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L155

EXERŒCES SPIRITUELS
DE SAINT IGNACE,
msposâs' poU“ LES RETRAITES.
i-àC
—.—’

ÈVÈGHÉ DE TOURNAI.

Æ7/4vine/0M 1/‘-

Tomucl, die 44“ Jan. 4844.

äa-ä. ŒIIPMQHŒ 9;C.-5ÆM.

Cl 0

c (n
' EXERCICES SPIRITUELS
DE} SÆ‘ÆŒÎË ÆCBŒÆŒE a
DISPOSÉS POUR UNE RETRAITE DE HUIT JOURS,

Par le n. P. BELLÉCIUS,
m; LA CoMPAGNIE m; .u'çsns ;

AVEC LA RETRAITE DE TROIS JOURS


m1 “ÈME AUTEUR ;

TRADUITS EN FRANÇAIS PAR M. LOUIS BERTHON, .


“in! n.' muc'ue m! rm'nErs.

TOME PREMIER.

TOURNAI,
J. CASTERMAN, LIBBAIBE-ÉDITEUR,
IMPRIMEUR DE L'EVECHÉ.
Aru- .lpprubah'un.
AP9E© ÆŒIQŒ.

ÉVÊCHÉ DE POITIEBS.
JEAN-BAUX“! DE BOUILLÊ. , parla miséricorde divine et la grâce du Saint
Siége apostolique, évêque de Poitiers;
M. Berthon, desservant de Lnpuye, en notre diocèse , ayant. soumis à notre
examen sa traduction française du Medulla asœaeos de Bellécius, nous l'avons
approuvée et approuvons par les présentes. M. Berthon trouvera une ample
récompense de ses veilles dans les fruits abondants que produira ce livre plein
de science et de piété: nous en recommandons plus spécialement la lecture à
MM. les Ecclésiastiques et aux personnes qui ont embrassé la vie religieuse.
Donné à Poitiers, sous notre seing et le contre-seing du Secrétaire de
I'Ëvéché, le 10 février 1837.
J; J.—B., ÉVÊQUE DE PomEas.
Par maniement de Monseigneur ,
CHAVEAU.
--‘......'.
- AVERTISSEMENT DE TRADUCTEUR‘.

L’ouvrage dont nous donnons ici la traduction


a été souvent imprimé en latin : il est connu et
estimé d’un grand.nombre d’ecclésiastiques, qui,
ayant la salutaire habitude de faire chaque année
les exercices de la retraite spirituelle, le préfèrent
à tantd’autres livres écrits sur cette matière : il
est surtout d’un usage journalier pour ceux qui se
consacrent °a l’œuvre si utile de diriger ces exer
cices : on le retrouve encore dans la plupart des
séminaires comme un des meilleurs livres de piété.
Cet excellent ouvrage offrait ainsi, dans son
texte original, d’utiles secours aux prédicateurs et
à tous les prêtres; mais n'était-ce pas une bonne
chose de le donner aussi, dans une langue connue
de tous, aux nombreuses communautés religieuses

1 Nous avons vérifié tous les textes de l'Ecriture employés


dans le cours de l'ouvrage : plusieurs n'étaient pas exactement
indiqués dans l'édition latine. On aura aussi occasion de remar
quer que Bellécius les a pris quelquefois dans un sens accommo
datif, et que souvent il n'a emprunté de I'Ecritnre que la pensée,
sans s'astreindre à une citation scrupuleusement textuelle.
vi ij AVERTISSEMENT.
où vivent, séparées du monde, des âmes dont
tout le désir est de s’avancerdans les voies de
Dieu ; à ces estimables frères des écoles chrétien
nes, et à ces dignes sœurs occupées à l’instruetion
de la jeunesse et à toutes les œuvres de la charité,
qui ne peuvent pas toujours, et dans le temps
qui leur conviendrait le mieux, avoir un prédica
teur de retraite Ÿ
Nous sommes persuadé encore que les person
nes, même séculières, qui sentent le besoin qu’on
.a de se recueillir, à certaines époques, durant
quelques jours, quand on veut se conserver dans
la piété au milieu des dangers qu’ofire le monde,
trouveront dans ce livre des règles de conduite ,
des -maximes de vie intérieure qui leur convien
nent aussi bien qu’aux religieux. Il nous-semble ,
en effet,'que Bellécius eût pu justement dire de
son ouvrage ce qu'un autre maître des novices
dans la Compagnie de Jésus, le P. Rodriguez,
disait en publiant la Pratique de la Perfection
' chrétienne etrelz'gieuse : « Qu'il avait essayé de la
» disposer de manière qu'elle fût utile non-seule
» ment aux religieux de sa compagnie en particu
» lier, et à tous les religieux en général, mais
» encore à tous ceux qui aspirent à la perfection
» du christianisme ‘. »
Nous n’avons donné à cette traduction que le
second des deux titres que l'auteur avait mis à
son ouvrage. Le premier , MEDULLA ASCE

1 Préface de la Pratique de la Perfection chrétienne.


AVERTISSEMENT. lX

SEOS, auquel on pourrait reprocher, même en


latin , un défaut de simplicité, nous a paru difiici
le à transporter littéralement dans notre langue.
Ce titre, qui se rapporte aux matières traitées
dans l’ouvrage, indique qu’on a cherché à y nour
rir l’âme et à la fortifier dans la vie intérieure , en
la pénétrant des grandes vérités de la religion , et
surtout de ces vérités substantielles et pratiques
puisées dans les exemples du divin Maître , et si
propres à nous faire parvenir à l’état d’hommes
parfaits, à, la mesure de l’äge et de la plénitude
selon laquelle Jésus-Christ doit être formé en
nous ’.
Indépendamment de la retraite de huit jours ,.
Bellécius avait jugé à propos d’en publier une au
tre de trois jours, pour l’utilité des personnes à
qui leurs occupations ne permettent pas quelque
fois d’y employer plus de temps, et pour la com
modité des maisons religieuses dans lesquelles l’u
sage s'est établi de consacrer deux ou trois jours,
entre les grandes retraites annuelles, au renouvel
lement intérieur. Les mêmes raisons, jointes au
mérite que nous ayons reconnu dans ce second
ouvrage, nous ont' déterminé à en entreprendre
aussi la traduction. '
La plupart des directeurs de retraite ont coutu
me de proposer, pour les temps libres, un choix
de lectures particulières tirées de l'Ecriture sainte
et de l’lmitation, et appropriées aux sujets des
'
‘Ephés. , ch. 4, v.13.
X AVERTISSEMENT .

méditations de chaque jour : Bellécius a suivi cet


usage pour l’lmitation seulement. Il nous a semblé
utile de revenir à la pratique du plus grand nom
bre, qui ofl-re cet avantage d'affermir l'âme , par
l’autorité même de la parole de Dieu , dans la
croyance et dans l’amour des vérités qu’elle vient
de méditer. Toutefois nous avons choisi exclusive
ment dans le Nouveau-Testament les lectures que
nous ajoutons à celles qu’indique Bellécius, parce
que nous avons pensé que plusieurs personnes ,
qui pourront se servir de cette traduction, n’ont
pas entre les mains les livres de l'Ancien-Testa
ment.
S’il plaît au Seigneur de bénir ce faible travail
et le désir que nous avons eu d'être de quelque
utilité aux âmes pieuses, qu'il nous 'soit permis de
réclamer une légère part dans leurs ferventes priè
res, pour que nous obtenions du Dieu de toute
charité ce même zèle avec lequel elles aspirent et
travaillent à leur perfection.
RETRAITE DE HUIT JOURS.

Allez, mon peuple, entrez dans l'intérieur


de vos maisons , fermez vos portel, et cachez
vous pour quelques moments.
lsat'c , un, 20.
PREFAGE DE L’All’l‘Ellll.

Quorou’ou fasse de notre temps un très-fréquent


usage des exercices spirituels, il s’en faut bien
que les fruits qu’ils produisent soient aussi abon
dants qu’autrefois. Nos pères, au sortir de cette
sainte solitude, commencèrent une vie toute difi‘é
rente de celle qu'ils avaient menée auparavant , et
ils y 'persévérèrent avec constance. Pour nous au
jourd'hui , nous en sortons le plus souvent tels que
nous y sommes entrés, sans le moindre amende
ment; et si quelque mouvement de ferveur, si
quelque essai du changement vers la piété se
fait peut-être sentir à notre âme ou se manifeste
dans nos mœurs, bientôt, aux premières phases
de la lune, nous reprenons notre ancien visage et
notre ancienne vie : à peine vivons-nous en saints
l'espace d‘un mois.
La cause de tout ce mal, c’est que ces exerci
14 PRÉFACE

ces ne sont pas faits de la manière que S. Ignace


le désire : on s’éloigne de son esprit, et on s’écarte
pareillement du but auquel il tendait. On n'insiste
pas assez sur les pensées du Saint; on n’atteint
pas, dans ses résolutions, le but auquel il fallait
viser; on ne se pénètre pas comme il faut de la
liaison des méditations et de l'ensemble de tout
l'ouvrage : aussi n'en retire-t-on pas le fruit qu’on
désirait. On néglige presque toujours l'exercice
du choix ou de l'élection, auquel cependant tous
les autres se rattachent et se rapportent comme à
leur centre. 11 y a des méditations fondamentales
qui sont la base sur laquelle repose l'édifice du
salut, telles que celles du Règne de Jésus-Christ,
des Deuœ étendards, des Trois classes d’hommes,
des Trois degrés d'humilité : souvent on les omet
entièrementou toutes, ou au moins quelques-unes;
(mon ne les fait que superficiellement, au lieu d‘en
savourer la moelle cachée sous leur écorce, et
d’aspirer avec ardeur au but où. elles nous appel
lent. Il arrive de là que l’on fait perdre sa princi
pale elficacité à cette invention si salutaire des
exercices. C’est pour remédier à ce mal que j'ai
entrepris cet ouvrage : fasse le Ciel que mes vœux
soient accomplis, que mes efforts soient couronnés
de succès, et que nous comptions désormais autant
de disciples de la sainteté que cette sainte solitude
accueillera d'habitantsl 'Aidez-moi , cher lecteur,
par vos prières, afin que je sois de ce nombre.
Attachez une haute importance à ce qui fait le
sujet de la lecture spirituelle assignée pour chaque
nr. L'AUTEUR. 15

jour : car c’est surtout par le moyen de cette lec


ture que j’ai pris soin de prévenir les défauts indi
qués ci-dessus; et je l’ai fait en m'attachant à les
prit de notre saint auteur, puisque je n’y propose
aucune doctrine qui ne soit fondée sur l'ouvrage
même de S. Ignace, ou sur le Directoire, ou sur
d’autres interprètes approuvés.
Nous aurons bientôt occasion de parler du livre
des Exercices; mais pour celui que nous appelons
le Directoire, nous comprendrons de quelle grande
autorité il jouit dans notre Compagnie, si nous
considérons qu'il a été entrepris par l’ordre de la
première Congrégation générale, et envoyé dans
toutes les provinces de la Société, afin que nos
Pères les plus habiles dans ces sortes d'exercices
' jugeassent, avec le secours de leur expérience,
s’il leur semblait qu’on pût y ajouter ou en re
trancher quelque chose, ou même dire des choses
plus utiles. Tous leurs avis et tous leurs senti
ments ayant été ensuite transmis à Home, ils fu
rent discutés avec une diligente attention, dans la
cinquième Congrégation générale, par ceuœ de
nos Pères qui y avaient été députés à cet effet;
puis ils furent soigneusement eœaminés de nouveau
par notre RP. Claude Aquaviva ‘ et les Pères
assistants. On fit un choiœ de tout ce qui parut le
plus propre auæ vues qu’on s’était proposées, et
on l'inséra dans le Directoire, auge endroits ou il
convenait 2. De quel prix, par conséquent, oct

1 Elu général des Jésuitesen 1581. w 2 Préface du Directoire.


16 PRÉFACE DE L'AUTEUR.

ouvrage ne doit-il pas être à nos yeux, aussi bien


que les maximes que nous en avons tirées pour en
enrichir plusieurs endroits de notre livre! Si donc,
mon cher lecteur, vous suivez avec fidélité et
constance la voie que je vous ouvre, vous trouve
rez dans cette retraite les plus grands avantages.
EXERCICES SPIEITUELS. .

INTRODUCTION
AUX

EXERCICES DE Iul RETRAITE.

Les Exercices spirituels de S. Ignace sont une


retraite de quelques jours , une séparation de tout
commerce des hommes et degtoussoins extérieurs ,
durant laquelle l'âme, uniquement occupée du sa
lut, la plus importante des affaires, réunit ses forces,
et s’applique tout entière, suivant la méthode en
saignée par ce saint Auteur , à se corriger de sa pre
mière vie et à commencer une vie nouvelle. Pour que
nous fassions avec un heureux succès ces Exercices ,
je présenterai, dans une introduction , quelques
motifs principaux; j’indiquerai un choix d'am's ap
propriés à cet objet , afin q-n'instruits et animés tout
à la fois, nous sachions et voulions, pendant cette
huitaine , omettre ou accomplir ce qui assurerait le
mieux les fruits qu'on se serait proposé de recueillir
dans la retraite. J'ai aussi la confiance qu’il ressortira
une vive lumière du plan admirable de ces précieux
Exercices tracé par notre Saint, et que j’exposerai
avec simplicité au S V. .)
d
48 INTRODUCTION

5 I" Des motifs de s'appliquer avec soin aux exercices de la retraite.

Aux yeux des justes appréciateurs , trois choses


surtout donnent communément du prix à un exer
cice: son excellence, son utilité, sa nécessité; car
son excellence en inspire l'estime , son utilité fait
naître le désir de s'y livrer , et sa nécessité décide la
volonté encore incertaine , et la détermine à entre
prendre une œuvre que la raison lui conseille à cause
de son excellence , et que le cœur désire déjà avoir
faite à cause de son utilité. Ce que nous allons dire
montrera avec évidence combien sont grandes l'ex
cellence et la nécessité de cette sainte solitude , et
combien sont grands et salutaires les avantages qu'on
en retire.
I. D'abord l’excellence et le mérite des Exercices
spirituels paraît assez, en ce que 1° l'idée en fut
conçue sous l'inspiration de l'Esprit-Saint ' ; 2° qu'ils
furent communiqués par le ministère de la très-au
guste Reine des anges '; 3° qu'ils ont été non-seule
ment approuvés par le Saint-Siége, mais encore com
blés des plus magnifiques éloges, et que leur pratique
a été recommandée aux fidèles avec les instances les
plus pressantes5 : distinction à peine accordée à aucun
autre livre, ou du moins à un très-petit nombre.
Or, tous ces avantages demeurent constants par
les bulles mêmes des souverains Pontifes, par le té
moignage des auditeurs de Rote et par celui des car
dinaux de la sacrée Congrégation des Bits ; à quoi on
peut ajouter encore la persuasion de toute notre So
ciété , l’autorité d'hommes éminents par leur probité

1 Voy. Lancicius , opusc. ; C. Rossignol. -- 2 L. Dupont, dans


la vie de Marine d'Escobar et dans celle d'Alvarez; P. Natalis;
Carnolius. - 3 Paul III, dans sa bulle Pastorah's oflieii, du 31
juillet 1548; Jules III. — 4 Directoire, Introduct. , n" 3.
aox EXERCICES. 19
et par leur science, tels que Louis Dupont, Lancicius ,
Natalis , Rossignol et plusieurs autres, qui non-seule
ment aflirment avec assurance, mais qui établissent
encore, par des preuves solides , que ce pieux ouvrage
. de S. Ignace a été écrit du doigt de Dieu , dicté pai' la
sainte Vierge elle-même, et que l’Esprit-Saint l’a
rempli de son onction; enfin il a été approuvé, loué,
autorisé par une bulle de Paul III, publiée du propre
mouvement et de la science certaine de ce Pontife ,
qui l'a confirmé dans son ensemble et dans toutes
ses parties, sans y rien changer , pas même une syl
labe °.
Ajoutons que , par une libérale munificence, le
même souverain Pontife et ses successeurs Alexandre
VII et Benoît XlV ont enrichi de la grâce d"une in
dulgence plénière ces Exercices de la retraite spiri
tuelle ,afin d'engager plus puissamment les fidèles
chrétiens, par cette profusion des trésors célestes
de l'Eglise , a vaquer à une œuvre si salutaire et si
pieuse. C'est donc avec raison que l’illustre évêque de
.Belley, Jean Camus , lisant ce livre , fruit des médi
tations de notre saint fondateur, s'écria, saisi d'ad
miration : 0 livre tout à fait d'or et plusprécieux
que le diamant! ô livre divin , écrit avec une singu
lière assistance de la lumière (le Dieu, qu'on ne sau
raitjamais assez louer 1 livre qui renferme la man
ne du désert , la moelle du Liban et le sénevé de l'E
vangile. Certes, je ne crois pas qu'on puisse invoquer
des témoignages plus éclatants et plus persuasifs pour
démontrer l'excellence des Exercices.
Mais c’est ce mérite même qui doit être pour nous
un motif eflicace de les suivre avec une très-grande
ferveur et avec °toute l'application dont nous sommes
capables ; car telle est la menace des livres saints :

Ï Directoire, au même endroit.


20 m'rnonUcTion
Maudit celui qui fait l'œuvre de Dieu frauduleuse
ment ' , ou, suivant les Septantes, négligemment.
Ainsi, puisque ces saints Exercices sont l'œuvre de
Dieu , comme on l'a prouvé , jusqu’à l'évidence , par
les raisons déjà rapportées, quel lieun'ont-ils pas
de craindre, ceux qui les font avec une coupable
langueur , et qui sont assez ingrats pour les décrédi
ter par la vie tiède qu’ils continuent de mener après
cette céleste retraite , pour faire méconnaître leur
eflicacité , pour leur ravir enfin et leur enlever , aux
yeux des autres hommes , l'estime que néanmoins ils
méritent.
II. En second lieu , on peut tirer de ces trois sour
ces, de l'autorité, de l’expérience et (le la raison, des
preuves évidentes de la très-grande utilité de cette
retraite de huit jours. l"Quant à l'autorité , je serais
infini, sije voulais recueillir exactement tous les té
moignagesd’hommes recommandables parleur science
et leur sainteté, qui publient et proclament, en ter
mes pleins d'éloges , les avantages qu'on en retire.
Qu'il me suflisc, dans un si grand nombre , d'en
choisir seulement quelques-uns. Le glorieux évêque
de Genève, S. François de Sales , disait, des Exercices
de La retraite, qu'ils sont une méthode sainte de la
'réformation des mœurs, oubliée depuis longtemps,
mais que le grand serviteur de Dieu, Ignace de
Loyola, avait remise en usage '. Au jugement de S.
Charles Borromée , l’oracle de Milan, ils contiennent ,
dans les bornes resserrées d'un petit volume, une
ample bibliothèque, ouæil trouvait lui-mêmeplus de
lumières que n'avaient pu lui en donner tous les au
tres livres 5. Le souverain Pontife Jules III a déclaré
qu’ils sont très-avantageuse pour le salut, pleins de

‘Jérémie. c. 48, v. 10. 2 Traité de l'Amour de Dieu, llv l2,


chap. 8. — 3 P. Bartoli, Vie de S. lgnace.
. __ ,

c
AUX exancices. ‘
21

l'onction de la sainteté et très-utiles à l'avancement


spirituel. Nous avons déjà dit que l'illustre Jean Ca
inusles appelle une manne cachée , le grain de sénevé
de l'Evangile , la moelle des Cèdres du Liban; et, ter
minant son' éloge par une pensée ingénieuse, il dit
que cet ouvrage est très-peliten apparence, mais très
grand par ses fruits.
Enfin Blosius, Avila , Suarès , Canisius, Strada, et
d'autres cités par Rossignol, les nomment le noviciat
du genre humain , la nouvelle école de la divine sa
gesse, la quintessence de la vie spirituelle, le moyen
le plus efficace d'acquérir bientôt une très-haute per
fcetion , un spécifique très-assuré contre toutes les
maladies, un arsenal muni d'armes très-puissantes
contre l’enfer, et l'un des plus insignes bienfaits que
Dieu ait accordés à son Eglise dans ces derniers temps.
Or , résister avec une téméraire opiniâtreté à de tels
témoignages , sans contredit les plus imposants ; nier
la grande utilité de ces Exercices inspirés de Dieu, ne
serait-ce pas fermer les yeux à la clarté du jour ?
2° Surtout si l'expérience y apporte le poids de son
irréeusable autorité; car , ainsi que l’alteste le Direc
toire, grand nombre de personnes, après avoir suivi
religieusement ces Exereices, ont quitté le monde et
sont entrées dans des ordres religieux ; plusieurs, y
étant déjà entrés, se sont parfaitement réformés, et
cette réforme n'a pas eu lieu dans des particuliers
seulement, mais souvent encore dans des communau
tés entières. Combien même qui, au milieu du siècle ,
étaient tellement livrés aux îvices , que ni les exhor
tations, ni les instructions chrétiennes ne les en
pouvaient plus retirer, qui se sont convertis par ce
seul moyen , et qui ont pris la résolution de mener
constamment une meilleure vie °. En un mot, les con

‘ Introduction, n° 7.
22 INTRODUCTION

versions surprenantes , les changements merveilleux


dans les mœurs, les progrès admirables dans les ver
tus, sont les fruits ordinaires qu’on recueille abon
damment de la retraite , surtout dans ces villes où les
maisons établies pour les exercices spirituels se main
tiennent avec édification.
Certainement notre Compagnie avoue bien volon
tiers que c’est par leur moyen ïqu'elle a été formée ,
nourrie, augmentée, affermie, et qu'elle a conservé
jusqu’à présent sa force et sa jeunesse. C'est à ces mé
ditations que S. François de Sales, S. Charles Borro
mée, Philippe de l‘téri, François de Borgia, Xavier,
sainte Thérèse , sainte Madeleine de Pazzi , attribuent ,
avec reconnaissance, les commencements ou les ac
croissements de leur sainteté; et Blosius, Louis de
Grenade , l'évêque de Torres , le cardinal Henri , de
puis roi de Portugal; Bellarmin, Pierre Camus , Le
fèvre, Lainez, Natalis et une infinité d'autres dont
parle Rossignol, rapportent également à cette salu
taire pratique la grâce d'une Vie plus parfaite : enfin
tant de martyrs dans les Indes viennent aussi, pleins
de joie, attacher, comme un trophée , à ces saints
Exercices, les lauriers de leur triomphe , en se glori
fiant d'avoir puisé à ce riche arsenal la force généreuse
avec laquelle ils ont souffert si courageusement les
supplices pour Jésus-Christ.
3° Maisdu reste la raison de tout ceci se conçoit
facilement ; car , d'un côté , par cet heureux éloigne
ment du bruit des occupations et de l'embarras des
affaires . on détruit trèsîeflicacement les obstacles qui
retardent , par leur résistance pernicieuse , l’abon
dante effusion des célestes lumières , et, de l’autre
côté , par la considération continuée pendant huit
jours des vérités éternelles de la première classe ,
l'âme est merveilleusement préparée à recevoir les
pluies fertiles de la grâce que le Ciel continue de ré
AUX EXERCICES. 25

pandre , comme une inondation fécondante , sur


ceux qui se sont ensevelis dans cette solitude.
Enfin par cette magnanime libéralité envers Dieu ,
qu’exige de nous la cinquième des Additions ° de
S. Ignace, que nous rapporterons au nombre 3 du
S 2° , nous obligeons , par une violence qui lui est
agréable, la bonté divine à répandre sur nous avec
usure ses libérales faveurs. Qu’y a-t-il donc d'éton
nant , lorsqu'on a ainsi levé les obstacles , quand les
esprits sont si bien préparés et que le Ciel est à ce
point favorable à nos vœux , s'il s’ensuit des change
ments dans les mœurs qui tiennent du prodige, et si
de telles âmes , abandonnant les sentiers du vice,
courent, à pas de géant, de vertus en vertus ’ jusqu'à
la montagne de Dieu , la sainte Sion , dont le sommet
est , suivant les Pères , la figure de la plus haute per
fection. Certainement toutes ces raisons montrent,
plus clairement que le jour, l'inappréeiable utilité de
ce livre des Exercices.
Quelle horrible monstruosité sera-ce donc de n'a
voir point, par son secours , secoué notre tiédeur ,
quoiqu’il en ait conduit tant d'autres à la sainteté , et
de l'avoir fait devenir un poison pour nous , qui som
mes les enfants de S. Ignace, tandis qu'il a été pour
des étrangers un baume salutaire. Que cette pensée
sera terrible à l'heure de la mort : J'aurais dû devenir
saint par une conséquence de ma vocation ; j'aurais
pu devenir saint par le secours des Exercices , et ce
pendant je suis demeuré jusqu'à la fin assoupi dans
la tiédeur; je vivais près du divin soleil, assis à la
source des grâces, tout proche du feu céleste , et je

1 Dans le livre des Exercices spirituels, on appelle Addition-s


certaines règles particulières de conduite que S. lgnace ajoute
à la suite des différents exercices que l'on doit faire. — 2 Psaume
83, v. 8.
\
24- INTRODUCTION
n’en suis pas moins encore dansles ténèbres, dans la sé-'
cheresse et dans la froideur ! O quels tristes sentiments
ce souvenir éveillera un jour dans les moribonds! Pre
nons donc garde que ce même secours, qui facilite aux
autres le chemin du ciel , ne nous fasse tomber plus
promptement dans le lieu des souffrances expiatoires.
III. Enfin ce qui prouve la pressante nécessité qu'il
y a d'entrer dans cette solitude sacrée , c'est 1° l'état
présent de notre âme, pour la guérisonde laquelle ces
méditations sont le plus souverain et même l'unique
remède; car tant de passions rebelles et encore in
domptées , tant de vices jusqu'ici demeurés sans
amendement, tant de mauvaises habitudes toujours
vivantes; de plus , les devoirs qui nous seront impo
sés dans leur temps, les calamités qui nous menacent,
les tentations qui vont nous assaillir , tout cela sans
doute montre sufl‘isamment qu’il est tout à fait néces
saire de porter enfin une bonne fois , dans une re
traite, la cognée à la racine de l'arbre, pour obéir aux
aiguillons de la conscience ; de nous dépouiller du
vieil homme et de nous revêtir du nouveau , et de je
ter le fondement de telle vertu , à laquelle nous n'a
vous pas encore pensé , et que cependant la sainteté
de notre état, l'abondance des grâces et la volonté de
Dieu exigent et attendent de nous.
2° En second lieu, l'amour quenous devons à notre
Compagnie comme à notre mère , demande que nous
nous appliquions de toutes nos forces à cet exercice ,
si nous désirons passer pour ses véritables enfants';
car le Directoire, quifut approuvé dans la cinquième
Congrégation générale tenue à Bome , atteste que
c'est surtout par ce moyen que notre Compagnie
s'est formée dés le commencement, qu'elle a depuis
obtenu ses accroissements ° , et que c'est l’unique

1 Directoire, lntroducL, n" 7.


I
AUX EXERCICES. ' 25
encore par lequel elle pourra se conserver dans la
suite.
Plusieurs raisons confirment que je n’av'ancc rien
ici d'exagéré ; car l’amour des choses spirituelles, ainsi
que l'a déclaré la onzième Congrégation générale (dé
cret trentième), est l'âme de la Compagnie. Or on
sait bien que cet amour s’enflamme, se nourrit et
s’augmente principalement par cette retraite de huit
jours. De même, l’esprit de la Compagnie consiste
surtout dans le troisième degré d'humilité, tel qu'il
est expliqué par notre saint fondateur dans son livre
des Exercices. Mais la grotte de Manrèze ° n’est-elle
pas le laboratoire ardent où cet esprit acquiert toute
sa force? L’âme et l'esprit de notre société périrent
donc, elle-même ira infailliblement à sa ruine , si ces
secours viennent à lui manquer. Ainsi , celui qui né
glige tout à fait , ou qui du moins n’emploie que
lâchement le plus efficace , que dis-je? l'indispensable
moyen de conserver sa société , porte pour sa mère
l'ingratitudejusqu’à la haine.
. Bien plus , il se nuit aussi à lui-même; car un tel
homme n'étant qu'un membre que l'âme de la société
n’aime plus , il deviendra un poids inutile à tout le
corps; il sera un airain sonnant et une cymbale re
tentissante ; un bel instrument de musique , qui ne
produira pourtant aucune émotion sur les auditeurs,
parce qn'aucun souflle n’y peut pénétrer; il sera un
feu vaporcux, offrant, il est vrai, quelque lueur
d'une lumière trompeuse, mais qui, manquant de
vraie chaleur, n'aura rien aussi de l'onction céleste :
en un mot, cet homme, incapable de produire au

1 Manrèze est une petite ville de Catalogne. Il y a, à environ


600 pas de cette ville , une caverne où se retira S. Ignace après
sa conversion : il Y Pratiqua les plus grandes austérités ; ily
reçut des grâces extraordinaires : il y conçut le plan de ses
Exercices.
I 3
26 INTRODUCTION

cun fruit , deviendra l'opprobre de la religion, la


fable des séculiers; il sera à charge à soi-même et' à
ses compagnons , si toutefois, par un châtiment mé
rité , il ne finit point par être entièrement retranché
de la religion et renvoyé dans le siècle.
3° Enfin ces Exercices sont peut-être les derniers
de votre vie; peut-être la grâce de la persévérance
finale , ou une autre grâce du premier ordre y est-elle
attachée. Et que savez-vous , vous qui lisez ceci , si
votre perfection n'en dépend point, et avec elle le
salut de beaucoup d'autres, que Dieu a résolu de
ramener à une vie plus régulière, si , dans cette
retraite, vous vous rendez un instrument propre à
cette fin ? Il serait téméraire , en une affaire si impor
tante , de rien confier au hasard et à un peut-être in
certain. Vous ne vous rcpentirez assurément jamais
de vous être appliqué avec soin à ces méditations , et
il se peut que vous gémissiez éternellement de les avoir
faites avec négligence : choisissez donc le plus sûr.
Autrement craignez ; car on demandera beaucoup
à qui on aura beaucoup donné. Or , certainement la
bonté divine a donné beaucoup à celui à qui elle a
accordé le moyen de se réformer par ces Exercices :
donc elle demande également et attend beaucoup de
lui. Cette nouvelle retraite de huit jours est un
nouveau talent : malheur donc à celui qui s'en va
I'en/ouir dans la terre et qui néglige de le faire
profiter ; car la rigueur du compte qu'il faudra ren
dre croîtra suivant la mesure des grâces offertes.
O si ce temps favorable , si ces jours de salut
étaient accordés à une âme détenue dans les flammes
du purgatoire , avec quelle ardeur elle s'y applique
rait! Nous sommes donc bien dignes de la même
peine , si , par une sage prévoyance , nous ne faisons
pas maintenant ce dont l’omission nous ailligera si.
vivement dans cette prison expiatoire.
AUX EXERCICES. 27.
Concluons donc de là avec certitude que non-seu
lement ces Exercices sont d'une haute excellenceet
d'une inappréciable utilité , mais qu’il y a encore
une nécessité pressante de s'y appliquer avec une
entière ferveur. Pour y réussir , il faudra observer
les avis suivants , qui sont très-appropriés à cette fin
erqui sont aussi de trois sortes. Les uns concernent
la préparation intérieure de l'âme; les autres règlent
les dispositions extém'eures qui doivent précéder les
exercices ; d'autres enfin prescrivent ce qu'on aura à
pratiquer dans le cours même de la retraite.

AVERTISSEMENT .

Le n° 111 de ce premier paragraphe pourra servir


pour la méditation ou la considération qu'on fera
avant ou après dîner , la veille de la retraite. Le reste
et les paragraphes suivants seront le sujet d'une lec
ture spirituelle qu'on partagera entre le matin et
l'après-dîner; mais il faut au moins faire en sorte de
lire la veille les avis des II et ÏII.
S [1. Avis concernant la préparation intérieure de l'âme.

I. Comme le fruit de cette sainte retraite ne con


siste nullement à y recevoir une abondance de lu
mière , à y verser beaucoup de larmes , ni à y goûter
des consolations , ni même seulement à donner pen
dant quelques jours plus de temps à l'oraison , à la
lecture et au recueillement , puisque ce n'est pas là ,
dis-je , le point important , mais que la principale
et l’unique fin qu'on s'y propose est plutôt 1° un
changement solide dans les mœurs; 2° un plus grand
progrès dans la vertu , 3° enfin une connaissance et
un accomplissement plus parfait de la volonté divine
sur nous et sur ce qui regarde notre état de vie ;
puisque tel est, je le répète, le motif qui nous amène /
28 INTRODUCTION

à cette solitude sacrée , il faut donc aussi , dès le


commencement, y entrer avec la volonté et la ferme
intention d'en sortir meilleurs , tout changés en d'au
tres hommes et entièrement différents de nous—mêmes,
et de devenir très-dociles à toutes les volontés de Dieu.
Que tel soit le but que nous nous proposions dès le
commencement dela retraite , et auquel nous ne ces
sions , dans toute sa durée, de tendre uniquement
et de toutes nos forces °.
II. A cette fin , après avoir réfléchi par un court
examen sur son état , on fera trois choses : 1° on con
cevra un désir ardent de connaître la volonté de Dieu
sur soi, en répétant' souvent dans le jour ce pieux
soupir du prophète royal : Seigneur, apprenez-moi
à faire votre volonté ’; 2° on déterminera un ou deux
vices, ou bien quelque affection vicieuse , qui est
comme la source de toutes les autres et le principal
obstacle à notre avancement , afin de l'arracher en
suite jusqu’à la racine. 3° On choisira une ou deux
vertus , parmi celles surtout dont on a maintenant un
plus grand besoin, pour les établir dès-lors avec un
grand soin dans son cœur : c'est là que, par la suite ,
devront tendre , comme à. un double but , toutes les
méditations , les considérations, les lectures , ete. :
cette remarque est très-importante.
111. Il faut 1° venir aux exercices avec une très
ferme persuasion que nous en avons un extrême
besoin , que nos plus chers intérêts en dépendent ,
et que nous allons faire une chose de la dernière im

‘ Directoire, ch. 2, n" li , ou on lit : Que le relraitrmt com


mence les exercices avec plaisir et avec un désir avide, non pas
tant d'y jouir des douceurs spirituelles. que l" d'y connaître la
volante' de Dieu sur soi : 2° d'y former la résolution de son avan
cement dans l'esprit intérieur ,- 3" d'arracher son a/fection (i toutes
les choses de la terre , et de la placer dans son Créateur.
2 Psaume 142, v. 10.
AUX EXERCICES. 29

portance ; car; plus nous en aurons une haute estime ,


plus aussi notre âme fera de généreux efforts. 2° Il
faut les entreprendre avec une humble défiance de
nos propres forces; parce que cette vertu est l’aimant
admirable qui a le pouvoir d’attirer les faveurs céles
tes qu’une orgneillcuse présomption repousse au con
traire. 3" Il faut encore les commencer avec un cœur
grand et libéral envers Dieu , avec la résolution de
ne lui refuser absolument rien, de ne fixer à la grâce
aucunes bornes au-delà desquelles on ne consentirait
plus à recevoir sa lumière et son secours ; enfin avec
la volonté de ne rien excepter ni rien limiter , mais ,
au contraire , de tout sacrifier généreusement, de
tout faire ou éviter avec une indiflërence parfaite à
tout ce que le souverain Maître pourra vouloir que
nous sacrifiions, ou que nous fassions ou évitions ,
nous gardant bien d’apporter aucune résolution dont
nous ne voudrions pas nous départir. 4° Espérant
enfin , avec une ferme confiance , que la bonté infi'
niment bienfaisante du Créateur , qui nous a donné
de vouloir, nous donnera aussi d'achever , puisque
sa volonté est que nous nous sancti/îions '. Une telle
disposition de cœur , au commencement de cette œu-
vre sainte, sera un heureux présage des secours puis
sants qu'on obtiendra et des vertus parfaites qu’on
aequerra par ce moyen.
IV. Puisque les péchés véniels et la facilité de se
répandre sur les choses extérieures s’opposent plus
qu’on ne pense aux grâces du ciel, parce que Dieu ,
offensé par ces fautes légères et par ces écarts d'une
âme dissipée , a coutume de les lui soustraire , il faut
donc non-seulement dans les exercices s'appliquer
singulièrement à la pureté de sa conscience et au
recueillement intérieur (car offenser, pendant qu'on
lDirectoire cha .9, n° 1, 3 , 4 et 5.
7 P
50 INTRODUCTION

les fait, l’infinie Majesté, même par une faute légère,


si c’est avec un plein consentement, ce serait mettre
un trop grand obstacle à ses divines libéralités); mais
encore il faut s’y appliquer avec le même soin , des la
veille, évitant avec zèle tout péché vénicl et toute
dissipation.
Ainsi qu’on voit certains aspirants à l’état religieux
se donner plus de licence avant de s'y engager et
dans le temps où ils vont dire adieu au monde , sou
vent aussi les religieux eux-mêmes dissipent trop
facilement leur esprit, le jour qui précède cette
sainte retraite et jusque sur le seuil de leur pieuse
solitude, comme s’ils n’avaient pas d'ailleurs assez et
à corriger et à recueillir. C’est là un insigne artifice
du démon , par lequel il obtient bientôt', en puni
tion de cette dissipation, que les premiers jours des
exercices se passent mal, avec tiédeur, sans aucun
mouvement de piété et sans consolation, mais non
pas sans une très-grande perte des fruits qu’ils eussent
pu produire; car , demême que la méditation demeure
infructueuse par le défaut d'une préparation sufli
sante, ainsi ce recueillement et cette pureté, auxquels
on s'applique dès la veille , sont une condition sans
laquelle les exercices resteront stériles. Ces quatre
observations regardent la préparation intérieure de
l'âme.

S 111. Avis concernant les dispositions extérieures.

I. La veille de notre entrée en retraite, il faut si


bien disposer toutes les choses que nous avons à ré
gler d'avance , qu'il ne soit plus nécessaire ensuite de
nous distraire à leur occasion. On disposera convena
blement sa chambre, on éloignera tout ce qui pour
rait dissiper l'esprit, même les livres, afin que les
yeux ne rencontrent plus rien , autant que possible,
AUX EXERCICES. 51

que ce qui doit être de quelque usage durant les


exercices °.
II. Il faut préparer deux petits cahiers , pour écrire
sur l'un les bonnes inspirations , et sur l'autre nos
résolutions, jointes aux motifs les plus eflicaces qui
nous y ont déterminés ’ : cet avis est très-important.
Certes, si un courtisan rejetait avec dédain une pierre
précieuse qui lui serait donnée par son roi, il se ren
drait pour toujours indigne des grâces et de la muni
ficence royale. Les lumières célestes que nous recevons
sont des pierres précieuses préférables à l'or le plus
pur ; celui qui les néglige se rend donc indigne d'en
recevoir de plus grandes. Déjà nous avons couvert
d'une écriture inutile bien des mains de papier, et
même bien des rames; sera-ce donc trop de consacrer
au moins une petite page à une œuvre si sainte ? Il
faut cependant remarquer, suivant l'observation du
Directoire , que ces .- choses doivent être écrites très
brièvement, et non pas développées en forme de dis
cours 5, pour 'ne point diminuer le temps des autres
exercices , ce qui serait manquer au règlement de la
journée.
III. 11 faut par une fervente prière , plusieurs
jours auparavant et surtout la veille, solliciter de
Dieu , qui est la source intarissable de tous les biens ,
l'heureux succès de ces exercices : dans ce désir , on
doit visiter plus souvent le Dieu de l'Eucharistie ,
caché sous les espèces sacramentelles, et réciter pour
la même fin , avec beaucoup plus d'attention , le
grand oflice ecclésiastique ou le petit office de la
sainte Vierge ;- il faut enfin choisir quelques Saints
pour patrons , sous la protection desquels nous nous
proposions de passer ces jours de salut.

l Directoire, ch. 2, n” '2, et ch. 3,110 2. — 2 Directoire, ch.


8, n° 5, et ch. 7, n° 2. — 3 Directoire, à l'endroit cité.
52 INTRODUCTION
lV. Celui qui suit les exercices . quelque prudent
et instruit qu'il soit d'ailleurs , ce sont les expressions
du Directoire ; quelque expérimenté qu'il soit pour
se conduire lui-même , ne doit point néanmoins ,
pendant ce -temps , se confier à sa propre prudence
et à ses lumières ; mais il faut au contraire qu'il se
remette tout entier entre les mains de son directeur.
Il faut donc qu'il regarde son guide spirituel comme
l'instrument de Dieu , qui le lui envoie pour le con
duire ; qu'en conséquence il ne lui cache rien , ni ne
lui dissimule rien; mais qu'il lui ouvre sincèrement
tout son cœur , qu’il lui obéisse en tout parfaitement;
qu'il se conforme scrupuleusement à ce que son di
recteur lul prescrira pour le choix des méditations ,
pour le règlement de la journée, et aussi pour les pé
nitences et les mortifications corporelles; en un mot,
qu’il se persuade bien que plus il suivra diligemment
et exactement la direction de ce guide , plus il se ren
dra propre à recevoir avec plénitude la grâce de Dieu,
arcc ue cette. humilité et. cette
. sim Plicite Plaisent
.
læaucoup au Seigneur, qui aime à se.commumquer
a de telles âmes : ainsi parle le Directoire '.

5 IV. Avis qu'il faut observer dam le tempa'mêmc des exercices.

I. Tout le temps que durera cette sainte retraite ,


il faudra conserver son âme dans .un continuel et
'très-exact recueillement : 1° par la garde fidèle et
sévère des sens, principalement des yeux , en n'arrê
tant ses regards sur personne; des oreilles, ne les
prêtant point à de frivoles entretiens , et ne recevant
ni lettres ni nouvelles; de la langue , observant reli
gieusement et scrupuleusement le silence; 2° par la

.1 Ch. 2,1.° 6 et 7.
AUX EXERCICES. 5.3
vigilance' sur son imagination , ne consentant à au
cune pensée de quelque chose que ce puisse être, qui
n’aurait point de rapport à la retraite , comme s'il ne
nous restait plus dans ce monde aucune autre affaire
qui dût nous occuper; je dis plus, renvoyant les
pensées pieuses elles-mêmes qui ne conviendraient
pas assez à la méditation qu'on vient de faire ou à
celle que l'on prépare; 3° par l'observation d'une
entière solitude, ne sortant pas de sa chambre sans
nécessité, s'interdisant rigoureusement toute autre
occupation; de sorte que non-seulement dans le
cours de la journée, mais encore après le repas,
ou ne lise, on ne considère, on n'écrive rien autre
chose que ce qui est prescrit pour ce jour et qui
se rapporte aux exercices et à leur fin. On devra
même aussi s'abstenir de ces travaux de main qui
fatiguant trop le corps ou qui dissipent l'esprit; car
on fera d'autant plus de progrès qu'on se sera
renfermé dans une retraite plus austère, éloigné de
toutes ses connaissances , de tous ses amis, et déga
gé de tout soin, de toute sollicitude temporelle ; et
plus l’âme se trouvera isolée et séparée des créatu
res , plus elle sera en disposition et en état de cher
cher et de trouver son Créateur °.
On rapporte que, dans notre collége (le Spire , un
ministre de l'empereur , l'un des personnages les plus
célèbres de son temps ,homme également habile dans
'la guerre et dans les conseils , vaquait aux exercices
de S. Ignace dans une solitude si profonde, que non
seulement il se rendit inaccessible à ses amis même
les plus intimes , mais qu'il ne se permit.’ même pas
d'ouvrir une lettre que lui envoya alors l’empereur
Ferdinand; il remit, au contraire, pour la décache
ter, à la fin de sa retraite, disant que l'afl'aire qu’il
1 Directoire, ch. 2, n°2, et ch. 4 , n" l.
54 INTRODUCTION

avait entrepris de traiter avec le Roi des rois était


d'une si grande importance , qu'elle ne pouvait se
mêler à aucune autre pensée concernant les intérêts
d'un monarque de la terre. O combien un tel exemple
confond ces religieux, qui non-seulement n'éloignent
pas, pendant cette sainte huitaine , mais qui s'atti
rent même volontiers ces sortes de distractions ! Les
paroles du révérend P. Dicrtins , visiteur de Pologne,
méritent que nous les rapportions ici. Voici comment
il s'exprime : Il est facile de comprendre combien les
supérieurs— nuisent au bien spirituel et occasionnent’
de mal aux âmes, lorsqu’ils ne mettent pas tous
leurs soins à procurer que leurs inférieurs, qui dési
rent ou qui doivent faire les exercices , soient libres
de toutes les autres occupations.
11. Les méditations doivent être faites 1° dans une
posture respectueuse, principalement quand on pro
duit des actes de la volonté; car nous sommes obligés
alors à un plus grand respect que lorsqu'on fait agir
l’entendement. 2° On emploiera tout le temps pres
crit, de sorte qu'on se rende le témoignage d'avoir
plutôt dépassé ce temps que de n'avoir pas rempli
l'heure entière destinée aux méditations, prolongeant
même ces exercices au-delà de l’heure déterminée, si
l'on vient à tomber dans la sécheresse ou dans quel
que autre désolation; et, pour que notre oraison ne
se change pas en une étude sèche , il faudra toujours
s’arrêter plus aux afiections qu'aux considérations. 3°
On s'y appliquera avec ferveur, prenant garde ce-
pendant, dans le transport d'une dévotion indiscrète,
de ne point se lier par quelque promesse ou par quel
que vœu, et de ne point trop se fatiguer la tête °;
car , suivant que l’ohserve le Directoire , on est gran
dementexposé à ce dernier accident, etdans le temps

‘ Liv. des Exere, 3° , l2” . 18° , 14° des 20 remarques.


n
AUX EXERCICES. .35

de la désolation, ou l'dme, comme si elle luttait con


tre l'entraînement d'un fleuve, a cau tume de faire de
plus grands eflbrts pour s'exciter à la dévotion et
aux larmes, et dans le temps de la consolation, ou
elle n’a plus qu’à s'abandonner tout entière à un vent
favorable. Il suflit donc qu'elle apporte à la médita
tion la même attention qu'on met à parler à un hom
me d'une grande autorité ou devant une nombreuse
assemblée ; car le fruit solide d'une retraite ne con
siste pas dans des larmes forcées , ni dans une atten
tion violente, mais bien plutôt dans la connaissance
de la vérité et dans les mouvements de la volonté
qu'une lumière intérieure produit en nous °.
Dans le temps où les consolations viennent en abon—
dance, nous devons observer deux choses : l" pour ne
pas en perdre à la fois tout le fruit, lorsque cette
douce onction viendra à se retirer, il faut toujours
rapporter ces consolations à l'amendement de nos
mœurs , à l'afïermissement de nos résolutions et à un
bon règlement de toute notre vie. 2° Il faut préparer
l'âme pour le temps de la désolation et de la séche
resse , dans la crainte que, lorsqu'elles viendront
l’assaillir , elles ne la surprennent et ne l'abattent.
Thomas à Kempis dit très-bien à ce sujet : Lorsque
Dieu vous fait part de ses consolations spirituelles ,
recevez-les avec actions de grâces ; mais reconnais
sez qu'elles sont un don de Dieu, et non un efi‘et de
votre mérite. Ne vous en élevez pas, n'en ayez pas
trop dejoie , et n'en concevezpas une vaine présomp
tion ; mais que ce don vous rende plus humble, plus
attentif, plus timoré dans toutes vos actions , parce
que cette heure si douce passera et sera suivie de la
tentation. Au contraire , quand cette consolation

‘ Directoire, ch. 8 , n0 3.
56 INTRODUCTION

vous sera ôtée , ne tombez pas aussitôt dans la de


fiance; mais attendez, avec humilité et avec patien
ce , la visite d'en haut , parce que Dieu a le pouvoir
de vous redonner ses grâces avec plus d'abondance '.
En conséquence , si celui qui fait les exercices tombe
dans la sécheresse ou la désolation, ou la distraction ,
1° qu'il observe plus soigneusement les Additions,
2° qu’il s'humilie sous la main toute-puissante de
Dieu et se résigne à sa divine volonté; 3° qu'il persé
vère dans l'oraison avec une grande patience et une
grande longanimité, se souvenant de cet oracle cé
leste : S'il difi’ëre un peu , attendez-le; car il arrivera
très-certainement et il ne tardera pas ’. Enfin qu’il
se persuade bien que Dieu permet cette sécheresse ,
parce qu'elle lui est avantageuse; car, ainsi que le
remarque le pieux auteur de l'lmitation à l'endroit
déjà cité, elle n'est pas une chose nouvelle et incon
nue à ceux qui ont quelque expérience dans les voies
de Dieu, puisque les plus grands Saints et les anciens
prophètes ont eux-mêmes éprouvé ces vicissitudes.
Aussi ce déplaisir et ce chagrin , dont nous sommes
en cet état souvent affectés , viennent fréquemment
ou de l'amour-propre , qui nous fait trop désirer les
Consolations, ou de l'orgueil, par lequel nous allons
jusqu'à souhaiter d'en avoir qui nous distinguent.
III. Pour lecture spirituelle, il faut choisir des
livres qui non-seulement soient bons et utiles , mais
qui soient encore spécialement propres à produire
en chaque temps l'effet qu’on se propose dans les
exercices. Il faudra donc que la lecture corresponde à
la matière de la méditation qu’on vient' de faire ou
qu'on va bientôt faire; qu'elle soit sur le même sujet,
ou du moins qu'elle convienne aux résolutions qu'on
y doit prendre. On ne se contentera pas de lire à la

1 lm. de J.-C... liv. 2, e. 9. - 2 Habac., c. 2, v. 3.


AUX EXERCICES. 37

hâte , mais on s'arrêtera à chaque chose qu'on aura


lue pour se pénétrer des aflections que l'auteur se
proposait de suggérer. Il faut aussi choisir les vies
des Saints qui sont les plus convenables à l’état de la
personne qui suit les exercices °.
Mais on doit prendre garde de ne pas se laisser en
traîner par le goût (le la lecture , de telle sorte qu'on
diminue le temps de la méditation ou de la prépara
tion ; car celui qui fait sa retraite doit toujours quit
ter tout un peu avant la méditation , pour tourner
entièrement sa pensée vers le sujet de l'exercice qui
va commencer. Il faut aussi éviter de fatiguer 'l'esprit ,
et d’en épuiser en quelque sorte les forces par trop
de lecture; car la méditation doit toujours demeurer
entière, et tout le reste doit lui être subordonné. Je
n'ajouterai pas ici une plus longue instruction sur la
manière de bien faire l’oraison mentale et la lecture
spirituelle; parce que, dans un traité de la Vertu so
lide, 2° partie, chap. 2, S 3 , et 1“ partie, chap 2,
S 3 , n° 2, j’ai développé avec étendue cette matière
qu'il sera très-utile de lire dans ce temps de retraite.
Du reste , ce que nous tenons de dire de la lecture
peut aussi s'entendre de ce qu'on aurait alors à
écrire ; car il ne faut rien écrire autre chose que ce
qui a trait à l'oraison , comme seraient quelques
réflexions que le Seigneur aura inspirées dans la
méditation , ou même hors de la méditation , on les
notant toutefois très-brièvement.
IV. L’examen particulier qu'on doit faire deux
fois lejour , pendant le temps des exercices , a pour
objet " de nous faire apporter un grand soin à remplir
‘ Directoire , ch. 3 , n0 °2 et J4. _— 3 Au livre des Exercices ,
à la dernière des dix observations , 4° réflexion, à la fin , on lit :
Que l'examen particulier se fasse dans l'intention de corriger les
fautes et les négligences qu'on a coutume de commettre , soit dans
la pratique des 43167M008, soit dans l'observation des additions.
58 INTRODUCTION

avec le zèle qu'ils méritent les exercices qui nous sont


prescrits , et de nous faire observer avec exactitude le
règlement journalier et les additions recommandées
par S. Ignace, dont voici un abrégé : 1° il faut , avant
le sommeil, fixer l'heure à laquelle on doit se lever ,
et penser aux principaux points de la méditation.
renouveler encore cette pensée le lendemain matin ,
au moment où l'on va quitter le lit; 2° en arrivant
à quelques pas du lieu de l'oraison , se mettre en la
présence de Dieu ; 3° s'arrêter à ce point de la médi
tation dans lequel on trouvera les sentiments de dé
votion qu'on désire, sans avoir la curiosité de par
courir le reste du sujet; car ce n'estpas l'étendue
des connaissances, mais le sentiment et le goût in
térieur qui remplissent les désirs de l'âme "; 4° la
méditation finie , examiner quels en ont été les fruits;
5° dans la première et la troisième semaine éviter les
pensées qui peuvent causer de la joie, quelque pieu
ses qu'elles puissent être, telle que serait la pensée
de la résurrection de Jésus-Christ , et s’arrêter seule
ment à celles qui font naître et nourrissent une sainte
tristesse ; tenir aussi sa chambre dans l'obscurité ; 6°
ne pas rire, ne parler à personne , et ne regarder qui
que ce soit; 7" augmenter les œuvres de pénitence
par l'usage du cilice et de la discipline, de l'abstinen
ce , d'un lit plus dur , ete. , avec la précaution cepen
dant de ne pas compromettre grièvement sa santé , et
de ne rien diminuer, ou du moins peu de chose d'un
sommeil absolument nécessaire.
Il faut mettre tous ses soins à observer ces addi
tions; parce que plus on y aura apporté de diligen
ce, plus aussi on recueillera bientôt abondamment
le fruit spirituel qu’on désire '. Les quatre avis con'

1 Livre des Exercices , 2° de 20 observations. -— 2 Directoire,


ch. , 8, n" l.
AUX EXERCICES. 39

tenus dans ce paragraphe devront être habituelle


ment présents à notre mémoire durant le temps de
la retraite; et pour cela on les lira souvent.
5 V. Plan abrégé ou systèmes des Exercices.

I. Notre saint fondateur divise tout son cours des


Exercices spirituels en quatre semaines , que nous
distinguons moins par le nombre des jours que par
l'objet des matières qu'on médite. La première se
maine correspond à la voie purgative; parce que
nous y travaillons à purifier notre âme par la con
naissance de nous-mêmes et par la détestation du
péché. La deuxième et la troisième semaine se rappor
tent à la voie illuminative; parce qu'en y considé
rant les vertus que Jésus-Christ a pratiquées et dans
sa vie privée et dans sa vie publique, nous en rece
vons de vives lumières, et nous sommes puissamment
excités à le prendre pour modèle dans ces mêmes
vertus. Enfin la quatrième nous fait entrer dans les
exercices de la voie unitive ; parcequ’en y contem
plant la gloire de Jésus—Christ , nous sommes intime
ment unis, par l’amour spirituel, à Dieu qui est
notre dernière fin.
D’où il résulte que ces saints exercices ne sont
autre chose qu'un admirable abrégé de la théologie
ascétique , et une route facile et sûre pour arriver à
la plus haute perfection; car en marchant par ces
trois voies , comme par le chemin royal de la justi
ce , nous sommes éloignés des habitudes du vice, et
conduits avec un ordre plein de sagesse, par les sen
tiers de la vertu , à l'amour de Dieu , qui est le com
ble de la sainteté : en sorte que , non-seulement la
fin des exercices est très-sublime, mais qu'ils sont
encore eux-mêmes le moyen sans contredit le plus
propre pour atteindre très-sûrement un but aussi
noble.
40 INTRODUCTION
II. Car , 1° après que nous avons compris l'excel
lence de cette fin dernière pour laquelle nous avons
été créés et pour laquelle nous vivons , notre volonté
est excitée à faire tous ses efforts pour y parvenir.
Mais afin de faire avec ordre une chose de cette im
portance, on commence par lever les obstacles les
plus contraires à ce dessein , je veux dire les péchés ,
et on les efface par une sincère détestation et par la
confession; ensuite , dans la crainte que nous ne re
tournions encore , de même que de lâches transfuges,
à nos anciens vices , comme le chien revient à son vo
missement ° , on nous frappe et on nous pénètre
d'une crainte salutaire, par la considération de la
mort , du jugement et de l’enfer , et aussi par celle
des peines que la justice divine a infligées aux anges
prévaricateurs , à nos premiers parents et à d’autres
coupables.
2° Ces obstacles une fois détruits , et le Père céleste
nous ayant reçu de nouveau avec l'enfant prodigue
à la participation de sa grâce , on nous donne, dans
l’exemple de Jésus-Christ , le secours le plus puissant
et le plus efficace pour avancer dans la perfection et
pour parvenir à notre dernière fin; car nous ne sau
rions trouver ni un chef plus habile, ni une voie
plus sûre, ni un compagnon plus fidèle, ni un pro
tecteur plus prompt et plus puissant que lui. C'est
pour cela qu’on nous recommande de méditer avec
piété ses vertus et les principaux mystères de sa vie.
3° Mais pour nous presser davantage à l'imiter de
la manière même la plus parfaite, S. Ignace nous
propose , avec une sagesse vraiment divine , .les trois
méditations des Deux étendards, des Trois classes
d'hommes, et des Trois degrés d’humilité ; elles ont

1 Il Pierre, c. 2, v. 22. —
AUx EXERCICES. 1“

en effet une force admirable pour nous déterminer à


choisir dans la pratique ce qui est le plus parfait :
ensuite, pour couronner par la constance l'élection
que nous avons faite , l'exemple de Jésustjhrist sou/l
frant nous est offert ; il nous détermine eflicacement
à garder, même au milieu des adversités, même au
risque de notre honneur et de notre santé , la résolu
tion que nous avons prise de mener une vie plus
sainte.
4° Enfin , encouragés par la gloire de Jésus-Christ
ressuscité, ranimés par les promesses des célestes ré
compenses, dont la valeur infinie nous rend fermes
dans nos bonnes résolutions , nous parvenons jusqu’à
l'amour de Dieu, jusqu'à une intime union avec lui ,
par le lien de la charité; et jusqu'à une entière con
formité de notre volonté avec la volonté divine, en
laquelle toute notre perfection et notre félicité consis
tent , et qui est l'unique fin de cette sainte retraite;
elle est aussi , s'il m'est permis d'emprunter une ex
pression de l'école , le premier objet de notre intention
et le dernier but où nos efforts doivent s’arrêter. Te'r
minons ces courtes réflexions sur le plan des Exerci
ces : du reste, nous trouverons ailleurs l’occasion de
montrer plus au long la liaison des méditations , l'or
dre des matières et l’ensemble de tout l’ouvrage.
III. Néanmoins il est nécessaire d'ajouter ici quel
ques observations sur la première semaine. Dans le
Directoire elle est appelée le fondement et la base des
autres semaines; aussi est-il prescrit de ne l'omettre
jamais : par là on voit combien il faut la passer avec
ferveur, puisque l'heureux succès des autres en dé
pend entièrement.
Dans la première semaine on se propose un triple
but , et on travaille à en retirer trois sortes de fruits :
1° une indifférence parfaite pour tous les moyens par
lesquels il plaira à Dieu de nous conduire à notre der
I 4
42 INTRODUCTION
nière fin; 2° une douleur profonde et une vive hor
reur des péchés , soit véniels , qui nous ont fait dévier
de notre dernière fin, soit mortels , qui nous en ont
entièrement séparés; 3° une connaissance intime de
soi-même, je veux dire des inclinations dominantes
de l’âme , de nos habitudes vicieuses , et du principe
de nos défauts qui nous éloignent peu à peu de notre
fin dernière, et qui nous opposent un très-grand obs
tacle dans la voie de la perfection.
IV. S. Ignace nous propose dans son livre des
moyens très-propres pour arriver à ce triple but : 1°
il s’applique à nous inculquer cette fondamentale
indifle'rence pour la considération attentive de notre
dernière fin pour laquelle seule nous existons, de
même que toutes les autres créatures, qui, par con
séquent , ne sont bonnes et désirables qu'autant
qu'elles nous conduisent et nous font arriver à cette
même fin; en sorte que notre âme doit être nécessai
rement vis-à-vis d'elles dans un état d'égalité et d'in
différence parfaite; 2° il s'efforce d'exciter en nous
une très-vice douleur par la sérieuse méditation de la
griéveté du péché considéré en lui-même et dans les
châtiments qui le suivent, et il l’augmente encore
davantage par la considération de la miséricorde de
Dieu , recevant dans sa grâce , avec une tendresse pa
ternelle, le pécheur 'qui revient comme l’enfant pro
digue; 3" enfin il nous conduit à la connaissance de
nous-mêmes par la pratique constante de l'examen
journalier, général et particulier; par la recherche
et la confession des péchés, sinon de toute notre vie,
au moins de ceux que nous avons commis depuis 'une
époque déjà éloignée; et aussi par la première ma
nière de prier , qui consiste à parcourir les comman
dements de Dieu et de l’Eglise, et les sept péchés
capitaux , les trois facultés de l'âme, et les cinq sens
de notre corps , en examinant si on n’a point souillé
s'vx EXERCICES. 43
sa conscience en toutes choses, et de quelle manière ,
cherchant en même temps à découvrir les causes et
les occasions de nos défauts et la passion dominante
de notre âme.
Toutes ces règles, où paraît l'enchaînement admi
rable et vraiment divin de toutes les parties du livre
de notre saint auteur, font éclater la rare prudence
avec laquelle il a su choisir les moyens les plus pro
pres pour atteindre sûrement le but qu’il se proposait.
Ce que nous en avons exposé , quoiqu'imparfaitement,
dans cette introduction, nous inspirera , je l'espère,
une haute estime pour l'œuvre importante de la re
traite , et fera naître aussi en nous le désir ardent de
nous y appliquer avec ferveur.

AVERTISSEMENT SUR L’USAGE DE CE LIVRE.

Ceux qui trouveront trop longues les méditations


'qui nous y avons proposées, peuvent s'arrêter seule
ment aux points de ces mêmes méditations indiqués
dans les avertissements qui les précèdent , et remettre
la lecture des autres points à un autre temps conve-
nable. Ce qui doit servir de matière à la lecture spi
rituelle , loin d'être long, sera même à peine suflisant ,
si on y consacre , non-seulement une heure dans la
matinée, mais encore, dans l'après-midi, une autre
heure , depuis une heure et demie jusqu'à deux heu
res et demie, en place de la vie du Saint, qu’on a
coutume d'y lire. Néanmoins, la première lecture
finie , il sera très-utile d'y joindre aussi celle du Saint.
Si on donne aux considérations une heure entière
comme il convient , personne ne trouvera qu'on les
ait traitées avec trop d'étendue. Pour les examens de
l'état , on pourra les lire ou après la méditation du
soir, ou même après souper, si on ne trouve pas dans
la journée de temps plus convenable.
44 INTRODUCTION AUX 'EXERCICES.

Du reste , puisque , suivant l'esprit de S. Ignace ,


il ne faut rien lire durant les exercices, ni écrire, ni
même penser à quoi que ce soit qui n'aurait pas de
rapport au sujet du jour présent, ceux qui goûtent
cet avertissement ou addition , se réjouiront de ce que
l'abondance des matières qu'on leur offre à lire les
met dans la salutaire nécessité de l'observer.
RETRAITE '
DE HUIT JOURS.

ËBÏËÊE Æ@ÜÊ.

PREMIÈRE MÉDITATION.
DE LA FIN DE L’HOMME.
Premier Point.

Vous avez été créé de Dieu. Considérez ici qui vous


a créé , d'où il vous a tiré, quelles qualités vous en
avez reçues, et avec quel amour il vous a donné l'être.
1° D'abord ce n'est point un ange, une puissance,
une principauté, un chérubin, mais Dieu lui-même
qui vous a créé; ce Dieu qui n'a besoin de rien, et
qui est infiniment riche et heureux par lui-même. 2"
Et c’est du néant même qu'il vous a tiré , faisant agir .
si je peux parler ainsi, et exerçant en votre faveur et
à cause de vous tout l’infini de sa puissance; car
puisqu'il y a une distance infinie entre être et ne pas
être , il a dû aussi, pour la combler , déployer la force
infinie de son bras tout-puissant. 3° De plus il vous a
créé à son image et à sa ressemblance ' , vous péné—

1 Génèse, c. 1. v. 26.
46 1"r JOUR. 1"' MÉDITATION

trant , pour ainsi dire, d'un rayon de sa divinité,


qui reproduit en vous l’image de la très-sainte Tri
nité , en vous mettant presque au rang des anges 1.
En un mot , ce Dieu , qui se sutfit à lui-même, ne
vous a pas créé rocher , il ne vous a pas créé brute et
sans âme; mais il vous a doué de vie et de raison , et
rendu capable d'un éternel bonheur. 4° 11 vous a
donné l’existence avec un amour infini , éternel, qui
remonte au de-là des temps, vous préférant à d'au
tres innombrables créatures qui l’eussent servi plus
saintement et qu’il a laissées dans leur néant. Avant
tout mérite de votre part, il a épuisé toutes ses bien-
veillantes affections sur vous, pécheur si ingrat; il
vous a choisi, il vous a embrassé, et il vous a reçu
comme un fils dans son sein paternel. Sa providence
toute particulière vous dirige encore, vous protège et
vous conserve; donc (remarquez combien cette con
séquence est juste), donc vous devez servir Dieu.
Les facultés de votre âme , les dons de votre esprit,
les sens de votre corps, la force de vos membres ,
tout vous 'vient du Ciel : ce sont là les talents qui
vous ont été confiés pour les faire valoir et qui vous
ont été si largement accordés : donc vous devez les
consacrer à servir Dieu. Vous auriez pu naître boi
teux , sourd, aveugle, muet , insensé,stupide : donc,
puisque les bienfaits du Créateur vous ont comblé
de ces dons de la nature, vous devez en 'user pour
servir Dieu. Qui oserait nier sans athéisme cette
vérité ?
Deuxième Point.

Vous avez été créé pour Dieu, pour le servir en ce


monde et le posséder en l'autre. 1° Servir Dieu, c'est
l'affaire de l’homme et sa fin essentielle. Cette majesté

‘ Psaume 8, v. 6.
DE LA F“ DE. L'HOMME. 47
souveraine pouvait, il est vrai, nous laisser ensevelis
dans notre néant , dans un éternel oubli; mais sa vo
lonté une fois arrêtée de nous en tirer, il n’a pas pu
nous donner ce bienfait de la vie pour une autre fin
que lui-même. Personne ne vient en ce monde pour y
jouir des richesses, des honneurs et des plaisirs; pour
y acquérir la science , se faire des amis et une réputa
tion , mais pour servir Dieu; car c'est la tout l'hom
me ‘ : comme si Salomon disait : Tout homme est né
pour cela , puisque tous les hommes , sans exception
comme sans prescription , la condition de créature
l'exigeant ainsi, sont essentiellement les serviteurs de
Dieu.
2° Servir Dieu est la fin de l'homme et son affaire
unique. Quelqu'un eût-il réglé, au grand applaudis
sement des peuples , toutes les affaires de l'univers
entier ; eût-il , toujours heureux dans ses désirs , en
tassé les richesses des Indes , accumulé les dignités
royales, étendu sans mesure ses vastes possessions; s'il
n'a pas rendu à son Créateur le service qu'il lui doit ,
au jugement du ciel il n'a rien fait, il'a occupé inu
tilement la terre : au contraire, celui qui, ici-bas ,
n'aurait rien fait absolument pour le monde, qui au
rait langui, toujours malade dans un lit, ou qui,
méprisé de tous ses semblables, n'aurait habité qu'un
réduit obscur , s'il a servi Dieu , il a suffisamment tra
vaillé, parce qu’il a conduit à sa fin cette affaire uni
que, pour laquelle la vie présente lui a été donnée.
3° Servir Dieu est notre fin dernière : c'est une
affaire telle que son accomplissement parfait peut
seul rassasier l'âme et lui donner la paix; car cette
seule- fin obtenue, cette seule affaire bien terminée,
quoique nous manquerions de tout le reste, quoique

‘Eccl , c. 12, v.13.


48 1" mon. 1r° MÉD1TATION.

nous laisserions le soin de toutes les autres affaires,


nous serons pleinement en repos. Mais, au contraire,
si nous n'arrivons point à cette fin unique, si nous
négligeons cette unique affaire , eussions-nous tout
en abondance, missions-nous les soins les plus assidus
à tout le reste , nous serons toujours inquiets, nos
désirs insatiables s'accroîtront de plus en plus par des
efforts continuels; car, de même qu'une pierre ne
s'arrête qu'à son centre , l’homme aussi ne trouve de
repos que dans son centre , que dans sa fin dernière ,
e'est-à-dire en Dieu et dans son service.
4° Servir Dieu est la fin de l’homme et sa plus
grande affaire , parce que delà dépendent l'éternité
heureuse ou malheureuse , les tourments éternels ou
les joies éternelles; parce que le mauvais succès de
cette affaire est irréparable, puisque s'être trompé
une seule fois en ce point, c’est avoir péri pour tou
jours; parce que c’est l'unique affaire qui nous don
nera de l'inquiétude à l’article de la mort : en un
mot , servir Dieu est la plus grande affaire, la fin der
nière , unique et essentielle de l’homme; donc il faut
s’y appliquer de toutes ses forces , uniquement et
constamment. L’homme a été créé de Dieu et pour
Dieu; Dieu doit donc être servi par l’homme : c'est
la vérité; donc vous , qui lisez ceci, vous devez servir
Dieu. Que le monde crie et que la chair se révolte ,
vous devez servir Dieu : toute langue dans le ciel,
sur la terre et dans les enfers , proclame ce devoir.

Troisième Point.

Et il faut le servir de la manière dont il veut. En


doutez-vous?... Certes , le paysan lui-même ne souffre
pas que le serviteur qu'il a loué travaille pour lui
d'une autre manière que celle qu'il lui a prescrite;
pourquoi donc n'y aurait-il que Dieu qui le souffrît?
ne LA FIN DE L'HOMME. 49
Aucun homme ne paie le service qu'on lui rend d'une
autre manière qu'il ne l’avait commandé; pourquoi
Dieu récompeuserait-il donc de semblables services ?
Les bienfaits eux-mêmes sont méconnus et perdent
leur prix, s'ils nous sont accordés d'une autre ma
nière que nous ne le désirons. Que sera-ce des servi
ces qui sont dus? Les œuvres 'les plus saintes, si elles
ne sontpas faites selon le bon plaisir de Dieu, ne
sont d'aucun mérite. Mon affection n'est point en
vous ' , disait autrefois aux Israélites le Seigneur des
armées; et pourquoi ? parce que votre volonté se
trouve dans vosjeünes '. En effet , ils ne les faisaient
pas de lamanière que le Ciel le voulait, et aussi
étaient-ils en abomination devant Dieu.
De tout ceci , et à n’invoquer que la seule autorité
de la raison , il s'ensuit évidemment que nous de
vons servir notre Créateur non pas de la manière qui
nous convient, mais de la manière qui lui plaît. Que
cette vérité fondamentale soit bien remarquée, qu’el
le soit profondément gravée en votre âme et écrite en
lettres d'or. Si cet Etre infiniment sage veut que vous
le serviez dans le mépris et la pauvreté, dans les
maladies, les chagrins et les persécutions, vous lui
opposez donc une résistance impie, en choisissant
obstinément de ne lui rendre le service qui lui est
dû que dans les honneurs, les aises, la santé et le
bonheur : donc il faut que vous soyez indifférent à
toute manière dont le souverain Créateur de toutes
choses a résolu d'être servi par vous; indifférent à
tout état de vie auquel vous seriez appelé, on dans
l’état que vous auriez déjà choisi, à tout degré de
perfection dans lequel il a résolu que vous le serviez;
et cette indifférence , réduite en pratique , est le prin
cipal fruit que nous devons recueillir de cette médi
llllalach. ,c. l,v. l0. .- 2 lsa'ie, v. 58, v. 3.
'I. 5
50 1" JOUR. 1"’ MÉDITATION.

tation , même au prix de tous nos efforts. Nous nous


y établirons solidement , en pénétrant 1° notre intel
ligcnce de la connaissance vive et claire de cette vé
rité : J'ai été créé de Dieu et pour Dieu; 2" notre
volonté , de cette résolution très-ferme et très-eflicace
de vouloir, en général , servir Dieu désormais de la
manière qui lui plaira et qu'il daignera nous faire
connaître dans ces exercices.

AFFECTIONS.

Il faudra produire principalement les affections


suivantes :
I. Un acte de foi, croyant fermement que c’est
votre dernière fin et votre affaire essentielle , unique
et la plus grande de toutes, de servir votre Créa
teur, qui, prévoyant que vous seriez un si grand
pécheur , vous a tiré du néant avec un amour infini,
de préférence à tant d'autres , et qui vous a enrichi
de dons si excellents; mais croyant aussi que toutes
les autres choses créées qui sont sur la terre ne sont
que des moyens établis par la divine sagesse pour
que vous arriviez à cette fin et pour que vous termi
niez heureusement cette affaire.
Il. Un acte d'indifférence à ces quatre sortes d'état
dont parle S. Ignace dans l’exercice du Fondement ;
savoir : à servir Dieu 1° dans le mépris ou dans l’hon
neur , 2° dans les commodités ou les misères de la vie,
3° dans la maladie ou la santé , 4° dans une vie lon
gue ou abrégée par les travaux; nous montrant prêts
aussi N. B. à éviter ou repousser tout ce qui nous éloi
gue davantage de notre fin et du ciel; à supporter ,
au contraire, on à faire tout ce qui contribue plus
eflîcacement à nous y conduire; en un mot , étant
résolus de nous élever àce degré de perfection auquel
Dieu, dans ces exercices, voudra que nous tendions.
DE LA FIN DE L'HOMME. 51
Cette disposition de notre âme deviendra encore
plus parfaite par la foi pratique des maximes suivan
tes de l'Evangile : 1° Il vaut mieux pour vous que
vous entriez dans la vie boiteux, ou estropié, ou
n'ayant qu'un œil, qu'ayant doua' yerex, (leux mains
et deux pieds , et d'être précipité dans le feu éternel.
2° Il vaut mieux pour vous qu’un de vos membres pé
risse que tout si votre corps était jeté dans l'enfer.
3° Que sert a' un homme de gagner l'univers entier et
de perdre son âme? et qu'est-ce que l'homme donnera
en échange pour son âme °? En un mot, que me
sert-il d’avoir vécu riche , honoré, heureux , si, après
tout cela , je suis damné? Et qu'ai-je à regretter d'a
voir végété dans l'oubli, la misère, la pauvreté et le
mépris , si avec tout cela je suis sauvé? Je le répète ,
les actes fréquents d’une foi vive de ces vérités déter
mineront puissamment notre volonté à choisir cette
indifférence que nous recommandons, la disposeront
à détester tout ce qui détourne de notre fin dernière
et à embrasser tout ce qui y conduit.
III. On pourra aussi produire des actes 1° de re
connaissance pour le bienfait de la création; 2° de
douleur, à cause de l'abus de tant de moyens de sa
lut, et du mauvais usage de nos sens et des facultés de
notre âme; 3" d’amour pour un Créateur si bienfai
sant , avec le ferme propos d'avoir toujours et en tou
tes choses une intention pure; 4° d'espérance et de
désir de posséder éternellement Dieu comme notre
dernière fin. Cependant , suivant l'observation du
Directoire, il faut s'arrêter peu de temps à ces quatre
derniers actes, comme si on ne les faisait que par
occasion; car le principal fruit et le premier but de
cette méditation n'est pas la pureté d’intention, ou la
douleur d'avoir négligé les moyens de salut, ou de

1Matl11.,1e,v. 9;c.5,v.2e;c. l6,v. 2e.


52 1" JOUR. LECTURE.

s'être éloigné de sa dernière fin , mais seulement l'in


différence à servir Dieu, de quelque manière qu'il
veuille éprouver notre dépendance envers lui.
En conséquence tous vos efforts , pendant la plus
grande partie de l’heure consacrée à cette première
méditation , tendront à obtenir cette vertu d'indiffé
rence et cette disposition de volonté indiquée plus
haut par ce signe : N. B. Si votre volonté trop timide
ne peut pas encore s’élever jusque là, concevez-en
au moins le désir, et adressez au ciel des vœux ar
dents pour mériter ce bienfait; mais prenez garde
que les diflicultés ne vous découragent point; car la
grâce qui vous est encore maintenant refusée , pour
des raisons très-sages , vous sera peut-être accordée
ensuite avec usure, si vous n'y mettez pas obstacle ,
et si vous en rendez votre âme digne par une bonne
préparation. '

LECTURE
SUR LE PREMIER EXERCICE , QUE S. IGNACE APPELLE LE
FONDEMENT.

5 1°:
I. Ce n'est pas sans être éclairé de Dieu que S.
Ignace commence son livre admirable par la considé
ration de la fin dernière pour laquelle nous avons été
créés et placés sur la terre; car 1° la sagesse elle-mê
me nous enseigne que , dans toutes nos entreprises ,
notre première attention doit se porter sur la fin que
nous nous proposons d'obtenir; parce que cette fin
est la mesure et la règle de tous les moyens et comme
le centre auquel ils se rapportent. Ainsi, puisque
'

SUR LE romanes-r. 55

notre saint fondateur se propose , dans les Exercices ,


d’opérer la réforme des mœurs parmi les hommes ,
comme l’indique assez le titre qu'il a donné à son
ouvrage, il a eu raison de les commencer par la mé
ditation de la fin de l’homme , laquelle est à la fois et
le but où toute réformation de la vie doit se terminer,
et la règle sur laquelle s'appuie le motif même de
cette réformation.
2° En second lieu , le but de cette sainte retraite
est de conduire l'âme droit à la possession de sa fin
dernière, par les trois voies de la perfection. Ce qui
ne peut se faire si cette fin ne lui est parfaitement
connue. 1] y a donc de la sagesse à lui en inculquer
la connaissance dès le commencement.
3° Enfin , dans tout édifice, ce qu’on établit d'a
bord, c'est le fondement ; or, cette méditation est le
fondement de la sublime théorie de Manrèse. D'où il
suit que S. Ignace a été dirigé par une haute sagesse
et une prudence toute divine, lorsqu'il a commencé
son ouvrage par cet exercice.
Ce saint auteur appelle cet exercice le Fondement
ou le principe , parce qu’il est , comme dit le Direc
toire , la base de tout l'édifice moral et spirituel : de
même que le fondement soutient toute la construc
tion , ainsi cette vérité influe sur tous les exercices ,
et principalement sur celui du choix d’un état , ou
de la résolution de commencer une vie plus sainte ,
choix qui dépend presque tout entier de ce prin
cipe ' ; puisque la vraie réformation des mœurs con
siste dans le choix de servir Dieu en la manière qu'il
le veut. Et pour que ce choix soit bien fait, il faut
avant tout que le cœur soit dans une généreuse indif
férence pour toutes choses; mais comme cette indif
férence est le principal fruit de notre première mé

1 Directoire, c. 42, n° 17.


54 1°’ JOUR. LECTURE

ditation, on voit aisément combien celle-ci influe sur


tous les exercices, à quel juste titre elle est appelée
la base de tout l'édi/l'ce , et même la condition sans
laquelle toutes les peines que nous avons prises
dans ces huit jours de retraite demeureront infruc
tueuses.
II. Par conséquent , comme le remarque le Direc
toire, les autres méditations auront un succès d'au
tant plus lzeureux, que cette première aura mieux
réussi elle-même; et plus ce fondement établi, plus
l'édifice entier sera solide. Comprenez donc combien
il est important qu'une vive connaissance de cette
vérité principale jette dans notre cœur les plus pro
fondes racines , et quels généreux efl'orts il faut faire
pour passer ces premiers exercices dans la plus gran
de ferveur , puisque tout le fruit des exercices sui
vants et le succès de toute la retraite en dépendent.
Le démon le sait trop bien , aussi ne négligc-t-il
rien pour traverser dès la veille, par la dissipation
'de notre esprit, pour détruire même toute l’utilité
des exercices de ce premiei-jour et de cette médita
tion fondamentale. Il veut que, sous prétexte de
re dbldf
ou er e erveur lld e en emain ,onas'l .se 0 re
mier jour dans la tiédeur , afin que cette vérité si im
portante, qu’il a soin de nous représenter comme
familière aux hommes les plus simples, ne soit médi
tée que superficiellement ; car il n'ignore pas'que de
la 30 r t ei l aura renvers-é d 'une main victorieuse la
pierre angulaire de tout l'édifice spirituel. Pour dé
jouer ces ruses par une mesure sage , S. lgnace n'assi
gue aucun temps précis à cet exercice; et il ne le res
serre point comme les autres dans les limites d'une
heure, donnant ainsi à entendre qu’il faut le conti
nuer jusqu'à ce que la connaissance de cette vérité ait
vivement frappé et pénétré votre âme. C'est pour cette
même raison et conformément à la pensée de notre
SUR LE FONDEMÉNT. 55
saint patriarche que je rccommanderai aussi de répé
ter cette méditation avantla fin de la journée , pour
réparer au moins, par la ferveur du soir, le dommage
que la tiédeur du matin aurait pu nous causer.
V

g 11.
I. Quant à ce qui regarde cet exercice en lui-mê
me , de la fin de l'homme , il comprend deux points
qui méritent une sérieuse méditation.
1° L'homme a été créé pour cette fin , savoir, de
louer et d’lwnorer le Sezlqnem" son Dieu , et enfin de
se sauver en le servant.
2° Tout ce qui existe sur la terre a été créé à cause
de l'homme, afin qu'il s'en aide pour atteindre la fin
de sa création ‘. En conséquence, de même que
l'homme a été créé pour Dieu, de même aussi tout le
reste a été fait pour l'homme; et comme l'Etre souve
rain est la fin de l'homme, aussi l'homme à son tour
est la fin de tout ce qui a, dans cet univers, ou le
sentiment , ou la vie, ou l'existence. Servir notre
Créateur est notre fin essentielle, unique et'la plus
importante : tel était le sujet de la méditation du ma
tin. La matière de la seconde méditation sera donc ce
deuxième principe, que toutes les autres créatures ne
sont que des moyens qui nous aident à parvenirà
cette fin. Cette vérité est du genre de celles que la foi,
la raison et l'expérience établissent par un témoignage
commun , et qui ne peut être niée que par un athée
ou un insensé.
De tout cela , notre saint auteur tire , par une con
séquence naturelle, deux conclusions de la plus haute
importance : la première, que nous ne devons user
des choses créées ou ne nous: en abstenir, qu'autant

1 Livre des Exercices, Fondement.


56 1" JOUR. LECTURE
qu'elles nous conduisent à notre fin ou qu'elles nous
en détournent; la deuxième qu'il exprime ainsi :
C'est pourquoi nous devons nous tenir dans une in
diflërence parfaite à l'égard de toutes les créatures :
nous devons même en toutes choses choisir et désirer
ce qui nous conduit plus sûrement a notre der-nière
fin; en sorte que nous ne désirions pas plus la santé
que la maladi , les richesses que la pauvreté, les
honneurs que le mépris , et que nous ne préférions
pas une vie longue à une vie courte '. La première de
ces deux propositions fixe notre choix dans l'usage
des créatures; la deuxième règle nos afl'ections à leur
égard: toutes deux réunies renferment le secret le
plus infaillible pour arriver promptement à une très
haute perfection.
O paroles toutes pleines d‘un sens divin! O doc
trine que la solitude de Manrèze n'a pu recevoir que
du Ciel ! 0 pensée digne d'être écrite en lettres d’or!
vous êtes la moelle du cèdre, le grain de sénevé , la
manne divine, enveloppée et cachée sous une légère
écorce, et qui , étant bien savou rée , produit dans
l'âme des effets surprenants.
Rappelons-nous l'exemple d'un docteur de Paris
nommé Martin Olavius , dont les lumières honorèrent
la Sorbonne. Il avouait ingénument qu'il avait re
cueilli plus de fruit dans une seule heure de médita
tion sur cette vérité appelée le Fondement, que dans
les nombreuses années durant lesquelles il avait si
souvent donné des leçons publiques de théologie, et
employé les jours et les nuits à l'étude de cette science.
On rapporte qu’une jeune vierge consacrée à Dieu ,
nommée Bonaventure, distinguée par l'illustration de
sa famille , par la pénétration de son esprit , par ses
connaissances en mathématiques , et par d'autres

1 Livre des Exercices, Fondement.


son LE romnaueuT. 57
qualités naturelles, mit fin , après cette méditation ,
à une conduite jusqu'ici trop imparfaite, et com
mença une vie plus sainte. Elle demeurait à Rome,
dans un monastère appelé de Terre di Speccln' ° , et
cependant rien de religieux que l’habit ne paraissait
en elle. Obstinée à résister au zèle du V. P. Lancicius ,
qui donnait dans ce monastère les saints exercices de
la retraite , elle avait entièrement fermé son cœur et
même ses oreilles à la grâce , et elle était décidément
résolue à n'assister à aucune des instructions; mais se
laissant enfin gagner à force de prières, elle médite
attentivement les vérités dont nous venons de parler,
et devenue bientôt toute différente d'elle-même , elle
brise généreusement d'un seul coup tous les liens qui
l'avaient si fortement attachée à la vanité et à de
puériles bagatelles ; elle rejette de sa chambre les pe
.\
..
tits présents , les images , les tableaux , toutes les fri
V—'—. volités, tout ce qui ressent la mondanité ; elle rompt
les amitiés particulières, elle renonce aux conversa
tions oiseuses, elle s'offre à son Créateur indifférente
à tout et prête à tendre à ce degré de perfection dans
lequel Dieu voudra désormais qu’elle le serve; puis
elle rendit compte en ces termes, au P. Lancicius,
du succès de sa méditation : Mon père, il ne faut
plus s'amuser avec Dieu. J’ai reconnu ce que Dieu
veut de moi, etce qu'il ne veutpas. Je veux être toute
à Dieu; et, pour sa plus grande gloire , je veux
dès maintenant, sans plus tarder , m'appliquer de
toutes mes forces à devenir une sainte , non pas telle
quelle, mais une grande sainte.
Sa fidélité répondit à ses promesses : elle s'attacha
à imiter sainte Catherine de Sienne , et s’éleva à une

1 Situé au nord de la place Moutanara, quartier du Capitole,


fondé, en 1425 , par sainte Françoise , dame romaine. Les reli
— —'— — gieuses de ce monastère s'appellent Collatines ou Oblates.
——.
58 1" mon. LECTURE

grande sainteté en persévérant dans la vertu jusqu’à


la mort. Ce fut cette première méditation qui opéra
et accomplit dans un cœur tout mondain ce grand
miracle , ce changement si merveilleux.
lI. Ces exemples n'ont rien de surprenant; car
lorsque notre esprit a une fois bien compris que nous
ne demeurons pas sur la terre pour jouir des riches
ses , des honneurs, (les plaisirs et des autres biens
d'ici-bas , mais qu'au contraire toutes ces choses n’ont
été créées qu'afin de nous servir de degré pour mon
ter au ciel suivant l'usage ou le mépris que nous en
ferons; encore une fois quand notre esprit a bien
compris cette vérité, la volonté ne peut pas se dé
fendre de choisir cette céleste indifférence qu'elle doit
sentir pour les choses créées; elle ne veut plus abso-
lument que ce qui peut conduire à la fin dernière ,
et ne se porte vers les créatures qu'autant qu'elle y
entrevoit d'utilité pour cette fin.
.Et c'est avec raison ; car les moyens , en tant que
moyens , n'ont pas d’autre bonté qui les rend dignes
de notre choix et de nos désirs , que celle d'être la
' voie par où nous arrivons à notre fin; donc nous ne
devons les désirer qu'autant qu'ils nous y conduisent;
et puisque, selon l'enseignement de la foi, la gloire ,
les richesses et les joies du monde , la longue vie et la
santé ne sont que des moyens et des secours que Dieu
nous a préparés pour opérer notre salut, il s'ensuit
que tous ces biens ne sont bons et désirables que
lorsqu’ils servent utilement au salut ; mais que nous
devons les redouter comme de très-grands maux , s'ils
.sont un obstacle à notre dernière fin: il faut donc
que nous soyons dans une parfaite indifférence à leur
égard.
L'ouvrier voit les instruments de sa profession sus
pendus dans son atelier, sans donner la préférence à
l'un plutôt qu'à l'autre; il n’en considère point la '
son LE FONDEMENT. 59

'matière, mais il fait attention à leur usage : ainsi


convient-il de même que notre prédilection ne se
porte vers aucune chose créée , et que nous ne nous
en servions ou abstenions qu’autant qu’elle nous aide
ou nous nuit dans l’accomplissement de notre salut.
Assurément on se moquerait de celui qui ,au lieu
d'une plume légère , se servirait pour écrire d'un
sceptre surchargé d'or et de pierres précieuses. C’est
donc aussi agir avec folie de vouloir tendre au ciel
par les honneurs , les richesses et un chemin semé de
fleurs, lorsque Dieu a résolu de ne nous y conduire
que par le mépris, la pauvreté et mille autres peines.
111. Et en effet , que me sert d'avoir eu la santé ?
Que me sert d'avoir brillé parmi les hommes de l'éclat
des honneurs, si avec tout cela je dois être damné ?
Que puis-je perdre à languir dans la maladie , le mé
pris et la pauvreté, si par elles j'opère mon salut?
Quel mal revient-il maintenant à Lazare d'avoir été
couché à la porte du riche , tout couvert de plaies et
d'ulcères , méprisé et repoussé comme un animal
abject ? Et que sert-il aujourd'hui au riche intempé
rant d'avoir regorgé de viandes et de trésors , et
d'avoir joui de toutes les aises de la vie? Lazare est
maintenant consolé dans le sein d'Abraham , et le
riche est enseveli dans les enfers. Mais pour que cette
vérité pénètre plus profondément votre âme , venez ,
vous qui lisez ceci, venez au bord des précipices éter
nels, ouvrez ces portes de l’enfer , ouvrez le puits de
l'abîme ‘, et y faisant entendre votre voix , deman
dez aux damnés ce qu’ils pensent maintenant de
tous leurs biens de la terre et des délices du monde.
Faites-leur entendre ces paroles de la sagesse : Que
vous a servi votre orgueil ? Qu'avez-vous retiré de la
vaine ostentation de vos richesses 2 .9 Répondez main

‘Apoc.,e.9,v.2.—3Sag.,c.5, v.8.
60 1°’ JOUR. LECTURE
tenant, malheureux , et dites quelle utilité, quel
profit y avez-vous trouvé?
Ah! ils répondront par ces lamentables gémisse
ments : [Vous nous sommes égarés de la voie de la
vérité , nous avons sacrifié notre fin dernière en abu
sant des moyens qui nous étaient donnés, et nous
avons perdu tout à fait le chemin du ciel. Hélas! par
notre faute, la lumière de lajustice n'a point luipour
nous, et, à cause de nos péchés, le soleil de l'intelli
gence ne s'est point levé sur nous ° : voilà pourquoi
une tempête noire et ténébreuse nous est réservée
pour l'éternité '.
Ah ! je n’ai fait que goûter un peu de miel 5, s'écrie
avec douleur un habitant des abîmes, en soulevant sa
tête environnée de flammes ; ah! le plaisir était pas
sager, et maintenant la douleur succède à lajoie "', et
elle durera toujours. Un second fait entendre cet
autre gémissement : J'avais beaucoup de biens en ré
serve pour plusieurs années 5 , et tout à coup l'indi
gence est venue me surprendre comme un homme qui
marche à grands pas, et la pauvreté s'est saisie de
moi comme ferait un homme armé 6. J'accomplis main
tenant l’oracle du Prophète : Ils seront afl'amés com
me des chiens 7. Un troisième 'répète ces tristes lamen
tations : Hélas! à quelle afl‘lictionje suis réduit, et
en quel abîme de tristesse je me vois plongé, moi qui
étais autre/ois si content et si chéri au milieu de la
puissance quim’environnait 8' , moi qui étais vêtu de
pourpre et de lin 9. Ah! maintenant je suis couvert
de honte et enveloppé de confusion comme d'un double
manteau ‘°.

‘Sag.,c. 5, V76. -—2Jude, v. 13. ——3lRois,e. 14, v. 43.


—‘ Prov., c. 14, v.13 — 5Lue, c.12, v. 49. —6 Prov.,c.
6,v. Il. -a 7 Ps. 58, v. 7. —— 3 I Maehab.,c.6,v. 11.
“Luc, c.16, l9.-—-1° Ps. 108, v. 29.
son LE ronnaueuT. 61

Voilà ce que disent dans l'enfer‘ ceux qui, oubliant


le ciel, se sont arrêtés à la terre comme àleur dernier
terme, et qui ont joui des biens dont ils auraient dû
seulement user. Dans les accès de leur fureur, ils
haïssent maintenant et ils ont en abomination ce
qu’autrefois, pendant leur vie, ils désirèrent avec
tant d'ardeur et ce qui n'était cependant que des obs
tacles à leur salut et; des instruments de leur perte
éternelle. O combien Judas déteste maintenant son
argent , le riche ses délices , et Saül les honneurs de
la royauté! Dans leur affreux désespoir, ils voeifèrent
cette triste malédiction : A quoi cela nous a-t-il
servi 2?
Levez , au contraire, les yeux vers le ciel, et con
templez les trônes brillants des élus. Eh bien! quel
mal leur revient-il maintenant d'être entrés dans le
royaume de Dieu par beaucoup de tribulations 5.9
Eh! de quelles joies et de quelles délices ils sont à
présent enivrés , après avoir été abandonnés, aflligés,
persécutés ; après avoir été lapidés , sciés, éprouvés,
sacrzfiés par le tranchant de l'épée ; regardés ‘ com
me l'opprobre des hommes, le rebut du peuple 5 , les
ordures du monde , et comme les balayures qui sont
rejetées de tous 6; après avoir été jugés dignes de
soufl'rir des afi'ronts pour le nom de Jésus- Christ 7.
O heureuses afllictions et heureuses peines! s’é
erient maintenant les âmes admises aux célestes de
meures; ô heureux opprobres et pertes précieuses de
la fortune! ô tristesse , pauvreté, persécutions mille
fois trop heureuses ! c'est vous qui nous avez produit
une joie si parfaite : nous vous devons nos glorieuses
destinées; sans vous nous étions perdus; vous avez

lSag. ,e. 5,v. l4. — 2Sag, c. 5, v. 8. —— 3 Act., e. N, v.


21. — ‘Iléb.,c. 11, v. 36et suiv. — 5Ps. 2l , v. 7. —— 6 1 Cor.,
9.4, v. 13. — 7 Act., e. 5, v.4l.
62 1" JOUR. LECTURE
été les moyens et les degrés par lesquels nous nous
sommes élevés à ce trône sublime.
Telles sont les pensées qui ravissent maintenant les
habitants de la sainte cité. Ils sont si éloignés de re
gretter à présent leur vie humble , austère et miséra
ble , toutes leurs angoisses et les macérations de leur
chair, que , dans les transports d'une joie ineffable.
ils répètent à l'envi , avec le Roi-Prophète : [Vous
nous sommes réjouis pour lesjours ou vous nous avez
humiliés et pour les années 01'6 nous avons éprouvé
les maux ‘. .
Eh bien ! que pensez-vous maintenant? Dites ,
n’est-il pas préférable d'entrer dans le ciel , méprisé,
pauvre et affligé , que de tomber dans l'enfer , riche,
honoré et heureux ? car que gagnc-t-on d'avoir eu en
abondance tous les biens, si l'on périt ensuite; et que
perd-on, au contraire , à être en proie à tous les
maux . si , par cette voie, l’on arrive au ciel ? 0 pa-
roles courtes à la vérité, mais néanmoins très-pleines
de sens! Que gagne-t-on .7 Que perd-on .9 Vous êtes
les deux écueils contre lesquels toute vanité vient
s'évanouir comme une bulle d'air; vous êtes les deux
liens qui unirent intimement à Dieu , après sa sépa
ration du monde, le grand Xavier, l’apôtre et le
thaumaturge de l'un et de l'autre hémisphère.
Car à peine eut-il , dans les premiers exercices que
lui fit faire S. Ignace , médité plus attentivement ces
paroles de Jésus-Christ : Que sert à l'homme de ga
gner l'univers et de perdre son âme'‘? et celles-ci en
core : Que perd-on à se priver de toutes choses , avec
Paul, si, par ce moyen; on gagne Jésus- Christ 5?
A peine, dis-je, eut-il occupé sérieusement son cœur
de ces vérités , qu'il foula généreusement aux pieds
tous les biens et toutes les espérances des faveurs

‘P8. 89, v. 15. -— 3 Matth. , c. 46, v. 26. — 3 Phil, c. 3, v.8'


sUa LE ronommeT. 65

royales ,' pour entrer dans le sentier étroit de la vertu


et se consacrersans réserve au service de Dieu. Ainsi
cette première méditation valut à notre compagnie
son Xavier; Xavier lui dut lui-même sa sainteté , et
l'inde son salut. Ah ! certainement . celui en qui ces
pensées ne diminueraient point la trop grande affec
tion aux choses périssables , celui qu’elles ne déter-
mincraient pas à la céleste indifférence que nous
recommandons si fortement, il faut que d'épaisses
ténèbres couvrent déjà son esprit, et que son cœur
soit dans un fatal engourdissement.
1V. Si vous êtes aussi de ce nombre, concevez au
moins dans votre âme le désir de cette sainte indifl'é
rence , et imprimez dans votre mémoire ces deux con
clusions , pour qu'elle soit fidèle à vous les rappeler
souvent pendant le jour. 1° Il ne faut ou user des
choses créées , ou s’en abstenir qu'autant qu'elles
conduisent à l'acquisition de la fin dernière , ou
qu'elles en détournent; 2" et pour cela , nous devons
nous tenir dans une indifférence parfaite à l'égard
de toutes les créatures , nous devons même en toutes
choses choisir et désirer ce qui nous conduit plus
sûrement à notre dernière fin ; en sorte que nous ne
désirions pas plus la santé que la maladie , les ri
chesses que la pauvreté , les honneurs que le mépris,
et que nous ne pré/'érions pas une vie longue à une
vie courte.
Je le répète, repassez souvent aujourd'hui dans
votre esprit ces vérités , et considérez en même temps
l'élévation et le bonheur d'une âme qui est également
prête à vivre dans un état humble , pauvre et péni
ble , comme dans un état honorable , aisé et agréable
aux sens , si telle est la volonté de Dieu , qu'elle s'est
uniquement appliquée à connaître dans ces exercices.
Une telle disposition de l’âme devrait certainement
être le fruit de la méditation du matin ; car par cela
64 1" mon. LECTURE

seul que nous avons été créés de Dieu et pour Dieu ,


il s'ensuit que nous devons servir Dieu de la manière
qu'il lui plaira , avec une indifférence à tout genre
de service par lequel la divine majesté pourra vouloir
que nous lui montrions notre sujétion; en sorte qu’il
nous soit égal d'être dans l'abondance ou dans l'indi-
gence , d'êtrc honoré ou méprisé , d'être malade ou
bien portant , enfin de vivre ou de mourir , pourvu
que nous servions notre Créateur de la manière qu’il
le veut , soit dans l'état de vie, auquel nous pourrons
croire qu'il nous appelle , soit en tendant à ce degré
de perfection qu'il nous demande dans l'état que nous
aurions choisi , accomplissant ce que prescrit la cin
quième des vingt Additions ‘.

s m.
I. Selon S. Ignace , notre indifférence doit s’appli
quer pour deux raisons à ces quatre choses: l°la
pauvreté ou les richesses , 2° les honneurs ou le mé
pris , 3° la santé ou la maladie , 4" la vie longue ou la
vie courte; car 1°, c'est surtouLà leur occasion que
notre âme perd cette heureuse indifl-érence , se por
tant à ce qui peut lui être préjudiciable; 2° parce
que ces choses sont comme la source à laquelle rc
monte tout ce qui est un obstacle à notre dernière
fin; puisque, dit S. Jean, tout ce qui est dans le
monde est concupiscence de la chair , et concupis
cence des yeux, et orgueil de la vie 2. Elles sont encore
comme l'étoupe dont l'infernal oiseleur a tissu ses

1 Elle est ainsi conçue: Celui qui commence les exercices trou
oem une facilité merveilleuse à les faire, s'il y vient avec ferveur
et avec courage ; s'il ofl're àson Créateur toute son infection , toute
sa volante'; et si , pour le servir de la manière la plus conforme à
son bon plaisir , il le laisse le maître de disposer de sa personne et
de tout ce qui dépend de lui. -— 2I Jean , c. 9,1 16.
sor: LE FONDEMENT. 65
perfides filets , que S. Antoine , ce grand et illustre
anachorète, vit tendus sur toute la surface de la terre,
et avec lesquels Satan ravit à des milliers d'âmes la
sainte indifférence , leur enlève le ciel et les entraîne
à leur perte en les rendant ses esclaves.
Et ne dites pas que les richesses et les honneurs
sont mal comparés à la santé et à la vie , par la raison
que celles-ci sont d'elles-mêmes un bien , qu’elles ont
une convenance intime avec notre nature , que , par
conséquent , on peut les désirer pour elles-mêmes ,
et que l'homme est obligé en conscience de se les pro
curer et de les conserver par des moyens licites ; que
ce ne serait donc point une indiflérence louable de ne
vouloir pas plus la santé que la maladie, la vie lon
gue que la vie courte: non , ce langage ne serait pas
vrai.
Car , ainsi que l'enseigne Suarès , quoique la vie et
la santé soient un de ces biens que l'on peut désirer
pour eux-mêmes , à cause de leur convenance avec
notre nature; quoiqu'ils soient , en quelque sorte ,
nécessaires à sa parfaite intégrité , et que, par consé
quent , ce ne soit point une chose illicite de s'arrêter
à ce désir sans le rapporter à aucune autre fin ; néan
moins il y a une plus grande perfection à n’aimer ces
sortes de biens qu'autant qu'ils sont pour nous des
moyens de vertu ; car, quoiqu’ils puissent être aimés
pour eux-mêmes , cependant, parce qu’ils sont sou
vent à l'homme une occasion de pécher , ou du moins
de ne pas avancer dans la vertu , il s’ensuit qu'il est
très-utile de n'y attacher ses désirs qu'autant qu’ils
peuvent nous conduire à une vertu plus parfaite.
Ajoutez à cette raison que souvent la pratique de
la vertu , surtout d'une vertu parfaite , exige qu'on
méprise ces biens ou qu'on les prodigue pour Dieu. Il
est donc très-certainement nécessaire que l’homme
étende jusqu'à eux son indifférence , pour être prêt ,
I. 6
66 1" JOUR. LECTURE
dans l'oceasion , à en faire promptement le généreux
sacrifice. Telle est la réponse'de Suarès à quelques
critiques qui 'blâmaient en ce point la doctrine des
Exercices. On voit clairement , par tout ce qui vient
d’être dit, combien S. Ignace agissait avec une sagesse
toute divine, en appliquant nommément à ces quatre
chefs cette parfaite indifférence qu'il inculque avec
tant de force.
11. Mais puisque Dieu, en appelant les religieux
au saint état de la religion , leur a assez manifesté en
quel genre de vie il veut qu’ils le servent , ils ne peu
vent plus ni ne doivent étendre jusqu'à leur état
cette disposition d'indifférence à tout état que nous
avons recommandé plus haut : de sorte que tout
doute en cette matière doit être promptement rejeté
et repoussé comme une pensée mauvaise et impie , à
moins qu’on ne veuille se laisser prendre aux ruses
du démon et perdre tout le fruit de cette retraite. Ce
fondement donc une fois posé , que la souveraine
sagesse désire que nous la servions dans la sainte
société où nous avons été reçus , il ne nous reste
plus qu’à être indifférents à la manière dont nous
accomplirons nos devoirs dans l'état que nous avons
' déjà choisi et suivant la mesure de grâce qui nous est
accordée.
Et en outre , puisque l'état religieux que nous pro
fessons et les obligations du saint habit dont nous
sommes revêtus , ne nous permettent plus d'être in
différents à la pauvreté ou aux richesses et aux digni
tés du monde, parce que, dans l'émission de nos
vœux , nous nous sommes engagés solennellement à
les fuir , il ne nous reste plus qu’à appliquer notre
indifférence , avec une généreuse ferveur , à des cho
ses plus convenables à notre état présent , mais qui
aient aussi quelque rapport à ces quatre principaux
points.
SUR LE FONDEMENT. 67
Par exemple, 1° à remplir , dans le saint état de
la religion, les emplois honorables ou les emplois les
plus bas , à être profès ou à rester dans un moindre
rang, à professer les classes supérieures ou les clas
ses inférieures; 2° à vivre dans un collége riche ou
pauvre , dans une habitation aisée ou incommode , à
avoir des supérieurs doux ou sévères, des compagnons
agréables ou ennuyeux; 3° à être en santé ou à tom
ber malade , surtout si l’on contracte cette maladie à
l'occasion des emplois qu'on occupe , de la localité et
du mauvais air qu'on y respire, à l'occasion des ali
ments et de mille autres causes de cette nature; 4° à
prolonger sa viejusqu'à une extrême vieillesse, ou à
l’abréger par les ennuis, les voyages, les travaux et
toutes les charges que l'on remplit.
Mais si quelqu’un était persuadé qu'il lui est inu
tile de s'appliquer à acquérir l'indifférence à l'égard
de ces quatre choses , soit parce qu’il a déjà atteint
cette perfection de l'indifférence, soit parce que jouis
sant d'une santé robuste , étant cher à ses supérieurs
et estimé de tout le monde, il n'a point à craindre ni
les bas emplois, ni les établissements obscurs , ni une
mort prochaine , et qu'il peut espérer, au contraire ,
de couler , sous son heureuse étoile , des jours pleins
des douceurs , des aises et des honneurs de la vie
pour lesquels il semble né; il faut au moins qu’un
tel homme se montre indifférent à éviter ou à accep
ter , à supporter ou à faire tout ce qu'il connaîtra
dans ces exercices que Dieu demande de lui ; il faut
qu'il ne fixe aucunes bornes aux mouvements de l'Es
prit-Saint, qu'il ne consente à aucun pacte entre la
nature et la grâce , et qu’il n’établisse, dans le che
min de la vertu , aucunes limites au-delà desquelles
il ne voudrait pas avancer; il faut qu’il se remette
tout entier au bon plaisir de son Créateur pour être
prêt à tout; en un mot, qu’il soit résolu de s'élever,

'1'r»
68 1”r JOUR. LECTURE

dans l’état qu'il a choisi , a ce degré de perfection


auquel Dieu, dans ces Exercices, lui inspirera de
tendre.
Tels sont les principaux points qui doivent être
l'objet de cette indill'érence , à l'acquisition de laquel
le les hommes consacrés à Dieu doivent s'appliquer
par tous leurs efforts durant la retraite. Pour que
notre esprit ne les oublie point , pour que nos yeux
les retrouvent facilement, ou marquera cette page
d'un signe particulier et on la relira souvent.
Mais si l'on veut, on pourra abréger ces quatre
pointsaet les réduire à trois seulement qui renfer
ment du resteloute la perfection des quatre premiers.
Ainsi .’notre indifl'érencc s'étendra , 1° à tout emploi,
2° à tout lieu , 3° à tout état de santé. Et pour conser
ver le nombre de quatre, consacré par S. Ignace,
nous nous proposerons en quatrième lieu l’indiffé
rence à tout degré de perfection auquel Dieu veut
que nous tendions dans l’état que nous avons déjà
choisi. Cette indifl'érencc est une généreuse prompti
tude à' éviter ou à accepter , à supporter ou à faire
tout ce que nous connaîtrons dans cette retraite que
le Seigneur exige de nous. Nous l’appellerons désor
mais degré, et nous l’appliquerons à ces quatre points
qui seront l'objet de cette indi/fërence de notre âme
qui nous est tant recommandée. Sa pratique, je l'a
voue , est extrêmement diflicile; mais c'est aussi pour
cela que je la crois digne des efforts d’une âme
héroïque.
III. Néanmoins la deuxième méditation d'aujour
d'hui sur la fin de l'homme religieux, diminuera
beaucoup cette difficulté. Aussi ai-je eu deux raisons
de traiter cette seconde matière; d'abord parce que
le Directoire conseille de le faire , et ensuite parce
que cette deuxième méditation , autant que la pre
mière, a une connexion très-intime et même néces
son LE romnaumT. - 69
saire avec celles qui suivent, mais surtout avec la
dernière , qui est de l'amour de Dieu.
En effet, sans cette indifl'érence si puissamment
inculquée dans ces deux méditations , nous ne par
viendrons jamais à la perfection de la charité , qui
consiste dans la conformité de notre volonté avec
celle de Dieu , par laquelle nous faisons toujours ce
que Dieu veut et comme il le veut ; car la manière en
laquelle le souverain Maître veut que nous le ser
vious et à laquelle nous devons être indifférents ,
n'est pas autre que de faire ce qu’il désire, et comme
il veut que nous le fassions; vivant, par exemple ,
dans le lieu , l'emploi, la place qu'il nous a destinée
dès l’éternité, et consentant à avoir telle capacité
. d'esprit ou tel état de santé du corps qu'il lui plaît
de nous accorder. Celui qui n'est pas indifférent à
cela ne fera jamais ce que veut la souveraine Majesté
et comme elle le veut; et par conséquent il ne sera
jamais parfait. Egalement , si nous n'avons pas, avant
tout , cette indifférence fondamentale , nous n’obtien
drons jamais la parfaite conformité de notre volonté
avec celle de Dieu , laquelle est à la fois la perfection
de la charité et tout le but de cette retraite.
IV. Dans ce premierjour , on produit des actes de
reconnaissance pour le bienfait de la création , d'a
moue' pour un Créateur si généreux, d'espérance et
de désir de posséder éternellement en lui notre fin
dernière; et on jette ainsi comme les premières se
mences de ces affections qui devront embraser notre
âme dans la quatrième semaine, et surtout dans la
dernière méditation. [l est donc bien consolaut pour
nous d'entrevoir déjà cette connexion admirable de
la première et de la deuxième méditation , qui incul
quent cette indifférence , avec la dernière, qui allu
me le feu d'une charité parfaite.
Et ne dites pas que ces tendres affections convien
70 l”r JOUR. LECTURE SUR LE FONDEMENT.

nent peu à la première semaine : ce serait une erreur;


car , suivant ,l’avis du Directoire , outre qu'on s'y
arrête peu de temps , l'exercice de la fin dernière est
comme le prélude ou comme la base de toutes les au
tres semaines : il est donc juste qu’on y dépose déjà
les germes de toutes les affections qui devront être
produites ensuite dans le cours de chaque semaine
avec plus d'abandon et plus d'ardeur.
Ainsi, par exemple, en reportant sa pensée sur'
soi-même , dit le Directoire, et en considérant com
ment en a agi par rapport à sa propre fin et une:
moyens qui 3/ conduisent, combien on s'est égaré ,
comment on a abusé des créatures , etc. , l'homme se
fait en quelque sorte des aperçus généraux qui le
conduisent à mieux connaître la laideur de sa vie ,
pour la pleurer ensuite plus amèrement dans la mé
dilution sur le péché ‘; et cela est la matière qui
occupe la première semaine. Dans cette semaine en
core, on se décide à tendre à sa dernière fin et à ser
vir son Créateur en la manière qu’il le veut; or , cette
manière consiste dans l’imitation de Jésus-Christ. On
commence donc dès-lors implicitement à l’imiter , et
à reprendre pour guide de nos voies celui qui nous est
proposé pour modèle dans la deuxième et la troisiè_
me semaine.
Reconnaissons donc combien tout est étroitement
lié dans ce système , combien les premiers degrés
conduisent aux seconds , et ceux-ci aux derniers , jus
qu'au faîte de la plus haute perfection. Cette union
merveilleuse entre toutes ces méditations , fait briller
d'un vif éclat l'excellence, l'utilité et la sagesse des
exercices, et doit grandement exciter et augmenter
notre application à les bien faire.

‘ Directoire, ch. 12 , n° 5.
1"' JOUR. n° min. DE LA FIN DE L'uomie RELIGIEUX. 71

11e MÉDITATION.

- —"_-
_ i_
DE LA FIN DE L'HOMME RELIGIEUX.
Premier Point.

La fin du religieux qui fait profession de la vie


active et contemplative , ou vie mixte , est non-seule
ment de s’appliquer avec le secours de la grâce divine
à la perfection et au salut de son âme , mais encore ,
toujours aidé de la même grâce, de se dévouer sans
réserve au salut du prochain : ainsi la fin d'un tel re
ligieux , surtout d'un religieux de notre compagnie,
c'est son propre salut et sa perfection , le salut et la
perfection du prochain. Rien n'est plus grand que
l'excellence et l'utilité d'une telle fin et le bonheur
qu'elle procure.
I. Ce qui prouve son excellence, c'est 1° que les
actions principales que Dieu a produitesà l'extérieur ,
comme parlent les théologiens , tendent à cette fin ; et
que la création , la rédemption ,-la mission du Saint
Esprit , la vie , les peines et la mort de Jésus-Christ
ont été accomplies dans ce but important du salut de
tout le genre humain. 2" Au témoignage de S. Denis,
de toutes les œuvres surnaturelles, la plus divine,
c'est celle d'être le coopérateur de Dieu dans le salut
des âmes. 3" Un pareil dévouement élève l’homme
au-dessus de la terre, le fait supérieur aux anges , et
l'établit comme un autreJésus-Christ médiateur entre
Dieu et ses frères. '
'II. L’utilité de cette fin est aussi inappréciable
pour nous , 1° à cause des immenses mérites qu'on y
acquiert , 2° des grâces innombrables qui en sont la
72 1"'r mon. 11° MÉDITATION.

récompense , 3° de la gloire sublime dont sont con


ro'nnés ces travaux. Et assurément rien n’apaise plus
promptement la justice de Dieu que de présenter à sa
miséricorde des âmes que nous avons sauvées.
III. On y trouve encore un grand bonheur ; car
ceux-là seuls qui se portent avec zèle à la perfection,
1° vivent en repos , 2° meurent dans la paix , 3° ob
tiennent la récompense d'une abondante félicité. O
que béni soit donc ce Dieu fidèle et véritable , par
qui nous avons été appelés à la société de son Fils
Notre-Seigneur Jésus- Christ ‘ , dans laquelle nous
sommes obligés , par le devoir de notre vocation , à
travailler pour une fin si excellente, si utile et si pro
pre à nous rendre heureux !
Remarquez cependant que cette fin du religieux,
qui est d'opérer son propre salut et celui du pro
chain , ne doit pas s'accomplir suivant les idées et le
désir de chacun de nous, mais plutôt en la manière
que Dieu aura choisie : c'est-à-dire par tels moyens
et dans telle mesure que l'aura arrêté le souverain
Modérateur de toutes choses. En conséquence , la
volonté de Dieu , règle infaillible de tout bien , déter
minera précisément et le degré de vertu auquel nous
devons tendre et la manière de le pratiquer, sans
qu'il nous soit loisible de vouloir autrement: ainsi
que nous ne devons même pas vouloir arracher à
l'enfer d’autres âmes , ni en plus grand nombre , ni
en d’autres lieux, ni en d'autres temps, ni pour une
autre raison qu'il aura plu à notre Créateur ; sinon
nous sommes convaincus de ne plus chercher Dieu ,
mais de nous chercher nous-mêmes et de mettre en
nous notre dernière fin; car la volonté de Dieu doit
être la règle de toutes nos actions et même de tous nos
désirs. Celui qui s'en écarte tombe dans l'erreur.

1lCor.,c.l,v. I9.
DE LA FIN DE L'HOMME RELIGIEUX.

Que cette vérité fondamentale soit profondément


imprimée dans notre âme, que la fin d’un religieux
qui fait profession de la vie mixte, surtout d’un reli
gieux de notre compagnie, consiste à servir la divine
Majesté, en travaillant à son salut et à la perfection
du prochain , et cela par tels moyens précis et en
telle mesure déterminée que le souverain Maître l’exi
go. 0 Jésus, qui nous avez enseigné cette doctrine
de paroles et d'exemples! faites que ma volonté ac-
complisse ce que mon esprit trouve si raisonnable.

Deuxième Point.

Dans un tel ordre religieux, après l'usage des sa


crements , l'application à la prière et au recueille
ment , la garde sévère des sens et des désirs et l'ob
servation des règles , les moyens qui nous sont offerts
pour arriver à cette fin sont les difl'érents lieux: , nos
charges et nos emplois divers, nos différentes forces
du corps et de l'âme; c’est par tous ces moyens qu’un
religieux qui a fait profession de la vie mixte opère
son salut et celui des autres. .
Remarquez donc ici trois choses , 1° que les diffé
rentes charges , les changements de lieu , la diversité
des emplois, les variations de la santé ne sont dans
la religion que des moyens de travailler à son propre
salut et à sa perfection, au salut et à la perfection
des autres; qu’ainsi il ne faut les désirer ou s'y sous
traire qu'autant qu’ils conduisent à cette fin; car les
moyens n’ont eux-mêmes d'autre bonté que leur con
venance avec la fin : c'est donc un désordre de ne les
désirer que pour soi-même et sans la considération
de cette convenance; c'est prendre le moyen pour
la fin.
Remarquez , 2° que , dans chacune de ces situa
tions de charges , de lieux , d'emplois différents , de
I 7
74 1" mon. 11° nnämTxT1ou.

bonne ou de mauvaise santé, un tel religieux trouve


le moyen propre pour arriver à la fin qu'il doit avoir
en vue; car la volonté de Dieu touchant la manière
d'opérer son salut et de procurer sa propre perfection
et celle du prochain , ce qui est précisément la fin de
ce religieux, peut s'accomplir en tout lieu, dans
tout emploi et toute charge, dans la bonne et dans
la mauvaise santé. En effet, et la raison et les exem
ples le démontrent, nous pouvons nous perfectionner
et nous sauver , et sauver les autres également , dans
telle ou telle charge, dans l'affaiblissement des forces
comme dans une santé florissante, aussi bien dans
une maison pauvre que dans une maison riche , dans
l’enseignement comme dans le travail manuel, et en
formant les enfants comme en instruisant les savants;
toutes ces choses sont donc des moyens propres à
arriver à cette fin. Mais, direz-vous, l'un est cepen
dant plus propre que l'autre. Vous vous trompez :
aucun n’est de soi-même plus propre que l'autre
pour nous conduireà notre fin , mais bien pour con
tenter notre amour-propre. Et aussi,
Observons l° qu'entre tous les moyens possibles ,
le plus propre , pour nous conduire à la fin qui nous
est marquée , est celui que la souveraine Majesté veut
que nous employions c’est-à-dire que le moyen le
plus propre à servir Dieu , à arriver nous-mêmes et
à conduire les autres à la sainteté et au bonheur du
salut , c'est cet état de santé , cette charge , ce lieu ,
cet emploi, qu'une sage providence nous aassigné
par elle-même ou par nos supérieurs; car c'est dans
cette position que le ciel nous donnera des grâces né
cessaires à notre fin, incomparablement plus promp
tes et plus abondantes que dans toute autre qui serait
de notre choix. '
Par conséquent ces mépris, ces peines , ces mala
dies, ces afllictions, ces fâcheuses dispositions et ces
DE LA FIN DE L'HOMME RELIGIEUX. 75
duretés de nos supérieurs et mille autres choses de
cette nature, sont les moyens , sans aucun doute , les
plus propres de tous pour obtenir cette fin , et que
la sagesse infinie de Dieu a imaginés , pesés et choisis
de toute éternité , qu’elle a accommodés à nos forces
avec une charité toute divine.
Car il est certain que la providence de Dieu , qui
est pleine d'une sollicitude et d'une sagesse infinies ,
choisit toujours les moyens propres , et même les
plus propres , à la fin qu'elle se propose. Lorsqu'il
veut donc opérer notre salut et celui des autres par
les moyens dont nous venons de parler , c'est parce
qu'ils y sont certainement les plus propres de tous.
0 Seigneur! dans votre miséricorde , que votre grâce
victorieuse réduise ma volonté rebelle , qu'elle lui
donne la puissance d'assujettir mon esprit à la croyan
ce de ces vérités , et l’empire aussi sur elle-même pour
qu'elle en embrasse ensuite la pratique !

Troisième Point.

Delà concluons qu’un tel religieux doit servir Dieu


dans la religion , en tel lieu , tel emploi ou telle
charge , et en tel état de santé dans lequell'obéissance
ou la divine Providence lui apprendra que Dieu veut
qu'il le serve; qu'il doit donc être indifl'érent à toute
charge ou emploi , à tout lieu et à tout état de santé;
car il doit servir son Créateur en la manière qu'il le
veut : c'est la conclusion et le fruit de la première
méditation.
Or, Dieu attend que nous le servions dans la char-
ge, l’emploi, le lieu que l'obéissance nous destine , et
dans l’état de santé où nous mettra l'ordre de la Pro
vidence. C’est en effet un article de foi que tout ce qui
arrive , excepté le péché, nous 'arrive par la très
aimable providence de ce Père qui nous aime sans
76 1" mon. 11” MÊDITATION.

mesure , et aussi que nous faisons la volonté de Dieu


en faisant la volonté de nos supérieurs, selon cet ora
cle de Jésus-Christ : Celui qui vous écoute m'écoute 1;
car nous sommes bien heureuse , nous à qui le Sei
gneur a découvert, par notre règle, ce qui lui est
agréable 2.
Il faut donc que nous soyons indifférents à toutes
ces choses: celui qui agit autrement ne rend pas à son
Créateur l'obéissance qu’il lui doit , en la manière
qu'il lui demande, et il s'éloigne ainsi de sa dernière
fin. En effet, de même que l’indifférence, en géné
ral , à tout état de vie abjecte ou honorable, riche ou
pauvre, est nécessaire à l'homme pour arriver à sa
fin , comme nous l'avons établi dans la première mé
ditation , de même, pour arriver à sa fin, un reli
gieux, surtout de notre compagnie, doit être dans
l'indifférence à toute charge ou emploi, à tout lieu et
à tout état de santé; et comme un séculier s'écarterait
malheureusement de sa fin , s’il voulait passer sa vie
dans un autre état que celui auquel Dieu l'a appelé ,
un religieux aussi s'éloigne de sa fin, s'il a résolu de
servir Dieu dans une charge , un emploi, un lieu ou
un état de santé autre que là où l'ont placé l'obéis
sance etla divine Providence. En conséquence , cette
parfaite indifférence pour toute charge , emploi, lieu
et état de santé est donc le but de cette méditation;
et certainement cette indifférence est du plus haut
intérêt et doit s'acquérir au prix de tous nos clionts ,
puisqu’elle est la base et le fondement des autres mé
ditations , lequel, venant à s’écroulcr , entraîne né
cessairement dans sa ruine tout l'édifice spirituel des
exercices et de la vie intérieure, et puisqu'elle est
encore la condition sans laquelle nous n'arriverons
jamais dans la religion à la perfection de la charité ,

1 Luc, c. I0,v. 16': —2Baruch, c. 4, v. 4.


DE LA FIN DE L'HOMME RELIGIEUX.

qui est cependant la fin principale de cette retraite et


de l'état religieux. Plusieurs motifs puissants accroî
tront encore notre conviction à cet égard dans la
considération de l'après-midi.

AFFECTIONS .

l. Produisez les actes suivants 1° d'actions de grâce,


pour le bienfait de la vocation religieuse qui vous a
été accordé", de votre vocation à un ordre honoré de
tant de prérogatives..., par préférence à une infinité
d’autres qui le méritaient beaucoup mieux... , et mal
gré de si nombreux péchés que Dieu prévoyait en
vous; 2° de douleur, pour la transgression de vos rè
gles , la violation de vos vœux , la négligence de votre
perfection; en un mot , pour l’omission des devoirs
d'un état si saint et pour votre grande tiédeur à tra
vailler au salut des autres; 3° de louanges- et d'amour
de cette admirable et divine Providence, qui, vous
retirant d’innombrables dangers , vous a conduit au
port de la religion , malgré des diflicultés infinies ,
malgré vos propres résistances, et qui vous y a con-
servé avec une bienveillance si paternelle; 4° de fer
me propos de servir Dieu désormais dans l'état que
vous avez déjà choisi , de la manière qu’il le voudra ,
c'est-à-dire dans tel degré de vertu auquel il désire
que vous arriviez, et selon qu'il daignera vousle faire
connaître durant ces exercices.
II. Cependant , à cause de la raison que j’ai déjà
alléguée, on ne s'arrêtera que peu de temps à ces
quatre premiers articles, et on devra s’appliquer, au
contraire, avec toute l'attention et tout le soin possi
ble à l'acte d'indifi'érence à tout lieu , toute charge ,
tout emploi et tout état de santé, d'une manière gé
nérale cependant , évitant de trop particulariser au
jourd'hui dans une matière si difficile et si opposée à
78 1'" JOUR. 11” MÊDITATION.
notre amour-propre; car , comme la volonté est en
core faible dès le commencement, il faut avancer peu
à peu, jusqu'à ce que, par la suite des exercices,
elle ait acquis la grâce d'une plus grande force , et
se soit prémunie contre les dilficultés des résolutions
particulières.
III. Il faudra aussi donner un temps considérable
à l'acte de fin', par lequel nous croyons fermement
que tout ce qui nous arrive parla volonté de nos su
périeurs ou autrement, nous vient de Dieu et nous
arrive pour notre plus grand bien; que ces événe
ments sont, par conséquent, les moyens les plus
propres pour nous conduire à notre fin , puisque
celui qui a dit : Ceci est mon corps ‘ ; a dit éga
lement : Celui qui vous écoute m'écoute 2. Si nous
croyons la première vérité, pourquoi douterions
nous de la seconde? c
Croyons donc d'une foi surnaturelle les articles
suivants : 1” Dieu sait tout , et ainsi il sait le lieu ,
la charge , l’emploi , l'état de santé qui nous convient
le mieux; 2° il peut tout, et il peut nous donner ce-
lui de tous les moyens qui nous est le plus profitable;
3° enfin son cœur est embrasé d'un amour infini
pour nous; il nous donnera donc ce qui peut le
mieux nous conduire à la fin à laquelle il nous a ap
pelés. Une foi vive de ces vérités nous fera embrasser
eflicacement cette indifl°érence qui nous est recom
mandée, pourvu , en même temps, que nous la de
.mandions par une prière fervente au Père des lu
mières.

‘Mauh. . c. 26, v. 9.6. — 2 Lue, c- 10, v. 16.


('.ONSIDÈRA'I'ION son L'INDIFFÊRENCE. 19

cousmr'sn ATION
SUR L'INDIFFÉRENCE A TOUT LIEU , CHARGE, EMPLOI ET ÉTAT
DE SANTÉ.

Cette indifférence est d'une si grande nécessité ,


que si elle nous manque, l'édifice des exercices, ruiné
dans son fondement, se sépare et s’écroule : d'un
autre côté, néanmoins, sa pratique est si diflicile que
tout notre amour-propre se révolte et s'élève contre
elle. Je me suis donc proposé de présenter plusieurs
motifs qui nous y déterminent, de réfuter tous les
prétextes, et, en multipliant les raisons , j'ai voulu
attaquer la volonté dans ses plus forts retranche
ments , pour l'obliger enfin de se rendre à discrétion :
c'est là où tend cette considération ; c'est aussi l'in
tention de S. lgnace , qui, au témoignage de Lanci
cius , veut que nous nous appliquions tout entiers et
uniquement à méditer aujourd'hui ce sujet , dans la
crainte que notre âme ne soit moins attentive à ce
point capital si elle se livre à d'autres considérations.
Si quelqu'un trouve trop longue la matière de cet
exercice , il peut en réserver le second point pour le
temps de la lecture spirituelle , de laquelle pour cela
il ne faudra cependant rien retrancher aujourd'hui.
I. La principale raison qui nous rend si difficile la
pratique de cette inestimable indifférence, c'est la
crainte des travaux , des mépris , des afilictions et des
incominodités de la maladie , que nous aurons à sup
porter dans tel lieu, telle charge ou tel degré de
vertu : ce sera donc affaiblir cette raison que de nous
rassurer contre une crainte semblable.
1° Commençons par la dernière de ces peines. Di
80 1" JOUR. CONSIDÉRATION
tes-moi, mon ami, Dieu ne peut-il pas vous aflliger
par la maladie dans tel emploi ou tel lieu que vous
désirez, et vous conserver sain , au contraire, dans
telle situation ou telle charge que vous refusez sous
prétexte de santé i’... N'avez-vous pas bien lieu de
craindre que Dieu ne vous inflige ce châtiment en
punition de votre résistance ?... Et au contraire , ne
devez-vous pas espérer qu'il cou ronnera votre indifl-é
rencc par la conservation de votre santé.
Et d'ailleurs , si le bon plaisir de Dieu , votre Créa
teur , l'arbitre de votre vie et de votre mort , est que
vous soyez malade plutôt qu'en santé, qui êtes-vous ,
vil néant formé d'argile, pour résister au Tout-Puis
sant et opposer avec arrogance votre volonté à la
sienne? N'est-il pas préférable de languir dans un lit
par la volonté du ciel, que dejouir d'une santé pleine
de forces contre cette'même volonté? Il est donc nul
ce prétexte de la maladie que l'amour-propre met en
avant. Cependant il ne vous est pas défendu d'expo
ser au supérieur cette crainte de la maladie, quand
elle est fondée sur un motif raisonnable, pourvu que
vous soyez prêt ensuite à accomplir tout ce qu'il déci
dera quand il con'naîtra vos raisons.
2° Si nous passons à ces travaux , à ces incommodi
tés, à ces afflictions, à ces ennuis, à ces soins embar
rassants qui vous font redouter ce poste ou cet em
ploi , pensez-vous que le ciel ne peut pas vous en
dédommager avec usure par le don d'une oraison plus
sublime, par de saintes délices, par d’heureux succès,
par la paix de l'âme , la pureté du cœur et par
l'exemption de chagrins , d'affiictions et d'angoisses
plus grandes , et d'une infinité de contradictions avec
vos supérieurs , que vous auriez sans cela à souffrir
dans une autre situation ?...
Au contraire , Dieu ne peut-il pas, en revanche',
vous envoyer dans cet office même, dans ce poste que
sor. L'INDIFFÉBENCE. 81

vous ambitionnez, des coutrariétés nombreuses et


bien autrement pénibles que celles que vous rencon
treriez dans la place que vous redoutez?m. et n'avez
vous pas même tout lieu de craindre qu'il se venge en
agissant ainsi? Ne sommes-nous donc pas nos propres
ennemis, lorsque nous nousjetons en aveugles dans
de plus grand maux , par l'effort insensé que nous
faisons pour en éviter de moindres? Donc , si nous
sommes sages , soyons indifférents à tout et laissons
nous conduire par la seule volonté de Dieu.
3° Enfin , ce que nous venons de dire de ces tra
vaux doit régler notre jugement sur les mépris qui
nous détournent de tel lieu , de tel emploi et de tel
degré de vertu; car , si vous les supportez généreuse
ment , ils peuvent être récompensés par les grâces de
Dieu les plus précieuses, par une santé constante, et
par l'exemption de beaucoup de soucis et d'amertu
mes. Mais combien , au contraire, ne recueillent que
les ronces des humiliations , où ils se promirent de
ne moissonner que les lauriers de la gloire ? Combien,
qui étant placés au-dessus des autres , excitent l'en
vie et la haine de tous, et qui auraient été les amis
de tous s'ils étaient demeurés leurs égaux? Combien
y a-t-il de mauvais consuls qui seraient de bons ci
toyens ? ,
Oui, par un juste jugement de Dieu, on tombe
dans un abîme en voulant en éviter un autre ; et la
même voie par laquelle on espérait arriver à une
jouissance sans mesure de l’aisance, des honneurs et
de la santé , conduit à la maladie, au mépris et aux
peines. C'est ainsi qu'Aman , parvenu au rang de
premier ministre , et par cela même au faîte des hon
neurs , y trouve un honteux supplice. O que. sa vie
eût été heureuse , si, content de n'être qu’un simple
citoyen , il eût évité les grandeurs de la cour ! Loth ,
pour se soustraire aux contrariétés que lui causaient
82 1°‘ JOUR. CONSIDÉRATION

les querelles des bergers , s'était séparé d'Abraham et


avait choisi le riche et florissant pays de Sodome : il
n’y avait personne qui ne le félicitât de cette nouvelle
demeure ; mais voyez dans la Genèse * combien ce
choix fut malheureux pour lui. L'impatient Ochosias
'ne veut pas supporter la maladie, et l'insensé est
condamné à la mort , et il lui faut entendre cet arrêt
foudroyant d'Elie : Vous mourrez certainement 2.
Quoi! après mille détours, mille oppositions , et
après des diflicultés et des peines sans nombre qui en
sont la suite, ne faudra-t-il pas enfin vous rendre, et
faire alors par force ce que vous refusez maintenant
de faire de bon cœur? car , quelque récalcitrant que
vous soyez, les dispositions de la Providence sont un
passage inévitable, dans lequel il faudra pourtant
que vous vous engagiez.
Rappelons-nous l'exemple de Jonas : il avait reçu
l'ordrc d'aller dans la grande ville de .lVz'nive et d’y
prêcher ; mais craignant que Dieu ne pardonnât à ce
peuple s'il faisait pénitence , et qu'il ne passât ensuite
lui-même pour un faux prophète, il refusa le lieu et
l'emploi qui lui étaient marqués. Il se leva pour fuir
de devant la face du Seigneur 5 ; mais à quoi lui ser
vit cette résistance? car celui qui craint la gelée , la
neige tombera sur lui 4. Cc prophète désobéissant,
qui avait craint de paraître dans les places publiques,
estjeté dans la mer ; il avait eu peur des hommes,
et il est englouiipar un poisson ; il n’avait pas voulu
prêcher dans une ville , et il lui fallut demeurer ca
ché dans le ventre de la baleine ; et après avoir refusé
de faire au premier ordre ce qu'une obéissance volon
taire lui eût rendu plus facile, il se soumit enfin , et
le Seigneur lui ayant parlé une seconde fois, il se

lC.l9,V.2é.—2/4R0i5,c. l, v.16. —3Jon.,c.l, v. 3.


2.lub,c.6,v. l6.
son L'INDIFFÉRENCE. 85

leva , s'en alla ‘ et prêcha; mais il fit avec moins de


mérite , et après plusieurs adversités , ce qu'il eût pu
accomplir avec plus de joie dès le commencement,
sans s'exposer à tant de tribulations. Convenons donc
que ce premier empêchement à la sainte indifférence
n'est qu'un vain épouvantail qui de loin nous effraie,
mais qui vu de près s'évanouit comme la fumée.
II. Ce principal obstacle une fois détruit , ajoutons
à cette considération un puissant motif, celui du bon
heur d'une âme indifférente, quijouit déjà dans cette
vallée de larmes d’un triomphe anticipé; car , n'ayant
aucun désir, aucune ambition ,' ne craignant et ne
refusant rien , elle entre dans les douceurs d'une paix
surnaturelle , et son cœur est exempt des deux affec
tions qui sont ici-bas la source des plus grandes pei
nes ; je veux dire l'inquiétude d'obtenir ce qu'on dé
sire , et la crainte de perdre ce qu’on a obtenu :
comme il n’y a rien sur la terre de plus grand que
de ne rien désirer, aussi exerce-t-elle la domination
la plus étendue. Elle a une force souveraine , parce
qu'elle est puissante sur elle-même; elle est supérieure
à ses supérieurs, parce qu’étant indifférente à toutes
choses , elle ne recherche la faveur de personne; elle
jouit d’une consolation intérieure, parce qu'elle est
assurée d’être dans le lieu et l'emploi où Dieu désire
qu'elle vive; s'il lui survient quelque difliculté, quel
que aflliction ou quelque malheur , elle se réfugie
avec confiance en lui, sûre d'y trouver son secours;
elle dort tranquille dans le sein de la divine Provi
dence et chante avec le Prophète : Le Seigneur me
gouverne, et rien ne me manquera 2. Enfin elle est l'é
inule des anges, en menant sur la terre une vie toute
céleste; car , de même que les anges de Dieu sont
toujours prêts à entendre la voix de ses volontés 5 ,

1.Ion., 0. 3,v. l et 3.- 3173.22, v. i. 3 Ibid. l02, v. 20.


84 1" JOUR. CONSIDÉRATION
également disposés à veiller à la garde du pauvre ou
du riche, du villageois ou du prince, de l'homme
malade ou de l’homme en bonne santé, de l'infidèle
comme du chrétien , et qu'ils sont aussi indifférents
à oflrir dans les cieux l'encens des prières des saints 1,
qu'à répandre sur la terre les sept coupes pleines de
la colère de Dieu 2; de même , à leur imitation , elle
se tient prête au premier signe de son Créateur, par
ce que le bon plaisir de Dieu est l'unique règle de
ses actions. Par tous ces motifs , appréciez le bonheur
et la dignité de cette âme héroïque.
Au contraire, celui qui n’a pas cette vertu est
agité , comme une mer orageuse, par les flots conti
nuels des troubles et des chagrins. A peine y a-t-il
quelqu'un à qui il ne prodigue ses basses adulations
pour en être secondé, ou du moins n’en être pas
contrarié dans ses désirs ambitieux. Si quelque ad
versité tombe sur lui, il n’ose pas recourir au secours
du Ciel, sa conscience le convainquant par ses repro
ehes qu'il est affligé avec justice, puisqu'il a gagné,
par ses flatteries auprès de ses supérieurs, cet em
ploi, ce poste qui lui causent ces chagrins.
Le cours d'une providence particulière étant in
terrompu pour lui, il flotte dans une inquiétude con
tinuelle, et , comme le pied qui a été blessé, sa dou
leur se fait toujours sentir. Il n'est'pas même content
de vivre dans ce lieu et cet emploi qu'il a tant ambi
tionnés , Dieu y répandant l’amertume, et châtiant
ainsi, par de justes représailles, les recherches déli
cates de la volonté propre. Peut-être vous qui lisez
ceci, vous souvenez-vous d'en avoir fait l'expérience...,
et cependant vous ne devenez pas sage!....
Quoi donc , ô imprudent ! ne craignez-vous pas
que la justice de Dieu ne permette que vous soyez

1 Apoc., c. 8, v. 3. - zIbid.,c. 15, v. 7.


soa L'lNDIFFÉBENCE. 85
tenté plus violemment dans le lieu même où vous
vous plaisez, et que vous n'y tombiez dans une faute
mortelle, tandis qu’ailleurs votre conscience eût été
préservée d'un tel péché? Ne redôutez-vous pas qu'il
ne vous retire des grâces qu'il vous eût accordées ail
leurs et dans une autre place , et qu'il ne retranche
même celles qui sont spécialement nécessaires à l’em
ploi que vous convoitez ?
Comment osez-vous vivre dans un poste et une ou
cupation que la providence du ciel ne vous a pas
destinés? Vous êtes un ossement déboîté; toujours
vous vous trouverez mal, et surtout à la fin 1. Ré
pondez : quelle consolation sera-ce alors pour vous
' d’avoir toujours eu ce que vous avez désiré, d’avoir
toujours fait ce que vous avez voulu? O malheureux!
que vous servira alors d’avoir toujours suivi , non la
volonté divine , mais la vôtre? quelle récompense
pourrez-vous réclamer pour un travail que votre
amour-propre et non pas le Seigneur vous avait de
mandé ? Ah! oui, celui à qui ces ni’btifs n’inspirent
pas cette héroïque indifférence , a tout lieu de crain
dre d’entendre un jour cette sentence foudroyante :
Maudit l'homme qui s'appuie sur un bras de chair 2.
Que notre cœur renouvelle donc encore une fois ,
avec une généreuse promptitude, cette résolution
fondamentale qu’il a déjà formée aujourd'hui si sou
vent , de servir Dieu désormais dans l'état de vie au
quel il nous appellera; et, si le choix de cet état est
déjà fait dans ce degré de perfection , dans ce lieu ou
cet emploi, dans l'état de santé qu'il nous fera con
naître lui être agréable, formons le ferme propos
d’éviter ou d'embrasser, de supporter ou de faire
tout ce que nous apprendrons. dans ces exercices être
la volonté de notre souverain Créateur.

!Eccl.,e.3, v. 27. w 2 Isaîe,c. 17, v. 5.


86 1" JOUR. CONSIDÉRATION
III. Pour que cette résolution ne s’affaiblisse pas
avec le temps ,' soyez pleinement persuadés que tout
ce qui arrive dans l'univers , excepté le péché , n’est
point l'effet d'un hasard aveugle , mais l’accomplisse
ment de la volonté d'un Père qui prévoit tout et qui
nous aime sans mesure , qui dispose tout , remarquez
tout avec douceur 1 , avec équité et sagesse , avec une
modération et une prudence infinies. Par conséquent,
tenez pour certain que c’est Dieu, par vos supérieurs,
qui vous assigne ce lieu et cet emploi; que c’est sa '
main paternelle qui vous envoie cette maladie et ces
adversités; en un mot, que c'est Dieu , oui Dieu . qui
veut que vous viviez en ce lieu , que vous remplissiez
cet emploi, que vous travailliez à acquérir ce degré de
perfection, et que vous souffriez ces douleurs de corps
et ces afllictions de l'âme.
Ah ! dites-vous, ce n'est rien moins que la volonté
de Dieu-, ce n'est q u’une intrivue
a de ceux (I ui me
portent envie; c'est une fâcheuse prévention des su
périeursy, une affaire de parti , une pure acception de
personnes; c'est une vengeance, une rancune, une
haine une Îalousie : voilà la source voilà la cause
J 3

du mal. Telle est l’opinion que vous vous formez dans


la précipitation de vos jugements, mais avec moins
de fondement peut-être que de témérité; car très
souvent notre es rit livré à son cha rin s'abuse et
3 i 3

ce que notre imagination soupçonneuse présume avoir


pu arriver , nous le croyons déjà un fait accompli.
Mais su osons ne la chose est comme vous le
7 .

prétendez; accordons que la méchanceté des hommes


est la source corrompue des adversités qui vous inon
dent de leur amertumc- ue s’eusuibil? J'avoue u’ils

se trompent, que la sainteté de Dieu réprouve leur


conduite , et que sa justice leur montre le supplice

‘Sag.,c.8,v.l.
soa L°mmrrsaauea. 87
qui doit la punir : néanmoins je dis et je prétends
que le souverain Maître de l’univers, quoiqu’il ne
veuille pas le péché, veut cependant son effet; et
que , puisque ce lieu et cet emploi , cette,maladie et
ces chagrins ne sont pas un péché , ils sont donc l'ob
jet de la volonté divine, bien qu'ils soient la consé
quence de la faute d’autrui.
Ainsi, quoique le Seigneur des vertus ‘ ait détesté
la vente de Joseph, il approuva cependant son séjour
en Egypte et la charge qu'il y remplit. Dieu m’a
envoyé , l'avoue-t-il lui-même , Dieu m'a envoyé avant
vous en Egypte 2. Remarquez : Dieu; non pas la
jalousie de ses frères, mais la Providence d’en haut.
De même, quoique toutes les misères et les calamités
qui fondirent sur Job sortisscnt de la malice de Sa
tan, elles étaient cependant l'objet du bon plaisir
éternel de Dieu. Le Seigneur m'a donné, le Seigneur
m’a ôté 5: tel est le témoignage que rend de lui-même
ce prophète de la terre de Hus. Remarquez : non pas
Satan, mais le Seigneur. Enfin le Père céleste a con
damné la rage des Juifs, et cependant il décréta lui
même la mort de son Fils : aussi Jésus-Christ dit-il à
S. Pierre : Vous ne voulez pas que je boive le calice
que mon Père m'a donné ‘? Remarquez bien encore:
il dit, non pas le calice des Juifs, mais le calice que
lui a donné son Père. '
Par une conduite semblable, la sainteté de Dieu
détestera donc la malveillance de vos compagnons,
l’imprudence de vos supérieurs et la jalousie de vos
envieux ; mais cependant il exige de vous cette posi
tion, cette infortune , cette oppression qui en est
l’effet. O religieux! ce n'est pas la jalousie de vos
frères, mais la providence du ciel; ce n'est pas Satan,

‘P5. 45,v. 8. -—-'-'Gen.,c. 45, v.5.


3.101), e. I ,v. 2l.—4Jean,c. 18, V. Il.
88 1" JOUR. CONSIDÉRATION soa L'INDIFFÉRENCK. -

mais le Seigneur; ce n'est pas la haine , mais votre


Père qui vous a relégué en Egypte, envoyé ces maux
et donné ce calice.
Dieu , Dieu veut que vous demeuriez dans ce lieu ,
que vous remplissiez cet emploi, que vous souffriez
cette maladie, que vous soyez caché dans ce poste ,
que cette adversité, ce mépris, cette persécution
vous aflligent. Oui, Dieu le veut : que le monde rai
sonne, que l'amour-propre se plaigne: Dieu le veut.
2° Et il le veut. 0 anges ! suppléez à l’insuffisance
des hommes et adorez la bonté du Créateur; il le
veut en se proposant toujours le plus grand bien de
vous qui lisez ceci. Il cherche avec une charité si
prévoyante votre propre utilité en toute occasion ,
que si le voile était un peu levé, et qu'il vous fût
donné d'aperecvoir les secrets de cette divine Provi
dence sur vous, vous approuveriez sans réserve ce
qui vous répugne si fort maintenant; et que tout
libre que vous seriez , vous ne choisiriez rien autre
chose.
En voici la raison : cet esprit infiniment parfait
:ait ce qui vous convient le mieux. il le sait, puis
qu'il n'y a rien de caché à ses yeux ’ ; ensuite il peut
aussi vous donner ce qu'il sait vous mieux convenir.
il le peut, car il peut-tout ce qu'il veut '-'- Il vous le
donnera donc, puisqu’il vous aime comme lapru
nelle de ses yeux: 5, comme une nourrice aime son
petit enfant 4; parconséquent tout ce qui vous arrive
parsa volonté, vous arrive pour votre plus grand bien.
Oui : non-seulement le Dieu des vertus règle toutes
choses avec nombre, poids et mesure ,' mais encore
il nous gouverne avec une grande réserve '5 en chan

‘ 150c1.. c. 39, v. 24. -- 2 Saga, c.1l, v. 18. — 3 Deut., c.


82, v. 10. — "Nomh, c. 11, v. 12. — 5Sag., c. 11 , v. 2l. —
‘ Ibid. c. I2 , v. 18.
1" JOUR. EXAMEN DES OBSTACLES A L'INDIFFÉRENCE. 89
geant pour nous le mal en bien ‘ , et en nous faisant
tirer avantage de la tentation "' elle-même. Jetez
vous donc tout entier, avec une parfaite indifférence
pour tout, dans les bras d’un père qui vous porte
tant d'amour , et dites avec S. Ignace de Loyola : Fai
tes de moi comme vous savez qu'il me convient et
comme vous le voulez , parce que je sais que vous
m'aimez. Que ce cri de victoire : Dieu le veut! soit le
céleste et invincible bouclier avec lequel vous repous
siez les assauts de votre cœur indocile; et ne vous
ralentissez point que vous ne soyez parvenu à la per
fection de la bienheureuse indifférence.

' EXAMEN.

DES OBSTACLES A L'INDIFFÊRENCE.

S. Ignace, ainsi que nous l'avons déjà remarqué ,


désire que, dans ce premier jour , nous n’occupions
notre esprit que du fondement des Exercices et de
l’indifférence dont il est l'appui. Pour me conformer '
fidèlement à ses intentions, j’ai cru à propos de re
chercher , dans un examen particulier, quels sont
les principaux obstacles à cette divine indifférence ,
afin de les détruire et de rendre plus aisée et plus
douce l'acquisition de cette vertu céleste. Pour cela
consacrez aujourd'hui à cet examen un moment con
venable , hors du temps prescrit pour les autres occu
pations , comme serait le dernier quart d'heure de la
considération, ou celui de l'heure destinée à la lec
ture spirituelle.

‘Gen., c. 50, v. 20. - 21 Cor. , c. 10, v. 8.


1 - 8
90 1“ JOUR. EXAMEN DES OBSTACLES A L'INDIFFÉBENCE.

1° De quelle chose créée, de quelle affection vi


cieuse êtes-vous surtout préoccupé? Quelle difficulté
vous effraie le plus? Quel obstacle vous empêche
d'entrer dansla voie d'une sainteté plus parfaite, et de
servir Dieu de la manière qu'il le demande de vous i‘
d'embrasser l'état de vie où il vous appelle ; ou si cet
état est déjà choisi , de vous y élever à ce degré de
perfection auquel vous vous sentez souvent pressé de
tendre?
2° Quelle chose vous détourne plus puissamment
de cette précieuse indifïéreucc que S. Ignace a incul
quée avec tant de force ? Est-ce la concupiscence de
la chair , ou la concupiscence des yeux, ou l’orgueil
de la vie , c’est-à-dirc le désir des honneurs , la soif
des plaisirs, le besoin des choses commodes et super
flnes? N’est-ce point l'aversion pour le travail, la
crainte des misères et du mépris ? Avez-vous conçu
de la nécessité et de la dignité de l'indifl'érence l'estiu
me qu’elles méritent? Brûlez-vous au moins du désir
ardent de l’acquérir ?
3. Considérez pour quel lieu ou quel emploi votre
orgueil et votre sensualité'naturelle , l'amour de l’élé
vation et de vos aises vous inspire du désir ou de la
répugnance? Sous le spécieux prétexte de conserver ou
de recouvrer votre santé, ne refusez-vous point , ou
ne sollicitez-vous point telle place et tel office? Dans
la crainte d'abréger peutêtre votre vie, n’évitez
vous point, par quelques moyens détournés , de sup
porter tels ou tels travaux pour le salut des âmes ,
d'être dans telles ou telles occasions de procurer la
gloire de Dieu ?
4° Etes-vous prêt à éviter ou à embrasser, à souf
frir ou à faire tout ce que vous connaîtrez dans ces
Exercices que Dieu demande de vous l’ N'allez-vous
pas mettre plutôt et fixer des limites à la grâce, au
delà desquelles vous refuserez avec obstination sa 'lu
RÉPÉTITION DES maUx PRÉCÉDENTES. 9l

mière et votre avancement? En un mot, observez


vous le S 2 du troisième avis de l'introduetion aux
exercices spirituels ?
Si vous trouvez quelque chose de difficile dans tout
ce qui a été dit jusqu’ici, souvenez-vous que vous
avez été créé de Dieu et pour Dieu , et que , par con
séquent , vous devez le servir de la manière qu'il le
veut. Mais qui êtes-vous pour vous écarter de l'uni
que règle du bien et pour tarder de faire ce que la
souveraine puissance veut que vous fassiez ?
Avis. 'Il faudra lire aujourd'hui, si on n'a pu les
lire hier , les avis qu'on doit observer dans le temps
même des exercices , et qui ont été exposés au S 4 de
l'introduction.

111° MÉDITATION.
BÊPÉTITION DES DEUX PBÉCÉDENTES.
Avertissement.

I. S. Ignace a eu deux raisons de recommander si


expressément, dans son livre des Exercices, cette
troisième méditation , qui n’est que la répétition des
deux premières , les plus importantes de toutes : 1°
afin qu'une deuxième considération de ces vérités
fondamentales les imprime plus profondément dans
notre esprit; 2° afin que notre volonté, appliquant
de nouveau ses offorts au même objet, s'affermisse
davantage dans les résolutions qu'elle a déjà prises;
en un mot, pour recueillir plus abondamment , dans
une seconde considération , les fruits qui n’anraient
pas acquis dans la première une maturité parfaite.
Il. Dans ces sortes de répétitions, qui sont une
92 1" JOUR. m° MÉDITATION.
espèce de retour réfléchi sur ce qu'on a médité dans
les ea'erciccsprécédents, il faut observer deux choses:
1° revenir principalement sur les points de ces pre
mières méditations d'ou l'on a retiré plus de lumière
ou de ferveur ; marquer aussi ceux ou l'on a eu déjà
des sentiments plus vifs de consolation , de douleur ,
ou de quelque autre affection spirituelle que ce puisse
être ; enfin nous arrêter dans les endroits qui nous
avaient laissés dans l'aridité , et essayer si nous ne
pourrions pas, du moins maintenant, y produire
quelque sentiment , quelque mouvement de piété ,
parce qu’il arrive souvent que la répétition des mé
mes réflexions est ensuite la 'source de consolations
et de lumières plus abondantes. 2° Il faut donner un
temps beaucoup plus considérable aux affections qu'à
la considération , puisque le principal fruit de cette
répétition consiste à produire ces pieuses affections.
Dans ces répétitions, ce sont les termes du Directoire,
il faut laisser les longs raisonnements , ne faire que
se proposer et comme parcourir les points qu'on a
déjà médités, en 3/ appliquant moins l'attention de
son esprit que les afiections de la volonté : telle est
sans doute la raison pour laquelle notre saint auteur
prescrit , dans cet exercice , un plus grand nombre
de colloques que dans les précédents.
III. 11 y a cette différence entre une nouvelle con-
sidération sur un même mystère ou une même vérité
et la répétition des réflexions qu'on s'est déjà une fois
proposées sur un même sujet, que, dans la répéti
tion , il faut s'arrêter plusieurs fois aux premières
pensées qu’on avait méditées sur cette matière , avec
la précaution de noter toujours et d'approl‘ondir da
vantage les endroits qui , dans .un premier exercice ,
nous ont donné quelque lumière et quelque senti
ment de consolation ou de douleur.
Dans le cas, au contraire, d'une considération nou
RÈPÉTITION pas DEUX PRÉCÉDENTES. 93

v'elle , nous méditons la même vérité ou le même


mystère sans aucune attention aux réflexions que nous
nous étions déjà proposées sur la même matière, ab
solument comme si nous n'avions pas du tout aupa
ravant exercé notre esprit sur ce sujet. La méditation
suivante sera un exemple de l'exercice des répéti
tions : les étoiles qui y sont placées en plusieurs en-.
droits indiquent qu'il faut s'y arrêter, si ce sont ces
même endroits où nous avons éprouvé , à la première
méditation, plus de lumière, de consolation ou de
douleur. Il n'y a point à craindre que notreattention,
reportée sur nos premières réflexions, n'absorbe trop
de temps au préjudice des affections ; car l'abondance
des lumières et des sentiments de douleur répondra
très-rarement au nombre des étoiles. -
Premier Point.

Puisque nous avons été créés de Dieu et pour


Dieu, la raison elle-même proclame que nous devons
servir Dieu et le servir de la manière qu'il le veut;
car toute autre manière de le servir, qui ne serait
pas conforme à sa volonté, ne peut aucunement lui
être agréable.
* 0 Seigneur Dieu tout-puissant , créateur de
toutes choses 1 ! oui, je l'avoue, je dois à trois titres,
comme homme, comme votre esclave, comme chréd
tien , vous servir , vous, mon Dieu , mon Seigneur et
mon Rédempteur; et je confesse aussi bien volontiers,
que c'est là la fin des mortels, que c’est leur dernière
affaire et leur affaire unique, essentielle et la plus
importante. "
Mais , pour la mettre à exécution de la manière
précisément que vous-le voulez , pour êtrcindifl‘é
rents à tous les moyens par lesquels vous avez résolu

1 Il Mach. , c. l , v. 24.
94 1"° J01m. mB MÉDITATION.

de nous conduire à notre dernière fin , c'est là le


point pénible et dilïicile; car je confesserai contre
moi mon iniquité ‘ : c'est à cela que ma chair rebelle ,
mon amour-propre et ma nature indocile se refusent
obstinément. Il n'y a rien que mon intelligence com
prenne mieux que ce principe; mais il n'y a rien
aussi en quoi ma volonté se trouve trop faible. Je
reconnais , il est vrai , le bonheur de cette divine in
différence à toutes choses; je sens les fortes impul
sions de la grâce qui m'y excite; mais aussi, malheu
reux homme que je suis , je sens dans mes membres
une autre loi que la loi de ma conscience 2 , qui me
persuade de fuir le bien que celle-ci désire.
Oui, je vois clairement les motifs très-puissants qui
m'entraînent à- celte vertu; car 1° une haute justice
m'y oblige, puisque le paysan lui-même ne souffre
pas que le serviteur qu'il a loué travaille d'une autre
manière que celle qu'il lui a commandée, et puisque
nous-mêmes nous n'avons point pour agréable un
service qui contrarie notre volonté. ‘ 2° Mon utilité
propre l'exige de moi, et je .n'en puis aucunement
douter, puisque autrement tous mes travaux sont
autant de pas hors du chemin , et puisque toutes mes
œuvres sont défectueuses, parce qu'elles sont infec
tées du vice de la volonté propre. " 3° Enfin il est
pour moi plus clair que le jour que mon bonheur,
même ici-bas , en dépend , puisque celui-là seul vit
heureux qui cherche toujours le bon plaisir de Dieu. “
Hélas ! ces gémissements des damnés retentissent à
mes oreilles : Que nous a servi notre orgueil .9 que
nous est-il resté de Z'ostentation de nos richesses 5?
Cette vérité : Que me sert-'il d'avoir en toutes choses
en abondance , si , après tout cela , je suis damné? e
qu'ai-je à regretter d'avoir été accablé de toutes les

‘Ps. 81,17. 5.- zllom, c.7, v. 93. -— 3 Sag.,c.5, V. 5'


aériäTl'uon nes DEUX pm-zcéusmss. 95

misères, si, avec tout cela , je suis sauvé ? cette vérité,


dis-je , est un dard qui pénètre le cœur. ’ Cependant,
quelle est ma faiblesse? Ces réflexions me convain
quent , etje m'opiniâtre à refuser cette céleste indif
fércnce. Ah! la confusion couvre mon visage 1 , la
douleur perce mon âme; néanmoins , ô grand Dieu !
deplogez la puissance de votre bras 2 , et vous' , qui
commandez aux vents et a la mer 5 , soumettez , par
votre puissance, ma volonté rebelle.
Je le promets donc. Écoutez, ôcieux ! ma ferme
résolution , et que la terre entende les paroles queje
vais prononcer 4 , parce que vous êtes mon Seigneur
et mon Dieu 5 ; que ce sont vos mains qui m'ont fait
et qui m'ont formé 6 : oui , je vous servirai désormais,
et je vous servirai de la manière que vous l'aurez ré
solu, dans tel état de vie auquel vous m'aurez appelé,
ou, si le choix de mon état est déjà fait , je m'appli
querai à tel degré de perfection que vous m’aurez.
montré; je suis prêt à éviter ou à embrasser, à souffrir
ou à faire tout ce que je comprendrai , dans ces exer
cices, que vous demandez de moi. 0 Créateur tout
pm'ssant ! du haut de votre trône 7 , tendez la main
a vos créatures et à votre ouvrage 8. Ensuite on pro
duira , mais avec une plus grande ferveur , les mêmes
actes de vertus que j'ai indiqués plus haut pour être
formés après la première méditation.
Deuxième Point.

' Si l’homme , pour arriver à sa fin, doit être dans


cet état d'indifl'érencc, à bien plus forte raison la fin
du relzlgieux exigc-t-elle qu’il soit dans cette même
disposition , et même dans une disposition plus par
\

1Ps.68,v.8.---— 2 Luc,c. l, v.5l. -— 3Luc,c.8,v.25.——


‘Deut.,c. 82,v. l.— 5 Jean,c.20,v. 28. «6 P5. 118, v. 73.
-'—7Eccl.,c.l , v.8. —- 8Job, c. 14, v. 15.
96 1" J01m. 111° MÉDITATION.
faite. Oui , ô Jésus-Christ , auteur et modèle de la vie
apostolique ! oui , l'excellence, l'utilité et le bonheur
d’une telle fin , je veux dire de mon salut et de ma
propre perfection , du salut et de la perfection des
autres , me seront inutiles, si je n’y arrive pas en la
manière que vous l'avez arrêté, c'est-à-dire par ces
moyens précis et en. cette mesure déterminée par les
quels et en laquelle vous avez voulu que je l'accom
plisse. '
Eclairé de votre divine lumière , je reconnais ma
nifestement que, dans l’état religieux, tout lieu, tout
emploi, toute charge et tout état de santé sont le
moyen , et le moyen propre pour arriver à cette fin.‘
Bien plus, puisque, par votre prudence infiniment
sagcet prévoyante, vous choisissez toujours les moyens
les plus propres à leur fin, il m'est donc évident que
cette situation et cet emploi, cet état de santé et cette
charge où m'ont mis l'obéissance ou votre providen
ce , sont le moyen le plus approprié à ma fin. ' Je ne
puis donc pas douter que je dois être indifférent à
toutes ces choses. ' '
Et cependant, ô Seigneur! hélas ! vos yeux: ont vu
mon imperfection ‘ ; et cependant je ne trouve pas en
moi les premiers traits mêmes de cette vertu. L'amour
des commodités , des honneurs , des aises , la crainte
du travail , la fuite des souffrances me dominent sans
cesse , et sont comme les deux pôles sur lesquels ma
vie roule perpétuellement.
Mais enfin , jusques à quand , ô mon âme! subi
ras-tu-une servitude si indigne de ton état? N’as-tu
donc méprisé les dignités mondaines que pour savou
rer la fumée de l'élévation à l'école même de l'humi
lité? N'as-tu renoncé à tes biens , à tes espérances ,
aux délices de la maison paternelle, que pour porter

‘l’s. 138,116.
\

RÉPÉTIT1ON mas DEUX PRÉCËDENTES. 97

'ta convoitise sur une vile commodité jusque dans


l'arène de la pénitence? N’as-tu rompu les liens de
la chair , n'es-tu morte au monde que pour vivre
immortifiée et superstitieuse esclave de ta santé ?
O Seigneur ! éclairez mes yeux " pour qu'ils voient
la vanité qui trompe et obscurcit mon âme par ses
épaisses ténèbres. Faites, ô mon Père, que je croie
fermement que votre Providence gouverne toutes chc
ses"; que ce lieu, cet emploi me sont assignés par votre
bon plaisir; que cette maladie m’est envoyée et me
vient de votre main. * Faites donc que je reçoive de
vous toutes ces choses avec indifférence , comme les
moyens les plus propres pour arriver à la fin d'un
religieux. Ici il faut répéter , avec une grande appli
cation de notre âme, les mêmes affcetions que j'ai
indiquées plus haut devoir être produites à la fin de
. la deuxième méditation.

REMARQUE .

Ceux qui,jusqu'à présent, n'ont pas fait de grands


progrès spirituels , doivent demeurer plus longtemps
dans la première semaine, pour pleurer davantage
leurs péchés, et pour connaître mieux la turpitude
et la laideur de leurs iniqui-tés 5. Dans cette inten
tion, nous avons disposé exprès les exercices du jour
suivant, de telle sorte qu'embrassant plus de matiè
res , ils puissent se diviser 'en deux parties , et fournir
de quoi occuper pendant deux jours ceux à qui il est
prescrit d'en consacrer quatre à cette semaine. Ces
mêmes personnes choisiront donc aujourd'hui pour
première partie les méditations des péchés et de l’en
fer , et réserveront lcreste pour lejour suivant : ainsi
on accomplira la règle du Directoire, qui s'exprime

1Ps.12,v.4.—2Sag., c. 14,1 3. —3Direct.,c. 17,11. 1


I 9
98 i" JOUR. m" MÉDIT. RÊPÉT. DES maox PRÉCÉD.

de la sorte : Le troisième jour , on proposera les


mêmes sujets qui ont été médités le deuxième jour ,
mais en 3/ ajoutant quelques nouveaux: points ; car,
par ce moyen, les matières sont plus approfondies ‘.
Mais ceux qui se proposent d'employer trois jours
seulement à cette semaine , ne doivent s’arrêter qu’à
un ou deux points, si les méditations leur paraissent
trop longues; et ils liront ensuite ce qui aura été
omis, ou après l'oraison , ou dans un autre temps
convenable : ainsi, par exemple , dès aujourd'hui
on pourra lire avec attention le second point de la
méditation suivante , ou dans le temps consacré à la
préparation , ou après souper.
‘ Direct, e. 14, n. l.
nains soda.

— —e“

PREMIÈRE MÉDITATION.

DU CHATIMENT DU PÉGHÉ DES ANGES ET DU PÉGHÉ


D’ADAM. .
Premier Point.

Considérez le châtiment du péché commis par les


anges. Parce qu'ils ne suivirent point cette indiffé
rence que nous recommandons, ils s'écartèrent de leur
dernière fin par une révolte orgueilleuse, et ils refu
sèrent de rendre à leur Créateur l’obéissance qu'ils
lui devaient, en la manière qu'il le voulait, qui était
d'adorer Jésus-Christ : aussi comme un éclair qui
tombe du ciel, ils furent précipités dans les enfers.
Saisi d'horreur à ce souvenir , médite'z les circonstan
ces de ce châtiment.
1° Quel est celui qui a infligé ce supplice? Quel
est—il? c'est. Dieu, dont la justice ne peut punir plus
qu'on ne le mérite, dont la miséricorde punit tou
jours moins qu'on ne le mérite, dont la sagesse ne
peut rien faire inconsidérément et sans raison , et dont
la sainteté ne peut admettre ni passion , ni imperfec-
tion. Et c'est cependant ce Dieu sijuste, si sage, si
saint et si clément, qui a puni avec tant de sévérité
ces esprits célestes , dès qu'ils se sont écartés de leur
dernière fin par une faute mortelle.
100 11° JOUR. 1" MÊDITATION.

2° Considérez quels sont ceux qu'il a punis ainsi.


Hélas! ce sont des esprits célestes, des princes du.
ciel, les chefs-d’œuvre de la toute-puissance divine,
ornés de tous les dons de la nature et de la grâce, et
dont le nombre , ah! dont le nombre surpasse l'ima
gination; qui, s’il leur eût été donné de pouvoir se
repentir, auraient aimé d’un amour éternel et sans
mesure, avec des efforts unanimes et à tous les ins
tants de l'éternité , ce Dieu qu'ils avaient offensé ; qui
auraient cxpié par une douleur continuelle leur
audacieuse révolte.
3” Méditez pourquoi ce Dieu si sage et si clément a
châtié ainsi, sans exception d’un seul, tous ces esprits
si excellents et si innombrables ; pourquoi? pour un
seul péché, oh! cieux, soyez saisis d'étonnement, et
que les fondements de la terre s'ébranlent et frémis
sent! pour un seul péché grave et unique.... le pre
mier.... commis en un seul instant.... et par la seule
pensée. -
4° Rappelez-vous comment le Dieu vengeur a appe
santi son courroux sur ces esprits célestes pour ce
seul péché. Ah! ils subissent un châtiment effroyable
dans son intensité et éternel dans sa durée, ou, pour
nous servir des termes de l’école, ils endurent un
tourment intensivement borné, mais cependant infini
dans sa continuation , et le plus épouvantable, quant
à la peine du dam, qu'un Dieu toutpuissant puisse
infliger dans sa vengeance. ' '
5° Remarquez en quel temps il les a punis par ce
supplice. C’est dans un temps où l'exemple d'aucun
châtiment n'avait été donné, où ils n'avaient reçu
aucun avertissement ni entendu aucune menace. Ils
n'avaient pas vu la terre ensevelie sous les eaux du
déluge, Sodomc consuméc par les flammes, ils n'a
vaient pas vu Jésus-Christ expirant sur la croix; et
cependant tous ensemble, non pas la dixième partie
son LE eHA'rmENT DU PÉCHÉ. lOl

seulement, mais tousà la fois, ils sont précipités


dans l'enfer, et ils sont précipités incontinent , sans
délai, au moment même où ils péchaient : aucun ins
tant, pas même le plus court, ne leur est laissé pour >
se repentir.
Ah! des anges si nobles, en si grand nombre , la
troisième partie du ciel, étaient précipités dans les
abîmes , c’est-à-dire dans un lieu de tourments in
nombrables par leur multitude, inconcevables par
leur rigueur , et infinis dans leur durée; ils y étaient
précipités par un juge infiniment juste , sage , saint
et miséricordieux , et pour un seul péché , un péché
d'un moment , un péché commis pour la première
fois, et uniquement par la pensée : aucun exemple
ne les avait effrayés , et l'instant même le plus court
ne leur est pas accordé pour faire pénitence; et ces
anges, ah! tremble, homme pécheur! sont perdus
pour un péché mortel, unique... le premier... pour
un péché de seule pensée... d'un instant ! O péché!
.que tu es donc un monstre horrible et exécrable ! ce
pendant l'aveugle malice des hommes te compte pour
rien, ou tout au plus pour chose bien légère. Oh ! que
tu es un mal redoutable qu'il faudrait pleurer avec
des larmes de sang ! puisque ceux qui te commettent,
tu les détournes de leur dernière fin , qui est le sou
verain bien . et tu les entraînes dans le centre de tous
les maux. Répondez ; que concluez-vous de ces réfle
xions? '
Première conclusion. 1° Il faut donc fuir le péché
et le détester avec toute la haine et l'horreur possi
ble. Et pourquoi pas? car si Dieu n'a pas épargné
les anges coupables, mais s'il les a précipités dans
les abîmes pour les livrer aux flammes dévorantes de
l'enfer ’ , de quelle protection êtes-vous done'cou
\
1i1 Pier. , c. 2, v. 4.
102 n" JOUR. 1"’ MËDITATION.

vert , pour espérer l'impunité, vous, dis-je , pur


néant , formé d'une boue grossière ; vous qui êtes
coupable , non pas d’un seul péché, mais de tant
d'iniquités, et d'iniquités énormes, coupable après
un pardon accordé tant de fois , après qu'une justice
implacable vous a montré tant d’exemples de la sévé
rité de Dieu! Saisi d'une vive horreur à la vue de
cette monstruosité , tremblez donc , et fuyez le péché
comme à l'approche d'un affreuse dragon ‘.
Car la prison de l'enfer, dans laquelle sont tombés
ces esprits rebelles, est encore allumée et brûle aussi
pour vous :le même Dieu qui n’a pas épargné les
princes du ciel vit encore maintenant, il vit égale
ment juste comme autrefois , également saint et puis
sant ; il vit , hélas ! il vit, et malheur à vous s’il vous
trouve, à votre dernière heure, coupable d'un péché
mortel ; car , s’il n'a pas épargné ses anges , ces an
ges si parfaits et si 'innombrables, sa justice vengeres
se vous épargnera bien moins , créature abjecte, hom
me de rien : craignez donc, fuyez , détestez, ah!
détestez le péché. -
Deuxième conclusion.' Puisque la malice du péché
est si grande.et si énorme, qu'elle irrite à un tel point
la colère .de Dieu , il faut donc pleurer , avec la plus
profonde douleur, les péchés que l’on a commis.
Vous avez pêché , ô malheureux ! vous avez péché ;
c'est le cri 'de votre conscience; donc vous avez mé
rité l'enfer : c'est l'ensignement de la foi. Si , lorsque
vous avez péché, et dans le moment même ; si , dans
ce jour et à cette même heure , vous eussiez cessé de
vivre , hélas ! où seriez-vous allé ? Ah ! vous habite
riez déjà dans les flammes déuorantes 2 pour y de
meurer une éternité.
Faites-y attention et voyez: Dieu a puni les anges;

‘ Eccl.,c.2l , m2. —2Isaïe, c. 83, v. 14.


son LE cnnmsm oo PÉCBÈ. 105

il les a précipités dans l'abîme , ou les ténèbres sont


leurs chaînes, pour être tourmentés , et il vous a ac
cordé avec clémence le temps de vous repentir. Vous
avez péché une fois, deux fois, trois fois, et Dieu
vous a épargné. Vous avez péché quatre fois , et Dieu
vous a épargné quatre fois. Vous avez péché dix fois ,
vingt fois, et Dieu vous a épargné dix fois, vingt fois.
Vous avez continué de pécher , et Dieu a continué de
vous épargner. Il a livré les anges aux flammes de
l'enfer pour 'y souffrir l’éternité tout entière : ces
anges, hélas! il les a livrés incontinent , sans délai ,
après un seul péché mortel , un péché de pensée
seulement , le premier qu’ils eussent commis , et sans
leur donner le temps de faire pénitence; et vous ,
misérable néant, après des centaines de péchés, il
vous a épargné dans sa longue patience.
Ne reconnaissez-vous pas enfin la bonté infinie de
sa divine miséricorde envers vous ? N'êtes-vous pas
surpris et étonné de sa bienveillante charité pour
vous ,de préférence à tant d’autres? Ah ! vous n’ê
tes plus un homme , si , pour tant de bontés , votre
cœur ne se répand pas en 'gémissements , si vos yeux
ne se fondent pas en larmes , et si votre âme n’est
pas toute eonsumée par le feu d'un amour récipro
que. Livrez-vous donc avec ardeur aux actes les plus
vifs de douleur et de haine ; de (douleur des fautes
passées , et d'une douleur très-profonde; de haine
pour les péchés à venir , et d'une haine très-efficace.
Que le fruit de cette méditation soit donc la douleur
des fautes passées et la haine pour les péchés à venir.

Deuxième Point.

Considérez la peine infligée à nos premiersparents .


ils l'encoururent, parce qu'ils s’écartèrent par le pé
ché de leur dernière fin , et parce que, manquant à
404 il’ JOUR. 1" MÉDITATION.
l’indifférence, ils ne furent pas contents de leur con
dition , et ambitionnèrent d'être comme des dieux,
sachant le bien et le mal ‘. Ils voulaient, il est vrai,
servir Dieu , mais dans un état plus élevé que celui où
il les avait établis , et , pour satisfaire ce désir, ils usè
rent illégitimement des choses créées, et choisirent
des moyens qui leur étaient défendus. Mais, à peine
avaient-ils goûté le fruit mortel, que bientôt,
1° Ils perdent la justice originelle avec les dons
surnaturels qui l'accompagnent; ils sont dépouillés
de leur domaine sur les animaux , sur leurs propres
appétits; un arrêt est porté contre eux, qui les chasse
du paradis, où ils ne rentreront plus, et les jette,
comme de malheureux exilés , dans cette vallée de
misères. Le déplorable effet de son péché ne s'est pas
arrêté à Adam : il a fait couler son poison dans toute
sa postérité; pour que vous en soyez plus convaincu,
2° Réunissez ensemble, accumulez toutes les pes
tes et les famines , tous les incendies , les naufrages et
les guerres, et toutes les ruines et les dévastations de
tant de villes , de provinces et de royaumes; tous les
débordements des plus grands fleuves et des mers;
toutes les maladies, les souffrances et les tourments
de tant de malades et de martyrs; enfin toutes les ca
lamités, et généralement toutes les misères qui, comme
un déluge, ont inondé autrefois ce monde, qui l'inon
dent encore souvent, et qui l'inonderont dans la
suite, surtout au temps de l’antechrist ; ajoutez-y tant
de centaines de millions d'enfants, qui, par une mort
prématurée, avant d'avoir reçu le saint' baptême ,
sont privés pour toujours de la béatitude éternelle ;
rassemblez , vous dis-je , tous ces malheurs; entassez
en un même monceau les crânes et les ossements dé
charnés de tous les hommes qui sont morts et de ceux

lGen.,c. 3,v. 5.
son LE CIIATIMENT DU pÉcuÉ. 105

qui doivent encore mourir; eh bien! le premier pé


ché d'Adam est , suivant le témoignage de l'apôtre ,
la source funeste d'où ont jailli tous ces maux. Con
cluez maintenant, et mesurez la malice du péché sur
la grandeur du supplice.
3° Toutefois rien ne peut rendrecette malice aussi
manifeste , comme le tragique événement donné en
spectacle au monde sur la montagne du Calvaire , et
qui fit frémir la nature ‘ ; car, pour satisfaire digne
ment la justice divine , par une expiation adéquate 2
pour ce seul péché d'Adam, il fut nécessaire , frémis
sez, oreilles pieuses, à cette vérité si terrible! il fut ,
dis-je, nécessaire que le Verbe se fit chair... , que
Jésus-Christ fût élevé en croix... , que Dieu mourût au
milieu de deux voleurs.
Oui, tous les travaux , toutes les souffrances et tou
tes les vertus des Saints n'auraient point sufli, n'au
raient pas eu assez de mérite pour effacer cette seule
offense; bien plus, quoique cent millions d'âmes, dont
chacune aurait surpassé en sainteté la Reine du ciel
elle-même , eussent enduré pendant trois mille ans ,
dans cette intention , avec une patience et une cons
tance inébranlables , d'effroyables tourments, plus
cruels que les feux de l'enfer , elles n’auraient pas pu
cependant expier cette seule faute par une satisfac- '
tion convenable. Quand l’univers entier eût péri na
geant dans le sang des victimes, si un sang divin
n'avait pas été versé, si la seconde Personne de la
sainte Trinité n’eût pas pris la place des hosties , au
sentiment des saints pères et des théologiens , toutes
1 S. lgnace propose ce motif à la fin de cette même méditation
du péché des Anges et d'Adam. — 2 C'est-à-dire dont la valeur
égale au moins ou surpasse la grièveté de l'ofl'ense. Telle est la
satisfaction que Jésus-Christ a offerte à son Père pour nos péchés;
car , dit S. Paul aux Rom. , c. 5, v. 20 : Où il y a en abondance
de péché, il y a eu aussi surabondance de grâce.
{06 n° JOUR. 1" MÊDI'I'A'HON.
ces expiations seraient demeurées vaines : le péché
de l'homme n'aurait point été réparé, Dieu n'aurait
point été apaisé , tant fut grande, énorme , atroce et
empoisonnée la malignité et la dépravation inhérente
à ce péché mortel. De cela que ooncluez-vous main
tenant ?
Première conclusion. Si toutes les souffrances du
corps , si toutes les pertes de la fortune et de la répu
tation , si enfin toutes les calamités d'ici-bas , la mort
même , sont la peine du péché d'Adam , il est donc
lui seul un mal plus grand que tous ces maux.En
effet , comme l'enseigne S. Thomas , la peine ne par
ticipe pas autant que la coulpe à la nature du mal :
il faut donc tout souffrir plutôt que de pécher.
Deuxième conclusion. Dieu meurt sur la croix pour
le péché d'Adam. Pesez attentivement tous ces mots,
Dieu meurt sur la croix pour le péché d’Adam : ce
péché n'a pu être expié convenablement par l'effusion
d'aucun autre sang que celui de l'Homme-Dieu; ce
péché est donc 'un mal souverainement grave et exé—
crable, parce que Dieu n'est pas mort dans d'affreux
tourments pour une cause légère, pour une bagatelle.
Troisième conclusion. Si le Père éternel n’a pas
épargné son propre Fils, quoiqu'il n'eût pris que la
forme d'un pécheur , quoiqu'il ne se fût porté que
comme caution pour cette faute d’xAdam , que nous.
arrivera-t-il , à nous , esclaves si vils, rebelles déiei
des , coupables de tant de crimes °P

' AFFECTIONS.
Ainsi, l° gémissons de nos fautes passées , pre
nons garde de n’en plus commettre à l'avenir; 2°
courbés jusqu’à terre sous le poids de nos péchés ,
humilions-nous sous la main puissante de Dieu , et ,
en considérant nos iniquités, comprimons le désir
soa LE CHATIMEN'I DU pÊcmä. 407

de nous élever au-dessus des autres ; 3° concevons


une haine salutaire de notre chair , ayant constam
ment horreur de ses convoitises , qui sont la source
de nos crimes. Il faudra néanmoins s'arrêter peu de
temps à ces deux dernières affections , parce que le
principal fruit de cette méditation doit être une dou
leur souveraine des péchés commis et une haine efli
cace pour n'en plus commettre. Pour que ce fruit
soit plus assuré nous observerons trois choses :
1° Nous nous arrêterons principalement avec une
ferveur et une application particulières à cet acte de .
douleur; 2° portant toujours notre attention sur la
racine de nos péchés , nous devrons haïr ceux que
nous avons commis, de telle sorte que nous détes
tions aussi , en même temps , le désir de l'élévation et
l'amour de la sensualité qui sont les sources les plus
fécondes de nos fautes ; 3° on passera toujours de la
détestation des fautes mortelles à celle des fautes vé
nielles , et on devra observer cette même règle pour
les autres méditations.
Mais d'ailleurs, quoi de plus propre à pénétrer
l’homme de l’horreur du péché, quoi de plus fort
pour briser son cœur d'une douleur profonde que de
voir le Fils de Dieu mourant pour lui par le supplice
de la croix? 0 cieux! le Fils de Dieu meurt sur la croix
pourle péché, par l’ordre de son Père! O spectacle
dont les enfers eux-mêmes frémissent , et à la vue
duquel la nature entière se dissout et paraît s'anéan
tir ! Dieu meurt sur la croix pour le péché... Dieu!..,.
je le crois, et cependant je n'ai ni douleur‘pour les
péchésque j'ai commis , ni haine pour n'en plus com
mettra... Que dis-je ? je pèche encore , je crucifie en
moi-mêmoire Fils de Dieu, etje l'ai en mépris ’.... O
foudres ! quelle main , quel obstacle vous arrête?

‘ llebr. c. 6, v. 6.
{08 11° JOUR. .t.“ MËDITATION.
Ah ! mon âme ! vois ton Jésus; il meurt sur la
croix...., et il meurt non-seulement pour les péchés
d'Adam , mais aussi pour tes propres crimes...; il
meurt , et c'est toi qui portes sur lui une main cruel
le...
A cette
Ah !catastrophe
tu le vois, leet soleil
tu ne s'obscurcit,
fonds pas enles
larmes
pierres

se brisent, des Gentils eux-mêmes se retirent en se


frappant la poitrine; toi seule, tu demeures insensi
ble. Les tombeaux s’ouvrent , le voile du temple se
déchire , la nature entière frémit :toi seul, ô pécheur!
tu n’es pas ému, toi seul, dont le cœur est plus dur
que l'acier, tu vois avec un œil sec ton Sauveur atta
ché par trois clous à un bois infâme , expirant dans
les tourments les plus cruelsl... Quoi ! tu oses même
renouveler cette scène horrible ! '
Ah! enfin , coulez mes larmes , et que mon cœur ,
rempli d'une douleur profonde, éclate en gémisse
ments , pour pleurer comme elle le mérite , et comme
je le comprends mieux encore par la mort de Jésus
Christ que par aucune autre raison, l'énormité de
mon offense contre Dieu. O Jésus attaché à la croix !
permettez que, prosterné à vos pieds, les yeux bai
gnés de larmes, je vous témoigne ma douleur , et
que, pénétré d'horreur pour la malice si noire que
renferme le péché , je cesse plutôt de vivre que de le
pleurer et de le haïr‘.
Je prends à témoin le Dieu vivant en la présence
d/uquelje suis , que tant quej'aurai un souflle de vie
et que Dieu me laissera l'air que je respire , mes lè
vres ne prononceront rien d'injuste et mon cœur ne
commettra point l'iniquité ‘ : je perdrai tous les biens,
et je souffrirai tous les maux plutôt que de pécher en
mon âme 2 , même véniellement. Oui, même véniel
lement, puisqu'un péché même véniel est la cause

1 Job,c. 27, v. 3.-2 Ecel.,e. 19, v. 4.


soa LE CHATIMENT DU PÉCHÉ. . 109
des souffrances et de la mort de Jésus-Christ , et que
la sainteté de Dieu le déteste autant qu'elle est infi
nie, qu'elle lui porte une haine implacable , et qu'elle
l’a enfin en horreur et en exécration. Mais j'éviterai
particulièrement tels péchés Je fuirai aussi avec
le même soin l'orgueil et la sensualité qui en sont la
source empoisonnée.
0 Seigneur ! combien profondément me dois-je
humilier sous l'abîme de vos jugements, ouje ne me
trouve être autre chose qu'uu rien, un néant. Hélas!
les cieux: mêmes ne sont pas purs devant vos yeux,
vous avez trouvé de la corruption jusque dans vos
anges, les étoiles elles-mêmes sont tombées du ciel;
et moi , poussière , qu'osé-je attendre? 0 queje dois
donc avoir d'humbles et de bas sentiments de moi
même ‘! O qu'il est détestable l'amour des plaisirs et
des honneurs, cette funeste source de tant de maux ! .
C’en est fait : je veux moi aussi , avec le glorieux Paul,
châtier mon corps et le réduire en servitude 2; ce
corps , dis-je, ô Jésus crucifié! qui a été pour vous la
cause de tant de douleurs et l'occasion d'une mort si
cruelle. Avec David, je m’hmnilierai plus queje ne
l’ai fait, et je me rendrai vil à. mes propres yeux 5.
Je suis votre esclave, je vous servirai, vous, mon
Seigneur, et de la manière que vous l'ordonnerez,
avec une entière indifférence à tout ce que vous
voudrez.

‘Imit. de J.-C., I. 3, v. 11}. a- 2 1 Cor., c.'9, v. 27. 3 Il


Rois , c. 6, v. 22.
I
M0 1!° JOUR. LECTURE.

LECTURE.

DE LA DOULEUR ET DE LA HAINE DU PÊCHÊ.

8 1er

Après avoir posé le'principal fondement de l'édifice


spirituel que nous élevons et qui réside dans cette vé
rité que nous devons servir notre Créateur de la ma
nière qu’il le veut, c'est-à-dirc dans l'état de vie où il
nous appellera , et si cet état est déjà choisi, dans
l'emploi, le lieu, l'état de santé ou le degré de perfec
tion qu'il nous fera connaître lui être agréable : par
conséquent après nous être établis dans l’indifférence
à toutes choses; après avoir assis, dis-je ,. cette pierre
angulaire des Exercices, il nous reste à faire disparaî
tre les principaux obstacles qui peuvent nous détour
ner de cette précieuse indifférence et nous éloigner de
notre dernière fin.
Or, ce qui nous détourne avec plus de force de cette
généreuse indifférence, ce qui entraîne à des disposi
tions contraires notre inclination déjà.mauvaise, c'est
notre convoitise naturelle pour les honneurs , les dé
lices et les richesses, notre désir de la santé, de la
liberté et de la vie; c’est cette répugnance innée du
mépris, de la pauvreté, de la persécution et de la
maladie , et notre opposition à une vie plus parfaite :
en un mot, c'est le trop grand amour de notre chair
et de l’élévation, c’est une crainte désordonnée des
mépris et des soufl'rances. Les premiers motifs, en
effet, se réduisent facilement à ces deux derniers
comme au principe d'où ils découlent.
DOULEUR ET HAINE DU PÊCHÉ. “1

Toutes les fois que nous nous éloignons de cette


indiflÏérence qui nous est recommandée, nous le fai
sons toujours pour une des raisons que je viens de
rapporter. On peut le prouver par une induction : en
effet , puisque le propre de cette céleste vertu est de
se tenir comme dans un milieu, et de n'incliner ni
d'un côté ni d'un autre que par la seule impulsion de
la volonté divine, il s’ensuit que rien ne lui est plus
opposé qu’une propension trop grande , ou une aver
sion trop forte pour ce qui nous éloigne de ce milieu
en nous portant à des choses extrêmes : par consé
quent, rien n'est si contraire à cette inestimable indif
férence que nous devons avoir pour les commodités
ou les incommodités, pour les honneurs ou les mé
pris , pour les richesses ou la pauvreté, qu'un trop
grand amour des premières choses et une trop forte
répugnance pour les autres. Mais comme cet amour et
cette répugnance sont les deux pivots sur lesquels
roulent les déterminations des hommes , il est évident
que toutes les fois que nous abandonnons ce précieux
équilibre de l'âme , cela se fait toujours et par les
raisons déjà rapportées et par des actes entachés de
péché. .
En effet , comme, suivant l’oracle de Jésus-Christ,
tout mauvais arbre demie de mauvais fruits , et que
même un mauvais arbre ne peut pas donner de bons
fruits ‘ , il en résulte que ceux de nos actes qui pren
nent naissance dans cette source empoisonnée , qui
sont le fruit de ce double germe dont je viens de
parler , la convoitise ou la répugnance , l'amour ou
l’opposition pour certaines choses , et qui nous font
perdre la céleste indifférence , sont tous autant de
péchés 2 véniels ou mortels , si on les commet volon

1 Mattb., c. 7 , v. 17 et 18. — 2 On sait que les actes produits


par un premier mouvement de concupiscence peuvent a dans
M2 11° JOUR. LECTURE. *‘

tairement; ils sont autant de pas qui nous écartent


entièrement, ou qui du moins nous éloignent de la
précieuse indifférence et de notre dernière fin ; car ,
disent les saints Pères, les vices sont proprement au
tant de pas que l'âme fait vers l'abîme , qui la préci
pitent du ciel, qui la détournent et qui l'éloignent
de son Créateur. '
II. C'est pourquoi notre saint patriarche , voulant
nous amener à l’état d'indiflérence, et nous conduire,
par cette voie, à notre dernière fin , cherche à éclai- '
rer notre volonté , à lui faire abandonner le dange
reux désir des honneurs et des commodités , des dé
lices et des richesses , et à lui adoucir tout ce qu'ont
de rebutant les incommodités et les mépris, la pau
vreté et les douleurs. Pour y parvenir , il expose à nos
yeux la malice, la laideur et les suites funestes des
péchés , il nous les montre comme des ruisseaux em
poisonnés, afin que nous apprenions à avoir en hor
reur la source d'où ils découlent. Voyez donc com
bien il y a une liaison étroite entre les méditations
d'aujou rd'hui et les méditations qui nous ont occupés
hier.
J’ai dit qu'il nous montre les péchés comme des
ruisseaux empoisonnés , pour que nous en détestions
la source: par conséquent, et ceci est digne d'une
particulière attention , toutes les fois que , dans ces
considérations sur le péché , nous exciterons notre
cœur à une douleur amère des fautes que nous avons
commises, il nous faudra porter un regard attentif
sur la source d'où elles proviennent , afin que nous
abhorrions toujours l'amour immodéré (le la chair
et de l'élévalion, la crainte excessive du mépris et
des souflrances : deux choses qu'on appelle commu

une acception plus étendue, s'appeler des péchés ,'parce qu'ils


sont la peine et la cause du péché.
DOULEUR ET HAINE DU PÉCBÉ. M5
nément orgueil et sensualité, et qui sont la cause
cruelle de presque tous les maux. '
Du reste , S. Ignace, pour atteindre plus sûrement
le but qu'il se propose, qui est d'obtenir que la haine
et , tout à la fois , la douleur de nos péchés pénè
trent plus eflicacement au fond de notre cœur , 1°
s’attache à peindre de ses couleurs naturelles la ma
lignité d'une seule faute. Pour nous l'exprimer vive
ment, .pour que nous mesurions la grièveté de la
faute sur la grandeur du châtiment , il nous propose
de considérer la punition infligée aux anges et à nos
premiers parents pour un seul péché. Certainement
la perte des uns, la proscription des autres sont ac
compagnées de telles circonstances , que , bien médi
tées, elles portent infailliblement la crainte et l’efl'roi
dans les cœurs mêmes les plus audacieux : sans doute,
pour arriver à cette fin , notre saint auteur n'a pas
pu choisir un moyen plus efficace.
2° Mais les choses qui nous sont étrangères nous -
afi'ectant moins que celles qui nous concernent nous
mêmes , il ajoute aussitôt , dans la méditation sui
vante, la considération de nos propres fautes , leur
multitude, leur laideur et leur perversité. Envisagées
ainsi de plus près, elles ne peuvent pas manquer de
nous inspirer une très-vive douleur , un repentir sin
cère , et de nous enflammer de haine pour nos péchés.
3° Et comme il y a quelquefois des hommes qui
s'abstiennent du péché principalement à cause de la
crainte des supplices; S. Ignace offre à nos réflexions,
dans la dernière méditation de ce second jour , la ri
gueur des tourments de l’enfer ‘ , avant même de nous

1 C'est, en effet, pour le même jour où nous avons médité les


deux sujets de la punition des anges et de nos propres’péchés ,
que S. lgnace, dans son livre des Exercices, à la fin du 5' Exer
cice, nous 'prescrit cette méditation de l'enfer.
1. 10
“4 n° JOUR. LECTURE.
proposer les considérations sur la mort et le juge
ment ‘, quoiqu'on ait déjà touché cette matière au
troisième point de la première méditation de ce jour.
C'est ici que brillent admirablement l'habileté et la
prudence de notre saint patriarche dans les choses
spirituelles, lorsqu’il nous propose de méditer en
même temps , et exclusivement , mais cependant avec
ordre , les motifs les plus propres au but qu’il a en
vue dans ce second jour; car, soyons-en assurés , rien
ne contribue autant à un succès solide que de s'appli
quer, pendant tout un jour, à l'examen approfondi
- d'une seule vérité, et de ne chercher à en recueillir
qu'un seul fruit essentiel '.
111. Or , dans l'intention de S. Ignace, le fruit que
nous devons retirer aujourd'hui de ces exercices , c'est
une vive douleur de nos péchés et une grande abon
dance de larmes; car c’est maintenant, je veux dire
dans cette première semaine, que nous 'devons exci
ter , comme il le dit ailleurs, notre douleur et nos
larmes a cause de nos péchés : non pas une douleur
quelconque, mais une douleur telle, qu’elle nous
fasse sentir au dedans de nous-mêmes la détestation

1 Car , quelques lignes plus haut que l'endroit déjà cité, et


presque à la fin du 5° Exercice , il dit qu'on peut, aux médita
tions sur les péchés et sur l'enfer, en ajouter d'autres sur la
mort, par exemple, et sur le jugement. Remarquez qu'il dit
qu'on peut ajouter ces dernières aux premières , e'est-à-dire les
faire après, mais non pas les traiter ensemble et au même temps.
C'est que, d'après son intention, il importe moins d'observer
'l'ordre naturel de nos fins dernières, que d'avoir en vue le fruit
unique que nous nous proposons de retirer aujourd'hui des Exer
cices, et qui est la douleur et la haine de nos péchés. Or, sans
aucun doute, la considération de l'enfer doit contribuer grande
ment à produire et à faire accroître ce fruit.
2 Direct, c. 39, n" 2. Il faut concevoir la douleur et la contri
tion laplus grande de nos péchés, afin que notre cœur se déprennc
de son alfection 2m choses de la terre.
DOULEUR ET HAINE DU PËCHÉ. . il‘;
de nos crimes , qu'elle nous fasse connaître et abhor
rer la perversité du monde et de nos convoitises, et
qu'elle nous éloigne absolument de oesvanités mon
daines qui sont la source de nos vices ‘. -
Ainsi, le but que nous nous proposons aujour
d'hui , c'est de concevoir une douleur , et une douleur
vive de nos offenses passées, et en même temps une
haine, et une haine eflïcace pour n’en plus commet
tre; une haine qui nous fasse également détester la
source de ces offenses, qui n’est autre chose que l'a
mour désordonné de la chair et de l’élévation. Il nous
faut donc travailler aujourd'hui de toutes nos forces'
pour obtenir avec' plénitude cette douleur et cette
haine ; car , je le répète, de même que toute notre
occupation fut hier d'acquérir une parfaite indiffé
rence de l'âme à accepter tous les moyens , par les
quels Dieu veut que nous arrivions à notre dernière
fin; de même que nous travaillerons demain à obte
ni'r l'humilité , la haine et la connaissance intime de
'nous-mêmes , surtout du défaut qui domine en notre
cœur;.ainsi, le terme de nos efforts aujourd'hui ,
c'est de purifier notre âme par une sérieuse détes
tation de nos fautes et de ce qui en a été la source.
Or, il n'y a point de remède plus eflicace pour
purifier notre âme que le bain salutaire de la péni
tence , qui, comme le remarque le Directoire 2 , con
siste dans la contrition et la confession , deux actes
propres aux pénitents.

1 Ainsi, il nous semble que ceux-là s'éeartent de la pensée de


S. lgnace, qui, après avoir pris, dans la matinée du premier
jour, la fin de l'homme pour sujetde leur considération , veulent
qu'on médite , dans l'après-dîner du même jour, sur le péché
des anges, et le lendemainfégalement dans l'après-dîner, sur
la nîort‘qu lejugcment,remettant en dernier lieu la méditation
sur 'en r. n- -=
2 Direct. , c. Il , n" 3. Dans la première semaine, on proposa
116 11e JOUR. LECTURE.

g n.
I D'abord la contrition. Le saint concile de Trente
la définit une douleur et une détestation des péchés
qu'on a commis , avec le ferme propos de ne plus pé
cher : ce qui revient à dire une douleur jointe à la
détestation de nos fautes passées et une horreur de
tout péché futur. S. Ignace ,' pour l'cxciter en nous
par des moyens naturels, nous interdit les ris et tou
tes les paroles qui peuvent provoquer à rire ; il veut
encore que nous rejetions même toutes les pensées
pieuses que nous trouverions dans le sujet d'un mys
tère joyeux, et il désire que nous entretenions cette
sainte tristesse en notre âme , en tenant notre chambre
dans l'obscurité et en augmentant nos mortifications
corporelles. Il nous fait la première recommandation,
parce que de telles pensées arrêtent la douleur et les
larmes qu'il faut chercher dans cette semaine; il
tient à ce que nous observions la seconde , afin qu’elle
nous obtienne la componction du cœur , la douleur
de nos péchés et l'abondance des larmes.
Mais, prévoyant que cette terreur imprimée à nos
âmes par le spectacle de la punition des anges et d'A
dam , par la considération de la grièveté de nos pro
pres crimes et des tourments de l'enfer qu'ils ont
mérités , pourrait ôter à notre douleur ses mouve
ments les plus affectueux , il a en soin d'ajouter , à la
fin de chacune de ces méditations , quelque motif
dont le souvenir fût très-propre à faire couler nos
larmes. Ainsi , à la fin de la première méditation , il
nous montre Jésus-Christ mourant en croix pour le
péché. Dans le colloque de la seconde et de la troisiè

les moyens qui sont propres à purifier l'âme par la contrition et la


confession , et qui peuvent nous aider à produire en nous les sen
nments d'une sincère pénitence. ' -
DOULEUR ET HAlNE DU PÉCHÉ. “7
me , il nous rappelle la miséricorde infinie. de Dieu ,
qui nous a tant de fois et si longtemps pardonné,
lorsque cependant une infinité d'autres pécheurs,
peut-être moins coupables , ont été précipités en en
fer. Certainement ces motifs , joints à celui de l'in
compréhensible amabilité de Dieu , sont si efficaces ,
qu’ils doivent faire couler abondamment des ruis
seaux'de larmes , si nous en frappons à coups redou
blés, comme avec la verge de Moïse, la pierre de
notre propre cœur. -
11. Voici les autres raisons qui peuvent exciter en
core l'ardeur de notre contrition. Plus cette ardeur
sera grande , 1° plus aussi la grâce sera abondante ;
2° plus il nous sera remis de la dette des peines qui
nous restent à souffrir en cette vie ou en l'autre, selon
la mesure de nos fautes; 3° plus aussi notre cons
tance dans le bien , et le bon propos d'amender notre
vie demeureront fermes , car nous ne retombons si
souvent, que parce .que nous avons bien rarement
une vive douleur ; 4° plus la paix de notre âme sera
solide et inaltérable, étant produite par je ne sais
quelle douce confiance et par quel témoignage puis-
saut et délicieux de notre conscience, qui nous donne
une assurance certaine que nous sommes les amis de
Dieu. Celui, au contraire, dont la contrition est fai
ble , n’a qu'une douteuse espérance du pardon ,
qu'une froide amitié pour Dieu :ses rechutes sont
faciles , sa satisfaction est insuffisante , et ses progrès
dans la grâce sont presque nuls.
Les moyens qu’il faut employer pour obtenir cette
ferveur de contrition si pleine d'utilité, sont : 1° la
prière , dans laquelle on demandera cette grâce avec
instance et persévérance à celui dont la miséricorde
n'a point de bornes et dont la bonté est un trésor
inépuisable. Dans cettte intention , il ne peut être
que très-avantageux de célébrer ou de faire célébrer
H8 11'’ JOUR. LECTURE.
le saint sacrifice, afin d'obtenir la rémission de nos
péchés et de demander en même temps l’abondance
des larmes.
2° Le second moyen , qui est de châtier notre
corps , a une puissance admirable pour rendre le ciel
propice à nos vœux et pour amollir la dureté de
notre cœur. 3° Le troisième consiste à nous représen
ter toute notre vie à la fois , et tous les péchés que
nous avons commis jusqu’alors , repassant , avec le
roi Ezéchias, toutes 72a8 années dans l'amertume de
notre âme ‘; car toutes nos iniquités rassemblées,
ainsi comme en un monceau, sont un moyen eflicace
de faire couler nos larmes; mais rien ne nous servira
autant à produire cet effet que les motifs ajoutés par
notre Saint aux méditations de ce jour, je veux dire
la considération de Jésus crucifié et de la bonté infi
nie de la divine miséricorde.
III. Voyez S. François d'Assise, cet émule des sé
raphins : en contemplant Jésus-Christ mort sur la
croix pour le péché , il se répandit en de tels gémis
sements, qu'un gentilhomme qui passait alors par
hasard crut qu'il était égorgé par des voleurs. Néan
moins , comme il pensait avoir encore peu de don
leur , ce pénitent innocent appelait les rochers d'a
lentour et les entres profonds à pleurer avec lui ; et ,
ô prodige! les pierres qui étaient demeurées si sèches
jusqu'alors , se couvriront , Dieu le permettant ainsi ,
d'une humidité si abondante , que les gouttes d'eau ,
qui en découlaient en quantité, venant se réunir en
semble formèrent de petits ruisseaux; et le Saint ,
tout épuisé , fut transporté dans sa cellule par ses
frères.
O cœurs des hommes durs comme le rocher! quelle
impression vous fait ce prodige? Est-il donc possible

‘Isaîe, c. 38, v. 15.


DOULEUR ET HAINE DU pEcuÉ. ' “9

que la vue du Sauveur suspendu à la croix vous laisse


plus insensibles que ces pierres? Se peut-il donc qu’un
chrétien contemple cette scène d'amour et de douleur
avec des yeux aussi sees que le ferait un infidèle? 0
anges de paix, quipleurez amèrement ‘ ! je vous en
conjure par la mère de douleurs, ah! obtenez-moi
enfin les larmes abondantes d'une pénitence sincère.
On dit qu’en Espagne, un pécheur ayant entendu,
dans une prédication, S. Vincent-Ferrier exalter la
clémence d'un Dieu offensé et sa longanimité envers
les pécheurs , fut saisi d'une si grande douleur de ses
iniquités, qu'il tomba à l'instant sans vie. Et nous,
qui méditons ces -vérités et qui les méditons dans la
retraite, nous demeurons plus insensibles que la
pierre, aucune émotion louable ne se fait sentir à
notre cœur; nous , dis-je, à qui la conscience repro
che d’être coupables , sinon d'autant de fautes , peut
être au moins de fautes aussi graves! Oui, ou nous ne
les croyons pas ces vérités , ou nous n'ap'préoions pas
la malice de nos péchés.
Sainte Catherine de Sienne pleura , avec une si
grande abondance de larmes , une légère curiosité des
yeux qui lui était échappée, qu'elle ne voulut de
longtemps recevoir aucune consolation. Le vénérable
frère Alphonse Rodriguez versa tous les jours, durant
plusieurs années, des pleurs en abondance pour un
seul péché vénicl; et nous , à peine donnons-nous une
larme pour l'expiation de péchés mortels peut-être
très-nombreux. Qui ne détestera pas cette dureté de
notre cœur comparable au rocher E’ Et qu'on ne dise
pas qu’il faut être saint pour pleurer ainsi ;.tout au
contraire, c'est ainsi qu'il faut pleurer pour devenir
saint. Quoi! faudra-t-il donc que les grands pécheurs
eux-mêmes nous couvrent un jour de confusion ?

1 lsaîe, e. 33,11. 7.
420 11° JOUR. LECTURE.
Au jour du jugement, ces illustres pénitents , qui
peuplèrent la Thébaïde, s'élèveront et nous reproche
ront notre dureté. Il s’élèvera ce soldat qui mourut au
pied de la colonne de S. Siméon-Stylite, succombant
à la véhémence de sa contrition. Il s'élèvera aussi ce
noble qui, ayant entendu S. Ulric, religieux de l'ordre
des prédicateurs, tonner contre la malice du péché ,
en fut saisi d'horreur et expira à l’instant. Enfin ils
s’élèveront innombrables ces pauvres gens de la cam
pagne, qui, ayant compris , dans les missions, la
grieveté d'une faute mortelle, auront répandu beau
coup de larmes et se seront même souvent abandon
nés à de longs gémissements. Ils s'élèveront, dis-je , et
nous condamneront; nous , oui nous , qui étant reli
gieux , c'est-à-dire qui, ayant fait profession de l'état
de pénitence , n’avons pas un seul gémissement ,
même durant ces exercices , pour compatir aux dou
leurs du divin Sauveur mourant sur la croix et mou
rant pour nous ; nous qui ne déplorons pas , par le
moindre soupir, l’abus si coupable que nous avons
fait de sa miséricorde et les injures si horribles dont
nous avons outragé sa bonté infinie.
O Dieu! qui manifestez surtout votre puissance en
pardonnant et en faisant miséricorde, qui dissimulez
nos péchés pour que nous fassions pénitence, répan
dez avec clémence dans nos cœurs la grâce de votre
Saint-Esprit, qui nous aide à efl'acer, par nos pleurs
et nos gémissements, les taches de nos péchés ; tirez
de nos yeux des ruisseaux de larmes , qui éteignent
l'ardeur des flammes éternelles que nous avons me'
ritées 1.

g 111.
I- Cette douleur des fautes passées, si elle est

‘ Prière de l'Eglise.
DOULEUR ET HAINE DU encait. 121

vive , sera nécessairement et inséparablement accom


pagnée de l'horreur de tout péché futur; car il est
absurde qu'on puisse se repentir sérieusement du
mal qu’on a déjà commis, si on n'a pas en même
temps horreur de le commettre encore. Pour rendre
cette horreur plus vive et pour en éprouver la sincé
rité, imaginez-vous d'abord que vous avez sous les
yeux ce barbare spectacle qu'Antiochus l'illustre fit
voir à l'univers dans le dernier des enfants de la
mère des Machabées. Le roi était assis sur un trône
élevé , son regard respirait la colère et la rage; les
affreux instruments de sa tyrannie étaient prêts , les
poêles et les chaudières d'airain étaient brûlantes ,
les couteaux et les glaives terribles étaient aiguisés;
autour du jeune Israélite gisaient les têtes de ses frè
res dispersées et séparées de leur tronc , leurs mains
mutilées , leurs pieds coupés, leurs cadavres dépouil
lés de leur peau : représentez-vous, dis-je , avec de
vives couleurs , et méditez cette scène horrible.
Supposez ensuite que vous êtes tout près de la
fournaise de Babylone. Le roi Nabuchodonosor ,
rempli de fureur , commanda que le feu de cette
fournaise fut sept fois plus ardent qu'il n’avait ac
coutumé de 1'être ’. 0h l'épouvantable spectacle !
Quoique l'ardeur de la fournaise fût déjà excessive ,
les serviteurs du roi ne cessaient cependant de l’en
flammer encore davantageavec du bitume , des étou
pes, de la paix et du sarment; en sorte que les flam
mes s'élevaient de quarante coudées au-dessus de la
fournaise 2. Hé bien! imaginez-vous non-seulement
voir , mais encore sentir vous-même ces effroyables
tourbillons de feu, ces masses suffocantes d'une épais
se fumée. ’
Maintenant recueillez votre esprit. Quoi! le plus
lI)an.,c.3,v. l9. —3Dan.,c. 3,v.46et47.
1. 11
122 11° JOUR. LECTURE.
jeune des 'Machabées, cet enfant si tendre et si cher à
sa mère , devait goûter une viande défendue ou subir
la mort la plus cruelle! Ananias et ses compagnons
devaient adorer une statue, ou être précipités à l’ins
tant même dans des flammes brûlantes comme celles
de l'enfer! Figurez-vous maintenant qu'il y ait pour
vous la même nécessité de pécher mortellement, ou
de brûler dans une semblable fournaise , ou d'être
livré comme le jeune Machabée à des tourments égale
ment affreux. Eh bien ! que choisissez-vous ? que vou
lei-vous faire ? '
Là ce jeune héros s’écrie d'une voix généreuse:
Je n'obe'is pas à' l'ordre du roi , mais au précepte de
la loi 1. Ici Ananias, avec ses compagnons, répond ,
plein de confiance : Sachez , ô roi, que nous n'hono
rons pas vos dieux , et que nous n'adorom pas votre
statue d'or 2. Dites maintenant: un airain aussi im
pénétrable défend-il votre cœur ? une égale vigueur
anime-t-elle vos membres ? Ah ! ne serait-il pas bon
teux qu'un tendre enfant , que dejeunes princes nés
dans les délices de la cour , eussent nourri dans leur
cœur une plus grande haine du péché, que vous,
qui êtes chrétien, religieux et même prêtre, n’avez
su la conserver dans le vôtre.
S’il en était ainsi, ô quelle confusion vous donne
rait un jour l'exemple d'Eléazar! Il ne voulut pas
consentir , pour éviter d'horribles tourments et con
server sa vie , à paraître avoir mangé de la viande
défendue; et il s'écrie publiquement et avec un cou.
rage héroïque , qu'il aimait mieux tomber en enfer 3.
Remarquez : en enfer; ce n'est pas le glaive , les bles
sures , la mort même qu'il préfère au péché , c'est
l'enfer.

1H Machab., c. 7, v. se. _ 2nan.,c.s,v.18._ 3111m1


cl1ab.,c. 6, v. 23.
DOULEUR ET HAINE DU PÈCHÉ. 125

II. O cieux! à la vue de ces trois spectacles , que


répondront ceux qui , sans être menacés par un
tyran , ni pressés par la crainte de la mort , ne crai
gnent pas d'oflenser par une audacieuse rébellion ,
de blesser et d'irriter la Majesté suprême , malgré
°idée de l'immensité d'un Dieu qui voit tout , malgré
les terreurs de la céleste justice, contre la voix de
leur conscience , pour un léger gain , un'vil plaisir ,
une honteuse volupté, quoiqu’il soit constant , au
sentiment des saints, que toute oflènse, quelque légère
qu'elle soit, est plus insupportable que les tourments
mêmes de Lucifer, et que le moindre péché cause
seul un plus grand mal que tout l'enfer ensemble. A
cela que répondront , encore une fois, ceux qui n’ont
pas horreur de souiller leur âme par des fautes mor
telles? Qu’ils ont donc lieu de craindre qu’eux aussi,
couverts un jour de confusion , ils ne commencent à
dire aux montagnes : Tombez sur nous . et aux col
lines : Couvrez-nous ‘. Par ces vives représentations ,
qui seront pour vous comme une pierre de touche ,
éprouvez la haine dont vous détestez le péché mortel;
car, quoiqu’il ne soit pas à propos de conseiller d'a
bord cette épreuve à toutes sortes de personnes , il ne
sera cependant pas inutile d'essayer ainsi ses propres
forces, quand on vient de méditer sur la grièveté de
ses péchés. Interrogez-vous donc, et voyez si vous
aimeriez mieux , avec S. Edmond, évêque de Cantor
béry , vousjeter sur un bûcher croient; que de con
sentir sciemment à une faute grave ; ou bien encore,
si vous choisiriez avec S. Anselme de tomber en enfer
plutôt que de pécher mortellement; ou d'entrer pur
et innocent dans cet abîme, plutôt que d’arriver au
royaume des cieux souillé de la tache du péché!
Quoi ! on vous voit sourciller 'l... Mais certainement

1 Luc, c. 23, v. 30.


124 11° JOUR. LECTURE.
cette disposition est nécessaire à votre âme pour son
salut : sans elle point d'entrée au séjour bienheureux.
III. Passant ensuite du péché mortel au péché
véniel , examinez avec attention. quel éloignement
vous en avez. Demandez-vous à vous-même': Quoi ! si
par un léger mensonge je pouvais me délivrer d'une
maladie mortelle, d’une grave infamie, d'un cruel
supplice; si je pouvais obtenir une place honorable,
ou éteindre un incendie qui vient d'éclater, ne men
tirais-je pas l’... Ecoutez bien ce que répond votre
conscience... Il sera encore utile de se rappeler à l’es
prit certaines oecasions, certaines tentations que nous
avons eu de pécher vénicllcment , par exemple , tels
lieux , telles personnes , telles affaires , qui, jusqu'à
présent, nous ont fait le plus souvent tomber en ces
sortes de fautes : ainsi, nous nous armerons contre
nos fautes favorites, en nous appliquant à les détester
et à les désavouer par avance, et nous nous propo
serons nommément de les fuir , en renouvelant sou
vent dans nos cœurs l'horreur qu'elles méritent. Tels
sont les moyens par lesquels on augmentera de beau.
coup et on conservera en soi cette haine que nous
avons déjà recommandée, des fautes à venir , tant
mortelles que vénielles. Cette double horreur des
fautes mortelles et vénielles, étant profondément im
primée dans notre âme , est comme un premier essai
qui nous ouvre la voie et dispose notre cœur au pre
mier et au deuxième degré d'humilité que S. Ignàkee
propose pour la fin de la deuxième semaine. Tout ce
qui vient d'être dit fait briller encore la liaison ek
l'ordre admirable des méditations entre elles. En voici;
assez pour ce qui regarde la contrition.
DOULEUR ET HAINE DU PÉCHÉ. 125

S N.
Quant à la confession , qui est le second moyen de
purifier notre âme , quoique saint Ignace estime qu'il
convient de ia/'aire après les exercices de la première
semaine, il place néanmoins, dès le commencement,
I'examen général de conscience, qui nous doit être
d'un secours très-utile pour purifier notre âme et
faire une bonne confession de nos péchés. Comme
tout exercice de la retraite doit toujours demeurer in
tact. cet examen doit se faire aux heures qui ne sont
marquées pour aucun autre exercice, comme serait le
temps d’après le repas ou durant le travail des mains.
Et quoique, dans cet examen approfondi de l'état
de notre cœur , nous devions nous garantir d’une trop
grande inquiétude, qui nous entraînerait dans beau
coup de scrupules , il faut cependant aussi y apporter
un tel soin, qu'il nous devienne pour la suite , et sur
tout pour l'heure de la mort, comme un bouclier
contre les terreurs de la nuit 1, et comme le fonde
ment assuré du repos et de la tranquillité de notre
âme. Nous y mettrons toute la diligence convenable
suivant : 1° la longueur du temps pendant lequel on
a différé cet acte d’expiation de ses fautes , 2° la multi.
tude et la grièueté des péchés qu'on a commis , 3° la
nature des affaires qu'on a faites , 4° la diversité des
emplois qu'on a remplis.
II. Il faut laisser au jugement du confesseur de dé
cider si l’on devra faire une revue de toute la vie, ou
seulement du temps qui a suivi la dernière qu'on a
faite, ou même simplement d'une année. On peut voir
là-dessus ce qu'en dit le Directoire. Cependant il fau
dra toujours détourner de la confession générale les
personnes scrupuleuses et celles qui ont été autrefois
1 Cantiq. , c. 3, v. a.
426 11° JOUR. LECTURE.
sujettes au vice de l'impureté , ou qui en éprouvent
même encore de fortes tentations; car l'examen trop
exact auquel elles se livreraient leur serait plus nuisi
ble qu'utile.
Néanmoins, quelque confession que l’on fasse, soit
générale, soit annuelle ou de six mois seulement, il
faudra toujours s'appliquer à déclarer au juge de no
tre âme principalement les péchés qui n'ont pas été
encore bien confessés, ceux qui nous inquiètent et qui
nous tourmentent davantage , ceux enfin que nous
craignons devoir nous troubler à la mort.
Nous devrons encore examiner, avec un soin tout
particulier, nos péchés secrets et les péchés d'autrui
dont nous serions coupables 1,' le bien que nous avons
omis et les devoirs que nous avons négligés; et nous
nous appliquerons, en les exposant à l'arbitre de
notre conscience, à employer les mêmes expressions
dont le démon se servira un jour lorsqu'il nous en
accusera.
En un mot, nous devrons faire cette confession avec
autant de soin que si nous devions mourir incontinent
après, et comparaître au tribunal de Dieu, de sorte
que nous acquérions à notre conscience le' témoignage
intérieur et comme l’assurance que nous avons bien
réglé , dans ces exercices, les comptes de notre âme ,
et qu'il ne reste plus rien d'inquiétant à revenir. Ce
lui qui sort de cette retraite sans avoir acquis ce té
moignage, s'en retire privé du fruit le plus désirable
et de la plus inappréciable consolation.
111. Mais il y a surtout deux obstacles qui s'opposent
trop souvent, par malheur, au succès d'nne si sainte
entreprise : ce sont la peine qu'exige l’examen de nos
péchés , et la honte qu'il faut surmonter ensuite pour
les découvrir. Pour ce qui regarde la peine que cet

1Ps.l8,v. 13.
DOULEUR ET HAINE DU pEcnE. 127

examen exige , on la diminuera beaucoup , on la ré


duira même presque à rien, si l'on considère bien
qu'on retire d'une telle confusion les avantages sui
vants : 1° une connaissance plus parfaite de la malice
qui est renfermée dans le péché , 2° une douleur plus
vive de nos fautes, 3° une résolution plus efficace de
les éviter, et un secours du ciel plus puissant , 4° une
meilleure préparation à la réception de l'Eucharistie,
5° une plus ferme espérance du salut, 6° la joie d'une
conscience calme à notre dernière heure : tel est le
précieux centuple dont Dieu a coutume de récompen
ser, même en cette vie, les pieux efforts que nous
faisons pour nous connaître'nousmêmes. Mais n'y
aurait-il pas d'autre utilité, ce sont les paroles du
Directoire, nous en tirerions toujours une assez
grande , dans la conviction qui en résulterait que les
hommes , pour la plupart du temps , s’approchent du.
tribunal sacré sans un examen sufisant , sans une
douleur convenable , ou sans résolution d’une meil
leure vie, ou tout au plus avec un bien faiblepropos ‘.
[l y a donc une vraie et solide consolation à réparer
nos anciens défauts par une confession exacte dans
cesjours de salut , et à fermer ainsi toute entrée aux
scrupules qui sans cela s'élèveraient au moment de la
mort.
Pour vaincre généreusement cette honte dangereuse
et superbe qu'on éprouve à découvrir les plaies de
son âme , S. Augustin nous fournit les motifs sui
vants : le premier est pris de la personne même du
pécheur: Pourquoi rougissez-vous , dit-il , de confes
ser ce que vous n’avez pas rougi de faire? N'ayez
pas honte de. déclarer à un homme ce que vous n'avez
peut-être pas eu honte de faire devant plusieurs et
avec plusieurs.

‘(3.16,1 2.
428 11° mon. LECTURE.
La deuxième se tire de la personne du confesseur :
0 homme! pourquoi craignez-vous de vous confes
ter .9 Ce que je saispar la confessiomje le sais moins
que ce que j'ignore entièrement. Pourquoi rougissez
vous de confesser vos péchés .9 Je suis un pécheur
comme vous ; vous êtes homme, confessez-vous à un
homme ; pécheur , découvrez-vous à un pécheur qui
peut commettre les mêmes crimes et de plus grands
encore ; car il n'y a point de péché qu'un homme ait
déjà fait et qu'un autre ne puisse pas faire.
Le jugement universel est le troisième coup dont
le saint Evêque d'Hippone frappe et anéantit ce mal
heureux prétexte d'une fausse honte. Voici ce qu’il
dit : Il vaut bien mienx maintenant supporter un
peu de confusion devant un homme , que d'être acca
blé au jour du jugement devant des millions d’hom
mes , par l'ignominie d'une réprobation flétrissante.
Considérez donc que votre confesseur sera un de
ceux qui se trouveront à cejugement , et ne rougis
sez pas de lui découvrir, pour votre plus grand bien,
ce qu'il connaîtra alors clairement, mais à votre
honte et avec le plus grand méprispour vous ’. Telles'
sont les pensées de S. Augustin : ajoutez-y qu'il faut
ou vous repentir ou brûler.
Pour Dieu , pour le ciel , pour votre âme , ne rou
gissez donc point de dire la vérité ; car il y a une
confusion qui fait tomber dans le péché , et il y en a
une autre qui attire la gloire et la grâce 2. Vaincre
cette honte dans une sincère confession et en triom
pher , c'est, au témoignage de S. Grégoire, une action
héroïque et tout à fait glorieuse. Je n'admire pas
- moins , dit-il , une humble confession des péchés que
les actes sublimes de la vertu , puisqu'il faut souvent

1 Liv. de la visite des malades.


' EccL, c. 4, v. 24 et 25.
DOULEUR m' HAINE DU PÉCBÉ. 129

plus de courage pour avouer une faute que pour n'y


pas tomber.
IV. Par ces deux moyens , d'une vive contritian et
d'une confession sincère , on parviendra à purifier
son âme , ce qui est le deuxième fruit de la première
semaine; car le premier fruit , c’est l'indifl'érence
que nous avons recommandée hier. Mais, parce que
l'âme ne peut pas être suffisamment purifiée jusqu'à
ce qu'on en ait arraché la racine des vices , qui con
siste principalement dans l'orguez'l et la sensualité ,
j’ai déjà donné plus haut cet avis très-utile, que,
toutes les fois que nous nous exciterons, dans les
exercices d'aujourd'hui , à détester la grièveté de
nos fautes , il nous faudra porter un regard atten
tif sur la source d'où elles proviennent, afin que nous
ahhorrions toujours le désir des honneurs et des aises
de la vie. Dans cette intention, nous suggérerons ,
dans la considération de ce soir, plusieurs motifs qui
nous détermineront plus eflicacement.
Cependant nous nous proposerons principalement,
dans l'exercice qui va suivre, la douleur des péchés
passés et l'horreur des péchés futurs : ce qui est le
premier-but des exercices d'aujourd'hui et le secours
le plus eflicace pour purifier notre âme. C'est pour
quoi, après avoir détesté ce matin la malice du péché
commis par les anges et par Adam, nous allons main
tenant méditer la malignité des péchés que nous
avons commis nous-mêmes : celui qui la comprendra
bien pleurera comme on pleure la mort d'un fils
aîné ‘ , il tombera dans un terrible efi'roi 2 ; mais il
y trouvera en même temps la vraie préparation pour
arriver à la connaissance de soi-même , d'où naissent
ensuite la haine de soi-même et l'humilité.
Remarquons qu’il ne faut plus rappeler nos fautes

1 Zach. ,c. '12, v, 10. — 2Gen.,c. 15, ‘1.1%.


i50 11° 101m. LECTURE.

à notre mémoire séparément et distinctement , mais


seulement d'une manière vague et générale , briève
ment et comme en passant, parce que nous ne fai
sons pas encore notre examen pour la confession ,
mais une simple méditation sur la malice de nos pé
chés , que trois raisons rendent véritablement mons
trueux : 1° le' nombre et la laideur de nos ofl'enses ,
2° la bassesse et l'ingratitude de celui qui ofl'ense , 3'
la majesté et la clémence de celui qui est offensé:
telle est la division des trois points que S. Ignace
propose à nos réflexions dans cette méditation des
péchés , pour que nous connaissions 1° la ma
lice des péchés , 2° leur laideur , 3° et tout ensemble
notre objection et notre bassesse; afin que notre âme,
en étant convaincue , en conçoive une détestation ac
compagnée de douleur et d'une satisfaction convena
ble ‘. Le père Gaudier a donc raison de dire que cet
exercice contient absolument tous les motifs qu'on
peut imaginer pour nous porter à la détestation de
nos fautes.
Note. Ceux qui ne veulent pas consacrer deux
jours , mais un jour seulement , aux méditations des
péchés et de l'enfer , omettront le deuxième point de
la méditation suivante , qu’ils peuvent lire dans un
autre temps, par exemple durant le quart d'heure
destiné à la préparation de cette méditation , et ils ne
considéreront que le'deuxième et le troisième point ,
si cet exercice tout entier leur paraît trop long.
1Direct, c. 1l , n" 2et 3.
DOULEUR ET aime ce PÉCHÉ. 151

Ile MÉDITATION.

DE Nos PROPRES PEcnEs.

Premier Point.

Le nombre et la laideur de nos offenses contre


Dieu en rendent la grièveté et la malice véritablement
monstrueuses. 1° D’abord la laideur d'un seul péché
mortel est si difforme , que la beauté de Dieu , autant
qu’elle est infinie, l'a en horreur et en exécration ;
elle lui porte une haine continuelle, implacable et
nécessaire; elle le regarde comme le mal qui est le
seul contraire , le seul opposé , et qui répugne invin
ciblement à son souverain bien. 2° Le péché imprime
une telle souillure, qu'elle ne pourrait être efl'acée
ni par le déluge de Noé, ni par l'embrasement qui
consumera l'univers à la fin du monde , ni par le sang
répandu des martyrs et de toutes les victimes : le sang
d'un Dieu pouvait seul dignement la'laver et l'cffacer
tout entière: 3° Il y a tant de déréglement à le com
mettre, que si , par une supposition impossible ,
l'âme de la très-auguste Mère de Dieu , ou la nature
humaine de Jésus-Christ venait à être souillée d'une
seule faute mortelle , bientôt l'une et l’autre, dépouil
lées de tout l'éclat de leur gloire, tomberaient sur
les charbons affreux de l'enfer. 4° En péchant , dit
S. Thomas 1, nous nous détournons tout à fait de
' Dieu; et de même que l'entier abandon du bien sur
prêmc, de la suprême Sagesse, de la suprême Ma

' 1 L'abandon du bien immuable , qui est Dieu , est la raison


formelle et complétive du péché. '
152 11° JOUR. 11’ MÊDITATION.
jesté , est le souverain mal, la souveraine folie et la
dernière dégradation , de même aussi l’entier éloi
gnement de la souveraine 'beauté n'est que la diffor
mité la plus hideuse. Un tel éloignement étant un
péché mortel, est donc évidemment tout à fait bon
teux et avilissant au dernier degré : bien plus, -sa
turpitude est , sous un rapport , infinie comme sa
malice; en sorte qu'aucune plume, aucune langue
ne pourrait en exprimer la laideur , et aucune intel
ligence humaine ne saurait la comprendre.
Et cependant, ô malheureux! tu n'as pas craint .
d'imprimer en ton âme une tache si honteuse , de
déshonorer ainsi, de profaner, de souiller l’image de
ton Créateur ; et tu l’as fait tant de fois: tu as multi
plié leur nombre , surtout celui des péchés véniels;
car ceux-là aussi, au sentiment des Pères, sont des
taches, des souillures , des pustules et une pourriture
de l’âme ; tu l'as multiplié au-dela' des grains de sa
ble de la mer ‘. O cieuxl si une seule pensée de ré
bellion a rendu si difformes et si haïssables Lucifer et
ses partisans, ces chefs-d'œuvre de beauté , en quel.
état paraîtrai-je aux yeux de Dieu, moi qui ai commis
par centaines des actions coupables, en riant, sans
remords et par pure méchanceté ?
2° Assurément mes crimes, multipliés et montés à .
leur 'comble, attestent que je suis plus dégradé que le
démon. O mon Dieu, qui sondcz les reins et les cœurs,
aux yeux de qui rien n'est caché! ah! comme Antic
chus, je me rappelle avec un triste gémissement les -
maua." que j’ai faits dans le cours de ma vie 2 Hélas!
les trois puissances de mon âme, qui auraient dû ré
fléchir , comme un miroir fidèle, votre divine pré
sence; qui auraient dû être le tabernacle d'or de la '
Divinité , la demeure continuelle de la Trinité adora

1P9. 133, v. 18. — 2 Illlacclr, c. 6, v.12.


1

son NOS paopaes pécm'zs. 135


ble, ont été le réceptacle de tous les maux , le repaire
de toutes les turpitudes, l'abomination de la désola
tion établie dans le lieu saint 1.
Mon imagination était remplie des plus vaines ima
ges ; mon esprit s’abandonnait honteusement aux
pensées les plus vicieuses , ma volonté se rendait cou
pable de péchés sans nombre. Les cinq sens de mon
corps se plongeaient dans la fange; ils étaient les ins
truments de toutes sortes d'iniquités , et des portes
ouvertes à tous les vices. Toute la suite de mes années
n'est qu'un enchaînement d'erreurs et d'essais de pé-
nitence. L'ensemble de mes actions journalières four-
mille de défauts et de divers manquements. Hélas!
tout jeune encore , j'étais déjà un grand pécheur.
Devenu plus grand, ma malice s'est accrue avec mes
forces. Ma jeunesse, ô souvenir honteux! était souvent
'esclave d'une passion déshonorante.. Des mouvements
dépravés m'assiégent dans la maturité de l'âge. Peut
être ma vieillesse suhira-t-elle la domination invété
rée de ma nature corrompue. En un mot, toute ma vie
n'est qu’un péché continuel. 0 qui donnera donc à
mes yeux une source de larmes 2 pour pleurer la mal
titude de mes égarements ? qui mettra dans mon
cœur une vive haine pour en abhorrer la laideur 5'
'0 mon Dieu! je suis couvert de confusion, et je
. rougis de lever les yeux devant vous , parce que mes
iniquités se sont multipliées au-dessus de ma tête, et
que mes péchés se sont accumulésjusqu'au ciel 5. La
multitude et la laideur de mes crimes me rendent
indigne de regarder et de voir la hauteur des cieux .
mes ofl'enses surpassent le nombre des grains de sa
ble de la mer 4. Je suis devenu devant vos yeux comme

llllatth.,el2t,v.15.f- mais, c. 9, v. 1. — 3 1 Esdm,


c. 9, v. 6. — _4Prière de Manassèa.
434 11° Jeon. 11° MÉDITATION.

un fruit avorté que la lèpre du péché a déjà'dévoré ‘


entièrement.
Deuxième Point.

La grièveté' de l’offense s’accroît encore énormé


ment par la bassesse et l'ingratitude .de celui qui la
commet. 1° La bassesse de l'homme est extrême , à
cause du néant de son origine, de son. impuissance
dans ses actions , de sa corruption et de sa pourriture'
après sa mort, des misères de son corps et de la malice
de son âme, de l'ignorance de son esprit et de la dé—
pravation de sa volonté. Un pécheur n’est.rien, com- '
paré à tous les hommes ensemble; tous les hommes à
la fois ne sont rien , comparés àun seul ange; tous les
anges réunis ne sont rien en comparaison de Dieu;
et que peux-tu donc être, toi pécheur , comparé à la '
divine Majesté?
Et cependant , ô colonnes du ciel, soyez ébranlées!
et cependant cette poignée de cendres, cet amas de
boue, cette enveloppe d'infection plus dégoûtante
que le fumier, plus vile que la poussière et le néant;
ce peu de cendres lui-même a étendu la main contre
Dieu, et s’est révolté contre le Tout-Puissant. Il a
couru contre lui la tête haute , il s'est armé d'un or
gueil inflexible 2. Il a dit avec Pharaon. : Qui est ce
Seigneur, pour que j’écoute sa voie ? Je ne connais
pas le Seigneur 3. Ce ver si vil , si souillé , si méprisa
ble a osé rejeter Dieu derrière lui 4. O astres du ciel,
retirez votre lumière! Dieu... rejeté derrière lui..., en
préférant une passion insensée à sa volonté très-sainte.
0 anges! de quoi êtes-vous ici le plus étonnés, ou de
l'insolence de l'homme insultant si audacieusement à

lNomb.,c. 12,12'. 12.- 2 Job,'c. l5,v. 25m 26 — 3Exod..


c. 5, v. 2. — 4Ezéch.,'c. 93, v. 35. .
son NOS PROPRES pÉcuÉs. 155

son Créateur , ou de la patience de Dieu qui supporte


avec tant de bonté un monstre pareil?
2" L'ingratituele qui accompagne cette bassesse y
ajoute une mesure excessive d'iniquité. Dieu, ô pé
eheur, t'a comblé de bienfaits sans nombre, dont le
prix est infini, l'utilité très-grande, bienfaits inesti
mables , eu égard à la majesté du bienfaiteur , la gran
deur du don. et la bassesse de celui qui les a reçus.
Ces bienfaits Dieu t'en a comblé d'une manière tout
à fait singulière , je veux dire avec un amour éternel,
puisqu’il t'a aimé aussitôt que lui-même, avec un
amour infini , avec cet amour dont il s’aime, enfin
avec- un amour purement gratuit, sans aucune né
cessité, sans aucun avantage pour lui.
Et ces bienfaits signalés , c'est Dieu..., ô Nom ado
rable! Dieu 'qui se suffit à lui-même, parfaitement
heureux en lui-même, qui n'a besoin de personne;
c'est Dieu qui t'en a comblé avec un amour si incom
préhensible.... : il t'en a comblé , toi esclave révolté ,
toi qui n'es qu'une goutte de la rosée du matin ‘ , une
feuille que le vent emporte 2, une fumée qui s'éva
nouit bientôt 5. et un néant tout formé de vices et de
misères; il t'en a comblé sans aucun mérite de ta
part , même en prévoyant le nombre si grand de tes
péchés, et par préférence à tant d'autres , qui auraient
été meilleurs que toi et qui l'auraient servi avec plus
de ferveur. -
Et cependant , ô cieux ! frémissez d'étonnement ,
pleurez, portes du ciel et soyez inconsolables 4 ! et
' cependant , ô cœur insensible! tu as osé attaquer ,
avec une brutale ingratitude , ce Seigneur lui-même ,
ton souverain bienfaiteur , briser son joug , t’arrw
cher à ses liens et dire : Je ne servirai pas 5; O inso

.1Sa.,c.l1,
g v.23.-—2Job 2 c. l3,c.'î7.5.-— 3Jac ‘I .,c.-l0,
v.15. —"Jérém., e. 2, v.1'2. —- 5 Ibid.,e. 2, W99.
156 il° mon. u‘ MÉDITATION.
lence impardonnable! tu as abusé pour pêcher de ses
dons mêmes et de ses faveurs; tu as fait servir effron
tément à l'irriter tes sens , les talents de ton esprit ,
les dons de la nature, surtout celui de la santé- Ah !
que tes membres, saisis d'horreur pour de tels excès,
demeurent immobiles, et que ta voix s’éteigne sur
tes lèvres.
0 Seigneur! je suis plus ingrat que tous les ani
maux , qui, du moins , ne vous offensent pas; je suis
plus ingrat que les infidèles et que tous les païens , à
qui vous n'avez pas accordé autant de bienfaits qu'à
moi; plus ingrat que les démons eux-mêmes, à qui
vous n'avez pas donné votre Fils pour rançon. Je
l’avoue, mon ingratitude jointe à ma bassesse , aug
mente sans mesure la grandeur de mon péché; mais
pardonnez à mon sincère repentir.... , soyez touché de
mes bonnes résolutions.

Troisième Point.

Enfin , ce qui donne à l'ofl'ense le dernier degré de


malice, e’est la majesté et la clémence de celui qui
est offensé. Sa majesté , elle est incompréhensible aux
intelligences mêmes des chérubins; prosternés et la
face couverte de leurs ailes , ils ne peuvent que l'ado
rer. Et pourquoi nous en étonner? Il est , en eflet ,
le roipuissant et infiniment redoutable ‘ ; il est le
Seigneur assis sur son trône , et toute l'armée du
ciel est autour de lui à droite et à gauche 9 ,' ceux
quiportent le monde fléchissent sous lui 5 : il soutient
de trois doigts toute la masse de la terre 4, et il
a dans sa main l'cîme de tout ce qui a 'vie 5. Et
c'est cette majesté si redoutable que vous avez osé

1Eccl.,e. 1, v. 18. —2 llParalip., e. l8.v. l8. —— 3 Job,c.


9, v. 13. — ‘ [mie. c. 140, v.12. -- liJob, c. 12, v. 10.
son NOS mopnes PÉCIIÉS. 137

irriter, vile poussière, vous que le moindre sou/île


dissipe ‘ !
O malheur déplorable! Considérez , je vous en prie,
méprisable ver de terre , quel est celui que vous avez
attaqué! Oh! il est le fort, le Tout-Puissant 2 : il
pouvait, au moment où vous l'avez offensé , vous li
vrer (i l'enfer 5. Il est sage ‘ : son œil pénétrant et
présent à tout, n’a point ignoré le péché que vous
avez commis. Il est saint 5 : sa sainteté est par
faite 0 , ses yeuzc sont purs et ne peuvent regarder
l'iniquité 7. Le déplaisir que lui a causé votre crime,
était plus grand que toute la joie qu'il ressent des
actions héroïques de tous les bienheureux. Et cepen
dant vous avez osé , par l'infection horrible du péché ,
souiller les regards si purs du Tout-Puissant, dujuge
infiniment saint et en sa propre présence; vous l’avez
osé ayant la foi de ces vérités!
2° Vous l’avez osé dans le temps même où sa clé
mence infinie a arrêté ses foudres, et n’a pas permis
au tonnerre de sa vengeance de vous frapper. Il a re
tenu l’indignation des bêtes qui allaient vous dévo
rer; il a enchaîné les démons qui vous auraient dé
chiré par morceaux et jeté dans la prison de l'enfer.
Déjà toutes les créatures étaient armées contre vous
et prêtes à le venger 8, et il s’y est opposé : la voix de
vos crimes s'élevait sans cesse de la terre et demandait
hautement justice au ciel, et il vous a pardonné, il a
dissimulé vos pécbésafin que vous fassiez pénitence 9;
bien plus, il vous a gardé comme la prunelle de ses
yeux, il vous a porte sur ses épaules ‘0 , il vous a mis
dans son sein comme une nourrice a coutume de por

1 S. Bern. -—— 2 Job, c.9,v.!4. — 3Matlh.,c. l0,v.28. -—


‘Job, c. 9, v. 1o. -— 5Josué,c °M,v. l9.—°Exod.,c.l5,
v.1l. —'7Habac.,c. 1, 17.13. -— 8 Sag., c. 5,v. 18.
9 Ibid. , c.1l, v. 24. — 1° Deutér. , c. 32 , v. 10. 12 J
1.
438 n" JOUR. 11° MÉDITATION.
ter son petit enfant ‘. Il vous a aimé, non pas, il est
vrai , d'un amour de dilection , qui n'est réservé
qu’aux justes, mais de cet amour de bienfaisance,
par lequel il fait lever son soleil sur les bons et sur
les méchants”, et par lequel aussi il s’est en tout
temps souvenu de vous 5 pour vous faire du bien ‘.
Dites maintenant si la majesté et la clémence de ceDieu
oflensé ne rendent pas abominable l'offense que l’on
commet contre sa divine justice.

AFFECTIONS.

1” Acte de douleur. O Seigneur lje vous ai offensé;


moi... , vil néant; vous...., le plus beau des êtres : un
ver méprisable a offensé le suprême Monarque; un
esclave, son Maître; la créature, son Créateur ; un
homme , son Dieu, un tel Dieu , un Dieu si grand... ,'
après tant de bienfaits...., par un mépris si coupable
et une ingratitude si brutale... , pour un rien , pour
un léger profit , pour une sensualité honteuse , pour
un plaisir infâme, dont le seul souvenir me fait rou
gir... ; par pur libertinage, par méchanté, sans y
être forcé par aucun tyran , sans y être contraint par
aucune menace...; et je vous ai offensé, ô Dieu de
toute sainteté! en votre présence, sous vos yeux ,
malgré vos menaces de l’enfer et vos promesses du
ciel...; dans le temps même où la disposition toute
paternelle de votre cœur à répandre sur moi de con
tinuels bienfaits , m'a favorisé des plus grandes grâ
ces, dans le temps où vous me receviez avec un amour
infini, et me réchauflËiez comme un fils dans votre
sein.... J'ai fait le mal si souvent...; j'ai accumulé mes
péchés comme une montagne..., après un pardon ac

1 Nomb.,c. Il ,v.l2. -— 2lrlattlL, c. 5, v. 45. —3 P5. 113,


n12. —4 Zach., c. 8, v. 15.
sUR NOS PROPRES PÉCHÉS. 159

cordé mille fois... Ah ! j'ai honte de moi-même... ; je


me repens...; je suis dans l'affliction...; je verse des
larmes.... O queje voudrais que mon cœur fût brisé
par la véhémence de ma douleur!
2° Acte de bon propos. Mais , Seigneur , plus de
péché; oui, plus de péché. En présence de toute la
cour céleste, devant votre divine majesté, je déclare
hautement que je préfère mille fois supporter la
perte de tous les biens et de tous'les' honneurs , mou
rir au milieu des souffrances et des tourments les plus
cruels que de vous offenser désormais , même par un
péché véniel, surtout par tel 1V. .ou tel 1V. ; et c'est
de toute la force de ma volonté, avec la plus mûre
réflexion et un plein consentement, que j'en prends
la ferme résolution. Que ma langue s’attache à mon
palais , que mes yeux ne voient plus la lumière , que
mes oreilles soient fermées , que mes mains se dessè
chent , et qu'enfin tout mon corps lauguisse, plutôt
que vous permettiez que j'en abuse encore pour vous
offenser.
3° Acte d'humilité. Hélas! la confusion couvre mon
visage ’ , toute mon âme n'est qu’une blessure livide,
une plaie enflammée : depuis la plante des piedsjus
qu’au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en
elle 2. Oui, je suis un homme inutile et abominable ,
parce quej'ai bu l'iniquité comme l'eau 7’ , parce que
mes iniquités se sont élevées au-dessus de ma tête 4 ,
et se sont multipliées au-delà du nombre de mes
cheveux O maudit orgueil! qui as été le principe
de toute ma perte 6 , je te déteste de toute mon âme,
je t'ai en horreur et en exécration comme la source
infernale de tant de maux : il n’y aura plus en moi ni
pensées , ni paroles , ni actions qui ressentent le dé

1l’s.4l3,v.16.-——2Isaïe,c.I,v6.'——3Job,e.l5,v.l6. —
"Ps. 37,v. 5. — 5 Ibid. 89, v.13. — 6Tobie,c. 4, V. N.
140 n'' JOUR. n‘ MÉD1TATION.
sir de l'élévation. Et vous, ô mépris , injures et oppro
bres! venez tous à moi, et attaquez-vous à moi pour
venger le mépris que j’ai fait de Dieu.
4° Acte de haine de soi-même. O détestable amour
de la sensualité ! c'est toi qui m’as fourni des armes
pour attaquer mon Dieu, c’est toi qui as été la cause
de tant de crimes; mais maintenant, à mon. tour , je
vais aussi moi-même tirer vengeance de toi. La sen
tence est portée : qu’il soit détruit ce corps de péché ‘.
Courage donc , ô mon âme ! fais de généreux efforts ;
enflamme-toi , comme S. Bernard, d'une divine colè
re, et , saintement irritée contre toi-même, écrie-toi
avec cet illustre pénitent: Que Dieu se lève, que la
chair périsse, que l'homme ennemi soit méprise; ce
contempteur de Dieu, cet amateur de soi-même , il
est coupable de mort ; qu’il soit crucifié. Désormais ,
que l’amour de la sensualité , que le désir de l'éléva
tion ne me détourne pas de votre service , qui est ma
dernière fin , et ne fasse point perdre à mon âme
l'indifférence qu'elle s'est proposée hier.

GONSIDÊR ATION.
DE LA DOUBLE RACINE DES PÊCHES.

Il ne suflit pas de détester nos péchés avec une vive '


douleur et une haine profonde. Cette exéeration doit
s’étendre aussi jusqu’à leur racine; autrement on
n’aura pas entièrement purifié son âme ni la source
des vices , on n'obtiendra point la précieuse indifl'é

‘Rom.,c.8,v. 6.
son LA DOUBLE RACINE 1ms pÉcaÉs. 441
rence qu'on se propose, et on ne tendra pas directe
ment à sa dernière fin. Aussi ai-je dit plus haut , dans
la lecture spirituelle, S I , n° 3, et avec intention ,
qu'en nous livrant aujourd'hui à de plus vifs senti
ments de douleur et de haine pour les péchés que
'nous avons commis, nous devons en produire des
actes qui remontent jusqu’à la source même de nos
fautes; car le second fruit de 'ce jour consiste à détes
ter la cause de nos iniquités.
Or, deux choses constituent ce funeste germe : l"
la première, c'est le désir d'exceller , ou l’orgueil ; 2°
la seconde, c'est la soif des jouissances , l'amour de
soi-même , ou la sensualité : c'est de là que presque
toutes les fautes, soit mortelles, soit vénielles, dont
nous souillons notre conscience, sortent comme d'un
germe fécond , celles-là mêmes qui ont pour mère
l’avarice, qui est aussi une troisième source de nos
péchés ". La sainte Ecriture nous atteste que tous les
maux ont commencé par l'orgueil2; et S. Thomas
nous enseigne que l'orgueil est la cause première de
tout mal. Nous devons en dire autant, suivant la
doctrine de S. Ambroise, de l'amour de soi-même . du
'désir des jouissances. C'est la voix de la raison,
appuyée des leçons de l’expérience : en effet, comme
cet amour, ainsi que l'explique S. Thomas, est une
convoitise de quelque chose qui flatte les sens , et que
l'âme reçoit cette délectation par le moyen des orga
nes du corps , comme de la. vue , du goût, du tou
cher, ete., il s'ensuit que même cet amour est la
source honteuse de toutes les fautes qui se commettent
par les sens. La considération des effets que produit

1 Le désir de posséder les biens de la terre naît, le plus sou


vent , de l'orgueil etdela sensualité, car nous ne soupirons après
ces biens que parce qu'ils servent à notre ambition et aux jouis
tances de notre corps. — 2 Tobie , c. 4, V. N.
{42 ne J01m. cousmémnom,
le péché va nous fournir un grand nombre de remè
des contre cette double maladie.
I. Le premier remède à ces deux sortes de maux ,
c'est la considération sérieuse et le sentiment profond
de la laideur d’une âme infectée de semblables pé
chés; car la vive représentation qu'on s'en forme nous
remplit nécessairement de haine et de mépris de nous
mêmes. Dans le premier point de la deuxième médi
tation , j'ai essayé de montrer brièvement l’horrible
difformité de cette laideur. J’ai fait ce que j'ai pu,
mais en vain; car certainement c’est une chose au
dessus de tout langage humain que de la montrer
telle qu'elle est.
Réunissez ensemble tout ce que les maladies ont de
plus dégoûtant , toutes les infections des fumiers ,
toutes les immondices des prisons, toutes les pourri
tures des cadavres; ajoutez-y tout ce que l'univers
renferme de corruption, d'ulcères , de sanic, de gan
grène ; accumulez encore tout ce que les serpents, les
dragons ont d'horrible et d'effrayant, tout ce qu’ils
nourrissent et rejettent de venin; joignez-y même
tout ce que la nature impuissante a jamais produit ,
depuis la création , de putride , de diflorme ; tout ce
que les spectres de l'enfer ont d'cmpesté, d'affreux et
d’épouvantable; en un mot, ramassez tout ce que le
monde , dans sa vaste étendue, peut contenir de détes
table dans les cavernes de la terre les plus profondes,
dans les autres des rochers et dans les abîmes de 1'O
céan , eh bien ! tout ceci n’est rien , comparé à cette
horrible laideur, à cette lividité dégoûtante qui défi
gure une âme coupable d'un seul de ces péchés.
Un seul péché d’un moment , et un péché de peu.
sée, commis par Lucifer , cet ange d'une si grande
beauté, le transforme aussitôt en un démon si af
freux. que son seul aspect est un des plus grands
tourments des damnés ;aussi une sainte préféra-t-elle
DE LA DOUBLE RACINE DES PÈCHÊS. 145
marcher pieds nus jusqu'au dernier jour du juge
ment , sur des charbons embrasés , plutôt que de voir
une seconde fois, même un seul instant, cet horrible
démon. -
Si donc un seul péché de pensée , et d'une pensée
passagère, produit une laideur si grande et si abomi
nable , s'il rend si hideux le plus beau des séraphins,
hélas ! quelle laideur imprimera-t-il à votre conscien
ce , ô pécheur! quelle révoltante difformité cause
ront en vous tant et de si différents péchés , tant de
pensées , de paroles et d'œuvres mortellement ou
véniellement coupables , tant de criminelles actions ,
tant de péchés d'autrui, et de péchés cachés dont
vous avez souillé votre âme ! O quel 'monstre horrible
sera votre âme' aux yeux de Dieu , quand elle sera
enlaidie par des milliers de fautes semblables à des
taches livides, à des ulcères empestés , d’où coule un
pus infcet.
Arrêtez-vous ici, et essayez au moins à vous former
une idée de ce que mes paroles ne peuvent expri
mer... 0h! abîme de corruption ! dont la profondeur
n'échappe pas seulement aux yeux , mais dépasse
même toute l'imagination des hommes ; abîme si im
mense , si effroyable, si terrible , que la vue de votre
âme en cet état, ah! tremblez , oui, la vue de votre
âme en cet état, serait un épouvantable enfer, quand
même les flammes éternelles seraient éteintes , quand
même les démons n’habiteraient plus le séjour des
réprouvés , et que tous les tourments en auraient
disparu. Par une conséquence juste et inévitable ,
vous n'êtes donc plus digne que de mépris , et' cepen
dant, étonnez-vous, puissance des cieux, et cepen
dant l'orgueil de votre cœur vous a élevé ‘. Vous ,
charbon d'enfer, vous désirez d'être honoré , loué ,

‘ Abdias, v. 2 et 3.
144 11° JOUR. coNsmi'mArioN.
préféré aux autres ! Vous , horrible copie du démon,
vous avez horreur du blâme, de l’oubli et de la der
nière place parmi vos compagnons! Oui , vous êtes
plein d'orgueil ‘, si ces pensées ne vous inspirent pas,
ne vous font pas souhaiter votre propre abaissement.
Reconnaissons donc combien le souvenir d'un seul
péché que nous aurions commis, surtout d'un péché
mortel, doit être une incitation puissante à la haine
de l'orgueil et de l'amour de soi-même; et combien la
laideur d'une âme en état de péché , si on la considère
de près, est un remède eflicace contre l'orgueil et la
sensualité. Le paon étale fièrement l’éclat de sa queue
étoilée; mais s'il vient à abaisser son regard et à aper
cevoir la difformité de ses pieds , aussitôt, tout con
fus, il laisse tomber sa crête qu'il tenait si haut : ainsi, .
l'homme superbe venant à considérer la difformité de
son âme, réprimera avec une humble confusion la
vanité de ses pensées , et même , saintement indigné,
il détestera sa chair comme la funeste cause d'un si
honteux désordre.
Ne dites pas que vous avez déjà purifié , dans le
saint tribunal , les souillures que vous aviez contrac
tées ; car d'abord vous n’en êtes rien moins que cer
tain. Vous savez que vous avez péché, vous ignorez si
vous avez bien fait pénitence. Plus d'une raison peut
être jette même là-dessus votre conscience dans un
doute justement inquiétant. Mais accordons que tout
a été pleinement effacé par les larmes d’un cœur con
trit; cependant, remarquez-le bien, au moins pour le
temps où vous avez péché, au moins en vous considé
rant dans ce moment précis où vous avez consenti à
ces grandes fautes , vous serez pendant toute l'éter
nité , aux yeux de la Majesté suprême, un objet d'hor
reur , de haine et d'exécration. Fussiez-vous mainte
llsaïe, c. 16, v. 6.
ou LA DOUBLE RACINE nes pÉcnÉs. 145
nant éminent en vertu, élevé au-dessus des autres
par votre sainteté , surpasseriez-vous les séraphins en
amour pour Dieu, cependant, en vous considérant
tel que vous étiez dans le temps de votre vie auquel
vous violiez la loi du Créateur, vous avez toujours
été , vous êtes encore maintenant , et vous serez tou
jours l’objet de la colère, de l'aversion , de la ven
geance et de la détestation de la très-sainte Trinité
tout entière.
La théologie établit le fondement de cette assertion.
Car quoiqu'il y ait en Dieu des actes intérieurs qui
sont contingents, c’est-à-dire qui n'auraient pas existé
dans une autre hypothèse, ces mêmes actes, dans
l'hypothèse dont ils sont la conséquence ‘ , sont né_
cessairement éternels, puisque, si on les considère
dans leur sujet, ils sont Dieu lui-même , et par con
séquent tout aussi exempts de changement que cet
être parfaitement immuable. Ainsi celui qui , pour
un péché mortel, a été à la fois l'objet et le terme
de“ l’indignation divine , le sera toujours quant à
cette funeste circonstance de sa vie.
Et tel est le puissant motif qui a rempli les plus
grands Saints d’une 'haine continuelle d’eux-mêmes et
d’une perpétuelle humiliation, qui les a fait descen- .
dre dans l’abîme de leur néant, et qui les a armés
d'une juste colère pour se punir eux-mêmes. Quoi de
plus juste? car nous méprisons ce qui est vil, nous
haïssons et nous détestons ce qui est infâme ; et com
me le péché nous rend vils et infâmes au suprême
degré, il s'ensuit évidemment que l’état de laideur
d'une â'mepécheresse est'le motif le plus pressant de.
s'abaisser et de châtier son corps.
’ Par exemple, l'acte intérieur par lequel Dieu déteste le re-'
niement de S. Pierre, est un acte contingent; il dépend du
péché de cet apôtre, et le suppose: il en est la conséquence. il
n'existerait pas dans la supposition ou l'hypothèse contraire.
1. 13
. -h ._ -.

146 11° J011s. consméxnioa.

H. Le deuxième remède souverain pour guérir l'en


flure de notre esprit et réprimer le désir des sensuali
tés, c'est le souvenir fréquent de l’enfer que nous
avons mérité; car tu as péché, ô malheureux! tu as
péché, ta coupable conscience te le reproche; tu as
péché souvent peul-être.... et tu as péché grièvement.
Tu as donc mérité la damnation ; d'éternels supplices
te sont dus , l'enfer est ton héritage : la foi l’enseigne.
Plusieurs, moins coupables peut-être que toi, brûlent
déjà sur ces épouvantables bûchers , et ils brûleront
éternellement. il faudrait donc aussi, puisque tu es
plus coupable , que, par un semblable arrêt , tu brû
lasses dans ces flammes ardentes.
Mais aussi, celui qui mérite les feux de l'enfer, mé
rite encore en ce monde tout le mépris et toute la
douleur possible; car s’il est digne d'un genre de
tourments plus violents , il mérite , à plus forte rai
son, des peines plus légères et plus douces. Comme
donc la peine de l'enfer surpasse incomparablement
même tout degré imaginable du plus grand mépris et
de la plus cuisante douleur qu'on peut souffrir en
cette vie, il n'y a pas de doute que tu mérites, à plus
forte raison , tout ce qu’on peut imaginer de peines
ici-bas.
En péchant tu t'es rendu plus méprisable et plus
punissable que tu ne peux être châtié et méprisé sur
la terre par toute la douleur et le mépris possibles :
dès-lors, tout le mépris que tu éprouveras en ce mon
de, tous les châtiments qui te seront infligés, n'éga
le'ront jamais ce que ton iniquité mérite : il sera tou
jours vrai de dire que , par la transgression de la loi
divine, tu mérites à tout instant plus de mépris et
des châtiments encore plus grands, puisque tu es'
digne de ceux de l'enfer. Quelque idée d’abjection et
"de mépris que tu aies de toi-même , quelque châti
ment que tu infliges à ton corps pour le crucifier ,
DE LA DOUBLE RAClNE DES Pliants. 147

toujours cependant tu te mépriseras moins, tu te


puniras moins que tu ne le mérites pour un tel
péché, fût-il unique.
Tu entends cette vérité, et cependant tu t'enor
gueillis; tu la crois, et cependant tu flottes encore ta
chair : ta chair, dis-je, ce bourbier des passions, cette
taverne de vices. O détestable pécheur ! quand tu
serais l'objet de toutes les injures et de tous les oppro
bres, quand routes les maladies et toutes les calomnies
tomberaient sur toi, quand toutes les abjections et
tous les supplices se réuniraient en toi comme dans
leur centre; oui, tu serais encore moins maltraité
que tu ne le mérites. Tu sais bien tout cela , et cepen
dant tu t'attristes, tu te plains, tu t’indignes pour
l’ombre du plus petit mépris et de la plus légère
souffrance! tu. es l'abominable esclave du démon;
déjà tu devrais être l’éternel jouet de l'enfer : tu de
vrais souffrir les supplices éternels; la bonté de
Dieu ne t’envoie seulement qu’un léger mépris ,
une douleur légère : et toi, impatient d’une si petite
expiation , tu te lamentes, tu te récries, tu t'empor
tes; que dis-je ? tu t’élèves dans la pensée. et tu
donnes à ta sensualité de flatteuses douceurs. Quelle
imprudence ! Oui , à la seule pensée de cette audace,
tout cœur 'équitable doit se soulever d’indignation et
d'horreur. 0 enfer ! que tu es un puissant motif de
nous abaisser au-dessous même des abîmes, et'de
nous châtier rudement par une expiation volontaire!
III. Une troisième raison nous y excite encore:
c'est notre étonnante inclination au mal. Qui que
vous soyez, qui lisez ceci, vous pouvez, en ce moment
même, faire une chute grave, et vous lier dans les
chaînes du péché mortel. C'est la vérité: ici-bas, ô
malheureux! tant que vous aurez un souffle de vie ,
vous pouvez encore pécher , et pécher mortellement.
Quoique vous feriez d'étonnants miracles , quoique
\
148 n” JOUR. CONSIDÉRATION.
vous égaleriez par la perfection de vos vertus , la
très-auguste reine des cieux , quand vous seriez, par
la plus sublime contemplation , élevé avec S. Paul
jusqu'au troisième ciel, que vous entendriez des
secrets ineffablcs, et que vous verriez à découvert
les plus adorables mystères de la divinité; nonobstant
tous ces prodiges , vous pouvez , si Dieu vous retire
sa grâce , vous pouvez , ah ! tremblez , vous pouvez à
chaque instant vous souiller d'une faute mortelle. Ce
soldat , qui était du nombre des quarante martyrs
dont l'Eglise honore la mémoire le dix mars , soutint
longtemps le martyre avec ses compagnons dans un
étang glacé où on l'avait jeté; et néanmoins , déjà
presque mourant, il renia sa religion , et il périt.
Deux prêtres , dans le Japon , avaient enduré con's
tamment pendant trois ans , avec Charles Spinola ,
une dure prison presque aussi cruelle que l’enfer ,
et déjà ils avaient pour la foi brûlé dans un feu lent
durant plusieurs heures; et cependant ils ne tinrent
pas à une nouvelle épreuve du feu , ils 'apostasièrent
bientôt leur foi; mais ils n'en périrent pas moins
traîtres à leur religion, eux qui pouvaient mourir
martyrs dans le même supplice. Pleurez donc , pins
de la forêt, parce que les crèches sont tombés 1; et
vous , confessez que vous êtes plus fragile que le
verre; car, vous aussi, vous pouvez, hélas! vous
pouvez vous souiller de quelque grand crime.
Parce que vous êtes un homme mortel , vous pou
vez , au moment même où vous blessez votre âme ,
mourir coupable de cette funeste iniquité, comparaî
tre autribunal de Dieu , et de là être incontinent
précipité en enfer; c’est-à-dire vous pouvez perdre
votre dernière fin,être privé dela bienheureuse vision
de Dieu et être livré aux interminables supplices des

‘Zaeh., e. 11, v. 2.
DE LA DOUBLE RACINE mas pécmäs. 149
démons. O vérité épouvantable! ô puissant motif
d'humilité ! j'ai péché ; j'ai mérité l'enfer ; je peux
pécher encore, et par conséquent devenir la proie
de ces flammes dévorantes. Peut-être mourrai-je dans
le péché, et serai-je éternellement damné. Hélas ! je
ne manque pas de raisons probables , qui doivent
me faire craindre un tel supplice , et qui m'inspirent
ce triste pressentiment , que je pécherai encore, que
je mourrai dans le péché, et que je périrai éternelle
ment.
Va donc, orgueilleux! va , poussière et cendre ,
vil tison d'enfer , ose t'élever ; préfère-toi aux autres
après la considération de cette vérité , et , respirant la
fumée de l'abîme, mets ta complaisance en tes pro
pres qualités. O superbe! regarde, l'enfer élargit
son sein ‘ : tu demeures suspendu sur son bord , à
chaque heure le pied peut le glisser, et tu vas tomber
subitement dans ce gouffre affreux ; et tu dresses ton
front , tu portes la tête dans les nues , et tu te figu
res , avec une aveugle complaisance en toi-même ,
être déjà je ne sais quel héros ! O tyrannique incli
nation ou mal! oui, celui qui te médite sans deve
nir humble , est digne de tout le mépris qui attend
les damnés.
S'il était permis à un damné de sortir libre de la
prison de l'enfer , si on lui accordait le temps et le
moyen de faire pénitence , oh ! de combien de puni
tions volontaires, de quels affreux supplices il châ
tierait son corps ! afin que, fortifié désormais contre
'les attraits de la chair , il ne retombât plus dans cet
abîme ; .et la reconnaissance pour' une faveur si ines
timable , l'enflammant à son tour de l'amour de Dieu,
il chercherait à réparer au moins de quelque manière
l’honneur blessé de cette grande miséricorde , en sa

1halo, 0. 5, v. 14.
450 n’ moa. cousméimTmn.

tisfaisant à la justice divine par une expiation et une


vengeance anticipées.
Pourquoi donc , vous aussi. ne faites-vous pas de
même? Est-ce un moindre bienfait de n'avoir pas été
précipité dans un enfer mérité tant de fois , que d'en
être retiré après en avoir senti quelque temps les ri
gueurs? Allons , commencez , humiliez beaucoup vo
tre esprit ‘, et châticz votre corps de la même manière
que le ferait un damné revenu de l'enfer.
Prenez la ferme résolution d'éviter à l'avenir les
péchés, surtout les plus considérables et les plus gros
siers , auxquels l'amour de l'élévation et la sensualité
vous ont jusqu'à présent assujetti. 1° Promettez de ne
rien penser, faire on dire, en quoi vous cherchiez
votre louange personnelle et votre propre gloire , et
en quoi vous atténuie'l. , par envie , l'honneur de vo—
tre prochain: descendez ici jusqu'aux circonstances
particulières. 2° Proposez-vous de ne rien permettre
de déréglé à vos sens, surtout à la vue , au goût et au
toucher; désignez encore en particulier certaines ré
solutions , et que votre main ne quitte pas la plume
qu'elle n'ait écrit les engagements que vous venez de
prendre dans votre cœur : nous en disons autant du
troisième point qui suit. 3° Dans la pensée de S.
Ignace , le fruit que nous devons retirer de la consi
dération des péchés , est que nous détestions leur lai
(leur , nonqseulement avec une douleur, mais encore
avec une satisfaction suflïsante ; dans cette intention
il nous prescrit quelque pénitence même antérieure en
satisfaction de nospéchés, comme serait la mortifi
cation , 1° dans la nourriture , 2° dans le sommeil,
et même dans les commodités du lit, 3° dans notre
chair, en lui faisant soufl'rir quelque sentiment de
douleur , par l'usage des cilices , des ceintures et des

1 Ecclés. , e. 7, v. 19.
1

DE LA DOUBLE RACINE nEs PÉCHÉS. 151

chainettes de fer, en l'afiïigeant par de sévères disci


plines ou par quelque autre genre d’austérité. Pour
entrer dans la pensée de notre Saint, déterminez com
ment vous mettrez en pratique l'usage de chacune de
ces mortifications , non-seulement durant les exerci
ces , mais encore après que vous en serez sorti.
Cette pénitence extérieure, nous assure S. Ïgnace,
produit trois effets vraiment précieux. Par elle, 1°
l'homme satisfait dignement pour ses péchés passés,
2" il triomphe de lui-même en soumettant la partie
inférieure, qu'on appelle sensualité, a! la partie su
périeure, qui est la raison; 3° il obtient plus promp
tement de la bonté de Dieu cette grâce que nous dé
sirons et que nous cherchons, savoir, la componction
du cœur, la douleur de nos péchés , l'abondance des
larmes , et la décision de quelque doute quipourrait
nous inquiéter.
Ces trois avantages sont sans doute des motifs très
pressants de nous rendre familier l'exercice de ces
œuvres de pénitence, et de les pratiquer constamment.
Elles servent encore beaucoup à extirper cette double
racine de nos vices, dont l'exécration a été le but de
cette considération , je veux dire l'orgueil et la sen
sualité, qui sont les principaux obstacles à l’inesti
mable indifférence, et qui, par conséquent, nous
détournent et nous éloignent le plus de notre der.
nière fin. '
REMARQUE.
L’examen de notre état, qui suit , devra être fait
vers le soir , dans le temps destiné à la lecture spiri
tuelle , ou sinon dans un temps libre, etjamais dans
celui qui est marqué pour quelque exercice spirituel.
Cette remarque s’applique aux autres examens de
notre état, qui se feront les jours suivants.
t 52 n’ JOUR. EXAMEN.

EXAMEN

SUR .LES DÊFAUTS QUI VIENNENT DE L'ORGUEIL ET DE L'AMOUR


PROPRE.

Aujourd'hui, dans les deux méditations du matin,


\ nous avons détesté de tout notre cœur la malice des
péchés. Nous avons été ensuite plus avant dansla con
sidération de l'après-midi; nous nous sommes excités
à la haine des racines mêmes de nos iniquités, au
moins des principales , qui sont l'orgueil et l'amour
propre, deux monstres, deux hydres affreux , qui ,
par une fécondité infernale , reproduisent encore
chacun plusieurs têtes. Pour mieux apprendre à nous
connaître nous-mêmes, nous allons, dans l’examen
suivant, chercher à découvrir la nature de ces funes
tes productions et reconnaître tout le poison qu'elles
renferment, afin de détester de plus en plus leur
source pernicieuse.
I. En premier lieu , l'orgueil, qui est un désir dé
réglé de notre propre élévation , est aussi-, selon S.
'l'homas, non-seulement un péché mortel de sa na
tu re , spécial et distinct des autres , et le plus grand de
tous les péchés; mais il en est encore la source, le
commencement , le père et le prince , puisqu'il exer
ce , (i l'égard de tous les autres crimes , comme une
influence universelle, une certaine supériorité ; et de
même que le dragon s’attribue la supériorité sur
les autres serpents , l'orgueil aussi élève une domina
tion superbe au-dessus de tous les vices.
Les filles de l'orgueil sont la vaine gloire, l'ambi
tion , l'hypocrisie , la colère , l'envie , la calomnie , la
haine , la suffisance, la fierté méprisante , lajactance ,
DÉFAUTS DE L'onouau. , are. 155
l'arrogance , la présomption , l'opiniâtreté, l'ingrati
tude , la désobéissance et l'insuhordination; car l'or
gueil, enflé de' son Superbe néant , se glorifie avec
vanité , désire les honneurs; simule la sainteté , s’ir
rite dans l'humiliation, déprécie ses supérieurs et
leur porte envie , hait ceux qui le méprisent , s'esti
me seul sage , dédaigne les autres , se loue avec jac
tance, s’arroge tout , présume bien de soi-même en
toutes choses; enfin il est entêté , ingrat, désobéis
sant , insubordonné : telle est la généalogie de ce vice
fécond enfanté par l’enfer.
Maintenant , appelez-vous vous-même au tribunal
de votre propre conscience, et voyez 1° si vous éle
vez chacune de vos actions à un ordre surnaturel,
en les faisant précéder 'et accompagner d'une bonne
intention , ou si vous n'y cherchez point plutôt une
vaine gloire; si vous vous estimez avec vos œuvres
au-delà de ce qui est juste; si vous vous y complaisez
follement; si , panégyriste de vous-même, vous van
tez vos actions par vos paroles, et si vous désirez
qu’elles soient connues , remarquées et louées des
autres.
2° Examinez si vous n'aimez pas les premières pla
ces et les premières chaires ‘ , si vous ne prenez
point l’apparence de la sainteté; si vous n’avez point
une secrète ambition de vous attirer la réputation
d'un saint ou d'un savant ; si vous hriguez quelque
emploi honorable ou quelque dignité éminente , et si
vous vous en croyez plus digne que les autres; si vous
supportez avec peine que les dernières charges, les
places humiliantes ou incommodes vous soient desti
nées; si vous ne sentez point votre cœur piqué des
aiguillons de la jalousie , lorsque vos compagnons
sont élevés et qu'on vous oublie; si vous ne vous irri

‘ Matth, c. 23, v. 6.
154 n‘ moa. EXAMEN.

tez point, quand on diminue ou qu'on blesse votre


honneur ; si vous ne poursuivez point de votre haine
les auteurs de ce chagrin , si vous ne leur faites point
d'injures, si vous ne cherchez point à les avilir par
vos diffamations.
3" Remarquez si vous ne méritez point d'être
compté parmi ceux qui se croient 'seuls sages, qui
méprisent les autres, qui ne vantent que ce qui les
touche , qui pensent arrogamment que tout leur est
dû , qui se jugent seuls capables de l'aire de grandes
choses , tiennent avec opiniâtreté à leur proprejuge—
ment, oublient les bienfaits avec ingratitude , se
couent le joug de l’obéissance , et résistent au com
mandement sinon de paroles et d'actions, au moins
de cœur et de volonté ; qui veulent être exempts des
charges communes, et jouir des priviléges singuliers
qu'ils se flattent d’avoir mérités par leurs services ;
qui se soumettent avec une hypocrite humilité pour
être élevés davantage.
Vous pourrez juger d’après ce tableau, quelles
profondes racines ce vice a jetées dans votre âme ; et
désormais vous devrez apporter tous vos soins et toute
votre application -à les «extirper entièrement par le
moyen de l'examen particulier; en un mot, ne sou/
frez jamais que l'orgueil domine vos pensées , car
c'est par lui que tous les manx ont commencé ‘.
(I. Il nous reste encore, dans les exercices de la
Voie purgative, à combattre un autre monstre :je
Veux parler du désir désordonné de la sensualité et
des commodités , qui n'est autre chose que l'amour
propre : maladie pestilentielle qui a coutume d'éta
blir son empire et sa domination dans toute l'étendue
du cœur humain , passion tyrannique qui nous maî
trise, et dont la destruction fera se dessécher d'eux

‘Tobie,c. 4, v. 14
DÉFAUTS ne L'oRcUEiL , ETC. 155
mêmes les nombreux ruisseaux de vices qu'elle ali
mente. -
Ce désir des sensualités s’appelle aussi concuj
piscence. Il est , au jugement de S. Thomas , la con
voitise d'une chose qui produit une délectation , un
plaisir dans les sens. L'âme reçoit cette délectation
par l’entremise des organes du corps , comme de la
vue , du goût , du toucher, ete. Ses fil‘les sont : la
gourmandise , l'ivrognerie, la paresse , la luxure ,
l'oisiveté , la curiosité , l'envie , la colère, ete.
Examinez donc si, dans le boire et le manger,
vous n’accordez point trop au goût ; si vous ne favo
risez point votre immortification par la recherche
dans le vêtement , par la mollesse de votre lit, et en
vous accordant un trop long sommeil; si vous suivez
les satisfactions de la chair , si vous' désirez les récréa
tions , si vous fuyez le travail, si vous demeurez dans
l’oisiveté, si vous avez la retenue des yeux, si vous
enviez les avantages et le repos des autres, si vous
vous indignez contre ceux qui troublent le vôtre , si
vous cultivez des amitiés particulières , si vous aimez
avec une aflection trop tendre vos parents et vos pro
ches, si vous n'avez point d'autres défauts de ce genre.
Cherchez à découvrir lesquels de ces vices germent
davantage dans votre cœur comme une pernicicuse
ivraie. Employez tous les jours , pour déraciner cette
herbe maligne, le sarcloir de l'examen particulier,
vous souvenant de cette leçon de Thomas à Kempis :
En vérité, c'est bien nous tromper nous-mêmes que
d'avoir un amour aussi déréglé pour notre chair;
car, plus vous vous épargnez maintenant vous-mê
mes, en suivant les désordres de votre chair , plus
vous en serez châtié sévèrement dans la suite, et plus
vous amassez de matière pour ce feu ‘. Corrigez donc
vos défauts.
1 Imit. de J.-C., I. I, e. 24.
156 11° roox m’ MÉDITATION.

AVERTISSEMENT .

Avant de commencer la méditation suivante de


l'enfer, il faudra , par exemple au moment de la pré
paration , parcourir le premier point; et si le temps
consacré à cette méditation ne suflit pas pour consi
dérer le quatrième point , on le' lira lorsqu'elle sera
finie. Ceux qui veulent employer deux jours pour
s’appliquer aux sujets que nous avons marqués pour
ce deuxième jour, peuvent s'arrêter aujourd'hui à la
considération des deux premiers points, et remettre
les deux autres à demain. '

111° MÊDITATION.
DE L’ENFER.

Premier Point.

Peine du corps. Le damné souffrira dans ses sens


et dans ses membres toutes les peines et toutes les
douleurs 1° possibles , et qu’il est capable d'endurer :
il les souffrira toutes ensemble. Non-seulement il en
souffrira une ou deux , non-seulement il souffrira tou
tes celles dont notre esprit a déjà une idée; mais encore
il endurera toutes les douleurs possibles, toutes les
douleurs que nous pouvons imaginer , et il les endu
rera toutes réunies ensemble. Tous les maux tombe
ront sur lui ‘. Tous : à cette parole qui ne sera pas
épouvanté? L’homme , au témoignage de Galien 2,

‘ Job, c. 20, v. 22. —— 2 Galien, célèbre médecin , natif de


Pergame, en Agios, vers l'an 131 de J.-C.
on L'ENFER. l 57
peut éprouver, seulement à la tête, plusieurs milliers
de douleurs différentes. Eh bien! toutes ces douleurs
le damné les endurera ensemble. Des souffrances sans
nombre peuvent affecter les yeux, les oreilles , les
entrailles, les reins , le cœur , le foie , les mains et les
pieds; nous pouvons être en proie aux douleurs de la
goutte, du rhumatisme, de la pierre, de la colique,
de la dyssenterie, être jetés dans une fournaise ardente,
livrés au supplice du chevalet, des grils embrasés et à
mille autres tourments. Eh bien! le damné souffrira
à la fois tous ces maux. Rappelez à votre esprit , sans
en omettre un seul, tous les supplices que la férocité
des tyrans , la barbarie des bourreaux, la fureur des
hérétiques, la cruauté des infidèles ont inventés et
exécutés , dans tous les pays du monde, depuis la
création. Eh bien! le damné souffrira tous ces maux
réunis ensemble.
2° Il les souflrira dans un degré très-violent , dont
l'intensité , quoique limitée , sera cependant en pro
portion des péchés. S. Thomas nous assure ‘ que le
moindre degré des douleurs de l'enfer est plus grand
que tous les tourments réunis des martyrs , que tou
tes les souffrances des maladies , que tous les suppli
ces des criminels. Qu’il est donc grand , qu’il est
donc violent le plus haut degré des douleurs de l'en
fer! Ah! souvent un petit mal de dent nous met
dans une sorte de transport : que sera-ce donc de
porter toute cette masse de tourments qui tombera
sur nous, nous écrasera de tout son poids , et nous

‘. S. Augustin tient la même doctrine, sermon 109, du Temps,


ou il dit : Tont ce qu'un homme peut sou/frit' de peines, est très
peu de chose, n'est même rien en comparaison du feu éternel. S.
Chrysostôme ne pense pas différemment , homèlic 49 , au peuple
d'Antioche , n° 10 : Comparez le fer , le feu , les bêtes fe'roces , et
a'ily a encore quelque chose de plu: afreuz' , tout cela n'est rien
au de ces tourments.
158 11° mon. nl° MÉD1TATION.
livrera aux tortures les plus intenses et les plus
cruelles ?
3" Le damné souffrira continuellement. Hélas! con
tinuellement, toujours , sans relâche, sans interval
le, sans aucun adoucissement ni aucune consolation;
mais toujours , continuellement , sans cesse , sans
qu'on lui porte aucune compassion, sans qu'un ami
vienne alléger ses maux. Tant que nous sommes sur
la terre, chaque souffrance a ses instants de repos ;
mais dans ce lieu de supplices, dans cet éternel étang
de soufre , non-seulement il n'y a ni rafraîchissement
ni relâche , il n’y a même pas l'espérance d'en avoir.
Ah! ce serait pour nous un supplice intolérable de
. demeurer, quoiqu'en bonne santé, immobiles une
seule nuit, sur le lit de plumes le plus mon : que
sera-ce donc d'avoir à souffrir sur cette couche infer
nale , toujours dans la même situation, toujours fixé,
attaché sur des brasiers ardents qui nous dévorent?
Que sera-ce d'y souffrir toujours après des milliers
de siècles, avec la .même vivacité de douleur qu'on
ressentit à sa première entrée dans cette prison ? car
ni la longueur du temps, ni l’habitude de souffrir
ne diminuent en rien, ni n'adoucissent la dureté
. des tourments. 0 hommes ! qui de vous pourra habi-
fer dans ce feu dévorant .9 Qui demeurera dans ces
brasiers éternels ‘ ?

Deuxième Point.

Peine de l'âme. 1° Pour un malheureux damné ,


cette seule pensée sera un tourment inconcevable :
Dieu est mort sur la croix pour me sauver , et cepen
dant je suis damné; Jésus-Christa versé tout son sang
pour m’arracher à l'enfer, et cependant je suis dam:

’ haie, c. 33, v. 14. .ü,


ne IÇEREHR. l5!)
né; le Saint-Esprit n'a rien épargné pour me faire
gagner le ciel, et cependant, ah ! montagnes , tombez
sur moi ’ , je suis damné! Moi chréticn..., religieux...
prêtre...; élevé dans le sein de l’Eglise, nourri des
paroles de la foi 2 , délivré.ndes écueils du monde et
placé dans le port de la religion , si souvent engraisse
du pain de vie... ; ah! moi, créé pour le ciel, moi
qui ai tant de fois médité sur les supplices des enfers,
qui ai enseigné à tant d'autres la voie du salut ; moi ,
hélas! moi-même, je suis perdu !
2° Et moije me suis perdupar ma faute !... Ah !
j’aurais pu , et j'aurais pu bien facilement me sau
ver ! les moyens ne me manquaient pas , j’avais des
grâces en abondance, j’étais excité par les bons exem
ples. Oui , cette même couronne céleste , dont cet
homme , avec qui je vivais autrefois , brille mainte
nant , parce qu’il a profité de sa rédemption; ce mê
me vêtement de gloire , dont paraît orné maintenant
celui qui fut autrefois mon compagnon , m'étaient
' destinés , si j’eussc pcrsévéré dans le bien que j'avais
commencé, déjà, moi aussi....; mais, ô douleur ! je
l'ai laissé par inconstance; je suis perdu , parce que
je l'ai voulu obstinément.
3" Et je l'ai voulu , ô collines , écrasez-moi 3 , pour
un peu d'orge et un morceau de pain "', pour unplat
de lentilles 5 et un peu de miel 6 dont le souvenir
seul me couvre de honte ! Ah ! pour un moment de
plaisir court et léger. je porte maintenant un poids
éternel de supplices ! En un mot , moi, prévenu de
tant de grâces , par ma faute , par pure malice, pour
un rien , je me suis précipité dans cet affreux abîme.
4° Je m'y suis précipité en marchant dans des rou
r

‘Lue, c. 2s,v. s0. — 2ITimoth.,c. 4', v.6. — 3Luc.c.


23 , v. 30. -— " Ezéch, c. 18, v. 19. — 5 Gen.,e. 25,1 33.
«N Rois, c. 14, v. 43.
{60 u‘ JOUR m‘ IÉDtTATtON.

tes diflieiles ‘, et en souffrant plus de misères, de


travaux et d'ennuis, dans la voie de l'iniquité et de la
perdition 2 , que je n'aurais eu à en endurer si j'avais
suivi le sentier de la vertu. Ah! malheureux que je
suis! l'enfer m'a coûté plus cher que le ciel n'a coûté
aux élus; j'ai eu à supporter plus de misères et d'an
goisses pour arriver aux feux éternels , que les Saints
pour mériter les joies du paradis. Ainsi gémissent
dans l'enfer ceux: qui ont péché' et qui sont morts
dans leur iniquité 5.
Telle est la pensée lamentable , la pensée cruelle
qui , roulant sans cesse dans l'âme d'un damné, tour
mente étrangement son intelligence. La vanité de ce
qui est passé , la vivacité des souffrances présentes, la
longueur de l'éternité , seront le supplice de sa mé
moire. Sa volonté , plongée dans un abîme de déses
poir et de tristesse , violemment agitée par des trans
ports de rage, de colère contre elle-même, se déchirant
elle-même, proférant d'horribles blasphèmes, voudra
toujours ce qui ne sera jamais , et elle ne voudraja
mais ce qui doit être toujours. Jamais sa volanté ne
sera satisfaite , toujours elle soufl‘rira la contra:
diction 4. Quelle langue pourrait expliquer un tel
supplice.
[Van , l'œil n'a. point vu, l'oreille n'a point enten
du, le cœur de l'homme n'a point compris ce que
vous avez préparé, ô Dieu! à ceua" qui vous ofien
sent 0 que l'enfer est une chose intolérable 6 ! Mal
heur donc à ceux qui auront part à cet étang de feu
et'de soufre 7!
Troisième Point.

Peine du dam. Néanmoins, toute cette multitude

‘Sag.,c. 5,v. 7. - 2 — Ibid. — 3 Ibiol, c. 5,v.13 et 14.


-— ‘ S. Bernard. —- 5 S. Chrysostôme. — 6 Ibid. — 7 Ibid.
ne L'ENFER. 161
de supplices épouvantables n'est rien, comparée à la
peine du dam , qui consiste dans la privation de la
vue de Dieu. Si vous comparez mille feux d'enfer,
c'est S. Chrysostôme qui s’exprime ainsi, vous n’aurez
rien dit qui puisse être mis en parallèle avec la perte
de cette glorieuse et bienheureuse félicité. O terrible
pensée! car si un seul enfer est le lieu'où se concen
trent tous les maux , tous les tourments, où se ramas
sent en foule toutes les misères , que seront cent
enfers? que seront mille? Et cependant, S. Chrysos
tôme l'assure , mille enfers réunis n'égalent pas la
peine du dam toute seule. La raison en est évidente ;
car cette peine est immense et infinie, non-seulement
dans son extension, c'est-à-dire en raison du temps
qu'elle dure, mais encore dans son intensité , c’est-à
dire en raison du bien dont elle nous prive. Et puis
que c'est le comble de la félicité de voir un Dieu in- .
finiment aimable, c’est donc le plus grand de tous
les maux d'être rejeté de sa présence. Oui, être séparé
de Dieu est un malheur grand comme Dieu lui-même.
Maintenant, il est vrai , nous n'avons, pendant
cette vie , qu'un faible désir de le voir; et parce que
nous ne connaissons pas la grandeur de ce bien cé
lest'e , nous ne comprenons pas aussi combien est
grand le malheur d'en être privé. Mais quand nous
aurons quitté nos dépouilles mortelles , notre âme
concevra une si haute estime de ce bien , elle brûlera
d'un désir si ardent de l'obtenir , elle se portera avec
tant de force pour le posséder , que le plus grand, le
plus cruel de tous les tourments de l'enfer, sera d'être
rejeté, ne serait-ce que pour un instant, de la pré
sence de son Créateur; en un mot , elle souffrira plus
de la perte du ciel que des tourments de l'enfer.
Et ce ne sera pas sans raison; car telle est l'infinie
beauté de Dieu , que si les damnés'obtenaient de le
voir un seul moment , non-seulement ils ne senti
r. — 14
162 il’ men. in“ MÉDITATION.
raient plus la violence des flammes . mais ils se croi
raient à l'instant transportés dansle paradis. Ils souf
friraient volontiers mille et mille enfers , s'il leur
était donné d'apercevoir un seul instant cette beauté
incompréhensible; mais, ô désir. inutile! leurs ini
quités les ont séparés de Dieu . et leurs péchés leur
ont dérobé son visage , et cela , hélas! pour l’éter
nité... Cachots de l’enfer , soyez ébranlés au bruit de
cette terrible lamentation... pour l'éternité.

Quatrième Point.

Eternité des peines. Ce que tous ces maux , déjà


si terribles , ont encore de plus épouvantable , c'est
l'éternité de cette perte de Dieu , c'est l’éternité des
supplices. Le jour du jugement dernier arrivera , et
toute l'œuvre de la création sera frappée d’une des
truction entière. Après ce bouleversement de l'uni
vers , cent milliers d’années s’écouleront , plusieurs
centaines de millions d'années passeront encore, et
cependant l'éternité n'aura pas perdu un point de sa
durée. De nouveau elle emportera dans sa course au
tant de milliers de siècles qu'il y a de grains de sable
sur les rivages de la mer , de feuilles sur les arbres ,
d'astres dans le firmament ; et alors les tourments
des damnés sembleront ne faire que commencer , ils
renaitront en quelque sorte. Ce n’est pas assez: quand
cette longue suite de siècles sera terminée , il s'en
écoulera encore d'autres, autant qu'il y a d'atomes
dans l'air, de grains de poussière sur la terre, de
gouttes d'eau dans l’immense Océan; et , hélas! les
damnés seront toujours damnés, toujours malheu
reux , toujours accablés de maux, afin que toute chair
apprenne que le Seigneur a tiré son glaive du four
reau pour ne plus l'y remettre ‘.
1la'atéch, c. 21 , v. 5.
DE L'ENFER. J65
Car là il y aura une mort sans mort, une fin sans
fin , une agonie sans terme ; parce que c'est là que la
mort vit , que la fin commence toujours , et que l'a
gom'e ne sait pas finir ’. L’éternilé commence la ou
vous pensez qu'elle va trouver sa fin 2. Ne dites point
que cette éternité de peines dénote en Dieu une sorte
de cruauté ; car ce qui ne peut jamais être expié peut
toujours être puni 5. Comme la malice du péché est
infinie sous un certain rapport, il faut aussi que la
peine soit infinie d'une certaine manière ; il faut
qu'elle soit illimitée, au moins quant à sa durée :
autrement le châtiment n'aurait pas unejuste pro
portion avec la faute, et Dieu n'aurait pas pourvu ,
avec une sage providence , à nous proposer un motif
suflisant pour nous détourner du péché. Nous crai
gnons très-peu , en effet , d’accumuler des fautes
vénielles , parce que les supplices du purgatoire doi
vent finir. Certainement , s’il y avait à espérer une
rédemption dans l'enfer, le ver rongeur des damnés
mourrait un jour , et leur supplice ne serait pas éter
nel. Mais non ; la parole souverainement véritable de
Dieu a prononcé qu'il n'y a plus de rédemption dans
l'enfer : Leur ver ne meurt point 4; ils iront dans le
supplice éternel 5. Avezwous compris? Non-seulement
le feu de l'enfer est appelé un feu quine s'éteint pas 6;
mais on déclare aussi que le supplice qu'il produit
sera éternel : or il ne serait pas tel , si les damnés qui
doivent le souffrir n’y demeuraient pas éternelle
ment.
O éternité! ô parole courte, mais d'une sérieuse
signification ! Ah! la moindre piqûre d'une mouche
ou de quelque autre insecte , si elle devraitse répéter
souvent , serait un tourment intolérable : que sera-ce

1 S. Grégoire. .- 2 S. Hilaire. -— 3 S. Bernard. — 4 Marc, c. 9,


v. 45. — 5 Matth. , c. 25, v. 46. — 6 Marc,c. 9 , v. 44.
164 n’ JOUR. [11‘' mimn'non.

donc d'endurer sans relâche , dans cet abîme de souf


frances , tous les supplices possibles, les plus affreux!
et , hélas! l’âme en succombe d'horreur! éternelle
ment, éternellement , éternellement l... lllalheur à
ceux qui les éprouveront avant d’y avoir cru ‘ !

AFFECTIONS .

1° Acte de- foi. 0 Dieu infiniment sage et vérita


ble ! je crois qu'il y a un enfer...; je crois qu'un seul
péché mortel mérite l’enfer... ; je crois que , pour un
tel péché, d’un instant à l'autre, des âmes sans nom
bre , créées pour le ciel, sont précipitées en enfer , et
qu'elles y sont précipitées par vous , de qui la justi
ce ne peut pas punir au-delà de ce qu’on mérite , et
dont la clémence punit toujours moins qu'on ne le
mérite. Je crois que le péché mortel est un mal plus
grand que les peines de l'enfer 3, et que je dois le haïr
de toute la force de mon cœur et le détester plus que
jamais. Oui , je le crois, et je le tiens pour très-cer
tain ; parce que vous, la souveraine vérité , vous
l'avez dit. Ainsi, sous quelque apparence de plaisir
que se présente tout ce qui conduit au péché , je le
fuirai plus que la morsure du chien et du serpent ;
je fuirai surtout ce péché véniel 1v.; cette occasion 1v.,
je corrigerai ce défaut 1V. , cette passion JV.'; au con
traire, je recevrai joyeusement, quelque peine que
j'y trouve , tout ce qui détourne du péché; je pren
drai surtout tels moyens IV. qui peuvent me préser
ver d'offenser Dieu; car il vaut beaucoup miens: en
trer dans la vie n'ayant qu'un pied ou qu'une main ,
que d’en avoir deux et être précipité dans le feu
éternel 3.
1 S. lîusèbc. — 3 C'est la doctrine de saint Thomas;il s'expri
mo â-lllal :La faute participe davantage à la nature du mal que
la peine. -— 3 MaltlL, c. 18, v. 8.
DE L'ENFER. {65
2° Acte de détestation du péché. Ainsi le Seigneur
et son Christ ’ me sont témoins quej'aime mieux ,
avec Eléazar, tomber en enfer que de me souiller
d'un péché mortel 2. Oui, si, d'un côté , je voyais
cet afl'reux péché , et, de l'autre, les horreurs de
l'enfer, et queje dusse nécessairement tomber de
l'un ou de l'autre côté , je me précipiterais plutôt en
enfer , avec S. Anselme , que de commettre le péché
en moi-même. J'aimerais mieux , avec le même saint
Pontife , entrer pur et innocent dans le feu éternel,
que d'être admis au royaume des cieux étant souillé
de la tache de ce péché. O péché ! ô que tu es un
monstre exécrable I Hélas! comment ai-je pu te rece
voir en mon âme P
Il faut aussi étendre aux fautes vénielles cet acte
d'exécration , principalement à celles qui conduisent
le plus prochainement aux fautes mortelles, et les
détester nommément. Il faut encore nous exciter sé
rieusement à la détestation de la racine de nos vices ,
qui a son siége dans notre âme , particulièrement à
la détestation de l'orgueil et de la sensualité; car,
dans l'enfer , une flamme dévorante brûle ceuæ que
les plaisirs de la chair ont souillés : alors les pro
fonds abîmes de cette prison engloutissent ceux qui
se livrent maintenant aux vaines pensées de l'éléva
tion 5. Désavouons ces deux désordres en produisant
les actes suivants.
3° Acte d'humilité. O puissant Dieu des vengean
ces 1‘! j'ai péché, j'ai mérité l'enfer. Si vous eussiez
usé de votre droit, je serais déjà un charbon d'enfer,
un monstre de réprobation , un réceptacle infect dans
lequel devraient s’écouler à pleins bords tous les mé
pris, toutes les humiliations , tous les opprobres possi

ll Rois,c. l2,v. 5. — 2 Il Machah, c. 6., v. 2. -- 3S.


Grégoire. — 4 Ps. 93 , v. 1.
{66 11° mon. 111. MÉDITATION.
bles : et je m'enorgueillirai !... Je peux encore pécher
mortellement ; je peux mourir impénitent dans mon
péché; par conséquent , je peux, hélas! je peux en
core être damné: et je m’enorgueillirai !... Je pécherai
peut-être, peut-être je mourrai dans mon péché ,
peut-êtreje serai damné : etje m'enorgueillirai !.'.. Je
le confesse dans la vérité , je suis dzyne de toutes les
insultes et de tous les mépris , parce que j'ai mérité
pour mes péchés l'enfer et le feu éternel ‘. '
4° Acte de haine de soi-même. O Dieu bon qui avez
formé mes membres! hélas! je vous ai moins prisé
que mon corps. Pour l'amour de ce corps je vous ai
offensé , vous mon souverain bienfaiteur; je me suis
exposé au danger d'un tourment éternel pour lui
donner une satisfaction d'un moment. Ahljeconfesse
devant vous ma folie dans l'amertume de mon âme 2.
En ce moment les feux de l'enfer allument ma haine
contre lui. Que ma chair périsse, pour que mon âme
ne péris'se pas ; que mes sens soient affligés quelque
temps, pour que mon esprit ne soit pas éternellement.
tourmenté. 0 si un damné revenait de l'enfer en—ce
monde , comment traiterait-il son corps? La recon
naissance m'oblige à n'en pas faire moins, puisque
c'est un plus grand bienfait de n'avoir jamais été pré
cipité en enfer , que d'en être rappelé si on y était
tombé : ainsi je refuserai à mes sens tels plaisirs 1V. ;
je m'étudierai à mortifier ma chair par tels moyens N.
5° Acte d'indifférence. 0 mon premier principe
et ma dernière fin , qui m’avez créé pour vous
servir de la manière que vous le voulez, me voici
dans votre main, comme l’argile dans la main de
l'ouvm'er 5. Tournez et retournez-moi tant qu'il vous
plaira , je suis prêt à tout "Ah ! cet état de vie au

1 lmit.de J.-C. , I. 3, o. 52. -— 2 Jobje. 10, v. 1. -— 3Jérém.,


c. 18 , v.16. —K- “‘ Imit. de J.-C. , I. 3, 0.15.
DE L'ENFER. 167

quel vous m’appelez, ce degré de perfection que vous


demandez de moi dans l’état que j’ai déjà choisi, n'est
pas encore l'enfer ; cet oflice , ce lieu , cette maladie,
n'est pas encore l’enfer. Je me présente donc devant
vous indifférent pour toutes choses; car que me sert
il d’avoir eu en abondance tous les honneurs et tou
tes les jouissances , si avec tous ces biens je suis dam
né i‘ Et qu’aig-e à regretter d'avoir langui dans le
mépris et la misère, si par cette voie j'arrive au salut?
Non , cette vérité ne frappe jamais plus vivement
les yeux , que lorsqu'on la médite à la lueur des flam
mes de l'enfer. -
6° Acte de reconnaissance et de douleur. 0 Dieu ,
arbitre de la vie et de la mort !je vous rends grâces de
ce qu'aussitôt après mon premier péché mortel, vous
ne m'avez point ôté la vie et cité à votre tribunal , de
ce que vous m'avez accordé avec tant de miséricorde
la grâce et le temps de faire pénitence. Hélas! je ne
peux y penser sans effroi, si, dans cet état. j'étais
mort subitement , déjà j’habiterais dans les flammes
* éternelles. Vous en avez livré d'autres à la damnation,
et vous m’avez épargné , parce que vous m’avez aimé
plus qu'eux , quoique j'en fusse très-indigne. Com
ment ai-je donc pu offenser un Dieu si miséricordieux
envers moi Maisje m'en repens de tout mon cœur
et de toute mon âme; je m'en repens très-amèrement.
0 qui donnera de l'eau à ma tête, et a mes yeux une
source de larmes , pour prévenir par mes pleurs des
pleurs inutiles, et pour me délivrer de l'oppression
de ces flammes qui brûlent toujours sans jamais
consumer ‘ ! 0 Dieu plein de miséricorde ! ne me
perdez pas pour mes iniquités, et ne me reléguez
pas pour toujours dans les profondeurs de l’abîme '1.

1 S. Bernard. —= 2Oraison de Manassès.


uaossräma seau.

PREMIÈRE MÉDITATION
DE LA MORT.
Premier Point.

La mort nous apprend à mépriser les biens de la


terre, qui sont le premier obstacle à'la pratique de la
parfaite indifférence et à l'acquisition de notre fin
dernière. La sentence est portée : Vous mourrez très
certainement ‘.... oui, très-certainement; car il n’y a
personne qui vive toujours 2... et c'est vous qui mour
rez 5, non pas un autre pour vous , mais vous-même.
Vous ne mourrez qu’une fois , il a été arrêté dans les
éternels décrets du conseil divin que les hommes
meurent une fois 4.... De plus , vous mourrez aujour
que vous ne vous y attendez pas, et à l'heure que
vous ignorez 5 : vous ne savez ni le temps , ni le gen
re, ni le lieu de votre mort... et toute'espérance vous
est ôtée de réparer alors par des larmes tardives les
péchés que vous aurez commis. En un mot, plus tard
ou plus tôt , vous serez assurément un jour dépouil
lés de tous vos biens, délaissé de vos amis et de vos
compagnons, vous irez dans la maison de l'éternité 6.

‘ Genèse, c. 2, v. 17. - 2 Ecclésiast., c. 9, v. 4. — 3 lsa'ie,


0.38, v. i. - 4 Héb., c. 9 ,v. 27.- 5Luc,c. l2,:v. l6. —
6 Ecclé. , e. 12 , v. 5.
m° JOUR. 1" MÉDITATION. DE LA nom°. 169

pour ne plus revoir ni vos biens ni vos proches. Vous


y irez seul , car chacun de nous rendra compte pour
lui-même à Dieu ’; vous y irez nu , car vous n'avez
rien apporté en ce monde, et assurément vous n'en
remporterez rien 2.
O cieux ! nous croyons cette vérité , et cependant
nous attachons tellement notre cœur aux choses de
la terre, que, pour ces biens périssables, nous nous
détournons misérablement de notre dernière fin , et
que séduits par leur fausse douceur , nous nous lais
sons ravir la sainte et si nécessaire indifférence , nous
négligeons téméraircment d'embrasser cette vie plus
parfaite dans laquelle le Créateur veut que nous le
servions.
0 vil esclave formé d'un peu de boue! des insec
tes dévorants te serviront de lit, et les vers seront
ton vêtement 5. Voilà tout l'héritage que tu recevras
alors. Tout ce que la maison renferme dans quelque
coin de vil, d'usé, de mis au rebut, en sera retiré à
ta mort pour te servir de suaire : de tout ce que tu
possèdes il ne te restera plus rien que quelques lam
beaux pour t'envelopper ; car l'Esprit - Saint l’a
prononcé , non - seulement l'homme en mourant
n'emportera point avec lui tous ses biens ‘ , mais il
n'emportera rien. Comme il est sorti nu du sein de
sa mère , ainsi il retournera dans le tombeau , n'em
portant rien de tout son travail 5.
L'entends-tu ? tu n'emporteras rien, non rien de
ton argent, ni de tes meubles, ni de mille petits
objets que tu chéris, rien de tout ce qui était à ton
usage , de ce que tu conserves maintenant avec un
si grand soin , que tu portes partout avec toi ,* quel
que embarras qui s'ensuive, et que tu aurais tant de

‘Boni.,c.1!o,v.l2.— 2 1 Tim., c.6, v. 7. —3Isaïe, 0. N,


v. 11. — " P9. 4.8, s. ll. — 5Ecclés.,.c. 5, v.1h.
1.. 15
170 111° JOUR. 1" MÉDITATION.

peine à céder à tes amis. Je le répète , tu n'emporte


ras m-en avec toi de tous ces objets; mais les autres
se les partageront après ta mort , et peut-être tombe
ront-ils aux mains de ceux à qui tu eusses le moins
voulu les laisser.
Cependant ton âme brûlera dans une prison ex
piatoire; elle y brûlera pour ces mêmes futilités , que
tu as su te procurer au détriment de ton devoir , et
que tu as possédées avec tant d'attache et d'affection.
Elle brûlera , dis-je , ton âme , dans ces flammes ter
ribles, privée de tout secours , délaissée de ceux-là
mêmes qui , pendant ce temps-là, jouiront à leur
aise de tes biens , et qui n'auront pas la moindre
pensée, ou de te délivrer de ces tourments , ou du
moins de les adoucir.
N’est-ce pas une folie de ne vouloir point mainte
nant sacrifier à Dieu volontairement et avec un grand
'mérite , ce que, sans mérite , la mort, dans une heure
peut-être , vous ravira malgré vous ? N'est-ce pas une
impiété d’aimer mieux perdre tant de degrés de grâ
ces et d'une gloire proportionnée , que de quitter de
vaines bagatelles? N'est-ce pas une démence dese
livrer à un amour désordonné de ces riens , et de
mettre au dernier rang sa vocation à un genre de vie
plus parfaite et à une sainteté plus grande ?
O ciel! comment ne pas gémir sur l'aveuglement
de ces religieux qui, après avoir généreusement foulé
aux pieds les richesses , les possessions et les biens
paternels , après s'être engagés dans la religion par
le vœu de pauvreté, conçoivent souvent plus d'atta
che pour de misérables objets que les mondains n'en
ont pour des domaines considérables? Qui n’aura
pitié de les voir tout occupésde leurs commodités ,
n'ayant d'autre inquiétude dans leur vie que de n'é
prouver aucune privation, et ne craignant que la
pratique de la sainte pauvreté? O qu'ils pleureront
DE LA nom'. 171

amèrement après leur mort ces attaches passionnées ,


lorsqu'ils verront un Dieu pauvre, détaché de la
croix pour être mis au tombeau , un Dieu un , qu'ils
auraient dû imiter par une pauvreté spirituelle , mais
qui condamnera alors , par ce dénûment où le mit
son amour , leur pauvreté trop riche et trop aisée.
Courage donc, élevez votre âme à de généreuses réso
lutions; et pendant que vous vivez encore, immolez
à Dieu , sur l’autel de la charité et par un sacrifice
volontaire , ce que la mort doit certainement vous
ravir un jour. Oui sans doute, il est trop avare , ce
lui à qui Dieu ne suflît pas ‘.
Deuxième Point.

La mort nous apprend à mépriser les honneurs du


monde , qui sont le deuxième obstacle à la sainte in
différence et à la pratique d'une vie plus parfaite.
Viens , ô idolâtre insensé d'un pur néant, toi qui te
laisses aveugler par la fumée d'une gloire trompeuse,
et qui consens ainsi'à l'éloigner de ta dernière fin!
viens, approche du cercueil, regarde ce cadavre fé
tide , considère ces membres pâles et plombés. Eh
bien! tu arriveras la bon gré, malgré; tu viendras
jusque là ; tu n’iras pas plus loin : là, tu briseras
les flots de ton orgueil 2. Toute la gloire de ce nom,
tout l’éclat de ces emplois dont tu t'enorgueillis main
tenant, s’évanouiront à la mort comme un brouillard
du matin 5 : alors toute cette dignité , toute cette
grandeur mensongère s’efi'acera comme les traces
d'un homme 4. Comme la fumée des cierges funèbres ,
lorsqu’on les a éteints , s'échappe et ne paraît plus ,
ainsi périra toute ta réputation; et pour accomplir
cet arrêt : Leur mémoire a cessé avec le bruit 5 ; ton

‘S. Augustin. -— 2Job, (2.38, v. 3. — 3 Sag.,c.2, v. 3. —


'‘ Ibid. -— 5 P5. 9, v. 8. .
17:’. 111° JOUR. 1"' MÉDITATION.

souvenir s'éteindra comme le son de la cloche : en un


mot, après cela tu seras comme si tu n'avais pas
été ‘. Celui dont le nom glorieux a volé jusqu'oux
extrémités de la terre 2, lorsqu'il mourra, sa gloire
ne descendra pas avec lui 5, mais .elle disparaîtra
comme un songe de la nuit ‘, elle fuira comme l'om
bre 5 à l'approche du flambeau funèbre. Tu sais cela,
et cependant tu désires si avidement, tu poursuis de
toute ta force , ce brouillard , ce rien, cette ombre!
O orgueilleux, plus promptement que tu ne pen
ses , ce mois même peut-être, la mort te dépouillera
de tes noms glorieux , de les emplois distingués , des
avantages de la nature; elle te jettera dans l'espace
resserré du tombeau, où tu ne seras plus ni grand, ni
illustre , ni magnifique , mais la nourriture des vers ,
une poignée de cendres, une pourriture infecte, un
pur néant. Que te scrvira-t-il alors d’avoir eu la répu
tation de savant, d'avoir été au timon des affaires
pendant de longues années , d’avoir passé par tous les
degrés des honneurs , d'avoir obtenu les plus hautes
dignités , si pour ces faux biens ton âme doit brûler
dans le purgatoire? Hélas ! j'ai été tout, s'écriera l'or-
gueilleux avec un grand empereur, et rien de tout
cela ne me sert qu'à me pénétrer à la mort du regret
déchirant de ce que j'ai été. Oui , c'est une vérité cer
taine, qu'à la mort il ne sert de rien d’avoir été élevé
sur le chandelier, sinon à inspirer un douloureux re
gret de ce qu'on a été.
Quelques jours après sa mort, un religieux appa
rut à son compagnon , et laissa échapper ces paroles
avec un triste gémissement : J'ai été théologien, ce
'n’est plus rien; j'ai été prédicateur, ce n’est plus
rien; j'ai été supérieur, ce n'est plus rien ; j'ai été re

‘Sag., c.2, v. 2. — 2Iñl:;1cli.,e.l"+,v.l0. — 3Ps. -i8,


v.l8.-—‘Job,c20,v.8.-—5Ibid.e. llo,v.2.
DE LA nom. 475

ligieux , cela seul demeure. Il dit, et disparut ensuite


comme une ombre : voyez; ce qu'on estime tant dans
ce monde , on n'y fait même plus attention dans
l'autre.
C'est donc une vanité que de rechercher les hon
neurs et de s'élever aux premières places ’. C’est une
folie de perdre l'indifférence qui nous est tant recom
mandéc , et par suite de quitter le chemin dela vertu,
et peut-être d'abandonner tout à fait la voie du sa
lut, pour le vain orgueil d'être élevé au-dessus des
autres. 0 mort ! que tu nous enseignes efficacement
l'humilité! Oui , celui qui n'oublie pas à ton école
les leçons de l’orgueil, ne peut plus espérer de remè
des pour sa guérison.
Troisième Point.

La mort nous apprend à fuir les séductions de la


chair, qui sont le troisième obstacleà la bienheu
reuse indifférence et à une plus grande sainteté de
vie. 0 mon âme ! viens et vois °-’. Viens au sépulcre;
vois ton cadavre; contemple ce qu'est enfin devenue
cette chair pour l'amour de laquelle tu t'exposes au
danger de la damnation , ou du moins tu te retires
de la voie de la perfection.
Regarde : ces deux trous percés dans le crâne
étaient tes yeux, qui furent peut-être les écueils de
ton innocence;ees restes de chairs rongées et corrom
pues étaient la bouche et ta langue , instruments,
hélas! trop funestes de la gourmandise; cette retraite
que les vers se sont creusée était ton ventre, dont tu
as fait ton dieu; tout cet amas dègoûtant d'une pour
' riture infecte était ton corps, cette idole de ton amour
propre , à qui tu as immolé et sacrifié tant de fois la
conscience.
lImîLdeJpC,l.1,c.l.-e'lJean,c.l,v.‘t6.
174: 111e J01111. 1" MÊDITATION.

Continuons : prends dans tes mains ce crâne,


touche ces os, remue ces cendres, considère toute
cette masse .de pourriture; dis maintenant si ce n'est
. .
pas une folie de s , éloigner de sa dernière fin , de sa
-crifier la céleste indifférence, de renoncer à servir
Dieu pour cette vile sanie; si ce n’est pas une démen
ce que de consacrer tous les travaux, toutes les pei
nes et les veilles de cette vie, que d'occuper tout un
chrétien pour faire que ce corps, cette enveloppe
d'infection dégoûtante, soit bien traité pendant un
temps si .court; pour qu'il dorme plus commodé
ment, qu'il vive plus délicatement et qu'il soit mieux
nourri , et de mettre cependant au dernier rang de
nos occupations le soin de notre âme. 0 terre, terre,
terre! écoute la parole du Seigneur ‘ : Personne ne
peut servir (leux maîtres 2. Si tu ne secoues le joug
de la chair, jamais tu ne serviras Dieu de la manière
qu'il le veut.
' Le fruit que nous devons retirer de cette médita
tion est une détestation constante de ces trois obsta
cles, les plus forts que notre âme rencontre pour
acquérirl'inestimable indifférence et arriver à sa der—
nière fin , et que S. Jean appelle la concupiscence de
la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de
la vie 5.
AFFECTIONS .

0 Dieu , arbitre suprême de la vie et de la mort !


je crois que je mourrai , car vous l’avez ainsi arrêté.
Nous mourona tous , et comme une eau nous nous
écoulons dans la terre 4. Je mourrai au moment
où je ne m'y attendrai pas , puisque Jésus-Christ as
sure que le Fils de l'homme viendra à l'heure que
1Jérèm. , c. '22, v. 29. — 2 Matt. , c. 6, v. 24. u 3 lJean ,
0. 2,1’. 16.- ’' llllois, c. 14, V. Il.
m: LA nom'. 175
nous y pensons le moins ‘ , Je crois que si je me
trompe une fois à bien mourir, je ne pourrai pas ,
par des larmes éternelles, expier cette erreur : c’est
Dieu qui nous en a avertis. De quelque côté que l'ar
bre tombera , ily demeurera 2. Je crois que je serai
dépouillé de mes biens , privé de mes honneurs , que
je passerai de ce monde en un autre, et que mon
corps , selon l'arrêt de l'Esprit-Saint , deviendra une
vile poussière après avoir étéune horrible pourri
ture : Tu es terre, et tu retourneras en terre 5. Oui ,
je le crois , parce que vous l'avez dit , ô vérité éter
nelle!
O cieux !je confesse extérieurement cette croyance,
et cependant , ô honte! et cependantje vis comme si
je ne devais jamais mourir, et comme si je ne devais
pas expier , dans une seconde mort “ , les défauts qui
accompagneront la première. Je vis comme sij'avais
ici-bas une cité permanente 5 , tout plongé dans les
choses de la terre , et follement ambitieux d'un vain
honneur. Je vis, hélas! je vis', misérable esclave de
la chair, et j’ai pour cet amas de corruption, pour
cette infecte pâture des vers, un amour si excessif ,
qu'il m'aveugle jusqu'à ne pas rougir de sacrifier à
ses sensualités des degrés sans nombre de vertus et de
gloire. Je vis, ô indignité ! aussi prodigue de mon
âme, aussi peu soigneux de mon sort éternel , que si
l’homme devait finir avec la brute , que leur condi
tion fût égale , et que l'homme n'eût rien au-olessus
d'elle 6. '
O Seigneur! je suis la nourriture des vers, un dé
pôt de fumier; je suis une pourriture, une sanie ,

‘Lue, c. l'2,v. 40. — 3 Ecclés., c. il . v. 3. — 3Gen. , c. .5,


v. 19. — 4 Le terme de seconde mort est plusieurs fois em
ployé dans l'Apocalypse pour signifier l'enfer: c. 2, v. 11; c.
20, v.6ctlh; c. 21,v. 8. — 5flébn, c.13, V. N. —- 6 Be
clés. , c. 3, v. 19. '
476 m” JOUR. 1" MÉDITATION. DE LA nom.

une corruption pestilentielle; je suis plus abject que


la poussière , que la cendre et que le néant, et cepen
dant j'ai osé lever la tête et me révolter contre vous ,
qui êtes le Tout-Puissant! J'ai osé vous estimer moins
que mon corps; j'ai préféré ses inclinations déréglées,
j’ai préféré mon orgueil , mon désir des biens à votre
très-sainte volonté. O cieux ! j'ai donc pu tomber dans
cette malheureuse folie d'irriter Dieu , de blesser ma
conscience , de perdre la grâce pour l'amour de ce ca
davre qui doit pourrir! Ah! tous mes membres fris
sonnent quand je me rappelle ce quej’ai fait.
Maisje me repens, ô Dieu puissant, qui avez formé
ces membres! je me repens de ma scélératesse, je
rougis de ma folie. Ah! puisse mon cœur être brisé
par la véhémence de ma douleur. C'en est fait : je vais
déclarer une guerre continuelle à cette triple concu
piscence de la chair , des yeux et des honneurs de la
vie. Que la foudre tombe du ciel, qu’elle réduise ce
corps en cendres, plutôt que je ne permette le péché
à mes sens. Eclairé par la lumière du cierge funèbre,
je reconnais et je déteste la vanité des honneurs du
monde. Qu’elles périssent ces inutiles bagalclles, et
que ces riens, qui avaientjusqu'à présent trop sérieu
sement attaché mon âme , périssent aussi, afin que la
mort ne trouve plus rien à m'enlever malgré moi.
Mais vous , ô Seigneur! rendez-moi à la liberté des
enfants de Dieu après m'avoir délivré de ce triple
lien; accordez-moi une indifférence semblable à celle
d’un mort , à qui il est égal d'être renfermé dans un
cercueil de bois on de plomb,'d'être enveloppé d'un
mauvais drap ou revêtu d'habits précieux , d'être
l'objet des éloges ou de la censure, et qui ne refuse
pas plus d'être couché sur la dure que sur un moel
leux coussin dans le tombeau.
LECTURE son LA CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 177

LECTURE

sen LA- CONNAISSANCE DE soi-imite.

S Icr

I. La voie purgative, à laquelle répond cette pre-


mière semaine des exercices et que nous avons com
mencée hier dans la méditation de la chute des anges,
comprend , selon les auteurs aseétiques, trois objets
qui en sont le but : 1° la détestation des péchés , 2°
l'extirpation des racines du péché, 3° la connais
sance de soi-même. On ne peut pas appliquer un
remède convenable à une plaie qu'on ne connaît pas;
il est donc nécessaire de se connaître soi-même. On
ne cherche pas à apporter remède à un mal que l'on
aime; il est donc nécessaire de détester le péché. En
fin , si l’on ne détruit pas les causes de la maladie, si
l'on n’arrache pas les racines du vice , qui sont les
appétits déréglés, on n’obtiendra jamais une santé
parfaite. Il faut donc , de toute nécessité , que les ra
' canes vicieuses soient arrachées: autrement, on ne
parviendra point à purifier son âme comme on le dé
sire. Tels sont les trois principaux moyens de purger
notre âme de l’ivraie de ses vices, pour la mieux pré
parer à produire ensuite les fleurs des vertus.
Or, et le témoignage du Directoire, et ce que nous
avons déjà dit nous-mêmes, et ce que nous dirons
encore, montre évidemment avec quel soin nous de
v'ons nous appliquer , dans cette première semaine , à
mettre en pratique ces trois points si importants, et
avec quelle exactitude nous devons, dans cette même
178 111° JoUn. LECTURE.

semaine , nous proposer tous les moyens qui peuvent


contribuer à purifier notre âme ‘. Aussi , en considé
rant hier la malice que renferme le péché et la peine
qui lui est due , nous sommes-nous fortement excités
à une vive douleur de nos fautes commises, à une
haine eflieace pour n'en plus commettre, en un mot ,
à la délestation de tous les péchés. Nous nous som- '
mes encore appliqués , selon nos forces, à extirper de
notre cœur le trop grand amour de la sensualité et de
l'élévation, qui est comme la principale racine de
toutes nos fautes; et à cause de la difliculté de cette
entreprise, nous avons , dans la première méditation
d'aujourd'hui, continué d’y appliquer nos efforts, et
nous continuerons encore dans la suite à le faire. La
deuxième méditation d'hier , la considération et l'exa
men qui la suivent nous ont merveilleusement aidé à
acquérir la connaissance de nous-mêmes. C'est à cette
même fin que nous consacrerons la majeure partie des
exercices de ce jour : de cette sorte, la première se
maine répondra parfaitement à la voie purgative.
La raison qui nous fait employer tant de temps et
de peine pour acquéiir la connaissance de nous-mê
mêmes, c'est parce qu'une parfaite conviction de
notre propre néant nous découvre, avec la plus claire
évidence, combien nous devons nous humilier et
nous haïr. De cette sorte, la sensualité et l'orgueil
se trouvent vaincus, et ce principal obstacle, qui
nous détourne si souvent de cette fondamentale in
différence pour servir Dieu de la manière qu'il le
veut , est entièrement détruit ;car on ne peut conce
voir qu'un homme connaisse parfaitement et la mi
8ère de son corps et la maladie de son âme , sans
qu'il sache en même temps se haïr et se mépriser
lui-même. C'est encore une nouvelle preuve de l'ex

‘ Direct. , c. 39, n° 2.
CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 179

cellence des exercices et de la parfaite liaison qu'on y


admire. Je dis de leur liaison , parce que tout s’y suit
avec un ordre merveilleux , et tend directement au
but qu’on se propose; et de leur excellence, parce
que les principes de la théologie ascétique y sont ex- '
pliqués d’une manière pratique , et que l'âme y est
doucement conduite par la voie purgative et la voie
illuminative.
Il. Cette intime connaissance de soi-même est -
suivant S. Ignace, le troisième fruit que nous devons
recueillir en cette première semaine. Le Directoire
' nous le confirme en ces termes : Celui qui suit les
exercices doit s’appliquer d'abord à acquérir la plus
parfaite connaissance de soi-même , en considérant
les causes , l'origine et les racines de ses vices ‘ ; et
ailleurs : Celui qui suit les exercices doit diriger tous
ses efforts à ce but , de connaître sa propre abjoc
tion et sa bassesse , et d’en avoir un sentiment in
time 2. .
Pour acquérir plus facilement cette connaissance ,
notre saint patriarche nous propose trois moyens ex
cellents 21° la première manière de prier, 2" l'examen
de conscience, 3° la confession générale. Voici en
quoi consiste la première manière de prier : lorsqu'on
réfléchit sur les commandements de Dieu ou de l'E
glise , sur les sept péchés capitaux, sur les trois
puissances de l'âme et sur les cinq sens du corps 5 ,
il faut examiner chacun de ces points avec ordre, et
voir de quelle manière on a accompli 4 les comman
dements , comment on s’est rendu coupable de pé
chés , et quel usage ou quel abus ou a fait de son
corps et de son âme. C'est par une semblable recher
che qu'on descend au fond de l'abîme, qu'on observe

1Direc.,c. l0,n° 8. — 2 Ibid. , c. Il, n° 53. -- 3 Ibid. ,


c. 337 , n° 2. —— 4 Liv. des Exercices.
180 111° JOUR. LECTURE.

les replis les plus cachés du cœur de l’homme ‘ , et


qu’on découvre d'un œil pénétrant jusqu'à ses plus
intimesl'secrels.
On comprend aisément combien l’examen journa
lier et l'examen général, qui précède la confession ,
sont des moyens efficaces pour que l'homme commen
ce à ouvrir les yeux: à la connaissance despéclw's de
sa vie passée 2 et de l’état présent de son âme. Cet
examen est comme une lampe dans un lieu obscur 5 ,
qui éclaire la profondeur de nos ténèbres ‘ : aussi S.
lgnace traite-t-il de l'un et de l’autre dès le commen
cement de ses Exercices , pour faire voir l’estime qu'il
en fait. Il veut qu’on en explique lâ pratique dès le
premier jour, aussitôt après l'exercice du fonde
ment 5 , et qu'on continue ensuite tous lesjours l'u
sage du premier durant un quart d’lzeure 0, afin
que , par leur secours, nous apprenions à nous eon
naître nous-mêmes plus à fond.
Enfin la confession générale , soit de toute notre
vie, soit seulement d'une partie considérable , est un
très-puissant moyen d'acquérir la connaissance de
nous-mêmes. Le Directoire exprime en ces termes la
même opinion : Il est constant, par l'expérience,
que la confession générale a beaucoup servi à plu
sieurs pour se connaître et se corriger eux-mêmes 7.
N'en soyez pas surpris; car, lorsque nous venons de
rappeler à notre mémoire les péchés que nous avons
commis jusqu'à présent , il nous est facile de remon
ter et d'arriver à leur source, surtout si nous recher
chons en outre , dans un examen diligent , à décou
vrir quelle est la chose dont l’amour ou la haine , le
désir ou la répugnance, l’espérance ou la crainte ,

‘Ecclés.,c.fl8, v.28. — 2Direct.,c. l3,n° 6. ——3 lV Es


dras, e. 1?,v. 12. — 4 lCor.,c. à. v. 5. -- 5 Direct. , e. 13 ,
n°2.—°Iln'd.,c.40,n° 8.—71bid.,c.l0,n..9.
CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 481

nous entraîne à commettre ces fautes qui sont la ma


tière ordinaire de nos confessions. Ce qu'on vient de
dire prouve combien la confession générale est un
moyen utile pour parvenir à la connaissance de soi
même, et combien notre saint patriarche a en raison
de vouloir qu'on l'écrivît durant le cours de la pre
mière' semaine, et qu’on en fit l'accusation à la fin
de cette même semaine.
III. Et comme il veut que nous ayons de nous
mêmes une connaissance non-seulement spéculative ,
mais encore pratique, et surtout une connaissance
telle qu'elle nous fasse entreprendre notre amende
ment , détester nos vices et en extirper les racines, il
nous propose l'examen particulier comme le moyen
le plus efficace pour arriver à ce résultat; et il recom
mande qu’on s'y applique dès l'entrée de la retraite ,
aussitôt qu'on aura terminé l'exercice du fondement,
afin que cette utile pratique étant commencée en
même temps que les saints exercices, soit continuée
ensuite, après qu'on en sera sorti, tous lesjours pen
dant tout le temps de notre vie ‘.
Il sera utile de prendre connaissance aujourd'hui ,
dans le livre même des Exercices , si on ne l'a pas déjà
fait dès le premier jour , des différents points dont se
composentl’examen général de la journée et l'examen
particulier, afin que si nous avions laissé s'introduire
quelque défaut dans notre manière de les faire, nous
puissions nous en corriger promptement. Avec quelle
évidence tout ceci ne nous montre-t-il pas que ce livre
vraiment d’or de S. Ignace ne contient rien d'inutile,
rien qui soit proposé témérairement et sans réflexion,
rien enfin qui ne tende parfaitement au but qu'il a
eu'en vue, et qui ne contribue même puissamment à
nous y conduire. Combien donc se trompent ceux qui

1 Direct, c. 10, n° 9.
182 111’ mon. LECTURE.

jugent peu convenable, eu égard à l'importance de


l'œuvre qu’on entreprend , de traiter avant tous les
autres sujets, et aussitôt après l'exercice du fonde-
ment, cette matière de l'examen particulier et général
et de l'examen journalier!

5 11.
1. Après avoir jusqu'ici expliqué les moyens d'ac
quérir la connaissance de soi-même, nous yjoindrons
les deux méditations de la mort et du jugement, dont
l'importance assurément le mérite. S. Ignace dit ex
pressément qu'on peut s'appliquer à ces deux sujets;
et le Directoire en fait presque une obligation lors
qu'il dit : On ne doit omettre que très-rarement les
eaercices de la mort et dujugement ‘ : et il a raison;
car rien ne montre aussi évidemment la misère de
notre corps que la mort, et rien ne découvre aussi
manifestement la malice de notre âme que le juge
ment. Ces deux choses nous font voir plus clairement
que le jour que nous ne sommes que néant etpéché:
néant du côté du corps, et péché du côté de l'âme;
néant même de tous côtés, puisque le péché n'est
qu'un néant digne de l’enfer : preuve incontestable
que ces deux exercices de la mort et du jugement sont
d‘un puissant secours pour se connaître soi-même et
pour acquérir ensuite le mépris et la haine de soi
même, qui sont la conséquence immédiate et rigou
reuse de cette connaissance.
Et certes jamais la misère et le néant de notre corps
n'apparaissent plus vivement que quelques jours
après la mort 2. Ahl quel triste, quel hideux, quel

1 Direct.', c. 15, n° 1o. — 2 On a cru ne devoir pas rendre


quelques expressions de cet alinéa et du suivant ,dans la crainte
de trop offenser la délicatesse de notre langue .- on a agi ainsi
CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 185

effrayant spectacle il présente alors! Allons , étudions


avec un œil attentif toute la suite de cette horrible
tragédie. Des taches de différentes couleurs répandues
ça et là sur le cadavre commencent à le défigurer , et
bientôt une rancissure dégoûtante le rend tout entier
un objet d’horreur. De la figure, des bras, de la poi
trine , des pieds découle une sorte d’écume fétide ,
précurseur de la putréfaction qui envahit l'intérieur,
et qui , s'échappant de tous côtés avec effort, gagne
promptement toutes les parties de la peau. Partout
un pus dégoûtant , insupportable, coule de tous les
membres avec une telle abondance . que le corps y
nage , pour ainsi dire, pendant quelque temps.
De cette croupissante sanie , qui va se répandant à
l'extérieur et rentrant à l'intérieur, pullule une in
croyable multitude de vers et d'autres insectes , dont
la dent ingrate , si vous le voulez , mais avide cepen
dant , rouge et dévore cette même chair et ces entrail
les où ils viennent de prendre naissance. C’est un
spectacle horrible de voir avec quelle rage des vers
sortent par les yeux qu'ils ont percés; d'autres, après
avoir rongé la bouche, se répandent dans la gorge ,
tandis que d'autres encore se disputent et mangent
avec une voracité insatiable la poitrine, le ventre ,
les côtés. Semblable à une fourmilière , leur foule
afflue de ce cadavre et y reflue sans cesse : ils ne s’ar
rêtent qu'après avoir dévoré toutes les chairs , ne
laissant plus qu'un squelette d’homme qui va bientôt
être réduit en cendres. Ah! on frissonne à ce son
venir.
Il. Viens maintenant ici, 6 mon âme! regarde de
plus près'et parcours toute cette scène. Considére cet
abime de misère et cette fange d'ordure ‘ ; contemple

pour quelques autres endroits, notamment au n° 1" de la con


sidération du 11e jour. -— 1 P5. 29 , v. 3.
184 ni° mon. LECTURE.
les restes pourris de ton cadavre; et là , connais—toi
enfin toi-même; apprends en ce moment, par ce
fumier et par ces cendres , à savoir qui tu es. Vois cet
amas infect de boue et de pourriture fétide : c'était
ton corps, cette idole de ton amour-propre , que tu
as soignée avec tant de précautions , et que tu as
aimée si tendrement. Là où les insectes les plus im
mondes établissent maintenant leur repaire, la étaient
les narines, tes oreilles, là était ton cerveau , où se
sont élaborées tant de mauvaises pensées et de mau
vais désirs. Ces os desséchés et d'une hideuse pâleur
étaient tes doigts, c’étaient tes délicates mains qui
t’ont servi à commettre tant de crimes.
Voici ce qu’est enfin devenu cet édifice de chair
qui était ton corps; voilà à quoi est réduit tout cet
assemblage de tes 05 , toute cette structure de tes
membres. Lis donc maintenant dans ces cendres qui
tu es : tu es une poussière, une enveloppe d'infec-
tion, un fumier recouvert de neige, un néant am
bulant; tu es le père de la pourriture, la mère et la
sœur des vers ‘ 1 voilà ta noblesse native. Ah! lorsque
l’œil examine ce cadavre ainsi disséqué, que la con
sidération de la mort est un puissant moyen de mettre
à découvert la misère de notre corps et son néant!
Ah! qu'un crâne décharné est un fidèle miroir où
nous nous voyons nous-mêmes!
III. La considération de ce terrible jugement qui
nous attend après la mort, n'est pas moins puissante
et moins efi‘icace pour nous apprendre à nous con
naître à fond nous-mêmes. Nous nous en convain
crons aujourd'hui par la deuxième méditation , dans
laquelle, avec le flambeau du plus scrupuleux exa
men , on montrera à nos yeux, clairement et distinc
tement , la malice et le néant de notre âme. En effet ,

1 Job, c. 17,57. 114.


CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 185
puisque la malice de notre âme , que nous sommes si
ingénieux à cacher, ne doit être jamais et en aucune
autre occasion aussi manifestement dévoilée que dans
ce jour de colère , il s’ensuit donc que nous ne pou
vons jamais en aucune occasion la reconnaître plus
clairement que par la méditation anticipée de cette
scène effroyable, dans laquelle nous préludons, en
quelque sorte, à l’anatomie de notre conscience : par
conséquent cette méditation est un excellent moyen
pour se connaître soi-même; car elle prouve avec
évidence, 1° la perversité de notre âme, 2" son in
clination à toute sorte de mal, 3° son impuissance à
quelque bien que ce soit.
1° Pour ce qui regarde sa- perversité , notre âme
devrait être l'image de la très-sainte Trinité , le tem
ple de la divinité; elle devrait être un miroir de sain
teté propre à réfléchir l'éclat de toutes les vertus. Mais
cependant,-ô douleur! les images, les pensées, les
représentations les plus honteuses , semblables à des
insectes vénimeux , s’amassent dans sa mémoire com
me dans un bourbier que les passions et les démons
remuent suivant leur caprice! Son intelligence n’est
qu’erreur , qu'aveuglement , que ténèbres; elle est la
retraite où les faux principes, les déceptions, les ju
gements erronés, les ignorances crasscs et affectées
viennent se loger en foule. Mais e’est dans sa volonté
que la malice elle-même exerce un souverain domai
ne : elle la réduit sous la misérable servitude des
mouvements dépravés, et , la tenant sous le joug, elle
lui fait faire non le bien qu’elle approuve, mais le
mal qu'elle condamne.
2°Une inclination effrayante à toute espèce de mal
qui règne dans l'âme : elle le plie sous son poids et
l'incline tout entière à la corruption des vices; de
sorte que si Dieu , d'une main charitable et par une
miséricordieusc violence , ne la retenait pas, elle
1. 16
Ç

186 me mon. LscTone.

tomberait à chaque instant et se précipiterait de son


propre mouvement dans tous les crimes. Imaginons
nous voir un homme dont les bras et les pieds seraient
liés, et qu'une main étendue tiendrait, du haut d'une
tour très-élevée , suspendu seulement par les che
veux sur une affreuse fournaise de soufre et de poix
embrasée; eh bien! nous aurons vu représentée, sous
ses véritables couleurs , la surprenante disposition de
notre volonté à tomber dans le vice.
3° Mais il n’y a pas seulement dans notre âme une
pente incroyable à toute sorte de mal, nous y trou
vous encore une pleineet absolue impuissance à toute
espèce de bien; car , sans la grâce prévenante , sans
le concours surnaturel de Dieu , elle ne peut faire
aucune œuvre surnaturelle, et même elle ne peut
rien faire dans l'ordre naturel, si elle est seule et des
tituée du secours naturel de Dieu. En sorte que notre
âme n'est rien 1" dans l'origine de son être, puis
qu'elle tient tout son être uniquement de son Créa
teur , et elle le tient tellement de lui , que si le son
verain modérateur de l'univers cessait un instant de
la conserver par la continuation de son action créa
trice, comme parlent les théologiens , aussitôt, par
sa propre tendance, elle retomberait dans le néant
d'où elle est sortie. 2° Elle n'est rien dans son action ,
puisque , sans un concours physique de Dieu , elle
ne peut ni mouvoir un de ses pieds , ni même élever
un seul de ses doigts. 3° Elle n'est rien s'il s'agit de
mériter; car, pour qu'un homme produise réelle
ment un acte méritoire de la gloire céleste, il a be
soin d'une grâce surnaturelle qui l'y excite , non pas
seulement d'une grâce quelle qu'elle soit, mais d'une
grâce efficace, c'est-à-dire d'une grâce que Dieu, dès
l'éternité, a prévue devoir obtenir le consentement
de la volonté. Mais cette grâce n'est due à aucun
homme, pas même à un juste; bien plus , personne
CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 187
ne peut la mériter d'un mérite de condignité, ni
même d'un mérite de congruité , qui la lui assurerait
infailliblement : ainsi l'enseignent les théologiens.
Concluez de tout ceci combien ces deux considéra
tions de la mort et du jugement sont de puissants
moyens pour arriver à la connaissance de soi-même;
par conséquent , il est très-convenable de les traiter
en ce lieu , puisqu’elles frappent nos yeux d'une vive
lumière qui leur montre la misère de notre corps, la
malice de notre âme et le néant de tous les deux.

5 111.
I. De plus , ces deux méditations, dit le Directoire ,
ont une grande fiwce pour détourner notre âme de
Z'amour désordonné des choses humaines et visibles ‘:
tel est le second fruit qu'une fervente application doit
nous en faire retirer. Nous avons commencé à éprou
ver cet heureux effet dans la première méditation
d'aujourd'hui , qui nous a aidé à repousser bien loin,
je l'espère, la triple convoitise des richesses, des hon
neurs et des plaisirs.
Assurément je ne crois pas que rien autre chose
puisse nous détourner plus eflicacemcnt de l'orgueil
et de l’amour-propre, et de cette convoitise des riches
ses et des commodités qui naît des deux premiers vi
ces. Pourquoi, en effet, ô idolâtre insensé d'un mé
prisable néant ! si telle est, après votre mort, comme
je viens de vous la représenter, la condition de votre
corps, pourquoi, poussière et cendre , vous enorgueil
lissez-vous 2.? Si vous êtes un amas de fumier et la
pâture des vers, pourquoi votre cœur vous élève-t
il .9... Pourquoi donc votre esprit se dresse-t-il contre
Dieu 5 ? Puisque vous êtes poussière et néant , pour
1Direct., c. 15, n° 14. —- 2 Ecclés.,c. l0,v. 9. - sJob,
0.15, v. 12 et 13.
188 me moa. LECTURE.

quoi vous indignez-vous si cette poussière est mépri


sée, si ce néant est compté pour rien ? Puisque vous
êtes rempli de défauts et de vices, pourquoi désirez
vous être loué, et pourquoi refusez-vous d'être rejeté
et foulé aux pieds? Puisque vous n'êtes que corrup
tion , pourquoi vous estimez-vous tant et vous élevez
vous au-dessus des autres? Puisque votre réputation
s’évanouit avec la fumée des cierges funèbres , pour
quoi donc votre vanité ambitionne-belle les honneurs?
. Et puisque encore la séditieuse révolte de vos désirs
s'agite souvent dans votre cœur et y excite un schisme
honteux qui le déchire en mille factions; puisque ,
semblable alors à un homme possédé du démon , votre
âme est tantôt, par sa tristesse , brisée contre la terre,
et tantôt, par son orgueil, élevée dans les airs ; puis
que parfois elle frémit de colère , et que parfois elle
brûle de pensées déshonnêtes; puisqu'elle succombe
maintenant de paresse , et qu'un instant après elle
bouillonne de haine , et'que, comme une balle élasti
que, elle est poussée de haut en bas et dans tous les
sens par ses passions; puisque, je le répète , tout
ceci n'est que trop vrai , ainsi que vous le verrez très
clairement devant le redoutable tribunal, concluez
vous-même s’il est juste que votre cœur s'élève d'or
gueil ami-dessus de vos frères ‘; avouez encore si les
deux considérations de la mort et du jugement,join
tes à la connaissance distincte qu'elles vous donnent
devotre propre néant, ne sont pas des moyens tout à
fait puissants pour détourner votre âme de tout désir
désordonné de l'honneur , pour vous inspirer le mé
pris et la haine de vous-même.
J’ai dit la haine de vous-même ; car, quoi donc!
vous ne pourriez pas haïr votre corps, ce vase de
boue, cette pépinière de maladies, ce réceptacle de

1 Deu!., c. 17, v. 20.


CONNAISSANCE DE SOI-MÊME. 189
_ toutes les misères! Ah! il trahit votre âme, il sert de
retraite aux péchés, il est un foyer d'impureté, il
alimente la gourmandise , il est le siége des tentations
et de la sensualité, il est l’ennemi des vertus; en un
mot, il est comme une mer fréquemment agitée par
les diverses tempêtes de ses capricieuses humeurs : et
vous ne pourriez pas haïr ce monstre!
Pour une raison toute semblable, quoi! vous ne
pouvez pas maintenant haïr et détester votre âme,
qui, rebelle à Dieu, odieuse au ciel, dangereuse au
monde, esclave de ses appétits , mère des erreurs et
sentine des vices , subit l'indigne servitude de la chair;
quoi! dis-je, vous ne pouvez pas la haïr! Loin de vous
de si lâches sentiments! Livrez-vous plutôt à de sain
tes colères; et , dans le souvenir de ces deux divins
oracles : Celui qui nourrit délicatement son serviteur,
le verra ensuite se révolter contre lui ‘ ; Votre con
cupiscence sera sous sous, et vous la dominerez2;
dans ce souvenir, dis-je, eluîtiez avec Paul votre corps,
et réduisez-le en servitude 5 ; et avec Pierre , militez
contre votre âme ‘ , et ne suivez point vos concupis
cence 5. Retirez votre cœur de ces inutilités vaines et
frivoles que la mort peut vous enlever à tout instant
malgré vous, qui vous forceront'à vous condamner
vous-même devant le redoutable tribunal, pour les
avoir tant aimées et tant désirées. Prenez des résolu
tions particulières de faire telles ou telles pénitences ,
et remarquez aussi quelle est la merveilleuse puis
sance de la mort et du jugement, pour désabuser no
tre âme des biens de la terre.
II. Dans ces méditations , non-seulement l'âme est
détachée de l'amour de tout ce qui est terrestre , mais
encore elle conçoit une sainte crainte du Seigneur,

|Prov., c. î9,v. 2l. — 3 Genès.,c. é, v. 7. — 3 1 Cor. , c.


9, v. 27. -— 41IPierro,c.2,v.1l.—5Eeclés.,c. 18, v. 30.
190 111° JOUR. LECTURE.
qui lui inspire l'esprit du salut ‘ , qui l'affermit et la
fortifie davantage dans la haine et dans la détesta
tion du péché 2 : troisième fruit qu'on doit retirer de
ces deux considérations.
En effet , celui qui réfléchit sérieusement qu’il
peut , au moment même où il pèche, tomber sous les
coups de la mort, et comparaître au tribunal de la
divine justice pour yrendre compte de ce crime même
qu’il commet , et pour en rendre compte à un juge
très-sévère, inexorable , à qui rien n'est caché, qui
peut perdre à la fois dans l'en/‘èr le 0a17)s et l'âme ;
oui, dis-je, celui qui y pense peut-il ne pas s'écrier
avec Joseph : Comment puis-je faire ce mal et pécher
contre mon Dieu “9 Il choisira plutôt de subir mille
morts, d'endurer les plus cruels supplices, que de
pécher Een son a'meä, et d'attaquer, par une faute
mortelle , la majesté divine: en lui s’accomplira cette
parole de l'Ecclésiaste : Souvenez-vous de vos fins der
nières ,'et vous ne pécherezjamais 6.
Voici donc les trois sortes de fruits que nous de
vous recueillir de la méditation de la mort et de celle
du jugement, etque nous nousétions spécialement pro
posés dans la première semaine, savoir: 1° la détes
tation du péché , 2° la connaissance de soi-même , 3°
l’extirpation de la racine des péchés, qui consiste à
détacher notre cœur des choses de la terre, princi
palement de la convoitise des honneurs et des plai
sirs , qui est la source, l’origine et le premier de tous
les vices.
Par ce moyen , ou retrauchera les principaux obs
tacles qui nous éloignent de cette céleste indifférence
si souvent recommandée, et qui nous séparent par
conséquent de notre dernière fin : ainsi on atteindra
'1 Direct. , c. 15,110 4. — 2 Ibid., c.39, n°s. — = Matth., c.
10, v.28. —‘ Gen., 0. 89, v. 9..—5 Ecclés., c. 19. v. 14. —
‘‘ Sag.,c.5,v.7.
CONNAISSANCÈ os SOI-MÊME. 191

le but de la première semaine , qui est de purifier


notre âme , et de la faire revenir de la voie de l'ini
quité et de la perdition ‘ dans la voie du salut 2 et de
la perfection. Dans cette même intention , on se ser
vira encore très-utilement de la parabole de l'enfant
prodigue, à laquelle méditation le Directoire nous
invite en ces termes : Celui qui suit les exercices de
la retraite pourrait considérer la parabole de l'en
fant prodigue et se l'appliquer à soi-même 5.
Dans cette méditation , l'âme, considérant avec ce
dissipateur la misère de son état présent, en vient à
la connaissance d'elle-même : Je meurs ici de faim.
De là elle passe avec lui à la déiestation du péché .'
Mon Père , j’ai péché. Comme lui enfin elle détruit
les obstacles; elle brise ses chaînes, et , exlirpant la
racine des péchés, elle détache son cœur de l'amour
désordonné de ces choses qui avaient retardé jusqu'ici
la réforme de ses mœurs : Je me lèverai. etj'irai ‘.
D'où il résulte que cette dernière méditation de la
première semaine est comme une récapitulation des
exercices précédents et comme le dernier assaut livré
à notre âme , lequel, détruisant tous les obstacles ,
l’oblige de consentir à revenir irrévocablement à sa
dernière fin , dont elle s'était écartée par le péché ,
et à prendre la résolution de servir dans la suite son
Créateur de la manièrequ'il le voudra, avec une par
faite indifl'érence pour toutes choses. 0 ordre et en
chaînement vraiment admirable de tous ces exercices!
dans lesquels le commencement s'adapte au milieu et
le milieu à la fin , avec une industrie si divine, que
l’un et l'autre se prêtent un mutuel secours pour pro
duire plus certainement le fruit qu’on se propose.

‘Sag., c.5, v. 7. —2Act.,e.l6,v. 17.- 3l)irect.,e. l7.


n°Ê.-*Lue,e.lä,v.l8. '
192 lu’ mon. 11'' MÉDITATION.

IIe MÉDITATION.

DU JUGEMENT PARTICULIER.
Premier Point.

Il faut que nous paraissions tous au tribunal de


Jésus- Christ ‘ ; tous : oui, vous aussi ; car chacun
portera son fardeau 2. Là un juge très-sage, très
sévère , inexorable, que vous avez grandement irrité
par vos péchés , entrera en jugement avec vous 5 , et
avec vous seul, sans protecteur , sans assistant , sans
avocat; lui-même vous accusera , et 2'! placera sous
vos yeux ‘ tous les péchés que'vous avez commis, dans
tout le cours de votre vie, par vos cinq sens , par les
trois puissances de votre âme , par vos pensées , vos
paroles et vos actions; car tout ce que nous faisons,
Dieu le jugera 5 : oui, tout. Toutes les fautes, et le
bien et le mal 6 , toute parole oiseuse que les hommes
auront dite , ils en rendront compte aujour dujuge
ment 7; en un mot, tout sera soumis à l'examen le
plus rigoureux , tout ; et d'abord, '
1' Toutes les transgressions contre les préceptes '
du décalogue et les commandements de l’Èglise , con
tre Dieu , le prochain et vous-même; 'toutes les fautes
commises par les sept péchés capitaux et par la viola
tion des vœux; tous les péchés secrets; ceux dont
vous ne vous soupçonniez même pas coupable; les
péchés d'autrui, dont vous ne vous êtes jamais accusé

‘ Il Con, c: 5,v. 10.r- 2 Galet, c. 6, v. 5. — 3 Jérém, c.


2,v. 35. — ‘P349, v. 21. .- 5 15ccl.,c. l2, v.14. - 6 Ibid.
-- 7 Matlh.,c. l2,v. 36.
DU JUGEMENT PARTICULIER. 495

au sacré lzibunal; les péchés depuis longtemps oubliés,


pour lesquels vous avez vécu sans inquiétude.-Vous
verrez aussi vous-même, dans votre conscience , ce
qui apparut à Ezéchiel dans une vision au milieu de
la campagne ‘; vous verrez de grandes abominations,
des fautes de toute espèce, innombrables par leur
multitude , énormes par leur grièveté , horribles par
leur laideur , qui pèseront sur vous comme un poids
accablant 2.
2° On examinera en second lieu le bien que vous
aurez amis. 0 de quel effroi vous serez saisi, lorsque
ces foudroyantes paroles retentiront à vos oreilles :
Comptez , pesez , séparez ! Comptez les grâces qui
vous ont été accordées pendant le cours de la vie....
Hélas ! que leur nombre est grand! Pesez leur valeur
au poids du sanctuaire.... Ah! elle est inestimable et
infinie ! Séparez le bon usage de l'abus que vous en
avez fait... 0h ! que le dernier l'emporte sur l'autre !
O que d'obligations de votre état et de votre charge
négligées, que de moyens de salut rejetés, que d'oc
casions de faire le bien méprisées ! .
O malheureux ! quelle sera alors votre pensée ,
quand le divin Juge vous criera d'une voix tonnante:
Rendez compte du temps qui vous a été si libérale
ment accordé pour faire pénitence , accroître vos grâ
ces et mériter la gloire, et que vous avez perdu avec
tant de prodigalité , en ne faisant rien , ou en faisant
toute autre chose que votre devoir , ou le faisant
mal. Rendez compte des talents qui vous furent con
fiés , et que vous avez tenus renfermés dans un mou
choir 5 et lâchement cachés dans la terre 4 , sans les
employer , ou que vous avez profanés par un crimi
nel abus. Rendez compte de tant de confessions , de

1Ezéch.,c. 8,v. 6. _ 2m. 37, v.5. — 3 Lame-19, n90.


.. 4 Mana, c.25, V. "25.
.1. 17
194 tu’ mon. n° HÉDITATION.

communions , de méditations , de retraites, d'exerci


ces spirituels que vous avez omis , ou que vous n'avez
faits qu’avec légèreté et sans fruit. Rendez compte de
tant de péchés que vous auriez pu empêcher, de tant
d’âmes que vous auriez pu sauver, de tant d'établis
sements religieux que vous auriez pu former ou pro
pager. Û Seigneur! hélas! la confusion couvre mon
visage ‘ , parce que mon âme est remplie de mana: 3.
4" Enfin le bien lui-même qu’on aura mal fait sera
aussi examiné au tribunal sévère; car Dieu visitera
.Iérusalem le flamblcau à la main 5. 1l jugera les fus
lices elles-mêmes 4; et dans ce jugement toutes nos
justices apparaîtront comme un linge souillé 5. Notre
justice soumise à l'examen de lajustice divine ne sera
qu'injustice , et le regard du juge fera pâlir l'éclat
dont nous croyons, en l'opérant, qu'elle devait bril
lcr 6.
Alors il paraîtra que les bonnes actions sont deve
nues mauvaises, ou à cause de la manière dont elles
ont été faites , ou à cause du mati/'qui nous les a ins
pirées , ou à cause de la fin que nous avons eue en les
faisant: ainsi celui qui se croit maintenant , avec cet
évêque de Laodieée , riche et dans l'abondance, verra
alors , dans l’excès de son étonnement , qu'il est mal
heureux: , et misérable, et nu , et pauvre , et aveu
gle 7. Connaissez-vous donc ici vous-me°me... O que
la méditation du jugement nous est d'un puissant
secours pour découvrir la perversité de notre âme! O
que cette connaissance de soi-même est une pressante
incitation à nous estimer moins que le néant, à dé
tester tant de péchés et nous haïr nous-mêmes !

‘P5. 68, v. 8. — 2 lb. 87 , v. 4. — 3 Sophon. , c. l, v.12. -—


4 P5. 74 , v. 3. — 5 lsaie, c. 6k,v. 6. — 6 S. Gregoire-le-Grand.
— 7 Apoc., e. 3, v. 17.
ou JUGEMENT PARTICUUER. 1933’

Deuxième Point.

Toutes ces choses seront présentées à notre vue


distinctement et avec une entière clarté; car le Dieu
qui sonde les cœurs et les reins ‘, fera jaillir un rayon
de sa céleste lumière, ilécIairera l’abîme de nos ténè
bres , et manifestera les pensées de nos cœurs 2. Cet
œil divin qui quidémêle les pensées et les mouvements
du cœur 5, fera une parfaite anatomie de notre âme,
et il mettra en évidence son inclination au mal et son
impuissance pour le bien.
Là, le nombre de nos péchés sera compté un à un ;
leurs espèces seront très-clairement distinguées; leur
grièveté sera minutieusement pesée; leur laideur sera
entièrement dévoilée: le Dieu qui voit tout distin
gucra séparément , avec sa lumière pénétrante , les
mouvements de notre âme, les causes de ces mouve
ments et les sources de nos vices; il nous objectera et
nous montrera, l’une après l'autre, la fausseté de
nos maximes, la frivolité de nos prétentions , la va
nité de nos pensées.
En un mot, tout ce quila rempli les années de
votre vie, toutes les occasions d’arriver à la perfec
tion'ct de pratiquer la piété, tous les bons mouve
ments, tous les remèdes spirituels , toute cette conti
nuité de grâces dont vous avez abusé , il les placera
sous vos yeux réunis dans un même tableau , afin
que , d'un seul regard, vous les voyiez tous à la fois ,
clairement et sans confusion ; car alors il vous appa
raîtra plus clair que le jour qui vous êtes , combien
vous êtes porté au mal , lâche et paresseux pour le
bien.
Mais enfin, à cette heure dernière, 1° que pense
rez-vous de la malice du péché, du désir des hon

‘Apoe, c. 2, v. 23. —2lCor.,e.!4,v.5. — 3 llébr,c. si, v.12.


196 "1” mon. 11° MÉDITATION.

neurs et des plaisirs , et de votre affcetion à de pures


bagatelles'? 2° En quel état de vie ou de quelle ma
nière , dans l'état que vous avez déjà choisi, désire
rez-vous alors avoir servi Dieu? 3° Quelle estime
aurez-vous en ce moment pour cette indifl'érence tant
recommandée pour tout lieu, toute place, tout em
ploi , tout état de santé?
Oh! que de pensées bien différentes occuperont
votre esprit en cet instant! car alors l’humble et le
pauvre seront dans une grande confiance ; mais , au
contraire, la frayeur saisira le superbe de toutes
parts : alors une chair mortiflée sera plus glorieuse
que si elle avait toujours été nourrie dans les déli
ces ; le mépris qu’on aura fait des richesses sera
alors d'un plus grand poids que tous les trésors de
la terre. Ayez donc maintenant de la douleur et de
l'inquiétude de vos péchés, afin d'être en assurance
avec les bienheureux au jour du jugement ’; humi
liez-vous maintenant, domptez votre chair, et faites
ce que vous désirerez alors avoir fait, et dont l'omis
sion ferait le sujet de vos larmes.
Troisième Point.

Non-seulement , dans ce jour de fureur , tout sera


soumis à l'examen le plus sévère et discuté par par
ties ; mais il n'y aura plus ni évasion ni refuge à
espérer : on nous enlèvera tout prétexte d'excuse , .
l'asile de la miséricorde sera fermé; car alors vous
verrez vous-même que de tous côtés vous êtes inea-cu
sable 2. Si vous alléguez votre ignorance, les dogmes
de la foi que vous avez crus vous convaincront de
mensonge; si vous parlez de votre impuissance , on
vous opposera, pour vous convaincre, tant de se
cours que vous avez négligés; si vous prétextez la
1 lmit. de J. 0.,1. 1,c. 2s. —— 1 Rom., c. 2, v. 13.
nU JUGEMENT PARTICULIER. 197

dificulté de la vertu, l'illusion où vous étiez sera mise


au jour par ces paroles de Jésus-Christ : IVIonjoug est
doua et mon fardeau est léger ‘ ; si vous vous défen
dez sur votre âge , sur votre tempérament ou votre
condition, des Saints sans nombre, du même âge ,
du même tempérament et de la même condition ,
s'élèveront contre vous de l'orient et de l'occident et
vous condamneront par leur exemple.
Votre ange gardien lui-même, devenu votre adver
saire, vous criera : Tu aurais pu devenir saint ; tu
aurais pu ; et votre propre conscience reprendra .
Et même tu aurais du ; ta perte vient de toi ; et le
démon , vous insultant , placera devant vos yeux le
tableau de votre croyance et celui de votre vie , et il
vociférera : Voilà ce que tu as cru et ce que tu as
fait; voilà ta foi, voila ta 'vie, voila ta loi, voila tes
moeurs 2.
Alors les larmes et les prières ne serviront de rien,
parce que le temps de la miséricorde estpassé La
douleur des fautes passées et la détestation pour l’a
venir seront inutiles, parce qu'il n’y auraplus de
temps 4 pour se corriger. Il n'y aura plus de recours
à Marie, parce que, dans cette nuit ténébreuse, cet
astre de la paix ne donnera plus sa lumière 5 ; mais
une sentence irrévocable, inévitable, sera portée , et
sera bientôt suivie d'une sûre exécution; elle décidera
de votre sort pour toute .l’éternité. O jugement! ô
sentence !

AFFECTIONS.

1" Acte de confusion. ,Malheur à moi, in/ortuné ,


lorsque le jour du jugement sera venu, et que les li
vres des consciences étant ouverts , l'on dira de moi:

‘lllattlL, 0.11, V. 80. — 2Osée, c. 13 , v. 9. — 3 P5. lOl ,


V. N. - 1‘ Apoc., c. 10 , v. 6. -- 5 S. Augustin , lllédit.
198 11'' toos. un’ MÉDITATION.

Voici cet homme, voilà ses œuvres! Que ferai-je


alors, 0' mon Seigneur et mon Dieu! lorsque les cieua:
découvriront tous mespéchés, et que la terre s’élèvera
contre moi ? Ah !je ne pourrai rien répondre ; mais
je baisserai la tête couvert de confusion, etje me
tiendrai devant vous dans la honte et le tremble
ment 1. e
2° De crainte. 0 heure terrible , inévitable cepen
dant, et peut-être bientôt prête à sonner! 0 angois
ses ! d’un côté des péchés qui m'accusent , de l’autre
une justice terrible, l'épouvantable chaos de l'enfer
ouvert sous mes pieds, au-dessus de moi unjuge irri
té , (lu-dedans une conscience qui me dévore. Hélas!
ou me cacher, ou me montrer? .Me cacher , c'est im
possible ; me montrer, c'est intolérable. Oui, celui
qui ne s'éveille pas , qui ne tremblepas à cetteparo
le : Levez-vous, morts, venez au jugement; celui-là
ne dort pas, il est mort 2. Ah! Seigneur,je tremble ,
et mon âme est tout épouvantée. Oui, la crainte et la
terreur pénètrcnt tous mes os , quand vous faites
gronder sur ma tête le tonnerre de vos jugements 5.
3° De douleur. Hélas! qu’ai-je fait, quand j'ai
péché? Ah! j’ai osé attaquer celui-là même que je
croyais devoir mejuger sur ce crime. Je me repens de
ce que j'ai fait : ayez pitié de moi selon la grandeur
de
Touché
votre miséricorde
de douleur jusqu'au
4, etpardonnez-moi
fond du cœur
mes péchés
6, je les

déteste souverainement , je les ai en cxe'cration, parce


que c'est vous , 6 bien suprême! que j’ai offensé. Je
prends dans mon cœur la ferme résolution de les évi
ter désormais , d'en extirper la racine, et principale
ment ]V. , N.
4° De connaissance, (l'humiliation et de haine de

1 S. August. , Médit. -— 2 S. Anselme. - 3 lmit. de JæC. , l. 8,


e. H.—" P5. 50, v. 1. -—5Ib.7B,v. 9. -6Gen.,o.6,v. 6.
POUR se PRÉPARER A LA nom. 199

soi-même, etc. Je reconnais, Seigneur, queje suis un


pécheur ‘ vendu au péché 2, souillé des taches de tous
les vices 5, l'opprobre des hommes et le rebut du peu
ple 4. Je. suis le néant et le péché même; je ne suis
qu'impuissance au bien , inclination au mal: mes ini
quités se sont élevées au-dessus du nombre des che
veux de ma tête 5, mes vertus sont des vices. Je me
méprise donc, etje me jette dans l’abîme de ma bas
sesse 6. 0 qui me donnera d'être humilié devant les
hommes autant que le méritent mes péchés 7 ! O mal
heureuse chair pour l'amour de laquelle j'ai tant de
fois irrité un juge si redoutable! à l'avenir , je veux
vivre ton ennemi juré. O précieuse indifférence de
l'âme pour tout lieu , toute place , tout événement de
fortune et tout état de santé ! sous votre conduite, je
servirai Dieu désormais de la manière qu'il le voudra ,
afin que je mérite d'entendre un jour, de la bouche
de Jésus-Christ mon juge , cette bienheureuse parole:
Venez, vous que mon Père a bénis 8.

GONSIDÈRATION.
MÉTHODE POUR SE PRÉPARER A LA MORT.

Parmi les fruits les plus précieux qu'on doit cher


cher dans une sainte retraite, il faut compter aussi
cette heureuse disposition de l'âme qui fait qu'à
chaque instant on est prêt à mourir, et que l'esprit
est sans trouble, sans tourments, sans inquiétude et

‘Lue, c. 5,v. 3. — 2 Rom. , c. 7, v. [4. -— 3 S. Êernard. —-—


‘P3. 2], v. 7. — 5 Ib. 39, v. 13. — 6Imit.deJ.-C. , l. 4, c. 2.
— 7 S. Bernard. — 8 Matt., c. '25, n84.
200 me JoUu. CONSIDÉRATION.

sans aucun remords à l'heure de ce terrible passage.


En effet, celui qui ne se prépare pas à la mort dans
ces saints exercices , quandenfin le fera-t-il? Quand
trouvera-t-il le temps de penser à ce fatal départ, s’il
ne le trouve pas dans cette solitude? Oui, celui qui
n'est pas préparé à mourir , après ces jours de salut,
est vraiment inexcusable. Pour apprendre à nousy
tenir prêts , je vais présenter une courte analyse de la
méthode quej'ai expliquée dans un ouvrage intitulé:
Christianus piè moriens (Le Chrétien mourant avec
piété), composé dans ce même dessein. Voici cette
analyse :
I. Manière de recevoir chrétiennement la première nouvelle d'une mort .
prochaine. '

A genoux dans votre oratoire , l’image de l’llomme


Dieu crucifié dans vos mains, figurez-vous que votre
ange gardien vous donne l'avertissement de votre
-
mort rochaine 3
et u’il vous crie: Voici ce ue dit
le Seigneur : lllettez ordre à votre maison , parce
que vous mourrez , et que votre vie est à sa [in ‘. Le
terme en est arrivé pour vous 2 : le juge est devant
votre porte’’; rendez compte de votre administra
tion ‘. Le cœur plein de joie à ces paroles , écriez-vous
avec le prophète royal : Me voici! je suis prêt, 'ô
Seigneur 5! je suis votre serviteur G et l'ouvrage de
vos mains 7 : mon sort est dans vos mains 8. Je me
suis rejoui dans les choses qui m'ont été dites ; nous
irons dans la maison du Seigneur 9. Tirez donc mon
rime de la prison de mon corps pour confesser votre
nom 1". Joignez les actes suivants à ceux-ci :
O Dieu , arbitre souverain de la vie et de la mort,

‘Isaïe, c. 38, v. 1.- 2 Ezéeh., c, 7, v. 2 et 3.- 3 Jaeob,


c. 5, v. 9. ——‘Luc,c. l6,v.2.—5Illois,e.l2,v.2. -- 6P5.
115, v. 16. - 7 Job. (2.34, v. ]9.—8Ps. 30, v. 16. —9Ibid.
121 ,v. 1. —— 1° Ibid. 141, v. 8.
POUR se PRÉPARER A LA nom. 201

dont l’immuable décret a arrêté que les homme:


mourront une fiois ‘ , en punition de leur péché! me
voici; je me soumets à votre loi, détestant du fond
de mon cœur les iniquités que j’ai commises , et j'ac
cepte volontiers , avec la soumission la plus parfaite ,
une mort que ma coupable rébellion a méritée mille
fois , afin qu'elle soit au moins une faible expiation de
tant de fautes, et pour que j'arrive plus prompte
ment à ce séjour oùje ne pourrai plus pécher.
Je mourrai donc , ô 'mon Dieu! dans le lieu , de la
manière et dans le temps que vous voudrez : je suis
pleinement indifférent pour tout. Si vous me réservez
une mort pénible précédée de longues souffrances et
de cruelles douleurs , je baise votre main paternelle ;
que votre volonté soitfaite : tout cela n'est pas encore
l’enfer; mes crimes méritent de plus sévères châti
ments. Je mourrai avec un sentiment de haine de
moi-même, désirant que les vers vous vengent en
rongeant avec avidité cette chair qui a été l'agent de
tant de crimes; je mourrai par un motif d'humilité,
voulant être réduit en cendres et comme au néant ,
voulant. devenir pour tous les hommes un objet hi
deux et indigne de demeurer encore sur la terre , vou
lant que le monde soit enfin purgé de ce pécheur si
infâme, qui, impatient du joug de Dieu , s'est écarté
avec tant d'obstination de sa dernière fin.
11. Examen de notre vie passée et de l'état présent de notre âme.

Ce qui se présentera d'abord à votre mémoire, dès


que vous serez averti du danger de la mort, ce sera
l’image de votre vie passée et de l’état présent de votre
âme dont tous les traits apparaîtront fidèlement et
distinctement exprimés comme dans un miroir. Il est
donc très-utile de la considérer dès maintenant; car
1 Hébr. , v. 9, 27.
202 m° Jeon. cousrm’smTion.

cet examen anticipé nous sera du plus grand secours


pour arriver à la connaissance de nous-mêmes. Que
votre esprit médite donc avec attention les réflexions
suivantes : '
1° Quel est l'état présent de votre âme? S'il vous
fallait maintenant sortir de cette vie, seriez-vous
prêt °9.... J'en appelle à votre conscience; dites , se
riez-vous prêt? Avez-vous gardé jusqu'ici, sans la
déchirer , la robe d'innocence que vous aviez reçue
au baptême? ou si vous l'avez perdue par le péché
mortel, l’avez-vous ensuite recouvrée par une sincère
confession? Avez-vous toujours bien confessé toutes
vos fautes i‘ En un mot , votre âme est-elle revêtue
de la robe nuptiale et ornée de la grâce habituelle ?
Voudriez-vous cesser de vivre dans l’état où vous êtes
maintenant? N'y a-t-il rien qui tourmente votre cœur,
ou qui doive vous donner de l’inquiétude à la
mort?... Pourquoi cette incertitude ?... Pourquoi cette
frayeur Î'... Ah! quelle est donc votre témérité de
vivre un seul instant dans un état où vous ne vou
driez pas mourir ? '
2° Comment avez-vous vécu .9 Qu’avez-vous cher
ché par tant de soins et de fatigues? Pour quelle fin
avez-vous employé votre travail, vos forces et votre
temps? Pour l'éternité, pour votreâme, pour Dieu;
ou bien pour la vanité , l’oisiveté et le démon i’- De
toutes les années de votre vie, avez-vous passé un
seul mois, mais que dis-je, un mois? avez-vous passé
un seul jour sans commettre quelque péché véniel ?
avez-vous consacré une seule heure entière au service
de Dieu sans aucun défaut? Qu'avez-vous fait pour
Jésus-Christ 'i’ Qu'avez-vous souffert pour le ciel ?
Avez-vous jamais fait une action héroïque? Quelle
action , quelle - omission , en particulier, vous don
nera de l'inquiétude à l'instant où, parvenu sur le
seuil de l’éternité , vous serez sur le point de quitter
poor. sa PRÉPARER A LA nom'. 205
votre âme? Que répondrez-vous au souverain Juge
lorsqu'il vous demandera compte de telle ou de telle
chose en particulier °.7
3° Comment désirerez-vous alors avoir vécu I? Avec
quelle intention, quelle perfection voudrez-vous avoir
fait vos actions journalières? Quel état souhaiterez
vous avoir choisi, et de quelle manière voudrez-vous
avoir vécu dans l’état que vous avez déjà choisi?
Auriez-vous alors du regret, si, jetant un regard sur
votre vie' passée, vous la trouviez en grande partie
employée à la piété? Approuvez-vous maintenant la
conduite que vous avez tenue jusqu'à présent ? Que
sert-il en ce moment d’avoir tout accordé aux sens et
au corps, d'avoir eu en abondance les commodités de
la vie, d'avoir été élevé au-dessus des autres °9.... Et
quel préjudice éprouvc-t-on d'avoir langui dans la
maladie , la pauvreté et l'abjection? Ah! il n'y aura
qu’une douleur à la mort , celle d'avoir vécu tiède; il
n'y aura qu'une consolation , celle d'avoir continuel
lement travaillé et d'avoir beaucoup souffert pour
Dieu et pour notre âme.
4° Comment mourrez-vous 5’ Cette continuelle in
constance, cette alternative de bien et de mal, de
tiédeur et de ferveur, vous donne-t-elle une sûre
espérance de la persévérance finale? La mort est
l’écho de la vie : ce serait donc un miracle si l’on
mourait saintement et dans de bonnes dispositions ,
après avoir vécu dans le mal et dans la tiédeur i?
Avez-vous un motif d'espérer que vous snrmonterez
cette dernière tentation , par laquelle l'infernal oise- .
leur s'cfforcera , autant qu'il le pourra , de vous faire
tomber à la fin de votre vie dans telle faute que vous
connaissez? N'est-il pas à craindre que, si vous n'ex
tirpez cette affection dominante en vous, elle ne soit,
au moment de votre trépas, l'instrument du démon
pour vous dresser des embûches ? Avez-vous jamais
204 in‘ JoUu. CONSIDÉRATION.

fait quelque bonne œuvre si extraordinaire, qu'elle


puisse être pour vous le fondement de la grâce finale
et de la gloire céleste ? Avez-vous effacé , par les œu
vres de la pénitence et par une prompte satisfaction,
les dettes que vos péchés vous ont fait contracter ?
Eviterez-vous les flammes du purgatoire ? Après ces
réflexions, formez dans votre cœur des résolutions
particulières , que vous aurez soin d'écrire. 0 que
celui-là est heureux et sage qui tâche de devenir pré
sentement ce qu'il veut être à l'heure de la mort ‘.

III. Réception en esprit du saint viatique et de l'Extréme-Onetion-

La meilleure préparation à la mort , celle qui est


essentielle, c'est de mettre tous nos soins à purifier
notre âme. Mais comme j'ai déjà expliqué hier ce
sujet avec beaucoup d’étendue, et que je ne doute
pas qu'aucun de nous, à la fin de la première semai
ne, ne s'y applique, selon l'esprit de notre saint
patriarche, avec une fidélité telle que nous puissions
y fonder l'espérance de notre salut, je vais proposer
d’autres motifs. Figurez-vous donc que vous êtes déjà
averti de votre mort prochaine , que vous êtes couché
dans votre lit atteint d'une maladie mortelle, que
vous devez en ce jour recevoir le viatique et être oint
de l'huile sainte.
Après avoir produit , avec un surcroît de ferveur,
les actes ordinaires des vertus , sans toutefois vous y
arrêter, vous recevrez par la pensée l'hostie du saint
viatique , en communiant spirituellement ; touchez
ensuite les sens que l'on a coutume d'oindre de l’huile
sainte ,' en formant le signe de la croix à laquelle
Jésus-Christ a été attaché. Formez ce signe de la croix,
en prononçant avec dévotion la formule propre à

‘ lmit. de J.-C , l, l, e. 23.


POUR SE PRÉPARER A LA nom. 205
chacun des sens qui doivent être oints, et dites : Que
Dieu , par sa sainte onction et sa très-douce miséri
corde, me pardonne tout ce que j'ai fait de mal par
la vue Æ, par l'ouie Æ, par l'odorat Æ, par le
goût Æ et par la parole Æ , par le toucher Æ et par
le marcher Æ, par les désirs impurs du cœur Æ : au
nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi
soit-il.
Vous exciterez en même temps dans votre âme un
vif regret des péchés que vous avez commis par ces
sens , et , pour satisfaire à la divine justice, vous lui
.offrirez les douleurs que Jésus-Christ a endurées dans
ces mêmes sens ; enfin vous solliciterez de Dieu avec
ferveur deux grâces , savoir , l’entière rémission de
'toutes vos fautes et de toutes les peines qui leur sont
dues , et la persévérance finale.
\

IV. Représentation en esprit de la Recommandation de l'âme'et de là sortie


de ce monde.

lmaginez-vous que vous êtes enfin abandonné des


médecins, que vous approchez du moment de l'ago
nie; que votre confesseur, qui vous assiste, vous
présente l'image du crucifix , avec un cierge allumé .
et qu'il vous dit en même temps, d’une Voix pieuse ,
grave, recueillie et pleine de douceur : Sortez de ce
monde, âme chrétienne, etc. ; votre demeure sera
aujourd'hui dans la sainte Sion. Vous n'en êtes pas
encore assuré, il est vrai, et c'est cette ignorance de
votre sort à venir qui vous fait redouter et trembler
entre les deux éternités, l’éternité heureuse et l'éter
nité malheureuse. '
Mais pourquoi êtes-vous triste, 6 mon âme! et
pourquoi vous troubloz-vous? Espérez en Dieu *,
qui peut, qui sait et qui veut vous sauver, puisque
‘P9. 41 ,v. 6.
°206 ni‘ mon. CONS1DÉBATION.

vos péchés, quelque grands qu’ils soient, sont cepen-


dant moindres que ses miséricordes. C’est un Père qui
a pitié des infirmités de ses enfants , qui connaît le
limon dont il nous a formés; un Père dont les miséri
cordes sont (au-dessus de toutes ses-æuvres ‘ ; et cer
tes , s'il nous a donné son Fils, il ne nous refusera pas
le ciel? Ah! celui qui se défie de la clémence de Dieu,
le blesse de la manière la plus grave.
Ajoutez que vous avez pour avocat, auprès du
Père , Jésus- Christ lejuste 2 : ses blessures plaident
pour vous. Par le don qu'il vous en fait, le sang de
Jésus-Christ , ses plaies , ses mérites sont à vous : en
les offrant à Dieu , vous payez plus que vous ne lui
devez, parce que leur valeur est infinie. Voyez votre
Amour crucifié, il penche la tête pour vous donner le
baiser de paix; il étend les bras pour vous embrasser;
il ouvre son côté pour vous offrir un asile : espérez
donc en lui. Ensuite, arrêtez vos regards sur l'image
du crucifix, et, prêt à rendre le dernier soupir, pro
duisez, avec toute la ferveur de votre âme, les actes
de vertu qui suivent :
Je crois en vous , qui êtes la vérité souveraine;je
m'humih-e devant vous , à cause de mon néant ;je re
gratte de vous avoir offensé, parce que vous êtes le
souverain bien ;je me propose de plutôt mourir que
de me souiller même d'un péché véniel; j'espère de
votre miséricorde le pardon , la grâce et la gloire;je
vous aime , parce que vous êtes infiniment aimable;
je vous aime uniquement pour vous , papdessus tou
tes choses et de toutes mes forces. Je vous rends grâ
ces, 6 mon souverain bienfaiteur! pour tant de bontés
dont vous m’avez comblé dans le cours de ma vie;je
vous désire , vous qui êtes ma dernière fin.
O très-sainte Trinité! donnez-moi la grâce finale;

‘P5. 144, v.9.'—2IJean,c.2, v. 1.


Point se PRÉPARER A LA MORT. 207

je désire mourir pour être avec Jésus«Christ. O joies


vraiment infinies que Dieu a préparées à ceux qui
l'aiment! O mon Dieu et mon tout ! je veux recevoir
l'absolution sacramentelle et gagner toutes les indul
gences qu'on peut gagner à l’heure de la mort. O Sei
gneur! je remets mon esprit entre votre mains. Jésus!
Marie ! Joseph !

V. Sentiments de l'âme après la mort.

Lorsque vous aurez produit ces actes de vertu , re


présentez-vous que vous venez d'expirer; que vous
êtes déjà sorti de ce monde et entré dans la maison de
votre éternité; que vous avez comparu au jugement,
et -que vous êtes condamné aux flammes du purga
toire ; mettez-vous aussitôt une seconde fois à genoux,
et faites très-brièvement les réflexions suivantes:
1° Quand votre âme sera sortie de votre corps,
abandonnant tant de choses différentes que vous pos
sédez; quand elle passera de votre chambre ou de
votre maison dans un autre monde , de quel œil con
sidérera-t-elle tous ces riens et verra—t—elle votre cada
vre ?... Comment désirera-t-elle alors avoir possédé
son corps et usé de toutes ces choses périssables? Quel
jugement portera-t-elle des honneurs et de cette
indifférence que nous avons jusqu’ici tant recom
mandée ?
2° Que pensera-t-elle, à sa première entrée dans le
feu expiatoire , de la malice du péché véniel , de
l’austérité Volontaire de la vie, du soin de s’avanoer
dans la vertu et dans la perfection '.7 Dites, que sert-il
maintenant d'avoir joui avec abondance , pendant le
cours de la vie , de toutes les commodités , de toutes
les dignités , de toutes les délices , et d'avoir ainsi
augmenté l'ardeur des flammes expiatoires? Au con
traire , quel préjudice vous revientil d'avoir vécu
208 ni” ions. in° MÉDITATION.

malheureux, pauvre et méprisé, si par là vous avez


évité ou au moins diminué les peines satisfaetoires
qu'on endure dans cette prison F
3° S'il vous était permis , après votre mort , de re
venir à la vie; si votre ange gardien vous prévenait en
même temps que vous devrez mourir une seconde fois
après un mois, quelle conduite tiendriez-vous dans ce
court espace de temps? Méditez ceci un instant, et ,
après avoir renouvelé les bons propos que vous avez
formés jusqu’à présent , comportez-vous ensuite com
me un homme arraché à la 'mort et rendu à la vie ,
revenu du jugement et du purgatoire, et qui doit
mourir encore après un mois; car bienheureux le ser-
viteur que son maître trouvera à son arrivée faisant
ainsi et se préparant ! Je vous le dis en vérité , qu’il
l'établira sur tous ses biens ‘.

111° MÉDITATION.
' DE L’ENFANT PBODIGUE.

Premier Point.

Considérez l'enfant prodigue s'en allant voyager


dans un pays fort éloigné 2 , après avoir reçu la por
tion d'héritage qui lui revenait. Considérez ces trois
circonstances : l° d'où il part, 2° où il va , .3‘ pour
quoi il part. 1° D'abord il quitte le meilleur des pères,
dont il était très-tendrement aimé; il sort de la mai=
son paternelle , où il avait tout en abondance ; il
laisse ces domestiques et ces amis de la maison, dont

‘llattlr, c. 21., v. se. —— 21410,... 15, v. 13.


DE .L'ENFANT PRODIGUE. ' 209
il était tant respecté; 2° et de là il se retire dans un
pays éloigné , qu’il ne connaît pas , situé à une très
grande distance de sa patrie, dans une terre téné
breuse et couverte des ombres de la mort , dans une
terre de misères et de ténèbres ‘ ; 3° il s’y retire par
pure fantaisie, par légèreté et mauvaise humeur,
parce qu'il ne voulait pas vivre dans lelieu , l'emploi
et l’état dans lesquels son père voulait qu'il vécût ,
c'est-à-dire dans la maison paternelle , dans la société
d'un frère sage , au milieu des occupations domesti
ques : c'est pour ce défaut d'indifférence qu’il tomba
bientôt dans tant et de si grandes calamités.
Appliquez-vous maintenantcette parabole, et vous
verrez quelle est votre histoire; car tout péché grave
est un abandon de Dieu , une séparation de Dieu ,
une désertion de Dieu. Chaque fois donc que vous .
vous êtes asservi au péché mortel, vous avez aban
donné Dieu , Dieu le père le plus tendre et le plus
généreux , le plus attenlil'à tous vos besoins, le centre
de toute félicité et de toute gloire, la source de tout
repos et de tout contentement.
Et vous vous êtes jeté, ô malheureux! dans l’état
du péché. Dans cet état le plus éloigné du ciel , vous
avez couru à la source de toute inquiétude et de toute
agitation , au centre de toutes les misères et de toutes
les calamités. Ah! la honte retientmes paroles ! vous
vous êtes éloigné par la fuite ’ , de votre Créateur ,
autant de fois que vous êtes tombé de la ferveur dans
la tiédeur ,et que vous avez abandonné la fontaine
d'eau vive, pour vous creuser des citernes en.tr'ou
- vertes qui ne peuvent contenir l'eau 5 ; autant de fois
'que, par l'oubli de cette inestimable indifl'érence ,
vous avez résolu , vous aussi, de passer votre vie dans

‘Job, c- 10, mm et 22. — 2 P3. :34,‘ 8.——3Jérém.


c. 2, v.1s.
I. .
2110 mE mon. m’ MÉDITATION.

un autre lieu , un autre emploi et un autre état que


ceux qui vous avaient été destinés, des l’éternité ,
par le décret du souverain Maître. Oh! de combien
d'affiictions votre propre choix a été la malheureuse
source !
O Père des miséricordesl ah! je crains à'bon droit
d'être frappé moi-même de cet arrêt foudroyant dont
vous avez menacé les Israélites : Vous m'avez aban
donné, moije v0 us abandonnerai aussi‘. Mais quoique
j'aie rejeté les sentiments d'un fils , vous n’avez ce
pendant pas perdu les bontés d'un père: ayez pitié
de moi ; et que les liens de votre grâce, que les chaî
nes de votre charité m'arrêtent dans ma fuite et me
ramènent à vous.

Deuxième Point.

Considérez l'enfant prodigue faisant paître de vils


pourceaux , et voyez-le l“ pauvre et nu : Il commença
à sentir I'indigence ; 2° mourir de faim : Je meurs
de faim ; 3° abandonné de ceux-là mêmes avec qui il
avait dissipé tous ses biens : Et il se mit au service
d'un des habitants du pays ,- 4° traité cruellement
par le maître même qu’il avait servi .: Il l'envoya à
sa campagne pour garder les pourceaux. Voilà la
figure d'une âme qui , par le péché mortel, a entiè
rement abandonné le Créateur de toutes choses, ou
qui , par des fautes vénielles. est tombée de l'état de
ferveur dans l'état de tiédeur , et s'est comme relé
guée dans un pays lointain. '
Une telle âme, en vivant, sinon dans la débauche,
du moins avec bien peu de religion , dissipe égale
ment tous ses biens , qui sont la grâce, le temps et les
talents. C’est pourquoi elle est aussi l°pauvre et nue :

lllParal, c. 12, v. 5.
DE L'ENFANT PItODIGUE. 211
une , elle est dépouillée de la robe d'innocence; pau
vre, elle est destituée des lumières et des secours
célestes, elle est toute blessée par les démons, ces
cruels ravisseurs des âmes. 2° Elle périt de faim : la
manne du ciel, la méditation , la dégoûte; elle s'en
nuie du pain des anges, de la divine Eucharistie; elle
a en aversion les autres exercices de piété qui entre
tiendraient la vigueur de sa vertu; dans sa folle in
tempérance, elle n’est avide que des cosses réservées
aux pourceaux , e'est-à-dire de ses sensualités , de ses
plaisirs et de ses aises.
3° Elle est encore abandonnée, moquée, trahie
par ceux-là mêmes pour l'amour desquels elle avait
offensé Dieu : justes représailles qu'éprouve cette âme
qui avait abandonné le Créateur pour des choses
créées , qui l'abandonnent à leur tour avec une sem
blable perfidie. 4° Enfin elle est misérablement traitée
et persécutée par ces mêmes passions, par ces désirs
dépravés auxquels elle a voué un honteux esclavage.
Son orgueil la conduit aux plus décevantes humilia
tions , et c'est son amour même pour les commodités
de la vie qui la précipite dans les plus affreuses' misè
res : bien plus , de même que l'enfant prodigue dési
rait se rassasier des cosses que mangeaient les pour
ceaux , et que personne ne lui en donnait ‘ , de même
aussi cet homme est frustré de ces mêmes voluptés
dont il se proposait la jouissance en abandonnant le
souverain bien; elles lui sont refusées', ou du moins
elles lui deviennent cruellement amères par les cha
grins et les remords de conscience qui les suivent. O
état vraiment malheureux, ô état vraiment déplora
ble d'une telle âme! O que cependant le frère du
prodigue se trouvait heureux dans la maison de son
père! Cet infortuné transfuge éprouva , en se livrant

lLue, e. 15, v. 16.


212 111° mon. 111° nénn'nmn.
à ses appétits , des diflicultés beaucoup plus grandes
que tout ce qu'il aurait pu supporter dans la maison
et au service de son père. Par une destinée toute sem
blable , ceux qui sont fervents ressentent bien moins
de peines dans le chemin de la vertu , en obéissant à
la grâce , que les âmes irréligieuses , en cédant à la
nature et en entrant dans les voies de la tiédeur ; car
celui qui craint la gelée sera accablé par la neige ‘ ,
et celui qui fait les pointes de fer tombera sur un
arc d’airain 2.
Troisième Point.

Considérez l'enfant prodigue retournant à son


père. Trois motifs l’y déterminent : 1° le souvenir de
son bonheur passé et de l'abondance où il était dans
la maison paternelle : Les mercenaires dans la mai
son de mon père , se disait-il à lui-même, ont leur
nourriture en abondance ; 2° la vue de sa misère
présente : Je meurs ici de faim ; 3° la considération
de la miséricorde du meilleur des pères : J'irai a
mon père.
Ces mêmes motifs , si vous les méditez attentive
ment , vous persuaderont aussi de convertir sérieuse
ment votre cœur à Dieu et de revenir promptement
à votre dernière fin. Ces motifs sont : 1° le souvenir
du bonheur de ces années dans lesquelles vous jouis
siez de la paix céleste , en servant uniquement votre
Créateur et en pratiquant généreusement la vertu;
2° la comparaison de vos misères dans l’état actuel
de tiédeur , avec le bonheur de votre premier état de
ferveur , lorsque vous ne goûtiez que Dieu seul; 3°
la considération de la bonté divine qui dissimule nos
péchés pour nous attirer à la pénitence 5 , qui rap

' Job, c.6,v.16.-— 2Ibiat, c.20,v. 24. —3 Sag., (1.11, V. 24.


DE L'ENFANT paooicoe. 21s'
pelle avec charité le pécheur égaré dans des sentiers
écartés et difliciles , qui supporte ses retards avec
patience, qui le reçoit à son retour , le serre contre
son sein , l’embrasse avec tendresse , qui le revêt de
sa première robe et lui remet au doigt l'anneau de la
fidélité. '
Mais il vaut mieux rapporter les paroles mêmes°de
Jésus-Christ, proclamant cette clémence de son divin
Père, parce qu’elles ont une vertu et une eflicacité
singulière pour relever dans l'âme coupable l'espé
rance du pardon. Les voici : Lorsque le prodigue était
encore bien loin, son père courant à lui, ô prompti
tude à pardonner! se jeta à son cou et le baisa, ô
eflet de la tendresse! et il dit : Apportez prompte
ment sa première robe et l'en revêtez , et mettez-lui
l'anneau au doigt, 6 plénitude de la grâce ! et tuez le
veau gras; faisons bonne chère et réjouissons-nous,
ô transports de la joie! Que cette facilité d'un père
offensé à pardonner si promptement, si tendrement,
si pleinement et avec tant dejoie , nous soit donc une
invitation puissante de revenir à lui avec un cœur
pénitent !

AFFECTIONS;

Il faut produire les mêmes affections que produisit


l’enfant prodigue retournant à son père, 1° de doua
leur du passé et d'une douleur intense: Mon père ,
j'ai péché contre le ciel et contre vous. Oui, j'aurais
mérité que mille foudres me précipitassent dans les
abîmes; et cependant non-seulement vous pardonnez
à un pécheur indigne, mais encore vous m'invitez de'
vous-même à revenir à vous. Le premier, ô le meil
leur des pères ! vous vous jetez au cou du plus ingrat
des fils; vous ouvrez les bras pour me recevoir; vous
inclinez la tête pour me donner un baiser de paix;
214 111° mon. 111‘ immunes.
vous me revêtez, de nouveau, de la robe de la grâce
que j'avais 'rejetée avec tant d’impiété; vous me ren-
dez encore Panneau de votre amour que j'avais quitté
avec une si noire perfidie; bien plus, vous comman
dez un festin , et, à votre table sainte, vous fortifiez,
par le pain des anges, mon âme languissante.
0 miséricorde vraiment infinie! ah! je ne puis ré
sister davantage à tant de bonté et de clémence : oui!
je reviens à vous; ne me repoussez pas dans mon
retour et dans ma pénitence, vous qui m'avez souffert
si patiemment, et qui m’avez rappelé si amoureuse
ment quand je vous fuyais pour pécher. Hélaslje
vous ai offensé! ah! coulez , mes larmes! un serviteur
a offensé son maître , un homme son Dieu, un fils son '
père, et un tel père , un père si grand..., après tant
de bienfaits..., par un mépris si injurieux... O qui me
donnera que ma douleur soit grande comme la mer 1,
'pour pleurer l’éloignement où j’ai vécu de ma der
nière fin.
2° De haine pour les péchés à venir, et de haine
eflicace. C'en est fait, moi aussi , avec l’enfant prodi
gue, je me leverai, et j'irai. Je me leverai , comme
l'animal immonde, du bourbier où je m'étais roulé 2.
Je romprai les liens de mes vices; j'irai par la voie
des' commandements et par le sentier de la vertu ,
j'irai à mon père. je retournerai à ma dernière fin.
J'en prends aujourd'hui à témoin le ciel et la terre 5;
je l'ai résolu, je l'aijuré , de garder fidèlement votre
justice‘, 6 Dieu de mon cœurs! C'est un dessein
arrêté dans mon cœur : désormais je vous servirai
absolument de la manière que vous le voudrez, avec
une pleine indifl'érence pour quoi que ce soit.
3° Acte d'humilité et d'exécration de notre orgueil,

J Threu, c. 2, v.18. — 2 Il Pier.,c. 2, v. 22. -- 3 Dent, c.


4, v. 26.- 4Ps. ll8,v. 106.- 5Ib. 72, v. 26.
DE L'ENFANT pnomoou. 215
qui est la première racine de nos maux. Je ne suis
plus digne d’être appelé votre fils. Ah! moi un fils si
méchant , comment oserai-je lever les yeux pour voir
un si bon père 1? Hélas! non-seulement je suis un
pécheur indigne de quelque honneur, de quelque
louange, de quelque emploi ou lien honorable que ce
soit, mais encoreje mérite un opprobre éternel. Me
voici donc prêt et indifférent pour tous les mépris,
pour tous les rebuts, pour toute situation ou occupa
tion quelque contraire qu’elle soit à ma réputation et .
à mon honneur, enfin, pour toute place, quelque
vile qu’elle puisse être , dans l'état religieux.
4° Acte de haine de nous-mêmes , de détestation de
notre amour-propre et de notre sensualité, qui sont
la deuxième racine de nos maux. Recevez-moi au
nombre de vos domestiques. Je déteste mon amour
propre, qui a été cause que j'ai abandonnéle meilleur
des pères, pour disszper , dans un pays éloigné , tous
mes biens , en vivant dans la débauche , ou du moins
dans la tiédeur. Je me hais entièrement moi-même 2,
moi qui suis l'éternel objet de la colère de Dieu , si
l'on me considère par rapport à ce moment de ma vie
oùj'ai péché. C’en est fait : devenu mon propre ven
geur , j'exercerai sur moi-même de justes châtiments.
Pour cela je m’oflÏre à vous , ô mon Dieu! prêt à subir
toutes les œuvres satisfactoires , à supporter tous les
travaux , à endurer toutes les peines, afin de satisfaire
à votre justice offensée. Misérable esclave de la chair,
serviteur rebelle, je ne mérite que duretés ,. que ri
gueurs, qu'adversités , que chagrins. Etendez votre
verge , imposez une charge sur cette bête de somme 5.
5° Acte de connaissance de soi-même. 0 Dieu de:
miséricordes 4! ah! je reconnais clairement le miséra

‘ 8. Bernard. — 3 P5. 138 , c. 22. - 3 Eccl. , c. 33, v. 25. —


4 Il Esdras, c. 9,v. 3l.
216 111° J011s. 111° MÉDITATION.
ble état de mon âme dans cet enfant prodigue et dé
naturé; je l'y vois comme dans un miroir; car ces
haillons déchirés, qui exhalent l’odeur des pourceaux,
cette figure décharnée . cet estomac du prodigue fati
gué de glands, ce corps demi-nu , sont la triste image
de mon âme privée de la grâce , vide de bonnes œu
vres , souillée des taches du péché, brûlant déjà du
feu de l'enfer , respirant une odeur insupportable,
dégoûtée de la manne et regrettant l'air de l'Egypte.
Voilà pourquoi je me méprise moi-même , etje m’aà
bime dam la profondeur de ma bassesse' ‘.

1 lmit. de J, 0., l. 4, v. 2.
‘I
®unumäme a - ‘Ë' C'

AVERTISSEMENT.

Effrayés de la grièveté du péché et des supplices


qui le suivent , émus ensuite au souvenir de nos der
niers moments , nous avons résolu , avec l'enfant pro
digue , de quitter le sentier des vices qui nous avaient
éloignés de notre dernière fin , de revenir dans la
voie du salut , et de servir Dieu de la manière qu'il
lui plaira , c'est-à-dire dans l'état de vie qu’il veut
que nous choisissions, ou , si cet état est déjà choisi ,
dans le degré de perfection auquel il veut que nous
nous élevions.
Mais parce que nous ne connaissons pas la voie
dans laquelle nous devons entrer , et que nous igno
rons la manière dont nous 'devons y marcher, nous
avons besoin d'un guide que nous suivions et d’un
modèle que nous imitions. Le Père céleste a pourvu
avec bonté à ces deux besoins des hommes, en nous
envoyant Jésus-Christ son Fils unique pour nous
servir de guide dans la voie que nous devons tenir ,
et pour être lemodèle de la vie que nous devons pra
tiquer.
La méditation suivante nous excitera d’une ma
nière générale à cette imitation. Je dis d'une manière
générale, parce que les autres exercices nous appren
dront particulièrement en quoi et comment nous
devons nous modeler sur Jésus-Christ. Ainsi le fruit
que nous devons recueillir de cette première médita
1' I. 19
218 IV‘' J01m. 1" MÉDITATION.
tion d'aujourd'hui, c'est le ferme propos de servir
Dieu désormais en imitant Jésus-Christ , et d'imiter
ce Sauveur de la manière qui lui plaira et qu'il dai
gnera nous faire connaître dans ces Exercices.

PREMIÈRE MÉDITATION.

DU RÈGNE DE JÉSUS-CHBIST.
Premier Point. '

I. Il est juste que nous suivions Jésus-Christ à


cause du domaine qu’il a sur nous ; car nous lui
appartenons , et il est le Roi de nos cœurs , l°par le
droit de conquête , parce que nous sommes un peuple
d'acquisition ’, qu'il s'est acquis en renversant l’em
pire du démon , par une mort cruelle, il est vrai ,
mais aussi dans laquelle il a trouvé la victoire. 2' A
titre d'achat ; car le Seigneur nous a rachetés 2 ,
quand il nous a arrachés, par le prix de son sang , à
l'esclavage de l'enfer. 3° A titre de donation et d'hé
ritage , puisque son Père lui a tout donné entre les
mains 5 et l’a établi l'héritier de toutes choses 4. 4° A
titre d'élection , puisqu’il nous a choisis pour ses ser
viteurs et ses clients, et que- nous l'avons choisi pour
notre chef et notre roi, soit dans le baptême , en
renonçant au démon, au monde et à la chair, soit
dans l'état religieux , en nous attachant à lui par des
vœux solennels : en sorte qu'on peut dire à chacun
'de nous ce que Moïse disait autrefois à Israël : Vous

1 IPier.,e.2,v. 9. --2llIbid.,o. 2,v. 1. —’Jean, c. 3 ,


v. 25. 4 Hébr. , c. 1 ,v. 2.
DU RÈGNE ne JÉsos-cumsr. 219

avez choisi le Seigneur pour marcher dans ses voies,


et le Seigneur vous a choisi pour que vous soyez son
peuple particulier, un peuple saint ‘. Ces considéra
tions nous laisseront-elles encore flottants et indécis
pour marcher sur les traces de ce divin Maître , à qui
notre vie est engagée par tant de titres ? D'ailleurs
n’est-il pas juste de combattre sous ce chef?
.II. A cause des conditions qu’il nous propose; car
toutes les incommodités de la guerre lui seront com
munes avec nous : la nourriture, le vêtement , les
fatigues , les veilles , les blessures, les peines, il par
tagera tout; bien plus , le premier il affrontera les
dangers, il ira devant nous pour aplanir les obsta
cles , à notre tête , il soutiendra tout l’effort du com
bat. La victoire sera certaine , le triomphe éclatant ,
la couronne immortelle. Que peut-il , je vous le de
mande, exiger de plus juste? Quel motif plus efficace
peut-il nous donner pour nous persuader de le sui
vre ?... Enfin, c'est pour nous un devoir d'imiter ce
Roi du ciel. '
IN. A cause de Iafin qu'il a en vue. Elle est double.
1° La gloire de Dieu procurée par la destruction du
vice et par la pratique de la vertu , afin que le Père
soit glorifié dans le Fils 2. Cette gloire surpasse émi
n'est
nemment
pas Dieu
, par, puisqu'elle
l'excellenceest
de lesaseul
dignité,
but de
tout
toutes
ce les

opérations de la très-sainte Trinité. 2° La béatitude


de l'homme ; car le Fils de l'homme est venu chercher
et sauver ce qui avait péri 5. Cette béatitude étant ,
quant à sa substance , la même félicité que celle que
Dieu possède, félicité infinie et éternelle , elle est
également d'un prix incompréhensible : d'où il faut
conclure qu’on ne saurait jamais s’imaginer une fin

‘Deut.,e. 26', v. 17. —2 Jean, c.14, v. 13.-3 Lue, c. 19,


v. 10. I
220 1v° J0011. 1" m'zmrsTion.

plus excellente et plus utile que celle-ci. Qui donc


osera nier, contre les trois raisons que nous venons
de rapporter , qu'il ne soit souverainementjuste de
suivre Jésus-Christ.
Oui, cela est souverainementjuste : ainsi vive le
Seigneur et vive le Roi mon maître; je vous promets
qu'en quelque lieu que vous soyez , ô Seigneur mon
Roi! a la mort et à la vie, votre serviteur vous
suivra ‘.
' Deuxième Point.

I. Il nous est honorable de suivre Jésus-Christ, a


cause de l'excellencc de ce cite/'; car il est le chefde
toute principauté et de toute puissance2, le roi de
gloire 5, l'image de Dieu 4, l'expression de sa sub
stance 5 ; en lui sont renfermés tous les trésors de la
sagesse et de la science 6; en lui la plénitude de la
divinité habite substantiellement 7,- toute puissance
lui a été donnée au ciel et sur la terre 8 ; à son nom
tout genou flécbit au ciel, sur la terre et dans les
enfers 9. Et vous rougissez de suivre ce chef ! et vous
vous écriez avec ces sujets rebelles : Nous ne voulons
pas que celui-ci règne sur nous 1° ! O Jésus ! que cette
perfidie ne se trouve pas en moi. Vous êtes mon Sei
gneur et mon Dieu. C'est encore pour moi un très
grand honneur de vous accompagner et de vous
suivre.
II. A cause de l'excellence de votre service ; ceux ,
en effet , qui servent constamment un Maître si glo
rieux deviennent 1° rois , car le servir, c'est régner ;
2° dieux, selon le témoignage du prophète royal : Je
l'ai dit, vous êtes des dieux “ ; 3° ses amis, ses en

1il Rois,c. l5,v. 2. — 2Coloss., c. 2,v. l0. —3 Ps. 23, v.


l9.—4ll Cor..c.4,v. Ji.-—5Hébr.,c. l,v.3.-—-6Coloss.,c.
2,v. 3. — 7Ibid., c. 2, v. 9.——— 8lllatth.,c. 28,v. 19. 5-9
PhiL, e.2, v. 10. — 1° Lue, c. 197 v. 14. — 1‘ P5. 81 , v. 6.
oo RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST. 221
fants , ses héritiers : tous , vous êtes mes amis ’ et les
enfants du Très-Haut2; vous êtes les héritiers du
royaume que Dieu a promis à ceux qui l'aiment 5.
Que peut-on dire de plus glorieux ?
Et assurément toute la majesté des princes et des
monarques de ce monde , comparée à cette noble ser
vitude, n'est qu'une condition vile, abjecte et obscure.
Oui, c'est une grande gloire de suivre le Seigneur 4.
O mortels! prêtez l’oreille , je vous en conjure, et
adorez cet oracle céleste : C'est une grande gloire de
suivre le Seigneur. Dieu lui-même, pour que nous
n'ayons aucune raison d’en douter, nous l'assure et
le confirme par le témoignage de son autorité divine
et infaillible. 1V'allons donc pas obscurcir notre gloire
en fuyant la croix, qui est l’étendard de Jésus
Christ.
'l'roisièmc Point.

Il est facile et agréable de suivre Jésus-Christ , 1°


à cause de la voie dans laquelle il nous précède; 2°
à cause du secours qu'il nous accorde ; 3° à cause des
compagnons qu'il nous associe; car, par une éton
nante métamorphose, les chemins tortueux se re
dressent, les chemins raboteux s'aplanissent 6 com
me d'eux-mêmes devant ces hommes généreux qui
suivent de près les traces de Jésus-Christ dans la voie
de la vertu. Portés sur les ailes de la grâce céleste ,
délivrés du poids de leurs sens , ils marchent moins
qu'ils ne volent à travers toutes les aspérités : animés
par les exemples de leurs compagnons , ils font avec
joie les plus grands efforts pour arriver à ce but où
ils voient tant d'autres se réunir pour y tendre.
Instruits par l'expérience, il leur apparaît plus
lJean,c.l5,v.11l.—zPs.8l,v.6.i"—Jacq.,c.2,v.tS.
—‘Eccl., c. 233, v. 38.- 5Illlaccl1.,c.9,v. 10.- ‘Luc,
c.3, v.15.
222 w’ JOUR. 1" MÉDITATION.
clair que le jour que les sentiers du monde sont plus
rudes que ceux de Jésus-Christ, et qu'on trouve plus
de peines dans la route de la tiédeur que dans celle
de la ferveur. Embaumés des parfums de la grâce ,
ils ne regardent les épines elles-mêmes que comme
des roses suaves. Ce seul souvenir : Ceuzr-ci et celles
là ontpu, adoucit et ôte toute la rigueur du sacrifice.
En un mot , ses voies (les voies de Jésus-Christ) sont
des voies pleines de charme ‘ , à cause des amabilités
de la vertu; sonjoug est unjoug- doua , à cause de sa
délicieuse onction ; son fardeau est un fardeau lé
ger 2 , à cause de la compagnie de ceux qui combat
tent avec nous. Et vous seriez assez lâche pour refuser
de marcher dans cette voie , de vous imposer ce joug,
de porter ce fardeau ! et vous le refuseriez dans notre
société, dans laquelle tant de héros attestent encore
souvent qu'il est facile et agréable d'accompagner
Jésus-Christ, même jusqu'à l'effusion du sang! Ah!
rougissez, cœur dégénéré et indigne du nom de chré
tien !
Représentez-vous un roi de la terre (cette compa
raison est de S. Ignace) doué des plus excellentes
qualités de la nature et de la grâce, choisi de Dieu
pour soumettre à son autorité et à la vraie foi tous
les royaumes de l'univers; supposez que ce prince
invite, avec une bonté incomparable , ses sujets à
l’aeeompagner dans cette guerre ; qu’il leur propose
les conditions les plus justes , les plus honorables ,
les plus faciles et les plus agréables , qu'il leur pro
mette , avec serment, qu'ils le verront toujours et en
toute rencontre les devancer par son exemple, par
tager leur nourriture, se servir des mêmes vêtements,
s'assujettir aux mêmes veilles et aux mêmes travaux
qu'eux : dites-moi maintenant , celui qui refuserait

1 Prov., d'3, v. 17. '-- 2 MatllL, c. il , v. 30.


nU RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST. 225

d’accompagner ce roi , ne serait-il pas un prodige de


la plus méprisable lâcheté , qui mériterait d'être con
damné de tout le monde ?
Mais enfin , si un roi de la terre , lorsqu’il appelle
son peuple aux combats, mérite qu’on luiprête atten
tion , qu'on s'empresse de lui obéir 1 , combien Jésus
Christ ne le mérite-t-il pas davantage , à cause du
domaine qu’il a sur nous, des conditions qu’il nous
offre et de la fin qu'il se propose? combien plus nous
convient-il d'accompagner ce divin chef , à cause de
l'excellence de sa personne , de la gloire qu'on trouve
à son service, de la facilité qu'on trouve à le suivre et
des consolations qu'on éprouve dans ses voies ? C'est
donc assurément avec raison que S. Ignace conclut
qu'il n'y a pas un homme sage qui ne s’ofl're tout
entier à Jésus- Christ avec le plus vifempressement ,
qui ne s’attache pleinement 2 à son service, et qui ne
s'unisse avec ardeur à ceux qui le suivent.

AFFECTIONS .

a Me voici , ‘6 Roi suprême et Seigneur de toutes


1» choses ! tout indigne que j'en suis , appuyé cepen
» dant sur votre grâce et sur votre secours , je m’offre
» tout entier , et je soumets à votre volonté tout ce
n qui està moi. Je proteste devant votre infinie bonté,
» en présence/de la glorieuse Vierge votre Mère et de
a toute la cour céleste , que mon intention, mon
3) désir, ma ferme et invariable détermination est de
» vous suivre le plus près qu’il me sera possible,
» pour votre gloire et mon propre salut : je veux
» vous imiter dans votre patience à souffrir les inju
» res et dans votre courage à supporter toutes sortes
» d'adversités; je consens à vivre dans la pauvreté

1 Liv. (les Exercices. — 2 Ibid.


224 w” JOUR. 1"' MÉDITATION.
. d'esprit, et même dans une indigence réelle et ef
: fcctive , si cependant il plaît à votre divine majesté
s de me choisir pour cet état et de m'y appeler 1. 1!
Et quoi de plusjuste, en effet, que de vous servir,
vous à qui j'appartiens tout entier , de qui je tiens
tout, en qui sont toutes mes craintes et mes espé
rances , vous sans qui je ne puis rien ? Quoi de plus
glorieux et de plus agréable que de vous servir , vous
dont le service est une royauté éclatante et un para
dis délicieux? Et cependant, oh! combien de fois ai-je
dit : Je ne servirai pas ! combien de fois , ô Seigneur,
n'ai-je pas , serviteur rebelle et indocile, secoué votre
joug , ce joug si doux , et refusé votre fardeau, ce far
deau si léger !
Mais je l'avoue, je me suis égaré comme une brebis
qui estperdue 2. Oh ! maintenant je vous donne vo
lontiers mes mains pour être liées de vos chaînes, et
je baisse la tête sous votre joug. Je vous suivrai par
tout ou vous irez 5; j’abandonnerai les œuvres des
ténèbres 4 pour vous suivre, ô soleil de vérité 5;je
prendrai les armes du salut 6 pour combattre sous
un tel chef ; je regarderai, etje ferai suivant le mo
dèle que vous me montrerez 7 : seulement enseignez
moi à faire votre volonté 8 , et faites-moi connaître
dans quelle voieje dois marc/ter 9; c'est-à-dire ensei
gnez-moi la manière dont vous désirez que je vous
imite : me voici prêt à tout et indifférent pour tout.
0 Père éternel! je suis votre serviteur et le fils de
votre servante ‘0, l’Eglise ma sainte mère. Je vous ser
virai donc, ô mon Créateur! je tendraià ma dernière
fin, mais précisément en imitant Jésus-Christ et en '
1 Liv. des Exercices , Médit. du règne de Jésus-Christ. -——
zPs. 1.18, v. 176. — 3 Matlh. , c. 8. v. 19. —— 4 Rom., c. 13 ,
v. 12. — 5 Sag., c. 5, v. 6. — 5 Rem. , e13, v. 12. — 7 Exod.
c. 25,17. 190. -— 8 Ps.142,v. 10. -— 9Ibid. 142, v. 8. —
1"Ps.ll5,v.l6. -
ne L'nnrA'noN DE JÉsUs-cumsT. 225

suivant ses traces, et cela de la manière que je recon


naîtrai, dans ces exercices, que vous le voulez de
moi.

LECTURE.

DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.

S Ier

I. La fin et le but qu'on se propose dans tous les


exercices de la première semaine (ces paroles sont
tirées du Directoire) consistent principalement, 1° à
reconnaître que nous nous sommes écartés de la
route qui devait nous conduire à la dernière fin, pour
laquelle nous avons été créés; 2° à pleurer par con
séquent une telle erreur , un si grand égarement ; 3°
à concevoir un désir ardent d'extirper la racine de
nos maux , de revenir dans cette route et d'y persévé
rer toujours ‘.
Nous nous sommes efforcés , dans les jours qui
viennent de finir, de mettre à exécution tout ce qui
nous a 'été recommandé; car, 1° par un examen
approfondi de notre âme et par la connaissance que
nous avons acquise de nous-mêmes , nous avons vu
avec étonnement en quoi nous nous sommes égarés de
notre dernière fin. 2° Dans la lecture sur la douleur
de nos fautes passées et la haine des fautes à venir,
nous nous sommes appliqués à expier ces égarements,
et à nous précautionner pour n’y plus retomber dé
sormais. 3° Nous avons même entrepris d'arracher

‘Direct, c. l8,n° l.
226 w’ mon. LECTURE.
d'une main courageuse les racines de nos maux : bien
plus, nous sommes sincèrement revenus à notre père
par la pénitence, et avec l'enfant prodigue nous avons
pris la résolution inébranlable de servir ensuite , avec
une invariable constance, Dieu le meilleur des maî
tres ; et, ce qui est un précieux effet de l'indifférence
tant recommandée jusqu'ici , nous avons résolu de le
servir en la manière qu'il le veut.
Il. Or , cette manière n’est autre que l'imitation de
Jésus- Christ. Le Père éternel veut, en effet , que
nous le servions précisément en imitant Jésus-Christ;
car c'est a quoi nous avons été appelés, dit le Prince
des Apôtres , afin que non-seulement nous l'écou
tions, selon ce commandement descendu du ciel:
C'est-Ià mon Fils bien-aimé , écoutez-le ’ , mais en
core pour que nous marchz’ons sur ses traces 2; et rien
n'est plus juste , puisqu'il est le modèle que le Père a
proposé aux hommes , afin qu’en limitant nous car.
rigions et nous réqlions nos mœurs corrompues, et
que nous dirigz-ons nos pas dans les sentiers de la
paix 5 : par conséquent , la manière dont le souverain
Maître veut que nous l'honorions, nous, ses créatu
res , consiste dans l’imitalion de Jésus-Christ , comme
nous le comprendrons encore mieux par ce qui nous
reste à dire.
Dieu veut que chacun de nous le serve de la ma
nière qui est propre à sa condition et qui'est néces
saireà son salut: or, pour des chrétiens, cette manière
consiste dans l’imitation de Jésus-Christ. En effet,
comme la fin propre et essentielle de l'homme c'est
de servir son Créateur , de même la fin propre et
essentielle du chrétien c'est d'imiter Jésus-Christ;
car , dit S. Grégoire de Nysse , le chrétien est un autre

‘Maltlr, c. 17 , v. 5. —2 I Pier.,c.2, v. 21.- 3 Direct. , c.


18,n°2.
DE L’nurs'rlou DE n’zsUs-cumsr. 221

Jésus- Christ. C'est un homme qui reproduit Jésus


Christ dans sa vie et dans ses mœurs; mais cela ne
peut se faire qu'en l'imitant : donc aucun homme
n’est chrétien , s'il n'est imitateur de Jésus-Christ;
donc le caractère propre et essentiel de tout chrétien,
c'est d'imiter Jésus-Christ.
Cette imitation lui est même tout à fait nécessaire
pour arriver à sa dernière fin: car, de même qu'aucun
homme ne règnera dans le ciel, s'il n'a servi Dieu
comme il le doit; de même également aucun chrétien
ne jouira de la béatitude éternelle , s'il n'a pas imité
Jésus-Christ. Ce divin Sauveur l’enseigne lui-même ,
en disant : Personne n'arrive à mon Père , ou bien
au ciel, si ce n'est par moi ‘ ;.c'est—à-dire suivant l'in
terprétation de Corneille de la Pierre , si ce n'est en
m’imitant. Seul il est la voie qui conduit à la vie 3 :
quiconque désire y entrer doit , remarquez la néces
sité , doit marcher lui-même comme Jésus- Christ a
marché 5 , c'est-à-dire , ainsi que l’explique Salme
ron , il doit le suivre par des actions chrétiennes et
par la pratique des vertus.
Enfin , ceux que Dieu a connus dans sa prescien
ce , il les a aussiprédestinés pour être conformes à
l'image de son Fils 4. Personne donc ne sera compté
parmi les élus , s'il n'a été conforme à Jésus-Ch rist ;
mais aussi personne ne lui sera conforme , si on refuse
de marcher sur ses traces :donc il est nécessaire aux
adultes , pour faire leur salut, qu'au moins ils imi
tent Jésus-Christ en quelque manière ,- et par consé
quent cette imitation est la manière dont Dieu veut
que nous le servions. Ainsi , comme cette vérité , c il
'faut servir Dieu » , était la vérité fondamentale de la
première semaine, de même celle-ci , t il faut imiter

‘Jean,c. H,v. l6. — 2 llIat1h.,c.7,v.H.-—3I.lean,


c- 2, v.6. -— ‘ltom ,c.8,v.29.
228 N” J0011. LECTURE.
Jesus- Christ n , est la pierre angulaire de la seconde
semaine.
Il]. Cette deuxième semaine commence aujour
d'hui à la méditation du matin , et elle répond à la
voix illuminative , parce qu'elle a pour fin de nous
proposer Jésus- Christ [Votre-Seigneur et notre Sau
veur comme notre véritable voie. Or , Jésus- Christ
est le soleil de justice qui éclaire tout homme venant
en ce monde, qui est venu pour éclairer ceux qui
sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la
mort’ , et qui a fait briller à leurs yeux le rayon de
ses vertus, afin qu'ils fussent excités et pressés d'en
embrasser la pratique. En un mot , cette semaine est
appelée voie de lumière ou voie illuminative, parce
qu’elle nous propose à imiter celui qui a dit de lui
même : Je suis la voie 2 , je suis la lumière du mon
de?’ : celui qui me suit ne marche point dans les
ténèbres , mais il aura la lumière de vie 4.
Mais parce que les mauvaises aflections et les pé
chéspbscurcissent notre âme , qu'ils la détournent
et l'empêchent d'imiter Jésus- Christ , il fallait pour
cela les arracher de notre cœur dans les premiers
ea'ercices et les premières méditations de la pre
mière semaine, pour qu’ils ne fussent pas un obstacle
au but de cette deua'ième semaine , qui est l'établis
sement des vertus et l'imitation de notre Sauveur 5.
En cela brille encore l'ensemble et la liaison très
parfaite de toute la doctrine de S. Ignace, dans la
quelle ce qui précède est toujours la préparation la
plus convenable à ce qui suit.
C’est cet ordre plein de sagesse qu'on a tâché d'ob
server dans la première méditation d'aujourd'hui. On
nous y excite à suivre Jésus-Christ notre chef , mais

1Direct., 0. 18 , n" 2et 3. -— 2Jean, c.1/4, v. 6. - 3 Ibid.


6.8, v. lÊ.-"‘1bid. —5 Direct., c. l8,n°2et 3..
DE. L'ml'rA'noN DE JÊSUS-CHRIST. 229

d'une manière générale seulement , sans faire encore


mention de la manière particulière dont chacun de
nous doit l'imiter, afin que notre volonté , en des
.cendant, comme par degrés, des résolutions géné
rales aux résolutions particulières, arrive, par un
progrès insensible , de la pratique des choses les plus
faciles à l'acquiescement à ce qu'il y a de plus difli
cile : par conséquent, tout le fruit qu’on devait
recueillir de cette première méditation' n’était que la
résolution générale de servir désormais Dieu en imi
tantfJésus-Christq, sans nous inquiéter encore de
savoir en quel état, en quelles occupations et en
quelle manière nous voulons suivre ses traces.

g n. o

I. Ce premier exercice est désigné par ce titre : De


la Méditation du règne de Jésus- Christ , parce qu'il
nous montre le Sauveur réparant les pertes que le
royaume de son divin Père avait éprouvées par la
prévarication d’Adam , et rétablissant ce royaume en
combattant les vices, en nous éclairant par ses ver
tus , et en nous invitant par son exemple à le suivre
et à nous munir des mêmes armes que lui.
Cet exercice est comme le fondement ou l'introduc
tion ’ de toutes les méditations suivantes, de la même
manière que la vérité qui a été établie dans la médi
tation de la fin de l'homme , est , suivant S. Ignace ,
le principe et le fondement sur lequel s'appuie tout
l'édifice des exercices ; car cette dernière méditation
du règne de Jésus-Christ soutient aussi tout le reste
de l'édifice spirituel, puisque, par une admirable
liaison , elle influe également elle-même sur tous les
exercices qui la suivent , et principalement sur celui
où l'on fait choix de la manière de suivre Jésus-Christ,
1 Direct.,c. 19,11° 1.
250 tv° Joon. uzcTonn.
ou, ce qui est une même chose , de la règle d'une vie
plus parfaite que l'on se propose particulièrement
d'embrasser selon ce qu'exige son imitation.C’est de cet
examen que dépend en grande partie un bon choix.
Comment , en effet , pouvez-vous choisir ou détermi
ner la manière dont vous voulez imiter Jésus-Christ ,
si vous n'avez pas auparavant résolu en vous-même
de le prendre pour modèle ?
Voilà pourquoi S. lgnace place cet ee'eroice du
règne de Jésus- Christ, le premier de la deuxième
semaine, tout à fait hors du rang ordinaire des me'
ditations , comme il a placé celui de la fin de l'hom
me , parce qu'il est comme le fondement de tous les
autres : on ne le compte pas au nombre des médita
tions de cette deuxième semaine; car la première mé
ditation du premier jour de cette semaine est celle
de l'lncarnation de Notre-Seigneur Jésus. Christ ,
' comme la première méditation de la première semaine
était celle de la chute des anges. Aussi notre saint
fondateur ne le resserre-t-il pas dans l’espace d'une
heure seulement; mais il consacre à la considération
de cette vérité un jour tout entier , qu'on peut appe
ler , enquelque sorte, jour intercalaire , ainsi qu'il
avait déjà fait pour celle du fondement ou de la fin
de l'homme. Il n'assigne donc pour aujourd'hui au
cune autre matière; mais il désire que celle-ci soit
répétée (leux fois le jour , la première fois dès le
matin , et la seconde une heure avant le dîner ou le
souper ‘. Mais les bornes de huitjours, que nous nous
sommes fixés, nous empêchent d'agir ainsi :il n'y a
que ceux qui se proposent de l'aire durer-plus long
temps les exercices qui devront s'arrêter tout un jour
à cette méditation. -
J ugeons de là avec quelle ferveur, et quelle atten

‘ Liv. des Exercices.


/
m: L'mrrA'noN DE JÉSUS-CHRIST. 251
tion d'esprit nous devons faire cette méditation du
règnede Jésus-Christ, puisque c’est d'elle que dépend
tout le fruit des autres exercices , surtout le bonheur
de réussir à faire un bon choix, une sage ré/orme et
un amendement. de notre vie, chacun selon notre
état ‘. Ainsi ceux-là se trompent grossièrement, qui
omettent tout à fait ou ne font que légèrement cette
méditation, qui est cependant une des principales,
et l'une de celles où les autres, si l'on peut parler
ainsi, viennent prendre leur aliment. .
Il. Disons encore que cette méditation acquiert un
prix excellent et une importancesingulière par ces
trois raisons : l°.à cause de la matière qui en est
l'objet; °2° à cause de la manière dont on la traite ; 3°
à cause du fruit qu'on en attend. Quant à la matière
de cette méditation , elle est comme le précis et
l'abrégé de la vie et des actions de Notre-Seigneur
Jésus- Christ, dans l'œuvre que lui avait confiée son
divin Père 2, et dont le but était d'augmenter la
gloire de Dieu , diminuée par le péché , et de rendre
aux hommes le salut que le péché leur avait enlevé.
Car Jésus-Christ est venu en ce monde pour réta
blir le royaume de Dieu , ébranlé par la rébellion de
Lucifer et d'Adam, en ramenant, par son exemple,
les hommes à travailler à la dernière fin pour laquelle
ils ont été créés, et en les engageant à déclarer la
guerre à leur amour-propre et à ses convoitises, sour
ces principales des agitations qui troublent la tran
quillité de ce royaume. On ne peut rien imaginer de
plus grand ni de plus saint qu'une œuvre semblable.
Or , puisqu'elle fait l'objet de cet exercice- il faut bien
convenir qu'il est lui-même d'un prix excellent.
Pour'ce qui regarde la manière de faire cette mé
ditation , elle est très-appropriée au génie militaire de

‘ Liv. des Exercices. -— 2 Direct, c. 19, n" l.


252 . 1v° Jeon. LECTURE.

S. Ignace, puisqu'on y emploie la comparaison d'un


roi de la terre , qui convoque à la guerre tous ses
sujets ‘. Cette comparaison a une force admirable
pour nous déterminer à suivre Jésus-Christ; car si
celui qui refuserait un roi de la terre, lui proposant
de le suivre aux conditions que nous avons entendues,
mérite le nom de lâche , comment ne pas traiter d'in
sensé celui qui n'écouterait pas, qui mépriserait même
notre divin Chef, lui faisant des propositions sembla
bles, et même encore plus engageantes? En effet , plus
une vérité est environnée de circonstances qui la font
ressortir , plus elle devient puissante pour nous con
vaincre.
De sorte que notre saint patriarche conclut , par
une juste conséquence , de la lâcheté du premier la
folie du deuxième, en disant que celui-là est insensé,
qui, au lieu de s'ofl'rir au service et à la milice de
Jésus- Christ, avec une ardeur extrême et pour
toujours , ne le -fait qu’avec froideur et pour un
temps; qui ne s'attache pas tout entier à ce chef,
mais qui ne donne qu'une partie de lui-même et en
exceptant quelque chose. Cette vérité brillera de la
plus claire évidence , si on applique convenablement
à Jésus-Christ cette comparaison prise d'un roi de la
terre , et si l°on oppose qualités à qualités, vertus à
vertus, conditions à conditions; car , en considérant
la différence des deux chefs , celui du ciel et celui de
la terre , et la disparité des circonstances qui se trou
vent dans leur service, ou donnera à cette preuve un
plus haut degré de force qui la rendra plus frappante.
Et assurément, si la comparaison que fit Urie . de
lui-même avec Joab , produisit sur son âme une telle
impression qu’il s'écria, en présence même de David :'
Joab, mon seigneur, et les serviteurs de mon sei

‘ Liv. des Exercices.


DE. L'lMlTATION ne JésUs-CHRIST. 235

gneur couchent sur la terre; et moi cependantj'irai


en ma maison manger, et boire, et dormir avec ma
femme? Je jure, par la vie et par le salut de mon
roi, queje ne le feraijamais ‘; si, dis-je , cette com
paraison que fit Urie de lui-même avec Joab, eut
tant de force qu’elle lui inspira les paroles que nous
venons d'entendre, à combien plus forte raison , par
le rapprochement que nous ferons de Jésus-Christ
notre Roi avec unxprince de la terre, serons-nous
excités à l’imiter et encouragés à rendre nos actions
semblables aux siennes, exprimant en nous-mêmes
ces sentiments ou d'autres semblables : Jésus-Christ,
mon chef, est pauvre et méprisé; il est délaissé dans
l'oubli , au milieu des douleurs et des peines ; et moi,
riche et honoré, je passerai mollement mes jours
dans les commodités et les délices. Jejure , par la vie
et par le salut de mon roi, queje ne le feraijamais.
Il est donc sûr que le moyen dont notre saint patriar
che se sert pour nous déterminer est aussi bien choisi
qu'il est nouveau.
Enfin , le fruit qu'on se propose de recueillir dans
cette méditation, consiste à exciter en nous un ardent
désir d’imiter ce chef envoyé du ciel, et de le secon
der sans relâche dans l'œuvre que son Père lui a
donnée à faire 2. Cette œuvre était de glorifier son
Père sur la terre et de manifester son nom auz
hommes 5, de dompter en eure les révoltes de 'la chair,
des sens, de l'amour-propre, de l’amour du monde ‘,
et de les ramener à leur dernière fin , qui est la con
naissance et l'amour de Dieu. Or, comme on ne peut
imaginer aucun but plus noble , plus utile pour
nous , et plus agréable à Dieu que celui-ci, il s’ensuit
que cette méditation , non-seulement par la matière

‘lIRois, c. ll,v. 11.-”Jean, c. 17, VJ- -' 3 ÏbùÏ-v °'


l7,v. 6. —‘Liv. des Exercices.
I. 20
254 1v° J01m. LECTURE.
qui en est l'objet et par la manière dont on la traite,
mais encore par le fruit qu'on se propose d'en recueil
lir , est le sujet le plus noble, celui qui mérite le
plus que nous nous appliquions avec toute la ferveur
possible à l'approfondir; d'autant plus que c'est dans
cet exercice que S. Ignacc a conçu l’idée de sa société
et lui a donné naissance, puisque toute la perfection
de notre institut est renfermée dans ce même exer
cice comme dans sa racine et dans son germe.
Que dirai-je de plus? Cette méditation est encore
très-propre à produire en nous , pour Jésus-Christ ,
l'estime et l'amour qui peuvent seuls nous exciter à
l'imiter comme il convient; car, si on n’estime pas ,
si on n'aime pas la personne qui est proposée à notre
imitation, toute la force de ses exemples sera gran
dement énervée. C'est donc avec sagesse que notre
saint fondateur , dans la méditation du règne de
Jésus-Christ , nous fait considérer les qualités par où
il excelle, les conditions qu’il nous propose, afin de
nous apprendre, par l'excellence des unes et la l'aci
lité des autres , à apprécier et à aimer la supériorité
et la bonté de notre chef, et de nous enflammer ainsi
plus ardemment du désir de le suivre.

5 m.
I. Du reste, notre Sauveur appelle tous les hom
mes à venir s'associer à une œuvre si grande et si
glorieuse 1 , je' veux dire celle de rétablir ce royaume
spirituel , qui reçoit ses accroissements , lorsque nous
procurons la gloire de Dieu en nous appliquant à
notre perfection et à celle du prochain , à l'imitation
de Jésus-Christ : il nous appelle , dis-je , tous , sans
en excepter aucun ; car Dieu nous a tous destinés à

‘Direot.,'c. 19,11» 1.
DE L'IMITATION DE JÈSUS-CHRIST. 255

l'acquisition du salut par [Votre-Seigneur Jésus


Christ, et à vivre avec lui, c’est-à-dire comme lui;
mais cependant , il appelle chacun de nous selon son
état 1.
Il veut que nous marchions sur ses traces dans la
vocation à laquelle chacun est appelé“, c’eSt-à-dire
suivant la manière qui convient à l'état auquel Dieu
nous a destinés : l'un d'une manière, l'autre d'une
autre”, dit l'apôtre; l'un dans le célibat, l’autre
dans le mariage; celui-ci dans l'état ecclésiastique,
celui-là dans l'état religieux , tous doivent imiter Jé
sus-Christ de la manière qui convient à leur condition
et à leur état de vie. '
11. Ici, comme l'observe très-bien le Directoire,
commence déjà à paraître une difl'érence de degrés
dans l'imitation de Jésus-Christ; car , par cela même
qu'il y a divers états , et dans chaque état différentes
manières d'imiter le Sauveur, les unes plus parfaites,
les autres moins, par cela même aussi que chacun
participera plus ou moins à la victoire au à la féli
cité, selon qu’il aura eu part aux travaux et aux
dangers 4, il est évident qu'il faut reconnaître diffé
rents degrés dans cette imitation. Ces degrés consis
tent dans une ressemblance plus ou moins grande
avec Jésus-Christ , selon que chacun de nous aura été
associé aux peines et aux travaux de cette guerre
sainte , selon qu'il y aura plus ou moins participé.
Notre saint patriarche lui-même énumère, au troi
sième point de la deuxième partie de cette méditation,
quelques‘uns de ces degrés qui méritent qu'on les
examine avec une attention particulière : le premier,
c'est une résistance victorieuse aux révoltes de la
chair, des sens, de l'amour-propre et de l’amour du

1 Thess. e. 5,v. 9et l0. — 2 1 Cor, c. 7,v. 20. — 3 Ibid.,


c. 7, v. 7. - " Liv. des Exercices.
256 lV° J01111. LECTURE.
monde ; le deuxième , c’est la patience dans les tra
vaux ; le troisième, c'est la pauvreté d'esprit; le
quatrième, c'est la pauvre té pratique ; le cinquième,
c'est le courage à supporter les injures et toutes sor
tes d’adversités ‘. Ces deux derniers degrés sont, dans
la sainte milice, les emplois les plus importants et
les plus honorables, pour lesquels, suivant S. Ignace,
s’offrent seulement ceux qui ont voulu s'engager
pleinement au service de leur divin che/‘I
111. Or, il faut que nous soyons dans une égalité
d'âme et une indifférence parfaite à l'égard de tous
ces degrés comme à l'égard de tout état de vie , de tout
emploi et de tout lieu; il faut que nous ne soyons
attentifs qu’au commandement de Dieu; car il faut
servir Dieu en imitant Jésus-Christ, et on doit imiter
Jésus-Christ dans l'état dcvie où Dieu nous veut, ou
dans le degré de perfection qu'il exige de nous, si
notre état est déjà fixé , selon qu'il nous le fera con
naître dans ces exercices au moment de l'élection;
puisqu'en. cette affaire on ne peut point assigner de
règle plus sûre que la volonté divine. Et tel est le pre
mier fruit de cette semaine , telle est la principale
vérité sur la méditation de laquelle nous devons , par
conséquent , revenir , pour qu'elle s'imprime plus
profondément dans notre esprit.
C’est pourquoi , de même que nous devons servir
Dieu de la manière qu’il l'a décrété , ainsi que nous
l'avons reconnu clairement dans la première semaine
et que nous en avons été convaincus par l'évidence
de cette vérité, de même aussi nous devons imiter
Jésus- Christ selon le bon plaisir du Père éternel,
c'est-à-dire dans l'état de vie , ou , si cet état est déjà
déterminé, dans le degré de perfection que ce divin
Père a marqué pour que nous y suivions les traces

‘ Liv. des Exercices.


on L'un'rATioN DE uäsos-cumsT. 257
de son Fils avec une pleine indifl'érence pour tout ,
n'exceptant rien , ne mettant aucunes bornes à la
grâce , ne refusant aucun degré de vertu , mais con
sidérant uniquement la volonté du ciel.
De tout cela, il est évident que cette précieuse
indifférence pour tout , si instamment recommandée
par S. lgnace dans le premier jour des exercices , est
aussi l'âme et le principal fondement de cette semai
ne ; qu’elle est la condition sans laquelle on n’obtien
dra aucunement le fruit qu'on en espère; car à quoi
vous servirait-il de connaître la voie, de tenir votre
guide par la main , d’avoir votre modèle sous les yeux,
si vous voulez marcher dans une autre voie que celle
en laquelle il vous précède , de vivre d'une autre
manière que celle qu'il vous enseigne , d'avoir une
autre volonté que la sienne, et de former Jésus-Christ
en vous avec des traits étrangers à ce divin exemple?
Par conséquent , non-seulement il faut en ce moment
que nous rappelions avec le plus grand soin à notre
esprit tout ce que nous avons dit dès notre première
entrée dans les exercices , touchant cette héroïque
indifférence, mais il faut encore le mettre en pra
tique.
lV. C'est pourquoi nous devons appliquer encore
ici de nouveau l’inestimable indifférence à ces quatre
points dont nous avons parlé dans l'exercice du fou
dement; nous devons prendre la ferme résolution de
suivre Jésus-Christ dans la pauvreté on dans l’abon -
dance , dans les mépris ou dans les honneurs , dans
une santé florissante ou dans une santé languissante,
dans une vie longue ou dans une vie abrégée par les
travaux , et de ne nous abstenir ou de n'user des
choses créées qu'autant que cette privation ou cet
usage est utile ou préjudiciable au service qui est dû
à ce Roi du ciel, à ce chefque nous avons choisi.
Nous devons promettre de ne point nous rervirde
258 Iv' JOUR. LECTURE.
vêtements , de ne point user d'aliments autres que
de coux dont nous le verrons se servir lui-même; de
nous exposer aux mêmes travaux, aux mêmes veilles
et nue mêmes dangers ’ que ceux auxquels nous le
verrons constamment exposé. Par ces paroles , S.
Ignace fait une allusion très-juste aux quatre points
indiqués des le commencement, au S III de la lec
ture du Fondement.
La pauvreté pratique se manifeste par la frugaiité
et la mortification dans la nourriture, et nous témoi
gnons, par un vêtement grossier, notre mépris des
honneurs. Quant aux travaua- et aux veilles que ce
Roi nous propose , ils signifient les ineommodités, les
douleurs et les maladies du corps, les autres acci
dents et dangers de cette guerre; ils nous apprennent
à désirer la brièveté de la vie et la mort même. Si donc
Jésus-Christ veut que nous l'imitions en toutes ces
choses , il faut que nous nous offrions avec un grand
courage , étant également prêts et indifférents à les
supporter , comme nous devons l'être pour tout lieu ,
tout emploi et tout degré de perfection.

\ 3 N.
I. Néanmoins , nonobstant cette indifférence, telle
doit être, suivant la pensée de S. Ignace , la disposi
tion de notre cœur, que non-seulement nous dési
rionstmais encore que nous prenions en notre âme
la ferme résolution et d'imiter Jésus- Christ, et de le
suivre leplus près qu'il nous est possible , autant que
cela peut servir à accroitre davantage sa gloire et
notre hommage 2, nous efforçant pour cela de nous
rendre parfaits dans l'état que nous avons déjà
choisi, ou dans celui que la divine bonté nous inspi

‘ Liv. des Exercices. — 3 Idem


ms L'mrrATiolv DE lÉSUS-CHRIST. 239

rera de choisir ‘. Rien de plus juste; car la vie de


Jésus- Christ étant très-parfaite , étant l'idée même
de la vertu et de la sainteté, il s'ensuit que plus
notre vie se rapprochera de la siennepar l'imitation,
plus aussi elle deviendra parfaite elle-même, plus
elle s'avancera encore vers sa dernière fin, et par
conséquent plus elle sera heureuse 2.
Or , bien loin que ce désir d'une plus grande
perfection , qui nous est recommandé, soit opposé à
l'indifiérence que nous exigeons, il l'augmente au
contraire beaucoup, et il contribue à la conserver;
car, par cette précieuse indifl'érence que S. lgnace
nous conseille, il ne veut pas parler d'un certain
engourdissement de froideur, ni d'un lâche repos de
l'âme, qui comprimerait en elle tout effort vers ce
qui est plus parfait; mais il veut que notre indiffé
rence soit telle qu'elle ne laisse pas de tendre, par de
continuels efforts, à ce qui est meilleur , et qu'elle
nous fasse ainsi entrer dans cet état d'équilibre que
nous désirons; car elle l'aurait bientôt perdu , si elle
ne s'efforçait, par de tels désirs, de s'opposer et de
résister au torrent de la nature corrompue.
En effet, cette disposition de l'âme, par laquelle
un homme est content du dernier degré de sainteté
sur la terre et du dernier degré de gloire dans le ciel ,
et ne sent en lui-même aucun désir de s'élever plus
haut , par laquelle il lui est égal d'être placé aux pre
miers rangs parmi les Saints, d'être assis sur un trône
sublime ou de n'en occuper que les dernières mar
ches, cette disposition , dis-je , n'est pas la vertu d’in
différence, mais elle est l'indice d'une âme basse et
engourdie. Cette excellente indifférence pour tout,
que nousïl’reeomt'nandons , exclut seulement toute
inclination vicieuse aux choses de la terre, mais non

* Liv. des Exercices. — 3 Direct. , c. 18, n° 2.


24.0 1v° JOUR. LECTURE.
pas une sainte ardeur pour ce qui est plus parfait; et
même, dit le Directoire, c'est une très-utile disposi
tion pour faire un bon choix , si on n'est pas plus
porté à s'attacher aux choses de la terre , et si on
s'eflbrce , au contraire, autant qu'on le peut, a incli
ner sa volonté à ce qui est le meilleur; car, quoiqu'on
n'aura peut-être pas réellement cela à choisir, parce
que Dieu peut ne pas nous destiner à un tel état , ni
nous appeler à un si haut degré de perfection dans
l’état que nous avons déjà choisi, cependant un tel
désir ne peut pas nous nuire, il nous sera même
avantageux; c'est pourquoi on nous propose toujours
dans ces Exercices la voie la plus parfaite comme
celle que nous devons désirer et demander à Dieu
avec plus d’ardeur ‘.
En tout cela éclate encore la profonde sagesse de
notre saint auteur , qui conduit par degrés l'âme
chrétienne à ce qu'il y a de plus élevé; car , dans la
première semaine , il s'est borné à combattre en nous
toute inclination vicieuse pour les honneurs , les plai
airs et les richesses, parce qu'elle nous fait perdre
entièrement cette indifférence qui nous est nécessaire
pour faire un bon choix. Mais dans la deuxième
semaine il va plus avant , et il nous inspire un com
mencement d’inclination pour la pauvreté , les'mé
pris et les douleurs , afin de diminuer de cette sorte
la répugnance que nous avons pour ces mêmes choses,
et de nous faire acquérir plus promptement cette
indifférence céleste, qui consiste dans une diligente
et généreuse volonté de faire ou d'éviter tout ce que
nous connaîtrons dans ces exercices que Dieu veut
que nous fassions ou que nous évitions. Or , à cette
volonté se trouve joint inséparablement le désir de
tendre à ce qui est plus parfait et de 'suivre de plus

' Directoire, c. 28 , n° 14.


ne L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST. 241

près Jésus-Christ, puisque, comme je l'ai déjà remar


qué , cette excellente indifl'érence pour tout, exclut
seulement toute inclination vicieuse aux choses de la
terre , mais non par une sainte tendance à ce qui est
le meilleur.
En conséquence, suivant l’avis du Directoire, telle
est la disposition intérieure qu'on requiert de celui
qui fait les exercices, qu’il tende, autant qu’il dépend
de lui, à ce qui est plus parfait, si le Seigneur lui en
donne la grâce et les forces ‘. La raison en est que
l'homme, retombant toujours vers la terre par son
poids naturel, et ses affections vicieuses faisant qu'il
se porte avec force à ce qui est agréable aux sens, il
n’obtiendra jamais cet équilibre nécessaire pour faire
un bon choix , si son âme n'est inclinée en sens in.
verse par ces sortes de pieux désirs, si elle ne s'élève
au-dessus de la nature, de même qu'un arbre qui a
pris une mauvaise courbure n’élèvera jamais sa tête
droite vers le ciel, si d'abord on ne l'incline du côté
opposé à celui où il penche.
II. Il s’ensuit évidemment de lit , dit le Directoire,
que , dès maintenant, l'aime commence déjà à se
préparer à l'élection 2. Je dis à se préparer; car ,
par cela seul que, d’un côté, le cœur quitte toute
affection coupable pour les créatures , qu’il est indif
férent pour faire tout ce qu'il eonnaîtraqdevoir être
plus agréable à Dieu , et que , d'un autre côté , il se
porte aussi , avec un désir ardent , à ce qui est plus
parfait , il est clair que l'âme commence à sepréparer
pour choisir ce degré d’une vie plus sainte, dans
lequel Dieu veut qu'elle le serve et que JésusChrist
désire qu'elle l'imite.
Mais , pour que cette élection se fasse d'une manière
désirable , S. Ignace requiert de ceuzv qui feront le:

1 Direct. , c. 19, n” 2. — 3 Ibid.


1. 2l
242 w" JOUR. LECTURE.
exercices de cette semaine, qu’ils témoignent le désir
et la volonté fervente de ne point s'arrêter qu'ils
n’aient délibéré sur le choix d’un état de vie ’ , ou
qu’ils n'aient résolu de s'élever, dans l’état qu'ils
auraient déjà choisi, à un plus haut degré de per
fection. J'ai dit un désir et une fervente volonté;
car cette afl'aire est de telle nature , qu'elle ne peut
pas avoir un bon succès si on ne l'entreprend point
avec ferveur d’esprit ,- et elle erige une grandeur
d'âme , une force et une constance qui soient pro
duites par un accroissement de dévotion 2.
Jugez donc combien se trompent ceux qui pensent
qu'on peut donner dans la deuxième semaine quel
que relâche à la ferveur d'esprit; car bien que, selon
le sentiment de S. Ignace, il convienne de se compor
ter , dans l'usage des œuvres de pénitence , suivant
que semble l’exiger le mystère qu'on aura a méditer ,
attendu que quelques-uns des mystères nous portent
à la pénitence , et que d'autres ne nous y portent pas;
bien qu'on nous accorde quelque relâche par rapport
aux heures de la méditation, et que nous puissions
omettre l'oraison de minuit, en conservant cependant
les quatre autres heures de méditation ; néanmoins
notre saint demande que la ferveur et la sérieuse
attention de l'esprit ne se ralentissent aucunement.
Ce qui contribue au-dessus de tout à nous faire
réussir heureusement dans notre choix , à nous car
riger et nous réformer dans notre état de vie et dans
nos mœurs, autant que chacun le doit , c’est cette
suite et cette liaison singulière des exercices de cette
semaine, qu'un art tout à fait admirable a parfaite
ment enchaînés ensemble , et tellement subordonnés
les uns aux autres, que chacun d'eux reçoit des autres
son eflicacité, et que sa force est augmentée par la

‘Direct. , c. l8, n° à. -— 211x311.


ne L'mrrA'rmN DE JÉSUS-CUBIST. 245
réunion de tous; car après que, par un admirable
secret de l'Esprit-Saint, notre âme a été excitée,
dans la méditation du règne de Jésus- Christ, à vou
loir, d'une manière générale, embrasser la perfection
en imitant Jésus-Christ, elle recherche bientôt d'une
manière particulière , dans les méditations suivantes,
de l'lncarnation , de la Nativité et des autres mystè
res, en quoi consiste cette perfection, et elle distingue
avec sagesse de quelle manière et en quelles choses
elle doit s’attacher à suivre les traces de Notre-Sei
gneur, D’où il arrive que les semences de la perfec
tion qui ont été répandues dans la méditation du
règne de Jésus- Christ, croissent et se fortiflent dans
les méditations suivantes, jusqu'à ce qu'enfin elles
portent leur fruit dans le temps de l'élection ‘.
Et certainement, après la résolution générale prise
ce matin d'imiter Jésus-Christ en la manière que Dieu
.le veut , on descend, par une suite toute naturelle,
à méditer les exemples particuliers de vertus dont ce
divin Roi a éclairé le monde dans son incarnation , sa
naissance et les autres principaux mystères de sa vie ,
afin que nous soyons bien assurés de quelle manière
et par la pratique de quelles vertus nous devons le
suivre. Il ne nous suflit pas d'avoir résolu , en géné
ral , de vouloir suivre les pas de ce divin Chef, si
nous ne déterminons encore spécialement de quelle
manière il est convenable que nous l'imitions. Mais
puisque les méditations suivantes nous apprennent
parfaitement et nous excitent puissamment à prendre -
une bonne détermination , qui peut ne pas voir
combien ces méditations ont une liaison intime avec
celle du règne de Jésus-Christ , et même avec l’exer
cice de l’élection.
lV. Or, comme ces trois affections dominantes

‘ Directoire, c. 19, n° 2.
244 W° J01m. LECTURE.
dans les hommes , la concupiscence de la chair, la
concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie , sont
de tous nos ennemis ceux qui portent le plus souvent
le ravage et la dévastation dans le royaume de Dieu ,
et qui s'opposent avec le plus de fureur aux inten
tions de Jésus-Christ , voilà pourquoi, dès sa pre
mière entrée dans le monde , notre auguste Rédemp
teur à déclaré la guerre à ce triple monstre infernal ,
l'attaquant avec des armes nouvelles qui l'ont frappé
à mort. Ces armes sont l'humilité du cœur, l’austérité
de la vie et la pauvreté pratique. C'est ainsi que ,
par son exemple, il nous engage à partager ses com
bats, et nous apprend à remporter la victoire.
En effet , quoique nous nous soyons efforcés , dans
la première semaine , d'arrachcr cette dangereuse
ivraie, parce qu’elle est ‘la principale racine de nos
défauts et la cause funeste qui nous éloigne de notre
dernière fin, nous n’avons cependant alors combattu
que notre affection vicieuse pour les honneurs du
monde, les plaisirs de la chair, les commodités de la
vie et les richesses, sans déclarer encore une 'guerre
ouverte à cette horreur innée en nous de la pauvreté,
du mépris, des travaux et des douleurs. .
Comme il est nécessaire que cette horreur s'affai
blisse pour que nous obtenions l’inestimable indiffé
rence pour les richesses ou pour la pauvreté , pour
les délices ou pour les afllictions , pour tout lieu .
pour tout emploi et pour tout degré de vertu , aussi
nous appliquerons-nous , dans cette semaine , sinon
à la faire disparaître entièrement , du moins à en
amortir la vivacité, en inspirant à nos âmes l'estime,
l'amour et même le désir d'une telle disposition.
C'est pourquoi, de même que le fruit que nous de
vions retirer de la première semaine , était le mépris,
la haine et la fuite de toute affection vicieuse pour
les richesses , les honneurs et les plaisirs de la chair ,
DE L’lMiTATiON DE JÉSUS-CHRIST. 245

affection qui est la racine de tous nous maux, et qui


nous détourne de notre dernière fin ; de même aussi
le but de cette seconde semaine est de mettre dans
notre âme l'estime , l'amour et le désir de la pau
vreté, du mépris et des afliictions, afin que, par ce
moyen , nous soyons, d'un côté , détournés du vice ,
et , de l'autre côté, inclinés à la vertu , que nous
obtenions cette céleste indifférence si nécessaire pour
faire une bonne élection.
Pour produire en nous cet heureux effet , nous
trouverons un grand secours dans les exemples que
nous fournissent la vie privée de Jésus-Christ et sa
vie publique. Aujourd'hui , suivant l’intention de S.
Ignace, nous nous arrêterons à méditer seulement les
exemples admirables que nous donnent les deux mys
tères de son Incarnation et de sa naissance 1 , dans
lesquels il nous enseigne non-seulement à mépriser ,
à haïr et à fuir l'ambition, l'amour-propre et le
désir de l’argent , mais encore à estimer , à aimer et
à désirer ses trois compagnes inséparables , qui sont
la pauvreté, la douleur et l’abjection. Ainsi le fruit
que nous devons encore retirer aujourd'hui de ces
deux méditations , c’est un ardent désir et une ferme'
volonté d'imiter Jésus-Christ, notamment dans les
vertus dont il nous a donné un si éclatant exemple
par son incarnation et sa naissance, je veux dire dans
l'humilité intérieure, l'austérité de la vie , la pau
vreté pratique , ou au moins dans la pauvreté d'esprit.
Pour recueillir plus sûrement ce fruit, on observera
les avis suivants : 1° si la lecture spirituelle que j'au
rai assignée ne suflisait pas , il faut que celle qu'on
‘ Le livre des Exercices, après la méditation du règne de
Jésus-Christ , s'exprime ainsi : Lapremière méditation du premier
jour sera sur I'Incamatian , la deuxième méditation sera sur la
‘ Naissance de Jésus- Christ. La matière de la troisième méditation
est la répétition des deux premières.
246 1V° mon. LECTURE. DE L'mn'nioN ne L-C.
pourrait ajouter ait du rapport-avce le sujet de la
méditation qu'on vient de faire , ou de celle qu'on va
faire incontinent. S. Ignace prescrit la même chose en
ces termes : Tant dans cette semaine que dans cha
cune des semaines suivantes , je ne dois ni lire ni me
rappeler aucun autre mystère que celui que j'aurai
à méditer à l'heure même, ou du moins dans la
journée présente , dans la crainte qu'un sujet ne me
distraie de l'autre ‘. Le Directoire fait une semblable
recommandation : On peut, dit-il, dans cette semaine
et dans les suivantes, lire quelque livre sur les mys
tères de Jésus- Christ : il n'est pas cependant expé
client de lire voux des mystères qu'on doit méditer
plus tard, c’est-à-dire lesjours suivants; mais il faut
lire voux sur lesquels on a déjà médité, ou sur les
quels on méditera dans lejour présent 2.
2° Bien plus, il faut que les pensées mêmes par
lesquelles on s’anime de moment à autre, dans les
temps libres, répondent au sujet de la méditation
qu’on vient de faire ou qu'on va faire bientôt; et on
doit repousser toutes les autres pensées , quelque
pieuses qu’elles soient, qui n'ont point de rapport au
mystère de ce jour.
3° Dans le temps des exercices, on doit considérer
et méditer les mystères de la vie de Jésus-Christ d'une
manière bien différente qu’en tout autre temps; car
bien que chacun de ces différents mystères soit plein
des fruits de la grâce, il ne faut cependant, dans cette
retraite, méditer que les seules vérités et les seules
circonstances du mystère qui est proposé, ne produire
que les seules' affections qui répondent au but précis
des exercices : nous devons omettre les autres points ,
qui, tout utiles qu'ils soient, ne conviennent pas alors
à la fin qu’on a en vue.

‘ Liv. des Exercices. —- 2 Directoire, c. 2! , n" 9.


1v° JOUR. 11° MÉDITATION. DE L°mciamnon. 247

L'exacte observation de ces avis et de ceux que


nous avons donnés au quatrième paragraphe de l'in
troduction à la retraite, nous aidera beaucoup à re
cueillir des méditations suivantes le fruit que nous en
espérons : ce fruit est l'estime , l’amour et le désir de
la pauvreté, du mépris et des afilictions , à l'exemple
d'un Dieu revêtu de notre chair et né dans une étable.

11e MÉDITATION.

DE L‘INCABNATION.
Premier Point.

La seconde personne de la très-sainte Trinité, re


vêtue de notre 'chair, nous apprend à estimer, à aimer
et à désirer l’humilité et les mépris : Apprenez de
moi queje suis humble de cœur ‘. En effet , le mystère
de l’lncarnation est un prodige d'humilité, et pour
trois raisons; 1° à cause de l'union qui s'établit entre
le Verbe et la nature humaine; car, en conséquence
de cette union , et par la communication des idiômes ,
suivant le langage des théologiens , le Dieu immortel,
impassible , fort, puissant, le Roi de gloire 2. ,. s'en
tend appeler mortel, passible , l’homme de douleurs
et le rebut du peuple 5. Par cette union aussi, le pre
mier Etre a contracté avec nous une admirable paren
té , en s'associant pour toujours notre néant; en sorte
que la même personne , Jésus-Christ , est à la fois
homme et Dieu'. 0 abaissement d'autant plus étonnant
que la nature humaine est infiniment air-dessous de

‘ illatth, c. 11, v. 29. -— 2 P5. '23, v. 8. — 3 Isaïe,c. 58, v. 3


‘248 w’ mon. 11’ MÉDITATlON.
la nature divine! O mon Jésus! et je souffrirais avec
peine, désormais , de passer aux yeux des autres pour
un homme ignoble , sans science, sans sagesse, vi
cieux, après que Dieu , pour mon amour , a paru
pauvre , faible , infirme, et a été traité comme un ver
de terre et l’opprobre des hommes ‘ !
2° Le mystère de l’Incarnation est un prodige
d'humilité en raison du corps dont le Verbe s’est
revêtu; car, puisqu’il fut donné à l'âme de Jésus
Christ de jouir de la vision intuitive dès le premier
instant de sa création, puisqu’une gloire semblable
était due à sa chair adorable, Jésus-Christ pouvait
donc s’unir à un corps glorieux, orné des quatre
- qualités des corps bienheureux , à un corps immortel,
impassible , agile , invulnérable et exempt de toutes
misères; il pouvait se donner , comme il avait donné
à Adam, un corps robuste et arrivé à la perfection
de l'âge viril ; il pouvait se revêtir d'un corps appa
rent et sans réalité, comme il l'avait fait autrefois
pour les saints archanges Raphacl et Gabriel. Et
cependant , ô abaissement admirable! il a pris une
chair sujette à tous les maux, faible , délicate, sou
mise aux débilités de l'enfance, assujettie à toutes
sortes de besoins , il s’est revêtu d’une chair qui n'a
point été formée d'air, mais qu'il a produit du plus
pur sang d'une mère, et d'une mère pauvre; car ,
pour être en tout semblable à ses frères 2, il est venu
portant dans sa chair la ressemblance du péché 3 ,
renonçant au droit qu'il avait de faire briller son
corps de tout l'éclat et de toutes les prérogatives de
la gloire, et cela seulement pour détruire ‘ l'accès de
votre orgueil par l'excès de son humilité. Tu le crois ,
et cependant, ô terre et cendre , tu t'éle°ves 5 l

‘Ps.2l,v.27. -— 2Hébr.,c.2. v. l7.—3R0m.,c. 8, v. 3.


— 4 1bid.c.6,v. 6, —. l‘Eccl.,c. l0,v. 9.
ne L‘mcmmnom. 249
3° Enfin , le mystère de l'incarnation est un mys
tère d'humilité en raison du lieu où s'est caché Jésus
Christ. Ce prince, la souveraine sagesse , se cacha
dans le sein d'une vierge, comme le petit vermisseau ‘
se cache dans les grands Cèdres du Liban 2 , ou dans
le bel olivier de la campagne 5. Appréciez maintenant
la qualité de celui qui se cache , le lieu et le temps
où il demeure inconnu à l'univers :c'est l'immense
qui est caché , pendant l'espace de neuf mois , dans
l'étroite prison du sein d'une mère; là , comme un
criminel renfermé dans son cachet , il s'offre à la
justice divine prêt à aller pour nous au-devant d'une
mort infâme.
Il agit ainsi , 6 anges! soyez dans l’étonncment !
afin que nous , vers méprisables que nous sommes ,
nous apprenions, instruits par son exemple, à mo
dérer ce désir d'élévation qui est inné en nous , et à
nous tenir , avec une soumission semblable à la sien
ne, cachés dans tel coin de l’univers , dans telle place
inférieure, dans tel emploi méprisable, où nos talents
.ne peuvent qu'être oubliés et toute notre réputation
perdue. -
O homme vain ! c’est ton orgueil qui te crie : Fais
toi connaître au monde 4; pourquoi perdre 5 ton
mérite en le cachant? Tu pourrais faire plus de bien
dans un autre état, un autre lieu , un autre emploi,
une autre place ; tu ne manques pas des qualités qui
y conviennent. O malheureux! c’est là le sifllement du
serpent infernal ! Ah ! il n'est pas perdu l'encens
qu'on offre à Dieu. Vous avez été créé de Dieu et pour
Dieu , afin que vous le serviez et que vous imitiez
Jésus-Christ de la manière qu’il le veut. Si donc il
veut que vous ne le serviez et que vous ne suiviez

‘ Il Rois, c. 23, v. 8. -— 2Eccli, e. ‘M, v. [7.- 3Ibid,


c.2/0, v. 19. —‘Jean, c.7, V. 4. — 5Marc,c. “,v. 4.
250 w" mon. 11° MÉDITATION.
Jésus-Christ que dans le mépris, dans une retraite
profonde et dans des occupations viles et abjectes; s'il
est plus honoré par l'inaction de vos talents que par
l’orgueilleux usage que vous en feriez, qui êtes-vous
donc pour oser lui demander : Pourquoi agissez-vous
ainsi ‘ .7 Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait .
Pourquoz m'avez-vous fait ainsi ? Le potier n'a-l-il
pas le pouvoir de faire , de la même masse d’argile ,
un vase destiné à des usages honorables et un autre
destiné à des usages vils et honteux 2 .7

AFFECTIONS.

O mon Dieu! vous descendez sur la terre caché


sous le voile humiliant de notre chair, et moi, avec
Lucifer, je monte au ciel,je m'éléve au-dessus des
astres de Dieu et des nuées les plus hautes , dans le
désir insensé d'être semblable au Très-Haut 7’. Vous,
le Saint des saints ‘ , vous paraissez avec la ressem
blance d’une chair de péché 5; et moi qui ne suis né
que dans le péché 6 , je veux avoir une réputation de
piété. Vous qui, ayant la forme et la nature de Dieu,
vous êtes anéanti vous-même, en prenant la forme
et la nature de serviteur, en vous rendant semblable
aua hommes , et étant reconnu pour homme par tout
ce qui a paru de vous au dehors 7 ; et moi, terre et
cendre 8, avorton 9, ordure du monde, balayure
digne d'être rejetée de tous ‘0 , je m'élève moi-même
comme si j'étais quelque chose, quoique je ne sois
rien “. '
O cieux ! soyez dans l'étonnement ! ah! un Dieu est
‘ Ecelésiast, e. 8, v. "4. — 2 Rem, c. 9, v. Q0. — 3 Isa'ie, v.
14, v. 13. —— 4 Dam. e. 9,v.2.’4. —5Rom..c.8,v.3.—
6Jean, c. 9, v. 34. .— 7 Philipp, c9, v. 7. — 8EecL, e. 10,
v. 9. — 91Cor.,c.l5, v. 8. -— ‘0 Ibid.,e. 14, v. 13. — 1‘ Galat.
e.6,v.3.
m: L'INCARNATION. 251

devenu humble, pour qu’au moins l'orgueil des hom


mes ne dédaignât pas de suivre les traces d'un
Dieu ‘; et cependant je m'enorgueillis ! 0 vous ,
esprits célestes autrefois , mais devenus maintenant ,
par votre orgueil, des esprits infernaux! je vous
prends vous-mêmes pour juges; dites-le: Après que
la majesté même s'est anéantie , n'y a-t-ilpas une
audace intolérable a un misérable ver de s'enorgueil
tir et de s'en/ter 2 ? N'est-ce pas une détestable arro
gance que l'homme voie le Dieu du ciel devenu enfant,
et qu'il continue encore a se glorifier sur la terre 5 ?
O Dieu, grand amateur de l’humilité ! aecordez—moi
d'être enfin moi-même indifférent pour tout lieu,
pour toute place , pour tout emploi , quelque abject
qu'il soit; accordez-moi d'estimer , d’aimer et de dési
rer sérieusement cette vertu qui a attiré votre Verbe
divin dans le sein d'une vierge , lorsque, du haut du
ciel, il a regardé l'humilité de sa servante '‘ , plutôt
que sa foi , sa charité et sa pureté.

Deuxième Point.

Le Verbe fait chair nous apprend à estimer , à


aimer et à désirer l’austérité et les incommodités de
la vie, ou la mortification : Je suis dans les travaux
dès ma jeunesse 5 , a dit Jésus-Christ par le psalmiste.
L'état de ce divin Sauveur, dès qu'il eut revêtu notre
chair , lui fut pénible pour trois raisons : l°pour la
gêne ou il se trouvait dans le sein maternel, gêne
certainement très-grande en raison de la petitesse de
cette demeure et de 'l'obscurité de cette retraite. Là il
ne put, ni voir , ni entendre, ni se servir de son
odorat , ni rien goûter; il ne put se donner aucun
mouvement , de quelque côté que ce fût ; il ne put
1 S. Augnstîn. — 2 S. Bernard. -— 3 Ibid. -— 4 Lue, c. l ,
v.148. -— 5 P5. 87, v. 16.
252 w° JOUR. 11‘ MÉDITATION.

mouvoir ni ses pieds ni ses mains : il lui fallut rester


toujours dans le même état d'une compression dou
loureuse.
2° Et ces étreintes devenaient incomparablement
plus pénibles, à cause du parfait usage de la raison
dont il jouissait. Assurément si l'on considérait bien ,
avec Nicodème , quelle idée insupportable ce serait à
un vieillard , jouissant de toute sa connaissance et de
toute sa raison , de devoir rentrer dans le sein de sa
mère ‘, on comprendrait aussi combien il en a coûté
à Jésus-Christ d'y demeurer pendant tant de mois.
lui qui surpasse infiniment tous les hommes ensem
ble et les anges eux-mêmes, par les lumières de son
intelligence et par la pénétration de sa sagesse. Ajou
tez encore qu’il souffrait ces incommodités sans adou
cissement , ni de la part de la sainte Vierge , qui ne
pouvait pas lui en donner , ni du côté de la Divinité,
qui ne le voulait pas , quoiqu’elle lui fût unie ,. et
qui , au contraire, par un étonnant miracle, suspen
dit l'effet de cette félicité qui lui était due, à cause de
la jouissance de la vision intuitive, et qui empêcha
que son corps et son âme n’en reçussent aucun sou
lagement.
3° Enfin la connaissance distincte de l'avenir
ajoutait encore à ces peines; car, pour qu'il n'y eût
pas un seul moment où ce Sauveur très-aimable ne
portât sa croix, son Père éternel lui représenta, dès
le premier instant de sa vie, toutes les afflictions ,
tous les supplices, toutes les douleurs, toutes les
injures, tous les mépris et tous les tourments qu'il
devait souffrir jusqu’à la mort ; il les lui représente
très-vivement , avec toutes leurs circonstances , leur
nombre, leur poids et leur mesure, comme s’il les
eût déjà soufferts. Cependant Jésus-Christ accepta

‘Jean,c.3,v.«t.
ne L'INCARNATION. ' 255
tous ces maux avec une obéissance très‘prompte , en
offrant successivement sa tête aux épines, ses yeux
aux larmes, ses joues aux soufliets , sa face à d’igno
minieux crachats , sa bouche au fiel et au vinaigre, et
tout son corps aux plaies et à une. mort cruelle. O soif
vraiment insatiable de souffrir! 6 que cet exemple de
notre Chef doit nous faire rougir, nous , compagnons
de Jésus trop délicats !
Le fruit que nous devons recueillir de cette médi
tation est non-seulement le mépris des honneurs et
la haine des douceurs et des délicatesses de la chair ,
mais encore l'estime, et de plus un commencement
d’amour pour le mépris et les souffrances , joint au
désir d’éprouver en nous comme le besoin de les re
chercher avec ardeur et de les obtenir réellement.

AFFECTIONS .

0 mon Jésus! dès le premier instant de votre venue


en ce monde, non-seulement vous vous humiliiez par
un abaissement étrange , mais encore vous afliigiez
déjà beaucoup votre petit corps innocent , en suppor
tant les gênes du sein maternel. Bien plus, pour
- augmenter et rendre même plus douloureuse la souf
france que vous y éprouviez, vous vous êtes donné
un corps capable de. souffrir , que vous avez aussitôt
uni à votre âme et doué de la raison, afin que ni
l'imperfection de vos organes , ni le retard du moment
où vous auriez été animé , ni la privation de la raison,
ne pût arrêter , ou même diminuer votre douleur ; et
moi, ô honte! je flatte ma chair rebelle et souillée de
tant de péchés, j’éloigne soigneusement'de moi tout
ce qui me donne de' l'a'lfliction, et , délicat que je
suis , je frémis d'horreur au seul nom d’une vie
austère.
Vous avez été la liberté d'agir à vos sens qui étaient
254 1V" JOUR. u’ m'zmnnon.

si saints, vous ne leur avez jamais accordé rien


d'agréable : et moi je donne'toute licence aux miens;
impatient de sentir le frein , je déteste jusqu'à l’ombre
de la mortifieation. Mais je rougis et j'ai regret de fuir
avec tant de soin cette vertu qui vous est si chère que
vous n'avez pas voulu vivre un instant sans la prati
quer, et que vous avez prise pour compagne dès le
sein même de votre mère. Allumez donc en mon âme,
ô Seigneur! la haine de moi-même; éteignez-y les
flammes de l’amour-propre, afin que je ne sois em
brasé que des pures ardeurs du divin amour.
0 image eonsubstantielle de Dieu ‘ ! vous avez dit
à votre Père éternel, en entrant dans le monde :
Vous n’avez point voulu d'hostie ni d'ablation , mais
vous m'avez formé un corps. Alors j'ai dit : .Me voici,
je viens, selon qu'il est écrit de moi à la tête du
livre , pour faire, ô mon Dieu! votre volonté 2 , vous
offrant , par ces paroles , à servir votre Père , de quel
que manière qu'il l'ordonnerait, dans l'honneur et
l'ignominie , dans la bonne et la mauvaise réputaä
tion, dans les tribulations et les angoisses , dans les
plaies et dans les prisons , dans les travaux et dans
les veilles 5. Oui, animé par votre exemple , je veux
dire aussi : Me voici, je viens pour faire votre vo
lonté , indifférent pour toute manière de servir Dieu
et de vous imiter. Oh! que n'ai-je aussi comme vous,
dès le premier instant de ma naissante raison, pro-..
duit le même acte! Que ne me suis-je dévoué au ser
vice de Dieu avec une entière indifférence! Mais qu’au
moins je fasse présentement ce que j'ai omis alors : je
l'ai dit , je commence dès maintenant 4.
Avis. 11 faut ajouter ici des actes de foi de ce mys
tère , d'adoration de la personne de Jésus-Christ ,

‘Il C012, c. Lv. 5. -—-2 Hébr,,c.10, v. 5.-' 3“ Con, e.


6,v.Æ.-— 41391.67, v. Il.
cousine RATION son L'nUniLiTÉ. 255
d'actions de grâces pour le mystère si sublime de l'In
earnation et pour l'exemple d'un si profond abaisse
ment, enfin des actes de haine et d'humiliation de
soi-même.

GONSIDÊRATION
SUR L'HUMILITÊ.

Le but que nous nous proposons aujourd'hui c'est


d'imiter Jésus-Christ par la pratique des vertus qui
éclatent principalement dans les deux mystères de son
Incarnation et de sa Nativité, savoir : l'humilité, la
mortification et la pauvreté. Elles sont les trois com
pagnes qui lui furent associées au premier instant de
sa naissance dans l'étable, et qui, durant tout le cours
de sa vie et jusqu'à sa mort, lui firent toujours cor
tége sansle quitter jamais. Le sujet de la considération
présente sera l’humilité; celui de la considération de
demain sera-la mortification; dans la dernière médi
tation d'aujourd'hui , nous considérerons le prix de
la pauvreté.
Si nous voulons estimer davantage, aimer plus
vivement et désirer plus ardemment l’humilité, car
ce sont les trois degrés vers lesquels nous devons diri—
ger tous nos efforts pendant cette dernière semaine,
il est très-important que nous réfléchissions avec soin
sur l'excellence et l'utilité de cette vertu, et sur la
juste obligation où nous sommes de la pratiquer.
I. Son excellence : les saints Pères en font le plus
magnifique éloge. Si vous demandez , dit S. Augustin,
ce qui tient le premier rang dans la religion et dans
la doctrine de Jésus- Christ, je réponds que c'est
l'humilité ; et le deuxiéme rang? c'est l'humilité ; et
256 w" JOUR. CONSIDËRATION
le troisième 5’ c'est l'humilité ’ ; car la vraie doctrine
de la sagesse chrétienne consiste tout entière dans
une humilité pro/onde 2. Que peut-on dire , je vous le
demande, de plus sublime et de plus excellent? Que
peut-on alléguer de plus propre à nous inspirer l'es
time de cette vertu? Eh bien! c'est ainsi que pense,
c’est ainsi que parle S. Augustin , cette brillante
lumière de l'Eglise d'Afrique.
Et il pense avec raison , puisque 1° l'humilité est le
fondement de la foi : c'est elle , en effet , qui, rédui
sant en servitude toute intelligence 5; qui, aveuglant
notre raison et éteignant toutes nos lumières natu
relles , les met sous le joug de la foi : en sorte que là
où il n’y a aucune humilité , il n'y a point aussi de
foi. Mais comme la foi est la pierre angulaire de toute
la religion , la base de la discipline chrétienne et le
principe du salut éternel, il est évident que le prix et
l'excellence de l'humilité sont incomparables , puis
qu'elle est le fondement de la foi.
2° Elle est encore le fondement solide et durable
des autres vertus 4. De même que l'orgueil est le
commencement de tous les péchés 5 , de même l'humi
lité est la racine de toutes les vertus 6 : c'est elle qui
sème dans nos âmes les autres vertus, qui les cultive
et les conserve; elle est la mère, la nourrice, la co
lonne , lancre, l'appui et le lien de toutes les vertus 7.
Celui , au contraire, qui amasse des vertus sans hu
milité , fait comme s'il portait de la. poussière au
vent 8; et , dès que l'humilité est chancelante , tout ce
qu’on avait rassemblé de vertus tombe en ruine 9 , et -
toutes les bonnes œuvres sont nulles, si elles ne sont
pas assaisonnécs par l'humilité ‘0.
1 Epit. 5 et 6. -— 2 Serm. 8, de I'Epiph. — 311 Cor. , c. 5 , v.
10. — 4 S. Bernard. — 5 Eccles. , c. 10, v. 15. — 6 S. Bernard.
- 7 S. Chrysostôme. -— 3 S. Grégoire. -— 9 S. Bernard. — 1“ S.
Grégoire.
son L'avmuTÉ. 257
3° Bien plus , sans l'humilité , les plus grandes
vertus dégénèrent en vices, et elles deviennent la
perte de l’homme : sans elle , la plus grande austérité
de vie est une hypocrisie détestable; la plus haute
contemplation est une illusion honteuse, et la pau
vreté extrême est une sotte vanité; sans elle , les dév
serts des anachorètes, les pénitences des confesseurs,
les tourments des martyrs, le zèle des apôtres ne sont
qu’un vain jouet qui frappe les yeux et qui amuse
les démons. Mais l’humilité paraît-elle , les crimes
eux-mêmes perdent leur propriété de nuire, et de
viennent , par une admirable métamorphose , la ma
tière même des vertus; car celui qui s'humilie profon
dément sous la main puissante de Dieu, à cause des
fautes qu'il a commises , en obtient le pardon et
augmente son mérite , puisque l'humilité est plus
agréable à Dieu dans les mauvaises actions, que
l'orgueil ne l'est dans les bonnes ‘.
4° Enfin les grâces mêmes de Dieu nous sont nuisi
bles sans l'humilité. Comme les vents, dit S. Nil,
lorsqu'ils enflent, d’un souflle qui paraît favorable,
les voiles d'un vaisseau , ne font qu’en précipiter le
naufrage, si le vaisseau est poussé vers des écueils
cachés sous les flots , de même aussi l'abondance des
dons célestes et des grâces de choix est la perte d'une
âme qui nourrit en soi un secret orgueil. En effet , les
lumières de l’Esprit-Saint aveuglent une telle âme au
lieu de l'éclairer; les grâces du ciel lui sont plutôt
préjudiciables qu'utiles; la connaissance des choses
divines l’enfle et ne la rend pas meilleure; le don
d'oraison et de prophétie, le don des larmes, le don
des langues et des guérisons sont pour elle un poison
mortel :'par tout cela, apprenons àestimer I'excel
lence de l’humilité.

1 S. Augustin.
r. 22
258 1V° mon. CONSIDÉRATION
Il. Sa grande utilité nous apprend encore à l'aimer.
Tout ce qui nous est utile et profitable obtient facile
ment notre amour ; or, le premier bien dont nous
enrichit l'humilité, c'est une ressemblance parfaite
avec Jésus-Christ. Comme l'état d’abjection a été l’état
du Sauveur sur la terre , de même une âme établie
et contente en cet état est comme un autre Jésus
Christ et sa copie fidèle : ses sentiments et ses affec
tions sont tout à fait conformes aux sentiments et aux
affections de notre divin Rédempteur, qui a toujours
grandement estimé les mépris et les opprobres , les a
aimés très-tendrement, et n'a rien désiré autre chose ,
tant qu'il a vécu, que d'être dédaigné et méprisé.
Une telle âme boit au même calice avec Jésus-Christ
le vin amer de l'abjection ; elle se nourrit du même
pain de l'humiliation; elle est couverte comme lui du
même habit de confusion ‘ ; enfin elle est traitée de la
même manière que lui par le Père éternel; en un
mot, elle porte avec joie l'ignominie de Jésus- Christ2,
Ïestimant un plus précieux trésor que les richesses
des Egyptiens 5. .
Mais qui nous dira dignement combien il est avan
tageux de faire revivre en nous tous les traits de notre
divin Sauveur; de nous revêtir de ses mêmes habits ,
et de nous parer de ses couleurs; d'avoir le même
goût et la même volonté; d'estimer ou de mépriser ,
d'aimer ou de haïr , de rechercher ou de fuir les mê
mes choses que lui; d'être conduits par le même
esprit, et comme animés par la même âme, d'être
enfin, par cette ressemblance de mœurs et cette société
de condition , la joie du cœur de Jésus , sa couronne
et ses délices '? Comment donc ne pas aimer l'humilité
qui associe notre âme à Jésus-Christ , qui la rend

‘Ps. 108, v. 29. — 2 llébr. , e13, v. [3. -—' 3 Nomb., c.12J


v.12.
soa L'aUmLirË. 259
semblable à celui qui est ce Fils bien-aimé, en qui le
Père éternel a mis ses complaisances 1, en qui il s'est
complu, parce qu'il s'est anéanti lui-même en pre
nant la forme d'un esclave 2 .9
Le deuxième bien que produit l'humilité est une
profonde paie: du cœur. C’est dans cette paix qu'une
âme humble, supérieure à tous les troubles , coule
des jours sans nuages ; car la première source des
ennuis qui ont coutume d'inquiéter notre âme , se
tarit et se dessèche par cela seul qu’au lieu d'ambi
tionner l’honneur et l'estime, elle les fuit plutôt, et
qu'elle désire les mépris et les rebuts, loin d'en avoir
horreur.
Par quoi, en effet , sera troublé celui qui met ses
délices dans les mépris et les injures , qui reçoit les
soufflets avec un sourire de paix, qui tend et qui
offre, avec une joie intérieure, l'autrejoue à celui
qui l'a frappé? Qui niera qu'un tel homme ne soit
arrivé à la porte du ciel, et qu'il ne jouisse d'une féli
cité anticipée, comparable à la tranquillité des élus?!
Mais puisqu'au témoignage de S. Jean-Climaque , c'est
l'humilité qui nous donne un avant-goût de cette
béatitude , il faut donc que nous convenions de son
utilité. Or, voici les paroles de ce saint: Toutes les
fois que vous entendrez dire ou que vous verrez que
quelqu'un a acquis en peu de jours une paie: très
profonde, ne croyez pas qu'il ait marché dans une
autre 'voie que dans cette bienheureuse voie de l'hu
milité 5.
Le troisième bien que nous retirons de l'humilité
consiste en ce que ce précieux état d'abjection est le
plus propre de. tous pour nous faire acquérir une
sainteté sublime. Un homme est-il dans l’humiliation,

‘ II Pier.,c. i, v. 17. -— 3 Philip., c. 2,v. 7. —— 3S. Jean


Climaque.
260 w° JOUR. CONSIDÉRATION
alors ses compagnons le fuient; ils détestent sa société;
ils l'éloignent de leurs réunions, parce qu’ils nour
tissent contre lui des idées d'abjection et de mépris :
mais de cette sorte , étant rejeté du monde, il fuit le
monde à son tour; étant repoussé du monde, il le
repousse aussi; demeurant seul avec lui-même, ne
s’occupant plus que de Dieu seul dans le recueillement
de son âme , il conserve , dans cette solitude sacrée ,
qui est la mère de la sainteté , son cœ.ur pur et exempt
des taches qu’on contracte souvent au milieu des
hommes.
Par cette pureté de cœur, il acquiert une disposi
tion très-prochaine pour pouvoir obtenir l'amour de
Dieu , dans lequel consiste le comble de la perfection.
C'est ce qu’enseigna S. Jean-I'Evangéliste à sainte
Marie-Madeleine de Pazzi , dans une extase , où il lui
dit: L’âme qui aura en elle la perfection de l'humi
lité possédera très-facilement l'amour, sans qu'elle
ait besoin d'employer d'autres pratiques pour l’ob
" tenir ; et on ne trouvera jamais un cœur plein d'hu
milité , qui ne soit également plein de cet amour ,
qui unit parfaitement l'âme à Dieu et qui la rend
parfaitement une même chose avec lui; car , remar
quons-le bien :
De cet amour de Dieu qui s'acquiert par l'humilité,
naît encore comme d'un germe fécond , le quatrième
avantage dont elle nous enrichit, qui est une intime
union avec Dieu. Le cœur d'un tel homme étant libre
de toute ambition des honneurs , Dieu le possède sans
que l’orgueil, ce rival impie, lui en puisse ravir ou
disputer la possession : aussi fait-il ses délices de venir
dans cette âme, d'y faire sa demeure ‘ , de converser
avec elle et de lui être intimement uni par le lien de
l'amour.

‘ Jean, c. 14, v. 23.


son L'HUMILITÉ. 264
De là résulte cette affectueuse communication des
trésors célestes; car ces trésors étant dans un cœur
humble , sûrement cachés au ver de la vaine gloire ,
Dieu , dans sa bienfaisance et ses divines largesses, se
plaît à les y concentrer tous , mais principalement
les sept dons du Saint-Esprit : et pour ne rien dire de
ces délices célestes qui inondent de telles âmes , même
dès cette vie , voyez comme il les pénètre en un instant
d’une intelligence si claire des plus profonds mystè
res , que les plus hauts génies, malgré leurs travaux
et leur application durant de longues années, ne
peuvent en acquérir une connaissance égale : témoin
sainte Thérèse , le bienheureux Nieolas du Rocher,
Boderic, Crescence et une infinité d'autres pour qui
l'humilité fut la clef qui les introduisit à une science
très-sublime des divins secrets; car le Père éternel ..
c'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'apprend , aré
vélé à ceux qui sont petitsà leurs propres yeux ce
qu’il a caché aux sages ‘.
Et comme ces âmes renvoient fidèlement à l'auteur
de tout bien la gloire qui provient des grandes œuvres,
comme elles ne s'attribuent point un honneur qu'elles
ne croient pas mériter , Dieu aussi n'a coutume de se
servir que d'elles seules pour accomplir les prodiges
de sa miséricorde, ramener les pécheurs au bien et
exécuter les œuvres les plus importantes; en sorte
que les âmes vraiment humbles ont le droit de s'éerier:
Tous les biens me sont venus avec cette 2 vertu d'hu
milité. Pour tout dire en un mot : Dieu aime le cœur
humble, et il le console ; il s'abaisse jusqu'à lui, il
répand sur lui ses grâces avec abondance, il révèle
ses secrets à l'humble, il l'invite et l’attire douce
ment à lui 5.

‘Matth.,c. “,v.!ä. — 2 Sag., e. 7, V. Il. - 'IlniLde


J.-C.,l. 2, c. 2.
262 w° JOUR. CONSIDÉRATION
Qui donc n'aimera pas une vertu ui nous
fait arriver à la plus parfaite ressemblan E‘; Jésus
Christ , à la vraie paix de l'âme, à une su sain
teté, à une intime union avec Dieu et à la
cation des trésors célestes; qui nous rend des c ' Αuni
i -
ments très-propres pour avancer la gloire de '
procurer le salut du prochain?
111. De plus, l'homme pourra-t-il ne point dési
encore une vertu dont il a justement apprécié l'eàv
cellence , et qu'il aime sincèrement à cause de son
utilité, surtout s'il considère combien estjuste le désir
ardent de posséder une vertu pour laquelle celui qui
est grand aIt-dessus de toute pensée s’est fait petit
jusqu'à soufl'rir, afin de nous en donner un ensei-".

fait homme, afin que nous apprissions de lui à êtr"» ‘


humbles de cœur; particulièrement s'il se rappell
que la très-sainte humanité de Jésus-Christ, bie
qu'incapable de pécher des le premier instant de so
existence, honorée de la claire vision de Dieu, orné
de grâces , de vertus et de perfections infinies; que ::
cette humanité sainte, dis-je , se souvenant du néant
de son origine, s'est très-profondément abaissée de j:-—
vaut l'infinie majesté de Dieu par un acte de la plus

non-seulement aux orgueilleux enfants d'Adam , mais


aux superbes esprits infernaux eux-mêmes à déposer
leur arrogance et à s'abaisser au-dessous du néant. I ; _
cieux! le saint et [ajuste 2 , celui qui n'a pas J
le péché 5 , le Seigneur des seigneurs ", à qui tout

1 S. Bern., de la Consid. — 2 Act. , c. 3, v. 14' __ s 1 pi“.


c' 2, v-22.- “Apoe., c. 19, v. 16. p
son L'nUnimTÉ. 265
; donnée 1, lejuge des vivants et des
evant qui tout genou fléchitä; lui, il se
_ qu'il est néant du côté de la nature humai
et il s'abaisse devant la très-sainte Trinité jusque
abîme de l'abjection ; il se proclame lui-même
rnier des hommes 4, un ver et non un homme 5 ,
l le fait par un acte d'humilité qu'il continue du
>_ nt tout le cours de sa vie. L'homme , au contraire ,
‘a ni n’est qu'une goutte de rosée du matin 6 , un
grain de poussière 7 , une vapeur quiparaît un ins
tant 8; l’homme qui est la malice, la faiblesse, l'ab
jection, la bassesse même; l'homme ose avec vanité
s'élever, se glorifier dans ses paroles et se préférer
orgueilleusement aux autres! Ah! déposons donc
enfin devant la crèche de Jésus-Christ les prétentions
Ï de notre orgueil, et apprenons de lui à estimer, à
imer et à désirer la vertu d’humilité , qui a tou
ours en pour lui tant de prix, tant d’attraits et de
1 élices.

EXAMEN

sur LA MÊME VERTU.

l. L'humilité est une vertu par laquelle l'homme


st vil à ses propres yeuæ 9 , et par laquelle il aime ,
cherche , et il met saoie à être méprisé de ses sem
lables. S. Bernard distingue deux sortes d'bumilités:
ne d'entendement, qui nous fait connaître notre
éant; l'autre de volonté, qui nous fait vouloir être
, lmauhqc. 23,1’. '13. — 2m. , e. 10, v. 1.2. — 3 Philip.,
2, v. 10. — 4 lsaïc, c. 53 , v. 3. -— 5 Ps. 9l, v.7. —- 6Sag.
1Bernard.
,v. 23. —-7 Isaïe,c.40,v. 15.-- 8Jacob, c. 4, v. 15.
264 w‘ mon. EXAMEN.
traités comme un néant. Cette dernière seule est
une vertu; la première n'est qu'une disposition qui
prépare et qui aide notre âme pour arriver à la secon
de. Examinez donc quelle est votre humilité , si elle
est seulement spéculative et d'entendement, ou si elle
est pratique et de la volonté; si vous êtes humble
seulement de bouche, ou si vous l'êtes aussi dans le'
cœur ; si vous n'augmentez point le nombre de ceux
qui se croient humbles, parce qu’ils reconnaissent
qu'ils sont méprisables; car autre chose est une claire
connaissance de sa bassesse, et autre chose est une
sérieuse humiliation de soi-même; celle-là se trouve
même dans les démons . celle-ci est la qualité et la
vertu propre des âmes humbles. .0
Il y a deux moyens principaux pour acquérir
l'humilité : le premier est une considération fréquente
des motifs de nous humilier; l'autre est une pratique
assidue des actes d'humilité. La méditation des uns
et l'usage des autres sont le chemin de l'humilité ,
comme la lecture est le chemin de la science et comme
la souffrance est celui de la patience. Si donc vous
désirez la vertu d'humilité , ne vous écartezpoint de
la route de l'humiliation ‘. En conséquence , déter
minez quand et combien de fois vous voudrez méditer
les motifs de vous humilier qui ont été proposés dans
la considération d'aujourd'hui et dans la considéra
tion du deuxième jour ; déterminez aussi quels actes
de cette vertu vous voulez produire, et combien de
fois vous les produirez.
II. Les principaux degrés de l'humilité consistent
1° à penser , à parler de soi-même et à se traiter avec
mépris, comme nous avons coutume d'en user envers
ceux que nous méprisons réellement et sérieusement.
L'homme vraiment humble veut être ignoré 2 , il ne

1 5. Bernard. _- 211m1.
SUR L'nUmLHÉ. 265
pense rien , ilne dit rien de grand de lui-même, mais
' il se juge le dernier de tous ‘ ; 2" à supporter patiem
ment et en silence que les autres tiennent la même
conduite envers nous; 3° à désirer même qu'il en
arrive ainsi, et à en chercher avec soin l'occasion ; 4°
à nous réjouir, dans notre cœur, si, selon notre
désir, on nous condamne , et à en rendre grâces à
Dieu. Examinez maintenant si vous êtes arrivé à l’un
de ces degrés, et auquel vous êtes arrivé; voyez vers
lequel vous avez résolu de diriger désormais vos
efforts, et quels moyens vous voulez prendre pour y
parvenir.
Enfin on distingue trois qualités de l'humilité. La
première , c’est qu'elle doit être volontaire en nous;
car les voleurs aussi s'humilient par force : l'humilité
qui se plaint ne mérite pas le nom de vertu. La deu
xième , c'est d'être sincère; 'car le masque de l'humi
lité est le comble de l'orgueil2 : il y en a qui s’humi
lient par feinte 5, qui cherchent dans l'humilité la
gloire de l'humilité 4‘, qui afltigent leur corps par
l'abstinence , et qui cherchent dans leur abstinence
les honneurs et les faveurs des hommes 5. Cette hu
milité hypocrite et couverte du manteau de la vertu ,
n'est qu'ambition. La troisième qualité de l'humilité ,
c’est la discrétion, qui nous l'ait discerner quand et
combien , en quel lieu et en quelle occupation , par
quel moyen et de quelle manière, pour quelle fin et
avec quelle prudence nous devons nous humilier;
afin qu'un supérieur ne s'expose pas à ne pouvoir
plus assujettir la conduite de ses inférieurs au joug
de la discipline , en s'humilient lui-même plus qu'il
ne convient 6.
Examinez donc 1° combien volontiers et combien

1 S. Jean-Chrysostôme. —— 3 S. Angustin. -.3 Ecclés. , c. 19 ,


v. 23. — 4 S. Ambroise. -—- 5 S. Grégoire-le-Grand. —— 6 Ibid.
L . 23
266 1v” JOUR. EXAMEN soa L'aomunä.
patiemment vous supportez d'être méprisé. N'êtes
vous point aussi, vous , au premier mépris que l'on
fait de vous-même , abattu par la tristesse; n'éclatez
vous pas en plaintes; ne remplissez-vous pas la maison
et la villede vos murmures? 2° N’êtes-vous pas encore
du nombre de ceux qui, dans l'éeole même de l'hu
milité, désirent d'être honorés ‘ ; qui , par leur hu
miliation , prétendent s’élever et s’avancer , et qui ,
tout en se blâmant eux-mêmes, désirent pour cela
être estimés et loués des autres? Oui, il faut que
l'humilité soit une vertu glorieuse , puisque l'orgueil
lui-même veut aussi s'en parer '. 3° Voyez si on ne
peut pas vous appliquer ces paroles de l'Ecclésiasti
que : Ily en a qui s'abaissent plus que ne le veut la
vraie humilité 5, en dérogeant à leur autorité au pré
judice du devoir de leur charge; ou bien si votre
humilité ne dégénère pas en pusillanimité , ou en une
indigne timidité qui vous rend trop méticuleux et
incapable de remplir votre place.
Personne n’est plus généreux que l'homme vrai
ment humble; car , se défiant de soi-même et ne se
confiant qu'en Dieu seul, il est prompt et plein d'ar
deur à tout oser pour lui ; mais celui qui s'inquiète
avec crainte de l'heureux succès de ses actions, mon-
tre clairement qu'il redoute d’être méprisé. Recon
naissez donc où vous en êtes par rapport à toutes ces
conditions de l’humilité : du reste, plus vous êtes
grand, plus vous devez vous humilier en toutes
choses, et vous trouverez grâce devant Dieu 4.

18. Bernard. ——2 11m1, _. a o. 19, v. 24. -— 4 Eceli. , c. a,


v. 20.

''fi.'
ne LA NATIVITÉ DE JÊSUS-CHRIST. 267

[Ile MÉDITATION.

DE LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

Premier Point.

Jésus-Christ nous apprend dans sa naissance à


estimer, 'à aimer et à désirer la pauvreté; car sa pau
vreté fut extrême dès qu'il parut en ce monde. 1° En
raison du lieu. En efÏet, il naquit non-seulement exilé
de son palais , quoiqu’il fût le fils de David et l'héri
tier du royaume de Juda ; non-seulement il était alors
comme un étranger hors de sa patrie, qu'il lui fallut
quitter par l'ordre de César-Auguste, pour aller de
la ville de Nazareth à la ville de Bethléem 1; non
seulement enfin il était exilé de sa patrie et de sa
maison , mais encore , par une privation qu'ont rare
ment à souffrir les plus indigents eux-mêmes, il ne
put pas obtenir une hospitalité étrangère; car ils ne
trouvèrent point de lieu pour y loger 2. En un mot,
Jésus-Christ naquit dans une étable à demi'ruinée;
et ses parents, à la vérité très-saints , mais aussi très
pauvres, le placèrent dans une crèche : là il n'eut
pour serviteurs qu'un bœufet'qu’un âne, et il ne fut
visité par personne, si ce n'est par de pauvres bergers.
O étonnant état d'une pauvreté vraiment extrême! O
Père éternel! Ah! les renards ont leurs tanières et
les oiseaux du ciel leurs nids; mais le Fils de I’Iwm
me , que dis-je? votre propre Fils, n'a pas ou reposer
sa tête 5!
2° La pauvreté de Jésus-Christ nouvellement né
1Lue, c. 2,v. 4. —2Ibid,c.2,v.7.—3Ibid,c. 9m53.
268 w° JOUR. m° MÉDITATION.
était encore extrême en raison de ses vêtements; car
sa pieuse Mère , qui n'avait point de linges d'un pré
cieux tissu, l’enceloppa de langes ‘, non de langes
de toile, dont ne sont cependant pas privésles enfants
des mendiants eux-mêmes, mais de langes d'étoffe,
qui, à cause de la rudesse de la laine, étaient fort
douloureux aux membres très-délicats de Jésus; et ces
langes , comme il est à croire, ne lui appartenaient
pas, et elle avait dû les emprunter. Elle ne déposa
point ce tendre Enfant sur une couche moelleuse et
garnie , pour le réchauffer , d'une couverture du plus
fin duvet; dans son absolu dénûment de toutes cho
ses , elle le déposa dans une crèche dure et nue , où il
ne se trouva probablement ni paille ni foin. Ceci se
passait au fort de l’hiver, alors que des vents violents
soufflaient sur ce pauvre réduit, y faisaient pénétrer
un air glacial dont le feu ne tempérait point la
rigueur. Le travail et la douleur, ces deux compa
gnons inséparables de la pauvreté , suivaient toutes
ces privations; ils étaient comme les deux pôles au
tour desquels toute la vie de Jésus-Christ allait tour
ner sans s'en écarter un seul instant jusqu'à la mort ;
en sorte que ce divin Enfant put vraiment dire avec
le Prophète : Je suis pauvre et dans les travailx dès
ma jeunesse 2. '
O mon Jésus ! le ciel est votre siége 2‘, les chéru
bins sont votre trône ‘, et vous êtes couché dans une
étable, déposé dans la crèche“, au milieu de deux
animaux 6 ! Vous êtes la splendeur de la gloire et
l'expression de la substance de votre Père 7 ; la lu
mière est votre vêtement 8; vous êtes riche au-dessus
de tous 9 , et je vous vois dans l'abjection et le mépris,

1l..nc,c. 2, v. 7.- 2Ps. 87, v. 16. —— 3lsaïe, c. 66, v. 1.


— ‘ Ibid. . c. 57, v. 16. — 5 Lue, c. 2, v. 16. ——6 Ezéch., c. 1,
v. 10. — 7Hébr.,c. l,v. 3. - SP9. l03,v. 2. -—°Rom., c. 10, vJ’.
DE LA NATIVITÉ ms JÉsUs-cumsT. 269
un et. tremblant de froid, manquant de tout et privé
de l'hospitalité ! Ainsi, lorsque vous étiez riche , vous
vous êtes fait pauvre pour nous , afin de nous enri
chirpar votrepauvreté ‘, et afin qu'animés par votre
exemple , nous apprissions à estimer , à aimer et à
désirer la pauvreté.
Deuxième Point.

Et cependant , oh! que notre pauvreté est riche et


commode! Qu'elle est riche d'effet et de désir ! puis
que, d'un côté , nous avons en abondance les choses
superflues, et que , de l’autre , nous vivons attachés
avec trop d'affection à ce qui nous est nécessaire. 0
'cieux ! quelle différence entre ma pauvreté et celle de
Jésus-Christ ! Il habite une pauvre étable, et moi une
chambre meublée avec recherche; il se réjouit de
l'extrême privation où il est de toutes choses, et moi
je me plains si le superflu me manque; il endure
l’indigence dans son logement , dans ses vêtements et
dans sa nourriture; et moi je désire d'être vêtu mol
lement , nourri avec délicatesse et logé somptueuse
ment. O cieux ! quand donc enfin imiterai-je ce que
j’adore i’ 0 homme trop délicat! écoute la parole du
Seigneur 2 : Le Seigneur a dit : Tu me vois en cet
état..., et tu demandes pour toi quelque chose de
grand 7' ! Je suis dans le froid et la nudité ‘ , et tu
cherches les satisfactions de ta chair ; je suis dans la
faim et la soif“, et tu cherches ce qui est agréable au
goût ; tous mesjours sont pleins de douleurs et d'a
mertumes “ , et tu cherches toujours tes aises : quelle
différence !
2. O cieux ! qui n'eût pas cru que le Roi des rois ,
1 Il Cor. , c. 8, v. 9. -— 2 Jèrémie , c. 29, v. Q9. -— 3 Ibid.;
c. 45,1’. 4 et 5. - 4 Il. Cor. , c. 11, v. 27. — 5 Deutér.-,c.28,
v. 48. — 6 Ecclés. , e. 2, v. 23.
270 W" men. in° MÉDITATION.

le Seigneur des seigneurs, qui était venu en ce monde


pour le sauver , eût dû naître dans la cour des em
pereurs, être nourri par les princes , porté dans les
bras des'reines et couché sur la pourpre et le fin lin?
Mais, hélas! le Père éternel lui donne pour palais une
étable , des animaux pour courtisans , pour berceau
une crèche , et de la paille pour lit. Et ce divin Père
traite ainsi son Fils , le plus cher objet de ses com
plaisances, son Fils la sainteté même , uniquement
afin de nous désenchanter des vanités du monde , de
nous apprendre à sentir le prix de la pauvreté, à
aimer et à désirer les trésors qu’elle renferme , et afin
de nous inspirer aussi quelque amour pour les habi
tations pauvres et incommodes. Ainsi pensait S. Ber
nard, quand il disait: Le Fils de Dieu a quitté le
trône de sa gloire, ou il possédait l'abondance de
toutes les richesses , parce qu'il a chéri la pauvreté;
il l'a prise pour son partage, et il a voulu aussi
nous la rendre précieuse par l’estime qu'il en a
faite ’.
3° De plus, Jésus-Christ a choisi volontairement
cet état de pauvreté avec toutes les privations qui
l'accompagnent , tout contraire qu’il fût à sa santé ,
et malgré qu’il rendit plus diflicile la croyance en lui
comme au Messie; et quoique le voyage de Bethléem,
qui fut l’occasion de tant de souffrances , n'eût pour
cause que le vanité de César, qui voulait faire le
recensement de l'univers , Jésus-Christ se soumit ce
pendant à tout avec promptitude, en naissant pré
cisément dans le lieu et dans l’état qui lui avaient été
prescrits dès l'éternité , afin uniquement de servir
son Père éternel en la manière qui avait été détermi
née et avec une pleine indifférence pour toutes choses.

1 S. Bernard.
DE LA NATlVlTÉ DE näsos-cumsr. 2H

AFFECTIONS.

Je crois, Seigneur, puisque vous l'attestez par vos


paroles et vos exemples , que les pauvres d'esprit sont
bienheureux, et que le royaume des cieux ‘ leur
appartient; je crois que le monde , quipoursuit les
honneurs, les richesses et les plaisirs , se trompe,
puisque Jésus- Christ, la sagesse infinie , qui ne peut
pas se tromper et qui ne veut pas nous tromper, a
préféré suivre une voie toute contraire 2.
O Jésus très-pauvre ! vos langes, votre crèche,
votre étable sont aussi pour moi , comme ils furent
autrefois pour les bergers de Bethléem , l'avertisse
ment et la marque que vous êtes le Fils de Dieu, en
qui la plénitude de la divinité habite substantielle
ment5. Je me prosterne donc, et je vous adore avec
eux dans votre pauvreté, ô divin Enfant! comme mon
Seigneur et mon Dieu.
0 que j'ai de douleur que cette soit' insatiable de
mes aises, ce désir des choses terrestres qui me tra-
vaille, ait fait couler vos larmes dès que vous fûtes
né; car vous vous êtes fait entendre d'abord en pleu
rant comme les autres enfants 4 , lorsqu'avec de ten
dres soupirs vous avezgémi sur mon affection pour
les choses du monde et sur ma trop avide convoitise
des biens de la terre. ' .
Désabusé de mon erreur par votre exemple, je sais
enfin maintenant estimer , aimer et même désirer les
richesses que la pauvreté renferme. Vos langes me
sont plus précieux que la pourpre; votre pauvreté
m'est plus riche que tous les trésors et toutes les ri
chesses du siècle 5. Le centuple en cettexvie et le
royaume des cieux en l'autre, que vous promettez aux

‘ Matlh. , c. 5 ,v. 3. .—— 2 8. Bernard. —- 3 Celow, c- 2, V. 9


— 4 Sag., c. 7 , v. 3. —- 5 S. Bernard.
272 w° moa. ni° MÉDlTATlON. DE LA NATIVITÉ DE J.-c.

vrais pauvres, me décident à aimer cette vertu comme


ma mère, à la garder comme la prunelle de mes
yeux, et à la défendre comme le rempart de la re
ligion.
Epouvanté par cet arrêt foudroyant: JIIalheur à
vous, riches ‘!je renouvelle le vœu de pauvreté que
j’ai déjà fait; je déteste toute aflcction dépravée aux
choses de la terre , et j'y renonce de tout mon cœur.
C'en est fait, je ne retiendrai rien de superflu , rien
qui ne conviendrait pas à mon état; je n’accepterai et
je ne prendrai rien même de ce qui m'est nécessaire
qu'avec permission , et je vivrai sans attacher trop
d'affection aux objets dont il me sera permis de me
servir.
J'aurai toujours une volonté indifférente pour tout
lieu, pour toute nourriture, quelque incommode,
quelque vile ct pauvre qu'elle soit , et je me réjouirai
quand j’aurai occasion d'éprouver quelques effcts de
la pauvreté. Le plus pauvre réduit me paraîtra un
palais, pourvu queje sois dans le lieu où vous voulez
queje vive et queje vous serve. Vous , ô très-pauvre
Jésus! vous êtes mon trésor , en qui je veux désor
mais fixer mon cœur. Dépouillé de tout , je veux
imiter votre dénûment; car vous êtes mon centuple
et mon tout. 0 Seigneur, qui écoutez les désirs du
pauvre 2 ! faites que, privé de tout le reste, je sois
riche de vous seul.

‘Lue, c.6,v. 24.-’1’5. l0,v. 17.

D O

0 0
ŒÛÆËŒ sonna

PREMIÈRE MÉDITATION.
DE LA FUITE DE JÉSUS-GHBIST EN ÉGYPTE.

Premier Point.

Considérez les circonstances qui pouvaient rendre


ce voyage très-pénible pour Jésus-ChrisLLa première,
ce fut le lieu qu'il fallait quitter , sa propre patrie,
où cette famille indigente pouvait recevoir beaucoup
de secours et de consolation , de la part de ses parents
et de ses amis; et le lieu ou il fallait se retirer,
I'Egypte, dont les habitants étaient idolâtres, natu
rellement ennemis des Juifs , et dont la langue était
inconnue aux parents de Jésus-Christ.
La deuxième circonstance , ce fut le temps où il
fallait partir, dans le froid de l'hiver, dans l'obscu
rité de la nuit , par des chemins inconnus , difliciles ,
traversés de torrents, endommagés par les pluies ,
infestés par les voleurs , offrant une infinité de dan
gers, ne présentant aucune commodité. .
La troisième circonstance , ce fut la manière dure ,
la forme absolue avec laquelle ce départ était com
mandé; il fallait partir non pas dans le cours dujour,
mais au milieu de la nuit , en interrompant son som
meil : l'ordre en était donné pour être exécuté aussi
tôt et à l'heure .même, sans laisser le temps de se
préparer à un si long voyage , de pourvoir aux choses
nécessaires, de dire adieu aux amis de la maison , de
274 v° mon. 1"' MÊDITATION.

disposer des meubles qu'on laissait : rien n'avait été


prévu pour nourrir cette pauvre famille dans le che
min , et le temps qu'elle devait rester en Egypte
n'avait point été marqué: Demeurez-g jusqu'à ce
que je vous le dise ‘ : telle était toute la consolation
qui fut donnée. Et , en effet , ils y demeurèrent sept
années entières jusqu’à la mort d'Hérode 5. Oui ,
toutesles circonstances qui peuvent rendre diflicile un
changement de demeure semblent s'être ici réunies à
la fois; et si nous voulons comparer à cette peine tous
les embarras qui peuvent survenir dans le cours de
notre vie, ils s'évanouiront comme une ombre. O Père
éternel ! de quel droit oserai-je me plaindre; moi vil
esclave et pécheur infâme, quand je vous vois traiter
si durement le Saint des saints, votre propre Fils.

Deuxième Point.

Considérez la manière dont cependant Jésus-Christ


a obéi à un commandement si diflieile. 1° Prompte
ment. Car , dit S. Matthieu : Se levant la nuit, il se
retira en Egypte 5 : avoir reçu l'ordre et s’être mis en
chemin fut l'aflaire d’un même instant.
2° Il a obéi aveuglément, sans examiner le com
mandement , sans murmure et sans improbation ,
quoiqu'il y eût mille fortes raisons de répliquer , et
quoique cet ordre fût , selon toute apparence , eo'n
traire aux lumières de la droite raison ; car un Dieu
fuir , et fuir la colère d'un homme , quelle faiblesse P
Et d’ailleurs , la souveraine sagesse n'avait-elle donc
pas d'autres moyens d'apaiser la colère d'Hérode , ou
d'éviter ses piégés , ou- de tromper ses efforts impies?
Et Si' enfin il fallait s'enfuir , pourquoi en Egypte ,
et non pas chez les Mages ? Pourquoi, au moins , le

‘Matth', o. '2, v. le. 'm 2 m e. 2, v. 15. 3 Ibid. c. 2, v. 14.


DE LA FUITE EN ÉGYPTE. 275

temps qu'il faudra y rester n'est-il pas fixéî'Mais


Jésus-Christ ferme l'oreille à tous ces prétextes; il
ferme les yeux , avec une obéissante piété, à toutes
ces lumières de la raison humaine: en un mot, Jésus
Christ a obéi aveuglément.
3° 11 a même obéi avec joie. Repoussant bien loin
l'ennui et la tristesse, et suivant avec promptitude ,
avec un cœur grand et généreux, le bon plaisir de
Dieu . il s'est mis en chemin dès qu'il en a eu reçu
l'ordre , sans mendier aucune consolation de la part
de ses amis , sans demander à ses proches aucun se
cours pour le voyage. Telle est l'idée de la parfaite
obéissance qu'un disciple de Jésus-Christ doit géné
reusement imiter, en acceptant d'aller en quelque
lieu qu'on lui ordonne. Oh ! combien cet exemple de
Jésus-Christ ne confond-il pas ces inquiétudes , ces
soucis , ces ennuis, ces plaintes, ces troubles dont
notre esprit est travaillé et dont nous remplissons la
maison , si, par hasard, les supérieurs nous destinent
pour un lieu qui nous est peu agréable! 'Ah ! nous
nous défions de la divine bonté, puisque nous 'crai
gnons de nous confier à sa paternelle providence.

Troisième Point.

Considérez les motifs qui doivent nous engager à


suivre Jésus-Christ dans son obéissance, motifs qui
méritent que nous les répétions encore ici ‘brièvement
à cause de leur efficacité, quoique nous les ayons.
déjà expliqués dans la considération du premier jour.
1° Le premier se tire de cette vérité, que cette dispo
sition du supérieur est la volonté de Dieu. Quoique
le supérieur agisse peut-être avec un esprit mal 'in
formé ou avec une fâcheuse disposition de volonté,
cependant c’est le bon plaisir de Dieu que vous soyez
envoyé maintenant en tel ou tel lieu ; car si , 'selon
276 v° JOUR. 1" MÉDITAT1ON.
la sainte Ecriture, un cheveu ne doit pas tomber de
notre tête , ni un passereau du faîte d'une maison ,
sans que le conseil adorable de l'auguste Trinité ne
l’ait réglé ainsi, il est impie de nier que la providen
ce de Dieu ne s’étende également à ce qui intéresse
la perfection d’un religieux et le repos de son âme.
Qu'elles entendent donc ces âmes pusillanimes et
qui se défient de Dieu , qu'elles entendent cet ensei-
gnement commun et certain des théologiens: tout ,
excepté le péché seul, se fait et nous arrive par la
disposition , l'ordre et la volonté du Dieu qui gou
vcrne l'univers. Bien plus ,' quoique ce Dieu très-saint
permette seulement le péché , cependant il veut les
effets qui en découlent et qui sont indifl'érents de
leur nature; oui, Dieu les veut : ainsi, quoiqu’il
n'ait pas voulu la vente de Joseph , il voulut cepen
dant son départ pour I'Egypte; quoiqu'il ait détesté
la calomnie intentée contre lui , il décréta cependant
sa captivité. De même, quoique la sainteté de cet
Etre suprême ne veuille pas , quoiqu’elle déteste et
punisse même ces faux rapports , ces malicieuses
menées de vos ennemis , cette trop grande crédulité ,
et, si vous le voulez, cette prévention d'un supé
rieur, par suite de laquelle il est arrivé peut-être
que vous êtes destiné à telle ou telle place ; cepen
dant, ô homme religieux! cependant Dieu veut votre
départ pour tel endroit : c'est une vérité qui ne souf
fre aucun doute au jugement des théologiens et des
maîtres de la vie spirituelle. Dieu le veut pour votre
plus grand bien.
2° Et c'est là aussi le second motif de nous sou
mettre entièrcment. Oui, cette destination que vous
assigne l'obéissance , est la plus convenable pour
vous et pour votre propre bien ; car Dieu , parcela
seul qu'il sait tout, connaît certainement quel lieu
convient le mieux à votre âme et à votre corps , à
ma LA FUITE EN Écvprs. 27‘!
votre salut et à votre santé, à vos besoins et à votre
honneur ; et parce qu'il est tout-puissant il peut aussi
vous y placer. Mais puisqu’il est tout rempli d'amour
pour vous , il vous donnera donc aussi cette destina
tion; car , la sainte Ecriture l’atteste , le Seigneur
prend soin de vous; il est père, et personne n'est
père autant que lui; il vous porte dans son sein,
comme on voit une nourrice porter son petit enfant.
Il vous aime d’un amour éternel et sans mesure. Ce
lieu auquel sa divine providence vous destine main
tenant par l'obéissance , est donc le lieu le plus con
venable pour vous, le plus propre à procurer le salut
et la perfection de votre âme , et le lieu préférable
pour vous à tout autre; car s'il n'en était pas ainsi,
ce Père qui vous aime tant et qui a pour vous tant de
sollicitude , ne vous y eût jamais envoyé. Ah ! celui
qui se défie de la bonté et de l'amour paternel de
Dieu , ne saurait l'ofi'enscr plus grièvement.
Le fruit que nous devons recueillir de cette médi
tation , c'est de nous jeter pleinement et aveuglément
dans le sein de la divine Providence , avec le ferme
propos de ne demander ni de ne nous procurer au
cune place , mais de garder avec un soin continuel
dans notre cœur , comme un diamant céleste, comme
une pierre plus précieuse que tout l'or du monde ,
cette sainte indifférence pour toutes les provinces de
l'univers , pour toutes les localités de chaque provin
ce , pour toutes les maisons de chaque localité , pour
toutes les ineommodités de chaque maison; en un
mot pour tous les lieux du monde.
Cette indifférence doit encore s’étendre'à des choses
plus particulières , par exemple, 10 dans telle mai
son , aux incommodités de la chambre, du lit , des
vêtements , du boire, du manger ; 2° à la société des
personnes bizarres , médisantes , querelleuses qui s'y
trouvent ; 3° à la sujétion envers des supérieurs in
278 v’ JOUR. 1"' MÉDtTATION.
discrets , malintentionnés qui la gouvernent ; 4° aux
rapports avec des écoliers , des domestiques , ou des
étrangers , quelque grossiers , ingrats et méchants
qu'ils soient ; 5° à des voyages longs , difliciles , péni
bles; en un mot , à toutes les peines qui peuvent se
rencontrer en tel lieu, ou vous venir de la part des
personnes qui '2/ habitent.

AFFECTIONS .

Je crois que votre providence , â Père céleste !


gouverne toutes choses 1 , qu'elle atteint depuis une
extrémitéjusqu'à l’autre avec force, et qu'elle dispose
tout avec douceur 2. Rien n'est caché à vos yeux 5; et
vous savez par conséquent quel lieu m'est le plus
convenable : vous pouvez aussi m’y placer; car tout
ce que vous voulez est en votre pouvoir 4. Je suis donc
sûr que'vous m'y placerez , si ma malice ne s'oppose
point à votre bonté; car vous êtes mon Père 5 , con
tinuellement et avec un éternel amour attentif à mes
intérêts.
Je le crois, et cependant, moi qui suis l'aveugle‘
ment et la faiblesse même ; moi qui suis un enfant 6 ,
qui ne sais ni d'oz°ije viens , ni ouje vais 7 ; moi, dis
je , j'ai voulu fuir votre sein paternel, j’ai voulu me
soustraire à votre providence , et aller vivre dans un
lieu où m'entrainait un désir imprudent et perni
cieux. Mais je me repens...... Je crains , ô mon Dieu !
la vengeance de votre main; car peut-être permettre:
vous que , dans cette situation que j'ambitionne , je
sois aflligé par la maladie. agité par les tentations ,
fatigué par les chagrins, et que je tombe dans de

1sag.,c. 14, v. 3;_ 21m.. c. 8, v. 1. _ 3Eccli.,<=- 39, v


214.-» 4 Sag., c. l2,v. l8 — 5Ps. 88,v. 27. —6 Jérémï, 0.1.
v. 7. —— 7 lsaïe,c. 37 , '. '28.
en LA rclTa EN Écvprs. 279
grandes fautes, tandis que vous m’eussiez sûrement
préservé de tous ces maux dans le lieu qui'm’inspire
de la répugnance. Ah! je promets de mieux fairè\\
Me voici entre vos mains, ô Père aimable! vous
savez toutes choses , et chaque chose en particulier‘);
il ne se fait rien sur la terre sans votre conseil et\
sans votre providence ‘. Vous savez ce qui convient à
mon avancement. Usez-en donc avec moi selon votre \ '\

aimable bon plaisir 2 ; car tout ce que vous ordonne


rez de moi ne peut être que bon, puisque le soin que
vous en prenez est plus grand que tout celui que je
pourrais moi-même en prendre 5.
Seigneur , vous savez ce qui est le plus avanta
geux : traitez-moi donc en la manière qui vous est
connue , selon qu’il vous sera le plus agréable , et ri
votre plus grande gloire. Placez-moi ou vous voulez
que je sois, et disposez librement de moi en toutes
choses. Je suis dans votre main , tournez-moi et re
tournez-moi comme il vous plaira. llle voici, je suis
votre serviteur et prêt à tout 4-; si c'est votre volonté
que je sois dans les ténèbres et que je vive dans un
lieu obscur , soyez-en béni ; si vous voulez que je sois
dans la lumière et dans une situation avantageuse,
soyez-en de nouveau béni 5. Vous êtes le Seigneur,
faites ce qui paraît bon à vos yeux 6. Mon cœur est
prêt, ô mon Dieu! mon cœur est prêt,prêt a l'ad
versité , prêt à la prospérité 7.
Je me soumets d'autant plus volontiers , que vous
êtes le dominateur souverain, qui non-seulement re
glez toutes choses avec nombre , poids et mesure 8 , -
mais encore qui nous gouvernez avec une grande
réserve 9 , en dirigeant tout à notre plus grand bien ,
‘lmiL deJ.-C.,'I.3, c.50. -—2 Ib'id. — 3Ibid., 1.3. c-17
-— ’‘ Ibirl. ,L3, v. 15. -- 5Ibiol.,l 3,0. l7.——6 l BOÎLCÆ,
v.18. — 7 S. Augustin.——3Sag., c. il , v. 21. — 9 [bill-z
o. 12, v. I3.
280 v' mon. LECTURE.

tirant même le bien du mal ‘ , et nous faisant re


cueillir du fruit de la tentation même 8. Je mejette
donc dans vos bras paternels, indifférent pour tout et
avec un entier abandon de moi-même, vous disant
avec S. I gnace de Loyola : Traitez-moi selon que vous
le savez et que vous le voulez , carje sais que vous
m aimez. -

LECTURE

SUR LA PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECTION ‘.

s le!

I. Pour servir notre Créateur comme il le veut, il


faut ne nous imitions Jésus-Christ : 1’ en la manière ,

ou avec ce degré de perfection qu il nous aura 1nd!


qué dans ces exercices; 2° avec une pleine indifférence
pour tout , n’exceptant rien , et ne mettant aucunes
bornes à la race- 3° en excluant non-seulement toute
U I 0 7 U

inclination vicieuse aux choses de la terre, mals encore


en entretenant une sainte propension pour ce qui est
le meilleur,
. , et en tendant tou'ours
J à ce
. ui est le . lus
parfait : c est ce que nous avons établi dans la lecture
d'hier dont ces trois

oints faisaient la rinci ale
matière.
Or, six principaux obstacles s’opposent fortement

1 Genès, c. 50 , v. 20. — 2 I Cor. , c. 10, v. 13. — 3 L'e'lects'on


est un exercice de la retraite dans lequel on se décide à choisir
l'ètat de vie auquel on a cru reconnaître être appelé de Dieu ;
ou, si l'on a déjà embrassé un état, dans lequel on fait choix des
moyens par lesquels le Seigneur veut que nous arrivions à la
perfection de cet état.
PRÉPARATION DE L'Ains A L'ÉLEC'I'ION. 281
à cette précieuse disposition de notre âme; ce sont :
1° lès honneurs du monde, 2" la concupiscence de la
chair, 3° les commodités d'une vie opulente, 4° un
amour immodéré de notre patrie ou de quelque lieu
particulier, 5° le vain désir de briller dans le monde
et de montrer nos talents , 6° une affection excessive
pour nos parents et nos proches, ou pour toute autre
créature qui se ressent de la chair et du sang. Ce sont
là les six monstres vomis par l'enfer , qui nous éloi
gnent le plus de notre dernière fin , de l'indifférence
jusqu'ici tant recommandée, et qui nous empêchent
d'arriver à un plus haut degré de perfection.
Il. Jésus-Christ éprouve souvent de notre part ,
'quand il nous appelle à la perfection, ce que les
saintes Ecritures nous rapportent être arrivé à ce roi
qui fit un grand festin et qui invita plusieurs de ses
serviteurs; et l'on peut dire également de nous ce
qu’elles disent de ces conviés : Ceux-ci refusèrent,
et s'en allèrent , l'un a sa campagne : c'est le faste de
l’orgueil; l'autre à son négoce : voilà l’attache aux
intérêts; un autre alla se marier : c'est l'attrait des
plaisirs. Voilà donc le triple hameçon avec lequel le
cruel Satan a coutume de nous surprendre , et de nous
détourner du sentier de la vertu , du service de Dieu,
de l’imitation de Jésus-Christ et de notre dernière fin.
Outre ces filets ordinaires, dans lesquels l'enfer
prend et perd la plus grande partie des hommes , il
leur tend encore , avec un nouvel artifice, un triple
réseau, d'autant plus dangereux que les fils qui le
forment sont moins apparents, et qu'ils retiennent
captifs un grand nombre de ceux-là mêmes qui ont
échappé victorieusement aux trois premiers piéges.
Il y en a, en effet, qui, après avoir brisé ce triple
filet de Satan , qui consiste dans un désir vicieux des
honneurs, des richesses et des plaisirs, sont cependant
encore si fortement attachés au sol de la patrie, on à
r. ' 24
282 v° mon. LECTURE.
quelque localité; qu'on ne peut nullement les en
tirer, ou qui, du moins, ne le souffrent qu'avec la
plus grande peine :ce qui répugne à cette parfaite
indifl'érence pour tout lieu que nous avons recom
mandée dès le commencement des exercices , et dont
. l'cffet est de nous obliger à être prêts à servir Dieu en
quelque lieu du monde qu'il le voudra . imitant le
saint archange Baphaël , que le jeune Tobie trouva
se tenant debout, ceint et comme prêt à marcher ‘ ,
pour aller partout où il lui serait ordonné et où il se
rait envoyé.
Il y en a encore d'autres qui sont, il est vrai, bien
déterminés à servir leur Créateur en imitant notre
Sauveur, mais toutefois dans les seuls emplois dont le
faux éclat éblouit leurs yeux , et dont la vaine gran
deur frappe , d’un bruit étourdissant, les oreilles des
hommes insensés. Ils sont du nombre de ceux à qui
l'amour-propre suggère fréquemment ce que les dis
ciples disaient autrefois à Jésus-Christ : Faites-vous
connaître au monde ; car personne n'agit dans le se
cret , mais il cherche à être connu 2. Bien plus , pour
cette crainte frivole de s’entendre peut-être un jour
appeler eux-mêmes méchants serviteurs , comme s’ils
avaient enfoui dans la terre les talents qu'on leur
avait confiés, ils désirent de les faire valoir devant le
monde , et, sous le prétexte de la gloire de Dieu , ils
cherchent ,. par des moyens détournés , leur propre
gloire. On ne peut donc méconnaître combien ils s'é
lstignent de cette précieuse indifl'érence pour tout
emploi, quelque vil ct incommode qu'il soit, que.
nous avons recommandée dans la deuxième médita
tion du premier jour, et combien ils s'écartent du
parfait service de Dieu.
Quelques-uns enfin , enchaînés par les liens de la

‘Toh., c. 5, v. 5. —2Jean, 0.7, v. i.


PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECTION. 283

chair et du sang , se laissent détourner de l'applica


tion à la vertu et à une plus grande fidélité dans le
service de. Dieu , lorsqu'un amour immodéré de leurs
parents et de leurs proches les empêche de suivre de
plus près Jésus-Christ , ou lorsque quelque autre
affection désordonnée pour une personne- ou pour
une chose quelconque , comme pour eux-mêmes ,
pour les satisfactions de leur corps, pour leur propre
jugement et leur liberté dans leur manière de vivre ,
les éloigne de ce haut degré de perfection auquel le
ciel les presse de s'élever; ils perdent de cette sorte
ce céleste équilibre de l'âme qui devrait les rendre
tout à fait indifl'érents pour tout degré de vertu, vers
lequel la divine Majesté veut que nous portions tous
nos efforts; car jamais nous ne servirons le souverain
Maître de l'univers de la manière qu'il le veut, si
notre indifférence, libre de ce triple lien , ne s’étend
pas encore généreusement à tout lieu , à tout emploi
et à tout degré de vertu , comme nous en avons fait
la remarque dès le premier jour des exercices.
IlI. Or, l’exemple du Sauveur , que saint lgnace
nous propose à méditer dans cette deuxième semaine ,
est un moyen très-excellent ettrès-puissant pour lever
tous ces obstacles. Par cet exemple , en effet , non
seulement nous sommes' encouragés à mépriser les
honneurs, les richesses et les plaisirs , mais encore
nous apprenons à être parfaitement indifl°érents pour
tout lieu, pour tout emploi et pour tout degré de
vertu , et , par conséquent , à être prêts à tout genre
de service pour Dieu et à toute manière d'imiter
Jésus-Chrict , selon l'état et la manière dont Dieu
veut que nous le fassions.
Et d'abord , pour ce qui regarde la première classe
de ces six sortes d'ennemis , que nous avons'indiqués
plus haut , à laquelle se rapporte le désir des digni
tés, des plaisirs et des richesses , notre divin chef l'a
284 v° JOUR. LECTURE.
déjà attaquée hier avec des armes victorieuses , et il
nous a enseigné à la combattre par l'humilité de l’es
prit, par l'austérité de la vie et par la pauvreté ou
'la privation des biens, nous donnant , dans son incar
nation et dans sa nativité , un admirable exemple de
ces vertus : en sorte que je ne doute nullement que
nous n'ayons conçu une grande estime , un amour et
un désir' sincères de ces mêmes vertus.
Il nous reste anjourd'hui à combattre nos trois
derniers adversaires qui savent le mieux déguiser leur
malice : ce sont les attaches déréglées pour un lieu ou
un emploi quelconque, les affections de la chair et
du sang. C'est encore Jésus-Christ qui nous ainstruits
dans cette guerre par l'exemple divin qu'il nous a
laissé. 1° dans le mystère de sa fuite en Egypte , 2°
dans celui de sa vie cachée pendant un si grand nom
bre d'années , 3° par celui de sa séparation de ses
parents , lorsqu’étant allé au temple il y resta , pen
dant trois jours , éloigné d'eux. C'est avec un choix
plein de sagesse que S. Ignace nous propose de mé
diter ces mystères , afin que ,par leur secours , nous
nous dépouillions de cette trop grande attache à un
lieu ou à un emploi quelconque, et de cette affection
à la chair et au sang , qui pourrait être un obstacle à
l’indifférence dont nous avons besoin pour une bonne
élection. Je le répète, c'est avec une sagesse toute
divine qu'il a agi ainsi.
IV. Car le premier mystère , celui de la fuite du
Sauveur en Egypte , bannit cette indolente attache à
demeurer toujours dans le même lieu , et il nous ins
pire à sa place une prompte indifférence pour tous
les paye et tous les lieux où le service et la volonté de
Dieu nous appellent. Le second mystère , celui de sa
vie cachée durant un si grand nombre d'années ,
réprime en nous cette folle démangeaison de briller
dans le monde et d'y faire valoir nos talents ; il nous
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECT1ON. 285

met, au contraire, dans une parfaite indifférence pour


tout emploi quelque vil et pénible qu'il puisse être.
Enfin , par le troisième mystère , Jésus-Christ , en
s’éloignant secrètement de ses parents, les laissant
partir pour demeurer seul dans le temple et s’occu
per tout entier de l'œuvre de son Père, nous apprend
à nous défaire de toute attache désordonnée pour nos
parents et nos proches , pour toutes les créatures et
pour nous-mêmes ; il nous apprend à être prêts à
embrasser le second état ou genre de vie, suivant
l'expression de S. Ignace , lequel constitue la perfec
tion évangélique ‘ , c’est-à-dire à nous faire entrer en
religion , si toutefois nous reconnaissons , dans le
temps de l'élection , que Dieu le demande de' nous :
ou si nous avons déjà été admis à faire des vœux et à
vivre dans quelque ordre religieux, l’exemple de
Jesus-Christ nous engage à renoncer à cette mauvaise
inclination , qui , plus que toute autre , arrête le
cours des grâces et notre progrès dans la vertu , et
qui déplaît singulièrement à Dieu en nous; il nous
porte à faire un tel acte héroïque vers lequel nous
sommes plus fortement poussés , ou à sacrifier telle
créature qui partage notre cœur avec Dieu et qui est
la plus puissante à nous détourner de la perfection.
Tel est le but que nous devons sans cesse avoir devant
les yeux dans la troisième méditation.
L'application de ces mystères à l'œuvre de notre
perfection , fait encore éclater l’admirable liaison des
méditations et la sagesse qui a présidé au choix des
matières; de sorte que , dans tout le livre des Exerci
ces, on ne trouve rien de superflu, rien qui ne soit dit
avec un dessein exprès et qui ne tende droit au but
qu'on s'y propose. Tout s'y rapporte exactement au
fondement qui a été établi dès le premier jour; tout

‘ Liv. des Exercices.


286 v’ JOUR. LECTURE.

y contribue , avec un art ingénieux , à lever les prin


cipaux obstacles de l'indifférence , et nous dispose à
choisir cet état de vie, ou , dans l'état de vie déjà
choisi, à nous élever à ce degré de perfection dans le
quel Dieu veut que nous le servions et que nous imi
tions Jésus-Christ. S. Ignace ne cherche à produire
tous ces heureux effets qu'en nous proposant l'exem
ple du Sauveur.
g; 11.
I. C'est là une nouvelle preuve de son admirable
sagesse, puisqu'il choisit toujours les moyens les plus
propres pour arriver à sa fin. Peut-on imaginer , en
effet, un exemple plus puissant que celui de L'homme
Dieu pour nous faire mettre à exécution tout ce qui
a été dit jusqu'ici? Cet exemple est plus clair que
toutes les raisons, plus puissant que toute l'éloquen
ce, plus démonstratif que l'évidence même pour con
vaincre notre esprit de la vérité qui nous est proposée;
il est plus fort que tous les assauts livrés à notre
volonté pour la contraindre à l'embrasser: Ce que les
raisons ne peuvent persuader, de que les préceptes ne'
peuvent faire, la force de cet exemple l'opère et
l'achève, tant sa vertu est eflicace.
Et qu'y a-t-il là de surprenant? Si les œuvres que
nous voyons faire à nos semblables nous excitent si
puissamment à les imiter , que ne peut pas l'exemple
de Jésus-Christ, auquel la dignité de sa personne ,
l’utilité qui se trouve dans son imitation , la nécessité
où nous sommes de le suivre , et plusieurs autres rai
sons ajoutent encore un poids et une force immense ?
Quel serviteur ne s'empressera d'imposer sur son cou
un joug dont il voit le Seigneur du ciel se charger
lui-même? Quel soldat se cachera lâchement dans sa
maison, en voyant son roi s’avancer au combat '.7 Quel
chrétien osera haïr la croix, s'iljette les yeux sur
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECTION. 287

Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi, qui


s'est fait une joie d'en souflrir le supplice 1 .9 0m-,
s'écrie S. Jean-Chrysostômc, c’est un puissant motif
de vertu , que de voir notre maître combattre sans
cesse et ne céderjamais 2; car la votre des œuvres est
plus éloquente que celle des paroles 5. Toutes ces rai
sons nous font reconnaître et la singulière efficacité
de l'exemple de Jésus-Christ, et la sagesse de S. Ignace,
qui sait toujours tendre, par les plus sûrs moyens , à
la fin qu’il se propose.
Contempler le Verbe fait chair , le Tout-Puissant
réduit à l’état d'un enfant , l’immense renfermé dans
l'étroite prison du sein d'une mère, assujetti aux
incommodités , le Seigneur du ciel et de la terre souf
frant dans une étable la plus extrême indigence , et
cependant nous élever d'orgueil, choyer notre chair ,
avoir en horreur la pauvreté; et , plus que tout cela ,
voir, adorer ce même Dieu fuyant en Egypte , caché
dans l’atelier d'un artisan , se consacrant tout entier
dans le temple au service de son Père , et cependant
redouter les emplois et les habitations viles et incom
modes , fermer obstinément l’oreille à la voix de Dieu
qui nous appelle à la perfection évangélique, et de
meurer le méprisable esclave d'une créature; oui cer
tainement, c'est là la marque d'un cœur aussi dur
que le marbre , et l'indice d'une âme dénuée de tout
sentiment humain , ou du moins de toute disposition
chrétienne. '
, Apprenons donc combien se trompent ceux qui
jugent moins utile de proposer ici la considération de
ces mystères de la vie de Jésus-Christ , parce qu'ils
appartiennent aux quarantejours d'après sa nativité.
Ils croient devoir leur substituer des vérités qu’ils re

‘ Hébr., c. 12, v. Q. «n 2 S. Jean-Chrysostôme. — 3 S. Lau


rent-Justinien.
W

288 v° mon. LECTURE.


gardent comme plus solides; c’est pourquoi tous, ou
au moins quelques-uns, les omettent ou les méditcnt
trop légèrement, quoique cependant il n’y ait pas une
seule méditation, de toutes celles dont nous avons
parlé , qui n'ait une singulière liaison avec les autres,
une admirable influence sur nos cœurs par la force
de l'exemple de Jésus-Christ, et qui ne contribue
puissamment à produire le fruit qu'on se propose de
recueillir dans les Exercices. Ajoutez que chacune
d'elles détruit un obstacle particulier qui nuisait à
l'acquisition de l'indilÏérence jusqu'ici si vivement
recommandée , et qui s'opposait par là même à une
'bonne élection. De tels avantages doivent être un
grand motif de faire ces méditations avec l'application
d'esprit qui convient.
Il J'ai déjà parlé plus haut du second état ou
genre de vie : remarquons donc qu'aussitôt après la
méditation du mystère de Jésus-Christ demeurant
dans le temple, saint Ignace distingue deux genres de
vie, dans lesquels le divin Sauveur a été également
notre modèle. Le premier consiste dans l’observation
des commandements de Dieu : il s'appelle premier
état ou état de la vie commune. Tous ceux qui dési-'
rent arriver au salut éternel sont tenus d'embrasser
cet état dès le premier instant qu'ils ont l'usage de
leur raison; et notre divin Maître nous en a donné
l'exemple , endemeurant soumis à ses parents,
comme on le rapporte de lui.
Jllais il semble qu'il ait déterminé la forme du
second état, dont l'obéissance est le principe et dont
la perfection évangélique est la fin, lorsqu'étant allé
au temple , il 3/ abandonna son père adoptif et sa
sainte Mère, pour s'y dévouer au service du Père
éternel ‘.

1 Liv. des Exercices.


pm’apsmrIon DE L'AME A L'i'iLsc'rioiv. 289
Là , en effet ,' renonçant à tous les avantages de la
maison paternelle , à toute consolation temporelle
qu'il pouvait espérer recevoir de ses parents et de ses
proches , il se consacra tout entier à servir Dieu dans
une complète privation de tous les biens. Par cette
action, il commença le premier essai de l'état reli
gieux , et , en même temps, il nous enseigna que
nous devons être indifïérents pour embrasser ce même
état , si le Seigneur de l’univers a résolu que nous l'y
servions.
S. lgnace paraît s’être formé l'idée de la difl'érence
entre ces deux états , dans la lecture du chap. 19 de
S. Matthieu ,où il est rapporté qu'unjeune homme ,
s'approchant de Jésus- Christ, lui dit : Bon Maître ,
que faut-il que je fasse pour acquérir la vie éternelle?
Jésus lui répondit : Si vous voulez entrer dans la vie,
gardez les commandements. Voici le premier état de
la vie commune :premier , parce qu'il doit commen
cer avec les premières lueurs de notre raison; état
de la vie commune , parce qu'il est nécessaire à tous
les hommes pour faire leur salut. Mais lejeune hom
me lui ayant répliqué : J'ai gardé tous ces comman
dements des ma jeunesse , que me reste-t-il encore à
faire? Jésus lui dit: Si vous voulez être parfait,
allez, vendez ce que vous avez et le donnez aua'pau
vres , et vous aurez un trésor dans le ciel; puis
venez et suivez-moi. Voici le second état qui conduit
à la perfection évangélique et qu'on appelle second
parce qu'il est surajouté au premier.
Or , que nous soyons obligés de choisir sans balan
'cer cet état, quand nous y sommes appelés par la
volonté de Dieu, c'est ce que prouve avec certitude
et le triste sort de ce jeune homme, qui, suivant
l'opinion d’auteurs distingués , encourut la perte
éternelle pour avoir négligé cette sublime vocation à
laquelle il était appelé , et cette réflexion sévère que
1. 25
290 v” mon. LECTUlH-L
fit Jésus-Christ à ses parents , lorsqu'il leur deman
de: Na saviez-vous pas qu'il faut que je sois occupé
oux choses qui regardent le service de mon Père ‘ ?
nous enseignant ainsi qu'il faut sans retard , sans
hésitation , préférer le service (le notre Père éternel
à la consolation qu'on pourrait donner à une mère
sur la terre; car , quoique , dans le décalogue , il
nous soit ordonne’ d'honorer nos parents, nous devons
cependant toujours aimer Dieu plus qu’eux, selon
cet oracle du Sauveur : Celui qui aime son père ou sa
mère plus que moi , n'est pas digne de moi 2.
111. On commence à examiner quel état convient à
chacun de nous dans la méditation de la demeure de
Jésus-Christ au temple, lorsqu’il abandonna ses pa
rents pour s'occuper au service de son Père éternel ,
comme on peut le conclure du titre que notre saint
Patriarche met au commencement de cet exercice ; il
est ainsi conçu : Prélude pour considérer les diffè
rents états et genres de vie. Il nous fait entendre ,
par ces paroles , que c'est alors, après cette médita
tion, quand la vie de [Votre- Sauveur est exposée à
nos yeux , le temps convenable pour que nous aussi
nous recherchions et nous demandions instamment
a connaître ce genre de vie en particulier , dans le
quel la divine lllajestc préfère que nous la servions.
Cependant , dans cet endroit, S. lgnace n’entend
'pas , par le mot rechercher, cet examen décisif que
nous ferons demain dans l'exercice de l'élection ; il
explique, au contraire , cette expression rechercher
par cette autre : demander instamment, indiquant
ainsi que ce n'est encore que le désir 'et la demande
de faire demain un bon choix. Mais quoique nous ne
devions pas encore aujourd'hui nous occuper de
l'exercice du choix , et qu'il suflise de nous y prépa

‘Luc,e. 2, v. 49. «- 2lllatth.,e. 10, v. 37.


PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECTION. 291

rer , en sollicitant , par nos vœux et par nos prières ,


la grâce d'une bonne élection , on pourra cependant
déjà prévoir et déterminer quelques points particu
liers qui feront l'objet de ce même exercice , et que
nous allons pour cela rapporter bientôt au 8 III de
cette lecture.
C’est pour la même raison que , dans cette médi
tation de la demeure de Jésus-Christ au temple ,
aussi bien que dans les autres, il ne faut pas s'oppo
ser aux mouvements intérieurs qui nous portent à
faire tel ou tel choix , sans toutefois nous y arrêter
trop de temps.
Le but principal du troisième exercice de ce jour ,
est d'étendre notre disposition d'indifférence jusqu'à
l’état ou l'on observe les conseils évangéliques , qui
est l’état religieux , si nous sommes encore libres d'en
faire le choix. Mais si nous avons déjà choisi un état ,
cette troisième méditation devra tendreà nous 3/ faire
acquérir la perfection qui lui convient ’ , et nommé
ment à détruire , jusque dans sa racine , toute affec
tion pour la chair et le sang , par exemple, pour
telle personne déterminée , pour telle chose en par
ticulier, pour nous-mêmes et pour les commodités
de notre corps. D'où il arrivera que, libres de tous
les liens terrestres , nous serons mieux préparés à
l'œuvre importante de l'élection, à laquelle tout ce
que nous avons dit jusqu’ici se rapporte parfaite
ment.
Ce qui a été déjà dit dans les méditations du règne
et de la vie de Jésus-Christ , ce qu'on dira encore
dans celles des deux étendards , des différentes classes
d'hommes et des trois degrés d’humilité , ne regar
dent pas seulement les personnes qui ont à délibérer
sur le choix d'un état de vie , mais encore celles qui

‘ Direct.,c. 34 , n° 3.
292 v" JOUR. LECTURE.

se sont déjà déterminées pour un genre de vie quel


qu'il soit. En effet , ces dernières , suivant la pensée
de notre saint auteur, doivent s'efforcer de devenir
parfaites dans l'état qu'elles ont choisi. Voici ses
paroles : Par les méditations précédentes et par celles
qui suivent , nous apprendrons dans quelle disposi
tion nous devons êtrepour nous rendre parfaits dans
l'état , quelqu'il soit, que la divine bonté nous inspi
rera de choisir ‘.
Il est donc hors de doute que non-seulement les
exercices précédents et ceux-qui suivent, mais en
core que tout ce qui concerne la matière de l'élection
est également utile et nécessaire , aussi bien aux per
sonnes qui ont déjà un état qu'à celles qui délibèrent
sur celui qu’elles doivent choisir ; car elles ont elles
aussi à rechercher les moyens de se rendre plus par
faites, de jour en jour , dans l’état auquel elles se
sont fixées, et de s'élever à ce degré'de vertu vers
lequel Dieu voudra qu'elles dirigent leurs efforts 3.

5 111.
I. Nous avons trois choses à expliquer à l'égard de
l'élection: 1° la disposition d'esprit de la part de celui
qui veut faire un choix , 2° la manière de bien choisir,
3° la matière ou les points de l’élection. Pour ce qui
regarde la disposition d'esprit, elle renferme, selon
le Directoire 5 , trois conditions, 1° une entière indif
férence pour toutes choses , 2° l'extinction de toute
affection désordonnée , 3° une forte inclination à ce
qui est le plus parfait. Tout ce que nous avons déjà
dit et tout ce que nous dirons encore , nous montre
évidemment avec quelle sagesse S. Ïgnace, dans les
exercices de cette deuxième semaine, nous porte à
1 Liv. des Exercices. — 2 Direct., e. 19, n° 3, et e. 34, n“ 3.
v-3Ibid.,c.33,n°3et-'4,etc.23,n°3. ' '
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLECTION. 295

choisir toujours ce qui est le plus parfait, avec quelle


adresse il sait nous dépouiller de toute mauvaise
affection , avec quelle eflicacité il nous inspire l'ines
timable indifférence , et enfin avec quelle habileté il
nous dispose à bien accomplir l'œuvre importante de
l'élection. '
Ce qui prouve combien est nécessaire la disposition
dont je parle, c'est que , d'après notre saint fonda-
leur, on doit omettre entièrement l’exercice qui traite '
de la manière de choisir , si, par le moyen de cette
propension à ce qui est le plus saint, laquelle nous
avons de'jà plusieurs fois recommandée , on n'est pas
parvenu à une parfaite soumission , à une pleine in
différence , ou si le cœur est encore occupé de quelque
affection désordonnée; car cette afiction, en nous
détournant de la voie la plus parfaite et en nous
engageant dans une voie plus imparfaite , nous
entraînerait à imaginer des raisons qui lui seraient
favorables; et il pourrait facilement arriver que
nous croirions qu’une telle chose est la volonté de
Dieu, quand elle ne serait que notre propre volonté.
Dans ce cas, nous devons interrompre, pour un
temps, l'exercice de l’élection , et passer aux exerci
ces suivants, afin que, par leur moyen , notre âme
essaie de mûrir davantage ses dispositions ’ : pen
dant ce temps-là, il faut s'appliquer, avec le secours
des règles que nous et données S. Ignace , à découvrir
quelle est notre affcction vicieuse, et à la corriger par
les moyens qu’il nous a prescrits. '
Or , voici les règles pour distinguer les bons et les
légitimes mouvements de ceux qui sont mauvais et
dépravés: 1° examiner l’prigine et la cause du désir
ou de la répugnance qu'on éprouve, pour reconnaître
si elle vient directement de l'amour de Dieu; 2° con

1 Directoire, c. 23, n° 3.
9.94 v° JOUR. LECTURE.
sidérer si on ne conseillerait point à quelqu'un à qui
on souhaiterait le même degré de perfection qu'à soi
et qui nous consulterait sur une affection semblable
à'celle qu'on ressent soi-même , si on ne lui conseille
rait pas, dis-je, d'y renoncer; 3° se demander si, à
l'heure de la mort , on ne désirerait point avoir suivi
une autre règle que cette affection ; 4" enfin , voir si
elle est si pure qu'on ne doive pas y trouver l'ombre
même de la vanité au jour dujugement ‘. Celui qui -
avec cette pierre de touche , éprouvera sérieusement
et à plusieurs reprises ses propres aflections , recon
naîtra sans peine et séparera ce qui est précieua de
ce ai est vil 2. '
îes moyens de corriger nos mauvais mouvements
sont , 1° de plier ces affections vicieuses en sens
inverse , en sorte que si. on sent son cœur incliné vers
les honneurs du monde , on le ramène , au contraire ,
vers l’amour du mépris; 2° d'intéresser la bonté de
Dieu par des prières assidues, par des pénitences
corporelles , par d'autres exercices de piété , et de lui
demander avec ferveur qu'il nous inspire l'attrait de
la vertu opposée à notre mauvaise inclination, en lui
adressant ces pieux soupirs ou d'autres semblables .
Seigneur, donnez-moi l'estime de l'humilité, l'amour
de la patience et le désir des soufi’rances ; 3° d'offrir
souvent dans le jour, à la souveraine Majesté, un
cœur libre de tout désir illégitime, conduit par une
intention pure et indifférent pour tout , protestant
que désormais notre âme ne désirera ni ne haïra , ne
voudra ni ne refusera rien que dans la seule vue
d'honorer et de servir Dieu. Par ces sages moyens ,
nous pourrons facilement discerner les affections
suspectes , corriger celles qui sont vicieuses et nous
mettre en état de faire un bon choix; car il arrive

1 Liv. des Exercices. «— 2 Jérém, c. 45, v. 19.


PRÉPARATION DE L'Aus A L'ÉLECTION. 295
souvent que l'absence de cette bonne disposition em
pêche l’heureux succès de cet exercice ‘ : mais c'en est
assez de cette courte explication sur la prépara/tion
de l'âme à l'élection. .
ll. Pour ce qui concerne la. manière de choisir ,
dont nous expliquerons la pratique après la considé
ration de demain , remarquons d'abord que S. Ignace
distingue trois temps dans l'élection. Le premier
temps, c'est quand l'homme reconnaît si clairement
la volonté de Dieu qu'il n'en puisse aucunement dou
ter .- telles furent , par exemple , la vocation de S.
Matthieu et celle de S. Paul ; mais ce premier temps
se présente rarement : aussi. n'est-il d’aucun usage
dans cet exercice du choix , parce qu’une telle mani
festation de la volonté divine étant une grâce singu
lière et toute spéciale, indépendante de nos propres
forces , on ne peut point donner de règles pour l’ac
quérir , ni par conséquent la demander à Dieu , ni
attendre qu'elle nous soit donnée a il serait donc
téméraire de s'arrêter à cette manière de choisir. Le
deuxième temps, c'est quand notre esprit est poussé
par des mouvements intérieurs si eflicaces, qu'il se
sent déterminé à choisir quelque chose sans aucun ,
ou du moins sans presque aucun examen précédent
de l'intelligence. Le troisième temps, c'est lorsque
l'intelligence procède par forme de raisonnement,
c'est-à-dire lorsqu’elle pèse les raisons pour et contre,
et qu'elle préfère la lumière à sa volonté, en obli
- geant celle-ci à choisir ce qui lui a paru le meilleur
après un sérieux examen 2.
Ces trois temps ont entre eux les différences sui
vantes : dans le premier, la volonté est portée à choi
sir une chose par une évidence et une certitude toutes
singulières , par lesquelles elle connaît indubitable

1 Direct. , e. 28, n" li. — 2 Ibid-, c- 26;


“296 v° mon. LECTURE.
ment que cette impulsion vient de Dieu; dans le
deuxie'me temps , la volonté étant mue intérieurement
se porte à un choix quel qu'il soit , mais sans avoir
rien de plus qu’une présomption probable que ce
mouvement lui vient de Dieu; dans le troisième temps,
l’intelligence pèse d'abord les raisons pour et contre ,
et ensuite elleincline la volonté à un choix déterminé.
Ainsi, dans le premier et dans le deuxième temps , la
volonté précède l’intelligence , et l'intelligence, en
traînée en quelque sorte, ne fait que suivre la volon
té; mais , dans le troisième temps , l'intelligence établit
d'abord un examen , et la volonté la suit, quand elle
est décidée par ses considérations ‘. Or, S. lgnace ap
pelle temps ces manières de choisir , par la raison
que, quand notre âme éprouve les mouvements dont
nous parlons ici , c'est alors le temps propre, le temps
opportun pour l'élection. -
Du reste , remarquons ici 1° que les deux premiers
temps sont, il est vrai, une voie plus excellente et
plus sublime , mais que le troisième nous conduit
par une route plus unie et plus sûre 2; 2° que si on
n'a pas fait son choix dans le deuxième temps, il faut
passer au troisième temps ou troisième manière de
choisir 5. Il sera même toujours plus sûr de recou
rir à la manière du troisième temps , quoiqu'on aurait
déjà terminé son élection dès la deuxième manière ou
deuxième temps , parce qu'on n'est pas assez certain
que ce mouvement de la volonté, qui précède l'intel-'
li ence vienne de Dieu: c'est assurément la mar ue
, , n
d un mauvais esprit, d'un esprit qui aime les ténè
bres, que de fuir la lumière de l’examen qu'on fait
dans ce troisième temps 4. '
III. Enfin il convient de faire connaître aujour

‘Direct., c. Q7 , n°1. -— 2 Ibitl. -- 3 Ibid. , c. 93, n" l. —


‘ Ibicl, c. 28, n° 5 et 6.
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÊLECTION. 297

d'hui quels sont les points ou la matière de l'élection;


car S. Ignace veut que , dès ce jour , après la troisiè
me méditation , nous nous occupions de l'élection-,
en déterminant déjà la matière sur laquelle devra se
faire cet exercice , sans toutefois commencer actuelle
ment : or, le premier objet qui doit nous occuper
dans l'exercice de l'élection , c'est l'état ou nous de
vons passer toute notre vie. Cet état , selon le Direc
toire , a deux degrés : le premier , qui s’arrête à l'ac
complissement des préceptes ; le second , qui s'étend
jusqu'à l'observation des conseils. Si l’on se décide à
suivre les conseils , il reste à savoir si ce sera dans la
religion ou hors de la religion. Si c'est dans la reli
gion , on aura à considérer quel ordre en particulier
on doit choisir , en quel temps et en quelle manière
on devra y entrer.
Ici il y a trois remarques à faire : 1° il faut prendre
garde d'entrer dans un ordre religieux déjà dégénéré,
et dans lequel l'observance des règles n’est plus en
vigueur. 2° Il faut tenir compte non-seulement de
nos forces et de notre inclination , mais encore de nos
qualités et de nos talents. 3" Parce que l’infirmité
humaine a coutume de temporiser autant qu'elle le
peut , et que la subtilité de notre amour-propre se
plaît à imaginer mille causes de retardement , dans le
temps même où l'on devrait mettre à exécution la
vocation divine , il sera très-utile de détruire cet obs
tacle pendant les exercices et de méditer dans notre
cœur l'oracle de S. Ambroise : La grâce de l'Esprit
Saint ne connaît point les longs retardements. Ces
avis se trouvent dans le Directoire , chap. 25.
Le deuxième point , dont on s’occupe dans l'exer
cice de l'élection , a pour objet les moyens par les
quels nous pouvons tendre, dans l'état que nous avons
déjà choisi , à un plus haut degré de perfection ‘ , et
‘ Liv. des Exercices, et Direct, c. 19 , n° 3.
'398 v" soos. neUTone.

y mettre en quelque sorte la dernière main. Cet ensei


gnement est tiré du livre même des Exercices et de
celui du Directoire. Suarez tient la même doctrine ,
quand il dit : Quoique le religieux ne doive plus dé
libérer sur le choia d'un état , il peut cependant , et
cela est juste , s'ezvercer à choisir dans cet état la
meilleure manière de s'y avancer. En conséquence,
ceux qui ont déjà choisi un état ne doivent aucune
ment soumettre de nouveau ce choix à l'examen; mais
ils doivent seulement s'appliquer , de toute l'étendue
de leurs forces , à choisir les meilleurs moyens de s’y
perfectionner.
Ces moyens sont un grand soin dans l'accomplisse
ment des actions journalières, une fervente oraison
chaque jour, un continuel recueillement intérieur,
une participation fréquente aux sacrements , une
pratique constante de l'examen général et de l'exa
men particulier, un fidèle exercice des vertus , prin
cipalement de l'humilité , de la mortification , de la
pauvreté et aussi de l'indifférence pour tout lieu et
pour tout emploi; l'extirpation de toute affection
dominante dans notre cœur , l'extinction de tout
mouvement désordonné et plusieurs autres pratiques
semblables.
Il faudra donc rechercher par quels moyens on
pourra rendre plus parfaites les actions qui revien
nent tous les jours et les purifier de leurs défauts
habituels ; examiner si on ne doit point prendre une
méthode plus sainte et plus utile de prier, de se eon
fesser, de communier ou de célébrer les saints mystè
res ; s'il n'est pas avantageux de s'obliger, par un vœu
temporaire, à ne jamais prolonger le sommeil au
delà du besoin , à consacrer au moins quelques ins
tants chaque jour à la méditation , à. donner tous les
mois à son âme quelque temps de récollection , à
faire tous les jours l’exercice de la lecture spirituelle
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLEcnoN. 299

et de l'examen particulier; il faudra enfin examiner


quels sont les autres besoins de ce genre.
On pourra aussi considérer 1° ce qu'il y a à réformer
touchant la pauvreté; si on n'a point à se détacher
de quelque argent confié aux supérieurs , de quel:
ques vains ameublements de sa chambre , de l'usage
des vins étrangers, de certains objets qui serventà
entretenir nos aises dans le coucher, le boire et le
manger; si l'on peut recevoir quelques présents de
ses élèves ou des personnes qu'on dirige; 2° par quel
le voie il faut s'élever à un plus haut degré d'humi
lité ; quelles humiliations on doit rechercher volon
tairement, quels honneurs on doit fuir; si on est
disposé à étouffer sous un héroïque silence les injures
qu’on a reçues de ses inférieurs , les médisances , les
moqueries et les calomnies qui nous sont venues de
.la part de nos égaux , les oppressions et les peines
que nous ont fait endurer nos supérieurs , quoique
nous fussions innocents; s’il faudra quelquefois dè
fendre son innocence , soutenir honnêtement son
honneur blessé , et répondre , selon le conseil du
sage , aux sottises de l'insensé avec un à-propos qui
décèle de l’esprit, mais aussi avec le danger de dimi
nuer notre mérite;
3° Quelles œuvres de mortification on veut désor
mais accomplir avec'une résolution irrévocable ; de
quelle manière on satisfera à cette règle , qui prescrit
à tous les hommes de chercher en toutes choses a se
mortifier eux-mêmes continuellement; si on doit se
permettre, hors des repas ,. quelque satisfaction du
boire ou du manger ; s'il convient. de fréquenter les
banquets et les festins; ce qu’on doit régler pour son
ordinaire de chaque jour touchant la quantité et la
qualité des aliments;
4° S'il n'est pas convenable de nous offrir à nos
supérieurs entièrement indifl'érents pour tous les
300 va toUs. LECTURE.

lieux et pour tous les emplois, même pour ceux qui


paraissent être une punition , qui répugnent le plus
à notre goût et que nos compagnons redoutent beau
coup , parce qu'ils sont peu favorables à la santé et à
l’amour-propre; si nous ne devons pas prendre la
résolution ou même faire le vœu de ne jamais rien
répliquer contre l’ordre ou la disposition des supé
rieurs , de ne refuser aucun emploi secondaire;
5° Comment nous pourrons arracher de notre
cœur sa passion dominante; par quel moyen nous
ferons taire ce respect humain , et de quelle manière
nous détruirons cette affection désordonnée pour nos
parents ou pour quelque autre créature.
Le troisième point de l’élection comprend difl’ë
rentes choses particulières‘ : par exemple, si l’on
doit accepter tel emploi ou s’en démettre; si l’on doit
renoncer à telle dignité , à tel revenu, ou quitter telle
société; ce que l'on doit conseiller ou exécuter dans
telle affaire; à quelle mission , ou des Indes ou d'Eu
rope, on doit demander d'être envoyé; s'il faut dési
rer d'être mis au nombre des ouvriers , ou d'être
destiné à professer les classes inférieures; ce qu’on a
à corriger ou à perfectionner dans l'emploi qui nous
est confié; comment nous devons procurer le salut
des âmes, et par quel moyen nous pouvons le faire
avec un plus grand zèle; comment on doit gouverner
sa maison; quelles instructions , quels exemples on
doit donner à sa famille ; quelle partie de nos reve
nus il convient d'employer à notre propre usage,
quelle autre partie on doit donner aux pauvres ou
consacrer à de bonnes œuvres 2 : en un mot , le solide
amendement, comme parle S. Ignacc, la vraie ré
forme que chacun doit e/fictuer dans l'état de vie ou
il est placé 5 , est le principal objet de l’élection qu'on
se propose de faire.
‘ Direct., c. 25, n° 9. — 2 Liv. des Exercices. — 3 Ibid.
PRÉPARATION DE L'AME A L'ÉLEcnoN. 301
Néanmoins , ce quenous venons de dire ne signifie
pas que tous ces divers point doivent être soumis à
notre examen , ou qu'il n'y en a point d’autres sur
lesquels nous puissions délibérer ; mais nous n'avons
rapporté ceux-ci et nous ne les avons exposés que
comme des exemples , comme des moyens de compa
raison très-propres à aider ceux qui sont embarrassés
sur ce qui doit faire la matière de leur choix; car le
principal objet de l'élection est, on le répète , un
solide amendement de tout l'état de notre vie ou une
vraie réforme de nos mœurs, que nous devons mettre
promptement à exécution en employant les moyens
qui seront déterminés dans ces exercices.
Du reste, quelque point ou objet que l'on prenne
pour matière de l’élection , notre premier devoir est
de considérer avec une intention droite , pure et sim
ple, la fin pour laquelle nous avons été créés. Nous
savons que c'est pour la gloire de Dieu et pour notre
salut; et, par conséquent, nous ne devons nous atta
cher a rien , ni rechercher rien autre chose que ce
quipeut procurer l'honneur de Dieu et notre salut.
C'est pourquoi il n’y a que la prévision certaine des
rapports que tels ou tels moyens ont avec la gloire de
Dieu et notre salut, qui doive nous décider à les
employer ou a les négliger 1. Ceci doit être observé
non-seulement dans le choix d'un état de vie, mais
encore dans tous les autres choix ,' nous devons me
surer tout dans le seul intérêt de l'honneur de Dieu,
sans faire aucune attention à nos propres satisfac
tions , surtout à nos satisfactions temporelles ; nous
devons faire en sorte d'avoir toujours une intention
droite pour Dieu, et de ne point soufl'rir qu’elle se
tourne vers ce qui est terrestre 2.
1V. Si vous voulez savoir en quel temps il convient

1 Liv. des Exercices. -— 2 Direct., c. 25, n°


50:2 v° mon. LECTURE.

de fixer cet important exercice de l'élection , je répon


drai que c’est dans le temps où notre âme est tran
quille ‘ : or, la marque pour reconnaître ce temps
de tranquillité, c'est, dit S. Ignace, lorsqu'elle n'est
point agitée par le combat de di/fi'rents esprits 2.
Pour bien comprendre ceci , il faut savoir 1” que
l'âme peut être mue par le bon esprit seulement, 2”
qu’elle peut être poussée par le seul mauvais esprit .
3" qu'elle peut être agitée par ces deux esprits ensem -
ble, dontles mouvements la portent en sens contraires.
Après ces observations , il faut encore remarquer
que , dans le temps de l’élection , l'âme ne doit point
être mue de la troisième manière, c'est-à-dire être
livrée aux mouvements contraires du bon et du mau
vais esprit; car, en cet état, elle est exposée à un
conflit et comme à une orageuse tempête, qui lui
enlève la tranquillité dont elle a besoin pour faire son
choix. il ne t'a ut pas non plus que celui qui se dispose
à l'élection soit mu de la deuxième manière, qu'il
soit poussé par le mauvais esprit : c'est ce qui résulte
de la règle cinquième du discernement des esprits,
où il est recommandé de ne rien délibérer , et surtout
de ne rien conclure dans le temps de la désolation.
Mais le premier état de l'âme, celui dans lequel elle
ne reçoit d'autres impulsions que celles du bon esprit
qui la visite par différentes consolations, ce premier
état. dis-je, non-seulement n’est jamais un obstacle,
mais il est, au contraire, un utile secours pour faire
notre choix ; car, en cet état , il n'y a point de conflit
et d’agitation entre les différents esprits, il n’y a que
la douce influence d'un seul esprit qui nous procure
la tranquillité. Nous indiquerons demain les derniè
res marques du discernement des esprits, nous expo<
serons - pour les reconnaître, d'autres moyens que

1 Direct, c. 28, n" 2. — ’ Liv. des Exercices.


PRÉPARATION or. L'AMI: A L'ÉLECTION. 505

nous avons déjà indiqués : qu'il nous suflise aujour


d'hui d’avoir proposé ces courtes réflexions sur. la
préparation à l'élection, sur la manière de la faire et
sur les points qu’elle renferme.
La seule chose qui nous reste à recommander , c'est
de pratiquer cet exercice de l'élection même dans les
choses les moins importantes, si on n'a point à l’ap
pliquer à des choses d'un plus haut intérêt. Bien
plus , il nous devrait être si familier, que tout natu
rellement il nous dirigeât et nous fît connaître la
volonté de Dieu dans les choses les plus ordinaires et
même hors le temps de la retraite. Que si quelqu'un,
entraîné par quelque aflection déréglée, avait fait
un choix imprudent, et que ce choix fut irrévocable-
c'est-à-dzre de nature à ne pou/voir plus être rétrac
té, il ne lui reste plus qu'à réparer ce défaut dans
son élection , par la probité de sa vie et par une vigi
lance attentive sur toutes ses œuvres; mais il ne
peut plus revenir sur ce chois: pour aucune raison.
Si, au contraire , l'élection imprudente qu'on a faite
a pour objet un engagement dont on peut revenir, il
ne faut pas manquer (le la corriger, de produire
(les fruits plus abondants et plus agréables à Dieu ’.

‘ Liv. des Exercices.


004 v” JOUR. 11" MÉDITATION.

11e MÉDITATION.

DE LA VIE CACHÉE DE JÉSUS-CHBIST.

Premier Point.

La sublimité de ce mystère. La vie cachée de Jésus


Christ contient un mystère d'une grande consolation
pour les humbles et d'une grande confusion pour les'
superbes; un mystère qui détruit ce désir vicieux de
briller dans le monde , cette démangeaison de se faire
connaître et de manifester ses talents , tentation dan
gereuse dont souvent les grands hommes eux-mêmes
ne se sont pas défendus. .
Arrêtez-vous donc ici, vous qui êtes atteint de cette
maladie , et jetez un regard docile sur le spectacle qui
vous est offert. Voyez ! un Homme-Dieu d'une sagesse
infinie, qui possède la science infuse de toutes cho
ses , la connaissance de toutes les langues, le don
d'une éloquence divine ; qui réunit à la fois une dou
ceur ineffable dans ses mœurs , une habileté incom
parable à gagner les âmes, et des charmes tout célestes
dans les entretiens ; en un mot , lui, le Roi de gloire,
le Seigneur du ciel et de la terre , enrichi au plus
haut point de tous les dons de la nature et de la
grâce , lui qui était venu en ce monde pour combattre
les vices, chasser les erreurs, corriger les mœurs,
sanctifier tout l’univers ; oh ! qui ne sera pas étonné?
il mène une vie indigente dans une obscure bourga
de, dans un coin de la terre, il exerce un pénible
métier , il mène une vie indigente. Avec ces mains
qui ont créé l'univers ,. à l'aide de ces doigts tout
ne LA VIE excuse DE JÉsUs-cnmsT. 305

puissants qui tiennent la terre suspendue , cette sa


gesse du Père céleste revêtue de chair, ce Messie désiré
durant tant de siècles, ce Rédempteur , ce Répara
teur du genre humain , lui-même, ô séraphins! ado
rez ce mystère, lui-même nettoie la maison , scie le
bois, remplit les emplois les plus bas ; enfin il mène
une vie humble, et , aux yeux des hommes , une vie
inutile et oiseuse ; il est caché et inconnu au monde ,
et ceux mêmes qui le connaissent le dédaignent et le
méprisent comme le fils d'un pauvre artisan.
Et celui qui en agit ainsi est le même qui aurait
pu cependant faire éclater sa sagesse dans le temple
de Jérusalem , enseigner la plus saine morale dans les
écoles des philosophes, donner dans les cours des rois
les règles d'un sage gouvernement; qui aurait pu ,
parcourant les provinces , les villes et les villages ,
guérir les malades , instruire ceux qui se portent
bien , convertir les pêcheurs , ct , par la puissance de
ses miracles comme par la douce persuasion de ses
exemples, amener tous les hommes à une vie plus
parfaite. Lui-même, ô cieux ! soyez dans l’étonne
ment! lui-même , dans un petit coin de l'univers ,
dans un humble réduit , occupé à un travail pénible,
demeure inconnu , sans gloire et dans l’abjcetion ; il
est caché non pas trois ans , ni six ans , ni neuf ans ,
mais pendant l’espace entier de trente années, c’est
à-dire pendant la plus grande partie de sa vie, ou ,
pour parler plus exactement , durant tout le cours
de cette vie sainte , si on en excepte quelques années.
0 étonnant prodige d’abaissement !
Qu'ils viennent maintenant les enfants des hom
mes avec leurs mesures trompeuses ‘ et leurs faux
jugements, et 'qu'ils pèsent avec attention ces trois
réflexions : 1° quel est celui qui se cache ainsi, 2° où

‘P8. 6], v. 10.


1. 26
506 v° JOUR. u‘ MÊDITATION.
il se cache , 3° et combien de temps, et qu’ils appren
nent de là à modérer le désir trop ardent qu’ils ont
de briller dans le monde et de manifester leurs talents.
O Seigneur Jésus ! vous êtes vraiment un Dieu caché ‘,
vous vous enveloppez dans d'lmmbles ténèbres 2 ;
accordez-moi que vos ténèbres me soient plus lumi
nous“ que le jour en son midi 5 , et que je voie la
vanité ‘ qui se trouve dans les emplois les plus hono
rables.
Deuxième Point.

La vérité cachée dans ce mystère. Jésus-Chpist


même , en se cachant ainsi, ne faisait rien en appa
rence, ensevelissant ses talents et vivant négligé et
oublié de tout le monde, a cependant vécu deJa ma-
nière la plus parfaite; il a tout fait , il a même fait
les' œuvres les plus excellentes ; il a employé ses
talents avec la plus grande utilité. Sa vie, qui était ,
aux yeux du monde , oiseuse , inutile , abjecte , était,
aux yeux de son divin Père , très-laborieuse et très
utile : elle était une vie très-glorieuse, puisqu'il a
vécu comme son Père l'a voulu , qu'il a fait ce que
son Père a voulu , qu’il a été où son Père a voulu ;
de sorte que si , pendant tout ce temps , Jésus-Christ
eût fait autre chose , s'il eût vécu autrement , s'il eût
été ailleurs, il aurait été déplacé, il aurait vécu im
parfaitement , il n'aurait rien fait , parce qu’alors il
n’aurait pas rempli la volontédu Père céleste.
S'il en est ainsi , notre perfection ne consiste donc
pas à faire de grandes choses , grandes , dis-je , selon
l’opinion des hommes, comme de remplir les villes
du bruit de nos prédications , d'être , par nos connais
sances , la gloire des académies , d'illustrer notre

1Isaïe,c. 45,v. l5. — 2 P8. 17, 7.12. -— 3 Isaïe, c. 58.


v. [0. — 4 P5. ll3,v.37.
DE LA vu: CACHÉE DE JÉSUS-CBRIST. 507

patrie par l’éclat de nos actions, de gouverner des


collèges , d'être supérieurs des religieux de toute une
province , de diriger les consciences des rois , d'être
réputés des hommes célèbres: notre perfection, dis
je, ne consiste nullement en cela ; mais elle consiste
à faire la volonté de Dieu , e’est-à-dire à vivre avec
perfection dans le lieu , la place et l'emploi dans les
quels celui qui gouverne l’univer-s veut que nous
vivions : telle est la grande et importante vérité que
la sagesse incarnée nous a enseignée par son exemple
pendant l'espace de trente ans. Mais , 'direz-vous ,
pourquoi donc le ciel m’a-t-il donné ces qualités ,
s'il ne veut pas queje m’en serve ? Je réponds : Pour
quoi donc le Père céleste a-t-il réuni tant de talents
en Jésus-Christ , s'il n’a pas voulu qu'il les manifestât
durant trente années ? Eeoute , homme superbe :
Dieu t’a accordé ces dons de la nature pour que tu
eusses quelque chose à lui sacrifier ; car l'encens
offert à sa divinité n'est pas perdu ; et celui-là n'en
fouit point ses talents dans l'oisiveté, qui , même en
ne faisant rien , fait ce que Dieu veut.
Si donc le souverain Maître veut vous laisser dans
la poussière des classes inférieures , dans le degré de
coadjuteur formé ’ , dans la charge d'infirmier , dans
tout autre vil emploi , oublié de vos supérieurs , me
prisé de vos égaux , toujours ignoré de tout le monde,
ahlje vous en conjure, vivez content de votre sort ,
rejetez loin de vous ces plaintes : Je suis inutile , je

‘ On appelle coud/Meurs formés , dans la Compagnie de Jésus,


les religieux qui ne sont admis qu'aux trois vœux simples de la
religion : on les distingue des profès, en ce que ceux-ci font un
quatrième vœu au souverain Pontife, et que leurs vœux sont
solennels. Coadjutores.... vota simplicîa obed'ientiæ, paupertatz's ,
et castitatis (omisso quarte ad summwm Pontificem pertinente, et
quovis alio solemm'), debent emz-ttere. Constitut. des Jésuites ,
Examen des Postulants, e. l , n° 9. '
508 v" JOUR. 11’ mämmTron.
suis ri charge , je ne suis bon à rien , capable de rien.
Ah! celui qui accomplit la volonté du Père éternel
en fait assez! Que cette précieuse devise : Dieu le
veut , soit pour vous comme un bouclier céleste avec
lequel vous résisterez à tous les assauts de l'orgueil,
de votre volonté et de votre amour-propre , et vous
repousserez vivement toutes les plaintes qui vous
viendraient , surtout à l'égard de votre emploi, de
votre situation , de votre place et de votre santé. 0
paroles d'une expression courte mais pleines de sens :
Dieu le veut! O paroles puissantes dans celui qui
aime Dieu , mais non dans celui qui s’aimc lui-même
ou qui aime le monde.
La voici donc cette vérité qui détruit avec force ce
désir dominant dans le cœur des mortels de briller
dans le monde, de s'élever au-dessus des autres, et
de se concilier , par des emplois honorables, l'estime
et la louange des hommes , funeste démangeaison qui
est la malheureuse source des plus grands désordres.
Il arrive, en effet, que si les supérieurs ne se rendent
pas à ces prétentions dans le temps où l'on fixe à
chacun son poste , les maisons retentissent et les let
tres sont remplies de plaintes et de murmures; il en
résulte de l'envie, de la jalousie qui éclate contre ceux
que nous voyons 'à regret placés au-dessus de nous ,
etnous nous attachons à diminuer, par des calomnies
et des insinualions adroites, l'estime et la bonne ré
putation dont ils jouissent. O qu'il vit dans la paix,
celui qui arrache ce poison de son cœur! oui, son
âme est un paradis délicieux. Ainsi , comme l'indiffé
rence pour tout lieu était le but de la méditation de
ce matin , de même le fruit de la méditation présente
est l'indifférence pour tout emploi, quelque Vil et
abject qu'il soit, et aussi pour toute place et pour tout
état de santé; bien plus , il faut qu'animés par l'exem
ple de Jésus-Christ, qui, dans la vue de la joie éter
in; LA VIE menée DE JÉSUS-CHRIST. 509
nelle qui lui était proposée, a soufl'ert la crois: en
méprisant la honte de ce supplice ‘ ; il faut que nous
tendions, en outre, à ce que les affections de notre
âme se portent aux choses basses , dures, désagréables
aux sens et à l'amour-propre , de préférence à celles
qui peuvent nous flatter.

AFFECTIONS .

O très-humble Jésus! quoique vous fassiez la lu


mière du monde et le flambeau ardent de la maison
de Dieu , vous êtes cependant demeuré si longtemps
caché sous le boisseau , appliqué à une vile occupa
tion ; et moi qui ne suis qu'un souflle qui s'évanouit a
l'instant 2, moi néant et péché , je voudrais briller ,
être grand, exercer dans le monde les emplois les plus
honorables! Loin de moi une vanité si insensée! en
présence de toute la cour céleste, je désavoue et je
déteste cette vaine démangeaison de m'élever au-des
sus des autres, de m'enorgueillir dans des emplois
distingués et de me glorifier follement pour les talents
que j'ai reçus du ciel. Désormais les emplois humi
liants seront l’objet de mes vœux; j'ambitionnerai
uniquement de vivre caché et inconnu à tous les
hommes : votre volonté sera la règle de tous mes
désirs.
Je prends à témoin le ciel et la terre 5, 1° que je
préfère être un ver méprisable , si telle est la volonté
de Dieu. plutôt que d'être un Séraphin glorieux con
tre sa volonté; 2° que j'aime mieux, par la volonté
de Dieu, ne rien faire et être martyr du repos, que
de convertir tout le monde contre sa volonté et d'être
un martyr de la foi; 3° que j'attache plus de prix à

‘ Hèbn, v. 12, v. 2. — '-’ Jacq.,c.4,v. 15.-» aDent,


0. 4,1 26.
310 ve JOUR. CONSIDÉRATION.

être caché dans un coin obscur du monde selon la vo


lonté de Dieu , qu’à briller dans le ciel contre cette
même volonté. Pourvu que j'accomplisse le bon plai
sir de Dieu , je m'estimerai assez grand, assez riche et
assez heureux.
Il faut répéter ici les affections qu'on a jointes à la
méditation de ce matin , et appliquer à l'indifférence
de l’emploi ce qu’on a dit de l'indifférence du lieu.

:oNsmÊn “nos.

DE LA HORTIFICATION.

La mortification est non-seulement l'âme de toute


imitation de Jésus-Christ en général, mais elle l'est
encore, en particulier , de l’indifférence que nous re
commandons à tout lieu et tout emploi, et surtout
elle est le principe du fruit qu'on se propose de
recueillir dans la dernière méditation d’aujourd'hui.
Sans cette vertu , nous ne serons ni les disciples de
Jésus'Christ, ni indifférents pour tout, et nous serons
encore beaucoup moins capables d'arracher du milieu
de notre cœur , ce qui est cependant le but de l'exer
cice de ce soir , cette affection vicieuse pour nos pro
ches, pour nous-mêmes, ou pour toute autre créature.
Concluons de là quelle utilité et même quelle néces
sité il y a de traiter ici cette matière, attendu l'extrême
liaison qui l'unit à tout le reste. Je proposerai donc,
dans cette considération , des motifs qu’il faudra mé
diter avec une attention particulière pour nous porter
à une plus haute estime, à un amour plus fort et à
un désir plus ardent de cette vertu.
1. Après l'exemple de Jésus-Christ, qu’il ne faut
DE LA MORTlFlCATiON. 51 'l
jamais perdre de vue , le premier motif de pratiquer
la mortification , c'est l'excellence de cette vertu ,
excellence que fait éclater la grande ressemblance
qu'elle a avec le martyre; car, dit S. Bernard , faire
mourir par l'esprit les actions de la chair, c’est un
genre de martyre moins rigoureun en apparence,
mais plus insoutenable par sa durée que le martyre
même. Et , en effet , sentir la faim au milieu de
l'abondance, réprimer ses appétits , refuser aux sens
ce qu’ils désirent. leur offrir ce qu'ils redoutent , c'est
un martyre sans eflfusion de sang ‘ , c'est un supplice
sans bourreau 2.
Vous êtes peut-être vous-même du nombre de ceux
qui désirent donner leur vie pour la cause de la foi ,
qui font de stériles vœux pour soufl'rir une mort
sanglante chez les Tures ou chez les Indiens ; eh bien I
exercez sur vous-même une sainte cruauté, domptez
votre chair, enchaînez vos désirs , et vous serez un
-martyr moins grand, il est vrai, au jugement des
hommes, mais plus grand peut-être par votre mérite :
mesurez à cette règle l'excellence de la mortifica
tion.
Il. Le second motif, c'est la nécessité de la mor
tification; car nous sommes obligés de la pratiquer
1° comme chrétiens. Quand nous avons été lavés dans
la fontaine sacrée , quand nous avons reçu le nom de
chrétiens, nous avons renoncé , par la bouche de nos
parrains, dans un pacte solennel, à la chair et à
toutes ses convoitises. Celui donc qui traite délicate
ment sa chair, se rend coupable de la violation de
cette promesse et indigne du nom qu’il a reçu: la
pratique de cette vertu est donc nécessaire à un
chrétien.
2° Nous sommes tenus à l'exercice de la mortifica

‘ S. Bernard. — 2 S. Ambrcise.
512 v" JOUR. CONSIDËRATION.
tion comme pécheurs ; car nous avons péché, notre
conscience l'atteste , et la vérité éternelle nous assure
qu’il nous faudra satisfaire pour notre péché : Rien
de souillé n'entrera dans la céleste patrie ‘. il est
vrai que la coulpe du péché est remise par une bonne
confession; mais la peine temporelle due au péché
reste encore à expier. La dette de cette peine est une
tache; aucune tache n'entre dans le ciel :donc au
cune âme n'y entrera avec cette dette; donc cette
dette doit être payée ou en cette vie par la mortifica
tion , ou en l'autre par le feu : l'un et l'autre est cer
tain. Si vous ne voulez pas brûler unjour, il est donc
nécessaire que vous acquittiez maintenant vos dettes,
en les payant d'avance par des austérités volontaires:
la mortification nous est donc nécessaire, parce que
nous sommes pécheurs.
3° Mais cette vertu n'est pour personne aussi né
cessaire et aussi essentielle comme elle l'est pour les
religioux ; car l'état religieux n'est qu'une continuel
le mortification des sens, la mort des appétits et le
sépulcre de la concupiscence. Que convient-il à des
religieux , par l'obligation de leur règle, de faire
autre chose que de s'assujettir à une continuelle vio
lence , que de vivre pour Dieu seul et de mourir tous
les jours à euxmiêmes et au monde? Oui , ces deux
mots : abstiens-toi, supporte , sont les deux pôles
autour desquels roule la vie religieuse : en un mot,
le religieux est un homme qui est crucifié au monde
et à' qui le monde est crucifié , c'est-à-dire qui est en
opposition avec le monde , qui n'estime , qui n’aime
et ne désire que ce que celui-ci méprise , hait et
déteste ; il trouve insipide ce que la chair trouve
délicieux ; il poursuit l'amour-propre d’une haine
continuelle : telle est la condition de l’état religieux.

‘ Apoc., c. 21 ,v. 27.

T,{.._.7_.Çra__.. .._—.. ‘M . -N
DE LA HORTIFICATION. 515

Concluez de là quelle nécessité il y a pour des reli


gieux de se vaincre eux-mêmes.
III. Le troisième motif , c'est que la mortification
est une dette de justice ; car 1° il est juste que vous
fassiez maintenant servir à la justice , pour votre
sanctification, les membres de votre corps que vous
avez fait servir à l'impureté et à l'injustice 1 ; qu'il
y ait surabondance de grâce par la mortification , là
ou il y a eu abondance de péché 2 par la sensualité.
2° Il est juste que le corps , ayant été complice des
actions d'iniquité , soit participant de la peine qu'el
les méritent. 3° Il est juste que celui qui se souvient
avoir fait des choses illicites s'abstienne même de
quelques autres choses permises 4" Fnfin il est
juste que vous poursniviez d'une haine implacable la
chair , cet ennemi le plus dangereux et le plus terri
ble que vous ayez.
Vous objecterez sans doute que vous ne savez com
ment faire pour haïr ce que la nature force d'aimer °2’
Mais , je vous le demande , comment pouvez-vous
aimer ce cruel ravisseur qui vous a tant de fois dé
pouillé de la grâce? ce tyran qui vous a tant de fois
vendu au démon ? ce parricide qui , par ses caresses,.
vous a séduitjusqu'à vous faire si souvent attacher à
la croix Jésus-Christ votre frère , et le couvrir d'au
tant de blessures sanglantes que vous avez commis
de péchés ? Répondez : comment pouvez-vous aimer,
soutenir, flatter ce ravisseur , ce tyran , ce parricide 'P
Considérez , je vous prie , s’il est juste de négliger
le soin de votre âme, et de consacrer tous les travaux
et toutes les veilles de votre vie dans la seule vue de
tenir à l'aise , pour un temps bien court , votre corps
destiné à la pourriture. Jugez vous-même s'il est juste

‘ Rom. , c. 6, v. 19. — 2 Ibid. , e. 5, v. 20. ‘- 3 S. Grégoirep


le-Grand.
I. 27
514 w’ noUs. CONSIDÉRATIOI‘.
d'engraisser, de choyer, avec une si grande perte
pour votre âme, ce même corps qui doit être la
pâture des vers; de lui accorder une nourriture déli
cate , une boisson abondante, un sommeil prolongé ,
un lit commode , un vêtement précieux; de repousser
loin de lui tous les genres d'austérité, comme les
jeunes, l'abstinence, le cilice, la discipline, et,
pendant ce temps-là, de dévouer, pour plusieurs
années, à l'activité des flammes expiatoires, votre
âme immortelle dénuée de grâces et vide de mérites.
0 argile et pourriture ! écoute la parole du Seigneur.
Le Seigneur des armées a dit ‘ : Ta concupiscence
sera sous toi, et tu la dominera: "'. Tu entends , et
cependant tu sers ta concupiscence dans un indigne
esclavage! quelle est donc cettejustice?
IV. Le quatrième motif, c'est la double utilité que
nous retirons de cette vertu ; car 1° c'est un dogme
de la foi qu’un degré de grâce habituelle ou sancti
fiante répond à chacun des actes surnaturels de mor
tifieation produits par un hommejuste , et qu'à cha
que degré d'une telle grâce répond un autre degré
de gloire qui durera éternellement dans le ciel 3.
Puisque de nombreuses et même de continuelles
occasions de se vaincre soi-même et de mortifier sa
chair reviennent chaque jour, il s'ensuit donc que
celui qui n'en laisse passer aucune accumule aussi
chaque jour, avec une heureuse continuité, d’in
nombrables degrés de grâce en cette vie et de gloire
en l'autre ; mais , au contraire. que celui qui néglige
d'en profiter perd imprudemment chaquejour d'in
nombrables degrés de grâce et de gloire. Vous le
‘ Jerémie, c.2'2,v. 29. -— 3 Genès, c. 4, v. 7. — 3 Conc. de
Trente, 5653. 6, eau. 82 : Si quelqu'un dit que [ajuste lui
même ne mérite pas véritablement, par ses bonnes œuvres, un
œcroiœment de grâces.... et une augmentation de gloire, qu'il
soit an‘athème.
DE LA MORTIFICATION. 315
croyez ,' et cependant vous jouez témérairemcnt , et
avec un coupable sourire, la perte irréparable de la
chose la plus précieuse.
O âme prodigue des biens célestes! ah! une seule
de ces grâces est le prix du sang de Jésus; elle est un
rayon de la Divinité, elle vaut mieux que mille mon
des; et cependant, âme paresseuse , tu en as méprisé
des milliers, et cela pour ce corps infect qui t'envi
ronne. Chaque degré de gloire céleste renferme en
soi des joies d'une plénitude infinie. d'une durée
éternelle, et tu en as perdu une si grande quantité
pour ce corps qui doit pourrir! Le plus petit acte de
mortification des sens est d'un si grand mérite, que
son excellence surpasse le don même (le la résurrec
tion des morts, et tu en as négligé un si grand nom
bre pour ce corps détestable!
Si, comme Adam , vous aviez été dépouillé d'un
inestimable trésor , pour' le moindre plaisir du goût ,
que penseriez-vous maintenant? Ah ! vous avez pern
du sans retour autant de trésors célestes , autant
d'éternelles félicités, autant de joies infinies, que
vous avez négligé d'occasions de vous vaincre : oui ,
vous avez perdu autant de degrés de grâce et, par
conséquent, autant de degrés de gloire. Maintenant
il est vrai, vous dédaignez, avec un sourire aveugle ,
cette perte inestimable et à jamaisirréparable de tant
de degrés de grâce et de gloire; mais, oh! qu'à l'ar
tielc de la mort , qu'au jugement et surtout dans le
purgatoire, vous penserez bien autrement et bien
différemment de cette perte irrémédiable !
2" La deuxième utilité que nous retirons de la
mortification , c'est d'éteindre par elle , ou de dimi
nuer au moins l'ardeur des flammes de la prison
expiatoire; car la vengeance divine cesse, atteste S.
Anselme, dès que la conversion et la pénitence de
l'homme la préviennent. Si donc vous vous appliquez
516 v°' JOUR. CONSIDÉRATION.

maintenant à expier vos péchés, il n'y aura plus


alors pour vous de supplices.
Alors une heure dans les peines de ce feu sera
plus insupportable qu’ici cent années de la plus
rigoureuse pénitence ‘. Oui, si, pendant que vous
êtes encore dans cette vie , vous prenez soin de payer
les dettes que vous contractez, Dieu se contentera
alors du prix d'un seul talent, quelque peu de valeur
qu’il ait ; mais si vous remettez le paiement à l’autre
vie, on vous obligera de venir compter, sur la table
de la divinejustice , jusqu'à la dernière obole. N’est
ce donc pas une extrême folie de retarder l'expiation
de ses péchés, d'attendre, pour s’acquitter envers la
justice divine , qu'on soit tombé dans cette prison ,
plutôt que d’offrir maintenant quelque peu à la
miséricorde d'un bon père? Si vous pouviez , avec un
seul denier que vous auriez à la main, payer une
dette de cinq mille écus d’or , difl'éreriez-vous un seul
instant de le faire. Ah! vous pouvez maintenant,
par une gêne légère , par une petite mortifieation du
corps, racheter la dette immense de vos péchés , et
vous tardez! Quelle est donc, je vous le demande,
la cause qui vous rend si clairvoyant dans vos autres
intérêts et si aveugle sur celui-ci?
V. Mais, répondrez-vous, je ne puis pas épuiser
mon corps par l’abstinence, les lois de la nature s’y
opposent. l je ne vous parle pas dejeûnes , je ne
vous demande que la tempérance. Croyez-moi , le
nom de l’abstinence est plus terrible que ses effets ;
car, dites-le moi, comment , pour l'amour de Dieu ,
vous ne pouvez pas être dégoûté de ces mets délicats
que vous ne regardez plus quand vous êtes rassasié .
qui vous soulèvent le cœur et que vous détestez même
quand vous êtes malade? Pourquoi ce que le rassa

1 lmitat. de J.—C. , l. 1 ,c. 24.


DE LA MORTIFICATION.

siement et la maladie occasionnent nécessairement ,


serait-il impossible à la vertu ? Puisque les animaux
se contentent des aliments les plus simples et de ceux
qui leur sont absolument nécessaires , comment ou
religieux ne s'en contenterait-il pas ?
2° Ensuite, puisque vous ne délivrerez pas facile
ment dujoug du péché les âmes de vos frères, si vous
n’offrez pour elles à la justice divine le prix de votre
propre mortification, je vous en conjure, ô homme
apostolique! par le sang de Jésus-Christ qu'il a ré
pandu si abondamment pour ces mêmes âmes, ne
détruisez pas, ah! ne détruisez pas pour votre nour
riture l'ouvrage de Dieu, et ne faites pas périr pour
votre manger celui pour qui Jésus- Christ est mort ’,
en vous rendant, par votre gourmandise , indigne de
servir d'instrument à Dieu pour procurer le salut du
prochain. .
3° En outre, de même que le jeûne chasse le dé
mon , ainsi le rassasiement éloigne Dieu d'un cœur;
car l’esclave de la gourmandise devient indigne que
le céleste époux l'introduise dans ses celliers , c’est-à
dire dans sa divine familiarité; parce que les vapeurs
qui sortent d'un estomac rempli, obscurcissent l’âme
et la rendent inhabile à recevoir la divine lumière.
Oui, l'âme éprouve des pertes en raison de l’abon
dance des mets; car qu'y a-t-il de commun entre Dieu
et le ventre ? En un mot , celui qui ne corrige pas ce
vice doit désespérer de son salut.
Mais, au contraire, autant vous ôterez a la vo
lupté, autant vous donnerez à la vertu 9, et vous
ferez de plus grands progrès selon que vous vous
ferez , en cela, plus de violence 5, puisque plus le corps
est abattupar l'abstinence, plus l'esprit se fortifie 4.

‘ Rom., c. 14 , v. 15 et Q0. — 2 Sénèque. -— 3 lmit. de J.-C.,


I. l , c. 25. — ‘ Ibid. l. 2, c. 12.
M8 ' v" mUs. coNsmÉuAnoN.
Triomphez donc de votre gourmandise, et vous vain
cre1. plus facilement les autres vices. Certes, quand
même les gourmands n'auraient à craindre aucune
peine dans l'autre vie , les seules maladies dont l'in
tempérance les afllige en celle-ci , devraient les enga
gcr à être sobres , et leur inspirer l'estime et le désir
de la mortification.
VI. Je ne puis pas, dites-vous , déchirer mes épau
les par les fouets, aflaiblir. mes reins sous le cilice,
épuiser mon corps sur une couche dure et par un
sommeil insuffisant. Mais, si vous ne pouvez pas
soulTrir cette douleur légère et mitigée, comment
donc supporterez-vous les flammes du purgatoire?
La sentence en est porlée : il faut que le péché soit
puni ou par un Dieu vengeur, ou par l'homme péni
tent ; il fautou satisfaire en ce monde ou brûler dans
le purgatoire... Que choisissez-vous î’... Est-ce de bien
.traiter ici-bas, pour un peu de temps, votre corps ,
.afin que votre âme soit plus tard si longtemps tour
mentée'! Est-ce de ne pas priver votre corps d'un
plaisir qui convient à la brute, de lui épargner une
légère ineommodité, pour que votre âme soit privée
après votre mort, durant de longues années, de la
vue bienheureuse de Dieu , pour qu'ensuite , durant
toute l'éternité , elle voie Dieu moins clairement , et
l'aime moins ardemment d'autant de degrés que vous
avez négligé d'occasions de vous vaincre?
Imaginez-vous que vous venez demourir , et que,
par un juste jugement de Dieu, vous avez été eon
damné à cette expiatoire prison ; je vous le demande,
à la première approche de ces flammes, que pense
rez-vous des plaisirs des sens, pour lesquels il vous
faudra alors souffrir de si horribles tourments sur ces
charbons vengeurs °P Queljugement porterez-vous de
l'austérité de la vie, de la mortification du corps et
de la répression de vos appétits? Ah! vous êtes un
DE LA MORTHŸIÇA'I'IUN. 519
insensé , si vous ne faites , dès ce jour, ce que vous
désircrez avoir fait dans ce moment.
Si quelqu'un des damnés sortait libre de l'enfer ,
oh ! qu’il châtierait rigoureusement son corps pour
satisfaire d’avance à la justice vengeresse , pour ne
pas se laisser séduire par les délicatesses de la chair
et ne pas tomber de nouveau dans l'abîme! Que ne
faites-vous de même maintenant, si vous ne voulez
pas être à la fin précipité dans les flammes de l'enfer
que vous avez déjà méritées? Est-ce donc un moindre
bienfait de n'être pas jeté dans ce feu après l’avoir
mérité , que d'en être retiré après en avoir éprouvé
la rigueur ? Ah! en vérité, c'est bien nous tromper
nous-mêmes que d'avoir un amour aussi déréglé
pour notre corps ‘.
Cette charité, dit 5. Bernard , qui nous fait ainsi V
épargner notre chair , renverse la charité. Une telle
miséricorde est pleine de cruauté, parce qu’on con
serve le corps pour faire périr l'âme. Quelle miséri
corde . eneflet, que celle de soigner l'esclave pour tuer
la maîtresse. Obéissons donc à l'exhortation de l'Apô
tre , et portons toujours la mortification de Jésus
Christ dans notre corps, pour que la vie de Jésus
soit manifestée en nous 2 : nous y sommes engagés
par l'excellence , par la nécessité, par l'équité et par
l'utilité de la mortification, qui étaient les quatre
points de cette considération.

‘ lmiI. deJ.-C., 1. |,c.24.—*i1cor.,e.t,v.1o. .

eês .
520 v” mon. exsuen !

EXAMEN

SUR LA MÊME VERTU.

La mortifieation est une vertu morale qui règle les


appétits intérieurs de l'âme et les sens extérieurs du
corps , selon les principes de la raison. Elle est ce
glaive à deux tranchants ‘, dont parle l’Apocalypse,
qui entre et qui pénètre jusque dans les replis de
l'âme et de l'esprit, jusque dans les jointures et
dans les moelles 2; car elle étend et exerce également
sa force sur l'esprit et sur le corps , c'est-à-dire sur
les affections et sur les sens : c’est pour cela qu'elle se
' divise en mortifieation intérieure et en mortifieation
extérieure. La première règle les désirs de l'âme , et la
seconde règle l'usage de nos sens‘. Celle-ci s'exerce sur
nos sens de deux manières : d'une manière négative,
en leur interdisant les plaisirs dangereux de la chair,
et d'une manière positive , en affligeant notre chair
par des austérités volontaires. Comme nous avons déjà
parlé de la mortifieation intérieure , qui est celle des
appétits de l'âme, nous ne nous occuperons , dans
cet examen , que de la mortifieation extérieure des
sens, et principalement du goût et du toucher.
I. Cette mortifieation peut se réduire à trois degrés.
1° Celui qui aime véritablement cette vertu est l'ad
versaire impitoyable de la chair , des commodités , de
la sensualité et surtout de la gourmandise; il est l'im
placable ennemi de l'amour—propre. C'est pourquoi il
se châtie, sans aucune indulgence, par les fouets,
les cilices , les couches dures et les veilles, autant

‘Apoc.,c. I ,v. 16.- 2llébr.,c.1i,v. l2.


son LA MORTIFICATION. 521
que l'obéissance et' la discrétion le lui permettent. Il
prend ses aliments comme on prend des remèdes ; il
laisse les meilleurs mets , et il n'usc des plus grossiers
qu'après de longues prières , ct qu’autant absolument
qu'il croit en avoir besoin pour conserver ses forces.
Hors le temps du dîner et du souper , il ne se permet
plus ni de manger ni de boire; il ne se trouve point
aux grands repas, à moins que l'obéissance ou une
prudence chrétienne et vraiment sainte ne fasse céder
ses répugnances.
2° Selon que la discrétion le permet , il choisit
toujours et se réserve dans la nourriture, le vêtement
et le logement , ce qui est le plus vil, le plus grossier,
le plus pénible et le plus contraire à l’amour-propre.
Il contient toujours très-sévèrement , partout et en
toute occasion , ses sens , surtout la démangeaison de
voir , d'entendre , de savoir, de raconter des choses
nouvelles et curieuses; il leur refuse ce qui est agréa
ble, il ne leur représente que ce qui les afflige. De
bout ou assis , à genoux ou couché , il cherche cons
tamment la situation du corps la plus pénible , et il
ne néglige en toutes choses , même dans les plus
petites , aucune occasion de se mortifier et de se
vaincre : en un mot, il veille continuellement, et
avec le plus grand soin , à ne laisser passer aucun
instant sans remporter quelque victoire sur soi-même,
afin que , par cette continuelle mortification , il offre
et il immole à la divine Majesté un sacrifice et un
holocauste perpétuel de tout son être.
3° Il travaille toujours avec courage et sans se
ralentir ; il n'est jamais oisif, et , si l’obéissancc l'exi
ge, il sacrifie volontiers à Dieu'la douceur et la satis
faction que son âme. délivrée d'cmbarras et d'in
quiétudes, trouverait dans le repos et dans un doux
recueillement intérieur. Aussi , tant que ses forces et
une charité éclairée pour lui-même le permettent , il
522 v’ JOUR. EXAMEN
ne refuse aucune des charges que lui imposent ses
supérieurs; il désire même de préférence les emplois
que les autres refusent comme trop bas et trop péni
bles , et qu’on eût donné sans cela à ses ennemis , à
ses envieux , à ses détracteurs. Voici les trois princi
paux degrés de la modification extérieure. Dans la
méditation de ce soir , nous parlerons du sacrifice
que nous devons faire de telle créature qui met le
principal obstacle à notre perfection , et qui, plus
que toute autre, nous tient obstinément éloignés de
Dieu. Examinez donc si vous êtes élevé à l'un de ces
degrés, et auquel; par quels moyens vous pourrez
dans la suite vous y élever , et si vous pouvez dire'
aussi avec l'apôtre :Je meurs tous lesjours ‘.
La manière dont nous devons pratiquer la morti
fication, c'est de le faire 1° avec constance, 2° avec
prudence. La constance s'obtient par les moyens sui
vants : 1° commencez par les choses les plus faciles ,
et avancez peu à peu jusqu'à pratiquer celles qui
sont plus pénibles; 2° faites-vous une pieuse illusion,
et ne vous proposez actuellement de continuer telle
ou telle mortifieation du corps , que l'espace d'un
jour ou deux, ou même que la durée d'une heure
seulement, sans occuper votre esprit de ce que vous
ferez ensuite; 3‘ repassez fréquemment les motifs
qu'on a donnés dans la dernière considération et les
inconvénients de l'ineonstance; considérez surtout
que , sans cette constance, non-seulement toutes les
peines qu'on a déjà prises pour acquérir la mortifica
tion , ne produiront pas le fruit qu’on se proposait,
mais encore que les efforts qui nous restent à faire
dans l’exercice de cette vertu , deviendront beaucoup
plus considérables , parce que nous n'en aurons pas
l'habitude et que nous serons privés de l’onetio
divine. -
‘ lCor.,c. l5,v. Bl.
son LA nomiricA-rmn. 525
2° Notre mortifieation ne doit pas être seulement
constante, mais il faut encore qu'elle soit prudente.
Et pour qu'elle ait cette deuxième qualité, nous de
vrons observer les règles suivantes. Première règle.
Selon ce qu’enseignent S. Thomas, plusieurs autres
Pères et surtout S. Jérôme. on doit condamner ces
sortes de mortifications corporelles qui , de leur na
ture, ou vu le tempérament de celui qui les pratique,
peuvent en peu de temps lui causer la mort , ou l'af
faiblir par une grave et dangereuse maladie, ou di
minuer , d'une manière trop considérable, sa santé et
ses forces. - Je dis d'une manière trop considérable ,
car si le corps n'en éprouve pas un affaiblissement
subit et dangereux , et si ce genre de vie mortifiée n'a
pas d'autre inconvénient que de diminuer un peu,
mais insensiblement les forces , et d'abréger la vie de
quelques années , on ne doit point, à cause de ce dé
périssement lent et à peine sensible, dire quec'est
une austérité imprudente et trop rigoureuse. Cette
doctrine est pleinement démontrée par les autorités ,
les exemples et les raisons qu'allègue le P. Alphonse
de Bodriguez dans sa Pratique de la Perfection
chrétienne, 3° part., 5° traité, c. 17.
Seconde règle. 11 faut encore regarder comme con
damnables les mortifications qui apportent un empê
chement notable à l'exercice des autres vertus, et qui
nous rendent trop inhabiles à remplir des emplois ou
essentiels à notre état , ou du moins lus utiles que
la pénitence particulière que nous in igeons à notre
corps au détriment de ces mêmes emplois. J'ai dit:
Un empêchement notable , car il ne faut tenir aucun
compte d'un léger obstacle qui rend seulement un
peu plus difficile et moins agréable la pratique de la
vertu : nous devons donc examiner soigneusement si
cette difficulté ne peut pas être diminuée par la pra
tique même et par l'habitude de la mortitication;
524- v‘ JOUR. EXAMEN
nous devons prendre garde aussi de ne point obéir
aux illusions de l’amour-propre, sous le prétexte de
ne pas nuire à notre santé, ou de mieux accomplir
notre devoir.
Troisième règle. La rigueur des œuvres de péni
tence doit répondre aux forces de notre corps , au
nombre et à la grièveté de nos fautes, et au mouve
ment intérieur qui porte chacun de nous à s'y livrer.
Néanmoins il faut toujours éviter que le sentiment de
la douleur n’affecte que notre chair, et ne pénètre
pasjusqu’aux os au risque de nous occasionner quel
que infirmité : nous devons donc nous abstenir ordi
nairement des pénitences qui vont jusqu'à l'efïusion
du sang; et comme il est facile en cette affaire de
pécher ou par trop de réserve , ou par excès , il con
vient de prendre l’avis du guide de sa conscience. En
un mot , l'homme doit traiter son corps comme un
malade à qui on refuse , malgré tout ses désirs , ce
qui lui est inutile , et à qui on administre , malgré
ses résistances, ce qui lui est utile ‘. Voyez si vous
avez observé les moyens et les règles que nous venons
d'expliquer, et de quelle manière vous l’avez fait.
Arrêtez en outre combien de fois et avec quelle aus
térité vous voulez mortifier vos reins par le cilice , vos
épaules par la flagellation , tout votre corps par une
couche dure; déterminez la quantité et la qualité de
nourriture et de boisson dont vous ferez usage dans
la suite; réglez ce que vous voulez retrancher de votre
sommeil; mais soyez constant à accomplir les résolu
tions que vous avez prises selon les règles de la pru
dence , vous souvenant de cet avertissement céleste :
Ne vous découragez point en votre cœur , et ne tom
bez point dans l'abattement 2 , afin que vous ne per
diez pas les bonnes œuvres que vous avez faites , mais
que vous en receviez une pleine récompense 5.
‘8. Bernard. —— 2 flébn, c. 12,v. 3. — ’ Il Jean , v. 8.
son LA MoanneATtoN. _ 325
111. Au reste , il faut remarquer ici 1° que la mor
tifieation extérieure ne doit être employée que comme
un moyen d'arriver à la mortification intérieure , et
que comme un secours pour acquérir la perfection et
la vraie sainteté, qui consistent dans la répression de
nos appétits intérieurs.
2° Que les austérités du corps, si elles n’ont pas
pour but ce que nous venons de dire, et si elles ne
sont pas jointes avec la mortification de l’esprit , ne
sont plus ni d'un grand mérite ni d'une grande uti
lité, et qu'elles sont même sujettes à de très-funestes
illusions, dont la plus dangereuse est l'orgueil, qui
fait qu'on se croit pour cela' meilleur , plus parfait et
plus saint que les autres , comme si toute la sainteté
et toute la perfection consistaient dans ces austérités,
tandis qu'elles ne sont, au contraire, qu’une voie et
un moyen pour arriver à la sainteté.
3° Qu'il faut , il est vrai, pratiquer constamment
les austérités dont on a pris l'habitude , mais non pas
toutefois avec une telle ténacité qu'on n'écoute au
cune raison pour les laisser ou les interrompre ,
même lorsque la charité. l'obéissance ou la civilité
demande qu'on change de conduite.
Examinez donc si ce sont de tels sentiments de la
mortification extérieure que vous avez nourris en
vous , ou si vous ne vous êtes point laissé pénétrer de
quelqu’une des erreurs que nous venons d'indiquer.
Oui , celui qui se sera élevé, avec constance et pru
dence , jusqu'à ces trois degrés de la mortification
extérieure , pourra dire, en se glorifiant avec l'Apô
tre : .Ïeporte imprimées sur mon corps les cicatrices
de Jésus- Christ ‘, etj'accomplis dans ma chair ce
qui manque aux soufl'rances de ce Sauveur 9.
1 Galat. , c. 6, v. 7. -- z Coloss., c. I ,v. °2.6.
526 v° ions. m‘ MÉDITATION.

t - - ' 'r: .': -:ntz: 1. ““ m:.__."-.1t'

lIlc MEDITATION.

JESUS-GHBIST DEMEURE TROIS JOURS AU TEMPLE.

Avorüuement.

Le but de cette méditation est de détruire, par un


généreux effort, toute affcction trop naturelle l°pour
nos parents et nos proches, 2° pour nous-mêmes et
les satisfactions de notre chair , 3° enfin pour quelque
créature que ce soit, à laquelle notre cœur serait
trop fortement attaché. et qui serait un obstacle à
cette indifférence que nous recommandons sans cesse;
afin que , tous nos liens étant ainsi brisés, nous de
venions pleinement indifférents pour tout et prêts à
choisir ce que Dieu veut que nous choisissions. même
l’état religieux; ou, si nous sommes déjà engagés dans
quelque était , que nous soyons dans la ferme résolu
tion de nous y élever à un degré de perfection aussi
sublime qu'il'plaira à l'Esprit-Saint de nous appeler ,
en lui sacrifiant cette créature , cette affection trop
naturelle , pour laquelle notre cœur a une attache
excessive. Trois motifs doivent nous déterminer à ce
généreux effort : 1° l'exemple de Jésus-Christ , 2° l'es
poir de la réeom pense , 3“ la crainte du châtiment.

Premier Point.

L'esremple de .Ïéaus- C/n'irt. il est certain que 'les


parents de Jésus-Christ, possédant les plus précieux
?
dons de la nature et de la grâce et une sainteté par
faite , étaient Vraiment dignes de tout amour; il est
certain que J.-C. les chérissait de l'amour le plus ten'
JÉsos-cumsr ours L8 'reupus. 527

dre et le plus ardent; il est certain , par conséquent,


qu'il lui fut très-diflicile et très-pénible de se séparer
d'eux; et cependant, à peine ce Sauveur si obéissant
eut-il connu la volonté de son divin Père, qu’oubliant
tous les avantages que lui offrait la maison paternelle,
renonçant entièrement à la consolation qu'il trouvait
dans la familiarité de ses amis et de ses proches, et
surmontant enfin l'extrême douleur que son absence
allait causer à ses parents , il les abandonna sans
même leur faire ses adieux , et, prêt à tout , se ren
dit au temple où il était appelé : là, dans un entier
dénûment de toutes choses , il se dévoua sans réserve
au service de son Père, nous laissant cette grande
leçon, que nous devons , malgré tous les obstacles,
sacrifier à notre souverain Créateur , dès le premier
instant que nous connaissons qu'il l'exige, tout ce
que nous avons de plus cher.
J'entends votre plainte : Hélas ! c'est aggravei
cruellement la blessure que de demander le sacrifice
de telle ou telle chose JV.; c'est exiger plus que la
moitié de moi-même, répondrez-vous. Mais jetez donc
les yeux sur Jésus-Christ; comparez à ses parents vos
propres parents ou la créature à laquelle vous êtes
tant attaché; comparez vos raisons d'aimer les objets
qui vous sont chers à celles qu'eut Jésus-Christ d'ai
mer ses parents; mettez en parallèle cette affection
vicieuse que vous avez pour vous-même et pour vos
satisfactions, avec ce divin amour que le Sauveur se
portait à lui-même et par lequel il donnait à sa sainte
humanité les soins qui lui étaient dus. O que de rai‘
sons établissent entre ces choses une énorme difié
rencc! et cependant il a tout sacrifié des le premier
signe de la volonté de son Père; et vous trouveriez
pénible d'immoler en victime à ce même Dieu , et en
vous procurant un mérite éternel , cette affection vi
cieuse , qui est si dangereuse pour vous!
528 v° men. in‘ MÉDITATION.

Mais , objceterez-vous, l'amour des parents ne


peut-il pas exister avec l'amour de Dieu? Oui, j’en
conviens; mais il n'existera pas probablement dans
une âme appelée à l'état le plus sublime. Cette âme
encourra le danger de tomber dans de grandes fautes
et de périr éternellement, en punition de ce qu'elle
a négligé sa vocation. Jésus-Christ , avant de com
mencer l'œuvre de la rédemption des hommes, quitte
une Mère si sainte et si chérie; et c'est dans les em
brassements de la vôtre que vous voulez être prophète
et apôtre! Sachez que c’est là le langage de la nature
et non celui de la grâce. Ah! les ennemis de l'homme
sont les gens de sa maison ‘ : ennemis d'autant plus
dangereux qu’ils ont plus de douceur , et que leur
unique but est de chercher leur avantage et non pas
la vertu , de se chercher eux-mêmes au lieu de cher
cher Dieu.
Mais d'ailleurs, puisque Jésus-Christ , pour obéir
à l’ordre de son Père céleste, a abandonné même les
avantages les plus innocents de la maison paternelle,
puisque non-seulement il a quitté cette maison , mais
qu’il s'est encore quitté tout entier lui-même, il nous
serait honteux de nous décourager et de trembler
de le suivre dans la voie perfection , retenus par le
coupable amour de nous-mêmes et par les satisfac
tions dangereuses d'une chair qui doit pourrir. Loin
de moi , Seigneur , une aussi injuste conduite envers
vous! Me voici indifférent pour tout état, et prêt,
dans l’état que j'ai déjà choisi , à tout degré de per-
fection : c'en est fait, je vais vous immoler aujour
d’hui en victime cette affection déréglée qui sépare
mon cœur de vous. Le sacrifice de cette créature sera
le prélude d'une vie plus sainte. '
lllatth., c. [2 , v. 36.
JÊSUS-CHRIS°I° DANS LE TEMPLE. 529

Deuxième Point.

L’espoir de la récompense que nous obtient ', dès


cette vie, ce sacrifice de nous-mêmes. Elle consiste 1°
dans une paix assurée de l'âme, qui surpasse tout
sentiment ‘ , et qui est un avant-goût de cette tran
.quillité céleste dont jouissent les bienheureux dans
le paradis; car un vrai disciple , ayant détruit son
amour-propre et ses affections vicieuses , qui sont la
source de tous les troubles , ne peut mener une vie
couverte de tristes nuages.
2° Elle consiste dans une familiarité intime et une
douce union avec Dieu; car l'obstacle qui était entre
Dieu et l'âme , je veux dire cette créature qui avait
jusqu'ici séparé de son Créateur le cœur de l'homme,
et qui avait tari les sources des grâces, étant levé , les
trois personnes divines viennent en lui , y font leur
demeure 2, se communiquent très-libéralement à son
âme avec tous leurs trésors et l’inondent de tout un
fleuve de délices.
3° Elle consiste dans une providence particulière
dont le Dieu de bonté favorise et protége spéciale
ment ces âmes fidèles , par laquelle il les gouverne et
procure que tout leur arrive à bien 5. Comme elles
ont , en effet , abandonné leurs intérêts pour se dé
vouer entièrement à leur Créateur , et qu'elles ont',
par ce généreux renoncement , jeté en lui tous leurs
soins, c'est pour cela que Dieu , qui ne se laisse
jamais vaincre par la créature, veille, de son côté , à
leur bien avec une singulière attention , et leur fait
trouver le mérite dans la tentation même 4.
En un mot, ce que le Seigneur dit autrefois à
Abraham , qui allait immolcr son fils '[saac , il le fait

lPhilip.,e. À,v. 7. — 2Jean, 0.14, v. 23. — 3ROm.,


c. 8, v.28. — 4 ICor.,c. l0,v.13.
I. 28
550 VO men. in° MÊDITATION.

encore entendre à ses vrais disciples: parce que vou:


avez fait cela et que' vous n'avez point épargné ‘ cette
mauvaise affection , je vous comblerai même surla
terre de bénédiction et de bonheur. Et , en effet,
une prudence toute céleste , un don particulier d'o
raison , une constance héroïque dans les adversités,
une admirable présence d'esprit dans les occasions
imprévues, enfin une facilité surprenante dans la
pratique des vertus , sont autant de faveurs dues à
de telles âmes.
Comparez maintenant tous ces dons célestes avec
la satisfaction que vous pouvez quelquefois trouver
dans vos proches , dans telle créature et dans les déli
catesses de votre chair , et dites, s’il n’y a pas une
sorte de démence à refuser à votre âme tant de déli
ces , de dons et de grâces si grandes et si précieuses,
pour un plaisir aussi vil, aussi court et aussi médio
creï' car, si c'est une folie d'aimer mieux se charg’er
d'une boîte remplie de pierre, que si elle était pleine
d'or; si c'est une sottise de ne point accepter un
diamant qui nous est offert , pour n'être pas obligé
de jeter un morceau de verre que nous tenons dans
nos mains; que sera-ce de ne vouloir pas quitter la
créature pour posséder'le Créateur, et d'aimer mieux
se priver de Dieu que d'un peu de boue î' Qu'est_ce
donc. en définitive , que ce désir et ce rien auxquels
votre cœur se tient si fort attaché par une affection
désordonnée, autre chose qu'un peu de paille que
la flamme va consumer?
O Seigneur! la confusion couvre mon visage quand
je pense à ma folie. Ah! de purs riens ont aveuglé
mon esprit et l'ont réduit à une honteuse servitude ;
mais. je ferai mieux à l’avenir : je promets de vous
sacrifier en hashe de louange 2 cette mauvaise affec

' ‘ Gen., 0. 22,v. l6. — 212g. n.5,&.,17.


JËSUS-CHRIST mas LE TEMPLE. 551
tion 1V. L'espoir des.biens que je dois en retirer , '
même dès cette vie , m'animera comme un aiguillon
pressant à faire ce sacrifice, à remporter cette victoire
sur moi-même.
Troisième Point.

Les châtiments qui arrivent a celui qui refuse ce


sacrifice. Ce sont 1° la perte de grandes et de nom
breuses grâces que Dieu retirera à ces âmes rebelles;
2° les violentes tentations à la fureur desquelles elles
seront livrées; 3° la tiédeur profonde , dans laquelle
on les laissera croupir jusqu’à la mort; 4° les différen
tes adversités qui les traverseront, Dieu armant contre
elles toute créature, en punition du dédain outrageant
avec lequel elles lui refusent telle ou telle chose ]V.
De plus, ce souverain Maître ne se sert point , pour
opérer le salut des autres , du ministère d'un tel
homme qui résiste obstinément à ses divines inspira
tions , et qui veut partager son cœur entre Dieu et le
monde. Le cri de ses instructions et de ses exhorta
tions ne sera point cette parole qui brise les cèdre: ’,
parce qu'elle n’est pas une parole de vertu2, mais
parce qu'elle n'est qu’un airain sonnant et une cym
balte retentissante 3.
Cet homme opiniâtre ne sera qu'un sépulcre blan
chi ‘, offrant au dehors l'apparence d'un bon reli
gieux, et rempli au dedans de mauvaises affections ,
qui l'agitent dans tous les sens ,äcomme les bonds
inégaux d'une balle de paume : ä‘a prière même se
tournera pour lui en péché , parce que la grâce de
bien prier lui a été ôtée : Satan se tiendra à sa droite,
cherchant toutes les occasions de lui nuire : sesjour:

1 Ps. 28, v. 5. - 2 Ibs'd. 67, v. 3h. * 31cm., c. 18 , a 1.


4 Matin, c. 23, v. 27. .., .
552 v’ tous. me MÉDITATION.

seront peu nombreuse, si on les compte par la quan


tité de ses mérites au lieu de les compter par ses
années. Un autre sera mis à saplace, à qui on accor
dera ce vêtement de gloire, ce trône et cette couronne
qui lui étaient préparés dans le ciel et qu’il a per
dus. Il n'a pas voulu de la bénédiction attachée à la
victoire sur soi-même , et elle lui sera refusée; il a
préféré la malédiction dont sont menacés les esclaves
de la chair , et elle tombera sur lui ‘.
Les mépris et les douleurs seront la portion de son
héritage 2 , parce qu'il a refusé d'immoler à Dieu ce
point d'honneur et ces plaisirs du corps , dont le Sei
gneur lui a cependant demandé le sacrifice par tant
d'inspirations. Il sera longtemps et cruellement tour
monté par les maladies , en punition de sa gourman
dise et de ses autres sensualités. Ses proches, pour
l'amour de qui il a résisté à la vocation du ciel, lui
deviendront un sujet de honte et d'ennui. Le'Tout
Puissant maudira ses bénédictions , c'est-à-dire que
ses vertus mêmes ne seront pas agréables à cette
céleste Majesté, parce que la volonté propre s’y
trouve, puisqu’elles auront été pratiquées hors de
cet état auquel Dieu l'appelait. Ce reproche l'ou
droyant : Je t'ai appelé, et tu n’as pas répondu;j'ai
étendu ma main, et tu n'as pas regardé...; moi,
maintenant , je rirai et je me moquerai de toi 3 : cette
menace foudroyante, dis-je , retentira comme un
tonnerre qui se fait continuellement entendre à ses
oreilles coupables , et déchirera sa conscience d'un
remords éternel.

AFFECTIONS .

Je crois, Seigneur , que celui qui aime son père ou

‘Pu.' 108, v. 6 et suiv. — ‘P5. 15, v. 5. - 3 Prov., c. I, v. 24-


JÉSUS-CURIST DANS LE TEMPLE. 555

sa mère plus que vous, n'est pas digne de vous ‘; je


crois que personne ne peut servir deux maîtres, Dieu
et l’argent 2 , la grâce et la chair ; je crois que celui
qui n’est pas avec vous est contre vous, que celui qui
n'amasse pas avec vous dissipe 5, et, par conséquent,
que vous ne recevez point la moitié du cœur de celui
qui vous le refuse tout entier ; je crois que vous dé
testez celui qui penche des deux côtés ‘ , et qui tente
de réunir Jésus-Christ et Bélial , l'arche sainte et
Dagon.
C'est pourquoi, ô Seigneur! je crains les châti
ments dont vous menacez ceux qui, sans vous écou
ter , résistent quand vous les appelez à la perfection ;
qui refusent par lâcheté d'imiter votre exemple , de
vous suivre de plus près comme leur chef, et qui
veulent absolument partager leur cœur avec vous.
Je tremble d'entendre éclater sur moi cette terrible
menace de la sainte Ecriture : J'ôterai le chandelier
de sa place ;je vous enlèvërai le royaume de Dieu ,
etje le transporterai à une autre nation, à un autre
religieux , qui en produira les fruits ‘3. Je redoute
d’entendre aussi unjour moi-même, de la bouche de
mon ange gardien , cet arrêt prononcé par Samuël :
Parce que vous avez rejeté la parole du Seigneur ,
en résistant à sa volonté, le Seigneur vous a rejeté 7,
pour que vous ne soyez pas du nombre de ces hom
mes par qui le salut viendra à Israël 8. Cette conti—
unité de grâces qui vous étaient destinées, sera don
née à un autre meilleur que vous. Qui, dis-je, je
redoute que mon ange gardien ne me fasse aussi
entendre ces menaçantes paroles; car ce qui est arrivé
à uneinfinité d'autres peut m'arriver également. Qui
‘Mattlr, c. 10, v. 37. — 2 Ibid.,c. 6, v. 24. — 3 Ibid. , c.
12, v. 30. — 4 111 Bois, e. 18, v.2l. — 5 Apoe.,c. ‘2, v- 5. —
6lllattl1.,c.îll , v.48. —- 71 Rois, e. l5,v. 23, -— 8 l Macch. ,
c. 5, v. 52.
534 v° JOUR. m° mämmnon.
sait si je ne suis pas du nombre de ceux qui seront
réprouvés, s’ils ne deviennent de grands Saints, et
qui n'auront aucune place dans le ciel, s'ils n'y occu
pent les premières.
Oh ! quelle douleur tourmentera un jour mon âme,
quand, au moment de mourir et d'être jugé , on
mettra sous mes yeux cette longue continuité de-grâ
ces et de faveurs célestes dont Dieu m'aurait comblé, '
si je lui eusse offert le sacrifice de tel ou tel objet IV.;
si j'eusse obéi à sa voix; si je me fusse séparé de cette
créature ; si j'eusse remporté sur moi cette victoire. O
malheureuse affection! m'écrierai-je alors avec gémis
sement , qui m’a rendu si différent de Jésus-Christ ,
qui m'a privé de tant de récompenses et exposé à tant
de châtiments. O mon Sauveur! vous avez été , dans
le temple de Jérusalem , le modèle accompli d'une
âme docile à la voix de Dieu, d'une parfaite abnéga
tion et d'un cœur vide de tout désir terrestre. 0 com.
bien unjour votre exemple mecouvrira de confusion!
(J’en est fait, maintenant je promets de vous imi
ter ; je le proteste, je vais commencer. une vie plus
sainte par le sacrifice de telle créature 1V. , par telle
victoire sur moi-même IV., par tel acte héroïque 1V.
que vous demandez de moi. Me voici indifl'érent pour
tout , pour tout état, ou pour tout degré de perfec
tion auquel vous voulez que je m'élève dans l'état
quej'ai déjà choisi : faites-moi seulement connaître
votrevolonté.
AVERTISSEMENT .

Il sera 'très-utile de lire, dès aujourd’hui , le S I"


de la lecture spirituelle de demain pour recueillir un
plus grand fruit dela première méditation du sixième
jour.
J
FIN DU TOIE PREMIER.
TABLE DES MATIÈRES
CONTINU]! Mil Il T01!!! 1".

Pull.
Avertissement du traducteur. 7
Lectures particulières pour la retraite de huitjours. 11
RETRAITE DE HUIT JOURS.
Préface de l'auteur. . l3
la traduction aux Exercices de Retraite. 17
PREMIER JOUR.
1"' Ilinrunou. De la fin de l'homme. 45
Lac-mu. Sur le premier exercice, que S. Ignace appelle le fondement. 52
Il" Mitnrrnlon. De la fin de l'homme religieux. 7l
CoIS'IDIIATIoN. Sur l'indi/fe'rence à tout lieu, charge , emploi et étatdc
santé. 79
EXAIII. Des obstacles à l'indifférence. 89
[11° Mini-“non. Répétition des deux précédentes. 91
DEUXIÈME JOUR.
1" Mémrnrou. Du châtiment du péché des anges et du péché d'Adarn. 99
Lien“. De la douleur et de la haine du péché. l I0
I1” MI’Inn-u-Ion. De nos propres péchés. 33|
Consmtmnon. De la double racine des péchés. H0
EXAMEN. Sur les defauls qui viennent de l'orgueil et de l'amour--propre 152
III° Mtmnnom De l'enfer. l56
TROISIÈME JOUR.
1" MÉDITATIoN. De la mort. ' l68
Luron. Sur la connaissance de soi-même. . 177
11° MÉDI‘I-ATIŒI. Du jugementparticulicr. l92
CoasmÉunox. Méthode pour se préparer à la mort. ‘99
"1° lltnrn'noa. De l'enfant prodigue. 208
QUATRIÈME 101m.
Aoertissemen t. 217
I" lllx’mlrnmn. Du règne de .la'stts- Christ. 218
Lscrun. De l'imitation de Jésus- Christ. 2'25
ll° MÉDITA'I-Ion. De l'incarnation. 247
COMIDÉIATIoN. Sur l'humilité. 255
Ennxn. Sur la même vertu. 263
lll" Mémnrwn. De la Nativité de Jésus-Christ. ' 267
CINQUIÈME JOUR.
1" MÉDITATION. De la fuite de Je'sus- Christ en Egyptc. 273
Luron. Sur la préparation de l'âme à l'élection. 280
11° llûmnnou. De la vie cachée de Jésus-Christ. 30‘
CQMIDËIM-IoI. De la momification. 310
Ennui. Sur la même vertu. 320
Il!‘ Mñmruxox. Js'sus- Christ demeure trois jours au temple. 326
H1! Dl LA TAILI.
LECTURES PARTICULIÈRES
roux
LA RETRAITE DE HUIT JOURS.
PREMIER JOUR. — l" Mimnnon. Mallh. , chap. 6, verset l9,jusgu'à la
fin. — lmi'lation de J.-C., liv. 3, chap. 37.
11° MÉDITATIon. Philip. , e. 3, o. 7,jusqu'à la fin. — Imilat. , l. 8, c. IO.
III° Msmrnlon. Lue, 0 I2. -— ImiL, l. 3 , 1'. I7.
DEUXIÈME JOUR. -— I" MÉDITATIon. Il Pierre, 0. 2. -— ImiL', l. 3 , c. l4. .
Il" Mtmnnon. IJean, c. 2, o. l- 17. — Inn'l. , l. 3 , cs7, 11° 2. _
III" Mitmnnos. Mallh. , c. 25. — Imital., I. l , c. 24 , n" 3, 4 , 6e! 7. j
TROISIÈME JOUR. — I“a MÉmnnox. Rem. , c. 5. — Imil. , l. l , c. 23. i
l
Il” Mi'amnnon. Il Cor. , c. 5. -- Imilat. , l. l, e. 24 - n° l , 2, 4 et 5.
111° MÉDITATIon. Luc, c. 15. - Irm'lat. , l. 4 , c. 9, n° 2, 3 e16. iI
QUATRIÈME JOUR. — l" MÉDITATIoN. Jean , c. [5. -— Imit. , I. l , c. l , n°1
Iel2;l.2,c.l,n°let2. "
II° Mlolrnloa. Plu'h'p. , c. 2. — Imilat. , I. 2 , o. I , n° 5 cl 6. - 3
111° Mtnlnnou. Lue, 0. 2, v. l-20. — Imr'lal. , I. 3, 0. IS. 3 '
CINQUIÈME JOUR. — l" Mtmnnon. lle'br. , c. 3. -— Imr'l. , I. 3 ,0. I5. .l
II° Ms’mnnon. Philipp. , r. 4. — Imilal. , l. 3 , 0. I3. '
Ill” Mioirnxos- Mail/r. , 0. 10,17. 28, jusqu'à la fin. -— ImilaL, l. 3, c. 323;
SIXIÈME JOUR. — 1"' Mitmrnlos. Il Con, c. 6. —- ImitaL, l. 3, c. 56. ' '
Il" MÉDITATIon. GaIal. , c. 3. — ImiL, I. 3, c. 27.
III" Msmnnor. Malt/1., c. 5. -— Imilat. , I. 2 , c. il.
.a.‘
vu. ='{'
SEPTIÈME JOUR. —- I" Mitmnnos. Jean, c. I8. — ImiL, 2'. c. 2,- l. 3
6. 4l.
11° Mlmnnon. Jean , 0. I9, o. 1-27. — 14m. , l. 3 , 0. I9.
III° Mini-“non. Lue, c. 23 — ImilaL, l. 2, c. 12, n° I , 2,5, 6, 7 et 9.
HUITIÈME JOUR. — I" MÉIIITA'I-Ion. 1 Cor. , c. I5. -- ImilaL, l. 3 , c' 49' 1-.
Il° MÉDITATIoN Jean, c. 14. — Imilat. , l. 2 , c. 7 et 8.
"1° MÉDITATIoN. IJean , c. 4. -— lmilat. , I. 3 , c. 34.
thauudm
...J'

LEC'I'URES PARTICULIÈRES
POU!

LÀ RETRAITE DE TROIS JOURS.


Mtmunou on u “un. Jacq. , c. l. Imilat. de J.-C. , I. l , c. 20.
PREMIER JOUR. -— I" MÉDITATIoN. l Thcss. , o. 5. —— IIm'lal. , I. l , c. 24.
“" Mimmnon. Mail/i. , c. Il. -— Imitat. , l. 3, e. 55. «'b.
DEUXIÈME JOUR. — I" MÉDITATIon. Matlh. , c. 20. -— lmilat. , l. l , c. I5 '
II° Mñmnnon. Lue , e. 18 , — Imital. , l. 4 , c. l5.
TROISIÈME JOUR. — I" Msmrnion. Rem. , 0. I2. — Imitat , l. l , c. 2 013
Il” Msmrnlos. Colon. , c. 3. —— Imital. , l. 3 , c. 27.

FIN.
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