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Boucé Paul-Gabriel. La sexualité au XVIIIe siècle : tolérances et intolérances.. In: Tolérance et intolérances dans le monde
anglo-américain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Actes du Colloque - Société d'études anglo-américaines des 17e et 18e siècles,
1979. pp. 113-130;
doi : https://doi.org/10.3406/xvii.1979.2161
https://www.persee.fr/doc/xvii_0294-1953_1979_act_9_1_2161
TOLERANCES ET INTOLERANCES
tentative d'exploration - hélas rapide - d'un domaine encore trop peu connu
des anglicistes qui se cantonnent volontiers dans une littérature artificiellement
composée de grandes œuvres et tout aussi artificiellement coupée, la plupart
du temps, de son substrat socio-historique complexe, aux ramifications pro-
téennes. Le meilleur exemple de ce type de recherche aussi courageuse que
fructueuse pour la connaissance en profondeur des XVI le et XVI Ile siècles
en Grande-Bretagne reste pour l'instant, le très remarquable ouvrage de
Lawrence Stone, The Family, Sex and Marriage in England 1500-1800 (1977),
(2) auquel il convient d'ajouter les essais de sociologie historique contenus
dans Family Life and Illicit Love in Earlier Generations (1977) de Peter Laslett.
Dans son vaste panorama - où l'ampleur du survol nuit parfois à la précision
des détails - Stone conclut son étude sur le XVI Ile siècle par ces mots : «For
those who did not share the religious convictions of this respectable,
Godfearing middle-ranks (ce qui est déjà une restriction de taille !) the eighteenth
century was a period of extraordinary tolerance» (p. 648), jugement qu'il
éprouve le besoin immédiat de nuancer en ajoutant «Sexual permissiveness
carried a high price tag for both men and women in a pre-contraceptive, pre-
antibiotic, pre-divorce society» (ibib.).
S'il y a bien eu, comme l'avance Michel Foucault, au cours des trois
derniers siècles en Europe «une véritable explosion discursive» ou encore «une
fermentation discursive qui s'est accélérée depuis le XVI Ile siècle» (4), aucun
sujet n'a été exploité - et n'a exploité les angoisses physiques, morales et
métaphysiques de nos ancêtres - comme le discours médical - ou para/pseudo
médical - sur l'auto-érotisme masculin ou féminin. Il serait faux de croire -- à
l'instar de Stone et surtout de Foucault - que c'est au XIXe siècle victorien
que revient la palme de l'angoisse répressive sécrétée par un discours religieux
et médical particulièrement intolérant. Le XVI Ile siècle a été tout autant, sinon
plus, hanté par le spectre hideux de la masturbation et de ses séquelles physiques
et psychologiques effroyables. En ce domaine, il est indéniable que l'intolérance
sexuelle fut totale, triomphale et agressive, pour ne pas dire répressive.
did my mother conceive me». Le mariage pour Saint Paul n'est qu'un pis-aller,
ce qu'il exprime avec sa brutalité habituelle dans l'épiïre I aux Corinthiens,
(7:9) : «But if they cannot contain, let them marry : for it is better to marry
than to burn». Quant à l'incontinence masturbatoire, elle apparaît - avec quelque
ambiguïté, il est vrai, car il peut s'agir aussi du «coitus interruptus» - dans la
Genèse (38:9) comme le péché d'Onan, qui refusant d'avoir des enfants avec
Tamar, la veuve de son frère amé Er, «se souillait pour ne pas donner de
postérité à son frère». («He spilled it ( his seed) on the ground, lest that he should
give seed to his brother»).
la dédicace au Or. Mead et plusieurs vies de médecins antiques, ainsi que celle de
Boerhave) (10), ne sont la plupart du temps que le reflet fidèle des opinions
médicales contemporaines.
amusée, sans doute parce que de telles pratiques, exigeant une solide fortune
pour la réalisation de l'objet erotique, ne pouvaient guère être répandues.
*
* *
Il serait inutile ici d'accumuler les références glanées dans les œuvres
erotiques et pornographiques : même dans cette sous-littérature le rejet et
l'intolérance sont complets. Armstrong dans The Oeconomy of Love (1736)
condamne ce vice étranger et «the Paths of monstrous Joy» (vers 609). Samuel Cock
dans son Voyage to Lethe (1741) fustige «the Sodomanians, a very infamous
people, of a mean sallow Complexion, and with an odious Squeak in their
Voices...» (p. 36). Mieux - ou pire - les auteurs anonymes d'un recueil d'histoires
salaces ou erotiques, A New Atalantis (Londres, 2ème éd., 1758) assument sans
vergogne - on ose à peine dire «tongue in cheek» ! - une attitude moralisante
et vertueuse dans leur préface : «As men of morality, we have for a long time
been highly displeased at the illicit pursuit of pleasures a posteriori ; which are
not only unnatural, but also inconsequential. While from those a priori, the
only genuine source of pleasures, all laudable effects are derived, for the support
and ornament of society» (p. 11). Il s'agit donc pour eux défaire œuvre pie, ou
presque, en initiant la jeunesse «in the right path» (p. III). On connaît au XXe
siècle l'influence des pannes d'électricité géantes sur la natalité, il faudrait
peut-être songer à combattre la dénatalité par la distribution officielle de sous-
littérature erotique. Tolérance et intolérance forment ici un bien curieux couple
- au sens où la physique emploie ce terme - mais il est certain que dans bien des
productions de second rang ou dans des pamphlets aussi virulents
qu'apocalyptiques affleure toujours cette autre angoisse profonde du XVI Ile siècle - qui
permet d'expliquer, sinon d'excuser certaines intolérances - : la hantise de la
dépopulation. Les homosexuels et les lesbiennes dans ce contexte font figure
d'une sorte d'insidieuse «cinquième colonne», manœuvrée de l'étranger (la
France, bien sûr), et occupée à saper les œuvres vives de la nation anglaise.
Les pédérastes - les «mollies» - apparaissent donc, aux yeux de leurs
contemporains, non seulement comme de ridicules créatures efféminées et méprisables,
mais aussi comme de dangereux traîtres sexuels en puissance.
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3) Tobias Smollett, Roderick Random (1748, éd. P. G. Boucé, O.U.P., 1979), p. 430.
4) Michel Foucault, op. cit., no 1 , citations p. 25 et p. 26.
5) Voir à ce sujet Robert H. MacDonald «The Frightful Consequences of Onanism :
Notes on the History of a Delusion», Journal of the History of Ideas, XXVIII,
July-Sept., 1967, no 3, pp. 423-31 .
6) Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), éd. Anguis, Clogenson et al. (Paris,
1826), tome 58, p. 195. En fait cet article «Onan» ne parut qu'en 1774 dans
l'édition in 4o des Questions sur l'Encyclopédie, mais Voltaire dés 1 770 y faisait un
renvoi dans l'article du Dictionnaire Philosophique «Amour Socratique».
7) Lawrence Stone, The Family, Sex and Marriage in England 1500-1800 (London :
Weidenfeld and Nicolson, 1977), p. 514.
16) Voir Eric Partridge, Shakespeare's Bawdy (London : Routledge et K. Paul, 1969),
p. 187, s.v. «spend».
1 7) Voir The Journal of Social History, Fall 1 977, pp. 1 -33.
18) Op. cit., supra, p. 19.
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19) Voir à ce sujet le livre - violemment anti-religieux, mais parfois éclairant - de G.L.
Simons, Sex and Superstition (London, 1973), chap. IV, «Judeo-Christian
Superstition», pp. 89-129.
20) Sir d'Arcy Power, The Foundations of Medical History (Baltimore, 1931),
Lecture IV «Aristotle's Masterpiece», pp. 147-178. Citations p. 147. Sur le même sujet,
voir O. T. Beall, «Aristotle's Masterpiece in America : A Landmark in the
Folklore of Medicine», The Williams and Mary Quarterly, XX, no 2, April 1963,
pp. 207-22 ; Janet Blackman, «Popular Theories of Generation : The Evolution of
Aristotle's Works, The Study of an Anachronism», in Health Care and Popular
Medicine in Nineteenth Century England, eds. J. Woodward et D. Richards
(London, 1977), pp. 56-88.
23) Dr. Robert James, A Medicinal Dictionary (London, 1743-45), articles «Venus» et
«Ver».