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Aux grandes « marches du retour » d’avril et mai,


qui ont causé la mort d’au moins 140 Palestiniens
Une nouvelle guerre à Gaza peut-elle être
désarmés abattus par des snipers israéliens, a succédé
évitée? la « campagne des cerfs-volants », durant laquelle,
PAR THOMAS CANTALOUBE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 26 JUILLET 2018 depuis des semaines, des Gazaouis enflamment des
engins artisanaux qui, portés par les vents, s’en vont
incendier des champs et parfois quelques habitations
israéliennes.
En termes de conflit militaire, on fait difficilement
moins létal : quelque 3 000 hectares de terres
agricoles parties en fumée, une chute du nombre
de touristes, aucune victime israélienne. Néanmoins,
Des Gazaouis se préparent à lancer un cerf-volant enflammé en direction d'Israël © Reuters ces actions irritent au plus haut point l’opinion
Même si Israël et le Hamas n'ont aucun intérêt à publique israélienne qui ne cesse d’exiger leur arrêt, si
un nouvel embrasement, la catastrophe humanitaire nécessaire par les armes, et placent le gouvernement
à Gaza, l'irritation des Israéliens face à la campagne des faucons de Benjamin Netanyahou, en particulier le
des cerfs-volants enflammés et l'immobilisme de ministre de la défense Avigdor Liberman, en position
l'Autorité palestinienne poussent vers un conflit. de faiblesse.
Nul n’a intérêt à une nouvelle guerre à Gaza, mais
cela ne veut pas dire qu’elle n’aura pas lieu. Tel
est le paradoxe qui régit en ce moment les relations
entre le gouvernement israélien et le Hamas qui
contrôle la bande de Gaza. Après trois guerres en
dix ans (2008, 2012, 2014), la situation est telle
qu’une quatrième semble inéluctable aux yeux de
la plupart des observateurs – analystes, diplomates, Des Gazaouis se préparent à lancer un cerf-volant enflammé en direction d'Israël © Reuters

humanitaires. Elle a failli être déclenchée la semaine « L’armée israélienne n’a pas envie de faire la guerre
dernière lorsque l’aviation israélienne a bombardé, le pour quelques hectares de champs brûlés », raconte un
20 juillet 2018, des installations du Hamas à la suite de diplomate européen en poste à Tel-Aviv, qui rappelle
l’assassinat d’un soldat israélien. Mais l’escalade s’est que le conflit de 2014 avait abouti à la mort de plus de
arrêtée aussitôt, soulignant combien les deux parties 2 000 Palestiniens et 72 Israéliens. « Mais le pouvoir
sont réticentes à se lancer dans une confrontation. politique est sous la pression de ses citoyens. Après
Pour autant, rien n’est réglé et le baril de poudre reste avoir surréagi durant les “marches du retour”, il
dangereusement proche des allumettes. Car le fond est aujourd’hui accusé de ne rien faire. Son absence
du problème demeure inchangé. Les habitants de la de toute stratégie pour gérer la crise de Gaza n’en
bande de Gaza n’en peuvent plus du siège qui leur est apparaît que plus évidente. »
imposé ; les Israéliens, confortés par le gouvernement Le Hamas l’a bien compris, lui qui se débat depuis
Trump, demeurent intransigeants et traitent tous les onze ans avec la gestion de ce territoire de deux
problèmes par la force ; les responsables palestiniens millions d’habitants grand comme trois fois Paris,
en Cisjordanie et à Gaza continuent de refuser de qui souffre du chômage (aux alentours de 50 %),
travailler ensemble. de la malnutrition (80 % des gens dépendent de
l’aide humanitaire), de la pollution et d’un nombre
considérable de privations, dont celle de circuler

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librement en dehors de l’enclave. Alors que la situation pour des raisons politiques (aucune volonté du Fatah
est déjà catastrophique, le gouvernement israélien a de tendre la main au Hamas), économiques (il n’y
pris de nouvelles mesures punitives, en fermant de a pas assez d’argent dans les caisses pour payer
nouveau les points de passage (autorisant seulement la pléthore de fonctionnaires gazaouis), mais aussi
l’acheminement d’une aide humanitaire restreinte), et stratégiques. Considérant les conditions maximalistes
en limitant la zone de pêche à trois kilomètres des mises par Tel-Aviv à tout assouplissement du blocus,
côtes. la gouvernance de Gaza s’apparente à une mission-
« Le gouvernement israélien a proposé que si le suicide.
Hamas faisait cesser les cerfs-volants enflammés et À cette situation déjà passablement tragique et
les marches vers le mur, alors la situation pourrait tendue est venu se greffer récemment le fameux
revenir à celle qui prévalait il y a six mois », explique “plan de paix” promis par le gendre de Donald
Nathan Thrall, de l’International Crisis Group et Trump, Jared Kushner. Si l’on en croit TheNew
auteur d’une étude récente : « Comment éviter la York Times, Kushner et son comparse sur le dossier,
guerre à Gaza ». « Le problème, c’est que le Hamas Jason Greenblatt, frustrés par le refus de l’Autorité
n’a aucune envie de revenir à la situation d’il y a six palestinienne de négocier avec eux dans la foulée de la
mois, ni même à celle d’il y a deux ou cinq ans ! » reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël,
Depuis la guerre de 2014, le Hamas a en effet compris ont entrepris de se tourner vers la problématique de
que, même si les conflagrations rehaussaient son Gaza.
prestige, elles ne contribuaient nullement à régler Dans les différentes fuites rapportées par les médias à
les problèmes de la population. Bien au contraire. propos de ce projet qui devrait, en théorie, être dévoilé
C’est la raison pour laquelle, à l’automne dernier, le d’ici à la fin août 2018, Gaza est traitée comme une
mouvement islamique a entrepris de se rapprocher entité séparée du reste de la Cisjordanie. Elle pourrait
du Fatah, qui gère les territoires de Cisjordanie, bénéficier d’investissements considérables (payés par
à travers l’Autorité palestinienne (AP), depuis les les pays du Golfe) visant à créer une zone franche
accords d’Oslo. industrielle dans le Sinaï et un port commercial sur une
L’idée était de mettre fin à la guerre fratricide entre les île artificielle ou à Chypre.
deux principaux acteurs de la résistance palestinienne, Cette récente agitation américaine autour de Gaza vise
mais surtout de faire repasser la gestion de la bande deux choses : faire baisser la tension dans l’enclave
de Gaza sous la houlette de l’Autorité. Au passage, afin d’échapper à la catastrophe annoncée en offrant
cela permettait au Hamas, qui s’est construit dans une perspective économique aux Gazaouis, mais aussi
l’opposition au rôle joué par l’AP à Ramallah (pour détacher Gaza du reste de la Palestine, ce qui satisferait
aller vite, celui d’un supplétif des politiques de Israël pour de nombreuses raisons (notamment celle
contrôle israéliennes), d’éviter toute compromission. de la démographie : sans la bande côtière, il n’y a
Ce transfert de responsabilité correspondait également plus que 5 millions de Palestiniens face à 7 millions
à la volonté de tous les acteurs extérieurs (Israël, d’Israéliens).
Égypte, Union européenne, États-Unis…) qui sont Même en supposant que ce tour de bonneteau
disposés à discuter avec l’AP mais pas avec le Hamas. américain reçoive l’approbation des autres pays
Malheureusement, neuf mois plus tard, cette énième arabes, ce qui n’est pas encore acquis, aucune des
tentative de réconciliation reste au point mort. Même ces propositions ne verra le jour avant des années.
si un certain nombre de détails n’ont pas été résolus Ce qui ne règle donc pas les tensions immédiates.
(notamment le désarmement du Hamas), le cœur du « La situation à Gaza est intenable, il faut qu’elle
problème est que l’Autorité palestinienne n’a aucune explose d’une manière ou d’une autre », commentait
envie de récupérer la charge de Gaza. À la fois récemment l’historien palestinien Ghassan Khatib.

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Chaque camp marche en effet au bord du conflit. Les d’apartheid (cf. la nouvelle loi fondamentale qui
habitants de Gaza, qui n’en peuvent plus de vivre privilégie la judéité sur la démocratie). Une guerre de
dans un camp de concentration, semblent prêts à se plus ou de moins ne ferait que prolonger la spirale
sacrifier pour briser le statu quo mortifère, comme infernale dans laquelle Israël s’est engagé depuis vingt
l’ont montré les marches vers le mur. Qu’ils soient ans pour asseoir sa domination.
ou non instrumentalisés par le Hamas, ils n’ont guère À moins d’un changement de cap improbable de la part
de raison d’interrompre le conflit asymétrique qu’ils des différentes parties, en premier lieu des Israéliens
remportent, en termes d’images et d’impact (des cerfs- qui sont les principaux maîtres du jeu, la vraie question
volants en flamme et des manifestations pacifiques n’est pas de savoir s’il y aura une quatrième guerre de
contre des balles et des missiles). Gaza, mais quand elle aura lieu.
Du côté israélien, une large partie de la population
soutient le gouvernement de Netanyahou, son
usage disproportionné de la force et ses politiques

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