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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique

Chloé BEERNAERTS
111-061-737
Automne 2013

Sociologie du développement
Travail de fin de session

« Développement et inégalités : la position des femmes au Maroc dans la sphère


publique »

Pr. P. Kapagama

1
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique

Table des matières

I. Introduction ………………………………………………………………………………p.3

II. Problématique ……………………………………………………………………….……p.3


1. Question de recherche ………………………………………………………………….….p. 3
2. Problématique …………………………………………………………………………..….p.3

III. Analyse …………………………………………………………………………….………p.4


1. Contexte : les femmes au Maroc aujourd'hui ……………………………………………...p.4
a) Le rôle des femmes dans l'inconscient culturel ………………...………………………….p.4
b) La réforme de la Moudawana …………………………………………………..………….p.5
c) Comparaison avec des pays voisins ………………………………….…………………….p.6
2. Inégalités dans la sphère publique ……………………………………………...………….p.8
a) Education ……………………………………………………………….………………….p.8
b) Emploi ………………………………………………………..…………………………….p.9
c) Loisirs …………………………………………………………………………………….p.10
3. Le cas spécifique de la participation politique ………………………….……………….p.11
a) Les femmes et la politique ……………………………………………………….……….p.11
b) Les femmes et la société civile ……………………………………………..…………….p.12
c) Le féminisme ……………………………………………………………………….…….p.14

IV. Réflexions personnelles …………………………………………………………………p.15

V. Conclusion …………………………………………………….…………………………p.16

VI. Bibliographie ………………………………………………….…………………………p.17

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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique

I. Introduction

Dans le cadre du cours de Sociologie du développement, c'était surtout les thèmes de


pauvreté, d'exclusion et d'inégalités qui m'intéressaient. C'est donc tout naturellement que je me
dirigeai vers les pays ''en voie de développement'' car j'ai également un intérêt fort pour tout ce qui a
trait au sous-développement et à la coopération Nord-Sud. Plus spécifiquement, je pense pouvoir
dire que l'Afrique, et en particulier l'Afrique du Nord, le Maghreb m'ont toujours plus intéressé.
C'est peut-être lié au fait que je viens d'Europe et que l'Europe a une longue histoire avec l'Afrique.
De plus, je viens de la Belgique qui compte une haute population de maghrébins. Tous ces facteurs
ont sans doute aidé au choix de mon sujet. Tout ceci pose le contexte géographique. Venons-en
maintenant à la problématique en tant que telle. Si j'ai choisi un sujet relatif à la participation des
femmes au Maroc, ce n'est en aucun cas lié à de quelconques revendications féministes. J'ai voulu
aborder un thème traitant des inégalités ou de l'exclusion et, en faisant quelques recherches de base
sur la situation au Maroc, j'en suis venue à considérer le cas des femmes sur le plan politique.
J'aurais pu décider de parler de l'éducation, mais la participation politique des femmes me semblait
un sujet moins connu, peut-être plus spécifique et moins empreint de préjugés ou stéréotypes.
Pour réaliser ce travail j'ai utilisé plusieurs sources. La plupart d'entre-elles ont été écrites
par des auteurs marocains. J'y ai accordé de l'importance car je pense que, lors de l'étude d'un pays,
il est important de ne pas prendre (qu') un regard extérieur. J'ai également basé ma recherche autant
sur des ouvrages que sur des articles.

II. Problématique

1. Question de recherche
« Les marocaines ont-elles une place dans la sphère publique ? »

2. Problématique
Les femmes au Maroc, nous allons le voir, n'ont pas une grande visibilité sur la scène
politique ou même dans la sphère publique en général. Nous allons essayer de comprendre
pourquoi à travers cet essai. Il est vrai que les femmes connaissent ces problèmes partout dans le
monde, mais le cas est particulièrement fort dans les pays d'Afrique du Nord et particulièrement au
Maroc où la situation est pire qu'ailleurs.
Nous aborderons le cas de l'inconscient culturel et religieux qui définit un rôle féminin en

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dehors de toute vie publique. Néanmoins, nous pouvons remarquer certaines avancées dans les
mentalités ainsi que dans les textes de loi comme la Moudawana (le code de la famille marocain).
Nous verrons alors ce que cela implique. Comme je le disais, la situation au Maroc n'est que peu
comparable aux pays voisins. Nous analyserons également ça dans une partie de ce travail.
Enfin, nous verrons à travers la description de cas plus concrets les inégalités dont sont
victimes les femmes au Maroc. Nous parlerons notamment la participation féminine en politique,
dans les associations et coopérations, ...

III. Analyse

1. Contexte : Les femmes au Maroc aujourd'hui

a) Le rôle des femmes dans l'inconscient culturel


Tout d'abord, précisons que les femmes ne forment pas un groupe homogène et immuable.
Elles ont certes des caractéristiques communes, mais diffèrent fortement selon l'âge, l'éducation,
l'habitat, etc. Une femme n'en est donc pas une autre. Au Maroc, les plus aisées sont également
mieux formées et au moins bilingues, alors que les plus défavorisées sont considérées comme
analphabètes car elles ne parlent souvent qu'une seule langue, le berbère ou la darija (variation
marocaine de l'arabe). Elles sont aussi bien souvent rurales mais sont très impliquées dans leur
communauté.
Ensuite, dans la tradition, l'homme et la femme ont des rôles différents. Celui de la femme
est d'être gardienne de la tradition, passeuse des normes, valeurs et pratiques de la société
marocaine. Une des principales caractéristiques de cette société est l'oralité. Les femmes utilisent
donc de manière privilégiée ce biais et ça se remarque dans l'analyse du discours. En effet, les
femmes sont plus polies, moins agressives, parlent moins fort et n'interrompent pas l'interlocuteur.
Tous ces comportements ont pour objectif de favoriser la solidarité. Ce n'est pas le cas des hommes
qui n'ont aucun remords à hausser la voix ou à interrompre ses interlocuteurs. Néanmoins, il ne faut
pas se le cacher, si les femmes utilisent en majorité la voie orale, c'est parce qu'elles sont
majoritairement analphabètes. Mais quelle dimension précède l'autre ? Nous avons vu que la
marocaine est gardienne des traditions, ce qui est un rôle positif. En ce sens, l'oralité est vue de
manière positive, comme une caractéristique propre au Maroc qui a su se garder de l'influence
occidentale. Mais l'oralité a également sa face sombre lorsqu'elle est considérée comme vulgaire et
non cultivée.

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Troisièmement, nous ne le cacherons pas, la femme au Maroc a un statut inférieur à l'homme.
Cette situation est ancrée dans la tradition a un tel point qu'on la retrouve dans la langue. En effet,
en berbère on décrit la fille comme obéissante, contrôlée et belle. Les mots qui décrivent cela
donnent à la femme son statut inférieur. La femme, dès qu'on la nomme est donc inférieure. Par
conséquent l'homme lui est supérieur et a autorité sur elle au même titre que sur ses enfants. Ce cas
de figure se trouve renforcé par l'attitude des familles et de la société qui perpétuent ce schème
d'action. Ce statut inférieur n'est pas sans lien avec le fait que, dans la société marocaine moderne,
la femme est toujours reliée à la famille. La famille étant elle-même basée sur des valeurs
religieuses autours desquelles se greffent d'autres règles. La femme marocaine est donc restreinte à
ses qualités de mère et d'épouse, et n'existe pas en-dehors de celles-ci.

b) La réforme de la Moudawana
Tout au long du 20e et du 21e siècle, le Maroc a connu des réformes politiques, juridiques et
sociales importantes. Je parlerai brièvement de la situation lors de l'Indépendance en 1956, pour
enchaîner avec le 21e siècle et la réforme de la Moudawana en 2004. Mais précisons dès maintenant
ce qu'est la Moudawana. Il s'agit du code de la famille marocain. C'est donc un ensemble de
dispositions légales régissant divers aspect ayant trait au mariage, au divorce, à l'héritage, etc.
Le Maroc devient donc indépendant en 1956. Ce qui importe, à ce moment-là, c'est la
Constitution. En effet le Maroc, comme la Tunisie et l'Algérie, fait mention de l'Islam dans sa
Constitution. Cette décision, on le verra, ne sera pas sans conséquence pour la suite. Dans le même
temps est créée la Moudawana qui sera plus tard le cheval de bataille des féministes. Car nous
assistons déjà à un problème de taille. La Constitution fait mention de valeurs universelles telles la
liberté et l'égalité, ce qui n'est pas le cas dans la Moudawana. La Moudawana est (sensée être)
l'application concrète et directe, pour le droit de la famille, de la Constitution. Or, la Moudawana
maintient la femme dans une position inférieure à l'homme sous bien des aspects (juridiquement,
maritalement, financièrement, etc.). Les inégalités de genre et les discriminations envers les femmes
sont légalement justifiées et prétendument sacrées.
Ce code de la famille fait l'objet d'une révision en 1993 sous Hassan II suite à une campagne
menée par des femmes visant à le désacraliser. Ces femmes avaient plusieurs revendications : elles
voulaient l'égalité des conjoints au sein de la famille, la suppression de la tutelle matrimoniale,
l'interdiction de la polygamie, la consécration du divorce judiciaire ainsi que la garantie d'un droit
des femmes 1. Toujours sous Hassan II, en 1998 a été créé le PAIFD (Plan d'Action pour l'Intégration
des Femmes au Développement). Il a été instauré pour améliorer les conditions de vie des

1
BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc », Prospective ‘Maroc 2030’,
Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p.29.

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marocaines et a été fait par des féministes et financé par la Banque Mondiale. L'amélioration des
conditions de vie s'articule autour de quatre axes. La formation des femmes (leur éducation et la
lutte contre l'analphabétisme), l'emploi et la lutte contre la pauvreté, la santé reproductive et le
renforcement des capacités juridiques 2. Ce plan d'action va malheureusement être avorté par les
conservateurs qui ne l'ont pas accepté. Malgré tout, les pratiques sociales réelles évoluent et
deviennent en décalage avec le code de la famille. C'est alors que va arriver une nouvelle réforme.
La nouvelle réforme de la Moudawana, annoncée en 2003 par Mohammed VI et instaurée en
2004 a été très attendue. Si cette réforme a réussi à passer, contrairement au PAIFD, c'est parce que
Mohammed VI a eu l'intelligence d'assortir chaque article du code à un verset du Coran. De cette
manière, il a empêché toute revendication de la part des conservateurs. De plus, il a annoncé sa
réforme en sa qualité de commandeur des croyants 3 . Quelles avancées et quelles limites ? Les
principales avancées ont concerné la tutelle (les femmes n'ont plus besoin de tuteur pour se marier),
le mariage arrangé (elle peut refuser un mariage), le divorce (elle peut demander le divorce) et l'âge
du mariage (18 ans à la place de 15 précédemment). Les limites restent la polygamie et la
répudiation qui sont toujours permises ainsi que l'héritage (très défavorable aux femmes). Je l'ai dit,
cette réforme a suscité de grands espoirs. Il faut voir maintenant la mise en œuvre afin d'apprécier
les changements effectifs. Or, c'est là que le bas blesse : l'application. Cette réforme aurait pu
devenir une véritable « révolution sociale calme » 4, malheureusement elle n'a pas eu une portée
aussi grande pour deux raisons. Le premier obstacle vient des tribunaux qui sont présidés par des
hommes qui n'ont pas forcément changé de mentalité avec l'arrivée de la charte. Même en Tunisie,
qui (on le verra) est plus avancée en droit des femmes, les tribunaux préfèrent trancher en faveur
des hommes et le discours politique fait toujours mention (à l'endroit des femmes) du rôle d'épouse
et de mère. Le second obstacle vient des familles qui perpétuent la tradition. Toute la clef est là :
trouver un équilibre entre modernité et religion/tradition.
Ce qu'il faudrait à présent, c'est une meilleure mise en œuvre des droits des femmes et
qu'elles soient plus présentes dans la participation politique. Ça passe bien sûr par l'éducation pour
faire en sorte que les femmes soient conscientes de leurs droits et qu'elles arrivent à les revendiquer,
à les mobiliser. Si on prend l'exemple des violences faites aux femmes, autant les hommes que les
femmes trouvent cela normal (donc le fait que la loi soit là n'y change rien). Et en plus, les femmes
n'osent pas revendiquer leurs droits car ça voudrait dire que c'est rendu public, au regard de tous. Et
comme le juge va probablement la mettre en tort, elle sera humiliée. Pour remédier à ça l'Etat
collabore en général avec des ONG pour protéger les femmes.

2
BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc », Prospective ‘Maroc 2030’,
Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p.2-95.
3
MASANA, Maria Dolors, « La ‘Moudawana’, jeux d'ombres et de lumière », AFKAR/IDEES, mars 2006, p.114-116.
4
ENNAJI, Moha, « Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc », Diogène, 2009/1 n° 225, p. 55-69.

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c) Comparaison avec des pays voisins


Pour avoir une idée un peu plus précise du cas particulier du Maroc, je vais maintenant le
mettre en perspective avec des pays voisins. La comparaison s'effectuera au niveau de la région
MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Dans cette région, les inégalités homme-femme
bloquent le développement économique et humain. Le développement économique est amoindri par
l'absence de participation politique des femmes, elle-même déterminée par le manque d'emplois
féminins.
La région MENA connait trois obstacles majeurs : le savoir, les droits politiques et les droits
des femmes 5. Il est vrai que les femmes ont, aujourd'hui, une meilleure santé et éducation que leur
mère, néanmoins un grand nombre doivent encore accepter l'autorité patriarcale et ses structures.
Actuellement, les femmes sont exclues autant par les lois que par les pratiques (sinon plus).
La plupart des pays MENA ont participé à la quatrième Conférence Mondiale des Nations
Unies sur la Femme en 1995. Les thèmes abordés étaient l'autonomisation des femmes, l'accès à
leurs droits et la remise en question des idées et structures patriarcales. Bien que la discrimination
de genre ne soit pas réservée à cette région du monde (elle est présente partout sous différentes
formes), c'est dans la région MENA qu'on observe la plus grande différence entre hommes et
femmes (à cause d'une forte résistance au changement et une institutionnalisation des
discriminations de genre). La Turquie et la Tunisie sont des pays laïques, l'Islam (ni aucune autre
religion) n'est inscrite dans la Constitution contrairement aux autres pays de la région MENA. A
l'exception de ces deux pays, la charia est appliquée, ce qui créé une différenciation des rôles sexués.
Les femmes ont le statut juridique d'un mineur ou d'une personne à charge, la tutelle des hommes
sur les femmes s'étend à la vie publique où les hommes décident de tout. En fait, le droit musulman
traditionnel de la famille veut instaurer un équilibre entre maris et femmes. Le problème est que ces
pratiques datent du Moyen-Age. Donc, même si elles étaient progressistes à l'époque, elles
symbolisent aujourd'hui la dépendance des femmes à l'égard des hommes. La majorité de la
population pense que ces normes et pratiques ne correspondent plus aux réalités actuelles. D'autres
les pensent d'origine divine et s'opposent donc à tout changement.
Depuis les années 1980, des militantes féministes luttent pour leurs droits. Elles demandent
une réforme du droit de la famille et se constituent en réseau antifondamentaliste. Un peu plus tard
naît le courant féministe islamique qui élabore une nouvelle législation familiale en se basant sur le
Coran. Pour elles, le Coran est par essence égalitaire, ce sont les lois de la charia qui ont été
interprétées par des générations d'hommes influencés par les traditions de l'époque. Elles sont donc
5
MOGHADAM, Valentine M., « Féminisme, réforme législative et autonomisation des femmes au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord : l'articulation entre recherche, militantisme et politique », Revue internationale des sciences sociales,
2007/1 n° 191, p. 13-20.

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biaisées par le regard masculin et sont obsolètes.
Au Maroc, en Tunisie et en Turquie, les époux se partagent la responsabilité légale de la
famille depuis 2004 et cela grâce à la mobilisation de femmes qui ont amorcé le dialogue et permis
la nouvelle réforme de la Moudawana. Elles ont amorcé une alliance avec les progressistes du
gouvernement et de la société, elles ont réussi une utilisation stratégique des sources islamiques,
elles ont mis en avant le besoin de développement national dans leur discours et ont parlé de la
nécessité absolue de droits pour les femmes et les enfants 6.
Selon Moghadam, la réussite du Maroc peut s'exporter, mais pas n'importe comment. Elle
doit s'adapter à chaque environnement, à chaque pays. Le point important à reproduire est celui de
l'alliance entre chercheurs, militants et décideurs politiques. Elle pense aussi que, même les lois les
plus immuables peuvent être réformées au profit d'une amélioration des droits fondamentaux des
femmes et du progrès de la société dans son ensemble. La Tunisie, pays ayant réformé son droit de
la famille en s'inspirant du modèle ottoman, est souvent citée en exemple en matière de droit des
femmes. Malgré tout, la femme reste coincée dans une vision traditionnelle de la famille soutenue
par l'Islam. Le combat des féministes en Tunisie a alors été de montrer l'écart entre les lois et les
pratiques (où la femme se retrouve dans une situation de moindre droit).

2. Inégalités dans la sphère publique

Les femmes subissent toutes sortes d'inégalités et de discriminations, comme nous avons pu
le voir plus haut. Mais quelles sont-elles exactement ? Qui est la femme en public ? Et surtout,
qu'est-ce qui l'empêche d'être en public ? Nous allons brièvement aborder trois points : l'éducation,
l'emploi et les loisirs. Ces trois domaines font parties de la sphère publique et, on va le voir,
véhiculent tous les trois des discriminations à l'égard des femmes.

a) Education 7
En matière d'éducation, de grands progrès ont été fait depuis 1960, mais surtout dans les
années 1990. Les jeunes (les mois de 25 ans) sont témoins de cette baisse d'inégalité. En effet, ce
sont eux qui ont bénéficié des avancées politiques et sociales en matière d'enseignement. Mais, si on
regarde un peu plus largement, on s'aperçoit vite que les femmes sont discriminées, ou l'ont été. En
effet, on note encore au Maroc en 2004 que 54.7% des femmes sont analphabètes contre 30.8% des

6
MOGHADAM, Valentine M., « Féminisme, réforme législative et autonomisation des femmes au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord : l'articulation entre recherche, militantisme et politique », Revue internationale des sciences sociales,
2007/1 n° 191, p. 13-20.
7
BENAABDELAALI et KAMAL, Wail et Abdelhak, « La dynamique des inégalités d'éducation au Maroc, 1950-2010 :
du national au territorial », Colloque international : Innovations et développement dans les pays méditerranéens, GDRI
Développement des Recherches Economiques Euro-Méditerranéennes, Le Caire, 2010, p.1-23.

8
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
hommes. Ce taux monte à 74.5% pour les femmes rurales contre 18.8% pour les hommes urbains 8.
En ayant ces chiffres à l'esprit, personne ne peut dire que les femmes ne sont pas discriminées dans
ce premier rapport à la sphère publique, à savoir l'école.

b) Emploi 9
Les petites filles grandissent et deviennent alors des femmes qui devraient pouvoir espérer
un emploi à la hauteur de leurs compétences. Or, ce que l'on constate est complétement différent. Il
est vrai que certaines femmes travaillent. Néanmoins, c'est encore très mal vu dans la société
marocaine qu'une femme délaisse sa maison et ses enfants pour aller travailler (cfr tableau 10). Si le
mari seul peut subvenir aux besoins de la famille, pourquoi la femme quitte-t-elle le foyer ? La
pression sociale et le regard des autres est très lourd à cet endroit.

De plus, si la mère travaille, il faut s'occuper des enfants et il faut donc que le salaire de la
mère soit supérieur au coût de la garde des enfants. La seule façon pour une femme de s'en tirer
sans qu'on ne la méprise pas trop, c'est de faire garder les enfants par la mère ou une sœur. Ça reste
alors dans la famille. Même les femmes, de manière générale, n'ont pas assez confiance en des
étrangers pour qu'ils gardent leurs enfants.
Les situations sont assez diverses. Il y a des femmes qui n'ont pas le choix de rester à la
maison, ça leur est imposé mais elles voudraient bien travailler. D'autres qui pourraient travailler
mais qui jugent qu'elles ne seraient pas de bonnes mères. Certaines femmes trouvent alors des
compromis : elles prennent un congé maternité d'un an, elles travaillent à mi-temps, etc.
Dans son livre Femmes fonctionnaires du Maroc 11, Driss Guerraoui nous expose le cas plus
spécifique des femmes fonctionnaires. Ce qu'il met en avant est surtout le pouvoir des femmes à
travers le travail. Quelle marge de manœuvre a la femme fonctionnaire ? Pour l'auteur, cette marge
est presque inexistante. En effet, la prise de décision, dans le foyer comme au niveau national, est

8
BOUGROUM, Mohammed et al., « La politique d'alphabétisation au Maroc : quel rôle pour le secteur associatif ? »,
Mondes en développement, 2006/2 no 134, p.65.
9
LAALA HAFDANE, Hakima, Les femmes marocaines : une société en mouvement, Logiques sociales, Paris,
L'Harmattan, 2003.
10
HCP, « Genre et développement – aspects socio-démographiques et culturels de la différenciation sexuelle – préface
– Genre, activité et prise de décision », Publications du HCP, p.240.
11
GUERRAOUI, Driss, Femmes fonctionnaires du Maroc : enquête et témoignages, Connaissance économique,
Casablanca, Editions Toubkal, Paris, L'Harmattan, 2002.

9
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du ressort des hommes. Il est vrai qu'on retrouve des femmes dans la fonction publique, mais elles
sont en bas de l'échelle hiérarchique et espèrent toujours un travail à la hauteur de leurs
compétences.
Malgré toutes ces situations, les pratiques sont en train de changer, de plus en plus de
femmes travaillent 12. On retrouve par exemple 24.6% de femmes médecins, 31.3% de dentistes,
38.7% de pharmaciennes et 22.3% d'enseignantes du supérieur. Le travail est une voie
d'autonomisation de la femme. Mais il bouleverse des valeurs sociales que les femmes ne sont pas
encore prêtes à remettre en question. Ce que l'on remarque aussi de manière assez frappante, c'est
que la représentation des femmes sur le marché du travail ou dans la sphère politique dépend des
femmes elles-mêmes. Il y a une responsabilisation des femmes, une manière de dire « ce ne sont pas
les hommes qui vont nous aider, il faut le faire nous, c'est notre combat ». Ces-mêmes femmes vont
dire que celles qui ont la chance d'être cadres doivent se battre pour toutes les autres, elles ont un
devoir envers elles 13.

c) Loisirs 14
On a parlé du travail, parlons à présent du loisir. Il n'est plus condition de travailler autant
qu'auparavant au Maroc. Chaque individu veut son temps de loisir, son temps libre, son temps pour
lui. Pour certaines femmes, ce temps est l'occasion d'échapper à la tutelle de leur mari (même si
elles le passent à la maison). Ce temps nouveau de loisir fait surgir une prise de conscience chez les
femmes qu'une possibilité existe pour elles de se réaliser autrement. Cette prise de conscience
émerge doucement, mais l'image forte de la réalisation par le modèle social traditionnel n'est pas
prête de s'effacer. De plus, le temps libre n'est jamais acquis, c'est un combat permanent auprès de
l'autorité masculine. L'argument principal contre le loisir est que la famille passe avant l'individu.
Vouloir alors passer du temps loin de sa famille fait de nous quelqu'un de profondément égoïste.
C'est également pour cette raison que le loisir passé en famille est communément mieux accepté.
Les vacances hors de chez soi commencent à se démocratiser, les familles vont à la plage, vont sur
les terrasses des cafés, etc.
En ce qui concerne les femmes plus principalement, elles n'ont que des déplacements très
limités. Tout d'abord, une femme mariée qui sort seule (c'est-à-dire sans son mari ou ses enfants) est
très mal vue. En ce qui concerne les visites, déplacements et voyages, ils sont autorisés, mais à

12
GUERRAOUI, Driss, Femmes fonctionnaires du Maroc : enquête et témoignages, Connaissance économique,
Casablanca, Editions Toubkal, Paris, L'Harmattan, 2002, p58.
13
GUERRAOUI, Driss, Femmes fonctionnaires du Maroc : enquête et témoignages, Connaissance économique,
Casablanca, Editions Toubkal, Paris, L'Harmattan, 2002, p116.
14
LAALA HAFDANE, Hakima, Les femmes marocaines : une société en mouvement, Logiques sociales, Paris,
L'Harmattan, 2003, p221.

10
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
dates fixes, pour des événements précis, souvent de nature sociale ou religieuse. Pour tout ce qui a
trait à la ville, les sorties dans un café ou au cinéma ne sont pas communes pour les couples. Ce sont
surtout les jeunes qui y sont présents. Les jeunes usent en effet souvent de mensonges ou sèchent les
cours afin de prendre un peu de temps pour eux. On remarque quand même une tolérance de plus en
plus marquée des parents qui trouvent des stratégies pour arranger tout le monde. Ils inscrivent leurs
enfants à des clubs de sport par exemple. Comme ça le jeune peut sortir pour son loisir et, en même
temps, les parents ont un contrôle sur lui via l'entraineur 15.

3. Le cas spécifique de la participation politique

a) Les femmes et la politique


La participation de femmes à la vie politique, quand elle est possible, peut avoir un impact
important (on pense notamment à de grandes figures, des épouses de rois, etc.). Ce que l'on
remarque dans la tradition et qui peut nous aider à penser le rapport de la femme à la politique, mais
surtout l'image que se fait la société d'une femme participant à la vie politique c'est que « bien que
la mentalité arabo-musulmane favorise l'intelligence féminine, elle n'accepte pas encore la volonté
politique individuelle de la femme » 16. Cette pensée a pour conséquence directe que la femme se
sent freinée et pas à sa place en politique.
Le discours sur l'égalité homme-femme a commencé sous le règne de Mohammed V, en
1955. Sa fille était considérée comme une pionnière du droit des femmes et de leur émancipation.
Elle était engagée dans ces sujets et luttait pour que les femmes assument leur responsabilité
politique. Grâce à ça, des sections féminines dans les partis et les associations ont vu le jour. Après
l'Indépendance en 1956, on remarque des avancées en matière d'emploi et d'éducation, mais surtout
on accorde le droit de vote aux femmes ainsi que leur droit à l'éligibilité. Durant cette période, les
femmes se mobilisent et luttent pour leurs droits. Ensuite, entre les années 1962 et 1990, une baisse
de la motivation politique touche les femmes. Elles n'ont pas vu les progrès tant escomptés. La
population compte toujours 80% d'analphabètes et elles sont toujours sous l'emprise du patriarcat.
Plus tard, l'éducation va progresser et des associations de femmes vont se créer, ce qui va leur
permettre de garder la pression sur les gouvernants pour leur rappeler que les droits des femmes
doivent être appliqués. La difficulté majeure au Maroc, qui bloque la plupart des avancées sociales,
est le difficile rapport entre religion ou tradition et modernité. Grâce notamment à l'action féconde
de l'éducation, les femmes ont réussi à exprimer une certaine autonomie. Et, grâce également à leurs

15
LAALA HAFDANE, Hakima, Les femmes marocaines : une société en mouvement, Logiques sociales, Paris,
L'Harmattan, 2003, p227.
16
ENNAJI, Moha, « Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc », Diogène, 2009/1 n° 225, p. 55-69.

11
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
luttes, elles ont pu initier la réforme de la Moudawana de 2004.
Dans les années 2000, les femmes ont connu des avancées. Elles ont décroché des postes de
décision politique dans plusieurs secteurs. Malgré cela, les discriminations sont présentes même si
elles ont le niveau de qualification requis. Dans le meilleur cas de figure, celui où l'on donne à la
femme un poste de décision, elle sera mise de côté dans les faits. Ou alors il s'agira d'un secteur
dont aucun homme ne voulait. A un moment ou à un autre, elles se retrouvent bloquées par les
hommes. Ces-mêmes hommes qui ont tendance à les cantonner dans le domaine éducatif et social.
Les partis politiques eux-mêmes ont un discours d'amélioration globale de la société qui affectera
positivement les conditions des femmes. Pour appuyer leurs discours, ils prennent des femmes dans
leur parti, mais elles n'ont aucune responsabilité, on ne leur accorde aucun crédit.
Concernant leur participation politique, elle est essentielle pour le développement
démocratique et moderne du Maroc. D'ailleurs, les ONG et organisations internationales
encouragent cela. L'avenir de la participation des femmes dépend de l'évolution des mentalités.
Comme on le disait, un choix ou un consensus va devoir être fait entre tradition et modernité. Mais
leur avenir ne dépend pas uniquement de ça, il faut tenir compte de la redéfinition des rôles genrés,
de l'égalité des sexes, des efforts de la société civile, de l'éducation des filles et de leur intégration
dans le développement économique et social 17. Selon Malika Benradi, le Maroc aurait atteint un
« seuil de rupture culturelle » 18 . Selon elle, c'est le rapport au religieux qu'il faut repenser en
parallèle avec la question féminine. Même si des avancées ont eu lieu, de grandes disparités
demeurent (notamment entre le milieu urbain et le milieu rural et entre les plus riches et les plus
pauvres). C'est à l'administration publique de se moderniser, sans quoi l'égalité homme-femme
n'aura pas lieu.

b) Les femmes et la société civile


Si les femmes ne sont pas très présentes en politique, ça ne veut pas dire qu'elles n'agissent
pas dans la vie publique. Elles sont effectivement très présentes sur le terrain associatif et coopératif.
Elles font vivre ce qu'on appelle la société civile et font contrepoids à l'Etat. Ces associations jouent
un grand rôle dans la mobilisation et la sensibilisation sur la citoyenneté des femmes.
La première association de femmes a été créée en 1969. S'en est suivi une multiplication
d'associations féminines. Ces associations sont généralement à caractère social et placent la femme
au centre de leurs préoccupations. Les ONG féminines font tout pour interpeller l'opinion publique,
les institutions et les responsables politiques à travers notamment des campagnes de sensibilisation.

17
ENNAJI, Moha, « Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc », Diogène, 2009/1 n° 225, p. 55-69.
18
BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc », Prospective ‘Maroc 2030’,
Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p5.

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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
Ces différentes organisations ont des projets et des thèmes spécifiques comme l'éducation,
l'alphabétisation, l'égalité homme-femme, la sensibilisation au VIH-sida, etc.
En plus des associations qui se multiplient sans cesse, sont apparues les corporations
(artisanat, apiculture, élevage, ...). Leur moyen d'action est principalement le micro-crédit et leurs
objectifs principaux sont d'améliorer les conditions de vie et de travail des femmes rurales.
Les organisations et ONG internationales ont également joué un grand rôle dans l'expansion
des associations marocaines. Ce n'est pas une tâche simple pour les ONG de travailler avec des
femmes qui sont à 67% analphabètes 19 . Elles ont aidé à l'unification et au renforcement des
associations nationales dans le but de mobiliser et motiver le comportement politique des femmes.
Ces organisations et associations sont également un bon moyen de prise de conscience et de
communication (autant pour les hommes que pour les femmes). Elles permettent également aux
femmes de devenir actrices, de prendre des initiatives et de pratiquer la démocratie. Comme je l'ai
dit plus haut, l'ouverture du Maroc sur le monde nécessite la prise en compte de l'entièreté de sa
société. Le Maroc ne peut se passer de plus de la moitié de sa population. Les femmes doivent donc,
tout autant que les hommes, participer au développement de leur pays ainsi qu'à l'amélioration du
niveau de vie global.
Les progrès sont constants dans le domaine associatif. Il permet de pallier les manques du
gouvernement. La politique ne mobilisant les droits des femmes qu'en périodes électorales, ce sont
les associations qui sont porteuses d'espoir dans ce domaine. L'Etat a bien sûr mis en place des
dispositifs de promotion de la femme, mais ils n'étaient jamais accompagnés de mécanismes
autonomes, ni dotés de moyens humains et financiers nécessaires 20.
En plus des progrès visibles dans le milieu associatif, des progrès se font aussi pour les
femmes. Elles accèdent plus à l'enseignement, investissent des domaines masculins et commencent
à atteindre des postes de responsabilités. Le rapport de l'HCP 21 fait mention d'une enquête
« femmes et entreprises » qui montre que 20% des femmes entrepreneurs font partie d'une
association ainsi que 11% des femmes cadres. Leurs attentes envers l'association sont les suivantes :
elles espèrent trouver en l'association un moyen de communication et d'information tout comme un
lieu de propositions pour lutter contre les discriminations. Elles lui confèrent également un rôle de
taille dans le développement du Maroc (à travers les droits de la femme). Elles y voient également
l'endroit idéal pour améliorer la condition sociale et familiale ainsi que les conditions de travail des
femmes. Et enfin, l'association pourrait aider les femmes à s'affirmer et à créer leurs entreprises. Car,

19
HCP, « Genre et développement – aspects socio-démographiques et culturels de la différenciation sexuelle – préface –
Genre, activité et prise de décision », Publications du HCP, p.233-276.
20
BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc », Prospective ‘Maroc 2030’,
Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p24.
21
BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc », Prospective ‘Maroc 2030’,
Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p.2-95.

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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
on plus des lois et des hommes, ce qui bloque beaucoup les femmes dans la sphère publique, c'est
leur manque de confiance en elles.
Si on adopte un point de vue plus global, on remarque que, sous le protectorat, les femmes
ont été résistantes. Pourtant, on connait la situation politique de la femme au Maroc. Dans le reste
de l'Afrique, les femmes ont pu accéder bien plus tôt aux fonctions gouvernementales. Au Maroc,
ce sont les hommes qui ont défini la sphère politique et ils en ont exclu les femmes. Toute place ou
rôle qu’elles semblent y jouer n'est que symbolique. De plus, si on regarde le taux de femmes
présentes au parlement, il est excessivement faible (0.7%) 22 . Bien que les femmes soient sous-
représentées partout dans le monde, la situation au Maroc est particulièrement critique. On le voit
en comparant ce taux de 0.7% à celui d'autres pays : 11.4% pour l'Europe, 4.2% en Tunisie, 2.4% en
Algérie et 3.9% en Egypte. Il faut également prendre le problème du côté des femmes. Elles ne sont
pas assez préparées à ces situations, à la politique. Elles ont également des difficultés à allier travail
et vie de famille. Gros problème supplémentaire : les candidatures féminines ne font pas unanimité
auprès des femmes. C'est-à-dire que les femmes qui se présentent à des élections sont non
seulement victimes de la domination et de l'autorité masculine, mais également des conventions et
rôles sociaux qui font que les femmes elles-mêmes ne leur font pas confiance.

c) Le féminisme
Il y a eu, c'est vrai, quelques grandes femmes au Maroc pendant le protectorat, mais c'est
une tradition qui ne s'est pas perpétuée. Le féminisme marocain a été créé bien plus tard par une
élite intellectuelle des deux sexes 23 . Malgré cela, le féminisme des hommes n'est pas celui des
femmes. Ainsi, les premiers pensent des objectifs abstraits (de développement), alors que les
femmes désirent surtout une amélioration de leurs conditions de vie. Il n'en reste pas moins que le
but majeur reste la relance et l'intégration des femmes dans le développement global. En effet,
plusieurs pensent que le Maroc ne pourra se développer en omettant la moitié de sa population.
Plus récemment, un nouveau courant féministe s'est fait entendre, le féminisme islamique.
Qu'est-ce qu'ils entendent par là ? Ces personnes considèrent de l'Islam est, par essence, égalitaire.
Les lois discriminantes qui sont là actuellement ne découlent pas directement de l'Islam, mais
viennent d'une interprétation masculine de la religion. Interprétation qui s'est faite pendant le
Moyen-Age et qui serait donc devenue un peu désuète. Aujourd'hui, les pratiques et les mentalités
ont évolué. Il faut donc, selon ces féministes, accorder le droit sans pour autant renier l'Islam. Dans
leur discours est également présente la dichotomie Etat-vie publique contre Islam-vie privée.
Toujours selon eux, l'Islam a été instrumentalisé dans un objectif de renforcement de la structure
22
HCP, « Genre et développement – aspects socio-démographiques et culturels de la différenciation sexuelle – préface –
Genre, activité et prise de décision », Publications du HCP, p264.
23
ENNAJI, Moha, « Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc », Diogène, 2009/1 n° 225, p65.

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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
patriarcale fondée sur le contrôle et les contraintes.

IV. Réflexions personnelles

Suite au long exposé que j'ai fait jusqu'à présent, je vais vous faire part de quelques
réflexions personnelles avant de passer à la conclusion. Je tiens à préciser que ces réflexions
n'engagent que moi et non les différents auteurs mobilisés dans ce travail.
La première chose que je relève est que la situation générale des femmes au Maroc ne serait
pas ce qu'elle est si l'éducation avait été là. Pour des avancées conséquentes en matière de droits des
femmes et surtout en matière de mentalités (car les lois ne servent à rien si les mentalités n'évoluent
pas de concert), il faudrait miser sur l'éducation. Eduquer dans le sens d'ouvrir l'esprit, de faire
réfléchir les gens, de leur montrer qu'un autre mode de vie est possible. Je pense également que ça
ne se fera pas en quelques années. Je suis de celles qui pensent que l'évolution des mentalités ne
peut se faire que sur au moins deux ou trois générations. Le temps de diffuser de nouvelles idées, le
temps qu'elles commencent à faire leur chemin et qu'enfin les pratiques changent demande du temps.
Malgré tout, certaines choses commencent à bouger, certaines pratiques commencent à se mettre en
place. Ce serait dommage d'assister à un recul de ces pratiques pour cause de pression sociale, de
mépris, de mise au ban de la société.
Mon deuxième point se base sur l'articulation de tradition et de modernité. Pour garantir des
droits justes aux femmes, un meilleur climat social, etc. il faut que le Maroc trouve un moyen de
gérer les tensions qui résultent de l'opposition tradition-modernité. Je ne suis pas partisane de
prendre une des dimensions pour laisser tomber l'autre, je crois plus en un consensus de valeurs. Je
pense qu'il faut réussir à trouver les véritables fondements intellectuels et moraux des traditions et
de la religion et ensuite essayer d'articuler les pratiques autours de ça. C'est donc plus sur les
pratiques, qui ne sont plus adaptées au monde actuel (et même au Maroc actuel), qu'il faut agir.
Comme je l'ai dit, je ne pense pas qu'il faille laisser de côté toute référence à la religion par exemple.
Au Maroc, comme dans d'autres pays, l'Islam est inscrit dans la Constitution. L'enlever
complètement serait une révolution et serait presque impossible. Si cette référence a été placée là,
dans le texte juridique le plus important, c'est bien pour une raison. Le problème n'est pas la religion
en soi, c'est simplement les interprétations qui en sont faites dans les différents textes de lois.
Beaucoup d'auteurs insistent sur le rôle des femmes dans leur émancipation. Il est vrai
qu'elles doivent se battre et ne pas accepter la situation actuelle, mais je crois aussi au rôle des
hommes. Je pense que les femmes, pour amorcer le changement de mentalités chez les hommes,
doivent leur ouvrir les yeux. Pour moi, cela passe par une mise en contexte, une personnalisation du

15
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
problème. Il faut demander aux hommes s'ils trouvent ça normal et bon que leurs mères, femmes,
sœurs ou filles se fassent traiter de manière discriminante dans la vie publique. En transposant le
problème sur des êtres proches, cela déclenchera peut-être une prise de conscience chez l'homme
des inégalités quotidiennes subies par les femmes.

V. Conclusion

A travers cet article nous avons pu nous rendre compte de la situation globale de la femme
au Maroc et, plus précisément, de sa condition dans la sphère publique. Nous nous sommes penchés
sur diverse dimensions de la vie publique (l'éducation, l'emploi, les loisirs, la participation politique,
la société civile, etc.) et nous avons essayé de trouver plusieurs explications, éléments de contexte
qui pourraient sous-tendre cette situation.
Nous avons également pris la région MENA comme point de comparaison afin de nous
rendre compte de la spécificité du cas marocain. Nous nous sommes rendu compte alors que le
Maroc n'est pas un cas exceptionnel en la matière. L'absence de participation politique des femmes
et la dépréciation liée à cette participation est présente dans toute la région MENA à l'exception de
la Turquie et peut-être de la Tunisie.
Pour finir, la solution à la condition féminine semble se trouver dans l'articulation entre
tradition et modernité. Pour arriver à telle situation, une évolution des mentalités semble nécessaire.
L'éducation semble alors la meilleure voie pour y accéder. Nous avons vu que des progrès
considérables ont déjà été accomplis, il suffit donc de continuer sur cette lancée !

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Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique

VI. Bibliographie

1. Ouvrages
a) COMBE, Julie, La condition de la femme marocaine, Histoire et perspectives
méditerranéennes, Montréal, L'Harmattan, 2001.
b) GUERRAOUI, Driss, Femmes fonctionnaires du Maroc : enquête et témoignages,
Connaissance économique, Casablanca, Editions Toubkal, Paris, L'Harmattan, 2002.
c) LAALA HAFDANE, Hakima, Les femmes marocaines : une société en mouvement,
Logiques sociales, Paris, L'Harmattan, 2003.
d) BANQUE MONDIALE, « Les contraintes qui pèsent sur l’emploi des femmes », Inégalités
entre les sexes et développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Les femmes dans la
sphère publique, Rapport sur le développement de la région MENA, Paris, Editions Eska, 2004,
p.93-127.
e) FROGER, Géraldine et al., « L'approche genre, outil de développement ou dispositif
idéologique au service de la « bonne » gouvernance mondiale ? », Quels acteurs pour quel
développement ?, Economie et développement, Paris, GEMDEV-KARTHALA, 2005, p.55-70.

2. Articles scientifiques
a) BENAABDELAALI et KAMAL, Wail et Abdelhak, « La dynamique des inégalités
d'éducation au Maroc, 1950-2010 : du national au territorial », Colloque international : Innovations
et développement dans les pays méditerranéens, GDRI Développement des Recherches
Economiques Euro-Méditerranéennes, Le Caire, 2010, p.1-23.
b) BENRADI, Malika, « Dynamique sociale et évolution des statuts des femmes au Maroc »,
Prospective ‘Maroc 2030’, Haut-Commissariat au Plan, décembre 2006, p.2-95.
c) BOUGROUM, Mohammed et al., « La politique d'alphabétisation au Maroc : quel rôle pour
le secteur associatif ? », Mondes en développement, 2006/2 no 134, p. 63-77.
d) ENNAJI, Moha, « Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc », Diogène,
2009/1 n° 225, p. 55-69.
e) HCP, « Genre et développement – aspects socio-démographiques et culturels de la
différenciation sexuelle – préface – Genre, activité et prise de décision », Publications du HCP,
p.233-276.
f) MASANA, Maria Dolors, « La ‘Moudawana’, jeux d'ombres et de lumière »,
AFKAR/IDEES, mars 2006, p.114-116.
g) MOGHADAM, Valentine M., « Féminisme, réforme législative et autonomisation des
femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : l'articulation entre recherche, militantisme et

17
Chloé Beernaerts La position des femmes au Maroc dans la sphère publique
politique », Revue internationale des sciences sociales, 2007/1 n° 191, p. 13-20.
h) MOHSEN-FINAN, Khadija, « L'évolution du statut de la femme dans les pays du
Maghreb », Programme Maghreb, Note de l'Ifri, juin 2008, p. 1-10.

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