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De la réécriture de la fiction
pastorale ibérique en France
(XVIe-XVIIIe siècles)
FAUX TITRE
333
Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions
de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents -
Prescriptions pour la permanence’.
ISBN: 978-90-420-2630-8
E-Book ISBN: 978-90-420-2631-5
© Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2009
Printed in The Netherlands
Cet ouvrage n’aurait jamais pu voir le jour sans les précieux
conseils de Madame Ofélia Paiva Monteiro et de Monsieur Aníbal
Pinto de Castro, Professeurs de la Faculté des Lettres de l’Université
de Coimbra, qui ont toujours suivi mon parcours et qui m’ont fait par-
tager leur érudition et leur amitié. Je tiens à remercier ces « vieux »
Maîtres qui se sont toujours placés, avec une pudeur intelligente, à
l’avant-garde du savoir et qui resteront des symboles d’une « École »
et de l’École.
Qu’il me soit aussi permis de manifester ma gratitude à Mme Eula-
lie Pereira, lectrice de langue française à la Faculté des Lettres de
l’Université de Coimbra, qui a accepté de revoir ce texte et de travail-
ler avec moi dans cette réécriture.
Un dernier mot pour témoigner de ma reconnaissance à ma Fa-
mille: cet espace privilégié d’affection et de solidarité m’a permis de
mener à bien l’écriture de cette œuvre.
L’œuvre de langage ne ferait rien d’autre qu’avancer plus profondé-
ment dans cette impalpable épaisseur du miroir, susciter le double de
ce double qu’est déjà l’écriture, découvrir ainsi un infini possible et
impossible, poursuivre sans terme la parole, la maintenir au-delà de
la mort qui la condamne et libérer le ruissellement d’un murmure.
1
« Translation without change is not translation but mere citation, leading only to the
barren fields of subjection. So translators both ground a culture in their role as archi-
tects of vernacular languages and cultures and they creatively undermine and chal-
lenge these very cultures and their capacity as underground agents. » (Cronin, 2003:
38).
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Des Réécritures
Chapitre I
1
Dans Spécularités Classiques, B. Beugnot justifie ce concept explicité dans le titre
de son ouvrage et son application au XVIIe siècle, à l’aide d’un fragment de Tel Quel
(1963) de M. Foucault: « L’œuvre de langage ne ferait rien d’autre qu’avancer plus
profondément dans cette impalpable épaisseur du miroir, susciter le double de ce
double qu’est déjà l’écriture, découvrir ainsi un infini possible et impossible, poursui-
vre sans terme la parole, la maintenir au-delà de la mort qui la condamne et libérer le
ruissellement d’un murmure. » (Beugnot, 1994: 243).
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2
Voir les travaux de José Lambert et d’Yves Chevrel qui mettent l’accent sur le statut
du texte traduit dans la littérature d’arrivée, partant de l’analyse du degré
d’équivalence que la traduction présente par rapport à l’original, à travers l’analyse
des différences génériques, des conventions poétiques, rhétoriques et stylistiques et
des techniques narratives, entre autres (Lambert, 1989: 156).
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3
Ce qui justifie que, dans une œuvre où l’on analyse les horizons européens de la
littérature française du XVIIe siècle, C. Wentzlaff-Eggebert consacre un chapitre à une
présentation sommaire du cadre de réception des traductions françaises de la Diana de
Jorge de Montemayor, en soulignant l’importance de ces textes dans la configuration
« internationale » de l’histoire du roman français de cette époque (Wentzlaff-
Eggebert, 1988). Cela explique, en outre, que Françoise Lavocat accorde au sujet une
importance toute particulière dans ses Arcadies Malheureuses (Lavocat, 1998).
4
C’est en ce sens qu’Yves Chevrel souligne le rôle qu’une histoire des textes traduits
en français pourrait jouer dans la révision d’une histoire critique de la littérature fran-
çaise, considérant son statut dans une théorie de la réception: « Il nous manque une «
histoire de la traduction en France », bien que des travaux fondamentaux aient déjà été
menés sur des cas particuliers; une « histoire des textes traduits en français » rendrait
bien des services. » (Chevrel, 1989: 211).
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5
Voir, à ce propos, le texte d’Antonio Figueroa sur « la lecture dans un autre espace »
dans lequel il mentionne objectivement le passage de la textualité à la métatextualité,
et admet que la lecture, dans le passage vers un espace autre, se concrétise à partir de
modèles implicites et préalablement assumés (Figueroa, 1991). Lotman considérait
aussi que la littérature étant un mécanisme auto-organisé, il est possible de distinguer
un ensemble de textes qui présentent un niveau plus abstrait que les autres, désignés
comme « métatextes » (Lotman, 1976: 344).
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6
La traduction comme réécriture est le concept fondamental de l’une des plus impor-
tantes œuvres de Lefevere, à tel point que l’auteur le considère comme une compo-
sante essentielle de la poétique: « Rewritings, mainly translations, deeply affect the
interpenetration of literary systems, not just by projecting the image of one writer or
work in another literature or by failing to do so (…) but also by introducing new
devices into the inventory component of la poetics and paving the way to changes in
its functional component. » (Lefevere, 1992: 38). Voir encore, à propos de ce concept:
Bassnett et Lefevere, 1995: 10; Bassnett, 1995: 148.
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7
L’expression est de João Barrento, professeur et écrivain portugais ayant consacré
plusieurs études à la poétique de la traduction: selon lui, la traduction et le texte litté-
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raire s’insèrent, de façon particulière, dans un processus spéculaire dans lequel les
signes sont, à la fois, égaux et différents (Barrento, 1996: 193).
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11
« Translation has been a major shaping force in the development of world culture,
and no study of comparative literature can take place without regard to translation. »
(Bassnett et Lefevere, 1995: 12).
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12
Selon Benjamin, à l’intérieur de la structure linguistique s’exhibe en permanence le
conflit entre ce qui est exprimé ou qui pourra être exprimé, et l’inexprimable. Michel
Ballard met l’accent sur cette perspective en s’attardant sur ce concept de
« révélation » et sur l’idée subséquente que la traduction parcourt « des continuums de
modification » et non des régions abstraites de ressemblance (Ballard, 1992: 253-
255).
13
« On peut poser en principe que, si une traduction est une forme, certaines œuvres
sont par essence traduisibles. Dire qu’elles sont par essence traduisibles, ce n’est pas
dire que leur traduction soit essentielle pour elles, mais seulement qu’une certaine
signification, immanente à l’original, s’exprime dans le fait qu’elles puissent êtres
traduites. » (Benjamin, 1971: 263).
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17
Voir, à ce propos, le Chapitre V de mon étude sur les deux premières traductions de
Los siete libros de la Diana dans laquelle ce problème est abordé, ayant comme ar-
rière plan la praxis de traduction développée par Colin et Pavillon (Anacleto, 1994:
171-229).
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18
Lawrence Venuti souligne la pertinence de cette notion d’une « afterlife » sous-
jacente à la traduction (Venuti (ed.), 1992: 7), suggérée par les penseurs post-
structuralistes comme Derrida et Paul de Man, lesquels, à l’instar de Benjamin, remet-
tent en question le concept d’originalité et la perspective qui envisage le texte litté-
raire comme l’expression cohérente d’une forme de sens forgée par l’auteur –celui-ci
étant destiné à vivre une « survie » dans une forme dérivative comme la traduction.
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19
Voir le travail de Paul De Man lu par Brian Fitch (Fitch, 1994: 160-161).
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La dimension fictionnelle du texte littéraire mène, selon C. Volkmar, à la construc-
tion d’un espace imaginaire (de lectures) où se nouent – il cite à ce propos Barthes – «
un ensemble de traces en déplacement », filtrées par l’« alchimie de l’autorité »
(Volkmar, 1995: 68).
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21
Selon U. Eco, les orientations introduites dans les études littéraires par l’esthétique
de la réception, par l’herméneutique, par le « reader oriented criticism » et par la
déconstruction ont détourné l’objet de recherche des évènements empiriques de la
lecture (objet d’une sociologie de la réception) vers l’analyse de la
« fonction de construction » du texte littéraire (Eco, s/d: 21).
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22
Voir, à ce propos, la synthèse faite par l’auteur en ce qui concerne la perception
temporelle du littéraire: « Le jeu du même et de l’autre n’est pas un jeu sur l’identité
de l’œuvre mais un jeu sur le temps. L’œuvre est un passé présent. (…) Le glissement
temporel fonde l’autonomie même du signe, de l’œuvre littéraire. » (Bessière, 1993:
22-23).
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23
« (…) the epistemological assumptions of Translation Studies depend on viewing
texts as dynamic and productive rather than static and fixed, and thus contribute to the
ongoing post-modern re-valuation of the nature of language. » (Gentzler, 1993: 78).
Chapitre II
e
IMITATION D’IMAGES ET CITATION DU TEXTE (XVI SIECLE)
1
« Ce que l’écriture des Essais doit à la traduction, n’est-ce pas une métaphore de ce
jeu ambigu, jamais suspendu, entre le même et l’autre, entre rivalité et réincarnation,
émulation et incorporation? » (Compagnon, 1984: 43).
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2
Voir: Chavy, 1981; Chevrel, 1989 a; Kushner et Chavy, 1981; Van Hoof, 1991.
3
Voir: Chavy, 1981; Guillerm, 1988; Larwill, 1934; Nemer, 1977.
Images avant le texte 39
4
Traductions de Pétrarque (Marot et Peletier, Sonnets, 1547), Castiglione et Le Tasse
(Jacques Colin, Courtisan, 1537; La Jérusalem régnante, 1600); Boccace (Antoine le
Maçon, Décaméron, 1540); Sannazar (Jean Martin, Arcadie, 1540); Guarini (Brisset,
Le Berger Fidèle, 1593); Bandello (Belleforest, Histoires Tragiques, 1559); Arioste
(Chappuys, Roland Furieux, 1576); Bembo et Francesco Colonna (Songe de Poli-
phile, 1541).
5
Traduction de la Célestine de Rojas en 1527 (retraduite ensuite par Jacques de La-
vardin en 1578); traduction de L’horloge des Princes (Guevara) par René Bertaut, en
1513 et de Du mespris de la cour par Antoine Alaigre, en 1542; traduction de
L’Hexaméron de Torquemada en 1579, par Gabriel Chappuys, traducteur aussi, entre
1577 et 1583, de Primaléon de Grèce et d’une version conjointe de la Diane de Jorge
de Montemayor (1587) avec Nicolas Colin – l’auteur de la première traduction du
texte qui date de 1578.
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6
Voir, à ce propos, la relation version/imitation établie par Thomas Sébillet dans son
Art poétique françoys: « Mais puis que la version n’est rien qu’une imitation, t’y puy
ie [Lecteur] mieux introduire qu’avec imitation? Imite donc Marot en sa Metamor-
phose, en son Musée, en ses Psalmes: Salel, en son Iliade: Heroet, en son Androgyne:
Des Masures, en son Eneide: Peletier en son Odysée et Georgique. Imite tant de di-
vins espritz, qui suyvans la trace d’autruy, font le chemin plus doux à suyvre, et sont
eux mesmes suyvis. » (Sébillet, 1972: 74).
Images avant le texte 41
7
Conclusion à laquelle parvient Dominique de Courcelles lorsqu’il évoque la traduc-
tion réalisée par le philologue Claude Gruget, en 1552, d’un texte espagnol de Pedro
Mexía – Diverses leçons de Pierre Messie: « (…) la traduction se rapproche de
l’herméneutique dans la mesure où elle oblige à interpréter et à clarifier l’origine à
l’aide d’une langue autre. Ce faisant elle ouvre la voie à la codification d’un « bon
goût » dont les règles sont étroites. » (Courcelles, 1998: 123-124).
8
Sur l’importance assumée par Jacques Amyot dans le domaine de la traduction
française du XVIe siècle, on doit prendre en compte, entre autres, les travaux suivants:
Ballard, 1992; Bellanger, 1903; Blignières, 1851; Cary, 1963; Mounin, 1994; Van
Hoof, 1991.
9
« Au tres puissant et / tres chrestien Roy de / France Henri deuxième de ce nom, /
Iacques Amyot Abbé de Bellozane / son treshumble et tresobeïssant serviteur »
(Amyot, 1567).
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clairement entendre que la version de Des Essarts est déjà une « Belle
infidèle » (Guillerm, 1988: 32) qui annonce l’ouverture esthétique et
discursive qui caractérisera cette pratique au XVIIe siècle. Il s’agit en
effet d’un travail particulier de l’écriture qui, en considérant le modèle
comme un pré-texte, le transforme au cours du processus conscient de
réécriture par le biais d’additions, de digressions, d’amplifications
rhétoriques ou de développements descriptifs, afin de parvenir à une
affinité esthétique qui sera si proche du public que le texte devient
rapidement un « best-seller » (tout comme, plus tard, la Diana de
Montemayor). Or, c’est justement une recherche de la convenance qui
justifie les clivages dont la traduction de Des Essarts fait preuve par
rapport au texte de Montalvo, considérés par Guillerm comme des
signes de rupture sur lesquels repose la perception de la figure du tra-
ducteur en tant que sujet de l’écriture ou sujet dédoublé 10 .
Mais, si les traductions françaises de Plutarque, d’Héliodore, de
Longus et de Montalvo, dans leur spécificité et dans leur éloignement
implicitement assumé par rapport au discours antérieur, reflètent,
d’une part, la liberté créative dont se réclame la figure du traducteur, à
une époque où l’on débat les questions théoriques sur la traduction,
elles sont aussi, d’autre part, des signes d’un sentiment de servilisme
et des limites de l’auteur – un autre topos de la traduction au XVIe
siècle. En somme, face à l’écriture première, le traducteur se trouve
dans une position de « servitude » – lexème fondamental constamment
réitéré dans les péritextes –, l’invention se heurtant, nettement, à la
traduction, l’intention au « mot à mot », la parole à la sentence, dans
un jeu complexe d’identités où s’affrontent deux sujets d’écriture (le
nom/auteur de l’écriture et le nom/auteur de la réécriture).
La fonction (ou tendance) de révéler la tradition, sous-jacente à la
traduction des textes anciens et justifiant, au départ, le choix de la
littéralité dans la réécriture, montrera, dans la mesure où elle dévoile
une relation nécessaire d’un texte par rapport à d’autre(s) texte(s), que
la traduction peut aussi s’assumer comme un acte de recréation par
excellence, dans une culture où l’imitation (ou la tradition) est une
10
« Repérer donc ce que, dans les tendances qui marquent sa version, le traducteur
doit déjà à certains traits d’écriture de son modèle, qu’il amplifie, prolonge, rétablit
quand il les trouve absents, qu’il gauchit aussi à sa façon, c’est tenter de contribuer à
l’histoire de cette continuité dynamique, seule condition pour qu’apparaissent, sans
illusion d’optique, certaines ruptures. » (Guillerm, 1988: 131).
Images avant le texte 43
valeur pertinente 11 . Or, cette quête d’une identité située dans le pré-
sent de l’écriture et la mise en valeur de l’acte de recréation (ou
d’invention) que l’on retrouve dans les manipulations textuelles très
souvent mises en œuvre et, explicitement, assumées auprès des lec-
teurs – comme on le verra dans l’analyse de la réécriture de la fiction
pastorale ibérique dans la littérature française – sous-tend la « défense
et illustration de la langue française », recherchée, elle aussi, dans une
altérité linguistique exhibée intégralement dans la transposition des
écritures.
La dignité et le plaisir de la langue deviendront ainsi au XVIe siècle
des éléments fondamentaux du discours sur la traduction. La remarque
d’Etienne Pasquier, dans Recherches de la France (Tome VII), sur la
traduction des livres des Amadis réalisée par Herberay des Essarts,
souligne, justement, cette tendance à vouloir créer un langage plus
expressif et plus riche du point de vue lexical, par le biais de divers
exercices linguistiques, permis dans et par la réécriture et expressé-
ment cultivés par le traducteur. Cette idéalisation, associée à un enri-
chissement linguistique véhiculé par la traduction, explique les multi-
ples versions françaises qu’un même texte peut susciter –notamment,
les nombreuses traductions françaises de Los siete libros de la Diana
publiées à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. En effet,
ces versions illustrent un désir d’accéder à une reproduction idéale du
sens de l’écriture originale en jouant avec les multiples potentialités
expressives de la langue-cible.
De même que l’on cherche, à travers la traduction, à atteindre à une
connaissance plus profonde et plus individualisée de la langue fran-
çaise, on vise aussi, implicitement, à saisir une fonction littéraire de la
traduction, très souvent liée à l’envie de divulguer des genres incon-
nus du nouveau public. On comprend donc aisément que le fait de
publier une traduction (ou le choix de réécrire un texte) suppose
l’élargissement de son champ hypothétique de lectures et par consé-
quent la divulgation d’une forme littéraire auprès d’un plus grand
nombre de lecteurs qui peut y reconnaître, soit une formulation poéti-
que canonisée, soit une nouvelle forme scripturale. Le texte traduit
peut ainsi jouer un rôle fondamental dans la création d’un réservoir
11
Voir l’avis formulé par Gisèle Mathieu-Castellani sur cette notion de « tradition ».
Selon l’auteur, la poétique moderne fait ressortir la nature d’une relation de transfor-
mation, voire de transgression, visible dans les textes traduits (Mathieu-Castellani,
1977: 11).
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12
Miguel Angel Vega a consacré, en 1994, une étude extrêmement intéressante aux
textes théoriques de Dolet, Sébillet, Du Bellay et Peletier, les considérant, globale-
ment, comme l’expression la plus profonde de la théorie de la traduction à la Renais-
sance française (Angel Vega, 1994).
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13
C’est en ce sens que Glyn Norton considère les préfaces des traductions, à la Re-
naissance française, comme des « interpretant postscript[s] » qui remplissent, d’une
part, l’axe horizontal de l’espace textuel, en instituant un pacte explicite entre le sujet
de l’écriture (le traducteur) et une audience (le dédicataire et/ou le public lecteur) et,
d’autre part, l’axe vertical, quand il s’oriente vers d’autres textes synchroniques ou
antérieurs, érigeant son repère contextuel (Norton, 1984: 234).
Images avant le texte 47
14
Voir, dans ce contexte, le livre que nous avons publié en 1994 déjà cité, ce qui nous
permet, dans ce chapitre et dans le chapitre suivant, de condenser les informations et
les exemples afin d’éviter la répétition (Anacleto, 1994: 106-107).
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15
« A Tres-haute, / et tres-vertueuse / Dame, Madame de / Maugiron » (Lancelot,
1614).
16
Le texte de Lancelot est extrêmement expressif et plus élaboré que ceux qui le
précèdent, présentant une Amarilis « vestue à la Françoise » qui s’expose humblement
à la dédicataire et, en dernier lieu, au lecteur en général: « Ainsi, trauersant l’oposé de
ces scadrons enuenimez, voicy (Madame) Amarilis, que ie vous présente vestùe à la
Françoise, non pas d’un habit si bien façonné qu’il pourroit estre, ni selon la mode des
Cours, qui mettent en dispute les choses de moindre importance: mais de la sorte qui
sied le mieus à l’humilité de sa condition, où elle veut plustost vous paroistre obeis-
sante, que suffisante. » (Lancelot, 1614).
17
« A Messire / Claude de Cre- / meaulx, Seigneur de / Charney, Lieutenant pour le /
Roy en sa Citadelle à Lyon, et / Capitaine de Seruiere » (Colin et Chappuys, 1587 c).
Images avant le texte 49
Monsievr, comme ainsi soit que ie sois affectioné seruiteur des hõmes ver-
tueux, desquels vous estes l’un, cognoissant le grand plaisir que la France a
reçeu des sept premiers liures de la Diane de George de Monte-maior, qui ont
esté plusieurs fois imprimez, ie me suis mis à la sollicitation de quelques gen-
tils-hommes à traduire la seconde partie d’icelle, que i’ay dediee à Monsei-
gneur le Duc de Mayenne, Pair, grand Chambellan et Admiral de France (Co-
lin et Chappuys, 1587 c: 3).
Ceux qui n’ont iamais ressenty l’effort d’aucune passiõ, et desquels l’ame ne
s’est encor affligee pour un obiet desiré, voyans ces discours, apprendront par
18
Paul Chavy estime que l’objectif premier des traducteurs de la Renaissance, expri-
mé dans les péritextes (Avertissements, Épîtres) est celui de traduire un texte riche
d’enseignements, sur le plan pratique, moral, spirituel ou sous ces trois aspects (Cha-
vy, 1981: 290).
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19
« Il y en la plusieurs, qui voyans és mains des Dames, les liures qui par la douceur
des tiltres qu’ils portent, semblent esmouuoir les cœurs aux desirs d’amour, les accu-
seront de curiosité inutile, leur remonstrãt que le temps employé à tels exercices est
vain (…). Aussi qu’il ne seroit conuenable, que fussiez priuees d’entendre le bien dont
vous estes la cause: Venez dõc icy, et voyez vos puissances, et dites à ces perturba-
teurs de delices, que n’auez crainte d’estre trompees par ces discours, veu que le soleil
n’est point eschauffé de ses propres rayons, ainsi ne pouuez estre atteintes de voz
propres forces. » (Colin et Chappuys, 1592 a).
Images avant le texte 51
L’histoire de ceste Diane est belle et fort plaisante, sur toutes choses que ie
aye oncques veu de mesme suiect cõme i’ay desia touché: car outre le dis-
cours continu de plusieurs aggreables incidens deça dela épars, vous y pourrez
bien remarquer selon vostre sçauoir, les meilleurs traits qui se trouuent aux
Poëtes de l’une et l’autre langue, et principalement au Prince des Poëtes La-
tins, accomodez neãtmoins en prose par l’autheur mesme, aussi bien et plus
volontiers qu’en son vers. (Colin et Chappuys, 1587 c: 5; 7).
20
Cette édition trouve son parallèle dans la traduction de Pavillon, publiée en 1613,
qui reproduit littéralement les péritextes et le texte corrigé par Bertranet en 1611, et ce
bien que le nom du deuxième traducteur ne figure pas dans le frontispice. C’est pour-
quoi, les références aux péritextes de Bertranet renvoient toujours à la version de
1611, même si on sait qu’elle a été reproduite en 1613 (Pavillon, 1613).
21
Dans un exemplaire trouvé à la BnF, correspondant à la traduction de S.-G. Pavil-
lon, déjà étudié (Anacleto, 1994), publiée en 1603, mais qui comprenait d’autres
péritextes importants, on mentionne, dans un texte intitulé « Annotations sur ce qui
pevt estre obscvr en cette traduction », le désir de sauvegarder la spécificité de la
Images avant le texte 53
Au reste, Monseigneur, si i’ay failly, en ce que i’ay traduit quelques vers Es-
pagnols en prose, i’ay faict expressement la faute, pource qu’en un subject si
gentil, il me sembloit que la prose cõtinuee seroit trouuee plus agreable,
qu’entrecouppee de vers qui n’eussent eu si bonne grace, que l’on penseroit
bien. A quoy si l’on adiouste le peu d’elegance que l’on remarque aux Poetes
Espagnols, au regard des nostres, on trouuera parauãture que ie n’ay pas eu
mauuaise raison, et seray excusable, en excusãt la rude veine de l’autheur, et
m’exemptãt par mesme moyen de faire des vers, qui ne seroient trop agrea-
bles, tant à cause de l’inuention, pourcequ’il me faudroit assubiettir à la ver-
sion, que pource que ie ne les pourrois pas rendre si parfaicts, qu’ils sonnas-
sent si bien à voz doctes aureilles, que font ceux d’une infinité de bons esprits
qui sõt auiourd’huy en la Frãce, desquels vous auez peu voir les œuures. (Co-
lin et Chappuys, 1587 b).
22
En voici un exemple: « A fe de hijodalgo: Dans les anciens liures Espagnols entre
autres ez Partides, et en la cronique du Cid, ce mot se lict ‘Fijodalgo’, depuis tourné
en h, et recentement le mot accourcy on dit hidalgo. En françois nous n’auons terme
qui le puisse representer. Car ceux se trompent, qui pensent que ce soient ceux que
nous appellons en france gentilshommes. Ce sont proprement ceux que les latins
appellent ingenuos. Et en Espagne sont tenus pour Hidalgues ceux qui peuuent mons-
trer n’estre descendus de Mores, estant tels ils peuuent tenir offices royaux tant en
iudicature, et aux finances, qu’en la maison du Roy. » (Pavillon, 1603 a: 347).
Images avant le texte 55
23
ou, lorsqu’on maintient certains archaïsmes qui seraient déplacés
dans le cadre d’une tentative de modernisation de la langue française à
travers la réécriture 24 . Il s’agit, en tout cas, d’une démarche qui
s’accentue constamment dans les « Annotations », dès lors qu’on
mentionne des options de traduction associées à une rigueur descrip-
tive et sémantique que l’« illustration » et la « deffense » de la langue
française supposent. En somme, c’est parce qu’il est vraiment
convaincu que l’« illustration et deffense » de la langue française ne
peut omettre les valeurs culturelles et sémantiques de distance qui
caractérise la relation de la réécriture avec l’écriture première, que
Pavillon s’oblige, d’une part, à expliquer le contenu des lexèmes
d’origine arabe que les Espagnols conservent dans leur lexique – la
« diction arabique » – ou à expliquer certains mots portugais de Mon-
temayor 25 , tous deux source d’exotisme dans le texte:
Te beso las manos: Les Espagnols usent ordinairement de cette phrase quand
ils veulent remercier quelqu’un d’un bien ou plaisir offert ou receu. Quelques-
fois aussi en usent en demonstration d’une courtoisie et humilité d’un petit à
plus grand. Si bien qu’il les faut traduire auec discretion en l’une ou en l’autre
intelligence selon le fil du discours. (Pavillon, 1603 a: 346).
23
« Sin abrir mano: cecy se pouuoit traduire, ‘sans me departir de cette imagination’.
Mais le traducteur est demeuré en la metaphore de George de Montemajor, ‘ouurir la
main à l’imaginatiõ’, c’est la laisser aller, comme si on la tenoit enfermee dans la
main. » (Pavillon, 1603 a: 346).
24
« La di à vuestra merced: Nos vieux françois parloient de la mesme façon. Au
Romant de la Rose ‘Plaise à la vostre mercy’, C’est à dire à vous, à vostre merite. En
Espagne y a ordonnance, par laquelle est defendu dire á aucun s’il n’est du conseil du
Roy, ce mot si commun en toute l’Italie signoria, à peine contre les surprins en
cette faute, de cinquante escuz d’amende. Mais au lieu de vous ils disent ‘vuestra
merced’. » (Pavillon, 1603 a: 347).
25
« Campos de Mondego: (...) ces champs et cette riuiere sont en Portugal » (Pavillon,
1603 a: 350).
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été choisis exprès et mis en relief par les traducteurs qui veulent de ce
fait orienter le sens que leur texte devra assumer.
Ces Tables et Remarques fonctionnent donc comme une sorte de
microcritique (ou microanalyse) réalisée par celui qui réécrit et qui
perçoit le texte produit comme un genre pouvant accueillir une théori-
sation implicite. En effet, elles centralisent, à une époque où la traduc-
tion a besoin de justifier son statut, des schémas d’interprétation qui
révèlent, dans un cadre générique précis, des projets d’ordre thémati-
que sous-jacents à la construction de l’original que les nouveaux lec-
teurs seront amenés à décoder. Colin, Chappuys, Pavillon, Bertranet et
Lancelot analysent constamment, dans les péritextes, les effets de
l’amour sur l’amant, suggérés dans les longs titres des premières tra-
ductions et dans les épîtres initiales 26 . Ils essayent, même, de les clas-
ser par matières, lorsqu’ils en décrivent, sous forme de topiques, les
différents et nombreux sens thématiques et idéologiques (la liste est
longue chez Bertranet) ou les différentes situations textuelles induites:
« Tant plus la femme est addonnee à aimer tant plus est elle coustu-
miere d’oublier », « L’homme amoureux né pour descouurir nouuelles
manieres de tourmens », « Le temps muable, tousiours s’enfuit » (Co-
lin et Chappuys, 1587 a) 27 ; « Mutabilité de la Fortune » (Colin et
Chappuys, 1587 b) 28 ; « Le recit des miseres des vrays amans leur doit
estre agreable », « Delio tourmenté d’amour et d’ialousie » (Colin et
Chappuys, 1587 c) 29 ; « Absence fait changer Diane », « Amans se
sentent tousiours debteurs », « Amitié vraye », « Amour et sa playe »
(Pavillon et Bertranet, 1611) 30 ; « Narration des diferens éfets
d’Amour », « Extremitez d’Amour, exemple de ce » (Lancelot,
1614) 31 .
26
« (...) le Lecteur y pouuait descouvrir toutes les conditions et qualitez de cest
amour, auec les peines, souciz, ialousies, vanitez, peu d’assurance, et beaucoup
d’inconstances qui l’accompagnent. » (Colin, 1578).
27
« Table des Matie- / res plus principalles contenües / en ceste premiere partie de la /
Diane de Montemajor. ».
28
« Table des / principales ma- / tieres contenvues en / la seconde partie de la Diane
de / George de Monte-major. »
29
« Table des prin- / cipales matieres / contenuës en la troisiesme partie / de la Diane
de George de Mon- / te-major. ».
30
« Table de ce liure, ou les surnoms qui representent les familles son mis en leur
ordre auec l’obelisque deuant, et sont suiuis des noms propres.».
31
« Remarques des plus belles et principales disgressions contenus en ce Liure. » et
« Adresse des plus belles remarques de ce Livre » (Lancelot, 1614).
Images avant le texte 59
lequel illustre la pertinence assumée par les personnages dont on fait un inventaire
explicatif dans la traduction; il associe aussi leur nom aux fonctions diégétiques ou
symboliques qu’ils jouent dans le texte du roman.
34
« Escrit de Marcelio à Alcide, touchant la ialousie » (Colin et Chappuys, 1587 c);
« Lettre de Diane à Sirene / d’Ismenie à Seluagie / de Seluagie à Ismenie / de Don
Images avant le texte 61
Felix à Felismene / de Celie à Don Felix / de Don Felix à Celie / de Felismene à don
Felix / d’Arsenie à Celie en vers / de Rodrigue de Naruaz au Roy de Grenade » (Pavil-
lon et Bertranet, 1611); « Lettre d’Amarilis à Menandre », (Lancelot, 1614).
35
« Substance d’un sonnet chanté par Parthenio » (Colin et Chappuys, 1587 b);
« Diuers Sonnets sur la vengeance de l’honneur offencé », « Cintio adresse un Sonnet
aus beautez de sa Bergere », « Clarisio méprise la Cour, et louë la vie rustique par un
sonnet », « Clarisio recite un Sonnet sur la fin commune des vanitez amoueuses »,
« Sonnets diuers de tous les Bergers publians leurs affections » (Lancelot, 1614).
36
« Chant d’icelle Bergere [Selvage] sur ses infortunes amours » (Colin et Chappuys,
1587 a); « Chant de Firmio semblable à la voix languissante du Cygne, quand il est
pres de sa fin » (Colin et Chappuys, 1587 b).
62 Infiltrations d’images
e
RECONSTITUTION D’IMAGES ET PAROLES REVUES (XVII SIECLE)
37
Blignières affirme, en ce sens, à propos des auteurs traduits: « Ces écrivains, qui
deviennent comme de nouveaux Français sous la main qui les traduit, ne faudra-t-il
pas que le XVIe siècle puisse les reconnaître, et le XVIIe les goûter, que rien dans
leurs ouvrages ne dépayse des lecteurs français ou ne rebute des esprits tout moder-
nes? » (Blignières, 1851: 252).
Images avant le texte 63
40
En abordant l’aspect culturel de la citation en France au XVIIe siècle, Bernard
Beugnot évoque Valery Larbaud et souligne la relation implicite entre l’attitude de
réception et l’ouverture à une culture sous-jacente aux manifestations de réécriture
(« citation » et « traduction » seront, dans ce cas précis, des mots synonymes dans le
texte de Beugnot): « (…) si la citation est un « appel et un rappel, une communication
établie » (Valery Larbaud), elle amorce un processus de réception par référence à une
culture. Comme le genre littéraire, elle devient « horizon d’attente »; comme le
poème, elle est une partition à interpréter. » (Beugnot, 1994 a: 294).
41
Notons la pertinence assumée dans l’Histoire de la traduction en France par les
différents Salons et Académies du XVIIe siècle (Van Hoof, 1991).
Images avant le texte 65
42
Voir l’étude d’Andrée Mansau sur les traductions françaises réalisées entre 1614 et
1707 des Novelas ejemplares de Cervantès (Mansau, 1990).
43
Van Hoof dresse une liste exhaustive des textes espagnols traduits vers le français,
où il inclut des traductions comme celle de Don Quichotte (traductions de César
Oudin et François de Rosset, en collaboration avec Audiguier, 1614; 1618), celle des
Nouvelles Exemplaires (1615) de Cervantès, celle du Guzman d’Alfarache (sous le
titre Le Gueux ou la Vie de Guzman d’Alfarache – traduction de Jean Chapelain,
1620), celle de La Constante Amarilis de Figueroa et celle de l’Arcadie de Lope de
Vega (traductions de Lancelot, 1614; 1624), celle du Lazarillo de Tormes (traduction
de Jean Baudoin, 1615), celle de Le Réveille matin des courtisans à partir du texte de
Guevara (traduction de Sebastien Hardy, 1622), celle de la Diane (traductions de
Vitray et Rémy, 1623; 1624), celle de la Célestine de Fernando Rojas (traduction de
Charles Osmond, 1633), celle de L’Aventurier Buscon: histoire facetieuse et Visions
de Quevedo (traduction de S. de la Geneste, 1633), celle de L’Homme de la Cour de
Gracián (traduction d’Amelot de la Houssaye, 1684). De même, l’auteur mentionne
les versions en langue française faites aussi à cette époque à partir de textes italiens de
Machiavel, Pétrarque et Le Tasse, et il cite encore la traduction réalisée par Baudoin,
en 1620, de l’Arcadie de Sidney (Van Hoof, 1991: 52-53).
66 Infiltrations d’images
44
Voir: Sorel 1970 – chapitres « Des traductions des livres grecs, latins, italiens et
espagnols en françois. Et de la manière de bien traduire » et « De la manière de bien
traduire », où il saisit, clairement, le sens de la pratique de la traduction de son temps,
et la flexibilité caractéristique d’un genre ou d’une forme littéraire et de leur capacité
d’adaptation à la « Mode qui court ».
Images avant le texte 67
que dans les difficultez qui les arrêteront ils importunent tous les Savans de leur siecle
pour s’en éclaircir. » (Guéret, 1668: 129).
47
« Comme nôtre Langue n’a receu sa perfection que fort tard, et même assez avant
dans nôtre siècle, il paroît assez inutile de parler icy de cette multitude presque infinie
de Traducteurs qui ont tâché de rendre seruice à leur patrie dans les siecles precedens.
C’est pourquoy nous ne rapporterons qu’un tres-petit nombre de ceux qui se sont
distinguez des autres, soit par leur capacité, soit par leur pureté et la beauté du dis-
cours, selon la portée et l’usage de leur temps. » (Baillet, 1685 b: 508).
Images avant le texte 69
48
Des auteurs tels que Roger Zuber ou Michel Ballard font allusion au corpus des
textes traduits choisis expressément par d’Ablancourt pour exercer la recréation sous-
jacente, selon lui, à l’art de traduire: de 1636 à 1638 il a traduit des œuvres
d’éloquence (Octavius de Minucius Felix et quatre des Huit oraisons de Ciceron); de
1639 à 1651 il s’est consacré à la version des textes historiques de Tacite et de Xéno-
phon; de 1652 à 1664 il a orienté la traduction vers des livres de morale – la morale
sans prétention de l’Histoire véritable de Lucien; la morale plus grave de l’Histoire de
Thucydide continuée par Xénophon; la morale austère des Apophtegemes des Anciens
(Ballard, 1992: 172; Zuber, 1968: 277).
70 Infiltrations d’images
49
« La / Tres-haute, et / tres-vertueuse / Dame, / Madame de Maugiron, / Dame du
Molart, / Varicieux, etc. » (Lancelot, 1622).
50
« Aus / Nymfes de la / bien-heureuse / Isle de France » (Lancelot, 1622).
72 Infiltrations d’images
51
« Le Berger incogneu monstre une belle houlette. Sa description. Delicio raconte
ses aduantures, et ce qui luy estoit arriué sur sa ressemblance auec Parthenio. La suite
des aduantures de Parthenio et de Delicio. Le Geant Gorforoste poursuit Stelle: Et
menace les Dieux. » (Vitray, 1623); « Les amours et aduantures de Seluage, les trom-
peries d’Ismenie, et les diuerses passions d’Alanie et de Montain. » (Rémy, 1624: 44).
52
Voir l’épître adressée « À la Reyne » par Rémy: « Dans le premier volume vostre
Maiesté peut auoir remarqué les diuerses faces que l’Amour emprunte, pour se rendre
maistre de nos volontez. Dans ce second, elle verra toutes ces infortunes terminées par
une heureuse alliance. » (Rémy, 1624 a).
53
« Le Libraire, aus / Lecteurs » (Lancelot, 1622).
74 Infiltrations d’images
54
« Soutenés aussi adorables Protectrices des troupeaus, que celuy qui l’a reduitte, et
vous l’a offerte en cet estat, sçait bien qu’elle n’a pas assés d’affeterie pour flater
l’esprit des Courtisans, et par cet artifice, se faciliter l’entrée des sumptueus Cabinets
des Princes; Mais qu’il s’estime recompencé de son labeur, au de là de toute vsure, si
pour la garentir de l’orage du Temps et de la rage de l’Enuie, elle peut meriter cette
grace, que vos Grottes sacrees, ou bien l’ombre de vos Forest solitaires, luy seruent
d’Azile salutaite. » (Lancelot, 1622).
55
« Ceste Diane dont la glorieuse renommée a laissé à toute l’Espagne un desir de
voir ses beautez, et un regret universel de ne pouuoir imiter ses vertus (...) a resolu de
quitter son propre païs, et de s’habiller à la Françoise, pour vous immoler ses vœux. »
(Rémy, 1624).
Images avant le texte 75
56
« Ie laisse à ceus d’entre vous, à qui la langue Espagnole est familiere, d’admirer
l’excelence de cette Traduction, et de satisfaire pour mon impuissance, aus loüanges
eternelles que merite l’Auteur d’icelle, dont l’ingenieuse industrie, a meslé fort artis-
tement, les fleurs et les couleurs de la Rhetorique françoise auec celles de l’Espagnol,
qui veritablement ornent cette peinture parlante, d’un lustre bien éclatant. » (Lancelot,
1622).
57
Dans l’épître « à la Reyne »: « (...) vous estes la seule Felicia qui la pouuez rendre
heureuse, en luy permettant l’entrée de vostre Cour; ce luy sera une faueur inestima-
ble si elle demeure en France sous les auspices de vostre Nom auguste (...). » (Rémy,
1624).
76 Infiltrations d’images
58
« Peut-estre que cet habit à la Françoise les desguise en quelque façon [à Diane et
sa compagnie], et que leurs discours seront moins polis en ceste langue qui leur est
estrangere. » (Vitray, 1623).
59
L’anonyme qui signe le péritexte (P.P.B.), affirme, à la fin, en vers: « Mais plustost
la Posterité//Iugera que ie suis fidelle//Puisque pour parler auec elle,//Ie cherche la
Fidelité. » (Vitray, 1623).
60
« En laquelle [traduction] aussi, il [le traducteur] a tres prudemment moderé les
superfluités, que l’on peut auoir remarquees en l’Arcadie, aussi bien qu’en la pluspart
des autres Liures de Lope, qui interrompent souuent la suyte necessaire, et le droit fil
de son suget. » (Lancelot, 1622).
Images avant le texte 77
Amy Lecteur, bien que la Traduction soit vn labeur ingrat, et qu’il y ait de
grandes difficultez en quelque langue que ce soit, de se former au stile de
l’Autheur que l’on veut traduire; toutefois les riches inuentions que i’ay
trouuées dans Monte-Major, et les conceptions releuées que cét Autheur nous
fait paroistre en la suitte de son liure, m’on fait mettre ces considerations à
part, pour faire voir à la France vne si rare Piece. Ie ne l’ay point voulu rendre
en nostre langue mot pour mot, comme ont voulu faire quelques vns; (...) i’ay
estimé, principalement pour les Vers, qu’il estoit impossible de les traduire
mot pour mot sans oster toute la grace et la douceur de nostre Poësie, qui est
beaucoup plus naïfue que l’Espagnole; car c’eust esté tout à fait gehenner le
sens, et luy donner vn autre visage: c’est pourquoy i’ay tasché à vous faire
voir au mieux qu’il m’a esté possible la conception de l’Autheur. (Rémy,
1624).
61
« Le Traducteur y a adiousté quelques Chapitres, par lesquels vous vous pouuez
asseurer qu’en ces trois parties vous auez l’histoire parfaitte. » (Rémy, 1624).
78 Infiltrations d’images
e
JUGEMENT DES IMAGES ET DISCOURS RECREE (XVIII SIECLE)
62
Parmi la bibliographie réduite consacrée à la théorie de la traduction au XVIIIe
siècle nous soulignons les textes de Lieven d’Hulst (D’Hulst, 1993; 1996) et la syn-
thèse historique élaborée par Henri Van Hoof, notamment le chapitre intitulé « Au
siècle des Lumières » (Van Hoof, 1991: 57-65).
Images avant le texte 79
65
Ainsi s’explique que, à la fin du siècle, Rivarol devienne, dans l’élaboration du
Discours préliminaire à la traduction de l’Enfer (1783) de Dante, un précurseur de la
tendance de la traduction-reconstitution historique que d’une certaine façon Florian a
déjà pressentie et qui sera développée avec plus d’acuité au cours du siècle suivant par
Leconte de Lisle (Van Hoof, 1991: 65).
66
Voir, à ce propos, l’étude synthétique et très solide de Jan Herman (Herman, 1990).
82 Infiltrations d’images
çaise des Lusiades date de 1735 et est réalisée par Duperron de Casté-
dra. La littérature russe fait, elle aussi, l’objet d’une attention toute
particulière de la part des traducteurs des Lumières, ce qui montre une
conception de la réécriture qui la projette vers le divers et l’altérité,
perçus dans une dimension idiosyncratique.
67
« A / Son Altesse Royale / Madame » (Saintonge, 1733). La version utilisée sera
toujours celle de 1733, coïncidant totalement avec celle de 1699 (ne différant que
dans le titre), étant donné que l’édition du XVIIIe siècle a été plus facile d’accès à la
BnF-Bibliothèque de l’Arsenal.
84 Infiltrations d’images
L’amour n’y paroît jamais qu’un sentiment plein de noblesse dont le principe
est dans la vertu. La délicatesse qui l’accompagne par tout n’y présente point
68
« A. S. A. S. / Madame la duchesse de Chartres » (Florian, 1784).
69
« Quant aux batailles, aux duels, qu’on sera pet-être étonné de trouver dans un
ouvrage pastoral, c’est un tribut que Cervantes payoit à sa nation. Je ne connois point
de roman, point de comédie espagnole sans combats. Ce peuple, un des plus vaillants
de l’Europe, et sans contredit le plus passionné, a besoin, pour qu’un livre l’amuse,
d’y trouver des récits de guerre et d’amour. D’ailleurs, on doit pardonner à Cervantes,
qui avoit eu lui-même des aventures extraordinaires, d’avoir imaginé qu’elles seroient
vraisemblables dans un roman. » (Florian, 1784: 44).
Images avant le texte 85
d’objet qui ne serve à former les mœurs: le cœur et l’esprit y trouvent égale-
ment de quoi s’instruire. Enfin la varieté des situations, la vivacité des peintu-
res, forment de la Diane un tout, qui interesse et qui plaît. (Marsilly, 1735:
VI).
70
Rappelons, à ce propos, la fin de cette préface, où la traductrice énumère les titres
des contes insérés dans la traduction, en mettant un accent tout particulier sur cet
élément de créativité qui fait de son texte une adaptation: « J’ai retardé l’hymen de
Diane, et au lieu de lui donner des fêtes éclatantes, comme l’Auteur Espagnol, je fais
divertir la petite Cour qui est avec elle au Palais de Felicie, à entendre des Contes. En
voici les titres. L’heureux Larcin. La Princesse des Isles Inconues. L’Amant ingé-
nieux. L’origine des Contes, ou le Triomphe de la Folie sur le Bon goût. J’ai ajouté
aussi à la fin du livre Une Idile sur le mariage de Madame la Duchesse de Lorraine,
et quelques Lettres en Vers burlesques. » (Saintonge, 1733).
71
Le traducteur de 1784, en recourant à des jeux de mots mis en valeur par la versifi-
cation, garde visible la relation conceptuelle entre fable/vérité, dans le but de justifier
le choix d’une réécriture inscrite dans la logique de l’imitation: « Tendés à Galatée
une main secourable,//Elle est belle, sensible et sage autant qu’aimable.//L’auteur la
flatte, dira-t-on,//Et son livre n’est qu’une fable://Mais si l’on y voit votre nom,//Le
roman sera véritable. » (Florian, 1784).
Images avant le texte 87
J’ai cru de même devoir adoucir quelques endroits qui n’étoient point assez
selon nos mœurs. J’espere aussi qu’on ne me fera point un crime de n’avoir
pas insisté sur la description du Palais de Felicie, ni sur les habillemens que
mon Auteur donne à ses Héros; c’est un détail qui m’a paru ennuyeux, et par
conséquent à éviter. § Le Roman n’étant point fini dans les sept livres qu’a
composés Montemayor et qui étoient seuls l’objet de mon travail, j’y ai ajouté
un supplément tiré du Polo, n’ayant pas cru que les Episodes qui grossissent
son Livre méritassent qu’il fût traduit en entier. (Marsilly, 1735: XIII-XIV).
72
« On me reprochera sans doute le trop grand nombre d’épisodes, et le peu
d’événements qui arrivent à Galatée: dans Cervantes, il y a deux fois plus d’épisodes,
et Galatée paroît beaucoup moins. Montemayor a fait la même faute dans sa Diane,
qui n’est proprement qu’un recueil d’histoires différentes. Tel étoit le goût du siècle;
tels ont été nos grands romans françois, si long-temps à la mode, et dont les auteurs
avoient pris les Espagnols pour modeles. » (Florian, 1784: 43).
Images avant le texte 89
73
« Les diverses Traductions que nous avons déja de la Diane de Montemayor, m’ont
engagé à donner à celle-ci le Titre de Roman Espagnol, afin de la distinguer en quel-
que façon des précédentes. J’espere que ce changement ne déplaira pas au Public. »
(Marsilly, 1735).
74
« Je n’ai point en eu en vüe d’en faire une traduction fidelle, mais seulement de la
rendre agreable par un tour nouveau et réjoüissant; c’est ce qui m’a fait suprimer
toutes les Poësies qui m’ont paru froides et ennuyeuses. J’en ai mis d’autres à la place,
qui me paroissent plus tendres et plus lyriques. Je me flatte qu’elles plairont davan-
tage. » (Saintonge, 1733).
90 Infiltrations d’images
75
« Comme il est très possible que mon travail ne réussisse point, je dois, pour la
gloire de Cervantes, convenir ici de tous les changements que j’ai faits à son ouvrage.
Galatee, dans l’original, a six livres et n’est point achevée: j’ai réduit ces six livres à
trois, et je l’ai finie dans un quatrieme. Presque nulle part je n’ai traduit; les vers sur-
tout ne ressemblent à l’espagnol que dans les endroits cités. Je n’ai pris que le fonds
des aventures, j’y ai même changé des circonstances quand je l’ai cru nécessaire; j’ai
ajouté des scenes entieres, comme le troc des houlettes dans le premier livre; la fête
champêtre et l’histoire des tourterelles dans le second; les adieux au chien d’Élicio
dans le troisieme: le quatrieme en entier est de mon invention. » (Florian, 1784).
Images avant le texte 91
76
L’appréciation du traducteur est péremptoire – tout comme celle de Cervantès – et
explique l’exclusion, dans la version réalisée, de la continuation d’Alonso Pérez:
« Des trois Ecrivains que je viens de nommer, le premier et le dernier sont les seuls
qu’on estime. C’est le jugement qu’en a porté Miguel Cervantes, qui dans l’examen
de la Bibliothéque de Dom Quichote, donne à la Diane de Montemayor le premier
rang dans son genre, condamne au feu la seconde, et pour la troisiéme, il veut qu’on la
garde comme si Apollon même en eût été l’Auteur. » (Marsilly, 1735: III).
Images avant le texte 93
Le fameux Chapuis traduisit le premier les trois Parties de la Diane; elles pa-
rurent à Lyon en 1582. chez Louis Cloquemin. Peu de temps après un Ano-
nime fit imprimer à Paris une traduction de la premiere Partie avec l’Espagnol
à côté. Jean Bertranet en 1621. corrigea cette Edition. En 1631. on en fit une
nouvelle enrichie de figures assez belles, et elle comprenoit les trois Auteurs,
quoique cependant Montemayor soit le seul dont la Préface fasse mention.
L’ennuyeuse exactitude qu’on y voit regner aux dépens de l’élégance, ne
l’empêche pas de réüssir; c’est la plus recente que je connoisse; car je ne crois
pas qu’on puisse appeller traduction le Livre que Madame de Saintonge pu-
blia en 1655. sous le nom de la Diane de Montemayor. (Marsilly, 1735:
XVIII-XIX).
77
Le texte de la préface s’attarde un peu plus à l’explication de la publication du
Quijote, manuel de théorisation littéraire par excellence au XVIe siècle, dont on trouve
constamment des échos de réception dans les différentes littératures européennes et
dans la littérature française, en particulier: « Il ne donna d’abord que la premiere
partie de Don Quichotte, qui ne réussit point. Cervantes conoissoit les hommes: il
publia une petite brochure appellée Le Serpenteau. Cet ouvrage, qu’il seroit impossi-
ble de retrouver aujourd’hui, même en Espagne, sembloit être une critique de Don
Quichotte, et couvroit de ridicules ses détracteurs. Tout le monde lut cette satire, et
Don Quichotte obtint par cette bagatelle la réputation que depuis il n’a due qu’à lui-
même. » (Florian, 1784: 20-21).
Images avant le texte 95
IMAGES AU SINGULIER
1
André Lefevere attire, justement, l’attention sur le niveau de l’univers de la poétique
et de l’idéologie caractéristiques du phénomène de la traduction et sur lesquels, selon
le critique, reposent les décisions prises par le traducteur: « Translators have to make
decisions over and over again on the levels of ideology, poetics, and universe of dis-
course, and those decisions are always open to criticism from readers who subscribe
to a different ideology; who are convinced of the superiority of the poetics dominant
in their time and culture. » (Lefevere, 1994: 88).
Images superposées 101
2
On revient ainsi au concept de « décentrement » défini par Meschonnic et à la pers-
pective selon laquelle la traduction et le geste de transfert linguistique qui lui est
inhérent ne sont jamais « neutres » (Meschonnic, 1973: 310-11).
3
L’expression est de Gideon Toury, le théoricien voulant souligner que ce type de
traduction s’oriente vers la syntaxe, la grammaire, le lexique, du système-cible (Tou-
ry, 1995: 171).
4
Concept défini par Edwin Gentzler, impliquant des facteurs comme ceux qui déter-
minent le choix de l’œuvre, la stratégie choisie pour la traduction dans le cadre du
polysystème, la politique de traduction de la culture-cible, l’attitude du traducteur face
au texte-source et son implication dans la culture du système-cible, la position (cen-
trale ou périphérique) soutenue par la littérature traduite dans le système de réception
(Gentzler, 1993: 130-131).
102 Infiltrations d’images
5
C’est en ce sens que Lefevere fait allusion à la traduction, dans le domaine des
« réfractions », en tant qu’élément important dans l’évolution des littératures, souli-
gnant sa capacité à introduire de nouveaux textes et le sens de ce processus: « Transla-
tions and other refractions, then, play a vital part in the evolution of literatures, not
only by introducing new texts, authors and devices, but also by introducing them in a
Images superposées 103
certain way, as part of a wider design to try to influence that evolution. » (Lefevere,
1984: 97).
6
Selon Venuti, repenser le processus de traduction passe par l’analyse de la place
qu’elle occupe et de la pratique à laquelle elle est soumise dans des cultures spécifi-
ques, fait qui relance toute une série de questions sur la motivation du choix des textes
étrangers à traduire, sur les stratégies discursives utilisées et sur la position (canonisée
ou marginalisée) des traductions, dans le cadre de certains groupes sociaux (Venuti
(ed.), 1992: 11).
104 Infiltrations d’images
7
Lorsqu’il analyse la relation entre le livre et la société, au XVIe siècle, Henri-Jean
Martin admet que la philosophie de vie de l’aristocratie a été déterminante pour fixer
un idéal culturel, visible dans l’édition du livre et dans la « Bibliothèque du Roi repo-
sant sur cinq colonnes référentielles: la théologie; le droit romain, canonique et royal;
les lettres anciennes; l’Histoire; la science humaniste, aristotélicienne, platonique et
hippocratique » (Martin, 1982 a: 560).
Images superposées 105
11
Daniel-Henri Pageaux élargit le spectre d’influences de cet « ailleurs hispanique »,
en l’entrecroisant avec une perspective de compréhension de l’Histoire, développée,
entre autres, par Fernand Braudel (Pageaux, 1996: 55).
12
Il existe une grande disparité entre la réception exubérante que le roman de Monte-
mayor a connue en France (d’innombrables traductions, complétées avec la version de
Lope de Vega et de Figueroa) et la réception pratiquement inexistante qu’il a eue en
Italie, où, selon Françoise Lavocat, il n’existe aucune version des romans pastoraux
espagnols (fait probablement associé à l’absence d’un développement assumé du
roman pastoral en Italie, après Sannazar), ne figurant sur les catalogues que cinq
éditions espagnoles du texte (Lavocat, 1998: 327).
13
On peut trouver de nombreuses allusions aux versions françaises des textes de ces
auteurs, publiées au XVIe siècle, dans les travaux suivants (entre autres): Brunetière,
1898: 57; Lanson, 1896: 54; Reynier, 1912: 280.
Images superposées 107
14
Voir, à ce propos, un chapitre de notre étude précédente consacré aux éléments de
réception et aux « facteurs de succès » du roman de Jorge de Montemayor (Anacleto,
1994: 60-84).
15
C. Wentzlaff-Eggebert justifie la réception et la circulation d’œuvres telles que la
Diana, à la fin du XVIe siècle, par la présence constante des Espagnols en Europe et
par les échanges culturels qui les lient aux auteurs français: Nicolas Colin, par exem-
ple, a appris l’espagnol au service du Cardinal de Lorraine, Charles de Guise. C’est
dans ce contexte qu’un ami espagnol lui conseille la lecture du roman espagnol qu’il
traduira, peu après la deuxième impression du texte réalisée à Anvers en 1575, dans
un climat de réception très favorable (Wentzlaff-Eggebert, 1988: 170).
108 Infiltrations d’images
16
« L’Imprimeur au Lecteur » (Colin et Chappuys, 1592 a).
17
Dans une œuvre consacrée aux traducteurs du Moyen Âge à la Renaissance, Paul
Chavy cite Gabriel Chappuys (Amboise, 1546-Paris, 1611), neveu du poète de cour
Claude Chappuys, historiographe et secrétaire-interprète du Roi, comme étant respon-
sable d’un grand nombre de traductions qui justifient, d’une certaine façon, le choix
de Los siete libros de la Diana: Arioste, Roland Furieux, 1576; Pic de la Mirandole,
Commentaire sur une chanson d’amour, 1578; Torquemada, Hexameron, 1579; Cas-
tiglione, Le parfait courtisan, 1580; Boccace, La Fiamette amoureuse, 1585; Sénèque,
Livres dorez, 1585; F. Luis de Granada, Œuvres spirituelles, 1592; Alemán, Guzman
d’Alfarache, 1600 (Chavy, 1988: Chappuys). Dans la célèbre Bibliothèque françoise
de la Croix du Maine, l’auteur consacre une partie importante au traducteur et aux
versions qu’il a réalisées, les considérant de valeur esthétique et stylistique méritoire
(Du Maine et Du Verdier, 1752). L’allusion aux nombreuses traductions réalisées par
Chappuys est aussi énoncée, plus récemment, par Van Hoof dans son Dictionnaire
universel des traducteurs (Van Hoof, 1993: 41). Cioranescu fait aussi allusion à Ga-
briel Chappuys lorsqu’il le considère, dans l’ensemble des premiers traducteurs de la
Diana, comme le seul « professionnel » (Cioranescu, 1983: 176).
Images superposées 109
20
Voir, à ce sujet, les travaux suivants: Adam, 1962; Castro, 1982-1983-1984: 188;
Cooper, 1978; Genouy, 1928; Heninger, 1961; Lavocat, 1998; Solé-Leris, 1980: 22-
23.
21
La traduction de Jean Martin – L’Arcadie de Messire Jacques Sannazar, gentil-
homme napolitain, par Jehan Martin. Paris, Michel de Vascosan et Gilles Corroset,
1544 – fut éditée trois ans avant l’édition espagnole. Selon Françoise Lavocat, elle a
eu un succès éphémère en France, et ce même si elle a retenu certains codes du genre
grâce à une lecture philologique (Lavocat, 1995: 325). Quant à Maurice Lever, il
signale l’absence de réédition de la traduction de Martin et il oppose cet échec au
succès d’Aminta du Tasse et du Pastor fido de Guarini, traduits respectivement en
1591 et en 1595. L’auteur constate que l’influence italienne s’est surtout exercée par
le biais de la pastorale dramatique (Lever, 1981: 54).
Images superposées 111
22
Selon Jean Cazenave, les romans hispano-mauresques, où les héros sont des Maures
et des Espagnols, dérivent de l’œuvre de Ginés Pérez de Hita Historia de los Vandos
de los Zegries y Abencerrages (Saragoça, 1495), communément désignée par Guerras
civiles de Granada, dans laquelle on raconte l’histoire des derniers rois maures
d’Espagne et des luttes qui ont précédé leur déposition. Le texte est présenté comme
la traduction d’une chronique écrite en arabe par un certain Aben-Hamin, originaire
de Grenade (Cazenave, 1925: 595).
23
Maxime Chevalier, en analysant les facteurs de succès de la Diana auprès d’un
public très vaste, affirme que Montemayor a ouvert la voie à un nouveau sous-genre –
la nouvelle courtisane – recréé dans le milieu pastoral, mais élargi aux ambiances de
palais des dames et des hommes galants, suivant le goût des lecteurs de l’époque
(Chevalier, 1974: 48-49). C’est donc le public des « gens de robe », de la « noblesse
d’épée », le public féminin, constitué par des nobles, des bourgeoises et des religieu-
ses (Chavy, 1981: 287-288), qui s’intéresse, au XVIe siècle, en France, aux traduc-
tions des auteurs anciens et qui accueille aussi avec enthousiasme, cet aspect roma-
nesque du texte de Montemayor, fidèlement préservé par ses premiers traducteurs.
24
Wolfgang Iser, en analysant les stratégies de fiction du texte, affirme que Monte-
mayor inscrit le monde social et historique dans le monde pastoral de ses bergers
déguisés; il ajoute également que, si la Diana renferme deux textes – le pastoral et le
réel –, son objectif est de les entrecroiser et de dépasser leurs frontières pour que les
protagonistes puissent traverser le monde réel en tant que bergers (Iser, 1993: 52).
112 Infiltrations d’images
25
Notons que la quasi moitié des livres traduits et imprimés dans la première moitié
du XVIIe siècle (40%), en France, correspond à des romans (Cioranescu, 1983: 176).
26
L’expression est de Mia Gerhardt (Gerhardt, 1950: 177), corroborée, d’une certaine
façon, par Avalle-Arce qui analyse les effets dévastateurs de l’Amour (Temps et
Fortune) sur les personnages (Avalle-Arce, 1974: 74).
27
À propos du concept de « pastoralisme » et de ses implications esthétiques et philo-
sophiques, voir, entre autres, les études suivantes: Cody, 1969; Ettin, 1984; Iser, 1984.
Images superposées 113
28
« Adresse des plus belles remarques de ce livre » (Lancelot, 1614).
114 Infiltrations d’images
voir sur des throsnes, et éloignant leur col du ioug de la seruitude, veulent
mettre leurs testes iusques dedans les nuës. (Lancelot, 1914: 223).
29
François Cornilliat et Gisèle Mathieu-Castellani, dans un article intitulé « Intertexte
Phénix? », affirment qu’à l’utilisation intertextuelle au XVIe siècle est sous-jacente
l’exploitation de nouveaux genres et de nouvelles formes littéraires, conduisant à un
mise en question de la littérature elle-même (Cornilliat et Mathieu-Castellani, 1984:
6).
116 Infiltrations d’images
30
Voir, à ce sujet, le chapitre de W. Floeck consacré à la crise de l’esthétique et des
idées de la Renaissance, dans lequel cette évolution du romanesque est analysée
(Floeck, 1989: 60).
Images superposées 117
31
Voir: Anacleto, 1994: dans le Chapitre IV, « Lecture(s) de la poétique pastorale:
fondements génériques », nous présentons une analyse systématisée de la façon dont
Colin et Pavillon réécrivent les topiques de l’espace pastoral et les images de l’homme
abordées à partir d’une idéologie sous-jacente au genre.
32
L’un des exemples les plus frappants est peut-être celui qui a été cité à propos de la
version de Colin de 1578 (Anacleto, 1994: 121-122), où Selvagie, dans une composi-
tion en sixains, projette dans l’espace bucolique la dualité qui l’étreint entre le temps
passé (développé dans celui-ci) et le temps présent. En effet, le traducteur y remplace,
grâce à un jeu de mots tout à fait significatif, le lexème « temps » par l’image-
symbole de l’« éternel Printemps bucolique »: 1. « ¿Quién nunca imaginó que fuera el
tiempo//verdugo tan cruel para mi alma (...). » (Montemayor, 1970: 65); 2.« Qui eust
Images superposées 119
iamais pensé, que ce doux verd-Printemps//Eust esté si cruel et nuisant à mon ame? »
(Colin, 1578: 48).
33
« Tres leguas de la famosa Villa, que siendo Reina y centro de la Provincia Españo-
la, es emula del Imperio, y antigua grandeza Romana, yaze un llano bien espacioso, a
quien graciosamiente coronan algunos cerros de mediana altura. Dellos brotan no
pocas fuentes, que juntas en arroyuellos con retorcidas bueltas hermosean y fertilizan
la llanura, confundiendo despues sus corrientes con las veloces de Iarama, sobervio y
ufano por la compañia del cortesano Mançanares. » (Lancelot, 1614: 2-4); « A trois
lieuës de la fameuse Ville, qui glorieuse d’estre la Reyne et le centre de la Prouince
Espagnole, est aussi l’emulation de l’empire, et de l’ancienne grandeur Romaine, se
treuue une spacieuse plaine, agreablement enuironnée de quelques colines de
moyenne hauteur. De ces lieus, se voyent quantité de claires fontaines, qui s’vnissans
ensembles, se reduisent en petits ruisseaus, et de leurs tortueus détours, embellissent
et fertilisent ceste campagne. Et apres l’auoir baignée en plusieurs endroits, ils vont
perdre leurs cours auec les rapides eaux de Charame, superbe et content de la compa-
gnie du Courtisan Mançanares. » (Lancelot, 1614: 3-5).
120 Infiltrations d’images
34
Il est intéressant de voir que l’histoire d’Abindarráez et Xarifa, inclue, comme on
l’a dit, dans Los siete libros de la Diana, après l’édition de Valence de 1561, a égale-
ment suscité un grand intérêt auprès des lecteurs français, à tel point que Colin et
Chappuys l’intègrent dans leur version de 1592 (Colin et Chappuys, 1592 a: 108-125)
– ce qu’ils n’avaient pas fait dans la traduction de 1587. Ceci témoigne d’une sensibi-
lité des traducteurs à l’égard du goût particulier du public des romans.
Images superposées 121
35
Voir, à ce propos, les pages consacrées par Nathalie Dauvois à la pertinence et aux
fonctions assumées par le prosimètre dans Los siete libros de la Diana et par son
intégration dans l’univers pastoral (Dauvois, 1998: 169-175).
36
Bernard Beugnot applique le concept de « clé littéraire » au roman pastoral car cette
forme dissimule, sous un discours de surface, un sens secret, associé à un mouvement
122 Infiltrations d’images
vers l’origine historique dans laquelle se trouve déposé le véritable sens – dans ce cas
précis, la société mondaine et sa vision du monde (Beugnot, 1994 b: 231).
Images superposées 123
ral, entre autres, lorsque ces derniers sont introduits, en tant que ber-
gers inconnus, dans le parcours de Silvano, de Sireno et de Selvagia,
et qu’ils sont encouragés à raconter leur histoire.
Par ailleurs, la Diana enamorada de Gil Polo s’ouvre sur un chant
de Diana sur le « mal d’amour », suivi d’un dialogue avec Alcida qui
s’inscrit dans le même univers thématique. Ce dialogue sert de leitmo-
tiv narratif, non seulement aux différentes situations dialoguées qui
envahissent le roman, portant sur l’essence du sentiment amoureux (et
de la jalousie), mais aussi aux métadiégèses qui les supportent
– l’histoire de Marcelio, d’Ismenia, de Polidoro et de Clenarda – et qui
accompagnent le parcours des personnages associés à la Diana de
Montemayor (Diana, Sireno, Silvano, Selvagia). Ce parcours est cen-
tré sur la figure de Félicie, qui, à la fin, suivant les codes du genre,
célèbre les mariages des bergers, mettant ainsi fin à une dynamique de
dénouement qui reste, néanmoins, ouverte à une nouvelle continua-
tion.
La modernité des textes de Montemayor, d’Alonso Pérez et de Gil
Polo, potentiels continuateurs du succès d’édition du premier (et Fi-
gueroa), a ainsi été transposée de manière dénotative par les premiers
traducteurs qui étaient pleinement conscients que l’écriture narrative
première ouvrait de nouvelles perspectives à un romanesque fondé sur
la description des expériences amoureuses. Ce romanesque résulte de
scénarios multiples qui permettaient d’introduire, dans un cadre idéo-
logique néoplatonicien, les plaintes d’amour. Ces plaintes étaient, au
surplus, bien accueillies par un public qui, après le climat pessimiste
instauré par les Guerres de Religion, était prêt à comprendre les nuan-
ces d’une analyse minutieuse et délicate des sentiments 38 . C’est,
d’ailleurs, en ce sens que Charles Sorel, lorsqu’il intègre le roman de
Montemayor dans l’ensemble des romans pastoraux présents dans sa
Bibliothèque françoise, loue, comme cela a déjà été dit, les analyses
de l’amour qui y sont développées et sur lesquelles s’appuie la struc-
ture du texte et de ses métadiégèses (Sorel, 1970: 175).
La présence d’une réécriture qui fixe une vision du monde forgée à
partir de dissertations explicites de casuistique amoureuse, exposée,
38
Rappelons les nombreuses dissertations sur la nature de l’amour – décrites par
Gustave Reynier – apparues dans la deuxième moitié du XVIe siècle. L’auteur met
l’accent sur le Traité de l’amour humain (1588) de l’Italien Nobili, traduit vers le
français par Jacques de Levardin, Les Esguillons d’Amour, divisez en six Discours,
par L.D.G.Sr de Grivesne, Paris, A. du Breuil, 1599 (Reynier, 1971: 246).
Images superposées 125
39
En ce qui concerne la question de la présence de la violence dans l’univers pastoral
bucolique et sa signification (apparemment paradoxale) voir, entre autres: Anacleto,
1998; Avalle-Arce, 1974; Bertaud, 1986; Cull, 1984; Deyermond, 1967; Heninger,
1961; Ilie, 1971; Johnson, 1971; Mujica, 1976; Wardropper, 1951; Zotos, 1980.
40
« Ie ne sçay pas la raison pourqouy on dépeint la Force en figure de femme armée,
il seroit plus à propos de la representer par un homme tout nud, puisque cette figure en
seroit plus significative. Certes il y en a beaucoup, qui sont infiniment ennemies de
toute affection humaine, et plusieurs aussi qui sont amoureuses d’elles mesmes, à
l’imitation du simple Narcisse. D’autres qui font respirer l’Amour de leurs visages, et
dans leurs ames font professsion de toute rigueur. Et d’autres qui de leurs froides
aparances élancent mille flâmes. » (Lancelot, 1614: 452-453).
Images superposées 127
Dans le cadre de cette réécriture qui, bien que linéaire, tend logi-
quement à la sur-codification d’un genre que l’on veut imposer et qui,
en ce sens, est assimilé dans un mouvement de lecture-écriture, Colin,
Chappuys, Pavillon, Bertranet et Lancelot désirent conserver le filon
thématique qui unit la triade Amour-Temps-Fortune en tant
qu’éléments déterminants d’un profil idiosyncratique qui marque la
figure du berger et sa relation avec un cosmos en perpétuel change-
ment 41 . Ce profil devient, de surcroît, le fil conducteur de nombreuses
histoires racontées, comme celle de Sireno qui, dès l’incipit, apparaît,
dans l’original et dans toutes les versions analysées, comme un être
dont l’existence paradigmatique subit l’influence négative de la
conjugaison de ces trois éléments 42 . Ces expressions réécrites dans le
cadre de la même isotopie (« l’inconstante fortune », « le temps adver-
saire », « le temps trop tost coulant », « les temps changez par incons-
tance ») accentuent, dans les versions françaises, l’image d’un monde
adverse et précaire et d’un passé de « repos » que l’on essaye désespé-
rément de conquérir. Ainsi, le berger doit faire face, dans son intériori-
té et dans les diverses aventures qui remplissent la diégèse, à cette
adversité par le biais de l’évocation obsessive ou mélancolique de la
mémoire (« mémoire, ruine et destruction ») ou du caractère illusoire
de l’existence. Le modèle de thématisation imposé est ainsi mis au
service, non seulement d’une filiation idéologique de matrice baroque
qui accompagne la production narrative française du XVIIe siècle,
mais aussi d’une construction explicite du texte du roman, axée sur la
sublimation diégétique des obstacles matériels ou psychologiques.
41
À propos de cette « formule » structurale du genre, voir, entre autres auteurs:
Avalle-Arce, 1974: 74; Greenwood, s/d: 109-124; Jones, 1968; Keightley, 1975;
Wardropper, 1951: 135.
42
Outre les exemples plus détaillés décrits dans l’étude déjà citée (Anacleto, 1994:
161-170), observons rapidement la version de Colin (conservée par Chappuys) dans
laquelle le traducteur, même s’il réalise une réécriture littérale, parvient, grâce à la
construction d’un nouvel ordre dans la syntaxe narrative, à mettre en valeur la triade
thématique qui ouvre le roman de Montemayor: « Baxava de las montañas de León el
olvidado Sireno a quien Amor, la fortuna, el tiempo, tratavan de manera que del me-
nor mal que en tan triste vida padecía, no se esperava menos que perdella. Ya no
llorava el desventurado pastor el mal que la ausencia le prometía... » (Montemayor,
1970: 9); « Qui lui [à Sireine] causa vn si grand regret, approchant plus pres de son
païs, et ia descendant des montaignes de Leon, que du moindre mal qu’il enduroit en
sa triste vie, ne se pouuoit moins esperer, que la perdre. Et commencerent dés lors
l’amour, le temps, et la fortune à le traiter de manière, que plus il ne pleuroit le mal
que l’absence luy promettait... » (Colin, 1578: 2).
Images superposées 129
PRATIQUES DE GENRE
44
Voir les études de Gaume, 1980: 16; Lever, 1981: 55.
Images superposées 131
45
Henri Coulet, suivant en cela Reynier (Reynier, 1971), considère La Pyrénée et les
Bergeries de Juliette comme les seuls romans originaux produits pendant les guerres
civiles mais il n’oublie pas pour autant leur succès médiocre et la banalité de la prati-
que d’un romanesque reposant sur des intrigues simples qui poussent la convention à
son extrême (Coulet, 1967: 138-143).
132 Infiltrations d’images
46
Voir, sur cette signification extensive de l’écriture pastorale, les travaux d’Avalle
Arce, 1959 et de García Abad, 1965.
47
Dans le texte du roman, le caractère éthique des histoires racontées est très souvent
accentué par le biais des portraits « vertueux » des personnages. C’est le cas notam-
ment de l’histoire racontée par Magdelis, à la demande de Juliette, dans laquelle la
Images superposées 133
IMAGES AU PLURIEL
48
G. Toury met l’accent sur la pertinence de ce concept en partant de la traduction et
de sa fonction actuelle dans le système-cible pour la concevoir comme un moyen et
non comme une fin en soi (Toury, 1984: 80).
136 Infiltrations d’images
Mais bien ayant certaine cõfiance, que l’œuvre de soi est si recommandable et
si excellente, qu’elle pourra faire excuser le defaut qui s’y trouvera de ma
part, pource que ie confesse avoir plus estudié à rendre fidelement ce que
l’autheur a voulu dire, que non pas à orner ou polir le lãgage, ainsi que luy
mesme à mieulx aimé escrire doctement et gravement ny facilement. Mais en
recõpense il y a tant de plaisir, d’instructiõn et de profit en la substãce du li-
vre, qu’en quelque style qu’il soit mis, pourveu qu’il s’entende, il ne peut fail-
lir a estre bien receu de toute personne de bon iugemet. (Amyot, 1567)
DEMYSTIFICATIONS AXIOLOGIQUES
49
On trouve l’un des exemples les plus typiques de cette « manipulation » dans la
version de Pavillon de 1603 lorsqu’il utilise, dans la réécriture, les verbes « servir » et
« obéir ». Il veut de toute évidence investir, dans le chant alterné de Silvain et de
Sirène, dans une imagerie de l’« amour courtois » qui caractérisait, en toute rigueur,
sa position face à Diane, personnage constamment mis en relief dans le discours des
deux bergers (Pavillon, 1603: 25).
50
C’est dans la traduction de Nicolas Colin – suivie par Gabriel Chappuys – que,
comme nous l’avons mentionné dans une étude précédente (Anacleto, 1994: 181), le
concept est, dès le titre, recréé, grâce à l’explicitation et à l’amplification de certains
passages renvoyant à un amour idéalisé qui unit les bergers. La formation même de
Colin – trésorier de l’église de Reims, lié à la Maison de Guise – et les textes men-
tionnés par Paul Chavy (Chavy, 1988) qu’il a traduits de l’écrivain espagnol Frei Luis
de Granada et dont la teneur spirituelle et la thématique religieuse sont évidentes –
Guides des pêcheurs (1577); Lieux communs et discours spirituels (1580); Memoriel
de la vie chrestienne (1582); Predication pour le temps de Pasques (1582); Predica-
140 Infiltrations d’images
tion sur les Evangiles du temps depuis le 13e dimanche apres Pentecoste jusques au
premier des Advents (1586); Catechismes et introduction du symbole de la foy (1587)
– justifient le choix d’un travail plus minutieux de ce volet néoplatonicien de
l’« honnête amour ».
51
L’amour « honnête » et vrai qui avait uni, par le passé, Don Felis et Felismena est
interprété par Pavillon comme « une bonne amitié » (Pavillon, 1603: 98); dans le cas
de Danteo et de Duarda, les deux bergers portugais dont l’histoire amoureuse reste
ouverte à la fin du roman – on en suggère la continuation –, « el amor » est lu comme
« une vraie amitié » ou comme « une grande affection » (idem, 1603: 327; 346).
52
Le lien étroit entre le courant précieux et le platonisme est mis en relief par René
Bray lorsqu’il souligne, dans le cadre de l’influence que la philosophie italienne a
exercée sur la Renaissance française, la conception idéaliste de l’amour et un certain
mysticisme qui la supporte, cultivés dans les cercles de Marguerite de Navarre,
d’Etienne Dolet, de Bonaventura Despériers et d’Antoine Héroët. Les cercles vérita-
blement mondains surgissent dans le sillage de ces derniers, aux alentours de 1600.
On y cultive le goût de la conversation, de la « galanterie », du « beau style » et on y
discute de poésie et des lettres insérées dans les romans (Bray, 1960: 47-48; 105).
Images superposées 141
53
Selon Roger Lathuillère, les notions de « galanterie », d’éducation et d’« honnêteté
» sont à la mode et définissent un « idéal de civilisation » qui s’exprime, d’abord,
dans la figure du « galant homme » du XVIe siècle – « homme civil, honnête, poli, de
bonne compagnie et de conversation agréable » (Lathuillère, 1966: 566) – et, ensuite,
dans celle de l’« honnête homme », renforcée dans les réécritures mentionnées.
54
Marcos Morínigo défend que le roman pastoral s’adresse, plus précisément, à un
public distingué de courtisans érudits qui l’accueillait et encourageait son succès
puisque, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, ce vaste ensemble de lecteurs aspi-
rait à une vie plus raffinée (« honnête ») présente dans le profil du berger, aristocrate
déguisé (Morínigo, 1957).
Images superposées 143
55
Comme on l’a vu dans une étude précédente, d’autres portraits féminins font l’objet
de ce travail d’adéquation contextuelle perçue par les traducteurs: par exemple, les
portraits de Belisa, Amarilida et Selvagia sont réécrits au regard des diverses nuances
sémantiques inhérentes à l’« honnête femme » française, dans laquelle le public pou-
vait se revoir (Anacleto, 1994: 211-215).
144 Infiltrations d’images
57
Roger Chartier affirme ainsi qu’à partir de ces modèles italiens, on souhaite régler
les conduites d’un lieu social donné – la cour – et d’un ordre – la noblesse. Cet objec-
tif est présent, à partir de ces sources, dans toute une littérature qui, dès la fin du XVIe
siècle et le début du XVIIe siècle, veut organiser la vie de la cour (Chartier, 1987: 55).
146 Infiltrations d’images
58
Beaucoup d’auteurs considèrent que l’évocation de ces personnages est l’élément le
plus représentatif de l’esprit courtisan de Jorge de Montemayor dont les traducteurs
ont su habilement tirer profit dans la transposition idéologique réalisée par sa réécri-
ture littérale. Voir, entre autres: Alonso Cortés, 1930; Gerhardt, 1950; Keightley,
1975; López Estrada, 1970.
Images superposées 147
L’ESPACE DE LA DERIVATION
1
« Que l’espace de l’écriture soit relatif, variable ou en expansion, cela signifie que
ses repères ou ses définitions sont en mouvement – et non seulement les variations
qui, comme une trajectoire, se modulent autour de ces définitions – d’une œuvre à
l’autre, mais encore dans l’œuvre même. » (Compagnon, 1979: 398-399).
150 Infiltrations d’images
2
« En esta cuadra, por mi gusto, amigo Anfriso, he puesto algunos mármoles, retratos
de personas ilustres, de ellas que ya han pasado, y de ellas que aun no han nacido, de
Grecia, Italia y España. » (Lope de Vega, 1975: 225); « I’ay mis dans cette salle,
Genereus Anfrize, toutes ces figures de marbre que tu vois non à autre fin, que pour
ma seulle recreation; Ce sont des portraits de grands personnages, et de femmes prin-
cipales, tãt de Grece, Italie, que de la France et de l’Espagne. » (Lancelot, 1622: 228).
Images de l’inversion 151
faire connaître une œuvre exemplaire que de relancer un livre déjà connu en
l’adaptant au goût du moment (…) » (Wentzlaff-Eggebert, 1988: 170).
4
« Cependant, dit Eugene, c’est ce que font la pluspart de nos beaux esprits. Ils pillent
continuellement les Grecs et les Latins, les Italiens et les Espagnols: et si l’on vouloit
se donner la peine de bien examiner leurs ouvrages, on trouueroit que le païs des
belles Lettres est plein de larrons. (…) Je veux bien aussi qu’il se serve dans les ren-
contres des pensées des bons Auteurs, pourve˜u qu’il y ajoûte de beautez nouvelles.
(…) C’est un des grands talens de Voiture. En imitant les autres, il s’est rendu inimi-
table. » (Bouhours, 1671: 273-274).
Images de l’inversion 153
5
Voir, à ce sujet, les travaux suivants: Lanson, 1896; Mansau, 1991: 210; Molinié,
1982; idem, 1991.
154 Infiltrations d’images
6
Maurice Lever soutient que, si le XVIIe siècle a été le siècle du théâtre, il peut éga-
lement être considéré comme le siècle du roman, compte tenu de l’importance numé-
rique de sa production, de la place majeure qu’occupent les libraires, des traductions
de romans étrangers (surtout italiens et espagnols) qui représentent, à en croire
l’auteur, plus de 10% du marché romanesque et étant donné que le premier volume du
grand roman produit dans la première moitié du siècle – L’Astrée – a été lu par près de
cinq à six mille personnes (Lever, 1981: 11-13).
Images de l’inversion 155
7
Il faudra tenir compte, dans ce cas, des données fournies par Solé-Leris sur la contri-
bution de Los siete libros de la Diana à l’innovation des « attitudes littéraires, techni-
ques et matérielles » matérialisées dans la production romanesque française, anglaise
et, plus tard, allemande, ainsi que de leur contribution décisive à l’évolution du roman
dans ces systèmes littéraires étrangers (Solé-Leris, 1980: 146-147).
156 Infiltrations d’images
8
Le pouvoir politique lui-même, surtout celui de Marie de Médicis, dans un geste de
mécénat hérité du XVIe siècle et émanant de l’image du roi comme censeur de la
littérature, soutenait la poétique romanesque sous-jacente aux « Libros de pastores ».
Cela se traduisait par la concession de subventions royales (pour la version du Pastor
fido réalisée par Boisrobert, par exemple), et par le fait que le destinataire de beau-
coup des épîtres forgées – notamment celle de Sylvanire d’Honoré d’Urfé – n’était
autre que la figure du roi (Lough, 1978: 99).
9
« (…) Ouvrage agreable où il y a tant d’Histoires détachées de différentes especes
qui viennent à propos au sujet, qu’on peut dire que l’Autheur y a introduit de toutes
les manières d’avantures qu’on se pouvoit imaginer, et que c’est un roman qui
contient plusieurs autres romans, lequel d’ailleurs est recommandable en ce que l’on
n’y voit rien autre chose que les effets d’une affection legitime. » (Sorel, 1671/1681:
153).
Images de l’inversion 157
L’ESPACE DE LA MANIPULATION
10
La composition d’Olimpo, rival d’Anfriso dans l’amour qu’il éprouve pour Belisar-
da (strophes de treize vers) est narrativisée lorsque, dans la traduction, on lui donne un
titre thématique qui en fait une sorte de discours théorique sur la beauté féminine à
partir de laquelle se déroule un dialogue entre les bergers sur ce thème, suivant la
structure typique du roman pastoral, adoptée dans une large mesure par H. d’Urfé,
Gomberville, Videl, entre autres: « (…) tocando su instrumento cantó así://Olimpio »
(Lope de Vega, 1975: 215); « (…) dit ainsi. Olimpio sur la description de la beauté. »
(Lancelot, 1622: 210).
160 Infiltrations d’images
« Dialogue des deus Pasteurs » qui est présenté en prose mais qui
obéit à une lecture linéaire inscrite dans la formule originale:
Galafrón
De estas montañas la soberbia frente
igualará la hierba de este llano,
y de este humilde río la corriente
los campos de cristal del Oceáno;
al scita abrasará calor ardiente,
y el indio en el rigor de su verano
cubierto se verá de nieve fría,
si se ablandare la enemiga mía. (Lope de Vega, 1975: 79).
Lycaste.
Le superbe sommet de ces montagnes, égalera l’herbe de cette plaine: le
courant de ce petit ruisseau, sera comme les branlantes campagnes de
l’Ocean: le Scite brulera d’extreme chaleur; l’Indien, durant l’ardeur de son
été, se verra tout couuert de neige et de glace, quand celle qui ie sers, adou-
cira sa rigueur. (Lancelot, 1622: 26).
Syrene receut tant de plaisir du chant de ces deux Amoureux, qu’il ne se peut
empescher de prendre sa poche, pour remercier la Fortune de cet heureux ma-
riage. Ayant acheué de chanter il commença de leur dire, Bergers: Ie prie
Dieu qu’il vous laisse long-temps iouyr du contentement que vous auez: et
qu’il esloigne de vous tout sinistre accident: Que vostre Amour ne soit iamais
meslé d’aucune fascherie. Que le Feu, la Terre, l’Eau, l’Air, et le Ciel, vous
soient tousiours fauorables. Que le Loup n’offence point vostre trouppeau, et
11
Voir, à ce sujet, le « Chant de Selvagie »: « (...) y tomando su çampoña, començó a
cantar la seguinte canción: » (Montemayor, 1970: 64); « Prenant donc sa Cornemuse,
elle toucha dessus quelques Vers qui exprimoient les plaisirs qu’elle receuoit au temps
qu’elle possedoit Alanie, et le mescontentement qu’elle auoit de son changement, et
du mespris qu’il faisoit d’elle. » (Vitray, 1623: 85).
12
« Despidiedo se los pastores para su partida, porque auiendo de madrugar, a fin de
no caminar con calor, la visita dela mañana no les interrumpiesse el sossegado
sueño. » (Alonso Pérez, 1563: 6b); « Syrene Syluain et Seluagie, qui vouloient partir
du matin à cause de la chaleur, disposerent leurs hardes dez le soir et prirent congé de
la sage Felicie, de Felismene et des Nymphes, afin que la visite du matin ne les in-
commodast point. » (Vitray, 1623: 452-453).
162 Infiltrations d’images
qu’il ne soit iamais atteint de la gale. Que le Regnard craigne le belier qui cõ-
duit vos moutons. Que la Cheure vous fasse deux Cheureaux: et que la Brebis
semblablement vous rapporte tousiours double fruit. Ce discours acheué, ils ...
(Vitray, 1623: 467-468).
Allí sentieron una suave voz que de una dulce lira acompañada resonaba con
extraña melodía y parándose a escuchar, conocieron que era voz de una pasto-
ra que cantaba así [suit le sonnet] (…) Después de haber la pastora suavemen-
te cantado, soltando la rienda al amargo y doloroso laanto derramó tanta
abundancia de lágrimas y dio tan tristes gemidos, que por ellos y por las pala-
13
En associant les « plaintes » typiques de l’Arcadie au thème de la mort, bien sou-
vent comprise comme le summum de la tristesse, Bruno Damiani et Barbara Mujica
concluent que les successives « plaintes » des amants entraînent une mélancolie que
les bergers ne peuvent surmonter bien souvent que dans la mort (Damiani et Mujica,
1990: 52).
Images de l’inversion 163
bras que dijo, conocieron ser la causa de su dolor un engaño cruel de su sos-
pechoso marido. (Gil Polo, 1987: 158-159).
Ils ouyrent vne voix si bien d’accord aux accens d’vne Lyre, qu’ils n’auoient
iamais rien entendu de plus rauissant. S’estans vn peu dauantage aduancez, ils
conneurent que c’estoit vne Bergere qui chantoit quelques plaintes, qu’elle fi-
nissoit en disant, que les Astres (...) En fin les pleurs que cette Bergere versa,
et les paroles entre couppees qu’elle dist en soupirant, firent cognoistre à
Diane, que la tromperie que luy auoit faite vn mary soupçonneux, la faisoit
ainsi plaindre. (Vitray, 1623: 1072-1073).
14
« Cuando Marcelio y ellas estuvieron tras los jarales asentadas, oyeron que Tauriso
y Berardo cantaban de esta manera. [suit la composition en vers] (…) Al que en amo-
res anda consumiéndose,//nada lo alegrará, porque fatígale//tal mal que en el dolor
vive muriéndose.///Amor le da más penas y castígale,//cuando en deleites anda re-
creándose,//porque él a suspirar contino oblígale.///Las veces que está un ánima ale-
grándose//le ofrece allí un dolor, cuya memoria//hace que luego vuelva a estar que-
jándose.///Amor quiere gozar de su victoria,//y al hombre que venció, mátalo o prén-
delo,//pensando en ello haber famosa gloria.//El preso, a la Fortuna entrega, y véndo-
lo//al gran dolor, que siempre está matándolo,//y al que arde, en más ardiente llama
enciéndelo. » (Gil Polo, 1987: 180; 181); « Marcelio et les deux Bergeres, estans assis
au plus obscur de la Forest, entendirent Berard qui parloit à Taurise. [suit le dialogue]
(…) Celuy (respondit Taurise) qui s’est laissé vaincre à l’Amour, est incapable de
gouster des plaisirs, parce qu’il est trauaillé d’vn mal qui prolonge sa vie, en le faisant
mourir. Et plus celuy qui est sous la puissance de l’Amour, cherche à se diuertir, tant
plus ce Dieu fascheux redouble le tourment qui cause ses soupirs. Si bien que sa vie
est vne continuelle mort. En fin l’Amour qui veut tousiours triompher, ayant pris
quelqu’vn dans ses filets, le liure à la Fortune: et puis cette ingrate Deesse l’expose à
des douleurs qui le tuent tousiours. » (Vitray, 1623: 1102; 1103).
164 Infiltrations d’images
vous point ennuyer, ie laisseray la rithme, pour vous dire le sens. Pres-
tez-vous donc à moy: car ie m’asseure que vous en trouuerez le sujet
agreable. » (Vitray, 1623: 742).
Et quoique, bien souvent, le sens des textes lyriques ne soit pas
surpassé et qu’il se maintienne dans une lecture plus ou moins « litté-
rale », le traducteur revendique les choix d’élimination des redondan-
ces lyriques lorsque, en recourant à la paraphrase, il réécrit, dans une
autre énonciation, le contenu du texte ibérique comme si son écriture
représentait déjà un niveau avancé de (re)présentation de l’écriture
première. Par exemple, dans le chant alterné de Fausto et Firmio, A.
Vitray, en réduisant drastiquement les répétitions propres à la structure
lyrique et le discours métaphorique qui lui est associé, et en recourant
à la paraphrase, annonce (ou énonce) non seulement la prosification et
l’exposition-résumé auxquels le chant est soumis mais aussi les chan-
gements auxquels l’alternance des voix conduit dans la mise en prose,
comme s’il voulait justifier devant le lecteur la transformation tex-
tuelle opérée dans et par sa (ré)écriture 15 .
D’ailleurs, Vitray n’hésite pas, à certains moments, à utiliser sa
propre voix (de « narrateur-traducteur »), pour commenter les chan-
gements qu’il fait consciemment – le résumé du « villancico » de Tau-
riso qui devient possible parce que le narrateur réussit, de mémoire, à
reconstituer le contenu de la copie perdue (« I’en auois gardé vne co-
pie que i’ay perduë: mais il me souuient bien qu’il (…) [contenu de la
composition] »; « I’ay oublié les vers, mais en voicy le sens. » – Vi-
tray, 1623: 1130-31). Il en arrive même à envisager des procédés de
fictionnalisation et de vraisemblance qui seront problématisés dans le
roman des XVIIe et XVIIIe siècles, pour justifier la manipulation
d’écriture réalisée et pour légitimer une nouvelle écriture (une écriture
15
« Diana dixo. Haz nos plazer de dezirnos lo que cantando venias. Fausto sin dila-
cion, tomado su rabel assi començo. (…) Firmio por no yr contra la contienda acos-
tumbrada, tomado el rabel assi canto. » (Alonso Pérez, 1564: 174a; 174b;); « Diane le
pria de recommencer les vers qu’il chantoit quand il arriua là. Fauste pour l’obliger
ayant tiré vne petite viole de sa pannetiere, accorda sa voix au son de cet instrument:
Voicy le sujet de son chant. (…): « Bref pour conclurre, il luy dit (…) Firmio
n’attendit presque pas qu’il eust acheué ces paroles, qu’il prit sa cornemuse pour
chãter d’autres vers (afin de le contrepointer selõ sa coustume,) desquels le sens es-
toit: (…) Et puis il le finit par vn conseil qu’il luy donna de n’aymer iamais personne,
puisqu’elle estoit seule » (Vitray, 1623: 825; 826).
166 Infiltrations d’images
plus moderne 16 ) qui est le fruit d’un jeu d’identités déployé dans le
texte en traduction, vu la pertinence assumée par le personnage du
narrateur, à savoir du « traducteur-narrateur».
Ainsi, en choisissant de suggérer plus au moins explicitement une
cohérence narrative associée à une certaine vision du texte du roman,
les traducteurs français du roman pastoral ibérique des années vingt
systématisent une théorie des mondes possibles décrits dans les textes
d’une époque et d’un genre particuliers ainsi qu’une théorie des for-
mes d’innovation probables, mises en relief par le processus de réécri-
ture et fondées sur une « conscience du roman ». Cette théorie se pré-
sente sous la forme de différentes manipulations textuelles dont la
signification traduit une tendance catégorique à mettre en valeur les
faits de la diégèse, susceptibles de devenir des éléments constitutifs
d’un romanesque pastoral que Lancelot, Vitray et Rémy veulent at-
teindre dans l’intertextualité qu’ils développent par rapport aux autres
textes fictionnels français issus du même cadre générique. On peut
donc voir que les traductions de 1622, de 1623 et de 1624 qui détien-
nent un statut de modèles de canonisation de l’écriture bucolique té-
moignent d’un compromis consenti par le « traducteur-écrivain » à la
société de lecteurs (de romans) et à l’institution littéraire (Dubois et
Durand, 1988-1989: 143).
Ainsi, dans la suite du mouvement de prosification, déjà décrit, au-
quel les trois métatextes sont fidèles, surgissent des changements for-
mels qui, parce qu’ils font partie d’une appropriation consciente de
l’écriture par les traducteurs, mettent en lumière des éléments qui
composent et qui construisent structuralement la diégèse, contribuant
en ce sens à en conserver la cohérence romanesque: la pertinence des
métadiégèses – mises en relief, dès le début, dans les Sommaires créés
par Abraham Rémy 17 ; la timide correspondance épistolaire reflétée
dans les lettres intégrées et exhibées dans le texte; l’importance accor-
dée aux personnages; la conscience du roman conservée dans certains
16
Alexandre Cioranescu fait brièvement référence à la modernité de la traduction de
Vitray (par rapport à celle de Rémy), modernité qui se manifeste tant dans le choix du
vocabulaire que dans les adaptations réalisées par rapport aux besoins et aux exigen-
ces de la langue française – augmentations ou inventions (Cioranescu, 1983: 417).
17
Quelques exemples: « Histoire des aduantures de Felismene: Ses amours auec Dom
Felix: Les amours de Dom Felix auec Celia: Et les diuers changemens de ceste pas-
sion. »; « Histoire des amours et infortunes de Belise. La Bergere Belise raconte les
malheurs qui luy estoient arriuez en ses amours, et comme elle auoit esté courtisée
d’Arsenie et d’Arsilée. » (Rémy, 1624: 153; 218).
Images de l’inversion 167
18
Nicolas Lancelot, dès l’incipit, valorise les « aventures » qui seront racontées ayant
conscience d’une dynamique romanesque qui imposera sa traduction dans la suite
d’une poétique du roman parfaitement pressentie: « Este es, pastores del dorado Tajo,
el teatro de mi historia; que ya sabéis que es obligación del que comienza alguna la
descripción de lugar donde sucede. » (Lope de Vega, 1975: 67); « Ce mesme lieu,
168 Infiltrations d’images
Pasteurs du Tage doré, est le Teatre de mon histoire, vous n’ignorés pas, que celuy qui
traite des auentures, ne soit obligé, de faire la description du lieu où elles sont aue-
nues. » (Lancelot, 1622: 5).
19
Nous ne citons qu’un exemple retiré de la continuation de l’histoire de Delicio et
Partenio, racontée aux bergers par Crimene et Stela: « porque ya soy auisada hasta
dõde Crimene mi amada amiga os conto, proseguire en lo que ella yua » (Alonso
Pérez, 1564: 125a; « Crimene m’a dit où elle auoit finy son discours, et par là ie pre-
tends de commencer le mien, et de reünir tellement l’vn et l’autre ensemble, que vous
voyez vne suitte indiuisée en nos aduentures » (Rémy, 1624 a: 4-5).
Images de l’inversion 169
20
Voir, à ce sujet, la réflexion menée à bien par Henri-Jean Martin sur l’influence du
roman sur la société aristocratique et bourgeoise (Martin, 1969: 294).
21
« En effet, il [Urfé] est admirable par tout: il est fécond en inventions, et en inven-
tions raisonnables; tout y est merveilleux, tout y est beau; et ce qui est le plus impor-
tant, tout y est naturel et vraisemblable. Mais entre tant de rares choses, celle que
j’estime le plus est qu’il sait toucher si délicatement les passions, qu’on peut l’appeler
le Peintre de l’âme. Il va chercher dans le fond des cœurs les plus secrets sentiments;
et dans la diversité des naturels qu’il représente, chacun trouve son portrait. » (Esmein
(éd), 2004: 142).
170 Infiltrations d’images
Sirene, Siluain et Seluagie, escoutent Polydore, qui recite l’histoire des mal-
heurs de Sirene. Trois Sauuages offencent les Nymphes. Ils sont secouruës
d’une grande Bergere incogneüe, et des autres Bergers. La Bergere leur ra-
conte ses infortunes, et l’histoire de ses Amours (Vitray, 1623: 113).
Apres souper, la sage Felicie pria Felismene de raconter quelque chose de re-
marquable qui fust arriué en la Prouince de Vandalie, pour seruir d’entretien,
attendant l’heure du coucher. La belle Felismene qui vouloit obliger Felicie,
commença ceste histoire auec beaucoup de grace. Histoire d’Abindaras et Xa-
rife; Abindarras ayant esté fait prisonnier en un combat, obtient permission
d’aller veoir Xarife pendant que son pere estoit en Cour, à la charge de se
reuenir rendre prisonier dans deux iours. Ils portent sa rançon au gouuerneur
d’Alore qui fait leur paix, et refuse leur argent. (Vitray, 1623: 266; 269).
22
Jean Cazenave souligne les nombreuses imitations de la nouvelle mauresque parues
en France tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles: l’influence de Guerres civiles de
172 Infiltrations d’images
Grenade chez Mlle de Scudéry, Almahide ou l’Esclave Reine; Le Grand Cyrus; Gom-
berville, Polexandre; La Calprenède, Cléopâtre; Faramond; Mme de La Fayette,
Zaïde; Mme de Villedieu, Galanteries grenadines; (déjà au XVIIIe siècle) Mme de
Gomez, La conquête de Grenade; Florian, Gonzalve de Cordoue ou Grenade re-
conquise (Cazenave, 1925: 611-622). Georges Molinié a également mis l’accent sur
l’influence de la nouvelle mauresque sur la production romanesque réunie sous Louis
XIII, en mentionnant tout particulièrement L’Abencerrage, publié en 1565 par A. de
Villegas et repris, dans son roman, par Montemayor (Molinié, 1982: 31). Alejandro
Cioranescu, l’un des grands spécialistes des relations esthétiques et littéraires entre
l’Espagne et la France à l’époque baroque, affirme dans un entretien que « le roman
mauresque, par exemple, est totalement espagnol ou d’inspiration espagnole: il a été
très à la mode, mais les cas d’espèce ne sont pas excessivement nombreux. (…)
l’influence espagnole n’est absente dans aucun genre romanesque. » (Cioranescu,
1980: 203).
Images de l’inversion 173
Madame,
Les perfections dont le Ciel a voulu vous enrichir, outre la beauté qui vous
recommande par tout m’ont priué de repos. (Vitray, 1623: 1012)
174 Infiltrations d’images
genre), Rémy fait appel à un jeu de mots qui révèle l’état d’âme de la
bergère et qui prend tout son sens dans un texte épistolaire 24 .
On peut également justifier la longueur que la « Lettre de Don Fe-
lis à Felismena » a dans le texte de Rémy, par ce choix de réécriture
ou de cette éthique de ré-énonciation qui est aussi une dialectique de
l’interaction des codes d’origine et des codes de réception. En effet,
cette lettre représente l’espace du romanesque par excellence étant
donné que c’est en dehors de l’univers strictement bucolique – et
grâce à la relation aporétique dont parle F. Lavocat, entre le « berger »
et le « prince » (Lavocat, 1998: 237 sq) –, qu’on assiste à l’expression
d’une subjectivité qui rapproche le texte de l’exposition de la psycho-
logie humaine soulignée par Urfé. C’est pourquoi, la lettre est non
seulement plus longue dans le texte en traduction, mais que l’on y
introduit également des extraits très innovateurs par rapport à
l’écriture première (Montemayor, 1970: 102-103) grâce auxquels on
exploite certaines formules de traitement et de courtoisie à l’égard de
la dame ou encore, on travaille des portraits idéalisés de la « bergère-
dame-de-cour », portraits susceptibles de plaire à un public dont la
lecture est marquée par des signes associés au féminin d’un point de
vue idéologique:
L’ESPACE DU ROMANESQUE
24
Voir la fin de la lettre: « Ve pues ya Fausto mio breuemente//que cierto el esperar
me da tormento//y no puedo suffrir ya mas tardança.///Mira bien que se dize comun-
mente//que quasi viene luego en seguimiento//tras vn largo esperar desconfiança. »
(Alonso Pérez, 1564: 182a; « Ie commence à cognoistre où s’estend le mal de
l’absence, et ne puis longuement esperer ny souffrir le retardement: et partant puis que
ma vie depend de la vostre: si vous vous aymez, venez au plutost en ce cartier car ce
m’est vne continuelle mort que d’estre éloignée si long-temps de vous. » (Rémy,
1624 a: 137).
176 Infiltrations d’images
25
K. Varga affirme que le roman français d’avant 1660 s’est soumis aux règles de la
rhétorique épique pour susciter l’admiration à travers des digressions qui constituent
des récits à l’intérieur du récit, des lettres et des conversations qui sont des modèles
d’éloquence, cités par les théoriciens de l’époque et suivis comme des « modèles de
vie » par les lecteurs de l’époque, ces pratiques s’inscrivant dans une « rhétorique
appliquée » (Varga, 1991: 283).
26
M. Lever affirme que la génération des années 1600-1630 témoigne d’une aspira-
tion sans limite à l’aventure sentimentale, exotique, héroïque et pastorale, ce qui se
reflète dans la production littéraire du moment (Lever, 1991: 11). Georges Molinié
fait ce même constat quand il analyse la sensibilité du lecteur français de la première
moitié du XVIIe siècle et la relation intrinsèque qui s’établit avec l’écriture du « ro-
man baroque » (Molinié, 1982: 366).
27
« Suite des adventures de Marcelio. Son embarquement pour Lisbonne. Il est
surpris d’une grande tempeste. Perfidie du Pilote pour enleuer Clenarde. Il laisse
Marcelio en une Isle, attaché à une anchre. Les regrets de Marcelio et les plaintes
Images de l’inversion 177
De vous dire les tristes attaques, et les funestes escarmouches que luy [à mon
frère] donna l’Amour durant ce temps, ce seroit abuser de vostre douceur, et
conduire ceste histoire hors des bornes que ie luy veux limiter, il vous suffira
d’entendre mes aduentures et conjecturer quelque chose des siennes. (Rémy,
1624: 158).
d’Alcide. » (Vitray, 1623); « Delicio raconte ce qui luy estoit arriué estant ieune: et
les artifices dont vsa Carposte, sur la ressemblance qu’il auoit auec Parthenio » (Ré-
my, 1624); « Suitte des aduentures de Marcelio. Description d’une tempeste. Trahison
perfide de Bartofano Pilote du nauire pour enleuer Clenarde. Auec les plaintes
d’Alcide. »; « Mariage de Sirene et de Diane, et de Marcelio et d’Alcide » (Rémy,
1624 a).
28
« Esto concertado [le changement de tenue] y puesto por obra se fuerõ con Sireno,
encomendãdoles mandassen bien a la memoria, todo lo que entre los competidores
passasse: para que despueslo pudiessen contar, quando juntos todos se hallassen.
Quien quisiere pues ver las obsequias de Delio. La competencia de Sireno, Fausto y
178 Infiltrations d’images
(…) ie desire cy apres, sur une Lire mieus accordée, vous faire ouïr des cho-
ses plus morales et plus serieuses, veu que le devoir de celuy qui écrit, n’est
pas seulement de donner de la delectation au Lecteur, mais il est encore tenu
d’enseigner, et de joindre le profitable au delectable.; Par ainsi, ie tiens que
cet’œuvre ne sera pas reputee inutile, au contraire, i’espere que le progrés et la
Moralité d’icelle, sera fort agreable à ceus qui luy feront l’honneur de la lire.
(Lancelot, 1622: 391-392; 395).
29
Le traducteur recourt explicitement, dans ce cas, à l’emploi du lexème « moralité »:
« Y no penséis que sin ejemplo escribo. » (Lope de Vega, 1975: 68); « et ne pensés
pas que i’ecriue sans moralité (…) » (Lancelot, 1622: 7).
Images de l’inversion 181
menos temor vivo cuitado//de mis ovejas proprias olvidado (Gil Polo, 1987:
134)
Ainsi ie m’en retournay en mon logis bien differente de ce que i’estois aupa-
rauant, car l’amour me tyrannisa de sorte, que ie ne pouuois me depestrer de
ses liens: tousiours le souuenir de ce Berger dissimulé, me recouroit en
l’esprit, et si, lassée des vaines impressions que le iour m’auoit representé, ie
me mettois au lict pour donner quelque tresue à mes tourmens, le songe rem-
plissoit ma fantaisie de mille figures imaginaires qui ne faisoient
qu’augmenter mes douleurs; c’estoit le premier assaut que me liuroit l’Archer
de Cypris; iusques là i’auois soustenu ses efforts d’vn courage masle et gene-
reux, mais à la fin ie recogneus bien le malheur que moy-mesme ie m’estoit
tra mé, et cependant ma captiuité me sembloit si douce, que ie m’estimois
bien-heureuse d’auoir engagé ma liberté en vn si beau sujet. (…) Huict iours
se passent qui me furent autant de siecles; car ie cherchois toutes les occasions
que ie me pouuois imaginer, pour rencontrer celuy qui me causoit tant de
tourmens. Quelquefois i’allois dans le creux des forests, pour voir s’il ne se
promenoit point dans le bocage, quelque fois ie me promenois sur le riuage du
fleuue Duero, mais ie ne rencontrois qu’vn affreux silence qui m’apportoit au-
tant de tristesse, que le plaisir imaginaire dont i’auois joüy m’auoit esté
agreable. (Rémy, 1624: 57-59)
30
Voir l’extrait inexistant chez Vitray où est décrit l’état d’esprit de Sirene, Silvain et
Selvage, à la fin de Los siete libros de la Diana, par opposition à l’état psychologique
perturbé qui agite Diana et qui ne permet pas de fermer l’intrigue du roman: « Sirene
menoit vne vie si tranquille et si douce, qu’encore que Siluain et Seluage possedassent
tout le contentement qu’ils eussent sçeu desirer, si estce qu’ils enuioient son bon-heur,
et s’estonnoient comme il pouuoit viure dans vne si grande liberté, mais la belle Diane
sentoit de iour á autre augmenter ses douleurs auec tant d’efforts, qu’il n’y auoit chose
au monde qui luy peust donner aucun trait de consolation; sa vie n’estoit qu’vne vie
morte, trauersée de mille desplaisirs, et le plus souuent la tristesse la possedoit telle-
ment, qu’elle ne sçauoit trouuer assez de larmes ny de souspirs pour desplorer ses
malheurs » (Rémy, 1624: 436).
Images de l’inversion 185
31
Rémy introduit dans l’incipit – espace privilégié du point de vue rhétorique – un
paragraphe qui n’existait pas dans l’original de Montemayor dans lequel il décrit la
condition actuelle de Sireine devant les rigueurs de Diane, par opposition à la mé-
moire du passé heureux: « L’idée agreable des beautez de Diane, et les promesses
qu’elle luy auoit fait à son depart, luy versoient vne telle confusion dedans l’ame,
qu’il ne s’osoit ressouuenir de l’vn, de peur que l’autre n’augmentast ses douleurs.
Plus il approche de ces vertes prairies (tesmoins irreprochables de ses chastes affec-
tions) plus le desespoir le transporte: les funestes nouuelles du mariage de sa Bergere,
luy impriment vn tel regret en l’esprit, que si l’air qui sort de ses poulmons pense
former quelques plaintes, pour soulager ses tourmmens, ce ne sont que souspirs qui se
creuent et s’entre-couppent en sa bouche. » (Rémy, 1624: 2).
32
« Depuis le temps que i’ay eu le bon-heur de vous voir, ma vie n’a esté abreuuee
que d’une continuelle langueur (…) Helas! combien puis-ie me dire miserable et mal
traitté de l’Amour! (…) Faut-il que i’acheue mes iours en des tourmens et des peines
si poignantes? (…) L’air ne retentit que de mes souspirs, et par les nuages obscurs qui
le vont continuellement enuironnant, il ne prognostique autre chose que l’obscure
tristesse qui m’ombrage le cœur (…). Les ruisseaux de ces prairies ne sont augmentez
que de mes larmes. La terre mesme inonde tellement des torrens qui decoulent de mes
yeux, qu’elle se rendra en bref infructueuse, si par une compassion plus qu’ordinaire
tu ne dissipes d’un rayon de tes yeux tous les orages et les tempestes qui s’esleuent
contre moy » (Ibidem: 224-225).
186 Infiltrations d’images
Pour moy [Diane] i’iray me confiner dans le creux de quelque espoisse forest,
où ie chercheray quelque autre pour y acheuer de finir ma languissante vie.
188 Infiltrations d’images
33
« Era el lugar el más apacible de aquel bosque, y aun de cuantos en el famoso Par-
thenio celebrado con la clara zampoña del neapolitano Sincero pueden hallarse. » (Gil
Polo, 1987: 188); « Le lieu où ils se meirent estoit le plus delicieux qui fust dãs la
Forest, voire, peut-estre, au monde. » (Vitray, 1623: 111).
190 Infiltrations d’images
34
« Tu marido Delio, hermosa pastora, como plugo a las inexorables Parcas, acabó
sus días. » (Gil Polo, 1987: 258); « En fin pour ne vous point faire dauantage languir,
sage bergere, vostre mary est mort. » (Vitray, 1623: 1174-1175).
35
« Era el lugar el más apacible de aquel bosque, y aun de cuantos el famoso Parthe-
nio celebrado con la clara zampoña del neapolitano Sincero pueden hallarse » (Gil
Polo, 1987: 188); « Ce lieu estoit le plus beau, et le plus agreable qui fust dans toute la
forest » (Rémy, 1624 a: 413).
36
« ¡ay mi Sireno! Plega a Dios que antes que el desabrido invierno desnude el verde
prado de frescas y olorosas flores, y el valle ameno de la menuda yerva y los árboles
sombríos de su verde hoja, vean estos ojos tu presencia tan desseada de mi ánima,
como de la tuya devo ser aborrecida. » (Montemayor, 1970: 28); « Diane se lamentoit,
et que i’entendois les tristes discours qu’elle faisoit aux rochers et aux prairies des
enuirons » (Rémy, 1624: 30).
Images de l’inversion 191
37
Remarquons, à titre d’exemple, les cas suivants: « inventar pastoriles galas »;
« amigo Dardanio » (Lope de Vega, 1975: 223; 224); « inuenter de pastoriles gentiles-
ses »; « courtois Dardauie » (Lancelot, 1622: 224; 225).
192 Infiltrations d’images
y assi vna vez por el llano que estaua delante del templo, otra vez al cercano
bosque, y otra a la fuente dicha los lleuaua. (Alonso Pérez, 1564: 92b)
tantost elle les conduisoit en la place qui est au deuant de son palais, tantost
dans les forest prochaînes, et quelquefois sur la croupe de quelque coline, afin
de les réjoüir, et de leur faire passer le temps en toutes sortes d’honnestes re-
creations. (Rémy, 1624: 698-699).
38
Considérons, à ce sujet, la réflexion de Marcelio, personnage extrêmement impor-
tant de la Diana enamorada qui, en réfléchissant sur l’amour et la jalousie, rapproche
dans la traduction et pour des raisons de renforcement des conventions du genre, les
deux mondes qui apparemment auraient dû être séparés: « Nunca pensé que la pastoril
llaneza fuese bastante a formar tan avisadas razones como las tuyas en cuestión tan
dificultosa como es ésta. » (Gil Polo, 1987: 153); « Ie n’eusse pas pensé (dit alors
Marcelio) qu’vne Bergere qui n’a point veu la Cour eust eu de si fortes raisons pour
vne questiõ si difficile que ceste-cy. » (Vitray, 1623: 1063).
Images de l’inversion 193
39
Voir l’étude de Mieczyslawa Sekrecka sur la théorie de la fiction et ses rapports
avec la doctrine classique, étude où elle fait notamment référence aux théories de
Chapelain (Sekrecka, 1984).
40
« Cela fut cause que les cheualiers estimerent ceste vie solitaire de bergers, la plus
heureuse du mõde, principalement Filistel, qui auoit desia resolu d’y vivre, pour
l’amour d’Amarille et de renuoyer sõ cõpagnon en sõ pays, cõme il fist auecques
promesse de le venir retrouuer l’an expiré d’apres son depart. » (Montreux, 1625: 41).
194 Infiltrations d’images
tion des symboles les plus expressifs de cet univers. Par exemple, la
magie est associée à certains personnages appartenant au monde des
bergers 41 (elle est constamment exploitée dans la pastorale dramatique
contemporaine), aux divertissements pastoraux, possibles reflets des
fêtes de cour 42 , à la présence d’entités mythologiques (faunes, divini-
tés aquatiques 43 ) qui composent « l’heureuse et artificielle Arcadie de
la pastorale » (Souiller, 1988: 222), à l’éloge de la vie rustique qui est
tantôt développé dans des sentences adéquates tantôt, en termes for-
mels, transposé dans certaines églogues et ce même lorsqu’on élimine
beaucoup des compositions lyriques de l’original.
Suivant la même ligne herméneutique, les traductions de la Diana
de 1623 et 1624, récupèrent une symbolique propre à l’univers pasto-
ral. Cette symbolique s’exprime, soit dans la description du locus
amœnus, topos pastoral par excellence, que Vitray (lecteur d’Urfé)
reprend très souvent en tant que convention romanesque et qui le
conduit à créer des allégories de l’espace – la transformation de « la
isleta del estanque » de Belisa (Montemayor, 1970: 237) en « L’Isle
de l’Estang » (Vitray, 1623: 345); soit dans la suggestion du topos du
déguisement comme élément de médiation entre l’univers pastoral et
l’univers de la cour ou comme mouvement métaleptique qui rappro-
che les « bergers-êtres-de-fiction » du lecteur-courtisan; soit dans
l’intensification d’une emblématique essentielle liée au monde décrit.
Rémy s’empare surtout de la transposition des espaces et des person-
nages merveilleux qui avaient fait partie de la mythologie pastorale
définie par Lancelot. Cette symbolique repose donc sur une fictionna-
lisation codifiée que l’on veut instituer et qui légitime la (ré)écriture
du roman:
41
Lancelot conserve, par exemple, littéralement toutes les pratiques magiques qui
succèdent à la prière du magicien et qui culminent dans la lévitation de Dardanio et
d’Anfriso (Lope de Vega, 1975: 249 sq; Lancelot, 1622: 242 sq).
42
« (…) ils se diuertissoient ainsi, tantost proposant des Enigmes, et tantost recitant
des histoires, auec une ioyeuse conuersation, accompagnee de musiques, ils
s’entretenoient durant la nuit (…) » (Lancelot, 1622: 135).
43
« Cette eternelle habitation de Faunes, et Amadriades, estoit tant frequentée des
amoureuses pensées, que difficilement eust-on peu treuuer, en toute l’estendue de ce
bois, un tronc, sans qu’il n’eust sa deuise escrite sur le papier mal poly de sa tendre
escorce: Mesme, ces ruisseaus ne couloient iamais, sans que leur cristal diafane, ne
fust meslé de quelques amoureuses larmes; et la parlante Eco ne réspondoit qu’aus
paroles, et aus douces complaintes d’une affection passionnee. » (Lancelot, 1622: 4-
5).
Images de l’inversion 195
no tengays en poca estima vuestro officio, pues no solo Pã, pero aun muchos
otros dioses nuestros le han vsado: y sin es (…) emperadores, reyes, y perso-
nas de grand qualidad: y aun mas os digo, que el primer officio que en la tier-
ra huuo fue este (Alonso Pérez, 1564: 94ª-b).
n’estimez pas peu vostre condition: car non seulement Pan: mais plusieurs au-
tres Dieux ont exercé ce mestier. Et parmy le monde mesme, les Empereurs,
les Roys et quantité de Princes, n’ont pas mesprisé de prendre la houlette, et la
cornumuse, et d’endosser la pannetiere. Ie diray plus, que la premiere condi-
tion des hommes a esté de faire paistre le bestail. (Vitray, 1623: 635).
Or, cette essence du monde bucolique est mise en valeur par les
traducteurs lorsqu’ils acceptent, dans la nouvelle écriture, des symbo-
les et des éléments emblématiques qui en émergent, éléments essen-
tiels à la création d’un climat romanesque prédominant dans les pasto-
rales françaises contemporaines et déterminé par la modernité cultivée
dans le roman de Montemayor. Cette théorisation de l’amour et de ses
effets sur l’homme est impliquée dans la stratégie idéologique et scrip-
turale suivie dans les différentes réécritures et elle est porteuse des
signes d’une poétique développée dans des textes qui, en se présentant
comme des « réfractions », reflètent cette même théorisation implicite
au genre, à l’époque et au contexte littéraire dans lequel cette forme
est, à la fois, reçue et produite. C’est pourquoi, l’espace de réinvention
de l’écriture s’appuie, dans les versions de Lope de Vega, de Jorge de
Montemayor, d’Alonso Pérez et de Gil Pólo, sur une réaffirmation
générique qui promeut un traitement spécifique du thème de l’amour-
passion, déjà énoncé dans les titres thématiques des premières traduc-
tions françaises du roman pastoral ibérique, ainsi que la formation
d’une théorisation fondée sur les formules de casuistique amoureuse
néoplatonicienne qui est travaillée avec une très grande rigueur dans
L’Astrée et dans les romans pastoraux contemporains. Par ailleurs,
cet espace de réinvention peut être considéré comme le reflet d’une
« lecture-écriture » qui prend en ligne de compte les conventions thé-
matiques du genre et le principe esthétique de « l’amour à la mode » à
partir duquel on élabore les « lois de la galanterie » sous Louis XIII
(Godard de Donville, 1984: 42).
On comprend ainsi que dans la traduction de l’Arcadia de Lope,
Nicolas Lancelot évalue la pertinence de cette convention générique
dans le contexte de la production de l’époque et qu’il la mette en pra-
tique dans différents mouvements (ou manipulations) qui finissent par
s’affirmer dans l’accentuation rhétorique et stylistique des différentes
196 Infiltrations d’images
réflexions sur les effets de l’amour sur l’amant: la perte de toute ratio-
nalité 44 , la violence et le tourment qui peut conduire le berger à la
mort ou à la folie. Le néoplatonisme est également travaillé par le
biais des changements formels que le traducteur introduit lorsqu’il
recourt à des stratégies de mise en prose pour réécrire, sous la forme
de théorisations de casuistique amoureuse, les chants des bergers qui
évoquent l’essence du sentiment qui les anime – c’est le cas du long
chant de Cardenio-Rustique sur la définition de l’amour (Lope de
Vega, 1975: 346-350):
(…) vous devés sçavoir, qu’Amour est une folie qui maistrise la volonté, une
tyranie qui captive la liberté, une oysiveté qui fait negliger les serieuses oc-
cupatiõs de l’ame, une inquietude en la presence de l’objet aymé, et une mort
en son absence; et ceus qui sont travaillés et agités de ces tourmens là, il n’y a
point de recours, ni de salut pour eus, qu’en la patiente attente du Temps, dont
la diligence est encore trop paresseuse pour leur remede. (Lancelot, 1622:
342-3).
Antoine Vitray et Abraham Rémy lisent eux aussi les textes pasto-
raux ibériques à l’intérieur d’un cadre générique bien précis, comme
des manuels où le lecteur peut comprendre, par le biais des aventures
racontées, les « divers effects de l’Amour » (Vitray, 1623: 53) – les
« desvariados casos de amor » de Montemayor (Montemayor, 1970:
45-46) –, ou ses « estranges effects » (Rémy, 1624: 546), redécrits
suivant une idéologie impliquée dans les originaux d’un point de vue
44
« La cual [bergère] me cegó, mató, enloqueció y perdió tan justamente que cuantas
desdichas, trabajos y persecuciones me quebrantan doy por tan bien empleados que no
me pesa sino de no haberla querido desde que nací, porque desde entonces padeciera
yo, y ella estuviera obligada » (Lope de Vega, 1975: 223-224); « Sa beauté
m’aueugla, me naura, m’aliena de moy mesme, et me fit perdre auec tant de raison et
d’équité, que tous les mal’heurs, les trauaus, et les persecutiõs que ie soufre pour elle,
me font des faueurs incõparables, regrettant encore, de ne l’auoir aymee dés l’heure
que ie nâquis, à fin que dés lors, i’eusse senty le dous martire qui m’afflige, et qu’elle
fust maintenant plus obligee à mon affection. » (Lancelot, 1622: 225).
Images de l’inversion 197
45
Voir, à ce propos, l’étude de Paul Kosch (Kosch, 1977).
46
Voir: Alonso Pérez, 1564: 74a-b et Vitray, 1623: 591: « Quand l’appetit sensuel
tirannise nostre raison, l’ordre naturel est entierement peruery: où tout au contraire
reduisant les choses au poinct du deuoir, tu rends ceste raison maistresse de nos
mouuements effrenez. Celuy qui te possede donc, se peut seul appeller libre, puis que
tu comportes nostre interieur auec tant de proportion. ».
47
Voir, à ce sujet, le chapitre « De L’Astrée au Polexandre, pourquoi mourir? » inté-
gré dans l’étude que M. Bertaud consacre aux deux romans (Bertaud, 1986:101-116)
et l’œuvre de Damiani et Mujica, 1990.
198 Infiltrations d’images
ou par le destin qui sont prédéterminés et dont les effets sur l’être hu-
main se conjuguent, le plus souvent, avec la violence de la passion –
la « violence de ces passions », le « tourment d’amour », l’« excez
d’amour » que Vitray introduit, de façon très significative, dans son
texte (Vitray, 1623: 10; 20; 76). Ces effets se conjuguent également
avec l’éphémérité du temps 48 et le changement irrationnel des senti-
ments (qui fonde l’essence de la jalousie destructrice) et du cosmos –
la triade Amour-Temps-Fortune –, et transforment le texte littéraire en
un objet de moralisation. Cette moralisation est renforcée dans l’acte
de réécriture par la dénonciation des controverses existentielles contre
lesquelles l’« homme-berger-déguisé » doit se battre. Abraham Rémy
accentue cet aspect quand, dans la mise en prose du célèbre chant de
Berard et Taurise, véritable théorisation explicite sur l’amour, il dis-
serte sur la violence, la cruauté et la tyrannie du sentiment amoureux
grâce à la manipulation assumée dans le discours et déjà énoncée dans
le « Sommaire » correspondant – « Propos de Taurise et de Berard sur
les rigueurs de l’Amour, et la cruauté de Diane » (Rémy, 1623 a: 400).
Il développe une imagerie baroque qui sert un choix rhétorique de
captatio qui est lui aussi mis en évidence dans de nombreux textes par
Urfé dans L’Astrée:
48
« Hasta el fin de nuestros amores, los quales de mi parte, no le ternán en quanto la
vida me durare » (Montemayor, 1970: 45); « vous pouuez croire de ma part que tãdis
que la vie me demeurera entiere, que vous serez l’vnique obiect de mon ame, et si le
tenps, Vautour importun qui deuore ce qu’il produit, pense par la longueur des années
alentir mes feux, mon cœur sera vn nouueau Prometée qui fera renaistre de iour en
iour mille nouuelles flammes. » (Rémy, 1624: 55).
Images de l’inversion 199
Berard. Il faut que ie te confesse, mon cher Taurise, que la douleur qui me
consomme est si violente, que ie ne puis receuoir aucune consolation. Le doux
souffle des zephirs qui par vn murmure agreable secoüe les feüillages de ces
arbres, l’ombrage de ces bois verdoyants, les claires fonteines qui serpentent
dans les prairies, et les fleurs, dont le printemps a voulu tapisser ce boccage
pour y choisir vne eternelle demeure, ne peuuent dissiper les tristes ennuis qui
naissent en mon ame, ny vaincre les durs tourmens que l’Amour tyran cruel
exerce sur mes passions. Ie ne rencontre aucun remede salutaire à ma douleur,
plus ie tasche à rompre ceste captiuité qui me tient engagé, et plus l’Amour
me tyrannise. Taurise. Celuy qui laisse rauir sa liberté par l’Amour, peut bien
dire qu’entrant dans ceste mer orageuse, il se voüe à toutes les bourasques et
tempestes imaginables, pource que le mal qui le tourmente est d’vne telle na-
ture que plus il luy enuoye de douleurs, plus il luy donne de courage pour
l’endurer; et ainsi on peut dire que sa vie n’est qu’vne continuelle mort; veu
que quant vn parfait Amant croit receuoir quelque contentement, c’est alors
qu’il reçoit plus de trauerses, la memoire seule de ses desplaisirs, et la res-
souuenance de ses malheurs passez ne fait qu’augmenter son mal. Ce Dieu ne
se soucie point de ce qui peut arriuer, pourueu qu’il demeure le vainqueur; et
quand il a enrethé quelqu’vn dans ses filets, apres luy auoir fait souffrir mille
sortes de desastres, desesperant de luy en pouuoir d’auantage, il le liure entre
les mains de la Fortune, afin qu’elle l’attaque à son tour (Rémy, 1624 a: 402-
404).
L’ESPACE DU DECENTREMENT
49
« La traduction ne fait pas que mettre des littératures en contact. Elle ne met pas des
langues en contact. Quand il est question de littérature, c’est le travail des œuvres sur
les langues, et des langues sur les œuvres, que la traduction traduit quand elle
s’invente comme rapport. Le rapport permet de situer la traduction comme annexion
ou comme décentrement. » (Meschonnic, 1999: 96).
Images de l’inversion 201
50
Voir, entre autres: Denis, 2001; Hipp, 1976; Magendie, 1970.
51
L’expression est d’Emmanuel Bury quand il affirme la primauté du personnage qui
incarne des idéaux de civilité et d’« honnêteté » sur la « personne » (Bury, 1992: 130).
52
Il est, d’ailleurs, intéressant de constater que l’« honnêteté » peut être considérée
comme un véritable critère d’évaluation et de réception littéraires puisque dans La
Bibliothèque curieuse et instructive de Menestrier (1704), dans le cadre du classement
202 Infiltrations d’images
niste d’un cas amoureux qui se construit tout au long du roman sur des
obstacles successifs qui conduisent le personnage tantôt à s’éloigner
tantôt à se rapprocher de l’espace de l’Arcadie. Son énoncé est soumis
à de subtiles transformations et à des dédoublements scripturaux qui
mettent en lumière le croisement de la figure typique du berger modé-
lisé à partir de Sincero, archétype sannazarien, avec la figure du cour-
tisan « honnête » guidé par des normes sociales qui lui imposent (tout
comme au lecteur qui se projette en lui) des gestes plus ou moins codi-
fiés:
(…) del pastor Anfriso, el más gallardo mayoral de aquella tierra, más mozo,
más virtuoso, noble, galán, entendido, de más peregrina hermosura, y en todas
sus acciones más venturoso.; Tú eras el ejemplo de este valle, la cordura, el
respeto, la honra, la opinión y el dechado en que todos ponían los ojos. (Lope
de Vega, 1975: 70; 342).
(…) des loüables desseins du Pasteur Anfrize, le plus galant berger de ce pais
là, plus jeune, plus vertueus, noble, accõply, discret, de plus grãde beauté, et
en toutes ses actiõs plus heureus et mieus fortuné.; (…) vous qui estes le ver-
tueus exemple de cette vallée, la sagesse, le respec, l’honneur, la reputation
glorieuse et le patron où ceux qui desirent aquerir du merite iettent les yeus
pour l’imiter! (Lancelot, 1622: 9; 334).
55
Traductions de « cavallero »; « no era justo que un cavallero moço y de linaje tan
principal, gastasse la mocedad… » (Montemayor, 1970: 103; 104); « Syluano hizo
señas a Seluagia; creo que no se atreuieron » (Alonso Pérez, 1564: 3a; 103b).
56
« Ambos a dos se abraçaron//y ésta fué la vez primera//y pienso que fué la postre-
ra//porque los tiempos mudaron//el amor de otra manera. » (Montemayor, 1970: 87);
« En fin apres auoir long-temps prolongé ceste dure departie, ils s’embrasserent tous
deux, et se donnerent le baiser: car leur candeur et innocence les auoit tousiours rete-
nus dans les limites de l’honnesteté » (Rémy, 1624: 130).
57
« - Arsileo ¿hállaste bien en esta tierra que, según en la que hasta agora as estado,
avrá sido el entretenimiento y conversación diferente del nuestro?, estraño te debes
hallar en ella. » (Montemayor, 1970: 156); « Ie suis infiniment ioyeuse de t’auoir
rencontré en ces bocages (Arsilée) non seulement pour te voir, mais aussi pour sçauoir
de toy comme tu te trouues en ce païs depuis ton retour, car il est aysé de iuger,
qu’ayant demeuré dans vne ville renommée comme est Salamãque, parmy les honnes-
tes compagnies, et veu vne bonne partie de ce qui se peut voir de rare en ce Royaume,
tu ne trouues maintenant grandement estrange d’estre relegué dans ces lieux, où la
biensceance et la ciuilité ne se rencontrent que fort rarement. » (Rémy, 1624: 241-
242).
Images de l’inversion 205
58
Traduction de: « después de averse recebido »; « estes animosos pastores »; « un
ánimo grande y magnánimo »; « Sí prometo » (Montemayor, 1970: 71; 91; 207; 215);
« la real sangre de tu descendência » (Alonso Pérez, 1564: 218b); « a estes animosos
pastores y hermosa pastora, no en menos se deve tener lo que han hecho » (Monte-
mayor, 1970: 91); « llegaron al templo donde reposaron, y comieron siendo bien
hospedado aquel nueuo pastor de la sabia Felicia, porque sabia ella ser digno della. »
(Alonso Pérez, 1564:160a).
206 Infiltrations d’images
Oh, bienaventurados los que en juveniles años mueren lidiando en las san-
grientas batallas, pues no llegando a la cansada edad, no vienen a peligro de
llorar los desastres y muertes de sus amados hijos! (Gil Polo, 1987:122).
O heureux mille fois tant de braues guerriers, qui le fer au poing sont morts
vaillamment pour la deffense de leur patrie! Heureux tant de genereux Capi-
taines, qui en la fleur de leurs ans ont immolé leur vie au milieu des batailles
pour le seruice de leur Prince, apres auoir graué des marques immortelles de
leur courage sur le dos de leurs ennemis, à tout le moins ils ne tombent point
en ce desastre sur la fin de leurs iours de voir deuant leurs yeux leurs enfans
seruir de ioüet à la tempeste et à la fortune. (Rémy, 1624 a: 316)
59
« Por lo mucho que sabia [el rey Rotindo] querernos [a Delicio y Parthenio] el
príncipe » (Alonso Pérez, 1564: 72b); « À cause de l’affection que nous portoit le
prince Agenestor; qui nous cherissoit. Les gratifications que nous auions receuës de ce
ieune Prince, ne nous permeirent pas de sortir de ceste cour, sans luy baiser la robe. »
(Vitray, 1623: 589).
Images de l’inversion 207
60
« Y assí pasó casi un año, al cabo del qual, yo me vi tan presa de sus amores que no
fuy parte para dexar de manifestalle mi pensamiento, cosa que él desseava más que su
propria vida. »; « Que grandíssima discreción es saber la persona aprovecharse de
casos agenos para poderse valer en los suyos » (Montemayor, 1970: 104; 119); « Et
ainsi se passa vn an entier, à la fin duquel ie me trouuay tellement esprise de ses
amours, que nonobstant la discretion qui m’auoit tousiours seruy de guide, ie ne peus
m’empescher de luy découurir l’ardeur qui me cõsommoit pour son sujet. »; « C’est
vn trait de prudence de pouuoir faire profit des malheurs d’autruy, et d’asseurer son
repos, sur la ruine de ses voisins. » (Rémy, 1624:168;188).
208 Infiltrations d’images
61
Marc Fumaroli fait référence, dans un texte consacré aux relations entre la rhétori-
que et la société dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, à l’importance des « cercles
de recherche parisiens » – Salons, Académies privées, érudites et scientifiques – qui
avaient comme dénominateur commun le « bon usage » de la langue française et qui
dictaient par conséquent les normes inhérentes à la rhétorique de l’écriture et de la
conversation (Fumaroli, 1989-1990: 463-464).
Images de l’inversion 209
Celuy, qui ayme ne peut esperer de plus grandes faueurs, que quand il se voit
regardé de sa Dame auec vne vraye affection: mais pour mon regard ie ioüis
d’vn tel bõ-heur que quelques froideurs ou quelques desdains que ie reçoiue
de l’amour, ie n’en fais aucune estime, ma liberté m’est plus chere que tout ce
que la Fortune me peut promettre de bon et d’auantageux: car en fin apres
auoir beaucoup enduré de peines et de tourmens, nous trouuuons que toutes
les faueurs que peuuent faire les femmes à leurs vrays Amans, n’ont rien de
solide, ains sont imaginaires. (Rémy, 1624 a: 476)
62
« La sana afficion de Delicio para contigo mesma. »; « Pero por lo que a ella deuo,
y ati soy obligada, del contento de entrambos le recebire yo, puesto que sea ami
costa. » (Alonso Pérez, 1564: 145a; 146b); « La bonne volonté qu’a mon frere de vous
rendre seruice. »; « Neantmoins les plaisirs dont ie vous suis redeuable me forcent de
laisser tout à vos discretions: quoy que ie ne craigne rien pis, sinon que ce mal heur
m’arriue. » (Vitray, 1623: 752; 756-757).
210 Infiltrations d’images
63
« Encargando le que diesse a Dardanea la otra carta que para ella escreuia: y que
con lo demas dexasse a ella el cargo, prometiendo salir con el negocio a luz, con tal
condicion que prestasse paciencia, si a dicha por algunos dias la respuesta se tardaua »
(Aloso Pérez, 1564: 217a; « Elle trouueroit moyen defaire tenir sa lettre à Dardanée,
et que premierement luy il deuoit adresser vne lettre par laquelle il luy manderoit
qu’elle fit en sorte de dõner la lettre qu’il escriuoit à sa maistresse, s’asseurant telle-
ment de sa prudente conduite, qu’il receuroit du contentement de son entreprise »
(Rémy, 1624 a: 212-213).
Images de l’inversion 211
L’honneur qu’on nous faisoit à la Cour, la beauté dont nostre ieunesse estoit
annoblie, et beaucoup d’autres bonnes parties dont là nature nous auoit ornez,
nous faisoient estimer qu’il estoit impossible que de simples Bergers peussent
procreer des enfans si parfaits. (…) Le bruit de nostre depart s’espandit in-
continent par toute la ville, et parmy les Courtisans, duquel si les vns furent
faschez pour perdre ceste douce conuersation dõt ils ioüyssoient auec nous
(Rémy, 1624: 645; 649).
64
Rémy ajoute, en ce qui concerne Don Felis, un fragment textuel sans correspon-
dance dans l’original, pour souligner la noblesse de son caractère et de son lignage:
« de sorte que toute la noblesse le salüoit [à Don Felis], et n’y auoit personne en la
place qui n’admirast sa gentillesse. » (Rémy, 1624: 175).
Images de l’inversion 213
65
« Si como quien sóis, juzgáis mi atrevimiento (…) si lo tomáis según lo que el amor
suele hazer, no trocaré por ella mi esperança » (Montemayor, 1970: 102); « si vous
voulez iuger de ma hardiesse par la grandeur de vostre merite (…) si vous considerez
ce qu’Amour a coustume d’operer dans les ames de ceux qui voyent une telle beauté
que la vostre, vous iugerez que vos yeux deuoient auoir moins de pouuoir sur moy,
puis qu’aussitost qu’ils m’eurent esclairez d’un seul de leurs rayons, ie ne me peus
defendre de leur donner mon ame. » (Vitray, 1623: 140-141).
214 Infiltrations d’images
66
Les « Rimas provenzales » de Gil Polo (Gil Polo, 1987: 103-108) sont ainsi soumi-
ses à une intellectualisation qui s’exprime dans le lexique utilisé, dans les isotopies
créées et dans les jeux de mots conformes aux attentes des lecteurs français: « Alcide.
Ce pendant que cet œil du monde//Faisant autour de nous sa ronde,//Brusle les fleurs
de son ardeur://Nymphes venez dedans ces prees,//De mille couleurs dia-
prees//Chanter Amour et sa grandeur.///Diane. Sejour à mes yeux tant propice,//Par
Images de l’inversion 215
vostre esmail sans artifice//On cognoist l’ouurier qui vous peint://Belles fleurs les
vents et l’orage//Transportent loin de vous leur rage,//Sans plus gaster vostre beau
teint.///Alcide. Heureux qui passez vostre vie//Exempts de rancune et d’enuie//En cest
agreable sejour://Où les bois, les prés, les fontaines//Monstrent par des reigles certai-
nes//La toute puissance d’Amour. Diane. Icy le Berger sans malice//Ne sçachant que
cest d’auarice//La cognoist de nom seulement://Et viure une si douce vie,//Rend l’ame
iusqu’au Ciel rauie//Pour gouster son contentement. » (Vitray, 1623: 998-999).
67
« - No ay en la vida, ¡o, Arsileo!, cosa que en más se deva tener que la firmeza y
más en coraçón de muger adonde las menos vezes suele hallarse; mas también hallo
otra cosa, que las más de las vezes son los hombres causa de la poca constancia que
con ellos se tiene. » (Montemayor, 1970: 236-237); « Il n’y a chose au monde (agrea-
ble Berger) dont on doiue faire plus d’estime que de la fermeté, et de la constance qui
se retrouue dans le cœur d’vne femme: car cõme peu souuent il arriue qu’on face ceste
heureuse rencontre, à cause de la varieté et du changement, qui semble estre vn des
appanages de ce sexe: on doit grandement estimer quãt on ioüit d’vn tel bon-heur, à
quoy le plus souuent les hommes ne respondent pas: car il arriue quelquefois que par
leur fautes, celle qui s’estoit proposée de viure constante contre toutes les aduersitez,
et leur garder vne affection indissoluble, mesme par la mort: ceste contrainte voyant le
peu de ressentiment que les hommes en ont, de rompre ceste saincte resolution, et de
se ietter dans l’inconstance » (Rémy, 1624: 379-380).
216 Infiltrations d’images
Belle Bergere, ie deurois mourir de honte d’auoir par le passé oublié les chas-
tes affections que nous nous estions autres-fois mutuellement consacrées, et
pleust aux Dieux que me ressouuenant de mes premieres amours, qui ont tou-
siours esté si pures et si sinceres, i’oubliasse par mesme moyen l’oubly (Ré-
my, 1624 a: 513).
68
« (…) estaba Belisarda al pie de un pino excelso, que por ser solo era de todo el
bosque árbol conocido y dedicado a juntas y conciertos de apasionados corazones o
amigos pechos. » (Lope de Vega, 1975: 71); « (…) Belizarde estoit seule, arrestée au
pied d’un haut Pin, qui pour estre seul de son espece, estoit l’arbre mieus connu de
tout le bois, et dedié aus assemblees et aus rendez-vous des cœurs passionnés, ou
affections amyes. » (Lancelot, 1622: 12).
Images de l’inversion 217
Prends ce bracelet de mes cheueux que i’ay tissu de ma main, et cet anneau
sur lequel est graué le symbole de ma fidelité. Ie te les laisse pour gages de
l’amitié que ie te conserveray, et pour preuue asseuree du serment que ie fay,
de ne cesser iamais de t’aymer, que quand i’auray cessé de viure. (Vitray,
1623: 109)
mirándose los dos [Silvano et Selvagia] con mucho amor, lo confirmaron tan
grande entre sí que sola la muerte bastó para acaballo; en mirarse uno a otro,
con tanta afición y blandura (Montemayor, 1970: 228)
69
« Mi querido Montano, como sabía que yo en otro tiempo había amado y sido
querida de Alanio, sabiendo que muchas veces reviven y se renuevan los muertos y
olvidados amores » (Gil Polo, 1987: 173); « Mon cher mary Montain sçachant que
i’auois autres-fois aimé Alanie, et que bien souuent les amitiez qu’on estime mortes et
estouffées, reviuent, et se renouuellent » (Rémy, 1624 a: 393-394).
218 Infiltrations d’images
70
Sur ce sujet, il nous semble essentiel de consulter l’article de Marie-Odile Sweetser
sur la littérature et les femmes dans le XVIIe siècle français, article dans lequel
l’auteur associe le roman d’Urfé aux genres mondains divulgués au début du XVIIe
siècle et au rôle fondamental joué par les femmes au moment de sa réception (Sweet-
ser, 1991: 52).
Images de l’inversion 219
loüe les femmes, et ses diuerses raisons sur ce sujet » (Rémy, 1624 a:
533). De même, Antoine Vitray propose, à la fin du roman (espace
rhétorique privilégié), un titre suggestif pour le « Chant de Florisia »
(Gil Polo, 1987: 289-300), – « Deffense des femmes » – en ajoutant,
et ce malgré la réduction significative des vers, un quatrain qui illustre
le renforcement d’une sociologie du texte littéraire à travers la réécri-
ture par l’infiltration incontournable de traits caractéristiques de
l’espace culturel français: « La France honneur de l’Vniuers//Ingrats,
en sçauroient bien que dire.//Et pourroient fournir à mes Vers//Assez
de suject pour escrire. » (Vitray, 1623: 1193).
Lancelot, Vitray et Rémy reprennent aussi des signes qui, dans les
textes premiers, contiennent déjà cette vision de la femme et ils dé-
montrent que la traduction s’inscrit dans une pratique établie de
l’écriture et de la culture. Ceci étant, « l’autorité dérivative » de la
traduction, que Venuti définit dans le cadre de l’« éthique de la diffé-
rence » de la réécriture (Venuti, 1998: 43), justifie le choix de certains
traits de culture qui marquent l’idéalisation des profils de la femme
aimée, lesquels sont transposés selon des valeurs spécifiques de ten-
dance « précieuse », étant, par exemple, suggérées dans la mise en
relief à laquelle le portrait de Belisarda, contemplé et décrit par Anfri-
so dans l’Arcadia de Vega, est soumis dans l’énoncé de Lancelot.
Cette idéalisation se traduit également par le choix d’un vocabulaire
adapté au public français des Salons, transposé dans une option de
réécriture qui dépasse la littéralité et crée un texte dont le traducteur
est le seul responsble:
71
« Era tanta su hermosura, su valor, su honestidad y la limpieza del amor que me
tenía, que me quitavan del pensamiento qualquiera cosa que en daño de su bondad
imaginasse. » (Montemayor, 1970: 20-21); « La vertu estoit tellement mariée à ses
beautez, et la pudeur si estroittement conioincte à ses actions, qu’elle estoit capable de
bannir de mon esprit tout ce qu’il eust peu conceuoir au desaduantage de sa
chasteté. » (Rémy, 1624: 23).
Images de l’inversion 221
72
« Visto tu gran hermosura, acompañada de tanta gracia y discreción »; « los movi-
mientos que hazía con el rostro, que las más de las vezes dan a entender lo que el
corazón siente » (Montemayor, 1970: 119; 121); « Vous que les Graces ont pris plaisir
d’orner de toutes les perfections qu’elles auoient refusees à toutes les femmes du
monde »; « sa contenance, et les changements de sa face: parce qu’ordinairement les
mouuements interieurs font paroistre au dehors les sentiments de l’ame. » (Vitray,
1623: 169; 172).
Chapitre III
INTERVALLES DE L’ECRITURE
1
Pour des raisons purement matérielles, l’édition utilisée est celle de 1733 qui, néan-
moins, coïncide parfaitement avec la première édition de 1699. Il s’agit en effet de la
224 Infiltrations d’images
2
Voir la réflexion de F. Lavocat à propos du passage du « roman pastoral
académique » au « roman pastoral héroïque » développée tout au long des différents
chapitres de son œuvre (Lavocat, 1998).
226 Infiltrations d’images
Partant du principe que toute œuvre doit être intégrée dans une
« série littéraire » qui permet d’en déterminer la situation historique, le
rôle, ainsi que l’importance dans le contexte général de l’expérience
littéraire, la traduction en tant que lecture-écriture et écriture de
l’écriture confirme des données de signification résultant de ces
« intervalles » ou de ce filtre temporel qui garantit la survie plurielle
de l’original. En ce sens, les lectures signifiantes de Los siete libros de
la Diana et ses continuations ou de La Galatea trahissent cette com-
plicité heuristique qui existe entre l’écriture et la différence et qui se
manifeste dans des formes de réécriture diverses.
Ces réécritures s’assument, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles,
comme des modèles de transposition perméables à la conscience du
devenir historique et temporel qui caractérise le littéraire et qui reflète,
selon ce que chaque traducteur élit comme stratégie de réécriture,
deux grandes manières de remanier le texte fictionnel bucolique. La
première, fixée dans la traduction de 1699-1733 et adoptant les coor-
données pragmatiques de l’« adaptation », manipule les normes scrip-
turales des « Libros de pastores » à partir d’une dérivation générique
– celle de la « nouvelle galante » – qui exhibe clairement la possible
diversité d’une épistémologie de l’écriture hypostasiée dans le texte en
traduction, sous le prisme d’idiosyncrasies personnelles (l’histoire de
la traductrice) et historiques (l’histoire du genre et sa décadence). La
seconde, partagée par les versions de 1735 et de 1784, vise à repro-
duire deux romans espagnols, sous la forme d’une pseudo-
transposition littérale ou d’une imitatio. Dans ces cas, les manipula-
tions textuelles suggérées s’intègrent toujours logiquement dans les
structures d’un contexte de création et de réception distancé qui pré-
tend néanmoins préserver, dans une gestion complexe de l’écriture
littérale et de l’écriture créative, la signification essentielle des textes
« classiques ».
3
Outre les deux éditions citées, il en existe une autre à la Bibliothèque de l’Arsenal
(Paris), elle aussi de 1699, publiée par une autre maison d’édition – « A Paris, Chez
Jean-Cristophe Remy, Marchand Libraire, ruë Dauphine. M. DC. XCIX. Avec privi-
lege du Roi » –, présentant le même texte, ce qui prouve le succès de réception qu’a
remporté la version française de la Diane « mise en nouveau langage ».
228 Infiltrations d’images
(…) il [le Bon-goût] aperçut les gens de la Marquise, qui couroient avec em-
pressement au devant d’une femme, dont la coëfure étoit si haute, qu’elle
4
Le conte débute de manière allégorique par la présentation de la figure de la
« Folie », ennemie du « Bon-gout », qui a pour alliés l’« Esprit » et la « Raison »;
devant la force de la « Folie », le « Bon-gout » décide de demander asile, avec ses
alliés, à « La Marquise de… », qui le trouve très vite inopportun et reçoit son enne-
mie; le « Bon-gout » cherche à survivre chez des gens de grande politesse, tandis que
la Marquise fait brûler tous les livres choisis par son ancien hôte, à la grande joie de «
Folie » qui les remplace par une énorme production de contes qui suivent ses canons
de lecture, ce que Saintonge, par le biais de la satire et de l’allégorie, condamne bien
évidemment (Saintonge, 1733: 438-445).
5
« (…) elle [la Folie] se mit à composer pour remplir sa Bibliothèque; elle fit un si
grand nombre de contes, que tous les Libraires de ce tems-là n’auroient pu sufire à les
imprimer, s’ils n’avoient pas cessé l’impression des autres Ouvrages. Et pour leur
doner plus de cours, la Folie les fit aprouver par la Mode sa bonne amie. » (Saintonge,
1733: 445).
Images de la transposition 229
n’auroit pu passer par aucunes portes sans se baisser. On lui voyoit de grandes
oreilles plates et dégoutantes, ses cheveux mis en aîles de papillon étoient
remplis de pierreries fausses, qui representoient le firmament. (Saintonge,
1733: 442-443).
6
Alors que Henri-Jean Martin constate que, après la Fronde, les Salons se sont multi-
pliés et que les femmes dominent le public récepteur et dissertent sur des questions
littéraires (Martin, 1969: 655), Éric Walter (Walter, 1984: 388) affirme que, après
1660, Paris compte près de quarante Salons parmi lesquels se détachent celui de Mlle
de Scudéry, celui de la duchesse de Montpensier, celui de Mme de Motteville ou celui
de Mme de la Sablière (comptant environ huit cents participants dont deux cents
écrivains).
230 Infiltrations d’images
7
« Un jour que cete agréable compagnie ne put sortir du Palais, parce qu’il pleuvoit
beaucoup, Felicie dit à Doride de leur faire quelque histoire pour les divertir. (…) Elle
lui repliqua en riant, qu’elle ne savoit que des contes qu’une vieille Gouvernante lui
avoit apris. Voila ce qu’il nous faut, s’ecria Syrene, nous somes ennuyés du serieux.
(…) Diane lui répliqua, que l’on en auroit plus de plaisir » (Saintonge, 1973: 360-
361).
8
Bien qu’elle résume radicalement le discours de Silvana (Montemayor, 1970: 38-
39), la traductrice conserve et accentue l’énoncé dans lequel on discourt sur la condi-
tion de la femme face à la passion: « (…) je suis persuadée que souvent les hommes
sont cause du relâchement qu’on a pour eux, parce qu’ils n’ont pas une fidelité exacte,
et que toutes les nouveautés les charment. Ce n’est pas la faute des femmes, elles leur
aprennent assez par leur exemple à bien aimer; mais ils ont tant de malignité, qu’ils
expliquent mal toutes nos actions. Si l’on répond à leur tendresse, ils l’attribuent
souvent à quelques raisons d’interêt; si pour ménager sa reputation l’on ne veut pas
les voir tous les jours, ils se plaignent que l’on a trop de severité. L’on ne sauroit
recevoir personne d’un air gracieux, sans s’exposer à leurs transports jaloux. Lorsque
l’on est enjouée, ils disent que l’on est coquete; et quand on est serieuse, on leur paroît
trop concertée. Enfin de quelque maniere que l’on en puisse user, ils ne sont jamais
contens; c’est pourquoi il seroit utile de rien changer à notre conduite. » (Saintonge,
1733: 11-12).
Images de la transposition 231
Bien sabeys (…) esquiuarse ellas menos de la pureza y trato delos rusticos
pastores, que dela cautelosa conuersacion delos agudos cortesanos, y serles
maz apazible la rustica çampoña de aquellos, que la sonante cythara destos
otros. Por donde nos sera mas prouechoso, dexando nuestro habito tomar el
pastoril, y podra ser que este mas aquel nos sea fauorable. (Alonso Pérez,
1564: 85b).
Nous crûmes que nos habits de Cavaliers les éfarouchoient, cela nous fit re-
soudre à nous déguiser en Bergers. (Saintonge, 1733: 231).
10
De nombreuses ellipses qui caractérisent le texte de la traduction correspondent à
des moments de peu d’intérêt narratif dans lequel dominent les compositions en vers.
Saintonge remplace le texte lyrique par le discours d’un personnage ou des dialogues
entre personnages. Elle élimine, par exemple, le long chant de Silvano sur le « mal
d’amour » et elle introduit un bref dialogue résumant celui qui, en réalité, existe
(Montemayor, 1970: 16-22): « Silvain s’étant avancé, ils s’embrasserent, et ne purent
retenir leur larmes. Aprês qu’ils se furent assis, ils se regarderent quelque tems sans
pouvoir parler. Enfin Silvain rompant le silence, dit à Syrene: Je te trouve infiniment
plus à plaindre que moi … » (Saintonge, 1733: 3-4).
Images de la transposition 233
Ensuite il les pria de lui dire coment ils s’étoient rejoints. Diane les interompit
pour les obliger à prendre quelques rafraîchissemens avant que d’entrer dans
de longs recits. (Saintonge, 1733: 348).
11
« Aprês qu’elle se fut baignée, elles l’habillerent magnifiquement; sa jupe étoit de
satin blanc broché d’or, et sa cimarre de couleur de rose, bordée de perles; elles cor-
donerent ses cheveux d’un tissu d’or, et lui mirent quantité de pierreries. » (Saintonge,
1733: 112-113).
234 Infiltrations d’images
Il n’y avoit que Cardenie et Syrene qui conservoient un noir chagrin au milieu
de tant de plaisirs. La violence que ce Berger se faisoit pour cacher l’amour
qu’il avoit toujours pour Diane, le rendoit encore plus malheureux. (…) Cete
Bergere n’étoit pas moins à plaindre que lui; elle ne se pouvoit pardonner la
foiblesse qu’elle avoit uë de consentir à un mariage qui la rendoit malheu-
reuse, puisqu’elle ne pouvoit obtenir de son cœur d’oublier son premier enga-
gement. Un jour elle étoit assise au bord de la fontaine des Aliziers; et come
rien ne s’offroit à ses yeux qui ne retracât dans sa memoire les inocens plaisirs
qu’elle y avoit goutés avec Syrene, elle s’abandona de telle sorte à son deses-
poir, qu’elle en oublia les égards qu’elle devoit avoir pour son mari et pour
elle-même. (Saintonge, 1733: 321).
12
Le terme-concept de « générosité », tout comme celui d’« honnêteté » ou de
« bienséance » sont utilisés selon le principe de signification développé dans les tra-
ductions des années vingt, mais sans les connotations dont ils étaient entourés à
l’époque. Ils appartiennent à un lexique courant et intégré dans la simplification rhéto-
rique et stylistique que le texte de Saintonge encourage, comme le montre très claire-
ment l’extrait retiré de l’histoire d’Abindarraez et Xarifa, dans une réplique du Maure
adressée à Rodrigo de Narváez: « Matarme – respondió el Moro – está en tu mano
como dizes, pero no me hará tanto mal la fortuna que pueda ser vencido, sino de quien
mucho ha que me he dexado vencer, y este solo contento me queda de la prisión a que
mi desdicha me ha traydo. » (Montemayor, 1970: 207); « Le Maure lui dit: Puisque le
sort des armes m’est si contraire, je veux bien être redevable de la vie à ta
Générosité. » (Saintonge, 1733: 124).
236 Infiltrations d’images
13
La description traditionnelle des nymphes dans Los siete libros de la Diana (Mon-
temayor, 1970: 71) est ainsi transposée par Saintonge: « Ils virent au travers des ar-
bres trois Nymphes d’une beauté et d’une parure surprenante; il n’y avoit rien de
mieux entendu que leurs habits, et leur coifure étoit des plus galantes. » (Saintonge,
1733: 27).
238 Infiltrations d’images
14
Selon Dorothy Dallas, si l’on consulte les catalogues des anciens romans, on cons-
tate que certains textes galants sont anonymes – Amitiez, Amours et Amourettes
(1664); Le Mariage de l’Amour et de l’Amitié (1666); Julie. Nouvelle galante et
amoureuse (1671); Les moyens de se guérir de l’amour (1681); d’autres sont évi-
demment signés par leur auteur et suivent la vogue des cartes allégoriques et attestent
ainsi de la reconnaissance du genre – Sercy, Le Grand Almanach de l’Amour; Voyage
de la Province de l’Amour (1657); idem, La Carte du Royaume des Précieuses et La
Carte du Royaume d’Amour in Le Recueil des pièces en prose les plus agréables de ce
temps (1658); Sorel, La Carte de mariage in Œuvres diverses (1663); Abbé Talle-
mant, Le Voyage de l’Isles d’Amour (1663); Louis Moréri, Le Pays d’Amour (1665);
M. du Peret ou Geneviève Gomez de Gasconcelles, La Cour d’Amour ou les Bergers
galans (1667); Caillères, La logique des amants (1668); Mme de Villedieu, Mémoires
de la vie de Henriette-Sylvie de Molière (1672); idem, Les Amours de Grands Hom-
mes (1678); Préchac, Les Nouvelles galantes du Temps et à la mode (1680). Outre
qu’elle situe la production la plus exubérante des nouvelles galantes entre 1660 et
1680, D. Dallas reconnaît toute la pertinence qu’a eue pour le développement de la
littérature galante La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette (Dallas, 1932: 93-
120).
Images de la transposition 239
¡Ved qué estraño embuste de amor! (…) Era la más nueva cosa del mundo oyr
cómo dezía Alanio sospirando: ¡hay Ysmenia!; y como Ysmenia dezía: ¡hay
Montano!; y cómo Montano dezía: ¡hay Selvagia!; y cómo la triste de Selva-
gia dezía: ¡hay mi Alanio! (Montemayor, 1970: 52)
15
Viala souligne, dans ce contexte, l’importance du texte de Guéret Le Parnasse
reformé (1667), dans lequel la dépuration à laquelle on veut atteindre n’est pas stric-
tement liée à un purisme linguistique mais à la galanterie et au goût galant imposé
après la Fronde (Viala, 1985: 158).
240 Infiltrations d’images
Nunca cosa que yo sospechasse de vuestros amores, dió tan lexos de la verdad
que me diesse ocasión de no creer más vezes a mi sospecha, que a vuestra
disculpa, y si en esto os hago agravio, poneldo a cuenta de vuestro descuydo,
que bien pudiérades negar los amores passados y no dar ocasión a que por
vuestra confessión os condenasse. Dezís que fuy causa que olvidássedes los
amores primeros; consoláos con que no faltará otra que lo sea de los segun-
dos. (Montemayor, 1970: 115).
Si vous avez cru vous faire un merite auprès de moi, en me sacrifiant votre
premiere Maîtresse, vous m’avez mal connue; je suis trop delicate pour esti-
mer la conquête d’un Cœur que je ne dois qu’à sa legereté. Vous me jurez que
jamais rien ne poura éteindre les feux dont vous brulez pour moi, et en même
tems vous m’aprenez que vous êtes un infidele; dois-je comter sur vos ser-
mens, puisque vous ne faites aucun scrupule de les trahir. Si j’avois su quel-
que chose de votre premiere passion, je vous pardonnerois de me l’avoir
avouée: mais puisque je l’ignorois, rien ne peut justifier une si grande indis-
cretion, et vous me donnez lieu de croire que vous avez plus de vanité que
d’amour. Vous m’accusez d’etre cause de votre inconstance, vous ferez bien-
tôt le meme reproche à un autre. (Saintonge, 1733: 66-67).
Le passage des cas amoureux aux histoires galantes est tout aussi
significatif dans l’histoire d’Abindarraez et Xarifa en tant que mani-
festation évidente de la tradition du roman hispano-mauresque dans la
littérature française. Cette histoire est conservée, avec une certaine
exubérance (le plaisir du roman comme « divertissement ») par la
traductrice qui est pleinement consciente des possibilités essentielles
de la galanterie des Maures exploitée par Jorge de Montemayor et
hypostasiée dans la réécriture de la nouvelle. Elle y réaffirme le cadre
étranger qui est sous-jacent à l’histoire et à sa relation intrinsèque avec
les sentiments et les attitudes qui agitent les personnages, dont le lan-
gage métaphorique et galant va à la rencontre du goût d’un nouveau
public mondain 16 . Mme de Saintonge en arrive ainsi à créer une suite
16
« Se fué camino de Coyn a mucha priessa »; « [réplique d’Abindindarráez] Siempre
vays, alma mía, acrescentándome las mercedes; hágase lo que vos quereys, que assí lo
Images de la transposition 241
Sa vuë [de Cardenie] causa une extrême surprise à ce Berger [Fauste]; elle lui
fit des reproches tendres, et les acompagna de tant de larmes, qu’il en fut pe-
netré d’un sincere repentir, il se jeta à ses piés, et lui jura qu’il répareroit ses
égaremens par une fidélité exacte. (…) Quelques jours aprês, Diane et Syrene
quiterent ce charmant Palais, pour retourner à leur hameau. Ils y furent reçus
avec de grandes marques de joie; et on les regarda toujours come un exemple
d’amour et de constance. (Saintonge, 1733: 357; 446).
18
« Sireine, un des plus aimables Bergers de la Province d’Esla, en fit la cruelle expé-
rience. Il aimoit éperdument une Bergere nommée Diane; il avoit le plaisir de la voir:
répondre à sa passion: mais cet Amant infortuné fut obligé de faire un voiage au delà
des Montagnes de Leon; il aprit en revenant, qu’elle étoit mariée. Une nouvelle si peu
attendue le jetta dans un desespoir qu’il seroit dificile d’exprimer; la douleur le péne-
tra de telle sorte, que ne pouvant plus se soutenir, il s’arrêta dans l’agréable Prairie
que le fleuve d’Esla arrose. Ce lieu lui retraça dans la memoire le tems heureux où il
avoit eu si souvent le plaisir d’entretenir Diane. » (Saintonge, 1733: 2-3).
19
Voir, entre autres études: Grande, 1999, Sweetser, 1991.
Images de la transposition 243
perception du code précieux qui est dorénavant intégré dans une nou-
velle galante et non plus dans un romanesque pastoral. Mme de Sain-
tonge adhère en effet à l’expression d’une préciosité plus moderne et
plus urbaine en puisant dans les romans ibériques certaines descrip-
tions d’ornements de cour qui, parce qu’ils sont déjà formalisés dans
le milieu de cour créé dans la Diana et compris dans leur contiguïté
avec le milieu pastoral, sont formellement mis en relief dans la nou-
velle galante. Par exemple, la description des vêtements de Don Felis
est accentuée et très détaillée dans un énoncé qui subit des coupures
radicales découlant de la cohésion narrative caractéristique de la nou-
velle:
21
Traduction de « Eran [los Abencerrajes] maestros de los trajes, de las invenciones,
la cortesía y servicio de las damas; andava en ellos en su verdadero punto; nunca
Abencerraje sirvió dama de quien no fuesse favorescido, ni dama se tuvo por digna
deste nombre que tuviesse Abencerraje por servidor » (Montemayor, 1970: 208).
Images de la transposition 245
(…) entro vna pastora en habito disfarçado, tan gallarda en su persona quãto
por sus discretas razones eminente en entendimiento ser juzgue: delas quales
dos cosas tuue sana afficion, que otra cosa no auia de que, pues todo lo demas
el enojoso velo encubria. Acabo de rato por darme le malo. saco vna mano:
vna mano os digo que saco, que no se como encubierto tal resplandor auia
podido estar. De cuya vista de tal manera mis ojos quedaron ciegos para
alumbrarme el entendimiento, q aunque despues su rostro descubrio, me falto
con que mirarle. (Alonso Pérez, 1564: 37a).
(…) il entra une Bergere admirablement bien faite. Elle avoit un voile qui lui
cachoit le visage. En s’aprochant de mon ami elle nous laissa voir une main
d’une blancheur et d’une beauté surprenante; je sentis dans ce moment un
trouble agréable. La douceur de sa voix, et l’esprit qu’elle fit paroitre dans
tout ce qu’elle dit, acheverent de me charmer. Elle sortit dans le moment que
j’étois ocupé à demander son nom, et depuis je n’ai pu la rencontrer. (Sain-
tonge, 1733: 196).
23
« Ils la regarderent avec autant de plaisir que d’admiration. sa robe et sa jupe étoient
de satin bleu; son corps qui étoit un peu délassé par devant, laissoit voir au travers
d’une toile tres fine une gorge admirable, et d’un blanc que rien ne pouvoit éfacer. Ses
cheveux étoient d’un blond cendré, et tomboient négligeamment sur sa gorge par
grosses boucles: mais ce desordre étoit mille fois plus agréable que l’arangement le
plus regulier. » (Saintonge, 1733: 81-82).
Images de la transposition 247
24
L’auteur donne comme exemple de cette évocation des valeurs du Grand Roi par
les contes de fées, les textes d’Henriette-Julie de Castelnau, comtesse de Murat, His-
toires sublimes et allégoriques, dédiées aux fées modernes (1699), et de Jean de Pré-
chac, Sans-parangon (1698), dans lesquels Louis XIV est le héros dans un théâtre de
fées qui représente son règne sous la forme d’une allégorie et qui célèbre
l’extraordinaire caractère du monarque (Apostolidès, 1989: 319).
248 Infiltrations d’images
25
Voir: Dejean, 1989; Martin, 1988; Parent, 1984; Walter, 1984.
250 Infiltrations d’images
26
L’omission du roman d’Alonso Pérez – on passe en effet directement du texte de
Jorge de Montemayor à celui de Gil Polo (extrêmement résumé) – montre que, dans
sa lecture dirigée, le traducteur a choisi de faire connaître à son public seulement les
textes valables, du point de vue esthétique, et ceux qui ont recueilli, dans la littérature
espagnole, un plus grand succès de lecture.
Images de la transposition 251
27
Considérons, à ce propos, la réflexion d’Henri Meschonnic sur la fonction de la
traduction au XVIIIe siècle français et sur la pertinence du charme de l’étranger (Mes-
chonnic, 1999: 45).
252 Infiltrations d’images
(…) junto a una fuente que está cerca deste prado me dizen que fué la despe-
dida de los dos digna de ser para siempre celebrada, según las amorosas razo-
nes que entre ellos passaron. (Montemayor, 1970: 72).
(…) c’est ici qu’étant prêt à faire un voyage, sa Bergere reçut ses adieux, que
la tendresse de leur amour doit garantir de l’oubli. Ce Dieu a fait de ce lieu
champêtre un théatre où tout est plein de sa gloire. (Marsilly, 1735: 72).
28
Marsilly conserve, par exemple, les « lusismes » de Jorge de Montemayor – les
références à Coïmbre et à Montemor-o-Velho (le village de l’auteur), inscrites avec
émotion dans la Diana (Montemayor, 1970: 287) –, mais il apporte des éclaircisse-
ments au lecteur français sur leur sens et leur origine, en notes de fin de page, ren-
voyant à un écrivain consacré dans la littérature ibérique: « (*) Montemayor étoit sa
patrie, et c’est le nom sous lequel il s’est fait connoître. » (Marsilly, 1735: 278).
254 Infiltrations d’images
29
« Voulez-vous être heureux amant?//Soyez guidé par le mystere;//Celui qui sait le
mieux se taire//En amour est le plus savant.//Pour être aimé soyez discret;//La clef des
cœurs, c’est le secret (1) »; [en note] « (1) En los estados de amor//Nadie llega a ser
perfeto//Sino el honesto y secreto//Para llegar al suave//Gusto de amor, si se acer-
ta,//Es el secreto la puerta,//Y la honestidad la llave (Florian, 1784: 67).
Images de la transposition 255
C’est de Galatée et d’Élicio que je vais raconter les aventures; j’y joindrai cel-
les de plusieurs amants que l’Amour voulut éprouver: je décrirai les mœurs du
village. Vous, qui n’êtes heureux qu’aux champs; vous, ames sensibles, pour
qui l’aspect d’une campagne riante, le bruit d’une source d’eau vive, sont des
plaisirs presque aussi touchants que celui de faire une bonne action, puissiez-
vous trouver quelque douceur à me lire! (Florian, 1784: 48-49).
30
L’étude de Richard Cody sur le « pastoralisme », compris en tant que mode litté-
raire, et sur le néoplatonisme, éclaire certains aspects sur ce passage, au XVIIIe siècle,
de l’Arcadie à l’Utopie (Cody, 1969: 171).
256 Infiltrations d’images
31
« Aguas que de lo alto desta sierra//baxáis con tal ruido al hondo valle//¿porqué no
imagináis las que del alma//destilan siempre mis cansados ojos//y que es la causa, el
infelice tiempo//en que fortuna me robó mi gloria?////Amor me dió esperanza de tal
gloria//que no ay pastora alguna en esta sierra//que assí pensasse de alabar el tiem-
po//pero después me puso en este valle//de lágrimas, a do lloran mis ojos//no ver lo
que están viendo los del alma. » (Montemayor, 1970: 64-65); « Ruisseau plein de
charmes, joignez vos eaux à mes pleurs. L’amour m’avoit promis que j’aurois à lui
rendre plus de graces que toute autre; il m’a trompée. Il me fit esperer mille plaisirs, je
n’en connois plus. » (Marsilly, 1735: 65).
Images de la transposition 257
Approchez Diane, lui dit alors la Prêtresse; soyez heureuse, et soyez-le par
mes soins. Le destin cesse d’être injuste. Les nœuds que son caprice avoit
formés sont à present rompus. Egon n’est plus. Donnez quelques larmes au
nom d’Epoux; mais que Sirene ne devienne le vôtre, il est digne de votre
main, et met son bonheur à la receuoir. Saint Hymenée, faites briller vos
flambeaux sacrés. Regnez ici sur des cœurs que la vertu rend dignes de vos
bienfaits les plus rares. Unissez-les. Vous êtes le seul que ma Déesse voye
sans regret triompher de la Chasteté. (Marsilly, 1735: 317).
32
Voir, à propos de cette situation, ce qu’A. Lefevere soutient dans un article du
volume The Manipulation of literature: « (…) literary theory would try to explain
how both the writing of literature are subject to certain constraints, and how the inter-
action or writing and rewriting is ultimately responsible, not just for the canonization
of specific authors or specific works and the rejection of other, but also for the evolu-
tion of a given literature, since rewritings are often designed precisely to push a given
literature in a certain direction. » (Lefevere, 1985 a: 219).
258 Infiltrations d’images
(…) j’étois décidé moi-même à tous les sacrifices nécessaires à son [de Tim-
brio] repos. Ce n’étoit pas assez d’inonçer ma véritable passion, il falloit fein-
dre d’en sentir une autre: dès le lendemain je découvris à Blanche qui j’étois,
et je lui parlai d’amour. (…) Nisida résistoit encore à un sentiment qu’elle re-
doutoit; elle en fut moins effrayée en trouvant une compagne [Blanche]: elle
osa parler de son amour, et s’en pénétra davantage. Les deux sœurs, en se té-
moignant leurs craintes, se rassurerent mutuellement; et le plaisir d’épancher
33
Dans l’imitation de Florian, la syntaxe diégétique qui supporte l’histoire est simpli-
fiée. En effet, il ne tient compte que des faits les plus importants pour la progression
de l’action – les amours de Teolinda et d’Artidoro, les rencontres manquées, le malen-
tendu engendré par l’arrivée de la sœur jumelle de Teolinda – et il recourt à un style
sans prétention, fait de phrases courtes, et sans ornements baroques: « Une troupe de
jeunes gens, fiers de leur âge, de leur force, de leur agilité, se présentent pour disputer
le prix de la lutte, du saut, de la course. » (Florian, 1784: 62-63).
Images de la transposition 259
leurs ames leur fit mieux connoître le plaisir d’aimer. (Florian, 1784: 110-
111).
34
Cette dé-caractérisation permet d’atteindre à un plus grand réalisme descriptif et à
un rapprochement plus expressif à l’époque, comme on peut le constater dans l’extrait
suivant, qui n’a pas la moindre correspondance dans l’original (Cervantès 1968 a:
199), dans lequel le traducteur va au-delà du topos de la fête pastorale: « Daranio, qui
donnoit la fête, fait asseoir les meres, les vieillards et les jeunes filles; les jeunes
garçons restent debout pour les servir. Plus loin, sur une espece de théâtre soutenu par
des tonneaux, des musiciens vont se placer. La symphonie commence; on l’interrompt
souvent par des cris de joie: le plaisir, la gaieté, brillent sur tous les visages; on parle,
on écoute, on rit tout à la fois: tout le monde est content, tout le monde est heureux;
on croiroit que chaque berger vient d’épouser sa maîtresse. » (Florian, 1784: 84-85).
260 Infiltrations d’images
35
« J’ai réduit ces six livres à trois, et je l’ai finie dans un quatrieme. Presque nulle
part je n’ai traduit; les vers sur-tout ne ressemblent à l’espagnol que dans les endroits
cités. Je n’ai pris que le fonds des aventures, j’y ai même changé des circonstances
quand je l’ai cru nécessaire; j’ai ajouté des scenes entieres, comme le troc des houlet-
tes dans le premier livre; la fête champêtre et l’histoire des tourterelles dans le second;
les adieux au chien d’Élicio dans le troisieme: le quatrieme en entier est de mon in-
vention. » (Florian, 1784: 41).
Images de la transposition 261
¡Ved qué estraño embuste de amor!; si por ventura Ysmenia iva al campo,
Alanio tras ella; si Montano iva al ganado, Ysmenia tras él; si yo andava al
monte con mis ovejas, Montano tras mí y si yo sabía que Alanio estava en un
bosque donde solía repastar, allá me iva tras él. Era la más nueva cosa del
mundo oyr cómo dezía Alanio sospirando: ¡hay Ysmenia!; y cómo Ysmenia
36
F. Lavocat donne comme exemple de « contes » pastoraux publiés dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, Rosette, conte pastoral de Leonard, La Bergère, fragments
d’une pastorale de Pierre Estêve, Bergeries et opuscules de Mme d’Ormoy et Scènes
de la vie champêtre de Perreau, et elle insiste sur l’idée que « le conte pastoral se
présente alors comme la dilatation d’un instant, et le secret du bonheur consiste à s’y
absorber (…). » (Lavocat, 1998: 473).
262 Infiltrations d’images
dezía: ¡hay Montano!; y cómo Montano dezía: ¡hay Selvagia!; y cómo la triste
Selvagia dezía: ¡hay mi Alanio! (Montemayor, 1970: 52)
Dieu cruel! quel bizarre caprice conduisoit tes fléches? L’ingrat qui m’avoit
oubliée soupiroit pour Ismenie, Montan qu’elle aimoit possedoit seul sa ten-
dresse, et je recevois avec indifference l’hommage qu’il m’en faisoit. (Marsil-
ly, 1735: 51).
37
« Mas no quiero que me tengas por descomedido, que no es mi obligación serlo con
las pastoras a quien todos estamos obligados a complazer. »; « Los quales [pastores],
viendo que avían sido vistos, se vinieron a ella [Diana] y la recibieron con mucha
cortesía y ella a ellos, con muy gran comedimiento, perguntándoles adónde avían
estado. » (Montemayor, 1970: 230; 245); « Eh bien! ne me croyez point impoli, je
vous obéirai; auprès de vous la complaisance devient un devoir. »; « Ils allerent au-
devant d’elle. Cette belle personne leur demanda d’où ils venoient. » (Marsilly, 1735:
228; 238).
Images de la transposition 263
Oui, mes bons amis, je serai berger; je finirai mes jours avec vous, avec Fa-
bian: nos cabanes seront voisines, nos ménages seront unis, nous deviendrons
l’exemple du village; et nous vieillirons tous ensemble dans la paix, la joie et
l’amour. (Florian, 1784: 193-194) 38 .
38
Le retour à la campagne et l’intégration de la condition pastorale qui avaient
d’ailleurs déjà été annoncés par Timbrio (et Silerio) mettent constamment en évidence
une nouvelle perception du pastoralisme, dans un passage inexistant dans l’original:
« (…) quand nous serons les époux de ces deux charmantes sœurs, nous reviendrons
ici vivre avec ces bons bergers qui nous aiment, et qui méritent que nous les aimions.
264 Infiltrations d’images
J’en avois déja formé le projet, reprit Timbrio,: je suis fatigué du monde; et je veux
finir ma vie dans ces bois, entre ma femme et mon ami. » (Florian, 1784: 155).
Images de la transposition 265
Soit hasard, soit adresse, Artidore me donna la main. Nous marchions en si-
lence, sans oser nous regarder; mais chacun de nous deux observoit l’instant
où l’autre ne pouvoit le voir, pour lui jetter un coup d’œil; et dès que nos yeux
se rencontroient, ils se baissoient vers la terre; Élicio vint prier Galatée de
danser avec lui. La bergere rougit, et accepta. Auriez-vous désiré, lui dit Éli-
cio d’une voix tremblante, que Tircis eût remporté le prix? Non, répondit Ga-
latée; j’aurois été fâchée, pour l’honneur de notre village, de vous voir vaincu
par un étranger. Après ce peu de mots, ils n’oserent plus se parler. (Florian,
1784: 66; 89).
Sirene se mit alors à rêver. Son cœur s’agite. Si le souvenir de ses malheurs
combat pour l’indifference, l’amour s’empresse de l’écarter. Il resiste. Mais
Diane paroît. Les graces reglent sa démarche. Sa tête est sans ornement, mais
pour être belle, elle n’a besoin que d’elle-même. Ses yeux sont pleins de
charmes. Qu’il est facile de les aimer! et qu’il est naturel en les voyant de
rendre hommage au Dieu dont il semble qu’ils soient le séjour! Admirer cette
belle personne, dit Sirene en lui-même, c’est rendre à la beauté ce qu’on lui
39
« (…) me dió [Ysmenia à Selvagia], con sus bien ordenadas razones, a entender que
yo era la que le estava obligada, porque si ella me avía hecho una burla, yo me avía
satisfecho también que no tan solamente le avía quitado a Alanio, su primo, a quien
ella avía querido más que a sí, mas que aún aora también le traya al su Montano muy
fuera de lo que solía ser. » (Montemayor, 1970: 53); « Bergere, disois-je en moi-
même, le sort me vange de toi. Ce fut pour moi qu’Alanio te fut infidéle, et je te dé-
robe encore le cœur de Montan. » (Marsilly, 1735: 52).
40
« Palabras fueron éstas que a Felismena llegaron al alma, mas cómo tenía delante
sus ojos aquel a quien más que a sí quería, solamente miralle era el remedio de la pena
que qualquiera destas cosas me hazía sentir. » (Montemayor, 1970: 116); « Cette
conversation me coûtoit trop à soûtenir pour que je ne la visse pas finir avec joye:
j’étois cependant moins à plaindre qu’on ne croit. J’avois mon Amant devant mes
yeux, et sa vûë soulageoit les chagrins que me causoient ses paroles. » (Marsilly,
1735: 113-114).
Images de la transposition 267
doit. Mais l’admirer est-ce assez? Non. Elle m’aime. Elle est libre. Je dois
l’aimer. (Marsilly, 1735: 316-317).
Nous nous plaignons toujours des maux sans nombre de cette courte vie; et
c’est de nous-mêmes que viennent presque tous ces maux. La soif de l’or, voi-
là le principe des crimes et des malheurs. Le créateur du monde l’avoit prévu:
il cacha ce funeste métal dans les entrailles de la terre; et, non content de
combler le précipice, il le couvrit de fleurs, de fruits, de tout ce qui devoit suf-
fire à l’homme pour ses besoins et ses plaisirs. L’insatiable avarice n’eut pas
assez de tant de bienfaits; elle pénétra dans ces abîmes à force de travaux et de
périls; elle arracha l’or aux enfers, et découvrit aux humains la source de tous
les vices. Hélas! qui a le plus souffert de cette fatale découverte? l’amour. Un
cœur sensible ne suffit plus pour avoir le droit d’aimer: s’i l’on veut obtenir
celle que l’on rendroit heureuse, il faut des preuves de richesse, et non des
preuves de constance. L’amant sans fortune peut être aimable, mais ne peut
être heureux: plus il est fidele, plus il est à plaindre; les tourments et le déses-
poir sont le partage de sa vie. Que faut-il donc faire quand on est pauvre et
sensible? Ne pas aimer. Ah! c’est encore pis. (Florian, 1784: 124-125).
268 Infiltrations d’images
41
« No causó poca admiración a Sireno las palabras del pastor Sylvano (…) Veo que
estás tan conforme con tu suerte que no te prometiendo esperança de remedio, no
sabes pedille más de lo que te da. (…) ¡O quánta más embidia te deve tener este sin
ventura pastor, en verte sufrir tus males que tú podrías tenelle a él al tiempo que le
vías gozar sus bienes! » (Montemayor, 1970: 19-20); « Sirene admira la generosité
des sentimens de Silvain. (…) L’esperance n’adoucit point tes maux; mais tu
n’importunes point les Cieux par de vaines prieres. Ton caractere est nouveau et
admirable, tant de grandeur d’ame me fait plus souhaiter ton état, que tu
n’ambitionnois le mien, quand heureux auprès de Diane j’étois l’objet de ton envie. »
(Marsilly, 1735: 13-14).
Images de la transposition 269
De l’Écriture et du Speculum
Chapitre I
Si, comme le dit Terry Eagleton, chaque texte est, dans une cer-
taine mesure, une « traduction », c’est-à-dire une transformation per-
pétuelle d’autres textes (Eagleton, 1977: 73), l’ensemble des réécritu-
res françaises du roman pastoral ibérique peut donc, à la limite, être
évalué par le prolongement de la réécriture dans des modèles de trans-
gression épigonaux. Bien que ne constituant pas de véritables « tra-
ductions », ces derniers apparaissent comme des lectures différentes
d’un texte premier. Ces lectures se révèlent dans des artefacts
d’écriture autonomes ou en voie d’autonomisation esthétique. Autre-
ment dit, la subversion de l’écriture proposée par le geste de traduc-
tion s’accompagne de la production d’autres textes qui, quoique ne
constituant pas des réécritures assumées – comme celles de Nicolas
Colin, de Gabriel Chappuys, de S.-G. Pavillon, d’I.-D. Betranet,
d’Antoine Vitray, d’Abraham Rémy, de Mme Gillot de Saintonge et
du Vayer de Marsilly dans le cas de Los siete libros de la Diana –, se
présentent comme d’autres formes d’écrire à nouveau un archétype
générique. Ces textes constituent en fait d’autres manifestations de
transformations textuelles ancrées dans l’espace spécifique de
l’intertextualité au XVIIe siècle. Ainsi, une fois les modèles de réécri-
ture du roman pastoral ibérique en France insérés dans un système
global de textes analogues qui représentent un système de lectures
alternatif, un paradigme alternatif (Lefevere, 1985 a: 237), on pourra
atteindre à un domaine de réception globale des textes ibériques. Il
s’agit là d’une perspective plus large, en termes de théorie et d’histoire
littéraires, des lectures réalisées. C’est pourquoi, le travail de trans-
formation et d’assimilation que les modèles de thématisation, de ca-
nonisation et de transposition de l’écriture bucolique ont déployé dans
le cadre de la littérature française ne doit pas être dissocié – ne per-
dons pas de vue la centralité du sens qui émane du texte premier – de
la fonction développée par d’autres textes. Ces derniers peuvent, dans
274 Infiltrations d’images
Ie vous offre un Ouurage que j’ay produit dans vos bois: Vous y verrez des
Bergers, qui se soûmettent à vostre Empire: Ils vous reconnoissent tous pour
leur Souueraine, et pour leur Nymphe. (…) quand il vous plaira Felicie ne se-
ra que vostre Bergere: Elle vous rend les marques de sa Souueraineté, qui sont
ses fleches, et son carquois, et je croy qu’en ce poinct elle est d’intelligence
auec l’Amour, qui vous rend les mesmes armes. (Montauban, 1654).
1
Le terme (et concept) est utilisé par Andrée Mansau qui considère « l’hispanisme »
comme une « façon de sentir » qui se manifeste dans les traductions et dans les adap-
tations théâtrales: « Cette domestication des faits, cette académie économique de
l’action dont a parlé Alexandre Cioranescu (Le Masque et le visage) se retrouvent
dans les traductions et les adaptations théâtrales, emprunts, remodelages qui puisent
dans Cervantès, Lope de Vega, Guillén de Castro: hispanité qui renouvelle la création
en langue française, recherche d’un style nouveau mais vil honneur, sévère ambition
pour reprendre l’expression de Chapelain parlant des grammairiens. » (Mansau, 1991:
211).
2
A. Cioranescu cite, dans ce contexte, trois textes dramatiques – Hardy, Félismène,
Quinault, La généreuse ingratitude et Les charmes de Felicie –, il considère ce dernier
comme le plus représentatif de ces interférences textuelles et il insiste sur le fait que
l’exemple de la Diana a contribué très efficacement, tout comme L’Astrée, à établir
une nouvelle structure dramatique propre à la pastorale (Cioranescu, 1983: 421).
3
À propos des diverses formes génériques assumées par la pastorale dramatique dans
la première moitié du XVIIe siècle, on pourra consulter, entre autres, les travaux de
Dalla Valle, 1968; 1973; 1987; 1994; 1995; Marsan, 1969, ainsi qu’un article récent
de Chrystelle Barbillon (Barbillon, 2008: 311-322).
Images de la subversion 277
4
Dans la préface « Au Lecteur », H. d’Urfé fait référence aux sources italiennes,
c’est-à-dire à la poésie dramatique du Tasse, d’Arioste et de Guarini, croyant qu’en
suivant les tendances les plus actuelles du goût du public, il se rapproche d’une éthi-
que du texte littéraire (sur laquelle il réfléchit) tout en privilégiant, à l’instar de Guari-
ni, l’attitude de « plaire », « [s’]accomodant a nostre aage » (Urfé, 2001: 12). Sur la
pièce, il faut lire l’excellente introduction que lui consacre L. Giavarini dans son
édition critique (Giavarini, 2001: VII-LXXIII).
5
Selon Madelaine Lazard, la pastorale italienne, née de l’imitation de l’églogue anti-
que, s’impose comme un genre aristocratique et s’oppose aux « comedie rusticali »,
dans lesquelles se reflétaient les coutumes et le langage des paysans italiens et elle se
prête aux « divertissements » et aux représentations de la cour étant donné qu’elle
adhère à une conception idéaliste de l’amour inspirée par les théories néoplatonicien-
nes (Lazard, 1983: 28).
278 Infiltrations d’images
7
Voir le début de la préface du texte dramatique: « Ce subject est si cognu, qu’il
sembleroit inutile d’en faire vn argument, toutefois afin qu’on puisse comprendre
mieux le dessein que i’ay eu de le disposer au theatre, et de le faire voir démelée des
autres histoires, dans lesquelles il est intriqué, i’en ay voulu donner la disposition. »
(Rayssiguier, 1630).
280 Infiltrations d’images
8
Devant la cruauté de Diane, Thersandre révèle le secret de son destin tragique à
Ismène (dans la scène I de l’Acte II) et il se sert de la fausse identité pastorale qu’il a
adoptée (Cleagenor) pour s’enfuir de Néarque en raison des rivalités amoureuses;
Ismène lui révèle, dans la scène suivante, que Thersandre a pour rival, auprès de
Diane, Cleagenor, exploitant en cela un jeu de masques et d’identités illusoires pro-
pres au théâtre baroque dans lequel la pastorale dramatique s’inscrit (Montauban,
1654: 18-19; 26-27; 29-31).
9
Félicie réagit violemment et avec jalousie à l’amour de Diane et de Thersandre en
reconnaissant leurs véritables identités (Acte IV, scène VI), elle ordonne à Philinte
qu’il les sépare dans deux chambres de son palais et elle décide de jeter ses charmes
de manière à ce que les deux amants, par un « supplice estrange », se voient mourir et
vivre réciproquement sans qu’ils ne soient ensemble. On entend les cris des deux
personnages de toute part et dans l’Acte V, on voit Thersandre, victime de
l’enchantement, exprimer son désir de mourir devant la vision du corps de Diane et
celle-ci s’effondrer dans un monologue analogue, en voyant l’image (illusoire) de son
amant mort (Montauban, 1654: 75-77; 82-85).
Images de la subversion 281
12
« Au contraire l’amour, dont tu sçais peu l’vsage,//Fait l’office du temps, et ternit
vn visage://Les soins qu’il met au cœur, ses soucis, ses douleurs//Effacent bien des
traits, moissonnent bien des fleurs;//Il est comme le temps Tyran de toutes choses,//Et
seiche en peu de iours, et nos lys, et nos roses. » (Montauban, 1654: 6).
13
Le texte se termine justement sur l’annonce des mariages, autorisés par la divinité,
annonce qui est faite par Clidamant qui remplace Félicie (punie pour avoir exercé
cruellement ses « charmes ») dans le gouvernement de l’île utopique: « Nous serons
tous heureux, le Ciel nous l’a promis,//Allons tous dans le Temple, acheuons la iour-
née,//Faisons les doux liens de ce triple hymenée,//Et desormais sans crainte en ce
iour glorieux,//Allons de ce bon-heur rendre graces aux Dieux. » (Montauban, 1654:
88).
Images de la subversion 285
[Parthénie]
Oüy, cét enchantement sans doute est son ouvrage,
Elle pourroit encore faire bien davantage:
Son art luy permet tout, et le sort des humains
Au gré de ses souhaits, semble estre entre ses mains,
Que ne fait elle point quand elle est en colere (Montauban, 1654: 76).
14
« [Ismène] Contre vos interests elle pourroit tout faire,//Et ton reffus enfin armeroit
sa colere://Sçais-tu ce qu’elle peut, d’un clin d’œil, de deux mots,//Elle peut appaiser
et mutiner les flots,//Evoquer des tombeaux des corps en pourriture,//Faire parler leur
cendre, et marcher leur figure;//Ce sont là ces secrets que tandis qu’il regna//A sa
posterité oroastre enseigna://Elle en est descenduë, et pour se satisfaire//Elle feroit
seruir son art à sa colere. » (Montauban, 1645: 30-31).
15
En effet, dans le Pastor fido, comme le souligne Marsan, les nobles bergers, issus
d’une race divine, ont entre les mains leur propre destin et ils sont soumis à une reli-
286 Infiltrations d’images
[Félicie]
Escouteray-ie encor, mon amour qui murmure,
Enfin dois-je souffrir, ou repousser l’injure.
Non, faisons succeder à nos affections,
Dans un cœur offensé ces noires passions,
Ces fureurs, par qui l’ame en desordre et troublée,
Rompt et brise le joug dont elle est accablée,
(…)
Quoy? perfide Thersandre, hà! ce nom de Thersandre
Sçait combattre en mon cœur encor, et se deffendre;
Mes esprits à ce nom, sont encores flottans,
gion tyrannique qui prône que l’amour doit être sous le joug des bienséances sociales.
D’où la dramatisation de toute une série d’aventures encadrées dans un registre tragi-
que et représentant par conséquent, selon l’auteur, une voie qui mène à la tragi-
comédie pastorale (Marsan, 1969: 52).
16
« Thersandre, aupres du corps de Diane. Pourquoy, pour ne point voir des obiects
si funebres,//N’ay-je les yeux couverts d’éternelles tenebres,//Hà! que i’ay de sujet de
me plaindre du sort,//Que mon sommeil n’est-il, le sommeil de la mort. » (Montauban,
1645: 82).
Images de la subversion 287
17
D’où l’appréciation décisive de Jules Marsan: « La matière du roman de Monte-
mayor est ainsi devenue française. Par une conséquence naturelle, elle est devenue
aussi plus dramatique. L’amour, tel que l’avait conçu le platonisme espagnol, suppri-
mait dans l’individu, en envahissant l’être entier, tout conflit de passions diverses,
c’est-à-dire toute psychologie: l’homme d’un seul sentiment n’est pas un personnage
de théâtre. » (Marsan, 1969: 286-287).
288 Infiltrations d’images
18
Alexandre Cioranescu remarque que l’influence de la « Diana espagnole » sur le
roman pastoral français devient si évidente que le nom de la protagoniste a été récupé-
ré par des romanciers différents pour recueillir du succès avec leurs textes et il donne
comme exemple La Diane françoise de Du Verdier et La Diane desguisée de Lansire
(Cioranescu, 1983: 421).
Images de la subversion 289
Que le nom de cette bergere ne te destourne point la volonté que tu peus auoir
d’apprendre ses amours; La France l’a veuë naistre, et ne ressemble en aucune
façõ à ceste Espagnolle, qui depuis peu court habillee à la Françoise. Si tu te
donnes le temps de la voir et la considerer de près, peut-estre tu la trouueras
plus agreable que l’autre, car elle n’emprunte rien de personne, et se sert seu-
lement de ce que la nature luy donne. Si la peine que i’ay prise à la bien ins-
truire pour la faire paroistre par tout, te plaist en quelque façon que ce soit,
i’en receuray beaucoup de contentement et de gloire, sinon croy asseurement
que tu ressembles au malade, qui pour la foiblesse de son estomac ne peut di-
gerer la viande, ny s’en seruir quoy qu’elle soit delicate et bonne. Adieu. (Du
Verdier, 1624).
19
« (…) les entreprises esthétiques, écriture et lecture, ont en commun vouloir et
plaisir, tant il est vrai que le rapport de l’écriture et de la lecture atteste moins la certi-
tude d’une communication que l’évidence que l’écriture, qui est fiction, génère ses
propres métaphores de la lecture qui est fiction. » (Bessière, 1984: 9).
290 Infiltrations d’images
Silene voulant mourir puis que Diane ne l’aymoit plus s’estoit enfoncé dans le
bois, auecque dessein d’y attendre la nuict pour n’auoir point
d’empeschement à sa resolution, mais le Ciel qui vouloit disposer autrement
de sa vie le feit arriuer iustement où Myrtile s’estoit retiré pour se plaindre de
la cruauté de sa bergere. (…) Où sont maintenant tant de sermens, en
l’asseurance desquels vous me deuiez faire viure le plus heureux berger de ces
contrees, Diane vous les auez fait en l’air, et les auez mis en la puissance des
vens qui les ont emportez si loing qu’ils vous en ont osté la cognoissance, et
pour rendre ma disgrace plus sensible, vous les voulez rappeller pour les faire
encore une fois au profit d’un autre, qui se rendra plus capable de vostre
amour que moy (Du Verdier, 1624: 1-4).
22
La grotte où entre Silène (à l’image de ce qui arrive à Céladon) devient une espèce
de lieu enchanté qui fait l’objet d’une courte description: « (…) [Silène] cognoissant
qu’il estoit aupres de la grotte enchantee, il y dressa ses pas, et se treuua incontinent
Images de la subversion 293
23
, sur des inscriptions portant des déclarations d’amour, sur des plain-
tes adressées à la nature ou sur des descriptions stylisées du portrait de
la bien-aimée. Ces situations de composition, ces topoi et ces motifs
récurrents se conjuguent avec une vision du monde caractéristique de
l’univers qui transparaît dans les anciens « Libros de pastores » où la
passion est analysée dans ses différentes manifestations ou effets – le
changement, l’irrationalité, la violence qui mène à la folie (motifs
condensés suggestivement dans la figure de Silène) – et où est décrit
le caractère misérable de la condition humaine influencée par
l’irréversibilité de la Fortune et symboliquement développée dans le
personnage ibérique de l’amant de Diane:
(…) Silene n’estoit gueres en repos, car repassant en sa memoire les conten-
temens qu’il auoit autrefois gouttés en ses amours, il treuuoit sa disgrace si
grande qu’il croyoit estre le plus miserable berger du monde. Il se plaignoit de
la fortune qui l’auoit mis en un estat auquel il n’esperoit point de salut, dépi-
toit la puissance des Destins, et pesant iusques à l’impieté nommoit les Dieux
iniustes de le punir auparavant qu’il fut coupable. (Du Verdier, 1624: 36-37).
apres sous l’arbre sacré qui donne de l’ombrage à l’entree de ce lieu renommé, au
pied duquel il veit un perron où ces paroles estoient escrites. Alcidamas preuoyant un
memorable sacrifice d’Amour a façonné ces bois et cette grotte, pour la gloire du
Berger incogneu, pour le contentement de sa bergere, et pour le repos des amis des-
guisez. » (Du Verdier, 1624: 50-51).
23
Dans l’« Histoire de Policlair et d’Argenie », Argenie se retire dans un lieu bucoli-
que après la tentative de suicide qu’elle n’a pas pu concrétiser à cause d’un page de
Policlair – la violence surgit toujours d’une contiguïté paradoxale avec l’espace buco-
lique, dans le roman pastoral: « Ayant employé toute la nuit à marcher, ie me treuuay
dans un village de Perse, le plus aggreable du monde pour une vie champestre, où
voyant des fontaines, des bois, des rivières, et des prairies belles et longues, ie me
resolus de prendre un habit de bergere pour rendre la fin de ma vie conforme à son
commencement, esperant mesmement que la cognoissance de quelques belles berge-
res, et le sejour ordinaire des bois (où fort peu souvent on rencontre des subjects de
mescontentement) pourroient avecque le temps divertir mes douleurs et me faire
perdre le souvenir de mes amours et de ma jalousie … » (Du Verdier, 1624: 546-547).
294 Infiltrations d’images
24
Diane soutient qu’elle aime Silène depuis le début mais elle affirme qu’elle doit
suivre les règles dictées par l’oracle, règles selon lesquelles la rencontre avec les
parents de l’amant devrait se produire avant le mariage (la sentence de l’oracle appa-
raît en italique) — « Silene (…) la cognoissance de tes parens doit preceder ton mar-
riage, et iamais tu ne seras heureux qu’au temps que le desespoir te fera mespriser ta
vie. » (Du Verdier, 1624: 475).
25
Dans l’histoire de Climandre et d’Amarante, on introduit des figurations d’un uni-
vers guerrier en faisant référence aux luttes contre le père de la protagoniste et au
siège qui lui est fait et qui est le fruit de la jalousie de ses ennemis – « Le siege dura
bien six semaines, pendant lesquelles on donna plusieurs assauts qui ne furent iamais
sans une grande perte des ennemis » (Du Verdier, 1624: 71-72). Magendie affirme,
d’ailleurs, que l’histoire de Climandre, d’Amarante et de Filiman est calquée sur celle
de Célidée, de Thamire et de Calidon, l’une des métadiégèses de L’Astrée où sont
inclus divers épisodes guerriers (Magendie, 1932: 160).
Images de la subversion 295
Faut-il Climandre que le respect que ie porte à nostre amitié soit cause de ma
mort? (…) Vous aymez Amarante, et l’iniustice de mes Destins me l’a fait
aymer auecque vous. Que dois-je attendre de cette affection, rien moins
qu’une mort miserable, car vous sçavez bien à quel prix ie mets vostre vertu,
quel estat ie fais de vostre bien-veillance, et me resous à mourir courageuse-
ment plutost que d’esperer ma guerison par vostre perte. I’ay failly d’auoir eu
de l’amour pour Amarante, mais peut-estre vous me pardonnerez bien cette
offence quand vous vous souuienndrez de son pouuoir, de la foiblesse des
hommes, (…) et que i’ay plutost choisi le tombeau que d’ouurir seulement la
bouche pour declarer ma passion. Ce respect vous doit plaire, et merite ce me
semble le pardon que ie vous demande desia, vous ne me le deuez pas refuser,
et sur cest’asseurance ie m’en vay mourir bien content. (Du Verdier, 1624:
153-154).
Belles ames qui viuez auecque esperance de receuoir bien tost les contente-
mens que nous donne l’amour pour la recompense de nos seruices, et qui na-
gez desia parmy tant de felicités, dispensez moy de vous escrire icy des mi-
gnardises des caresses de ces amans, ce sont des choses qui ne se peuuent bien
exprimer, et le recit desquelles n’est propre qu’entre deux personnes qui
s’ayment vniquement: si ie me voy quelque iour parmy de semblables dou-
ceurs, ie m’efforceray de les dire, comme ie les auray goustées. Adieu (Du
Verdier, 1624: 804-5).
26
Dans une situation qui colle, du point de vue intertextuel, au roman d’Urfé, Myrtile
empêche Silène de se suicider et permet au narrateur de construire un discours morali-
sant sur le suicide « Quelle gloire auriez-vous de vous faire mourir, puis que le Ciel
rend criminels ceux qui font quelque effort à leur vie, et quel contentement pensez-
vous que receuroient vos amis quand ils entendroient publier votre foiblesse? Silène
laissez disposer de vos iours à celuy qui les a contez, ne violentez point la nature, et si
vous auez maintenant quelque subiect de plaindre, faites que ce soit auecque une telle
modestie que vous n’en perdiez point le nom de vertueux que vous auez acquis entre
tous les bergers de ces contrees. » (Du Verdier, 1624: 7-8).
296 Infiltrations d’images
Ces faits d’écriture – qui sont aussi des faits de lecture – figurant
dans un espace de croisements intertextuels entre la Diana et L’Astrée
(au fond, l’espace effectif de construction de l’écriture fictionnelle
bucolique française), l’auteur tend forcément à accentuer des éléments
romanesques testés dans le roman ibérique et exploités sans relâche
dans le roman d’Urfé. Par ce biais, il obtient, tantôt un travail plus
exhaustif de l’intérieur des personnages, notamment des protagonistes
de Montemayor – dans le sillage du roman d’analyse de La Fayette ou
de Villedieu –, tantôt une formalisation plus travaillée, du point de vue
rhétorique et stylistique, d’un dialogue épistolaire qui permet, sans
aucun doute, de pénétrer plus profondément dans l’intimisme des per-
sonnages du roman 27 .
De plus, en suivant toujours une vision précieuse déjà patente dans
les manifestations précédentes, il essaye d’approfondir du point de vue
scriptural des manifestations de galanterie telles que les « billets ga-
lants », qui, d’une certaine façon, annoncent, à l’état embryonnaire,
l’écriture postérieure de Mme Gillot de Saintonge. Les phénomènes de
réécriture garantissent, une fois encore, une vision ample de ce conti-
nuum de signification qui accompagne les diverses manifestations du
littéraire. Ainsi, cette convergence de réfractions qui fait de La Diane
françoise un texte charnière entre la Diana de Jorge de Montemayor,
les respectives traductions françaises et L’Astrée d’Honoré d’Urfé,
montre clairement comment les modèles de réception assimilent diffé-
rents specula qui coordonnent des gestes d’écriture et de réécriture.
Ces gestes s’inscrivent dans une poétique en formation qui est as-
sumée de manière tout à fait significative dans l’histoire de Florise et
de Clorizel – reproduction de l’histoire de Felismena – dans laquelle
cette conscience organisatrice s’épanouit de manière suggestive. En
fait, le dialogue des diverses écritures émerge tout d’abord de la repré-
sentation intertextuelle de l’histoire de Don Felis et de Felismena dont
le succès de réception est préfiguré dans les représentations successi-
ves dont l’intrigue a fait l’objet, devenant ainsi un fait de mémoire
27
Voir, par exemple, le début de la « Lettre de Silene a Diane », inscrite dans une
dynamique d’écriture-réponse sur laquelle la structure du roman épistolaire polypho-
nique s’appuiera par la suite: « C’estoit fait de ma vie, et rien ne me pouuoit empes-
cher de mourir si vous n’eussiez escrit, ou si vous eussiez encor differé quelque temps
à m’enuoyer vos consolations. Belle Diane ie les reçois, comme une grace que ie
n’attendois pas ne l’ayant iamais meritee, et veux dire par tout que ie vous dois ce que
i’auray desormais de contentement et de gloire. » (Du Verdier, 1624: 242-243).
Images de la subversion 297
28
Le même genre de situation surgit lorsque Silène, miroir archétypique de Céladon,
essaye de se suicider à cause des rencontres amoureuses manquées avec Diana, et
qu’il en est empêché par Myrtile (Du Verdier, 1624: 53).
298 Infiltrations d’images
29
Voir le chapitre de F. Lavocat consacré au « Temps et lieux dans le roman pastoral
héroïque » (Lavocat, 1998: 351-379).
300 Infiltrations d’images
Pour Alidor, il seroit bien maintenant le plus content de tous les Bergers, si
Diane ne tyrannisoit point encor son esprit par un importun souvenir de toutes
ses anciennes esperances, qui tire à tout moment du plus profond de son cœur
mille souspirs, et qui depuis dix ans a tellement traversé son repos, que cet in-
fortuné n’a peu encor avoir une bonne nuict, mais il ne faut pas laisser de par-
donner à ses inquietudes, puisqu’elles partent d’une si belle cause. (Préfon-
taine, 1629: 3-4)
Ce feu brusle dans ses os; mais la flamme en sort par ses yeux, et paroist sur
son visage; car ceste passiõ prenant racine dans le cœur, espand sensiblement
ses mouuemens sur les plus apparentes parties du corps. Toutes les rencõtres
de Diane luy sõt desia autant de dards qui transpercent son ame, ses yeux ne
l’aperçoivent pas plustost, qu’il n’est plus à soy mesme. (…) Il n’y a
iour qui ne luy cause mille morts, et chaque nuict le plonge dans un enfer
Images de la subversion 301
30
« Il est basty sur la porte sacree par laquelle on va à la plaine des Dieux. Ses veuës
sont tres-belles; d’un costé il regarde sur ceste mesme plaine et sur les bois, d’où l’on
entend une incroyable varieté d’oyseaux qui charment l’oüye de la douceur de leur
ramage. De l’autre costé on découvre tout le sejour de Diane; et de l’autre, des eaux et
des prairies, qu’on diroit n’avoir esté faites de la nature, que pour y servir de delices et
de couche à l’Amour. » (Préfontaine, 1629: 248-249).
31
« Cet Alidor estoit bien un des plus braves Cavaliers qui fut iamais en toute la
Macedoine; Il fut alaicté dés le berceau de deux mãmelles, l’une de Venus, et l’autre
de Pallas —, de la premiere il sucça l’amour avec le laict: et de la seconde, il receut en
ses veines le courage et la valeur avec le principe de vie. » (Préfontaine, 1629: 5).
Images de la subversion 303
32
« Diane cependant s’estant retirée en son cabinet, songe profondement aux plaisirs
que reçoivent en l’autre vie, ceux qui se sont volontairement sevrés de ceux de celle-
cy: Car elle en avoit ouy parler par les escholiers de Mercure Trismegistre, qui auoient
appris de leur maistre en son Pimandre, que l’eternelle felicité des mortels auoit esté
preparee par ceste pensee de Dieu qui s’estoit venu promener sur la terre, et qui
s’estoit fait une robbe de delices et de splendeurs d’une petite piece de la terre. Mais
qu’il faut icy vivre autrement que le commun pour en iouyr; que c’est un bien qui ne
se donne qu’à peu de gens, et un secret qui n’est revelé qu’à ceux qui ont l’ame gene-
reuse, et qui mesprisent les choses qui sont sous leurs pieds. » (Préfontaine, 1629: 11-
12).
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33
« Prenez garde encore à ce Berger, qui escrit sur le bord de cette fontaine. Il com-
pose l’Histoire de sa vie, et de ses aventures diverses: On le nomme Lyparis, assez
connu par toutes ces contrées: Or comme il arrive ordinairement dans le monde, que
les uns pechent pour estre trop vains, et trop volages, l’on peut dire au contraire de
celuy-cy, qu’il peche par un excez de constance et de sincerité. » (Lansire, 1647: 172).
Images de la subversion 305
34
« Vous sçavez quelle est la proprieté de ceste eau, et comme elle declare par force
les pensées plus secrettes des amants; car celuy qui y regarde dedans, y voit sa mais-
tresse, et s’il est aimé, il se voit aupres, et si elle en aime quelqu’autre, c’est la figure
de celuy là qui s’y voit. » (Urfé, 1612/1966: 93).
35
Dans l’épître, Lansire rend compte de cette diversité des personnages qui, unis par
la vertu, font partie de son roman: « C’est une Histoire, Madame, où Diane se voit
representée toute couuerte de Palmes; et Lyparis tout chargé de chaînes pour marque
de sa captiuité. Plusieurs Personnages de condition differente y sont introduits, les uns
à l’ombre des Myrtes, les autres assis sur le Thin, et sur la Mariolaine sauuage. Il est
vray que les atours dont ie les ay parez n’estant pas bien à la mode, leur font appre-
hender auec raison de se produire à la Cour » (Lansire, 1647).
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C’est dans ce mesme pays qu’a pris naissance le vertueux Lyparis, Berger de
fort bonne condition, mais des plus malheureux de son temps. Il a esté nourry
toute sa vie à la Cour de son Prince, honoré des petits, fauorisé des grands, et
chery des Dames les plus accomplies. Mais comme vne honneste curiosité
s’attache ordinairement aux esprits des plus honnestes gens, il se cr˜ut obligé
pour conseruer sa reputation, et pour se plaire à soy mesme, de voyager quel-
ques temps dans les pays estrangez, et sur tout aux lieux les plus liberalement
enrichis des thresors de la Nature. (Lansire, 1647: 3-4).
36
« (…) d’où il adviendra que les faiseurs de Romans en tireront le sujet de leurs
Fables; que les Comediens la ioüeront sur le Theatre, et que les Peintres mesme la
redviront en Grotesque, dans les Tableaux où sont representez tous les Triomphes de
vostre Maiesté Imperiale, en suitte de ceux de vos Ancestres. » (Lansire, 1647: 341).
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L’infortuné Lyparis fut le seul qui ne changea point autrement que de mal en
pis. De sorte que se voyant toujours dans l’indifference, et dans le mespris de
Diane, il faillit à se desesperer; et se iettant à ses pieds auec vn visage mou-
rant, luy dit ces tristes paroles: Que doy-je croire de vous, Grande Deesse?
Est-il possible que vous ayez iuré et resolu en vous mesme que ie signe de
mon sang la promesse que ie vous ay faitte il y a si long temps, de vous estre
tousiours constant et fidelle. (...) Toutefois, si le Destin m’est si rigoureux,
qu’il ne veuille pas que vous changiez pour moy d’humeur, ny que vous ayez
d’autre volonté que de me faire mourir, souffrez du moins que ie trouue pres
de vous quelque sorte de consolation à mes miseres. Permettez que ie vous die
pour la derniere fois, que les plus grandes Imperatrices, aussi bien que les plus
simples Bergeres, se verront reduittes à souffrir vn iour vn autre Iugement que
celuy de Paris; et qu’alors ce ne seront plus les belles, les cruelles, les dédai-
gneuses, ny les difficiles, qui emporteront la pomme; Mais plustot les Chari-
tables, qui auront eu le cœur veritablement humain, et sensible à la pitié.
(Lansire, 1647: 348-351).
1
Cette conception surgit à la suite de la réflexion de P. Bourdieu sur le lecteur,
l’auteur et les conditions sociales de l’écriture, lesquels sont toujours intégrés dans
une définition de la structure du domaine littéraire: « Il n’est pas besoin de pousser
très loin l’observation empirique pour découvrir que le lecteur qu’appellent les œuvres
pures est le produit de conditions sociales d’exception qui reproduisent (mutatis mu-
tandis) les conditions sociales de sa production (en ce sens, l’auteur et le lecteur légi-
time sont interchangeables). » (Bourdieu, 1992: 415).
Images sous l’image 313
2
« Par l’intermédiaire d’Urfé, et en partie aussi par les traductions, la Diana a marqué
définitivement le roman pastoral français. (…) Le moins que l’on puisse dire est que,
lorsqu’on parle de pastorale et de bergers romanesques, c’est à Diane que l’on pense
et, bien entendu, à L’Astrée aussi. » (Cioranescu, 1983: 420-421).
3
« L’Astrée a été visiblement écrite sous l’influence de la Diana. D’Urfé, qui avait
commencé dès 1596 à imiter Montemayor, lui a emprunté non seulement le cadre et le
déguisement pastoral, mais encore plus d’une situation et plus d’un épisode: les deux
dernières parties elles-mêmes ne se détachent pas complètement de ce modèle. »
(Reynier, 1971: 344).
314 Infiltrations d’images
4
« (…) la Diane de Montemayor, c’est le chef-d’œuvre du genre qui avait succédé en
Espagne à celui des Amadis, le romanesque pastoral (…). La Diane de Montemayor,
c’est l’Astrée d’Honoré d’Urfé, dont même le sous-titre explicatif est littéralement
traduit de celui de l’auteur espagnol. » (Brunetière, 1898: 58).
5
« Elle [L’Astrée] ne s’inspire pas moins des pastorales italiennes (l’Aminta, le Pastor
Fido …) et du grand roman de l’Espagne italianisée: la Diane de Montemayor. C’est
ainsi qu’elle renouvelle et propose en exemple toutes les formes du bel amour: subtile
galanterie, héroïsme chevaleresque, platonisme, amour mystique … » (Arland, 1952:
197).
Images sous l’image 315
6
La relation entre Diane et Sireine, reléguée, à un certain moment, au second plan,
dans le roman de Jorge de Montemayor, est ainsi privilégiée dans le poème d’Urfé
puisque c’est à partir de cette rencontre amoureuse manquée, exposée dans les stro-
phes III, IV et V du « Livre premier », que le mouvement déambulatoire du protago-
niste se construit: « III — Pres d’un rivage verdoyant//En courbes replis on-
doyant,//Sous l’ombre d’un penchant bocage//Esmaillé d’un printemps de fleurs,//
Où l’Esté noirci de chaleurs//Jamais n’outreperçoit l’ombrage:////IV – Sireine amou-
reux pastoureau//Conduisant son camus troupeau,//Vint pourfuyr lechaud ex-
tréme,//Tellement oppressé d’ennuy//Qu’il sembloit de vivre en autruy,//Tant il estoit
mort en soy-mesme.////V – Ce ruisseau sourdoit d’un rocher,//Que devot, n’eust osé
toucher//De main, ny de langue alterée,//Ny le berger, ny son troupeau,//Parce qu’on
croyoit que cette eau//Fut à Diane consacrée. » (Urfé, 1606: 46).
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7
Cette position est assumée par Eglal Henein, dans son travail sur le déguisement
dans L’Astrée, même si une telle réflexion se situe dans une autre perspective de
travail qui ne tient pas compte de la fonction des réécritures françaises du roman
pastoral ibérique. Selon l’auteur, la lecture de la Diana a marqué Urfé mais son roman
se distingue sur deux points essentiels: l’origine des bergers et la cohésion de
l’ensemble des aventures qui sont associées à une intention morale prédominante
(Henein, 1996: 191-192).
8
« Si tu sçavois quelles sont les peines et difficultez, qui se rencontrent le long du
chemin que tu entreprens, quels monstres horribles y vont attendans les passants pour
les devorer, et combien il y en a eu peu, qui ayent rapporté du contentement de sem-
blable voyage, peut-estre t’arresterois-tu sagement, où tu as esté si longuement et
doucement cherie. » (Urfé, 1612/1966: 5). Dans l’épître dédiée « Au berger
Celadon », intégrée dans la IIème Partie, Urfé oppose la pureté du protagoniste aux
coutumes du siècle car il voit le roman comme un moyen privilégié de moralisation
(Urfé, 1610/1966: 3-4).
Images sous l’image 317
(…) il faut aussi que vous sçachiez que les bergers sont hommes aussi bien
que les druydes, et les chevaliers, et que leur noblesse est aussi grande que
celle des autres, estans tous venus d’ancienneté de mesme tige, que l’exercice
auquel on s’adonne ne peut pas nous rendre autres que nous ne sommes de
nostre naissance; de sorte que si ce berger [Céladon] est bien nay, pourquoy
ne le croiray-je aussy digne de moy que tout autre? - En fin, Madame, dit-elle
[Leonide], c’est un berger, comme que vous le vueillez desguiser. - En fin, dit
Galathée, c’est un honneste homme, comme que vous le puissiez qualifier.
(…) Il faut que vous sçachiez qu’ils ne sont pas bergers, pour n’avoir de quoy
vivre autrement, mais pour s’acheter par ceste douce vie, un honneste repos.
(Urfé, 1612/1966: 39).
Choix philosophique clair de l’« honneste repos » fait par l’« hon-
neste homme » et énoncé dans le texte du roman lui-même, le dégui-
sement accède dans L’Astrée – avec peut-être le même sens précieux
que Colin ou Pavillon, et que, plus explicitement, Vitray et Rémy
(lecteurs d’Urfé) lui attribuent – au statut de représentant d’une nou-
velle conception du romanesque et de transformation du roman pasto-
ral 10 en une espèce de métafiction embryonnaire. L’ouverture à la
réalité s’y traduit dans une manière de dire le déguisement qui
l’intensifie et le justifie par une sorte de démontage conceptuel. Ainsi,
dans la Vème Partie, écrite par Baro, Galathée, nymphe d’Amasis, et
d’autres dames de sa cour, annoncent qu’elles se déguisent pour ren-
dre visite à Adamas, c’est-à-dire pour pouvoir entrer dans le monde
magique et ce même si leur visage ne correspond pas à leurs vête-
ments 11 . La conscience de roman soulignée par l’énonciation formelle
10
Cette perspective est explicitée, bien que dans un cadre plus vaste, par F. Lavocat,
lorsqu’elle affirme que la rencontre aporétique entre la pastorale et le romanesque
passe par la disparition emblématique des « bergers-poètes » et par le remplacement
par la figure du « prince », fondement de la conscience du héros moderne (Lavocat,
1998:294-326).
11
« D’autre costé Galathée qui estoit dans une impatience nompareille de pouvoir
entretenir Astrée, et luy dire ce qu’elle sçavoit de Celadon, don’t elle ne croyoit pas
que la bergere fust si sçavante qu’elle estoit, esveilla Rosanire de bon matin, et se fit
apporter les habits de bergere qu’elle avoit fait faire dés le jour auparavant. Dorinde,
Daphnide, Madonte et Silvie s’habillerent aussi comme elles, et soudain qu’elles
Images sous l’image 321
furent au mesme estat qu’elles vouloient estre veues dans la maison d’Adamas, elles
s’en allerent dans la chambre d’Amasis, qui apres avoir admiré la grace de leur habil-
lement, bien qu’elle fust de beaucoup inesgalle à celle de leur visage, leur donna
congé de partir. » (Urfé, 1628/1966: 344).
12
Outre l’espace réel de Constantinople et la constante création de cadres de guerre
réalistes, toute l’histoire développe une intrigue de cour d’amours et de jalousies,
d’amitié et de générosité, laquelle est aisément identifiée par le lecteur de l’époque
(Urfé, 1610/1966: 492-559).
13
À propos du sens pluriel de cet espace créé par Urfé et recréé par Baro, on pourra
consulter l’œuvre qu’E. Henein lui consacre (Henein, 1999).
322 Infiltrations d’images
16
« O dieux! madame, que dans le Forets, que parmy nous, et qu’en nos jours ces
monstres se trouvent, et que nostre terre inaccoustumée à soustenir une charge si
honteuse, ne s’entr’ouvre point pour les engloutir dans le profond de ses entrailles,
nous ne sçavons qu’en dire ny qu’en juger, sinon que le ciel lassé de nos fautes et de
nos crimes, vueille nous punir plus griefvement qu’en tous les siecles passez! » (Urfé,
s/d/1966: 715-716). Voir aussi, à ce sujet, notre article de synthèse consacré à la
violence dans la « Bergerie » (Anacleto: 1998: 175-184).
324 Infiltrations d’images
Ils [les romans étrangers] ont mesme esté surpassez par l’Astrée de Messire
Honoré d’Vrfé, ouurage tres exquis, dont plusieurs auentures sont dans le
genre vray-semblable, et les Discours en sont agreables et naturels. Il s’y
trouue quantité d’Histoires détachées qui se racontent, lesquelles nous four-
nissent des exemples de toutes les sortes d’accidens qui peuuent arriuer entre
les Personnes qui aiment, et cela est parfaitement accomodé au Temps que ce-
la est introduit, quoy qu’on tienne que de plus, ce sont toutes auentures mo-
dernes qui ont esté déguisées de cette façon. (Sorel, 1970: 54).
17
Remarquons, par exemple, la contiguïté entre le monde pastoral et le monde héroï-
que envisagée dans le « Livre VII » de la Vème Partie (de Baro). En effet, on y décrit le
départ des cavaliers, habitant le Forez ou étrangers, du domaine d’Amasis (Urfé,
1628/1966: 298).
Images sous l’image 325
roman qui, tout compte fait, s’inclut dans un projet artistique ou litté-
raire plus vaste, se plier à l’art de persuader par la fiction afin de civi-
liser la noblesse française 18 – celle qui fréquente la Cour, les Salons
ou tout autre espace de conversation mondaine – dans un jeu de mi-
roirs théâtralisant à partir duquel la réalité se projette dans le texte et
celui-ci dans la réalité.
Mlle de Gournay voyait ainsi dans L’Astrée « un bréviaire des da-
mes et des galants de la cour » 19 , dès lors que le roman se projette
dans l’espace de lecture qui l’accueillait et qui formalise un lien de
vraisemblance subjective qui est, lui aussi, déjà un signe de modernité.
Sorel, quant à lui, l’intègre dans De la connoissance des bons livres ou
examen de plusieurs autheurs, lorsque, prenant à cœur sa mission de
critique littéraire du siècle qui le conduit à tisser divers jugements sur
sa valeur esthétique, il souligne l’importance de L’Astrée dans
l’éducation de l’homme cultivé du XVIIe siècle:
18
C’est dans ce sens qu’E. Bury utilise la notion de Paideia à propos du roman d’H.
d’Urfé. Selon cet auteur, l’ambition du romancier est d’éduquer l’homme en offrant à
l’aristocratie une doctrine d’accès facile et agréable (Bury, 1994: 185-187; 1996: 93).
19
L’affirmation, extraite de L’Ombre (1626), est citée dans l’étude d’Erica Harth où
elle souligne la pédagogie de L’Astrée (Harth, 1983: 38). Henri-Jean Martin, John
Lough et Jan Maclean perçoivent, eux aussi, le roman d’Honoré d’Urfé comme une
espèce de miroir de la société dans lequel celle-ci peut se revoir: Lough, 1978: 140;
Maclean, 1977: 141; Martin, 1969: 293-294.
20
Voir, à ce sujet, la position défendue en 1927, par Magendie: « Si l’Astrée n’eût été
qu’un pastiche de la Diane et des Bergeries de Juliette, elle n’eût pas eu chez nous
326 Infiltrations d’images
plus de succès que les romans pastoraux. La faveur soutenue avec laquelle elle fut
accueillie, pendant les vingt ans que dura sa publication, prouve assez qu’elle était en
étroits rapports avec les mœurs du temps, et qu’elle répondait aux goûts de la belle
société. » (Magendie, 1927: 232).
21
J. Maclean voit dans le roman d’Urfé un travail qui développe avec acuité un fémi-
nisme qui va à la rencontre d’un secteur majoritaire du public de l’époque en faisant
une synthèse des différentes critiques analogues (Maclean, 1977: 156).
22
« (…) Ouvrage agreable où il y a tant d’Histoires détachées de différentes especes
qui viennent à propos au sujet, qu’on peut dire que l’Autheur y a introduit de toutes
les manières d’aventures qu’on se pouvoit imaginer, et que c’est un roman qui
contient plusieurs autres romans, lequel d’ailleurs est recommandable en ce que l’on
n’y voit rien autre chose que les effets d’une affection legitime. » (Sorel, 1981: 153).
C’est donc en ce sens que Madelaine Bertaud considère L’Astrée comme « le premier
grand roman d’analyse français » (Bertaud, 1981: 485).
Images sous l’image 327
23
Dans l’« Histoire de Tircis et de Laonice », par exemple, on nous livre un jugement
sur les rencontres manquées des amants et on en explique les raisons en recourant,
pour cela, à une structure dialectique dans laquelle figure la « Harangue de Hylas pour
Leonice », la « Response de Philis pour Tircis » et le « Jugement de Silvandre »,
espèce de synthèse finale à partir de laquelle on élabore un commentaire théorique qui
prend inévitablement le statut de métacommentaire (Urfé, 1612/1966: 267). Il en va
de même à la fin de l’« Histoire de Delphire et Dorisée », dans laquelle, suivant cette
même logique, on introduit la « Harangue de Tomantes », la « Response de Delphire a
Tomantes », la « Harangue de Filinte » et, enfin, le « Jugement de Diane » (Urfé,
s/d/1966: 329-349).
328 Infiltrations d’images
24
Voir le chapitre « Théorie et pratique du dénouement » de l’ouvrage d’E. Henein
consacré à La Fontaine de la Vérité d’Amour d’Urfé et de Baro (Henein, 1999: 13-
28).
Images sous l’image 329
25
C’est en ce sens que Maxime Gaume affirme: « Pourtant, le Forez de L’Astrée n’est
pas totalement irréel » (Gaume, 1978: 69).
330 Infiltrations d’images
26
Par exemple, dans l’« Histoire de Silvie », intégrée dans le Livre III de la Ière Partie
du roman, Adamas entame une théorisation sur l’amour avec des effets néoplatoni-
ciens évidents en partant des reflets spéculaires provoqués par l’eau de la Fontaine de
la Vérité d’Amour (Urfé, 1612/1966: 93-94).
Images sous l’image 331
(…) car l’homme comme souuent nous auons dit c’est le composé de l’ame et
du corps, et ainsi pour ne fruster tout ce composé de ce qui luy appartient,
nous dirons que non pas la plus grande seulement, mais la seule et particuliere
de l’homme, c’est celle qui luy vient des vertus morales que nous appellerons
felicité humaine ou ciuile. (Urfé, 1619/1973: 490-491).
27
« (...) comme des fleurs plus ameres l’abeille tire son miel, i’ay pensé que de ce
fascheux temps ie pourroy tirer quelque soulagement par ma plume. Or tel qu’il a esté
ie te le mets deuant les yeux, non point pour en receuoir ton iugement, mais afin que
tu t’en serues si tu en as affaire. C’est pour ta necessité, et non point pour ta dispute
que ie t’en fay part. (...) Que si ces considerations ont quelque pouuoir en toy, que ce
soit seulement pour donner assez d’authorité à mes paroles: afin qu’elles soient creuës
comme les conseils de ses vieux et experimentez Capitaines. (...) Ie n’ay tracé ces
lignes que pour tromper le temps ennuyeux. (...) ie mets en auant ces feuilles, sur
lesquelles à l’imitation de la Sybille i’ay escrit non point les choses futures, mais
celles que i’ay esprouuees. (...) Que si l’vne seulement profite à l’un de mes amis, ie
tiens leur Fortune et leur perte de toutes pour bien employee. » (Urfé, 1619/1973).
332 Infiltrations d’images
28
Voir, en ce qui concerne les choix formels et idéologiques d’H. d’Urfé, ce que
proposent M. Gaume et E. Henein (Gaume, 1977 a:384; Henein, 1999:13-28).
Images sous l’image 333
32
Voir notre réflexion récente sur les romans pastoraux postérieurs à L’Astrée dans un
article déjà cité (Anacleto, 2008: 113-123).
33
Dans un chapitre intitulé « L’influence de L’Astrée », Magendie fait l’inventaire des
thèmes et des situations récurrentes dans L’Astrée et reprises, comme citations in-
contestables, par les romanciers contemporains: la retraite d’un personnage à la cam-
pagne afin de s’éloigner de l’agitation de la vie mondaine; les différents déguisements
adoptés; l’abandon d’une amante à un amant colérique; la haine mortelle qui sépare
les familles des deux amants et qui en empêche l’union; l’amant fidèle et docile sou-
mis à une femme exigeante et capricieuse; les discussions théoriques sur un thème
donné; les pouvoirs de Polémas; l’inconstance d’Hylas (Magendie, 1932: 101-109).
34
Remarquons la façon dont Henri Coulet analyse, à partir de la lecture de Magendie,
le statut des romans pastoraux français plus ou moins contemporains de L’Astrée:
« M. Magendie cite quelques romans pastoraux inspirés, parfois jusqu’au décalque, de
L’Astrée: Le Melante de Videl (1624), La Diane françoise de Du Verdier (1624), La
Bellaure triomphante de Du Broquart (1630-1633), La Nouvelle Amarante de La
336 Infiltrations d’images
Haye (1633), etc. Mêmes fictions que dans L’Astrée, mêmes noms de personnages,
mêmes rôles d’amoureux chassés par un caprice de leur bergère et réfugiés dans la
solitude, d’inconstants comme Hylas, de princesses régnant sur une province, de sages
vieillards, mêmes débats et mêmes jugements, mêmes épisodes guerriers ou merveil-
leux. Mais la vie morale, la profondeur psychologique, la justesse et la diversité des
caractères, la poésie, la structure d’ensemble, tout ce qui faisait la valeur de L’Astrée a
disparu. » (Coulet, 1967: 153). Ce même point de vue est, d’ailleurs partagé par Mau-
rice Lever, quand il considère ces romans stéréotypés qui présentent toujours les
mêmes bergers et les mêmes cadres, les mêmes lettres, les mêmes harangues, les
mêmes descriptions, presque servilement imités de L’Astrée (Lever, 1981: 67).
35
D’où la pertinence que prend le point de vue de Françoise Lavocat qui suggère
qu’une analyse de ces romans dans le cadre comparatiste pourrait leur apporter
d’autres significations plus vastes (Lavocat, 1998: 322-326).
Images sous l’image 337
Il est de ceux qui font l’Amour, comme de ceux qui plaident, l’vn et l’autre
veut auoir le droit de son costé, et quand celuy qui plaide sans raison, a perdu
son procès, il accuse ses iuges de corruption et de perfidie, et se plaît à dire
qu’il auoit tout le droict et toute la iustice. De mesme les Amants quãd ils sont
en colere, s’accusent l’un et l’autre d’auoir manqué à la fidélité, à l’Amour, au
respect et à quelque autre chose, et s’il arrivue que l’on face voir à l’un qu’il a
tort de se plaindre, il ne laisse pas de le faire apres qu’il est condamné, et veut
que l’on croye qu’il ne le fait pas sans raison. (Gomberville, 1621: 674).
36
« Ceste piece a esté faite pour plaire à diuers excellents esprits, qui menans en
verité la vie que ie dépeins icy, attendent le succez de leurs Amours que i’ay com-
mencees, pour viure entierement en Bergers et en Bergeres de la sorte que ie raconte-
ray à la seconde partie de cet ouurage. » (Gomberville, 1621).
Images sous l’image 339
Prenez la peyne de vous entretenir auec mes Bergers ils vous conteront naï-
fuement leurs amours, et vous diront des gentillesses que vous ne trouuerez ie
m’asseure pas mauuaises, car ayant eu dessein de dépeindre au vif toutes les
passions d’Amour, et comme descendre au profond et au centre des cœurs
pour en descouurir les plus secrets mouuements, i’en ay tiré des naïfuetez
mieux seantes à des Bergers qu’à des personnes plus releuées; et vrayment
c’est sans doute que l’Amour a meilleure grace dans les simplesses des
champs que dans les pompes et les artifices de la Court, Si leur entretien vous
plaist ils tascheront de vous estre tousiours plus aggreables, outre que leur au-
37
Annoncés dans le titre sous la forme de résumés, tels que « Cerinthe et Diophãte
sont forcez par la courtoisie de Clisophon, frere d’Epitherses, d’aller loger chez luy,
où ils sont parfaitement bien receuz » (Gomberville, 1621: 36-37), les gestes de cour-
toisie font partie de l’hospitalité pastorale (topos) et d’un « savoir-vivre » ou étiquette
que le texte du roman tend à véhiculer.
340 Infiltrations d’images
A ce mot [Acaste] il alloit mõter pour se precipiter dans la mer; quand le Ber-
ger Melante (qui l’auoit suiuy de loin et s’estoit caché pour l’oüir) montant
par vn autre endroit le préuint, l’arresta et luy dit. Miserable Acaste, où
t’emporte le desespoir? où te precipite la rage? Quoy, tu veux mourir, et voila
que ta Bergere se meurt pour toy, tu veux dõc te priuer ainsi du fruit de toutes
tes peines? Par tout on n’entend que cette voix de sa bouche, où est mon
Acaste? où est il ce fidelle amant? et voila que tu veux mourir! Quitte desor-
mais ceste pensée, ie sçauois bien que Clorimene seroit vaincuë, et qu’elle
condamneroit sa rigueur; Mais ne pense pas que ie te flatte; tu la verras tan-
tost, les larmes de ioye aux yeux, et ces paroles d’amour à la bouche. O mon
38
« Comme ils alloient tousiours ils treuuerent dans le bois vne trouppe de Bergeres
assises à la fraischeur, ce qui les obligea de s’y arrester, et Clytée de leur dire, belles
Bergeres si vous n’estes point ialouses que nous participions aux douceurs de cet
ombrage nous y pourrons iouyr du bon-heur de vostre entretien. Le vostre est si doux
(dirent elles) que ne le rechercher pas seroit bien en estre indigne, c’est nous qui vous
deuons demander cette permission, pour ce que n’estant que Bergeres le respect nous
deffend le trop libre accez des Nymphes. Quand nous aurons vos beautez (repart
Clytée) il nous sera permis d’en prendre le nom, mais cela n’est deü qu’à cette cy (dit
elle) mõstrant la Nymphe: à quoy les autres. Elle ne s’offencera pas, que puis que la
verité vous le donne nostre deuoir vous le rende. Auez vous entrepris (belles Bergeres
dit Acante) de vous vaincre d’honnesteté? A ces paroles ils s’asseirent tous en rond,
mais ils ny furent pas que voicy venir vn vieil Pasteur… » (Videl, 1624: 212-213).
Images sous l’image 341
39
Voir le cas des plaintes survalorisées par Vitray et Rémy et sans cesse exploitées
par Videl (Videl, 1624: 2-3).
40
Dans le répertoire des romans du XVIIe siècle dressé par Maurice Lever, l’auteur
considère La Fille d’Astrée ou la Suite des Bergeries de Forêts, contenant plusieurs
histoires de nostre temps mises sous noms empruntez qui font voir les efforts de la
vertu et de l’honneste affection, Paris, P. Billaine, 1633 (édition de la Bibliothèque de
l’Arsenal) comme la deuxième partie de La Bellaure triomphante (Lever, 1976: 89).
342 Infiltrations d’images
41
« C’est, Madame, ce qui a fait esperer à ces belles Bergeres, et à leurs illustres
Bergers, que vous ne dédaigneriez point d’oüir le sujet de leurs differens, ny les pre-
tentiõs de leur honneste amitié. » (Du Broquart, 1633 a).
42
Dans La Bellaure Triomphante on voit surgir, par exemple, dans le Livre III, une
plainte du vieux berger Tyrsis, déformé physiquement par la passion. On peut aussi y
voir tissées des considérations génériques sur le caractère paradoxal de la condition
humaine. C’est notamment ce qui se produit dans l’histoire racontée par Tyrsis quand
Clymene est empêchée de l’aimer (Du Broquart, 1630: 296; 329).
43
Dans l’« Histoire du Berger Royal et de la triomphante Bellaure » (Livre V), on
inclut un discours de Rivole appelant à la vertu comme maxime qui doit régir la vie.
D’ailleurs dans le corps du roman, elle est mise en relief par des caractères en itali-
ques comme s’il s’agissait d’un programme: « [début du discours] La Republique, dit-
il, est ordinairement fleurissante, où non seulement les Cytoyens ont appris à com-
mander; mais où ils sçavent encore bien obeyr; ce qui est sans doute une eminente
vertu qui procede d’une genereuse inclination que les hommes peuvent avoir pour les
choses bonnes, et vertueuses. » (Du Broquart, 1630: 581-582).
Images sous l’image 343
Ie voyois assez qu’elle commençoit peu à peu à perdre la honte qu’elle avoi-
teuë des choses deshonnestes, et pareillement le desir des vertueuses, veu
mesme qu’elle prestoit volõtiers l’oreille, à ce que les Courtisans luy disoient
des mondanitez, et des delices de la vie: Bien dauantage ie remarquois qu’elle
ne se rebutoit point de leurs discours, quoy que pour leur saleté ils fussent du
tout indignes des oreilles honnestes et chastes. (Du Broquart, 1633: 289).
44
La clôture narrative de La Bellaure triomphante correspond à l’éloge du mariage
vertueux, intégré explicitement dans la « réalité » par la référence à sa continuité
temporelle. Puis, on introduit un commentaire final dans lequel la fonction de
l’histoire racontée est mise en relief en tant qu’exemplum: « Heureux doncques celuy
qui sçait opposer la moderation à la colere, et la patience au desir de se venger; car
c’est le moyen de fortifier nostre ame contre toutes les offences qui nous sont faites.
Ce qui estoit fort sagement practiqué par les Anciens … » (Du Broquart, 1930: 957).
45
C’est ainsi que doit être perçue la présence d’un sonnet signé par Astrée, bergère
d’Urfé, lequel figure dans l’espace péritextuel du Melante: le jeu métaleptique sert en
effet une stratégie qui vise à captiver le lecteur puisque l’on introduit, dans l’espace
344 Infiltrations d’images
vitale d’un modèle dont le succès de lecture est aussi recherché par les
romanciers ultérieurs et ce même si cette stratégie finit par échouer en
raison de la répétition exhaustive du stéréotype.
Le titre de la deuxième partie de La Bellaure – La Fille d’Astrée ou
la suite des bergeries de Forets – ainsi que la justification que le ro-
mancier se sent obligé d’élaborer dans les péritextes pour la concep-
tion d’une deuxième partie de son roman, illustrent, sans aucun doute,
parmi les romans cités, le cas le plus intentionnel et le plus ouvert de
l’écriture de la citation. En effet, l’auteur prétend y continuer le roman
d’Honoré d’Urfé (ce qui avait déjà été fait par Baro) dans une espèce
de relation de descendance explicitée dans la métaphore du titre – La
Fille d’Astrée – qui suggère l’adhésion à une pratique du « roman-
fleuve ». Dans le cas présent, cette pratique semble prolonger le suc-
cès du modèle premier comme si le texte littéraire, et le roman en
particulier, était un véritable lieu de citations qui, d’une certaine façon,
assure la cohérence d’une codification et d’une sémantique textuelles
données:
Puisque l’incomparable Astrée de Monsieur d’Vrfé est une des plus charman-
tes pieces que nous ayons en nôtre langue, ie ne doute point que l’on ne doiue
aussi cherir la lecture de ce liure qui en suit tous les desseins. Il ne se pouuoit
rien imaginer de plus à propos dessus ce sujet, que les auantures qui sont icy
racontées: car elles n’arriuent pas à Celadon, Siluandre, Hilas, Lindamant,
dautant que l’on a desia veu leur histoire entiere, auec l’accomplissement de
leurs amours par mariage. Cecy est plustost une suite d’histoire, et l’on y voit
ce qui est arriué à plusieurs Cheualiers ou Bergers, Nymphes ou Bergeres, qui
sont les enfans de ceux dont nous auons desia veu les estranges fortunes: tel-
lement que c’est à bon droict que cette Histoire s’appelle, La Fille D’Astree.
(Du Broquart, 1633).
aussi dans l’« Histoire d’Arnalde et de Belie », où, dans les intrigues
amoureuses de cour qui compromettent les personnages, se mêlent des
personnages du passé – Clarimand, Amasis, Hylas (Du Broquart,
1633: 257 sq). Elle prolonge aussi, dans cette contiguïté qui se mani-
feste dès le titre, les espaces de l’histoire principale et de nombreuses
métadiégèses du modèle français. Enfin, cette structure particulière
ressort dans l’éthique finale qui, grâce au discours de Bellaure (on voit
ici, encore une fois, l’intromission des personnages d’un texte dans
l’autre), clôture le roman: représentant une espèce de collage consen-
suel entre le dénouement de la Vème Partie de Balthasar Baro et
l’ascétisme d’Urfé, le texte met en relief, une fois de plus, la vertu
sous-jacente aux unions des personnages après la sublimation des
différents obstacles existentiels 46 . L’interférence de L’Astrée est à tel
point visible dans l’espace de l’univers fictionnel qui supporte les
intrigues qu’elle est parfois dite, notamment lorsqu’on souligne la
correspondance entre les bergers du Forez et ceux de Du Broquart
– leurs héritiers (littéraires) – dans un effort évident de légitimer le
décalque ou la réécriture du paradigme:
Il luy raconta donc qu’il auoit entrepris ce voyage par l’expres commande-
ment de Cleonisse, et qu’elle estoit entierement possedée de l’amour de Me-
nandre: qu’au surplus luy et Ariston son frere estoient fils d’un renommé Ber-
ger de Forests nommé Licidas, frere de l’amoureux Celadon, et qu’en leur en-
fance ils auoient esté enleuez au sac de leur païs, et presentez à Tiederic Roy
des Ostrogots (Du Broquart, 1633: 829).
46
L’introduction du discours de Bellaure, à la fin de l’histoire d’Origille et de Menan-
dre et à la fin du roman, permet, comme dans tous les autres textes pastoraux et, en
particulier, dans L’Astrée, de redimensionner les questions morales telles que la cons-
tance et la vertu. Celles-ci sont accentuées, selon une stratégie rhétorique qui est elle
aussi très codifiée, au moment où le texte se ferme devant le lecteur et où l’écriture
fictionnelle s’achève et laisse la place à la réalité: « Ainsi elle sert d’exemple fort
memorable, pour mõtrer que lors qu’en l’exercice de la patience il se trouue le plus
d’ennuy, de danger, de hazard et de perte; il y doit auoir aussi plus de courage à mes-
priser toutes ces disgraces, et la mort mesme, pour l’heureuse recompense qui s’en
ensuit necessairement, qui est une loüange immortelle. » (Du Broquart, 1633: 924).
346 Infiltrations d’images
47
« Pour le premier, si vous prenez la peine de lire ce liure, vous y trouuerez vn assez
bon nombre d’Histoires, dont les personnages, quoy que vestus en Bergers et en Ber-
geres, ne laisseront pas toutesfois de vous plaire, soit par leurs raisonnements, où vous
aurez dequoy vous entretenir, soit par la diuersité de leurs aduentures, entremeslées de
plusieurs accidents remarquables. » (Du Broquart, 1630).
48
« Leur providence leur ayant servy de guide en ce voyage, ils arriverent heureuse-
ment dans la pays de Forests; Car ce fut cette agreable contrée, qu’ils s’aviserent de
choisir pour leur retraicte, induits à cela par l’extreme desir qu’ils avoient de voir ces
fameux Bergers qui habitoient, principalement Celadon et la belle Astrée. Ils passe-
rent en ce lieu quelques années au grand contentement de tous les Bergers et les Ber-
geres du pays, dont ils ne se faisoient pas moins estimer pour leurs vertus qu’ils es-
toient admirés pour les dons et les perfections qu’ils tenoient de la nature. » (Du Bro-
quart, 1630: 350-351).
Images sous l’image 347
Jugeant doncques avec raison, que la maudite inclination qu’avoient ces mes-
chants [barbares] à la volupté, faisoit plus d’ulceres dans leurs ames, qu’eux
mesme ne faisoient des playes aux corps de ceux qui gemissoient sous leur ty-
rannie, elle [Clymene] eust bien tant de courage, que passant sur le bord de la
belle riviere de Lignon, elle s’y precipita, comme fist autrefois Celadon par le
commandement de sa chere Astrée. (Du Broquart, 1630: 359-360).
49
À l’instar de nombreuses situations parallèles qui se sont déroulées dans L’Astrée,
Archidiane devient juge dans la question amoureuse qui oppose Almoncidas à Pole-
mon: « cependãt Zoralinde ayant presenté les Bergers à Archidiane, à laquelle ils
firent une profonde reuerence, luy fit entendre la resolution qu’ils auoient prise de
remettre à son iugement le differend qu’ils auoient ensemble, la priant tous par mesme
moyen, de l’avoir pour agreable. » (Du Broquart, 1633 a: 267-268).
348 Infiltrations d’images
Elle commença deslors de paroistre en ses actions plus froide que de cous-
tume; Et se representant plusieurs fois ce que luy avoit dict le Berger, elle le
iugeoit remply de tant de prudence et de modestie, qu’il meritoit qu’elle en
fist une estime tres-particuliere. Par mesme moyen se proposant les merveilles
de sa valeur, et de ses autres vertus, ensemble les admirables dons de Nature,
qui paroissoient en luy plus eminens, et en plus grand nombre qu’en aucun
autre, et sur tout les extraordinaires preuves qu’il avoit données de son cou-
rage, elle se sentoit comme accablée d’un si grand comble de perfections, et
se voyoit presque en resolution de se donner entierement à luy. Mais conside-
rant d’un autre costé qu’elle n’avoit aucune connoissance de son extraction,
elle ne sçavoit quelle deliberation prendre, et se laissoit peu à peu consumer
d’une secrette melancolie. (Du Broquart, 1630: 648-649).
50
« Or les principaux remedes qu’on peut apporter à de si grands maux, sont asseu-
rement l’Amour et la Vertu, la crainte des Dieux, et la moderation, qui consiste en un
genre de vie, reglée selon la Nature, c’est a dire selon ce qui est necessaire pour nostre
entretenement. » (Du Broquart, 1633 a: 373).
350 Infiltrations d’images
Response d’Amarante à la lettre d’Alcidon:.Puis qu’il est vray, mon tres cher
frere, que vous et moy sommes contents de quitter le monde, et que nous sça-
vons qu’il a plus d’espiniers que de roses, à quel propos nous affligeõs nous
d’en sortir? (…) Là nos esprits desveloppez de toutes matieres terrestres, se-
ront libres des inquietudes qui les trauaillent; (…) Vous le deuez souhaiter au-
si bien que moy, qui vous cherissant en qualité de sœur, vous coniure sur tou-
tes choses d’estre constant en la sainte resolution que vous auez prise, et de ne
vous point attrister de cet adieu que nous disons tous deux aux choses du
monde. (La Haye, 1633: 582-584).
51
L’énoncé sous-jacent à la narration de l’histoire de Bérénice et de Caius dans La
Carithée en est peut-être le cas le plus paradigmatique. Il est visible, par exemple,
dans le discours du personnage féminin qui précède sa mort et qui suit très clairement
un registre tragique: « Et toy, ô nompareil Germanicus, reçois ce dernier tesmoignage
de mon incomparable affection, et aye agreable l’ardante passion que i’ay de t’aller
retrouuer dans les champs Elizees. Disant cela (ô violance prodigieuse!) ceste belle
Dame tira vn poignard de dessous sa robbe, et s’en donna un coup si malheureux dans
le sein, qu’elle tomba morte sur la place. » (Gomberville, 1621: 55-56).
Images sous l’image 351
52
Dans Le Melante, on voit surgir divers cadres de combats et de sièges (reproduisant
le siège de Marcilly), comme le siège de Megare (Videl, 1624: 368). De même, dans
le roman du Sieur de La Haye, on décrit un siège (à la suite de celui de Polémas),
mentionné dans le titre du Chapitre IX: « Tyrsis et Torismond assiegez dans le Chas-
teau de Maguely, font une sortie et sauuerent leurs deux Maistresses » (La Haye,
1633: 126).
352 Infiltrations d’images
O belle et chere trouppe, il est desormais temps que i’aille publier aux peuples
de l’vniuers que vous en estes le plus heureux, et que si les Dieux auoient à
viure parmy les hommes, ce ne pourroit estre que parmy vous; la France ma
chere patrie me rappelle, c’est là que ie vay conter l’histoire de vos amours,
c’est là que ie vay faire enuier les douceurs de vostre vie, c’est vn païs d’où la
courtoisie mesme est originaire; on y prendra plaisir de vous cognoistre, on
vous y aymera, on vous y desirera, on me chargera mesme de reuenir deuers
vous pour apprendre la fin, ou plustost la continuation de vos auentures (…)
(Videl, 1624: 1014-1015).
53
Magendie conclut, à juste titre, le chapitre consacré aux romans pastoraux qui
réécrivent L’Astrée en affirmant qu’: « Ainsi, sous ses deux formes possibles, le ro-
man pastoral était en désaccord avec les goûts du temps. Poli et traditionnel, il cho-
quait la vraisemblance; réel et véritable, même expurgé des grossièretés où s’attardait
Sorel, il prétendait attacher l’attention à des bassesses, à des mesquineries indignes
d’un courtisan. Il n’avait qu’à disparaître, comme, pendant la même période, disparut
la pastorale. » (Magendie, 1932: 168).
Conclusion
cela ne signifie pas seulement écrire une histoire parallèle des réécritu-
res françaises des textes italiens ou du texte anglais mais cela impli-
que, sans aucun doute, considérer le texte littéraire dans sa mobilité
intrinsèque, intégrée dans sa structure même et dans les réécritures
autres qu’il rend viables à travers la réécriture de soi.
Plus concrètement, cela implique croiser des problèmes généraux
du littéraire avec des foyers culturels (ou multiculturels) qui investis-
sent dans la contiguïté d’identités. Cela implique, finalement, envisa-
ger un système de valeurs esthétiques et éthiques de la littérature dans
son ensemble. Cette lecture autre mènera inévitablement à une pers-
pective, à la fois plus générale et plus profonde, sur l’essence du genre
pastoral, sur sa spécificité assumée dans la différence et dans des ca-
dres littéraires différents et sur les perceptions et les transgressions de
la (ré)écriture pastorale. Dans la littérature française et dans sa
confrontation avec les littératures ibérique, italienne et anglaise, ces
transgressions se déploient dans des formes génériques analogues ou
dans des dérivations modales tout à fait expressives (Rousseau, Ber-
nardin de Saint-Pierre ou Valéry, lecteurs d’Urfé; et lecteurs de Mon-
temayor, de Sannazar, du Tasse, de Guarini, de Guidubaldo Boranelli
ou de Sidney). Ainsi, « la littérature est l’épreuve de la traduction »
(Meschonnic, 1999: 82) et l’étude proposée une hypothèse d’écrire
l’histoire de l’histoire de la légitimation du genre pastoral dans la litté-
rature française et, peut-être, dans la littérature européenne.
Bibliographie
CORPUS
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l’imitation des italiens. / A tres-illustre & vertueux Prince, Monseigneur / François de Bour-
bon, Prince de Conty. / De l’inuention d’Ollenix du Mont-Sacré, Anagrame / Gentil-homme
du Maine / Nicolas de Montreux / A Paris / Chez Gilles Beys, ruë S. Iacques, au Lis blanc. /
M. D. LXXXV / Auec Priuilege du Roy.
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les di- / uers effects d’Amour, Auec plusieurs Discours / moraux, non moins profitables que
plaisans, diuerses Poësies, tant Sonnets, Echoz, Enigmes, / Chansons, Elegies & Stances.
Auec cinq Hi- / stoires Comiques, discouruës en cinq iournees, par cinq Pasteurs. / Ensem-
366 Infiltrations d’images
ble, les œuvres Poëtiques de la / docte Bergere Iulliette. / De l’inuention d’Ollenix du Mont-
/ Sacré Gentilhomme du Maine / Troisieme Edition reueuë & corrigee / par l’Autheur. / A
tres-illustre & vertueux Seigneur, Monsei- / gneur le Duc d’Espernon / A Tours / Chez Ia-
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sont / traictez les diuers effects d’Amour. / Auec pareils enrichissements / de Poësies & Dis-
cours. / Ensemble la Diane, Pastourelle ou / Fable Boscagere. / De l’inuention d’Ollenix du
Mont- / sacré Gentil-homme du Maine / A Tours, / Chez Iamet Mettayer, Imprimeur / ordi-
naire du Roy / M. D. XCIIII / Auec Priuilege du Roy.
PAVILLON. 1603. Los / Siete Libros / de La / Diana de / George De Mon- / te-mayor. / Où sous
le nom de bergers & bergeres sont cõ- / pris les amours des plus signalez d’Espagne. / Tra-
duits d’Espagnol en François & conferez és / deux langues, par S. G. Pavillon. / A Paris, /
Chez Anthoine du Brveil, sur les / degrez de la grand’salle du Palais. / M. DC. III. / Auec
priuilege du Roy.
PAVILLON. 1603 a. Los / siete libros / de la / Diana de / George de Mon / temayor / Où sous le
nom de Bergers & Bergeres sont cõ / pris les amours des plus signalez d’Espagne / Tra-
duicts d’Espagnol en François, & conferez és / deux langues par S. G. Pavillon / A Paris /
Chez Anthoine du Brveil, sur les / degrez de la grand’salle du Palais. / M. DC. III. / Auec
priuilege du Roy.
PAVILLON. 1613. Los / siete Libros / de la / Diana de / George de Mon- / temajor / Où sous le
nom de Bergers & Bergeres sont com- / pris les amours des plus signalez d’Espagne. / Tra-
duicts d’Espagnol en François, & conferez / és deux langues P. S. G. P. [Pavillon]/ A Paris /
De l’Imprimerie d’Anthoine du Brveil, rüe / S. Iacques au dessus de S. Benoist, / à la Cou-
ronne. / M. DC. XIII / Auec priuilege du Roy.
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mayor, Com- / puestos por Alonso Perez medico Saman- / tino. Dirigidos al muy illustre
señor / don Berenguer de Castro, y Cer- / uellon, Baron de la Laguna, / señor dels casa de
Castro, / Bizconde de Illa. / Van al cabo dos glosas del autor. La vna del soneto / que dize.
Hero de vn’alta torre lo miraua. &c. La / otra del que dize. Pues tuue coraçõ para partirme. /
Impresso en Valencia, en casa de Ioan / Mey. M.D.L.XIIII.
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moires de Dom / Gomes de Vasconcellos de / Figueiredo. / A Paris au Palais, / Chez Jean
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ABLANCOURT, P. de: 62-64, 68-71, 76, BASSNETT, S.: 18, 21n, 24n, 25n, 26n,
77, 86, 91, 169, 179, 221, 227
120, 202, 311
ADAM, A.: 110n BATTEUX, Ch.: 80
ALAIGRE, A.: 39n BAUDOIN, J.: 65n, 151n, 153
ALEMÁN, M.: 108n BEAUZÉE, N.: 79, 95
ALONSO CORTÉS, N.: 144n, 146n BELLANGER. J.: 41n
ALONSO PÉREZ: 7, 8, 21,48,53, 92, 102, BELLEFOREST, F.: 19, 39n, 55, 129,
107, 108, 123, 124, 126, 142, 151, 154, 130, 131, 359
157, 161, 164, 174, 176, 182, 186, 188,
190, 195, 197, 203, 208, 211, 219, 221, BELTRÁN, R.: 105n
225, 230, 233-235, 238, 242, 243, 245, BEMBO, P.: 39n
247, 250n, 298, 317, 318, 334, 342, 356,
359 BENJAMIN, W.: 24, 27, 28n, 114, 130,
AMYOT: 41n, 62-63, 91, 104, 136 134, 150, 223
ANACLETO, M. T.: 26n, 47n,49, 52n, BERTAUD, M.: 126n, 197n, 326n
100, 106, 107n, 118n, 126n, 127, 128n, BERTAUT, R.: 39n
139n, 143n, 146, 317, 318n, 323n, 335n
BERTRANET: 46, 47, 52, 54, 56-61, 93,
ANGEL VEGA, M.: 44n 100, 102, 107, 109, 110, 112-114, 117,
APOLLON: 67, 186, 230, 243 118, 120, 122, 123, 126, 128-135, 137,
138, 141, 144, 146, 147-149, 151, 164,
APOSTOLIDÈS, J.-M.: 247 170, 241, 287, 309, 311, 316, 323, 330,
ARIOSTE: 39n, 82, 108n, 277n 341, 357, 359
ARISTOTE: 73 BESSIÈRE, J.: 16, 17, 33, 34, 289n, 299,
309
ARLAND, M.: 314
BEUGNOT, B.: 13n, 37, 64n, 69, 70,
ARNOULD, L.: 283n
121n, 122, 201
AULNOY d’: 228, 247, 248
BLIGNIÈRES, A.: 41n, 62
AVALLE-ARCE, J. B.: 112n, 126n, 128n
BOCCACE: 39n, 108n
BOILEAU: 251, 333n
BAILLET: 66-68
BOISROBERT: 156n
BALLARD, M.: 24n, 25n, 41, 53, 63, 69n
BORANELLI, G.: 277, 278, 360, 361
BALZAC, G. de: 129n, 243
BOUHOURS: 152, 208
BANDELLO: 39n, 333n
BOURDIEU, P.: 24, 225, 312n
BARBILLON, C.: 276n
BRACH, P. de: 277
BARO, B.: 67, 179, 298, 306, 312, 320,
BRAUDEL, F.: 106n
322n, 324n, 327, 328n, 332, 344, 345,
348, 349 BRAY, R.: 140n, 243
BARRENTO, J.: 22 BRISSET, R.: 39n, 277
BARTHES, R.: 30n BRUNETIÈRE, F.: 106n, 225, 313, 314n
388 Infiltrations d’images
BURY, E.: 143, 145, 201n, 202n, 324, COOPER, H.: 110n
324n CORNILLIAT, F.: 38, 115n
CORROSET, G.: 110n
CAILLÈRES: 238n
COULET, H.: 131n, 269, 313, 326, 335,
CAMOENS: 251 336n
CAMUS, J.-P.: 187, 342, 350 COURCELLES, D. de: 41n
CARY, E.: 41n COURTIN, A. de: 202n
CASA, G. della: 145 COUSTEL, P.: 202n
CASTELNAU, H.-J. de: 247n CRÉBILLON: 84
CASTIGLIONE: 39n, 107, 108n, 145, 211 CRONIN, M.: 7, 17
CASTRO, A. P. de: 111n CROS, E.: 135
CAVE, T.: 99 CULL, J. T.: 126n
CAZENAVE, J.: 111n, 171n, 172n
CERVANTÈS: 7, 9, 15, 19, 21, 23, 24, 27, DACIER: 78
32, 34, 65n, 82, 83, 87, 91, 92, 94, 106, DALLA VALLE, D.: 276n, 277, 280
107, 115, 152, 224, 225, 250, 252-254,
257-262, 264-268, 276n, 333n, 356, 359 DALLAS, D. F.: 238n
CHANTALAT, C.: 202n DAMIANI, B.: 107, 162n, 197n
CHAPELAIN: 63, 65n, 152, 193, 276n, DANTE: 81n, 82
342 DAUVOIS, N.: 121n, 131
CHAPPUYS: 39n, 46, 48, 49, 51-53, 56- DE CASTÉDRA, D.: 83
67, 100, 102, 104, 107-109, 112-114, 116-
118, 120-123, 126, 128, 130-138,139n, DE LA GENESTE, S.: 65n
141, 144-149, 151, 164, 170, 241, 273, DE LA HOUSSAYE, A.: 66
287, 309, 311, 315, 330, 341, 357, 359
DE LA PLACE, P. A.: 82
CHARLES, M.: 30, 105
DÉDÉYAN, Ch.: 152
CHARTIER, R.: 145n
DEFOE: 251
CHAVY, P.: 38n, 49n, 108n, 109n, 111n,
139n, 147 DEJEAN, J.: 249n
CHEVALIER, M.: 56, 111n, 116, 144n DENIS, D.: 7, 174n, 201n, 202n, 324,
333n
CIORANESCU, A.: 108n, 109n, 112n,
166n, 172n, 227, 252, 276, 288n, 313 DENS, J.-P.: 206, 207
CLOQUEMIN, L.: 93 DERRIDA, J.: 17, 19, 27, 28n, 101, 130,
150, 223
CODY, R.: 112n, 255n
DESPÉRIERS, B.: 140n
COGEZ, G.: 31
DEYERMOND, A. D.: 126n
COLIN: 26n, 33, 39n, 46-53, 56, 58-60,
100, 102, 107, 108, 109n, 110, 112-114, DIDEROT: 78, 82
116-118, 120, 123, 126, 128, 130-138, DOLET, E.: 44, 103, 140n
139n, 141, 143-149, 151, 157, 164, 170,
DOTOLI, G.: 154
224, 241, 273, 287, 309, 311, 315, 320,
330, 339, 341, 356, 357, 359 DU BELLAY, J.: 44n, 45, 50, 52, 99
COLONNA, F.: 39 DU BRAY T.: 129, 283n
COMPAGNON, A.: 17, 37, 149, 155
Index des Noms 389
DU BROQUART: 7, 19, 23, 25, 28, 29, GAUME, M.: 130n, 326, 329n, 332n
30, 32, 151, 176, 184, 312, 335, 336, 341- GÉDOYEN, N.: 80
343, 345-348, 350, 352, 360
GENETTE, G.: 47, 182, 319, 322
DU MANS, P.: 50
GENOT, G.: 137
DU PLAISIR: 231
GENOUY, H.: 110n
DU RYER: 278
GENTZLER, E.: 34n, 101n
DU VERDIER: 9, 19, 23, 27, 32, 104,
109n, 274, 288-299, 304, 307, 309, 335n, GERHARDT, M.: 110, 112n, 146n
336, 360 GEVREY, F.: 238
DUBOIS, J.: 166, 181 GIAVARINI, L.: 277n
DURAND, P: 166, 181 GIL POLO, G.: 8, 21, 49, 51, 87, 92, 102,
107, 108, 124, 142, 146, 151, 154, 162-
164, 171, 173, 177-179, 181, 182, 189,
EAGLETON, T.: 273
190, 191, 198, 201, 203, 206, 208-211,
ECO, U.: 32, 194n 214, 215, 217-219, 221, 225, 233-235,
EL SAFFAR, R.: 144 238, 243, 247, 250, 256, 257, 261, 265,
268, 298, 317, 318, 334, 342, 356, 359,
ESSARTS, H. des: 39, 41-43, 68 361
ESTÊVE, P.: 261n GIRAUD: 277
ETTIN, A: 112n GODARD de DONVILLE, L.: 195
GOMBAULD: 67, 162
FARET, N.: 202n, 206 GOMBERVILLE: 7, 19, 23, 25, 28, 29,
FIELDING: 251 30, 32, 151, 159n, 162, 172n, 176, 184,
312, 333n, 335-339, 341, 343, 347, 350,
FIGUEROA, C.: 7, 8, 15, 17n, 19-21, 23, 352, 360
24, 27, 32, 34, 47, 48, 50, 57, 59, 101,
106n, 112, 113, 115, 117-119, 124-127, GONZALO SANTOS, T.: 314
141, 142, 144, 147, 148, 356, 359 GOULEMOT, J.M.: 250
FITCH, B.: 28n GOURNAY, M. de: 325
FLOECK, W.: 116n GRACIÁN: 65n, 82
FLORES, J. de: 106 GRANADA, Fr. L. de: 108n
FLORIAN: 34, 69, 79, 81, 83, 84, 86n,87, GRANDMONT: 99, 103, 134
91, 93-95, 131, 172n, 224, 250, 251, 252,
GREENWOOD, P. F.-C.: 128n
254n, 255, 257-265, 267, 268, 356, 357,
359 GRENAILLE: 202n
FOUCAULT, M.: 13, 29, 37, 38, 221 GRUGET, C.: 42n
FRANCE, P.: 241 GUARINI: 39n, 110n, 254, 277, 278, 284,
FUMAROLI, M.: 208n, 211, 218, 222, 285, 260, 361
328 GUAZZO, S.: 145
FURET, F.: 251 GUELLOUZ, S.: 62, 156
GUÉRET: 66-68, 239n
GADDIS ROSE, M.: 154 GUEVARA: 39n, 65n, 106, 112
GARCÍA ABAD, A.: 132n GUICHEMERRE, R.: 278n
GASCONCELLES, G. G.: 238n GUILLÉN, C.: 8, 115, 224, 276n, 334
390 Infiltrations d’images
GUILLERM, L.: 38n, 39, 41, 42, 133, 153 LA CALPRENÈDE: 172n, 333n
LA FAYETTE: 172n, 227, 238n, 242,
HARDY, A.: 276n, 282-284 296, 305, 326, 353
LA HAYE: 19, 25, 30, 32, 184, 312, 335,
HARDY, S.: 65n
336, 343, 347, 348, 350, 351n, 352, 360
HARTH, E.: 325n
LA MESNARDIÈRE: 342
HEBREU, L.: 107, 110, 214
LACLOS: 264
HÉLIODORE: 41, 42
LAMBERT, J.: 14n, 135, 158
HENEIN, E.: 192, 312, 316n, 319, 321n,
LANCELOT, N.: 47, 48, 50-52, 54, 57-
324, 328n, 332n
60, 63, 64, 66, 68, 71, 73-76, 100, 112-
HENINGER Jr., S. K.: 110n, 126n 115, 117-120, 123, 125-128, 131-135,
HEPP, N.: 202n, 229 137, 138, 141, 143, 144, 147-155, 157-
160, 162, 166-168, 171, 172, 175, 180,
HERMAN, J.: 81n, 82 187-189, 191, 193-196, 200-203, 205,
HERMANS, T.: 26, 63n 208, 213, 214, 218, 219, 220, 221, 311,
357, 359
HÉROËT, A.: 140n
LANSIRE: 7, 9, 19, 32, 274, 287n, 288,
HIPP, M.-T.: 201n, 231, 258 289, 298, 299, 304, 305n, 306-309, 336,
HITA, G. P.: 111n 360
HUARTE: 106 LANSON, G.: 106n, 153n
HUET: 167, 179, 203 LARBAUD, V.: 64n, 96
HULST, L. d’: 78, 79n, 95 LARWILL, P. H.: 38n, 47, 134
HUPAY d’: 256 LATHUILLÈRE, R.: 142n, 203
LAVARDIN, J. de: 39n
IBSCH, E.: 259 LAVOCAT, F.: 15n, 106n, 110n, 130,
175, 225n, 231n, 261n, 299n, 320n, 336n
ILIE, P. M.: 126n
LAZARD, M.: 277n
ISER, W.: 111n, 112n, 191
LE MAÇON, A.: 39n
LE TOURNEUR, P.: 82
JAUCOURT: 251, 333
LEFEVERE, A.: 7, 17, 18, 21, 24n, 25n,
JAUSS, H. R.: 33
26n, 100n, 102n, 103n, 160, 257n, 273
JEHENSON, Y.: 321
LÉON, P. de: 152
JENSEN, K. A.: 230
LEROY, J.-P.: 105n
JOHNSON, C. B.: 126n
LEVARDIN, J. de: 124n
JONES, J. R.: 128n, 144n
LEVER, M.: 110n, 122, 130n, 132, 154,
KAPP, V.: 333n 176n, 336n, 341
KEIGHTLEY, R. J.: 128n, 146n LISLE, L. de: 81n
KIRSOP, W.: 152 LOBO, F. R.: 332
KOCH, P.: 312, 321 LONGUS: 41, 42
KRULLS-HEPERMANN, C.: 60, 144n LOPE DE VEGA: 7, 8, 15, 19, 21, 23, 24,
KUSHNER, E.: 38n, 147 27, 32, 34, 62, 63, 65n, 66, 70, 71, 82,
106n, 149, 150n, 154, 155, 159, 160, 167,
168, 180, 188, 191, 193, 195, 196, 203,
Index des Noms 391
208, 211, 216, 219, 221, 276, 342, 356, MONTAUBAN, P. de: 9, 19, 23, 28, 32,
359 274-276, 278-287, 309, 336, 360
LÓPEZ ESTRADA, F.: 106, 111, 144n, MONTREUX, N. de: 19, 55, 129-133,
146n 138, 157, 158, 162, 167, 180, 193, 216,
LOTMAN, I.: 17 359
Avant-Propos ......................................................................................... 9