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Chapitre 2

RELIGION, DIEUX ET MYTHES


Franck Perrin

Évoquant la religion romaine ou les cultes grecs, C’est Claude, prince natif de Lyon (43-54 après J.-C.),
tous nous connaissons les principales divinités qui fit définitivement sombrer dans l’oubli les dieux
classiques. Du foudroyant Jupiter à Artémis, éternelle et déesses des provinces gauloises. La conquête de la
vierge chasseresse, les divinités du panthéon gréco- Bretagne insulaire, patrie, selon César, du druidisme,
romain nous sont familières comme le sont nombre paracheva ce phénomène en repoussant les Druides
de leurs mythes et légendes. Rien de tel pour les en direction du Pays de Galles, puis sans doute de
dieux gaulois depuis longtemps oubliés et que seul l’Irlande, avec comme conséquence insoupçonnée le
le succès mondial des Aventures d’Astérix permet maintien hors de l’Empire d’un fonds mythologique
tout au plus de nommer ; par Toutatis ! mais que celtique que le monachisme médiéval consignera
savons-nous réellement aujourd’hui de ces divinités tardivement. Si de rares figurations des anciens dieux
et de leurs mythes ? indigènes subsistèrent – Esus, le « dieu bon » ou
Cernunnos, très ancien dieu-cerf –, les divinités de
Rome allaient s’imposer dans les cités des provinces
Quand Rome s’en mêle… de l’Empire. Rome, généralement plutôt tolérante à
l’égard des religions des peuples vaincus, se montra
César, nul ne l’ignore, a soumis les Gaulois ; en donc particulièrement sévère à l’encontre de ceux Stèle en granite de Kermaria
laissant livrer au pillage les sanctuaires des populations qui contrôlaient les cultes gaulois. (Pont-l’Abbé, Finistère). Musée
qui s’étaient dressées contre son ambition, il L’empereur Claude leur préféra le culte de d’Archéologie Nationale de
commit ce qui passait aux yeux des Celtes pour le divinités orientales, instituant, semble-t-il, trois Saint-Germain-en-Laye. Datation
pire des sacrilèges. Insensible à la puissance des jours de fêtes en l’honneur d’Attis, le compagnon : fin du IVe s. av. J.-C.( ?).
divinités ennemies, le futur maître de Rome aurait de Cybèle, une archaïque grande déesse-mère Découverte sur le territoire des
Osismes, peuple mentionné
personnellement porté le fer contre le bois sacré anatolienne. En souvenir de la mort du jeune dieu
pour la première fois par le navi-
d’une divinité gauloise des alentours de Massalia, qui, pris de folie, s’était émasculé au pied d’un
gateur et astronome marseillais
abattant ses ifs centenaires aux souches rougies pin, une confrérie de bûcherons, chaque 22 mars, Pythéas (c. 330 av. J.-C.), cette
du sang sacrificiel dont les troncs furent utilisés coupait rituellement un conifère dans un bois sacré stèle témoigne de l’existence de
en 49 avant J.-C. lors siège de Marseille. Après lui, avant de sacrifier sur sa souche un bélier. Dans un la sculpture chez les Celtes, le
Auguste, puis Tibère condamnèrent ce que le poète simulacre de cortège funèbre, l’arbre était ensuite monolithe de Kermaria pourrait
Lucain appelait « la religion barbare des Druides », transporté dans le temple de Cybèle pour y être avoir eu comme fonction de
interdisant à ces derniers sacrifices humains, exposé couvert de violettes. Deux jours plus tard, marquer l’emplacement sacré du
centre du territoire. La géogaphie
divination et enseignement de leurs doctrines les prêtres-eunuques de la déesse, dans un bruyant
moderne conserve en effet divers
religieuses, hymnes, mythes, rituels. Ce savoir concert de flûtes, de cymbales et de tambourins
noms de lieux (Milan, Miolans,
sacré entièrement oral allait alors progressivement devaient se flageller jusqu’au sang avant que de Méolans...) d’origine gauloise,
s’effacer des mémoires, nous privant à jamais de futurs officiants ne se mutilent à l’exemple de leur tel mediolanum, littéralement
connaissances explicites sur le panthéon gaulois. dieu. L’arbre était enfin rituellement enseveli, et la le « centre sacré » du territoire.

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Fibule de Parsberg (Allemagne). d’Éleusis, ne devait pas ignorer que les prêtres
Fin du Ve s. av. J.-C. Musée de phrygiens de Cybèle portaient – fruit du hasard –
.....
le même nom que les vieux adversaires de Rome,
« Galli », à la fois « Galles » et « Gaulois », savait-il
que le clergé de la Mère des Dieux invitée à Rome
en 204 avant J.-C. pour sauver l’Urbs avait été
constitué…de Gaulois, précisément de Galates,
comme les nommaient les Grecs ? Émigrés en Asie,
ces Celtes étaient venus avec leurs cultes et leurs
dieux à l’exemple d’un certain Cissonius (« celui
qui fait rêver » ?) mentionné par une inscription
l’identifiant à Zeus (mais à Mercure en Gaule…)
ou cet « Arès celte » qu’évoque d’un mot le poète
alexandrin Callimaque. En Phrygie, ces Galates
avaient de plus adopté Cybèle comme divinité
supérieure, certains d’entre eux s’octroyant la charge
de rois-prêtres du sanctuaire de Pessinonte et de son
bétyle, un cube noir, probablement une météorite.
Non sans quelque ironie, il n’est pas impossible
que l’étrange cortège accompagnant Cybèle dans
Rome fût en partie composé de ces Celtes d’Orient,
de curieuses populations s’abstenant de manger
du porc – pourtant à la base de l’alimentation des
Gaulois – car, selon un mythe qui leur était propre,
un sanglier était à l’origine de la mort du compagnon
de Cybèle, Attis.
Ainsi, alors qu’en Occident les Gaulois plaçaient
en tête de leur panthéon une divinité masculine –
César l’affirme – à plus de 3 000 km de là, en Galatie,
dans ce qui allait devenir une autre province celtique
Fibule à masques. Bronze, de l’Empire, une divinité féminine était prééminente.
or et corail de Dompierre-les- Cette archaïque Maîtresse de la Nature, mère des
Tilleuls, Tumulus n°1 des dieux, divinité orientale, évoqua-t-elle alors aux
Bossus (Doubs). Fin du Ve s. émigrants galates l’une de leurs déesses ? On peut le
av. J.-C. Musée de Pontarlier. divinité pouvait alors renaître au terme d’une fête penser à la lecture de Tacite, qui affirme, au début du
Comme certains dieux grecs, qui, on le devine, célébrait en fait le retour du
IIe siècle de notre ère, que des « Germains », proches
les divinités celtes, parfois leurs printemps et la renaissance de la Nature. Ces rites,
propres prêtresses, peuvent se cousins des Celtes, auraient vénéré sur les rivages
acceptés, n’étaient pourtant pas sans rappeler ceux
métamorphoser en animaux. Sur de la Mer du Nord une « Cybèle » dont l’emblème
des Gaulois : en effet, leurs druides honoraient
cette parure vestimentaire, un était le sanglier, animal, on le sait, auquel les Celtes
étrange personnage semble être
annuellement une divinité se manifestant sous la
accordaient une place toute particulière : ne le
régurgité par un bélier puissam- forme d’un chêne rouvre couvert de gui et qu’un
figuraient-ils pas sur leurs enseignes guerrières, leurs
ment cornu. certain Maxime de Tyr compara au Zeus des Grecs.
Les druides avaient de plus, pour se conformer à la casques, leurs monnaies et autres statuettes ? Mais
loi de Rome, modifié leurs rituels, renonçant « à la d’où était originaire cette déesse-mère nordique :
coutume impie » du sacrifice humain pour se limiter du monde mycénien où l’épigraphie mentionne une
à la libation d’un peu du sang d’une victime alors Mère des dieux, ou de Massalia où elle arriva avec
consentante. On le voit, deux poids, deux mesures les Grecs de Phocée au VIe siècle avant J.-C. ? On
pour des rites bien éloignés des usages romains ou l’ignore, mais l’intérêt de cette mention est qu’elle
plutôt de l’idée que s’en faisaient les descendants s’inscrit dans une tradition littéraire antique qui
de Romulus. affirme la présence dans de mystérieuses îles et
Si Claude, érudit, auteur d’ouvrages sur les rivages des confins du monde, de dieux et déesses
Étrusques et curieux des Grands Mystères grecs grecques.

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Dieux et déesses des îles et des rivages Fibule à masques. Bronze,
or et corail de Dompierre-les-
Tilleuls, Tumulus n°1 des
Si César, Lucain, Tacite et bien d’autres nous ont
Bossus (Doubs). Fin du Ve s.
légué des informations précieuses sur les dieux
av. J.-C. Musée de Pontarlier
et les cultes des Celtes, ces derniers sont restés
muets sur leurs croyances, ne mentionnant
qu’exceptionnellement le nom de leurs divinités.
Les affirmations des auteurs gréco-latins constituent
donc des témoignages uniques suspectés de n’être
que de banales affabulations de voyageurs : pour
atteindre les extrémités du Monde que borde
l’immense Océan, n’était-il pas nécessaire d’affronter
bien des monstres, Géryon, le géant au triple corps,
les simiesques Gorgones, les Arimaspes à un seul œil
ou les Griffons, lions ailés au bec d’aigle, gardiens
de lointaines mines d’or ? Ces épreuves surmontées,
le lecteur grec ou latin, parvenu sur les rivages de
l’Atlantique et de la Mer du Nord, découvrait la
présence de divinités familières.

L’« Apollon » hyperboréen

Au premier rang d’entre elles figurait Apollon,


l’archer solaire de Delphes, fils de Zeus et de Léto,
un « hyperboréen » par sa mère venue d’ « au-delà
des souffles de Borée », ce vent froid du nord-est
qui dégage les ciels de l’Adriatique à la Mer Noire.
Les Grecs admettaient en effet sans peine que leur
grand dieu séjourna un temps de l’année chez des
Barbares, dans un pays que l’historien Diodore de
Sicile décrivit en détails, probablement à partir d’un
auteur de la fin du IVe siècle avant J.-C., Hécatée
d’Abdère.
« …Parmi les historiens qui ont consigné dans
leurs annales les traditions de l’antiquité, Hécatée et
quelques autres prétendent qu’il y a au-delà de la
Celtique, dans l’Océan, une île qui n’est pas moins
grande que la Sicile.…. Le sol de cette île est excellent
et si remarquable par sa fertilité qu’il produit deux
récoltes par an. C’est là, selon le même récit, le
lieu de naissance de Latone (Leto) ce qui explique
Pendeloque de la tombe fémi-
pourquoi les insulaires vénèrent particulièrement nine de Vasseny (Aisne)
Apollon. Ils sont tous, pour ainsi dire, les prêtres de évoquant un personnage sché-
ce dieu : chaque jour ils chantent des hymnes en matique aux bras levés ; le bas
son honneur. On voit aussi dans cette île une vaste de son « corps » se transforme
enceinte consacrée à Apollon, ainsi qu’un temple en lyre. Donné par Hermès à
magnifique de forme ronde et orné de nombreuses Apollon dans la mythologie
grecque. En Gaule, la lyre
offrandes ; la ville de ces insulaires est également
figure fréquemment au revers de
dédiée à Apollon ; ses habitants sont pour la plupart monnaies d’or de la fin de l’âge
des joueurs de cithare, qui célèbrent sans cesse, dans du Fer au revers de monnaies
le temple, les louanges du dieu en accompagnant d’or ornées de motifs liés à une
le chant des hymnes avec leurs instruments. … divinité solaire majeure.

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Trundholm (Danemark). XIVe s. jusqu’aux « grands lacs des Celtes », on découvre
av. J.-C. Musée National du que ces derniers croyaient que l’ambre naissait des
Danemark.
larmes d’Apollon, retiré tristement aux bords de la
Cette maquette découverte
Baltique pour fuir la colère de Zeus, son père. Les
fortuitement dans une tourbière
du Danemark figure un char à Grecs avaient à ce sujet une explication quelque peu
deux roues tracté par un unique différente. Selon eux, c’est peu après sa naissance
cheval, transportant un grand qu’Apollo était parti pour une année chez les
disque recouvert d’or représen- barbares nordiques, volant et voguant sur un char
tant certainement la course du merveilleux tracté par des cygnes, un cadeau de
soleil. Le même thème peut être Zeus. Quant à l’ambre, les mythographes hellènes
décliné sous la forme d’une bar-
affirmaient qu’il venait, non des pleurs du dieu, mais
que solaire ou d’un attelage tirés
de ceux des Héliades, les enfants d’Hélios – le Soleil
par des oiseaux aquatiques.
– changés en peupliers sur les berges de l’Eridan où
s’était noyé Phaéton, leur imprudent frère, incapable
Apollon passe pour descendre dans cette île tous les de maîtriser le char de l’astre solaire…Cet électrum
dix-neuf ans. C’est aussi à la fin de cette période que doté d’étonnantes propriétés électrostatiques
les astres sont, après leur révolution, revenus à leur constituaient ce mystérieux présent apporté jusqu’à
point de départ. Cette période de dix-neuf ans est Délos - île égéenne où naquit le fils de Léto – par
désignée par les Grecs sous le nom de Grande année. les « Vierges hyperboréennes ». Venues des rivages
On voit ce dieu, pendant son apparition, danser nordiques de l’Europe, ces quatre ambassadrices,
toutes les nuits en s’accompagnant de la cithare, mortes dans des circonstances inconnues, avaient
depuis l’équinoxe du printemps jusqu’au lever des été ensevelies deux à deux dans le sanctuaire
Pléiades, comme pour se réjouir des honneurs qu’on d’Apollon ; leurs tombes seront décrites au Ve siècle
lui rend. » avant J.-C. par l’historien Hérodote qui nota que,
(Bibliothèque Historique, II, XLVII) sur l’une d’elles, avait miraculeusement poussé un
Dans ce récit teinté de romanesque, on pourrait olivier. Lors des fouilles réalisées par l’École Française
reconnaître les îles britanniques, au climat adouci d’Athènes, on retrouva ces sépultures qui se
par le Gulf Stream, mais aussi le plus célèbre révélèrent dater de l’époque mycénienne ; comme
Iône d’Avanton (Vienne). c. monument de la Protohistoire européenne, le d’autres vestiges de l’occupation de l’île durant
XIVe s. av. J.-C. Dépôt : Musée sanctuaire de Stonehenge en Angleterre. Or, dans ce l’Âge du Bronze, elles avaient été sacralisées lors de
d’Archéologie Nationale de Saint
qui subsiste du récit d’un navigateur grec, un certain création du sanctuaire.
Germain-en-Laye. Ce grand cône
en feuille d’or trouvé en Europe Pythéas, figure la description vers 330 avant J.-C. Existe-t-il une part de vérité derrière ces belles
occidentale pourrait être une des rivages de l’Atlantique et de la Mer du Nord, histoires que l’on peut à loisir tisser ? En cheminant
coiffe cérémonielle de personna- notamment du Cantium, pays des Bretons Cantiaci sur les routes de l’ambre, on s’aperçoit que la version
ges de haut-rang détenteurs de
dont le nom demeure de nos jours dans celui du hyperboréenne du mythe apollinien n’est pas sans
connaissances astronomiques.
Kent, l’un des comtés du sud-est de l’Angleterre. écho sur le plan archéologique. La fréquentation par
Ce voyage aventureux vers des lointaines terres les Grecs mycéniens de la Péninsule italienne est de
barbares fréquentées par Apollon aurait été motivé nos jours un phénomène bien attesté, notamment
par la recherche de deux matériaux convoités en Vénétie, région dans laquelle l’ambre de la mer
par les Méditerranéens : l’étain, un métal blanc baltique arrivait dès le milieu du IIe millénaire. La
indispensable à la réalisation des statues votives de description d’un culte solaire nordique a pu donc
bronze, et l’ambre, une substance aux propriétés circuler de part et d’autre des Alpes, colportée par
mystérieuses couleur miel. Mais la véracité de ce les marchands et alimentant des mythes hellènes,
périple était discutée dans l’Antiquité, nombre tel celui des Enfants du Soleil et de l’ambre. C’est
d’auteurs traitant en effet le Marseillais Pythéas exactement de cette manière que les offrandes
d’affabulateur. De nos jours, l’authenticité de ce hyperboréennes parvenaient dans l’île, transmises de
périple est mieux acceptée et, dès lors, l’hypothèse peuples en peuples jusqu’aux Cyclades ; elles seront
d’un culte dédié au bel Apollon, ou plutôt à un dieu mentionnées à Délos jusqu’au IVe siècle avant J.-C.
nord-européen lui ressemblant, mérite que l’on s’y Au nord de l’Europe, bien loin de l’Égée, la croyance
arrête quelques instants. en un dieu solaire équivalant au lumineux Apollon
À la lecture des Argonautiques d’Apollonios Phoibos des Grecs trouve quelque argument dans le
de Rhodes, auteur du IIIe siècle avant J.-C. qui matériel archéologique de l’Âge du Bronze. En effet,
relata le voyage de Jason et de ses compagnons nombre de découvertes, en particulier des objets

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en or – inaltérable métal couleur de l’astre du jour
– portent des décors de cercles concentriques, parfois
rayonnants, depuis longtemps interprétés comme de
possibles représentations du soleil. Ce dernier figure
parfois transporté dans un bateau ou sur un chariot,
et, dans certains cas, encadré d’oiseaux aquatiques
comme le montrent les gravures rupestres découvertes
en Scandinavie. Manifestement, « la marche du soleil »
devait avoir une certaine importance au sein de ces
peuples essentiellement agriculteurs parmi lesquels
devaient figurer les ancêtres des Celtes. À partir de
cette hypothèse, certains objets exceptionnellement
décorés ont fait l’objet de tentatives de « lectures »
de type astronomique ; ce fut le cas pour de curieux
grands « cônes » d’or – des coiffes cérémonielles
sans doute, découverts en France et en Allemagne et
qui évoquent – est-ce là un simple hasard ? – la mitre
d’or reçu par Apollon à sa naissance.
Si cette démarche pouvait susciter quelques
doutes, la découverte en Allemagne du désormais
célèbre disque du dépôt de Nebra est venue balayer
les doutes sur l’importance des astres dans les
croyances de l’Âge du Bronze. Daté de la première
moitié du IIe millénaire, cet extraordinaire objet de
bronze incrusté d’or s’est révélé être non seulement
la plus ancienne figuration du ciel, mais aussi et
surtout, selon une récente analyse qui ne manquera
pas de susciter bien des débats, un « instrument »
permettant de synchroniser les cycles annuels lunaire mais quelle place occupa-t-il durant l’Âge du Fer, Fibule de Ostheim (Allemagne).
et solaire. Or, comme l’indique Diodore de Sicile dans époque où les Celtes sont pour la première fois Bronze. Fin du Ve s. av. J.-C. Sur
sa description de l’Apollon hyperboréen, le dieu nommés dans les sources textuelles ? Loin d’avoir cette fibule au décor complexe
séjournait tous les 19 ans dans cette île paradisiaque, disparu, les motifs circulaires issus du répertoire de associant masques divins et pro-
tomé d’animal monstrueux, le
soit l’équivalent de 235 lunaisons à l’issue desquelles l’Âge du Bronze – cercles concentriques, rouelles
motif de la double feuille de gui
la lune revenait (presque…) au même endroit du et autres swastikas – restent bien attestés sur de apparaît plusieurs fois répété.
ciel ; c’est ce que l’on nommait « Cycle de Méton », multiples supports. Tel est le cas du torque féminin
du nom de l’astronome qui, à la fin du Ve siècle avant
J.-C. (c. 433), avait introduit ce comput, peu après,
semble-t-il, que les Babyloniens l’aient eux aussi mis
en pratique. Sans entrer dans les rouages complexes
de l’archéo-astronomie, il faut retenir que dans des
sociétés agricoles non urbaines, ignorant l’écriture,
des individus au statut privilégié avaient réalisé des
observations sur la longue durée et en transmettaient
oralement les résultats. C’est précisément ce type
de méthode et de savoir que les sources antiques
attribuent aux druides, ces « connaisseurs de
l’arbre » que les Gaulois honoraient à l’égal de
Revers d’un statère imité de
dieux ; issus d’un enseignement long de 20 ans, ces
modèles grecs. Or. BN 6932.
prêtres-philosophes versés dans les sciences de la
Le véhicule solaire est réduit à
Nature pouvaient, selon César, se perfectionner en un unique motif de roue, l’aurige
se rendant justement dans l’île de Bretagne. étant remplacé par un cavalier ou
Qu’un grand et ancien dieu solaire ait été vénéré une cavalière nu (e) bondissant
durant la protohistoire semble donc probable, sur le dos d’un cheval.

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César, dans sa fameuse liste des principaux dieux
gaulois, ne place-t-il pas en deuxième position cet
« Apollon » gaulois, le qualifiant de surcroît de
guérisseur (B.G., VI, 17) ? Ce serait donc à lui que
l’on immolait parfois des victimes humaines avec
l’espoir d’obtenir sa clémence. Son nom gaulois
est inconnu : Bélénos, longtemps traduit par le
Rouelle en or du sanctuaire de « Très brillant », tout comme sa (probable) parèdre
Nanteuil-sur-Aisne (Ardennes). « Belisama, nommée – c’est exceptionnel – sur une
Ier s. av. J.-C. Certains sanctuaires inscription préromaine, sont aujourd’hui compris
livrent par centaines ces rouelles comme le et la « Très puissant(e) ». Cependant, au
qui confirment la permanence IVe siècle après J.-C., le poète Ausone, faisant l’éloge
de thèmes très anciens dans un d’Attius Patera, rhéteur à Burdigala (Bordeaux),
panthéon qui s’est sans doute
évoque de la manière suivante cette inusable
largement étoffé.
divinité solaire : « Tu étais Baïocasse (peuple gaulois
de Normandie), et issu de la race des Druides, si la
renommée n’est point trompeuse : ta famille tirait
son origine sacrée du temple de Belenus ; de là
vos noms : le tien, Patera, qui, dans le langage des
initiés, désigne les ministres d’Apollon ; celui de ton
frère et de ton père, qu’ils doivent à Phébus ; et
celui de ton fils, qui lui vient de Delphes ». Curieux
texte, émanant d’un poète exprimant souvent avec
Droits de monnaies gauloises.
virtuosité son érudition, qui laisse croire au maintien
Les artisans monétaires gaulois
conservèrent la couronne de lau-
tardif du druidisme, ici clairement lié au culte du dieu
rier qui coiffe Apollon, mais ils Bélénos, manifestement dans ce cas puissance solaire.
surent l’adapter à leurs propres Ausone, lui-même chrétien, vivait dans un milieu,
croyances, faisant apparaître ici semble-t-il, très informé, affirmant que l’un de ses
ou là des symboles discrets - es- grands-pères, Arborius, connaissait « les nombres
ses ou double esses - caractéri- célestes, et les astres arbitres de nos destinées »,
sant leurs propres divinités.
mais pratiquait en secret l’astrologie, alors que trois
d’Attencourt (Marne) daté du Ve siècle avant J.-C. et femmes ou fillettes de cette gens portaient le nom
décoré d’une rouelle encadrée d’oiseaux, ou encore « Dryadia » du nom grec des nymphes des Chênes
d’une série d’épées courtes du IIe-Ier siècle avant J.-C., et des diseuses de bonne aventure du Bas-Empire.
souvent à pommeau anthropomorphe, rehaussées Quoiqu’il en soit l’épigraphie confirme le succès du
Brassard de Pössnek (Allema-
d’incrustations dorées figurant le soleil et/ou la culte à Bélénos, tout en ajoutant parfois au nom
gne). Bronze. Musée de Iéna.
pleine lune associé au croissant lunaire : exactement d’Apollon celui de Maponos, attesté en Gaule et en
Sur cette parure découverte dans
une tombe de guerrier figure les motifs principaux du disque de Nebra, pourtant Bretagne, le « divin fils ».
ainsi un masque divin mais aussi plus ancien de plus d’un millénaire et demi… Cette
la tête d’un bélier et un motif divinité a sans doute dû perdre un peu de son éclat
végétal. face à la montée en puissance d’autres puissances
Dionysos en Gaule
divines, mais elle n’a assurément pas disparu, si
l’on croit les auteurs grecs mais aussi l’épigraphie Dans une autre île, un îlot en fait, en face de l’estuaire
d’époque impériale. Ainsi, la majeure partie des de la Loire était vénéré un dieu si proche d’une des
peuples gaulois ayant frappé des monnaies en or, divinités majeures des Grecs que l’on hésite encore
dès la fin du IVe siècle avant J.-C. et jusqu’au Ier à son sujet entre une identité gauloise ou grecque.
siècle avant J.-C., ont choisi de s’inspirer des statères Au témoignage de Poséidonios, historien du tout
de Philippe II de Macédoine dont le droit portait début du Ier siècle avant J.-C. qui passet pour des
justement le profil d’Apollon. Seules, quelques cités plus sûrs, un étrange rituel se déroulait une fois l’an
celtes lui ont préféré l’image de Zeus Ammon ou en l’honneur de Dionysos, le dieu grec du vin et de
celle d’Héraclès, ajoutant cependant au revers la l’ivresse, des fluides mais aussi de la végétation.
lyre, l’emblème du dieu grec conducteur des Muses, « Il (Poséidonios) dit aussi qu’il y a dans l’Océan
ou le char, parfois schématisé par une simple rouelle. une petite île, non loin de la mer, située en face

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Fourreau d’épée. Bronze. Santa de la fête suivant la réfection du sanctuaire, les
Paolina di Filottrano « Ripa- dévotes gauloises devaient être coiffées de lierre
bianca » (Italie). Tombe n° 22. comme l’étaient dans le monde grec les statues
Bronze. Milieu du IVe s. av. J.-C.
de Dionysos : à Athènes, la divinité n’était-elle
Dépôt. Musée d’Ancône. Sur la
plaque de droit de ce fourreau
d’ailleurs pas surnommée Kissos, du nom de cette
d’épée est figuré un masque di- plante grimpante qui enroulée autour de son thyrse,
vin dans une suite de palmettes ce bâton-emblème formé d’une tige de Grande
et de rinceaux. Il s’agit là du Férule surmontée d’une pomme de pin ? Le lierre
personnage coiffé du motif de la présentait en effet la particularité d’avoir (comme
double feuille de gui subitement l’if, le gui…) un cycle inverse de celui de la plupart
apparu à la fin du Ve s. av. J.-C.
de l’embouchure de la Loire. Ce sont des femmes des végétaux ; toujours vert, il fructifiait en hiver,
au nord des Alpes.
samnites qui l’habitent, elles sont possédées de fournissant ainsi aux oiseaux migrateurs revenant
Dionysos qu’elles apaisent par des cérémonies et des du sud de quoi s’alimenter au début du printemps.
rites sacrés. Aucun homme ne pénètre dans l’île, ce Sur la base de cette précision, il est tentant de situer
sont les femmes qui font la traversée pour avoir des la cérémonie annuelle de ces Gaulois au moment de
rapports avec les hommes et s’en retournent ensuite l’équinoxe de Printemps, lorsque le soleil se couche
chez elles. Il y a une coutume selon laquelle elles dans l’Océan exactement à l’ouest. Outre le lierre et
Rodenbach (Allemagne). Or. Fin doivent une fois par an démonter le toit du sanctuaire ses fruits noirs évoquant les grappes de raisins de
du Ve s. av. J.-C. Musée de Spire. et le refaire le même jour avant le coucher du soleil,
Inspiré de modèles grecs, ce
chaque femme portant son fardeau. Si l’une des
bracelet en or découvert dans
d’elles laisse choir sa charge, les autres la mettent
une sépulture princière mas-
culine montre une divinité au en pièces, emportent les morceaux en tournant
double visage coiffée d’éléments autour du temple, tout en poussant des cris, et ne
rappelant les baies rouge de s’arrêtant pas tant que ne cesse leur frénésie. Et il
l’if et encadré d’une paire de arrive toujours que l’une d’entre elles tombe et doive
bouquetins. subir ce traitement. »
Strabon, Géographie, Livre IV, 4-6

Comme souvent dans ce type de description,


le lecteur est en droit de s’interroger sur le grand
absent de la scène, à savoir le témoin. Qui était-
il, on l’ignore avec exactitude, mais les différentes
versions du texte original plaident en faveur d’un
Grec. Selon le géographe Denys le Périégète, lors

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Dionysos, le cri des femmes samnites est précisément Monnaie à l’hippocampe cava-
celui que le dieu grec poussa un jour sur le Mont Éva lier. Or. BN 6901. IIIe-IIe s. av.
(Messénie) : Evohé ! À elle seule, cette exclamation J.-C. Les mythes celtes restent
énigmatiques, réduits à d’éton-
si particulière semble la confirmation d’un culte
nantes images figurées au revers
venu d’ailleurs et introduit en Gaule méridionale
de certaines monnaies. Ici,
avec les colons phocéens. Dès le VIe siècle avant. J.- une créature ressemblant à un
C., les habitants de Massalia célébraient les Floralies, hippocampe marin chevauche
fête dionysiaque (et funéraire) équivalente des une jument allaitant son poulain
Anthestéries athéniennes, trois journées de février- face à un motif végétal en forme
mars au cours desquelles des femmes se livraient de palme.
à des rites parfois secrets, notamment l’union de
l’épouse de l’archonte-roi et du dieu entourés de 14
jeunes femmes, les Gerarai, les « Vénérables ».
En Grèce, Dionysos était vénéré de manière moins
urbaine, ce dont témoignent conjointement l’œuvre
d’Euripide et l’art des céramistes attiques. Lors
d’une course nocturne en montagne (oreibasie), des
confréries essentiellement féminines, littéralement
possédées, honoraient Dionysos d’une manière des pièces de bois du sanctuaire, comme si les deux
aussi sauvage que l’étaient les rites gaulois : elles choses étaient liées. Ces réfections devaient exister
chassaient des animaux (lièvres, faons et même également dans le monde grec où certains temples
des félins et bovins) qu’elles tuaient à mains nues très archaïques étaient couverts de branchages
en les démembrant (diasparagmos) ; les chairs qu’il fallait certainement remplacer régulièrement,
étaient consommées crues (ômophagia) – peut-être comme dans le Daphnéphorion d’Érétrie, dédié à
seulement goûtées – et jetées dans les branches Apollon et donc couvert de laurier. L’ethnographie
d’arbres dans une ambiance de transe mystique. éclaire ces curieux rituels. Ainsi dans le sanctuaire
Plutarque, prêtre d’Apollon, raconte qu’un jour, au shintoïste d’Ise (Japon) fondé au VIIe siècle après
petit matin, on découvrit, endormies, des bacchantes J.-C. et voué à une divinité solaire, Amaterasu
que l’ivresse divine avait emportées jusqu’au Omikami, deux temples, séparés de près de 4 km,
territoire d’une cité ennemie et comment, avec soin, rassemblent près d’une centaine de granges sur
on les ramena chez elles. Loin d’être fréquentes, poteaux de bois, plancher surélevé et toit en pente
ces montées aux flambeaux étaient pratiquées
seulement durant l’hiver, parfois après un intervalle
de deux ans, alors que le rite gaulois était annuel. En
fait, les pratiques celtes et grecques sont inversées :
dans un cas l’action concerne des espaces sauvages
et des animaux, dans l’autre un lieu de culte et un
être humain. Mais cette opposition s’estompe à la
lecture des sources grecques qui, comme l’avait noté
Henry Jeanmaire dans sa célèbre étude sur Dionysos,
conservent le souvenir de cas de sacrifices humains
consacrés à ce dieu étrange venu d’Orient. Plutarque
rapporte, non sans étonnement, qu’à son époque,
lors de la fête des Agrionies d’Orchomène, le prêtre
de Dionysos devait pourchasser des femmes, tuant à
l’aide d’un poignard celle qu’il attrapait. C’était une
descendante des Minyades, ces femmes qui avaient
préféré le calme de leurs activités domestiques à
l’enthousiasme suscité par le dieu qui, pour les punir,
les rendit alors meurtrières de leurs propres enfants, Bracelet de La Charme
déchirés comme l’avait été Dionysos enfant. (Aube, France). Bonze.
Dans l’île gauloise, le diasparagmos humain IIIe s. av. J.-C. Dépôt
apparaît en quelque sorte symétrique du démontage Musée de Troyes.

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Monnaie d’or gauloise. Or. BN couvert de chaume ou de planches, assez proches
6421a. dans leur architecture et leur disposition des
Un oiseau géant laissant tomber sanctuaires gaulois. Tous les vingt ans, avec une seule
de son bec une sphère conduit interruption de près d’un siècle, les granges sacrées
un cheval harnaché sous lequel
sont rituellement démontées et reconstruites sur le
figure une créature imaginaire...
L’image rappelle un mythe ger- même plan (la prochaine fois, ce sera en 2013) avec
mano-scandinave dans lequel des arbres abattus huit ans auparavant. À chaque
le dieu Loki, sous la forme en reconstruction, les bois récupérés sont pieusement
faucon, doit transporter une réemployés durant près de 80 ans.
noix qui n’est autre qu’Idunn, la En Gaule, ce « Dionysos » atlantique a « lui aussi »
déesse gardienne des pommes
des aspects solaires plutôt étonnant ; honoré (peut-
de jouvence qui empêchent les
être…) une journée où le jour égale en durée la nuit,
dieux de vieillir...
avant de prendre le dessus jusqu’au solstice d’été, le
dieu est fêté par une macabre procession tournant
autour du temple. La géographie particulière de ce
lieu insulaire, face au coucher du soleil sur la mer,
constituait un des éléments, sans doute essentiel, du
décor dans lequel, dans une ambiance frénétique, Outre le dieu de l’ivresse, les Grecs reconnurent
la mise à mort d’une des participantes était bien d’autres divinités maritimes analogues aux
leurs, notant cependant diverses particularités ou
inéluctable. Dans cette tragédie écrite à l’avance,
ressemblances inexplicables. Ainsi, une « Déméter »
la réfection du bâtiment était en quelque sorte une
– la « Terre-mère » connue depuis l’Âge du Bronze
performance qu’il fallait absolument réussir faute
grec – était vénérée en compagnie de sa fille Coré
de priver le dieu de sa demeure ; incapable d’égaler
dans une île du Nord de l’Europe : ses rites étaient,
les bacchantes d’Euripide qui, possédées, attirent de
sait-on, les mêmes que dans l’île de Samothrace dans
façon incompréhensible « tout ce qu’elles portent
laquelle étaient vénérés les mystérieux et « puissants »
sur leurs épaules », l’une des dévotes gauloises
Cabires. Quelles similitudes peuvent justifier ce
commet une maladresse, et le retard qui en découle
parallèle rapprochant des pratiques barbares et celles
lui vaut la plus cruelle des mises à mort. Cette
du grand sanctuaire grec qu’embellirent de leurs
hystérie collective peut naturellement s’expliquer
dons les monarques hellénistiques ? On pourrait
par une consommation de vin méditerranéen, une
penser à certains archaïsmes présents à Samothrace,
boisson rare dans la région nantaise mais néanmoins
en particulier à ces autels constitués de gros rochers
attestée dès le IIe siècle avant J.-C. sur plusieurs sites
naturellement colorés qui pourraient avoir eu des
gaulois de Bretagne. Mais, en Grèce même, la transe pendants gaulois. De plus, l’épigraphie du sanctuaire
ne semble pas provoquée par le vin : l’iconographie nord-égéen mentionne l’usage rituel du thyreos,
attique, si elle met en scène des dévotes de grand bouclier typiquement gaulois, peut-être pour
Dionysos figurées en train de manipuler dans le des danses analogues à prêtres salyens de Rome.
calme les ustensiles du service du vin ou virevoltant Une divinité semblable à Artémis, la sœur
et bondissant sous l’emprise du dieu, ne les montre d’Apollon, était particulièrement vénérée par la
jamais en train de boire. Pour leurs homologues noblesse gauloise. Pour chaque animal abattu à la
gaulois, la même sobriété n’était pas nécessairement chasse et donc pris à la déesse, une compensation
de mise, ainsi que l’indiquent nombre de tombes en argent alimentait un pécule finançant une fois
féminines contenant des services à boire. Cela dit, l’an un sacrifice domestique et le banquet qui s’en
d’autres formes d’intoxication peuvent expliquer suivait. Comme fille de Léto, l’Artémis des Grecs
ces comportements frénétiques, en particulier la était une « hyperboréenne » que les textes antiques
consommation des grappes de fruits toxiques du présentent parfois revenant du Nord, sur un char
lierre dont l’ingestion engendre surexcitation et tiré par des dragons. Le culte de son homologue
perte de lucidité. Ce type d’ingestion rituelle était celte est également ancien, comme le montre la
justement connu des Gaulois chez lesquels certains scène ornant la reproduction en miniature d’un char
végétaux toujours verts, tels l’if aux baies rouges processionnel du VIIe siècle avant J.-C. découvert à
et le gui aux fruits blancs bien que toxiques, voire Strettweg (Autriche). Portant en équilibre sur la tête
mortels, étaient à la base de boissons. un grand récipient, une déesse nue est accompagnée

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d’une procession conduisant au sacrifice un cerf, élevée») – la terre la plus occidentale du continent
l’animal attitré de l’Artémis que l’on vénérait très européen : au carrefour des trois mers, au pied de la
loin des Alpes, dans le sanctuaire fédéral des Ioniens colline Saint-Michel, des dépôts intentionnels se sont
d’Éphèse. De là, cette Maîtresse des animaux avait succédé depuis le milieu du IIe millénaire avant J.-C.
émigré pour les collines de Massalia ; sa statue, jusqu’au Bas-empire. Phénomène ahurissant : ce sont
probable xoanon en bois de vigne, servira de modèle les parties droites de leurs corps qui ont été prélevées
à celle du temple latin de l’Aventin de Rome. Mais sur des oiseaux sauvages et des animaux d’élevage !
d’autres Dianes italiques étaient également honorées On voit aussi des coquillages (patelles), parfois
en Italie, et son culte, marqué par le sacrifice au reproduits en bronze. Plane l’ombre d’une divinité
mois d’août d’une biche (parfois d’une génisse ou gauloise de la mer ou du vent, peut-être celles des
d’une brebis) était certainement ancien en Europe « Dioscures » qui protégeaient les navigateurs. Dans
occidentale. sa Chrorographie rédigée vers 43/44 de notre ère,
D’autres descendants de Zeus figurent au nombre Pomponius Mela décrit un sanctuaire situé dans l’île
de ces dieux de la Gaule reconnus des Grecs. Selon de Sein. Neuf prêtresses vierges disposent du pouvoir
Timée de Tauromenium, auteur du début du IIIe siècle de contrôler les éléments, de se métamorphoser en
avant J.-C., les Gaulois auraient eu une vénération animaux et de guérir. Elles prédisaient l’avenir aux
particulière pour… les Dioscures, les jumeaux (ou marins et pèlerins. La divinité que ceux-ci venaient
demi-frères) Castor et Pollux, nés des amours de consulter nous est, hélas, inconnue. Certains
Léda et du maître de l’Olympe. «…on allègue que auteurs ont proposé de reconnaître ici les prototypes
les Celtes riverains de l’Océan ont une vénération des personnages du Roman arthurien, notamment
toute particulière pour les Dioscures; que, selon une Morgane, fée médiévale dérivée vraisemblable d’une
tradition qui remonte chez ces peuples à des temps déesse Moriganne dont le souvenir fut conservé
reculés, ces dieux arrivèrent par l’Océan ; qu’il y a le dans l’épopée irlandaise, qui vivait avec ses huit
long de l’Océan bon nombre de désignations locales sœurs dans l’île des Bienheureux… Mais résonnent
venant des Argonautes et des Dioscures… » ici des échos dont il est impossible d’en retrouver la
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 56 source…

Ces guerriers cavaliers étaient originaires de


Sparte, une cité dont l’armée était conduite par
Le dieu dans l’arbre
deux rois. Leur présence sur l’Argô, le navire piloté
par Jason, expliquerait donc l’introduction de leur Les parentés constatées dès l’Antiquité entre ces
culte sur les rives de l’Océan, mais d’autres courants dieux sont peut-être la conséquence d’un fonds
les ont emportés en d’autres lieux d’Occident. Ainsi, culturel commun dont les structures linguistiques
en 499 avant J.-C., Castor et Pollux apparurent aux et religieuses ont été reconnues depuis longtemps,
côtés des Romains lors de la bataille du Lac Régille qui surtout grâce aux propositions de G. Dumézil. Selon
les opposait aux Latins ; dès lors, les divins cavaliers son modèle, les divinités celtiques préromaines
devinrent les protecteurs de l’aristocratie de Rome. devaient s’organiser d’une manière proche de celles
« Apollon », « Dionysos », « Déméter et Coré»,
les « Dioscures » et quelques autres encore sont-
ils des dieux grecs ou plutôt des divinités gauloises
leur ressemblant ? La localisation littorale de ces
cultes peut s’expliquer par la venue de navigateurs
remontant, le littoral atlantique et possédant leurs
propres lieux de cultes dans des ports gaulois. Mais
ce scénario semble trop « méditerranéen », malgré Arbre miniature en or de
la découverte de céramiques attiques dans l’ouest Manching (Allemagne). IIIe s.
de la France, on est loin d’avoir mis en évidence av. J.-C.
des sanctuaires de marchands analogues à celui de Cette exceptionnelle repré-
sentation d’un arbre plaqué
Gravisca en Étrurie. Il s’agirait donc plutôt de déités
d’or découverte à l’intérieur
indigènes dont les noms locaux ne nous sont pas de l’oppidum de Manching
parvenus. Évoquons la récente mise en évidence (Bavière) confirme l’importance
de pratiques rituelles dans des îles bretonnes, en de certains végétaux dans les
particulier celle d’Ouessant (Uxisama « la plus cultes celtes de l’âge du Fer.

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adoptées par les peuples « indo-européens », c’est-à-dire selon des fonctions bien précises : souveraineté,
guerre, production.
La recension des inscriptions gallo-romaines mentionnant des noms de divinités gauloises en dénombre
plus de deux mille. Voilà qui révèle un panthéon extrêmement riche, même si chacune de ces appellations
ne correspond pas à une divinité. Les sources autres que l’épigraphie montrent une situation différente.
Écrivant à l’époque de Néron, le poète Lucain est le seul à donner les noms celtes de trois divinités qui ont
en commun d’être honorées par l’immolation d’êtres humains : Teutatès, Taranis et Esus. Les Commenta
Bernensia, des gloses médiévales du Xe siècle, tentent de les identifier à des divinités classiques. Des dieux
gaulois, César n’avait donné que le nom de leurs « équivalents » romains. Sa liste place un Mercure gaulois
en première place. Le panthéon est dominé par de grands dieux masculins. Seule exception : une Minerve/
Athéna gauloise veillant, comme dans le monde classique, sur l’artisanat. Quelle divinité, du Jupiter celte ou
de « l’inventeur de tous les arts » donné à l’équivalent transalpin de Mercure, était la plus importante ? La
Gaule, divisée, selon César, en trois ensembles culturels distincts, connaissait-elle les mêmes cultes partout ?
On en doutera. De plus, ces mêmes sources passent pratiquement sous silence des divinités de premier plan,
tel Dis Pater, dieu des Enfers (Hadès Ploutos) des Grecs, divinité du monde souterrain chez les Gaulois qui en
font le créateur des hommes.
Le dieu vénéré par les druides est encore plus méconnu, puisque, à son sujet, on ne dispose que d’une
source, l’Encyclopédie de Pline, qui permet de le classer dans les divinités ouraniennes, c’est-à-dire célestes. Sa
description étonnamment précise d’une cérémonie présidée par les Druides (comme l’était chaque sacrifice),
permet d’esquisser quelques traits de ce dieu sans nom.
« …Les druides, – c’est le nom qu’ils donnent à leurs mages – n’ont rien de plus sacré que le gui et
l’arbre qui le porte, pourvu que ce soit un rouvre. Le rouvre est déjà par lui-même l’arbre qu’ils choisissent
pour les bois sacrés, et qu’ils n’accomplissent aucune cérémonie religieuse sans son feuillage, au point que
l’étymologie de leur nom de druides pourrait passer pour grecque. C’est un fait qu’ils regardent tout ce qui
pousse sur ces arbres comme envoyé du ciel, et y voient un signe de l’élection de l’arbre par le dieu lui-
même. »
Pline, Histoire Naturelle, XVI, 249-251,
trad. Jacques André, 1962, Paris, Les Belles Lettres.

Témoignage unique et donc par définition suspect,


cette description n’en est pas moins remarquable
de cohérence, plaçant au centre des dieux gaulois
une divinité liée au chêne sessile et à son parasite,
le gui. La proposition n’est pas étonnante car, dans
l’Antiquité, les divinités masculines se manifestent
parfois sous la forme de végétaux et d’arbres. On
pense au « divin feuillage du grand chêne de Zeus »
de Dodone en Épire, qui, un jour, murmura à Ulysse
les conseils qui lui permettraient de revenir à Ithaque.
En fait, dans ce sanctuaire, le dieu s’exprimait de bien
d’autres manières : par le chant de colombes sacrées,
par la vibration de chaudrons s’entrechoquant sur
des trépieds mais aussi par la cléromancie, le tirage
de sorts divinatoires que pratiquaient également les
druides. D’autres lieux de culte associaient le maître
de l’Olympe aux arbres : Zeus aux Chênes jumeaux
en Lydie, Drymaios en Phampylie, au bois de Platanes
Monnaie d’or gauloise en Cariemais. Des divinités comme Hécate ou Apollon
des pays de Loire. Quart avaient, elles aussi, des bois et des essences sacrées, tout
de statère dit à la jument comme Dionysos. Attesté dès l’époque mycénienne,
ailée (type BN 6911). l’enivrant Dionysos est lui aussi une divinité-arbre
Datation IIe-Ier s. av. J.-C. ou dans l’arbre (Dendritès, Endendros) ; le pin ou le
sapin aux aiguilles persistantes lui est attaché, mais

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le masque divin peut apparaître également sur le qui dans les Argonautiques de Valérius Flaccus,
platane. La divinité est parfois représentée, derrière marchait au combat sous sa protection, l’entourant
un autel, sous la forme d’un simple tronc coiffé d’enseignes en forme de roues et de sangliers.
d’un masque anthropomorphe, parfois double, Comme l’indiquent l’épigraphie et la statuaire
éventuellement barbouillé de rouge vermillon. En gallo-romaines, Taranis est une sorte de Jupiter
remontant le temps, mais toujours dans le domaine gaulois, se déplaçant peut-être en char, comme
indo-européen, le dieu hittite Telepinu, divinité de la nombre de dieux gréco-romains et germaniques,
végétation, est aussi un chêne vert (ou un if) l’arbre d’où l’association naturelle du tonnerre au bruit de Casque de Montlaurès (Nar-
étant nommé dans un rite du Nouvel an « Image de roues cerclées de fer d’un véhicule céleste. Plusieurs bonne, Aude). Bronze, fer et
Telepinu ». Cette entité anatolienne du IIe millénaire divinités de l’orage figurent dans les mythologies des corail de Méditerranée.
est le fils de Teschub, dieu de l’orage, également peuples voisins : que l’on songe au Donar/Thor des Cet exceptionnel et spectaculaire
casque était probablement plus
nommé en louvite, Tarhuntas, théonyme rapproché Germains et au Perkunas lituanien, respectivement
un couvre-chef cérémoniel,
par les linguistes de… Taranis. Étymologiquement, tonnerre et chêne. Des sources médiévales nous font
porté à l’occasion d’événements
ce dieu dont le nom signifie « tonnerre » est bien savoir que ces dieux adoptaient la forme de grands publics et religieux, qu’un acces-
un dieu de l’orage, proche des divinités ouraniennes arbres, qui furent abattus les uns après les autres soire fonctionnel appartenant
brandissant la foudre, l’éclair qu’attire la cime des entre le IVe siècle après J.-C. et le VIIIe siècle après J.- à une panoplie guerrière. p. 45.
arbres et qui les fend en deux. Un tronc d’arbre C. Certains subsistèrent cependant dans le nord de Cruche de Borsch (Allemagne).
(…Jovis simulacra…) était justement l’emblème l’Europe : vers 1080, l’évêque de Hambourg, Adam Bronze. Fin du Ve/Début du IVe
du Jupiter des Coralli, peuple sans doute celte, de Brême, décrit à Uppsala, près d’un temple, un s. av. J.-C. Musée de Iéna.

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Fibule en bronze d’Oberwitti-
ghausen (Bade-Wurtemberg,
arbre immense toujours vert (Descriptio insularum
Allemagne). Bronze. Musée de aquilonis, 27) auquel les anciens Suédois sacrifiaient
Karlsruhe. Cette fibule à masque êtres humains et animaux au moment de l’équinoxe
porte deux perles en formes de de Printemps…
baies, encadrant un masque de Pour les Gaulois dont la mythologie n’a jamais
divinité surmonté d’une tête été mise par écrit, l’idée d’une cosmogonie centrée
de bélier, animal fréquemment
autour d’un arbre mythique – l’axe garantissant
associé aux figurations de dieux.
la rotation des astres – est envisageable, malgré
l’indigence de nos sources. C’est probablement à
la rupture de cet essieu que se réfèrent ces Celtes
qui, reçus en 335 avant J.-C. par Alexandre le
Grand, lui affirmèrent craindre seulement la chute
Page suivante : Loin de se de la voûte du ciel. L’iconographie appuie peut-être
réduire à de simples imitations cette interprétation. Sur une monnaie attribuée
de modèles méditerranéens, les aux Léxoviens de l’actuelle Normandie, figure à la
Celtes ont su créer un art origi-
fois une roue, un cheval et un végétal représenté
nal comme en témoigne le décor
par le graveur avec ses racines. Serait-ce le chêne
complexe ce récipient. L’anse
montre un étrange félin au corps légendaire abattu par la colère divine ? Les druides
surchargé de motifs symboliques n’affirmaient-ils pas que les « âmes sont immortelles,
(esses, palmette, quadrillage) mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront » ? Et
dont la queue se transforme de qui d’autre que l’orageux Taranos avait le contrôle
façon surprenante en une tête de de la foudre et de la pluie ? L’ordre céleste était donc
chauve-souris... primordial pour les Celtes qui s’inquiétaient des
« anomalies » qui revenaient cycliquement. Grâce à
la dendrochronologie, une dizaine de sites cultuels
d’Europe du nord, datés du premier millénaire
avant J.-C., ont été mis en relation avec des éclipses
lunaires, lorsque notre satellite prend une sinistre
couleur sang…
Revenons au texte du Pline. Les images d’une
divinité coiffée d’attributs évoquant la feuille de
gui se sont multipliées depuis quelques années. La
tombe annexe du tumulus « princier » du Glauberg
(Allemagne) a livré plusieurs statues dont l’une
figure un personnage héroïsé, portant sur la tête le
symbole divin. La fouille de la sépulture a montré
que le défunt avait été enseveli avec une sorte
de couronne de feuilles de bois et les garnitures
probables d’un chapeau (de feutre ?) reprenant la
forme de cette plante parasite verdoyant qui fructifie
en hiver, l’emblème du dieu. De la Provence à la
Rhénanie, certaines sculptures présentent ce motif.
D’autres images sur des parures, de la vaisselle
précieuse ou des armes montrent ce dieu aux yeux
parfois rougis d’incrustations de corail, souvent
dédoublé à l’exemple de Dionysos, mais surtout
d’Hermès ou Janus, parfois accompagné d’une autre
divinité, voire figuré deux fois à divers moments de
son mythe. Le dieu peut être aussi chevalin, mais
à tête humaine coiffée de gui : on le voit dans des
figurations attestées de la Bohème à la Bretagne, sur
près de cinq siècles de durée.

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Dieu majeur, Taranis n’est placé qu’en quatrième le soleil levant ». On en discute, et nul argument Dédicace de Vaison-la-Romaine.
place par César. Lucain fournit peut-être un élément ne permet aujourd’hui de trancher avec certitude. Pierre. Musée Calvet d’Avignon.
« Segomaros, fils de Villu,
d’explication lorsqu’il affirme que les druides avaient Mais, il n’y a pas de raisons de douter du classement
citoyen de Nîmes, a offert à
« …le privilège de choisir entre tous les dieux ceux transmis par César : un dieu des échanges et des
Belesama cet enclos sacré »
qu’on doit adorer, ceux qu’on doit méconnaître ». chemins occupait une place importante dans la traduction Pierre-Yves Lambert.
Taranos était certainement le dieu majeur d’un religion des Gaulois, surtout chez ceux n’appartenant Cette inscription sur pierre
groupe social puissant et savant, mais d’autres pas aux deux classes prééminentes, les druides et mentionne une offrande faite par
divinités avaient leur rôle à jouer dans ces sociétés les chevaliers. Avec Taranos, Mercure et Mars, se un particulier mandaté par ses
principalement agricoles. Le rang éminent accordé constitue une triade de dieux majeurs entourés de concitoyens volques arécomi-
par César à ce Mercure semble rencontrer un écho divinités de moindre rang : Cernunnos dont le nom ques de la région de Nîmes à la
dans la littérature épique du Moyen Âge irlandais en est connu chez les Louvites anatoliens, un dieu
la personne de Lugh, dieu lui aussi polytechnicien, archaïque : des documents du Paléolithique et du
compétent dans de multiples savoirs qu’il ne faut pas Mésolithique attestent l’usage cérémoniel de coiffes
réduire aux seuls aspects techniques. Beaucoup ont en bois de cerf. Épona verra son culte prendre de
vu dans cette ressemblance la preuve de l’existence l’importance auprès des cavaliers durant l’Empire ; Phalère de Manerbio sull Mella
d’un culte dédié à la version gauloise du futur dieu Ogmios, éloquente divinité figurée sous les traits (Italie). Argent. Fin du IIIe s. av.
J.-C. Musée de Breschia. Cette
irlandais. Or, en Gaule, Lugus reste étrangement d’un Hercule vieillissant, le Tarvos Trigaranos, ce dieu
phalère de harnachement de
absent. La toponymie d’une vingtaine de villes (à taureau et ses trois grues, et bien d’autres encore qui, cheval décorée de multiples têtes
commencer par Lyon, Lugdunum) se réfère-t-elle à ce pour l’heure échappent à notre compréhension. qui confirment l’importance
dieu ou à la lumière (Lux – Lug) ? Lugdunum signifie- accordée par les Celtes à cette
t-elle la « colline de Lug » ou la « colline éclairée par partie du corps.

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