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I

Étude des déformations différées


du pont de Savines (Hautes-Alpes)

Alberto PATRON-SOLARES
Ingénieur d e Génie civil
Universidad Autónoma Metropolitana d e Mexico
Doctorant a u service Modélisation pour I ingénieur

Bruno GODART
Ingénieur divisionnaire des Travaux publics de I Etat
Chef d e la division Fonctionnement
et durabilite des ouvrages d art

Robert EYMARD
Ingénieur des Ponts et Chaussées
Chef d u service Modélisation pour I ingénieur

Laboratoire central des Ponts et Chaussées

Introduction
Si les premiers ponts en béton précontraint construits par
encorbellements successifs sont apparus en Allemagne
(ponts de Balduinstein et de Neckarrens édifiés en 1950-
RÉSUMÉ 1951 par le Docteur Finsterwalder, puis ponts de Worms
Le pont de Savines appartient à la première sur le Rhin et de Coblence sur la Moselle en 1952-1953,
génération d e ponts e n béton précontraint [1]), ils se sont développés en France à partir de 1955 :
construits, e n France, par encorbellements
successifs. L'inconvénient majeur de ce type - 1955 : construction du pont de Chazey sur l ' A i n (trois
de ponts, qui sont articulés en c l é , est travées de 41,2, 57,6 et 41,2 m de portée),
rabaissement progressif d e s extrémités d e s
consoles d û , e n grande partie, à la sous-esti- - 1957-1958 : édification du pont de Beaucaire (deux
mation des déformations différées d u béton. travées de rive de 83,70 m et trois travées intermédiaires
L'objectif de cette étude est donc d'apporter
une contribution à l'explication d e c e phéno- de 86,2 m de portée),
mène, e n s'aidant des nouveaux codes d e - 1958-1960 : réalisation du pont de Savines, ainsi que
calcul du béton précontraint aux états limites
de celle du pont du Riou-Bourdou (ouvrage de m ê m e
(BPEL 91 et CEB-FIP 9 0 ) qui intègrent d e
nouvelles lois relatives aux déformations dif- conception et situé juste à côté de celui-ci).
férées des matériaux.
Ils ont été construits par la Société des Grands Travaux
L'analyse de l'influence relative d e s différents de Marseille ( G T M ) , sur la base d'une précontrainte par
paramètres qui interviennent dans le phéno-
mène montrent que l'augmentation des flèches câbles et d'un coulage en place des voussoirs.
à long terme est amplifiée par la différence
importante existant entre les quantités d'aciers Ces quatre ponts, qui comportaient une articulation sans
passifs d e s hourdis supérieur et inférieur, et poussée disposée à l a clé de chaque travée, sont à notre
par les pertes de précontrainte due à la relaxa-
tion des armatures actives. Pour c e type d e connaissance les seuls qui aient été réalisés, en France, sur
ponts, on note également que le code-modèle la base de ce schéma statique de fonctionnement. E n effet,
CEB-FIP semble faire une meilleure prédiction
des déformations à long terme et de leur ciné-
à partir de 1962, les tabliers de ponts construits, en France,
tique que le BPEL. par encorbellements successifs furent rendus continus
avec l a suppression de l'articulation. C'est également à
M O T S C L É S : 24 - Pont - Béton précontraint -
France - Déformation - Long terme - Fluage - partir de cette date que la préfabrication fut utilisée dans la
Retrait - Encorbellement - Flèche - Relaxation - construction par encorbellement, avec l'assemblage de
Armature - Précontrainte - Calcul - Recomman- voussoirs à joints conjugués et collés : le premier ouvrage
dation - État limite /armature passive.
réalisé fut le pont de Choisy-le-Roi sur la Seine.

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E n 1970, la première alerte sérieuse de patho- • U n logiciel de calcul à barres avec prise en
logie fut d o n n é e avec le pont de Chazey qui pré- compte des déformations du béton par la
sentait alors, dans une travée de rive, plusieurs m é t h o d e dite incrémentale : le logiciel ST1 du
fissures de flexion dont l'ouverture dépassait le Service d'études techniques des routes et auto-
millimètre. Après expertise, i l apparut que les routes ( S E T R A ) .
causes de ces désordres provenaient d'une
• U n logiciel de calcul aux éléments finis avec
sous-estimation des actions appliquées sur l'ou-
prise en compte des déformations différées dans
vrage, d'une sous-évaluation des déformations
différées et de la corrosion de quelques câbles de le béton par m o d è l e incrémental : le logiciel
précontrainte. Cet ouvrage fut démoli en 1972, F I E F du Laboratoire central des Ponts et
puis reconstruit. Chaussées ( L C P C ) .
• U n logiciel de calcul à barres avec prise en
S i les ponts de Beaucaire et de Savines ont
compte des déformations différées du béton par
é c h a p p é à une corrosion substantielle de leurs
la m é t h o d e de superposition : le logiciel P C P du
câbles, ces ponts ont cependant m o n t r é assez
SETRA.
rapidement, après leur construction, un abaisse-
ment significatif de leurs clés, abaissement qui
s'est poursuivi pendant une trentaine d ' a n n é e s .
De ces deux ouvrages, le pont de Beaucaire fut Description du pont
celui qui e x p é r i m e n t a les déformations les plus
importantes ; en effet, en 1987, la moyenne des L e pont de Savines permet à la R N 94 de fran-
flèches était d'environ 21 cm, et la flèche maxi- chir la retenue du barrage de Serre-Ponçon dans
male atteignait 25 c m . L e pont de Beaucaire fut le département des Hautes-Alpes. Il a été
démoli en 1993 [2]. construit de 1958 à 1960 par G T M (fig. 1), sous
la maîtrise d'ouvrage d'Électricité de France
Cela n'est pas propre à la France, puisque des ( E D F ) , afin de rétablir les communications rou-
ouvrages de ce type ont aussi été construits en tières interrompues par la création de la retenue
Suisse, avec des désordres semblables [3], [7]. du barrage de Serre-Ponçon sur la Durance.
A i n s i , le pont de Lutrive, achevé en 1973, com- Cette création s'était a c c o m p a g n é e de l'immer-
porte des travées intermédiaires de 112 et 132 m sion du vieux village de Savines et de la dévia-
qui ont accusé, une quinzaine d ' a n n é e s après sa tion de la voie ferrée G a p - B r i a n ç o n qui suivait le
construction, des flèches respectives de 14 et 16 fond de la vallée de la Durance. Cet ouvrage fut
cm. C e pont fut d'ailleurs renforcé par précon- ensuite remis à l'État, en 1984, par E D F .
trainte additionnelle en 1988.
• L e pont de Savines a une longueur totale de
Tous les ouvrages conçus comme une succession 924 m et comporte treize travées (deux travées de
de fléaux encastrés sur les piles (pont de Beau- rive de 38,50 m et onze travées centrales de 77 m)
caire, pont de Savines, pont du Riou-Bourdou, (fig. 2). Son profil en travers est constitué d'une
etc.) ont donc d o n n é lieu, du fait de leur isostati- chaussée de 7 m de large encadrée par deux trot-
cité et de leur grand élancement, à des déforma- toirs de 1 m de largeur.
tions importantes. S i ces déformations ont été
• Les piles ont une hauteur variant de 16 à 46 m
partiellement anticipées par les ingénieurs de
et reposent sur des semelles en béton a r m é encas-
l ' é p o q u e , qui ont appliqué des contreflèches de
trées dans les alluvions de la Durance. L a partie
construction, force est de reconnaître que la
basse des piles est composée, sur une hauteur de 3 m,
majeure partie de ces déformations a été sous-es-
d'un tube carré de 5,60 m de côté et de 1 m d ' é p a i s -
timée et q u ' i l est nécessaire, à la lueur des
seur. E n partie courante, les piles sont constituées
connaissances acquises depuis une trentaine
d'un caisson carré de 5 m de côté et de 0,40 m
d ' a n n é e s , d'en comprendre les raisons.
d'épaisseur. Les piles sont précontraintes par des
L'objectif de cette étude est donc d'apporter une armatures G T M de type F13 de. 65 t de tension
contribution à l'explication de ce p h é n o m è n e , en initiale.
s'aidant des outils modernes de calcul et des nou-
• Les culées reposent, par l'intermédiaire d'une
veaux règlements de calcul du béton précontraint
semelle en béton armé, sur le remblai c o m p a c t é
aux états limites ( B P E L 83 et 91 [12] ; C E B - F I P
de la plate-forme d ' a c c è s de la R N 94.
78 et 90 [13]), qui intègrent de nouvelles lois rela-
tives aux déformations différées des matériaux, • L e tablier du pont en béton précontraint est
en particulier en matière de fluage « scientifique » constitué de consoles de 36 m de portée encastrées
du béton. Pour compléter cette approche, une de part et d'autre des piles et reliées en milieu de
étude paramétrique à été conduite de façon à travée par deux articulations qui ne transmettent
mettre en valeur les paramètres qui influent le que les réactions verticales (fig. 3). L e tablier se
plus sur l'importance de la flèche permanente. D u compose d'une poutre-caisson de 5 m de largeur
point de vue du calcul, le pont est modélisé avec extérieure et de hauteur variant de 4,15 m sur pile
trois types d'outils de calcul différents. à 1,15 m à la clé ; cependant, à 9 m de la clé, le

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I

Le pont de Savines

Rive droite

Pile Pile Pile Pile Pile Pile


P1 P2 P3 P4 P5 P6
a b l c e

|3B,5
t i 11 j 77 J 77
Ij 77
ï T
| 77

Rive gauche |
Articulation

Pile Pile Pile Pile Pile Pile


P7 P8 P9 P10 P11 P12
k

I 77 J 77 J 77 I /'/ f
J 77
I 38,5
J
F/g. 2 - Schéma général.
Fig. 1 - À la fin de sa construction.

Coupe DD
1 Raccordement parabolique
2

1,2 1,9

Coupe EE

9,2

F^f. 3 - Coupe longitudinale partielle et coupes transversales.

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hourdis inférieur est progressivement supprimé trainte à l'intérieur du caisson dans les fléaux
pour ne plus obtenir, au niveau des articulations, situés de part et d'autre de certaines articulations
que deux â m e s solidarisées par une entretoise en (quatre câbles S E E E de 0,6 M N ont été placés
béton a r m é de 0,30 m d'épaisseur. E n partie cou- dans les fléaux P3c, P4c, PI l j , P l l k et P I 2 k ,
rante, les â m e s du caisson ont une épaisseur tandis que deux câbles ont été placés dans les
constante de 0,40 m. L e hourdis inférieur a une consoles P6f et P7f) (cf. fig. 2).
épaisseur variable de 0,45 m sur pile à 0,18 m
• avril 1974. Une inspection réalisée par le
vers son extrémité.
Centre d ' é t u d e s techniques de l ' é q u i p e m e n t
• L a construction a été réalisée par encorbelle- ( C E T E ) d'Aix-en-Provence met en évidence la
ments successifs avec voussoirs coulés en place, rupture d'un câble de précontrainte additionnelle ;
le coffrage de chaque voussoir étant suspendu à il s'agit d'un câble de la console P12k.
un équipage mobile roulant sur les parties déjà L'expertise a montré que la rupture du câble
construites. Les joints entre voussoirs comportent résultait d'une corrosion importante p r o v o q u é e
des aciers passifs, et les voussoirs sont assemblés par la pénétration d'une eau chargée en sel de
par une précontrainte longitudinale ancrée à déverglaçage dans la gaine métallique du câble.
l'about de chaque voussoir et c o m p o s é e de câbles Cette eau s'était introduite par l'ancrage actif du
de type C 0 2 (système S E E E breveté par G T M : câble, cet ancrage étant situé sous un regard de
sept torons de sept fils de 3,6 m m fournissant une visite non étanche.
2
section nominale de 500 m m ; ancrage par enfon- • mars 1975. U n nouvel examen effectué par le
cement d'une bague venant enserrer torons et cla- C E T E permet de découvrir la rupture d'un
vettes ; gaine constituée d'un tube laminé à chaud second câble de précontrainte additionnelle dans
de 1,5 m m d ' é p a i s s e u r et 42 mm de diamètre inté- le fléau P4c, cette rupture s'étant produite dans
rieur). L e matériau e m p l o y é pour la fabrication de des conditions similaires.
ces câbles est un acier clair de nuance 160/180,
avec une contrainte de rupture garantie R g = • juin 1976. Une nouvelle intervention du
1 800 M P a . Les câbles étaient initialement tendus C E T E permet de constater un fonctionnement
avec une force de 0,65 M N . anormal des articulations des clés g, i et j . Les
articulations en acier m o u l é sont constituées par
Jean Courbon, alors directeur des études de une rotule coulissant à l'intérieur d'un tube
G T M et qui a assuré la conception de cet cylindrique. L e passage répété des charges a pro-
ouvrage, a disposé la précontrainte pour que : voqué un matage des zones sphériques de
— chaque section du pont soit uniformément contact de la rotule, entraînant alors un jeu, puis
c o m p r i m é e sous l'action de la précontrainte et un choc au passage des véhicules.
du poids propre,
• 1978. L a précontrainte additionnelle mise en
- les déformations différées soient essentielle-
place en 1966 est remplacée par une nouvelle
ment un raccourcissememnt de l'ouvrage sous
précontrainte constituée de vingt-quatre unités
l'effet d'un effort de compression uniforme,
F U 4600 du procédé de précontrainte S E E E
et en évitant que des efforts de flexion ne vien- (quatre torons T15). Les articulations des clés g, i
nent provoquer une flèche à long terme en milieu et j sont doublées par de nouvelles articulations.
de travée.
• 1979. Des investigations c o m p l é m e n t a i r e s du
C E T E montrent que les nouvelles articulations
présentent un certain nombre de défauts, que les
Vie et pathologie du pont anciennes articulations continuent à se dégrader et
que les joints de chaussées sont en mauvais état.
L e pont de Savines a été mis en service le 15 mai
• novembre 1984. Toutes les articulations sont
1960. D è s l'été 1961, les mesures de contrôle de
remplacées par de nouvelles articulations à base
nivellement ont m o n t r é l'existence de déforma-
d'appareils d'appui en élastomère fretté, et après
tions importantes dans toutes les travées de l ' o u -
que des essais de fatigue réalisés au L C P C
vrage (jusqu'à 8 cm de déflection au milieu de la
eurent d é m o n t r é que celles-ci pouvaient sup-
travée la plus déformée). Ces déformations ont
porter un nombre suffisant de sollicitations de
entraîné l'exécution de travaux de rectification
fatigue.
du profil en long et de renforcement par précon-
trainte additionnelle, travaux qui ont été réalisés B i e n que le pont de Savines ait eu j u s q u ' à présent
en plusieurs phases, et avec deux campagnes une vie relativement m o u v e m e n t é e , i l reste cepen-
importantes : dant l'ouvrage sur lequel nous avons le plus
d'informations, que ce soit pendant sa construc-
• avril-juin 1963. Reprofilage des clés A l à A 5
tion ou pendant son existence, grâce à une surveil-
sur une épaisseur variant de 35 à 100 millimètres,
lance régulière opérée par les deux gestionnaires
• mai-septembre 1966. Reprofilage des autres qui se sont succédés et grâce à l'assistance tech-
clés A 6 à A l 1 et adjonction de câbles de précon- nique du C E T E d'Aix-en-Provence [6].

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I

Suivi des flèches du pont Modélisation du pont


U n suivi annuel des flèches a été assuré par E D F et calcul des déformations
dès la mise en service de l'ouvrage. Ce suivi a été Trois outils de calcul différents ont é t é utilisés
effectué en opérant des corrections thermiques pour modéliser le pont de Savines, chaque calcul
pour tenir compte des conditions de températures ayant permis d'étudier un p h é n o m è n e distinct.
existant au moment des mesures de flèches. E n
effet, les différences de température pouvant • Compte tenu des incertitudes concernant les
exister entre les deux hourdis de la poutre-caisson caractéristiques de l'ouvrage (résistance du
engendrent un gradient thermique vertical dont les béton, module d'élasticité, pourcentage d'arma-
effets peuvent provoquer une flèche d'environ 15 mm tures, relaxation de la précontrainte, etc.), nous
en extrémité de fléau, comme le montre un relevé avons décidé de réaliser une étude paramétrique
des évolutions journalières réalisé en juin 1963. afin d ' é v a l u e r l'influence de chaque variable sur
les déformations à long terme. Dans ces condi-
• De 1961 à 1967. L a flèche moyenne prise par
tions, l'outil idéal de calcul est le logiciel ST1 du
les fléaux était de 8 millimètres par an.
S E T R A , qui permet aisément de faire varier
• De 1967 à 1970. L e p h é n o m è n e c o m m e n ç a i t à chaque paramètre. Bien que ces recherches aient
s'atténuer, puisque la flèche moyenne n ' a plus prouvé l'influence de certains de ces paramètres
évolué que de 3 millimètres par an. sur le p h é n o m è n e , elles n'ont pas permis de
retrouver l'ordre de grandeur des flèches mesu-
• De 1970 à 1974. L a flèche moyenne s'accrois-
rées sur l'ouvrage.
sait d'environ 15 millimètres.
• De 1976 à 1980. Il n ' a pas été possible de De plus, l'existence de quantités importantes
trouver de valeurs de flèche mesurées pendant d'aciers passifs dans le hourdis supérieur du
cette période. tablier nous a obligé à faire une autre modéli-
sation.
• De 1981 à 1987. L'examen des relevés effec-
tués par l'Institut géographique national (IGN) • A f i n d'évaluer les conséquences de la pré-
montre, aux pertubations près introduites par la sence de ces aciers sur la déformation à long
température, que les déformations sont presque terme, nous avons bâti un modèle aux éléments
stabilisées ; les déformations mesurées sont de finis. C e calcul a été réalisé avec le logiciel
quelques millimètres et la déformation maximale F I E F du L C P C , qui permet de calculer les défor-
enregistrée reste inférieure à 10 millimètres. mations dues au fluage et au retrait du béton en
• De 1987 à 1994. L e s déformations totales considérant la présence de ces armatures ; mal-
mesurées par 1 T G N sont d'environ 2 millimètres. heureusement, ce logiciel ne permet pas de
considérer le phasage de construction. Les résul-
L'ensemble des informations obtenues sur l ' é v o - tats de cette étude ont mis en évidence le rôle
lution des flèches du pont de Savines est synthé- j o u é par ces aciers dans l'aggravation des flèches
tisé sur la figure 4, qui représente l'évolution de différées.
la flèche moyenne des clés en fonction du temps.
Cette évolution est probable car, pour la période • Une petite astuce nous a permis de tenir
de 1976 à 1980, une extrapolation a dû être compte des aciers sur le hourdis supérieur dans
opérée de façon à pouvoir raccorder correcte- le modèle du pont élaboré p r é c é d e m m e n t avec le
ment les deux morceaux de courbe connus. logiciel S T 1 . Grâce à ce modèle « modifié »,
nous avons pu effectuer un cumul des effets qui
contribuent à l'augmentation de la flèche. L e s
Flèche (mm) déformations différées obtenues sont alors des
140 déformations du m ê m e ordre de grandeur que
celles constatées sur l'ouvrage. Pourtant, l a ciné-
tique de ces déformations ne correspond pas à la
réalité.

• Finalement, un dernier calcul a été m e n é à


l'aide du logiciel P C P du S E T R A (ce logiciel
permet de considérer des lois de fluage et de
retrait différentes) afin d'évaluer l'effet d'une
autre loi du fluage sur l a valeur et la cinétique
O-T-CVICO^LOCOh-COCTjOi-CMCO
des déformations. Une cinétique plus proche de
celle mesurée a ainsi pu être trouvée.
Date

Fig. 4 - Evolution probable de la flèche moyenne


On trouvera, ci-après, l a description de chacun
des clavages en fonction du temps. des modèles analysés.

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Modèle à barres - Fluage et retrait Ces valeurs ont été choisies pour leur vraisem-
avec les hypothèses du BPEL 91 blance : elles ne résultent pas de mesures spécifi-
ques pendant ou après la construction.
Description du modèle
L e calcul est fait à l'aide du programme de calcul Étude de la sensibilité du phénomène de fluage
ST1 du S E T R A . C e logiciel permet l ' é t u d e de par rapport à différents paramètres
l'évolution de la structure dans les différentes Compte tenu de toutes les incertitudes sur la des-
phases de construction (mise en place de chaque cription du pont, les caractéristiques des maté-
voussoir, mise en tension de chaque câble) et le riaux et les conditions climatiques du site, nous
calcul des déformations différées dans le béton avons décidé de réaliser une étude paramétrique
par la m é t h o d e incrémentale (méthode du temps des différents facteurs qui peuvent avoir une
équivalent) [8], [9]. influence sur le fluage des fléaux.
Dans le cas du pont de Savines, étant d o n n é la Les paramètres étudiés sont les suivants :
symétrie du pont et l'existence d'une articulation
- la valeur de la précontrainte,
à la clé, le m o d è l e choisi se r é s u m e à une
- la résistance à 28 j du béton du tablier,
console constituée de onze éléments de poutre et
- l'hygrométrie ambiante,
de douze noeuds, comme le montre la figute 5.
- le rayon moyen de séchage,
L e cycle de construction proposé pour chaque - la relaxation des aciers de précontrainte,
voussoir est le suivant : - la durée du cycle de construction des voussoirs.
• construction de la barre représentative du Pour chaque étude de la variation d'un p a r a m è t r e
voussoir ; donné, tous les autres paramètres restent constants.
• mise en tension de câbles de précontrainte Son influence est observée sur la flèche, celle-ci
lorsque le béton a un âge de trois jours (six étant définie pour la valeur du d é p l a c e m e n t ver-
câbles par voussoir) ; tical de l'extrémité du fléau (noeud 12 du m o d è l e ) ,
relatif à l'état de l'ouvrage juste après l'applica-
• début d'un nouveau cycle ; la durée de chaque tion du poids des superstructures.
cycle de construction de voussoir est de sept
jours ; • L a valeur de la précontrainte. Compte tenu du
système de mise en tension utilisé à l ' é p o q u e de la
• À la fin de la construction du voussoir 10, on construction, i l est possible que la précontrainte
applique le poids des superstructures. réelle soit inférieure à celle considérée comme
vraisemblable. C'est pourquoi la contrainte dans
Une charge répartie de 0,01 M N / m est appliquée
les aciers à la mise en tension a été prise entre 900
sur les trois derniers voussoirs pour représenter
et 1300 M P a .
le poids du renformis placé pour le reprofilage
du pont. O n applique ce poids trois ans après On constate que l'influence de la force de précon-
l ' a c h è v e m e n t de l'ouvrage. trainte sur les déformations à long terme est fon-
damentale (fig. 6a). Une diminution de 10 % de
Les lois de fluage et de retrait du béton sont celles
cette force engendre une augmentation de 12 %
que propose le B P E L 91. Les paramètres du
de la flèche. Il convient, cependant, de noter
calcul, avec les notations du B P E L , sont alors :
qu'une contrainte initiale dans les aciers infé-
• pour le béton : rieure à 1200 M P a provoquerait des tractions en
- résistance en compression du béton à 28 j (f g) = c 2
fibre supérieure de la section sur pile sous charges
35 M P a , permanentes, alors que, j u s q u ' à présent, aucune
- pourcentage d'armatures passives ( p ) = fissure ni ouverture de joint n'ont été décelées
s
dans cette zone.
0,5 %,
- hygrométrie (p ) = 55 %,
h • La résistance caractéristique du béton du
- rayon moyen de séchage (r ) = 20 c m ;
m tablier. D ' a p r è s les résultats des épreuves de
contrôle effectuées pendant la construction, i l
• pour la précontrainte :
2
apparaît que les résistances obtenues étaient tout à
- section - 500 m m , fait satisfaisantes. L e béton du tablier, dosé à 370 kg
- tension initiale = 1 300 M P a , de ciment H R I Vicat 315-400, devait avoir une
- pertes : résistance minimale à 90 j de 40 M P a . E n réalité,
coefficient de friction par frottement (f) = les épreuves de contrôle montrent que les résis-
0,100, tances à la compression mesurées sur cube attei-
coefficient de friction par déviation angu- gnaient 45 M P a à 28 j et 50 M P a à 90 jours.
laire (cp) = 0,002,
relaxation à 1 000 h (p) = 6%, Malgré les bonnes performances du béton qui a
recul d'ancrage = 0,006 m, servi à la construction du tablier, nous avons
- module d ' Y o u n g (E) = 190 000 M P a . volontairement abaissé les caractéristiques du b é -

96 BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 2 0 3 - MAI-JUIN 1 9 9 6 - RÉF. 4 0 4 3 - PP. 9 1 - 1 0 3


Modèle à barres

Flèche (mm)
Flèche (mm)
90
80
70
60
50
40
30 _
20 _
10 _
0
900 1000 1100 1200 1300 0 5 10 15 20 25 30
Contrainte des aciers à la mise en tension (MPa) Rayon moyen (cm)

a. Tension initiale des armatures de précontrainte. d. Rayon moyen de séchage.

Flèche (mm) Flèche (mm)


70 80
60 70
50 _ " • 60 _
40 _ 50 —
30 _ 40 _
30 _
20
- 20 _
10
0 - 10 —
0
20 25 30 35 40 0 2 4 6 8 10 12 14 16
fc 2 8 (MPa) Relaxation à 1000 heures (%)

b. Résistance à la compression à 28 jours. e. Relaxation des aciers de précontrainte.

i , , , , , , , , u 1 1 1 1 1 1

0 10 20 30 40 50 60 70 80 0 2 4 6 8 10
Humidité (%) Cycle de construction (j)

c. Humidité relative ambiante. f. Durée du cycle de construction.

Fig. 6 - Influence de différents paramètres sur la flèche à 10 000 jours.

97
BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 203 - MAI-JUIN 1996 - RÉF. 4043 - PP. 91-103
ton, ne serait-ce que pour tenir compte du coeffi- • La durée du cycle de construction des vous-
cient de réduction permettant de passer de la soirs. L a figure 6f montre que la durée du cycle
résistance sur cube à la résistance sur cylindre de construction des voussoirs a une influence
d ' é l a n c e m e n t 2, cette dernière étant actuellement importante sur les déformations. Cette influence
considérée dans les calculs. D ' a p r è s les résultats diminue lorsque la durée du cycle augmente et,
de la figure 6b, et contrairement à ce que l ' o n par voie de conséquence, lorsque l ' â g e du béton
pourrait en penser, on s'aperçoit que la résis- lors du chargement est plus grand. Dans notre
tance à 28 j n'a pas beaucoup d'importance sur cas, on considère une durée de 10 j qui corres-
les déformations à long terme du pont ; en effet, pond aux cadences de construction observées sur
une baisse de 1 0 % de la résistance n'induit le site.
qu'une augmentation de la flèche de 3,5 %. Nous
conserverons donc, par la suite, la valeur de f = c 2 8

35 M P a . Modèle aux éléments finis - Fluage et retrait


avec les hypothèses du BPEL 91
• L'hygrométrie ambiante. L ' h u m i d i t é relative
de l'air est un paramètre é m i n e m m e n t variable Dans le cas du pont de Savines, comme pour
en un lieu d o n n é et dépend, en particulier, des d'autres ponts conçus par M . Courbon à la m ê m e
conditions climatiques et géographiques locales. é p o q u e et avec la m ê m e technologie, i l apparaît
Dans le cas présent, les informations disponibles une différence importante de quantités d'aciers
apparaissent très limitées. passifs longitudinaux entre les hourdis supérieur
et inférieur. Cette différence est accentuée par la
L'examen de la figure 6c permet de constater présence des conduits de précontrainte en acier,
que l ' h y g r o m é t r i e est un facteur e x t r ê m e m e n t conduits qui constituent une forte section d'arma-
influent ; en effet, une petite variation (5 %) de tures dans le hourdis supérieur (52 c m à la clé et 2

l ' h u m i d i t é relative entraîne une variation impor- 2


144 c m sur appuis). E n effet, les conduits de pré-
tante de la flèche (7,5 %). Dans le cas du pont de contrainte provoquent une augmentation de la
Savines, qui se situe dans le quart sud-est de section d'acier, comprise entre 17 et 21 % en plus
France, le B P E L 91 propose une valeur de 55 %. par rapport au ferraillage passif.
nous prendrons une valeur un peu plus sévère :
p = 50 %.
h
A f i n d'étudier l'effet de ces armatures sur les
déformations à long terme, nous avons utilisé le
• Le rayon moyen de séchage. L e rayon moyen logiciel F I E F du L C P C , qui est un programme de
de séchage est défini par le B P E L comme le rap- calcul aux éléments finis avec prise en compte
port entre la section de la pièce et son périmètre. de la précontrainte et des déformations différées
Dans le cas du pont de Savines, le rayon moyen du béton ; ce logiciel présente l'avantage de pou-
de la section sur pile est de 22 cm, tandis que voir modéliser la section transversale du pont en
celui de la section de clé est de 14 cm. « tranches » d ' é l é m e n t s finis, avec des caracté-
Malheureusement, dans le calcul informatique, ristiques viscoélastiques différentes pour chaque
on ne peut considérer qu'une seule valeur de ce « tranche » [8].
paramètre et i l est donc nécessaire d ' é v a l u e r son
influence sur les résultats du calcul (fig. 6d). Le calcul des déformations différées est réalisé
par la méthode incrémentale, avec les hypothèses
Ces derniers montrent que le rayon moyen de du B P E L 91.
séchage (r ) n'est pas i c i un facteur très influent.
m

Nous prendrons donc, comme « r » du pont, la m


Description du modèle
valeur moyenne de la section située entre celle
de clé et celle sur pile (r = 15 cm).
m
L e modèle n u m é r i q u e e m p l o y é pour ce calcul
comporte 147 n œ u d s et 240 éléments triangu-
• La relaxation des aciers de précontrainte. laires à trois noeuds (fig. 7). Les caractéristiques
L ' e x p é r i e n c e a montré que l ' u n des facteurs, dont des matériaux sont les m ê m e s que celles du
l'influence est prépondérante dans la pathologie calcul précédent, à l'exception du pourcentage
des ouvrages qui datent de la m ê m e é p o q u e que le d'armatures passives qui varie.
pont de Savines, est la sous-estimation des pertes
Le logiciel, dans son état actuel, ne pouvant pas
dues à la relaxation des aciers de précontrainte.
facilement prendre en compte le phasage de
L a figure 6e confirme l'évolution que la perte construction de la structure, nous avons donc
par relaxation des aciers joue un rôle prépondé- choisi de construire la totalité de la structure à la
rant dans l'évolution de la flèche à long terme du date t = 50 j , c'est-à-dire avec un béton âgé de 50 j
pont. Une variation de 10 % sur le coefficient de au moment de la mise en précontrainte, ce qui
relaxation augmente de 5,5 % la flèche. Nous représente la moitié de la durée de construction
retiendrons une valeur de 9 % à 1 000 h, qui cor- d'un fléau. Puis, à partir de ce moment, les défor-
respond assez bien à la relaxation probable des mations à long terme sont calculées sur la base du
aciers de précontrainte typiques de cette époque. B P E L 91 (jusqu'à 10 000 jours).

98 BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES • 2 0 3 - MAI-JUIN 1 9 9 6 - RÉF. 4 0 4 3 - PP. 9 1 - 1 0 3


i

Fig. 7 - Modèle
utilisé. Axe de la pile

1,15m

2,5 m 36 m

9,6 m

D J . 0,22 m
A

Idéalisation de la 0 8m
section transversale

5 m

Flèche (mm Pourcentages différents d'armatures


Modèle aux éléments finis 50 en hourdis supérieur et inférieur
45
40
35
30
25
20 Même pourcentage d'armatures en
15 en hourdis supérieur et inférieur
10
5
Fig. 8 - Evolution de la flèche en
0
extrémité du fléau en fonction du
pourcentage d'armatures passives 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990
en hourdis supérieur. Date

Variation du pourcentage des armatures passives fois, de tenir compte du phasage et de la pré-
sence d'aciers passifs longitudinaux dans le
L a figure 8 présente l'évolution des déforma-
hourdis supérieur.
tions verticales en extrémité du fléau en fonction
du temps. L a courbe inférieure est obtenue avec
des pourcentages identiques d'armatures pas- Modèle à barres modifié - Fiuage et retrait
sives dans le hourdis supérieur, le hourdis infé-
avec les hypothèses du BPEL 91
rieur et les â m e s : p = 0,5 %.
s

L a courbe supérieure est atteinte avec des pour- Description du modèle


centages différents d'armatures passives dans les A f i n d'étudier l'influence de la variation du
hourdis supérieur et inférieur : pourcentage d'aciers passifs sur la flèche à long
- pour les â m e s et le hourdis inférieur : p s = terme, nous avons créé le modèle schématisé sur
0,5 %, la figure 9. Ce nouveau modèle est bâti à partir
du modèle à barres, auquel ont été ajoutées des
- pour le hourdis supérieur : p = 2 %. barres représentant les aciers passifs en hourdis
s

supérieur. Ces barres reprennent uniquement des


efforts normaux. Leur excentrement est égal à la
Conclusion
distance entre le centre du hourdis supérieur et le
Cette étude montre qu'une différence importante centre de gravité de la section. Des barres rigides
entre les quantités de ferraillage longitudinal des font la liaison entre les barres en béton et les
hourdis supérieur et inférieur conduit à une aug- barres en acier. L e calcul est réalisé avec le pro-
mentation significative de la flèche à long terme gramme ST1 du S E T R A .
du pont (+ 28 %).
L a suite de l'étude est donc effectuée à l'aide L a figure 10 représente la variation de la flèche
d'un m o d è l e à barres modifié qui permet, à la en fonction du temps pour différentes valeurs du

BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 203 - MAI-JUIN 1996 - RÉF. 4043 - PP. 91-103
99
Modèle à barres modifié

1
1
1

1t

.z
Aciers en hourdis supérieur

m
2
%
3
••• • ••
4 5

36 m
6 7 8 9
Barre rigide

m
10
.•
.\ i

11
F/g, 9 - Modèle utilisé.

X
0

Q F/g. 70 - Évolution de la flèche


en extrémité du fléau en fonction
0,5 cf pourcentage
u d'armatures
1 passives en hourdis supérieur.
1,5
2
2,5

0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10 000
Temps (j)

Flèche (mm)
100
80
Contrainte (MPa)
60 10 ,_ Fibre supérieure
40
20
0 2000 4000 6000 8000 10000 12000
0,5 1,5 2 2,5
Fibre inférieure Temps (j)
Pourcentage d'armatures

Fig. 11 - Influence du pourcentage d'armatures passives Fig. 13 - Evolution des contraintes dans la section
sur la flèche à 10 000 jours. sur pile en fonction du temps (hypothèse moyenne).

Flèche (mm)
140
Hypothèse extrême

1960 1970 1980 1990


Date

Fig. 12 - Comparaison entre les flèches théoriques


calculées selon différentes hypothèses Fig. 14 - Evolution des flèches mesurées
et la flèche mesurée. aux différentes clés.

100 BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 2 0 3 - MAI-JUIN 1 9 9 6 - RÉF. 4 0 4 3 - PP. 9 1 - 1 0 3
I

pourcentage d'armatures passives en hourdis L a figure 13 présente la variation des contraintes


supérieur. Ce dernier modifie d'une façon sen- en fibre supérieure et inférieure de la section sur
sible les valeurs des déformations, mais change pile en fonction du temps pour l'hypothèse dite
assez peu la cinétique. « moyenne ». Cette figure tend à prouver que
l'hypothèse « moyenne » est probablement l'hy-
L e calcul réalisé à l'aide d'un m o d è l e à barres
pothèse limite que l ' o n puisse prendre en
modifié (fig. 11) confirme l'ordre de grandeur
compte, et que l'hypothèse « extrême » conduit
obtenu à l'issue de l'étude précédente aux élé-
à une fissuration du hourdis supérieur sur pile,
ments finis ; la présence accrue d'aciers passifs fissuration non observée j u s q u ' à présent.
dans le hourdis supérieur est bien une cause
d'aggravation de la déformation. L a figure 14 montre l'évolution des flèches
mesurées aux différentes clés du pont, la flèche
Cumul des effets moyenne calculée à partir de celles-ci et la prévi-
sion faite avec le calcul informatique en prenant
C e modèle, avec la prise en compte des aciers l'hypothèse dite « moyenne » pour les p a r a m è -
passifs, permet d'avoir une meilleure représenta- tres du béton. Cette figure permet de resituer
tion du comportement différé du pont. U n nouveau l'évolution de la flèche calculée avec l'hypo-
calcul est réalisé en combinant les effets de tous les thèse « moyenne », dans le fuseau des flèches
paramètres analysés au paragraphe « Étude de la mesurées aux différentes clés de l'ouvrage. S i
sensibilité du p h é n o m è n e de fluage par rapport à l'on met à part l'évolution anormale du clavage
différents paramètres », et en considérant trois « k » (dont les causes restent inconnues), on
hypothèses pour ces paramètres : une hypothèse « op- obtient, pour l ' h y p o t h è s e dite « moyenne », une
timiste », une hypothèse « moyenne » et une hypo- évolution de la flèche dont l'ordre de grandeur
thèse dite « extrême ». est compatible avec l'observation, mais dont la
cinétique ne correspond pas à la réalité. O n peut
Les données de ce calcul sont les suivantes :
d'ailleurs noter, sur cette figure, une relative dis-
• l o i de fluage du B P E L ; persion des flèches prises par les différents cla-
• pour la précontrainte : vages, qui tend à montrer que les paramètres
- section = 500 m m , 2 propres à la construction des fléaux ont une
- tension initiale = 1 300 M P a , influence non négligeable sur les déformations
- pertes : différées. C'est pourquoi i l apparaît nécessaire
coefficient de friction par frottement (f) = de tester une autre loi de fluage compte tenu de
0,200, ce q u ' i l est peu probable, dans la réalité, que
toutes les hypothèses pessimistes se cumulent.
-*- coefficient de friction par déviation angu-
laire (q>) = 0,002,
L a phase suivante consiste donc à étudier le rôle
relaxation à 1 000 h (p) = 9 %,
des lois de fluage et de retrait sur la cinétique et
recul d'ancrage = 0,006 m,
la valeur des déformations à long terme.
- module d ' Y o u n g (E) = 190 000 M P a ;
• pour le béton :
Modèle à barres - Fluage et retrait avec les
Hypothèse hypothèses du BPEL 91 et du CEB-FIP 90
optimiste moyenne extreme
Cette étude est réalisée à l'aide du programme
35 30 25
P C P du S E T R A . C o m m e le programme S T 1 , ce
logiciel permet de calculer les déformations dif-
0,35 0,35 0,35
férées des structures en béton compte tenu de
2 2 2
leur phasage de construction ; i l permet aussi de
60 60 45
considérer différentes lois de fluage et de retrait
25 15 12,5 du béton ( B P E L , C E B - F I P , E U R O C O D E , etc.).
L e calcul des déformations est fait par la
L a figure 12 montre la variation de la flèche en m é t h o d e de superposition.
extrémité du fléau en fonction du temps et présente
l'évolution probable des flèches moyennes L e modèle numérique utilisé pour cette étude est
estimée à partir des mesures topographiques, ainsi celui défini au paragraphe « M o d è l e à barres -
que les flèches calculées par le logiciel ST1 avec Fluage et retrait avec les hypothèses du B P E L 91.
les trois hypothèses considérées. Ces résultats Description du modèle », avec l'hypothèse dite « op-
montrent q u ' i l faut cumuler des hypothèses parti- timiste » pour les caractéristiques des matériaux
culièrement pessimistes pour se rapprocher des (cf. paragraphe « M o d è l e à barres modifié - Fluage
flèches m e s u r é e s à long terme et que, quelles que et retrait avec les hypothèses du B P E L 91. Cumul
soient les hypothèses de calcul prises en compte, des effets »). Deux calculs ont été effectués :
aucune d'entre elles ne présente une cinétique en - un calcul avec les lois de fluage et de retrait
accord avec la cinétique de déformation mesurée. proposées par le B P E L 91,

BULLETIN DES LABORATOIRES DES P O N T S ET CHAUSSÉES - 2 0 3 - MAI-JUIN 1 9 9 6 • RÉF. 4 0 4 3 - PP. 9 1 - 1 0 3


101
- un calcul avec les lois de fluage et de retrait du © Les résultats de cette étude et les désordres
code m o d è l e C E B - F I P 90. constatés r é c e m m e n t dans d'autres ouvrages en
L a figure 15 montre l'évolution des flèches en béton précontraint non clavés. et conçus à l'aide
extrémité du fléau en considérant le règlement du B P E L , montrent que ce règlement sous-es-
B P E L 91 et le code modèle C E B - F I P 90. time vraisemblablement les déformations diffé-
rées des ouvrages.
O n observe que le calcul fait avec le règlement
C E B - F I P (avec les m ê m e s caractéristiques des E n outre, bien que la plupart des ponts en béton
matériaux et les m ê m e s conditions hygrométriques) précontraint construits par encorbellement suc-
prévoit des flèches de 40 % plus élevées que le cessifs soient actuellement clavés, on considère
calcul réalisé avec les lois du B P E L . Par ailleurs, que des différences importantes peuvent exister
la cinétique de la déformation (particulièrement entre la valeur « calculée » et la valeur « réelle »
dans les premières années de vie de l'ouvrage) est de la redistribution de moments (et contraintes)
plus proche de la cinétique « réelle ». au sein de la structure.

Cela rappelle donc l'intérêt d'étudier soigneuse-


Flèche (mm)
150 ment l'influence du type de loi de fluage sur
Réel l'évolution des contraintes à long terme dans les
100 PCP-CEB ponts clavés.
PCP-BPEL
50 O Comme le remarquent Favre [11] ainsi que
Foure [5], le code modèle C E B - F I P semble faire
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990
une prévision plus réaliste des déformations à
Date long terme, y compris de leur cinétique.

Fig. 15 - Évolution des flèches des clavages. O n peut alors conclure que les flèches « mesu-
rées » sur le pont de Savines peuvent être mieux
expliquées à l'aide des m é t h o d e s modernes de
Conclusions calcul, en prenant des hypothèses raisonnables
sur les valeurs des paramètres qui interviennent
Avant toute chose, i l est important de rappeler dans le p h é n o m è n e , en modélisant correctement
l'existence de quelques incertitudes sur la des- les aciers passifs et en admettant les hypothèses
cription du pont et les caractéristiques de ses du C E B - F I P pour le fluage et le retrait.
matériaux.
De plus, la graphique qui présente l'évolution
des flèches moyennes des clavages en fonction R E F E R E N C E S BIBLIOGRAPHIQUES
du temps est une courbe « probable », qui résulte
[1] MATH1VAT J. (1979), Construction par encor-
de la meilleure interprétation possible des diffé-
bellement des ponts en béton précontraint,
rentes campagnes de mesures topographiques qui Eyrolles.
se sont succédées sur le pont de Savines.
[2] JEHAN J.-C, BERNARD J.-L. (1994), Pont de
Les principaux résultats de l'étude sont les Beaucaire sur le Rhône : démolition, Bulletin de
suivants. liaison du CTOA, SETRA, 19, nov., pp. 29-33.
O L a différence importante entre les quantités [3] FAVRE R., M A R K E Y I. (1990), Long-term moni-
d'aciers passifs longitudinaux des hourdis supé- toring of bridge déformation. Bridge Evaluation,
rieur et inférieur entraîne une augmentation des Repair and Rehabilitation, Edited by Andrzej
rotations, et donc des flèches à long terme en Nowak, N A T O ASI Séries, V o l . 187, Kluwer
Académie Publishers, pp. 85-100.
extrémité du fléau. O n peut expliquer ce phéno-
m è n e ainsi. Une quantité importante d'armatures [4] GRANGER L., L E ROY R. (1995), Le problème
passives en hourdis supérieur limite les déforma- des déformations différées du béton précontraint
tions longitudinales de celui-ci sous l'effet du et du béton armé. Fluage combiné du couple
acier-béton. Bulletin de liaison des Laboratoires
retrait et du fluage du béton. Par contre, le des Ponts et Chaussées, 197, mai-juin, pp. 13-18.
hourdis inférieur, moins a r m é , présente une
déformation plus grande, ce qui produit une [5] FOURE B., NUNG Z.T. (1988), Redistribution des
déformation relative plus importante entre les efforts dus au fluage du béton dans une poutre
précontrainte à deux travées. Étude expérimen-
deux fibres (ou hourdis). Cette déformation rela-
tale, Annales de l'ITBTP, 461, janv., pp. 118-156.
tive se traduit par une rotation, et donc par un
d é p l a c e m e n t vertical plus important. [6] OJEDA V. (1992), Évaluation sommaire de la
pérennité du pont de Savines, C E T E Méditerra-
© O n constate que les pertes par relaxation des née, mars.
aciers de précontrainte jouent un rôle essentiel
[7] FAVRE R. (1994), Critères pour le choix d'une
dans la déformation à long terme : ces pertes ont précontrainte ; application au cas d'un renfor-
probablement été sous-estimées lors du calcul de cement, Colloque sur la gestion des ouvrages
conception. d'art, ENPC, oct., pp. 213-225.

102 BULLETIN DES LABORATOIRES DES PONTS ET CHAUSSÉES - 2 0 3 - MAI-JUIN 1996 - RÉF. 4 0 4 3 - PP. 9 1 - 1 0 3
I

[8] E Y M A R D R. (1994), Allowing for the creep of [11] F A V R E R. et al. (1995), Enseignements tirés
concrete in a finite-element structural calcula- d'essais de charge et d'observations à long
tion, Computers and Structures, V o l . 53,4, pp. 921 - terme pour l'évaluation des ponts en béton et le
928. choix de la précontrainte, Mandat de recherche
83/90, 514, Union suisse des professionnels de
[9] PEYRAC P., E Y M A R D R. (1994), Calcul du la route, Zurich, j u i f
fluage du béton dans les ouvrages d'art
[12] BPEL 83 et 91 (1983, 1991), Règles techniques
construits par phases, Journées des sciences de
de conception et calcul des ouvrages et construc-
l'ingénieur du réseau des Laboratoires des Ponts
tions en béton précontraint suivant la méthode
et Chaussées, Tome 2, oct., pp. 31-37.
des états limites, Bulletin officiel, fasc. 6 2 .

[10] GRANGER L. (1995), Comportement différé du [13] CEB-FIP 78 et 90 (1978. 1990), Comité euro-in-
béton dans les enceintes de centrales nucléaires, ternational du béton, Code modèle pour struc-
Thèse de doctorat, E N P C , 397 p. tures en béton.

Remerciements. Les auteurs remercient le SETRA et, plus particulièrement,


Pierre Peyrac et Mme A. Liard pour leur aide dans la mise au point des modèles
numériques. Ils remercient également Daniel Esbrat du CETE Méditerranée,
pour les informations précieuses qu 'il a fournies sur la vie de l'ouvrage et sans
lesquelles ce travail n'aurait pu être effectué.

ABSTRACT

Delayed deformations of t h e Pont de S a v i n e s

A PATRON-SOLARES B GODART. R EYMARD


Tho Pont d e Savines is one of the first-generation prestiessed concrete bridges realized in France in the cantilever
construction T h e majoi d i a w b a c k of this kind of bridge, which is rrown-jomted, is the gradual lowennq of the endb
of the cantilevéis due largely to under-estimation of delayed deformations of t h e concrete T h e purpose of this
investigation w a s to help to find a n explanation of this phenomenon having recourse to the new codes of calculo
ting prestressed conciete undor boundary conditions (BPEL 91 a n d C E P FIP 90) which i n r o i p o i a t e new laws
governing the delayed defoimation of these matetials

Analysis of the relative influence of the different parameteis involved in the phenomenon showed that the long term
incredbe in deflection is amplified by the considerable difference between the quantities of remfoicements in the
upper a n d lower slabs a n d by prestressing losses due to the relaxation of the tendons It w a s also shown that for
this type of bridge the C E B FIP code model s e e m s to predict long term deformations a n d their kynotics bcttei than
the B P E L code

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