conjuguent, comme le sentiment qui nous rapproche de pouvoir
conduire notre avenir.
Le bon malade écoute ses voix, mais essaye de leur imposer son dessein
propre. Il tente aussi de ne pas ressentir la communication avec autrui
comme une contrainte.
L'évolution du monde est sa recherche d'un âge d'or, ou d'une légalité qui
en permette la définition des termes. Comme un âge à la fois concluant une
aventure idéologique et industrielle, mais qui aurait aussi dans le temps
relatif, préexisté.
33
Etablir une définition de la loi qui serait remise à l'étude
quotidiennement, c'est occasionner un chaos en soi, où ni le sens de vérité,
ni les valeurs sociales n'ont plus place.
Pourtant comme pour les peuples, nous avons des aventures qui sont nos
révolutions et dont nous devons sortir vainqueurs.
Que l'histoire soit un perpétuel recommencement n'enlève rien aux acquis
de l'expérience et à la vérité temporelle de son caractère.
34
L'histoire devrait vivre son cheminement jusqu'au terme de l'un de ses
cycles pour que Jésus vive.
Israël a besoin du dialogue avec les Chrétiens pour ne pas s'aliéner, même
s'il lui paraît de pouvoir vivre en parfaite autarcie.
35
si l'individu, maître du don peut être accaparé sans jamais espérer recevoir
une réponse qui soit de l'ordre du moral, comme autant l'a été le don.
Les conduites d'autrui nous sont sémantiquement opaques, dans notre
méconnaissance de la notion d'éternité, les hommes résonant les uns aux
autres comme part d'une entité hologrammique qui les lie de façon
irrémédiable.
Si le message de l'autre ne délivre pas de contenu, mais semble poser de
nouvelles questions, que j'appelle enfantines, il me paraît barbare et
idolâtre et la communication un leurre.
A sa façon, tout être porte sa croix, vit une gestation en forme de passion,
mais qu'il réalise le mieux dans l'amour, quand il est capable d'imiter.
Si le monde devient illisible à l'artiste, c'est que son œuvre fait montre de
nouveauté.
Les âmes acquièrent leur éternité, par la même histoire qu'elles peuvent
vivre, d'un être éternel. La vie étant par rapport au cycle éternel, hors du
temps, elle n'a besoin de personne pour se réaliser totalement.
Les conduites des uns peuvent entraver celles des autres, mais on ne peut
en reconnaître toujours la raison, ou affirmer une volonté qui est du mal.
Le robot, qu'on envisage hologrammique, nous pose la question de son
comportement essentiellement bon ou mauvais. I.e., il revient à se rendre
maître de cette connaissance, de la matérialité de son essence.
36
Le choix de l'histoire est tel que l'équilibre instable dépassé, il doit être
invincible aux hommes de redéfinir le vecteur de leur action.
Le choix de cette pureté peut se faire à chaque instant de la vie, dès qu'on
inclut ses manquements à la justice, ou qu'on en fait mentalement
l'abstraction.
C'est le repentir que tout juif essaye d'atteindre, peut-être par son retour
à la terre.
37
Ses parents l'aident, aussi le visitent.
Les pages qui figurent comme des notes personnelles ou des lettres qu'il
aurait adressées à l'un quelconque de ses amis, se situent
chronologiquement où je les ai placées.
Parcourir le temps, c'est le matérialiser, comme par des traces, les cailloux
du Petit Poucet.
Comment refuser la main tendue et l'amour avec elle, rester sourd aux
appels du juste et leur donner des interprétations de faiblesse ?
38
J'en suis arrivé à me demander si les machines fonctionnent par l'énergie,
ou seulement le coup de fouet d'une force brutale.
Combien de fois ai-je pensé à la tranquillité qui avait été la mienne à l'âge
de la pratique des commandements de la loi.
Agir pour le bien par un devoir de mal, faire le mal par devoir, c'est le
réduire à néant.
Moralité du mal. La route pour l'enfer est pavée de bonnes intentions.
La femme est supérieure à l'homme parce qu'elle est ce vers
quoi il tend, identique à la loi dans sa forme pure.
L'idolâtrie est une faiblesse de tempérament vécue par les forts comme un
désir de la voir disparaître.
Que dieu soit un veau, cela s'entend puisqu'il a conçu à l'homme le
repentir; que le voleur pris sur le fait imagine un crime plus grand.
La grandeur de cette époque est de présumer un repentir sincère dans des
discussions le plus équivoques.
Mon combat est celui de l'inexistence.
39
L'ego ne peut être la seule expression, de l'homme même s'il est la finalité
de son action.
Chacun est un messie à soi.
Tout est contenu dans la pensée diurne qu'il faut écouter.
On n'est l'élu que de la souffrance d'un autre.
Je souhaite à Jésus de se défaire de ses tentations à périr, pas assez
chrétien pour lui en souhaiter une nouvelle à chaque nouvelle faute.
Notre siècle, fier de nous faire entrevoir toute chose de notre existence,
nous laissera-t-il enfin, non pas contradictoirement des dieux, mais des
hommes heureux ?
1989, juillet.
40