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L’évolution psychiatrique 81 (2016) 605–623

Article original
Schizophrénie et délire夽
Schizophrenia and delusion
Nicolas Brémaud (Psychologue clinicien, Docteur en psychopathologie,
membre Associé laboratoire psychopathologie
« Nouveaux symptômes et lien social ») a,∗,b
a EA4050, université Rennes II Haute-Bretagne, IME « Le Marais », 13, rue Saint-Dominique, 85300 Challans, France
b IME « Les Terres Noires », route de Mouilleron, 85000 La Roche/Yon, France

Reçu le 29 mai 2015

Résumé
Objectifs. – L’auteur se demande si l’on peut donner une caractéristique du délire dans la schizophrénie, et
si même il est rigoureux de parler de « délire » au sujet de cette psychose.
Méthode. – Nous reprendrons les grands travaux psychiatriques et psychanalytiques – depuis Bleuler – qui
ont ainsi tenté de délimiter, de circonscrire et de définir le délire dans la schizophrénie. Cette revue de la
littérature est suivie d’une proposition de l’auteur quant à ce que pourrait être cette spécificité du délire
schizophrénique, la distinguant en ce sens des autres formes de psychoses.
Résultats. – Il semble bien que ni les idées délirantes (leurs thèmes, leurs contenus), ni les hallucinations, ni
aucun symptôme psychotique ne parvienne à spécifier la schizophrénie au regard des autres psychoses. Par
contre, le rapport du sujet au langage, au signifiant, à la parole, nous donne semble-t-il des clés intéressantes
pour répondre à notre question. Dans nulle autre psychose en effet le langage ne subit de telles contorsions, de
telles attaques, de telles inventions ou manipulations. Lorsque le sujet schizophrène délire, ce délire pourrait
bien être qualifié de délire langagier, ou de délire de « lalangue », selon le néologisme lacanien.
Discussion. – Dans la plupart des études consacrées à la schizophrénie, traiter du délire ou des hallucinations
amène quasi systématiquement à traiter de la « réalité », ou du moins à la mettre en regard. Mais la « réalité »
comme telle renvoie à une pseudo-norme commune. Un autre abord de la psychopathologie est possible,
notamment en considérant le discours, la parole du sujet, son rapport à la langue « maternelle », au langage.
C’est aussi une façon de considérer le sujet, son positionnement, alors que l’approche par le rapport à la dite
réalité ne peut qu’entraîner une conception déficitaire de la schizophrénie.

夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Brémaud N. Schizophrénie et délire. Evol Psychiatr année; Vol. (no ):

pages (pour la version papier) ou adresse URL et date de consultation (pour la version électronique).
∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : bremaudnicolas@yahoo.fr

http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2015.09.004
0014-3855/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
606 N. Brémaud / L’évolution psychiatrique 81 (2016) 605–623

Conclusion. – Les « troubles du langage », si nombreux dans la schizophrénie, reflètent certes la désorga-
nisation, la non-structuration du champ du symbolique, mais, en outre, on ne peut que constater aussi que
l’usage que fait le schizophrène de sa langue maternelle lui sert aussi à mettre son semblable à une distance
respectable. Délirer la langue est peut-être bien l’une des portes de sortie du schizophrène pour éviter le
chaos et pour retrouver un simili lien social, pas trop envahissant, pas trop menaçant.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Schizophrénie ; Délire ; Réalité ; Langage ; Psychiatrie ; Psychanalyse

Abstract
Objectives. – The author wonders whether delusion in schizophrenia has special characteristics, and whether
it is really accurate to use the term “delusion” in the context of schizophrenia.
Method. – We first return to the most important psychiatric and psychoanalytic work – since Bleuler – that
has attempted to outline or define delusion in schizophrenia. After this review, the author proposes his point
of view on the possible specific nature of delusion in schizophrenia, a characteristic that might distinguish
delusion in schizophrenia from other psychoses.
Results. – It seems that neither delusional ideas (their themes, their content) nor hallucinations, nor any
psychotic symptom can distinguish delusion in schizophrenia from that occurring in other psychoses. On the
other hand, the subject’s relationship with language and with significant speech give us interesting keys to
answer our question. In no other psychosis does language exhibit such contortions, attacks, manipulations or
inventions. When the schizophrenic subject is delusional, this delusion could be termed “language delusion”,
or “lalangue delusion” to use Lacan’s term.
Discussion. – In most studies on schizophrenia, the consideration of hallucinations and delusion almost
inevitably leads on to consideration of their links with “reality”. But what is reality, apart from a common
pseudo-norm? Another psychopathological approach can be proposed, involving particular attention to the
study of the subject’s word and language, and links between the subject and his “maternal” language and
language in general. This approach reinstates the subject in relation to his particular positioning, rather than
in relation to “reality” which can only lead to viewing schizophrenia as a deficit.
Conclusion. – Language disorders, very frequent in schizophrenia, reflect a disruption rather than a struc-
turing of the symbolic dimension, but it can be thought that the particular usage of “maternal language”
by schizophrenics is also a attempt to keep others at a safe distance. Delusional language could be a way
of avoiding chaos, and of recovering a semblance social connectedness that is not too intrusive, nor too
threatening.
© 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Schizophrenia; Delusion; Reality; Language; Psychiatry; Psychoanalysis

« Le langage est chose superflue »


F. Hölderlin, Hypérion [1]

1. Introduction

« Schizophrénie et délire » est une question plus compliquée qu’on ne le pense. Il est de pra-
tique courante, lorsqu’on parle de schizophrénie, d’évoquer à la fois le délire et les hallucinations.
N. Franck le rappelait, il y a peu : « les principaux symptômes positifs de la schizophrénie sont
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les hallucinations et le délire », lesquels « représentent l’expression la plus manifeste de cette


maladie » [2]. Mais délire et hallucinations, on le sait, sont aussi deux symptômes rencontrés dans
bien d’autres formes de psychoses, des symptômes qui ne se présentent donc pas de façon exclu-
sive dans la schizophrénie, qui ne sont pas spécifiques à celle-ci : « aucun symptôme, rappelle
N. Franck, ne permet d’affirmer le diagnostic de schizophrénie (. . .). Tous les symptômes schi-
zophréniques peuvent être observés dans différentes affections » [2]1 . Si délire et schizophrénie
semblent inséparables, la clinique nous montre combien sont différents les délires schizophré-
niques des autres délires. Quels seraient les caractères spécifiques du délire schizophrénique ? Y
en-a-t-il ? Et par ailleurs – c’est à questionner – peut-on même à proprement parler user du terme
de « délire » pour la schizophrénie ? Le délire correspond-t-il bien au mode de vécu de l’existence
du sujet schizophrène ? Pour H. Ey les choses sont claires : « ce qui caractérise avant tout la forme
d’existence schizophrénique, c’est le délire » [5]. Nous proposons ici de revenir sur les grandes
références psychiatriques et psychanalytiques qui ont contribué à délimiter cette question du délire
schizophrénique, celles qui ont pu y apporter quelques lumières, ou quelques ombres.

2. E. Bleuler : idées délirantes et délire fondamental

Si l’on associe si facilement aujourd’hui le délire à la schizophrénie, il faut pourtant constater


que ce n’était pas nécessairement le cas pour le « père » de la schizophrénie, à savoir E. Bleuler.
En effet, pour lui [6], la schizophrénie ne se définit pas tant par le délire que par la « scission »
des fonctions psychiques. On peut noter en outre que la schizophrénie se caractérise aussi par le
« détachement de la réalité combiné à la prédominance relative ou absolue de la vie intérieure ».
Cela nous ramène en un sens certes à la question du délire, mais Bleuler il est vrai met au total
assez peu l’accent sur le délire schizophrénique comme tel. Reprenons sa définition célèbre de la
schizophrénie : « groupe de psychoses qui évolue tantôt sur le mode chronique, tantôt par poussées,
qui peut s’arrêter ou rétrocéder à n’importe quel stade, mais qui ne permet pas de restitutio ad
integrum complète. Ce groupe est caractérisé par une altération de la pensée, du sentiment et des
relations avec le monde extérieur d’un type spécifique et qu’on ne rencontre nulle part ailleurs.
Il existe dans tous les cas une scission plus ou moins nette des fonctions psychiques (. . .) ». Pour
Bleuler, ce qui caractérise très spécifiquement la schizophrénie, c’est l’altération particulière de
la relation de réciprocité entre monde intérieur et monde extérieur. En effet, souligne-t-il, pour le
schizophrène « la vie intérieure acquiert une prépondérance pathologique (. . .). Les schizophrènes
les plus graves (. . .) vivent dans un monde en soi (. . .) ; ils limitent le contact avec le monde
extérieur autant qu’il est possible. Nous appelons autisme ce détachement de la réalité (. . .) ». Peu
de lignes dans son ouvrage sont consacrées spécifiquement au délire. Même après des passages
comme celui-ci : « pour les malades, le monde autistique est tout autant réalité que le monde réel,
encore que ce soit parfois une autre sorte de réalité. Ils ne peuvent souvent pas distinguer ces deux
sortes de réalité », même après des passages comme celui-ci, donc, Bleuler ne s’arrête pas sur la
dimension délirante. Du moins semble-t-il plus disert sur les « idées délirantes » que sur le délire en
tant que tel. On perçoit ici une difficulté. Bleuler avance que « les idées délirantes du schizophrène

1 Franck N. Ce point important a été souligné depuis longtemps. Voir par exemple J. Wyrsch : « tous les symptômes isolés

que nous trouvons dans la schizophrénie, apparaissent de façon transitoire ou permanente dans d’autres psychoses (. . .). La
schizophrénie (. . .) ne se laisse pas définir par l’énumération des manifestations isolées car elle est toujours quelque chose
de plus que la somme des symptômes qu’elle présente » [3]. Un symptôme isolé n’est jamais pathognomonique d’une
structure clinique ; c’est un point connu depuis longtemps, Kraepelin déjà (comme bien d’autres à l’époque) écrivait : « un
symptôme, à lui seul, a peu de valeur » [4].
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ne représentent pas nécessairement une entité logique ; des idées qui ne vont pas ensemble ou
même se contredisent mutuellement, peuvent être présentes en même temps ou se succéder en peu
de temps. Même des idées délirantes compatibles ne sont pas facilement ordonnées en un système
logiquement élaboré (. . .) ». Tel semble être le terme important : « système ». Car pour Bleuler :
« selon notre conception, on ne devrait parler d’un système logique que là où tout se développe en
une construction logique à partir de quelques prémisses fausses. En ce sens, les idées délirantes
schizophréniques ne sont presque jamais systématisées. Généralement, elles souffrent plutôt de
contradictions et d’impossibilités ». Le passage est important : pour Bleuler, l’on devrait parler
avant tout d’« idées délirantes » dans la schizophrénie plutôt que de « délire » puisque ces idées
délirantes ne se systématisent pas (« la logique de nos malades est généralement déficiente »). Cela
semble clair, mais alors on peut s’étonner que dans un chapitre consacré justement aux « idées
délirantes », l’auteur mentionne « le délire d’empoisonnement », le « délire de persécution », le
« délire de grandeur », le « délire de jalousie », de « possession », de « petitesse », etc. En outre
Bleuler un peu plus loin écrit : « il est encore totalement impossible de formuler des règles de la
genèse du délire schizophrénique »2 . Il y a donc sans cesse une alternance, et parfois un calque,
entre idées délirantes et délire. Plus ambiguë encore semble être la formulation suivante : « parmi
les différents types d’idées délirantes, il faut tout d’abord mettre en relief le délire fondamental :
le malade est persécuté, puissant, prophète, aimé. Le délire fondamental est porteur de la direction
du délire ». Ce délire fondamental, donc – qui orienterait la « couleur » du délire, sa thématique –
constituerait un type d’idées délirantes schizophréniques. Sans aller davantage dans le détail,
retenons peut-être simplement ici pour ce qui nous intéresse que Bleuler évoque bien plus les
« idées délirantes » que le « délire » du schizophrène dans la mesure où ces idées ne s’associent
pas entre elles (« relâchement primaire du tissu associatif »), ne font pas système du fait de la
dissociation psychique, d’où « un tas désordonné d’idées délirantes, un “chaos” délirant ». Notons
que dès 1912, Trénel [7] avait fait une présentation claire et fidèle de l’ouvrage de Bleuler. Au
sujet des idées délirantes et du délire dans la schizophrénie, il résume ainsi : « les idées délirantes
(. . .) ont comme caractère général de ne présenter aucune unité logique ; les idées les plus variées
et les plus opposées peuvent coexister ou se suivre ; elles ne sont pas systématisées, ou quand
elles le sont (délire de persécution) les détails n’en constituent pas une construction logique ; c’est
un délire chaotique » (expression que l’on doit semble-t-il à Schüle). C’est, plus ou moins, l’idée
que l’on se fait encore de nos jours de la schizophrénie.

3. E. Minkowski : le délire compensatoire

Nombreux sont les travaux de Minkowski consacrés à la schizophrénie. Le principal d’entre


eux reste son ouvrage de 1927, sur lequel nous allons revenir. Auparavant mentionnons toutefois
un article de 1925 sur « La genèse de la notion de schizophrénie et ses caractères essentiels »
[8]. Après y avoir fait un retour sur la conception de la démence précoce selon Kraepelin, sur la
définition des principaux états d’aliénation selon Binet et Simon, et sur les folies discordantes
de Chaslin, Minkowski expose la conception de la schizophrénie selon Bleuler. Il commence par
résumer les troubles essentiels de la schizophrénie : (a) une pensée qui « ne s’oriente plus vers un
but précis et n’est plus guidée par une idée directrice » ; (b) des troubles de l’affectivité (une affec-
tivité altérée, qui « paraît entièrement autonome (. . .), fixe et rigide » ; et enfin (c) l’ambivalence,
à savoir « le fait d’affirmer et de nier la même chose en même temps, d’aimer et de haïr

2 C’est nous qui soulignons.


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simultanément la même personne ou le même objet ». Ces troubles essentiels constituent ce


que l’on peut nommer avec Bleuler la « schizophrénie simple ». Les choses se compliquent, pour
Minkowski, lorsque Bleuler avance l’idée des « schizophrénies latentes ». Il en conclut d’ailleurs
ceci : « le domaine de la schizophrénie devient démesurément vaste. Les limites paraissent se
perdre dans la brume de l’infini. Le reproche sera adressé à Bleuler que sa schizophrénie est deve-
nue un synonyme d’aliénation mentale (. . .). L’extension que prend la notion de schizophrénie
devient inquiétante ». Propos pleins de justesse, qui restent encore aujourd’hui d’actualité. Pour
Minkowski, la schizophrénie est une « maladie de direction » : les diverses facultés, tout en restant
intactes, « s’engagent dans une mauvaise voie, en s’éloignant de plus en plus de buts réels ». Par
ailleurs elle n’a pas nécessairement l’évolution déficitaire que lui trouve Bleuler : « les forces
vives de l’individu, écrit Minkowski, altérées quant à leur direction, ne s’en vont pas dans le vide,
elles s’orientent au contraire vers un contenu positif, vers les complexes, et y restent fixées d’une
façon pathologique ». Dès lors, le tableau clinique de la schizophrénie « ne ressemble plus en rien
à un processus uniquement destructif ». Toutes les idées de Minkowski présentes dans cet article
comme dans d’autres qui le précèdent ou le suivent, vont être dépliées dans son célèbre ouvrage
sur La schizophrénie [9] (1927). Jusqu’ici, peu ou pas d’évocation du délire. Pas beaucoup plus
dans cet ouvrage d’ailleurs, mais des concepts, des notions, des idées, des propositions qui nous
indiquent la position de l’auteur relativement à la question du délire dans la schizophrénie. Pour-
suivant sa réflexion autour du « manque de buts réels », des troubles de l’idéation, du manque
d’idées directrices ou de contact affectif chez les schizophrènes, Minkowski, on le sait – forte-
ment influencé par l’œuvre de Bergson – va considérer que l’ensemble de ces troubles convergent
dans le fond « vers une seule et unique notion, celle de la perte du contact vital avec la réalité »
(perte du « dynamisme intime » de la vie ; « défaillance des facteurs dynamiques de la vie psy-
chique »). Notion certes entraperçue par Bleuler lorsqu’il insistait sur les perturbations profondes
du schizophrène avec le monde extérieur, mais qui ne lui donnait toutefois pas cette importance.
Pour Minkowski, c’est véritablement le point essentiel, le « point central de la schizophrénie »,
c’est le point générateur des autres troubles. Minkowski précise que tout schizophrène ne perd pas
tout contact avec la réalité : « tous les schizophrènes ne se détournent pas entièrement de la réalité
pour chercher un refuge dans les châteaux en Espagne de l’imagination. Certains, au contraire,
semblent se livrer à une activité ininterrompue ; ils le font cependant d’une façon profondément
morbide »3 . Cette perte de contact vital avec la réalité créerait un « trou dans le psychisme », et
ce dernier en viendrait à mobiliser des « moyens de défense pour combler » ce trou. Ainsi : « dans
ses constructions délirantes ou hallucinatoires (. . .) le malade réalise ses désirs et ses espérances
déçues (. . .). Le délire apparaît ainsi comme une compensation des heurts et des déceptions de la
vie ».

4. L. Binswanger : le délire comme métamorphose de la structure globale de la présence

Dans une étude célèbre sur la schizophrénie, Binswanger relate et analyse sous l’angle de
la phénoménologie « le monde de la terreur (le délire) » de Suzanne Urban [10]. Ce « monde
de la terreur » qu’est le délire, c’est plus précisément pour l’auteur le délire de persécution :
« dans ce monde de la terreur, dans le délire de persécution, tous les événements se présentent

3 J. Wyrsch s’était montré critique vis-à-vis de cette notion de « perte du contact vital avec la réalité » : il considérait

que c’était une vision « bien trop simpliste et univoque » car, ajoutait-il, « il est bien rare que ce contact ait complètement
disparu » [3]. Il n’avait probablement pas en mémoire les mots de Minkowski que nous venons de citer.
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non seulement sous forme de contacts avec le Soi, mais ils entremêlent leurs contacts, depuis le
contact électrique, en passant par le contact significatif, jusqu’au contact des persécuteurs et de
la victime ». C’est pour le schizophrène un monde particulièrement inquiétant, terrifiant, « rétréci
aux limites d’un “théâtre du délire” », avec un « sentiment d’être une simple marionnette dont un
inconnu tire les ficelles », un ennemi inconnu oppressant, dont l’emprise s’exerce à la fois « sur
le corps et sur l’âme » de Suzanne. Le délire, pour Binswanger, et la psychose même, n’est pas
une « maladie de l’esprit » mais bien plutôt « une forme d’être malade », c’est-à-dire « l’échec
de son accession à l’être » (à « être dans l’esprit »). Le délire n’est pas un trouble du jugement
(une erreur), ce n’est pas une altération de la perception sensorielle ; ces phénomènes seraient
pour l’auteur des « conséquences immédiates du bouleversement de la structure de l’être-dans-
le-monde pris comme un tout au sens de l’être-dans-le-monde délirant ». Binswanger se montre
critique vis-à-vis des conceptions freudiennes comme vis-à-vis de ceux qui se réfèrent aux théories
du délire comme « point d’appui » auquel le sujet tente de se « cramponner » (pour sauver le soi
de l’isolement), il est donc critique envers les théories qui évoquent le « besoin de délire » (Hagen,
Kahn), et il précise en ce sens : « de tels exemples montrent seulement que les malades préfèrent
une certitude – même si elle est “désespérée” – à un doute tellement torturant, mais quand même
pas au point que le délire en tant que tel n’en devienne une exigence ! ». Quoi qu’il en soit, le
délire en général, et le délire dans la schizophrénie en particulier, reste problématique, au point que
Binswanger lui-même à la fin de son étude peut écrire : « nous n’avons fait qu’ouvrir une brèche
dans le mur du problème du délire ». Pour Binswanger, en résumé, le délire doit être compris
comme « métamorphose de la structure globale de la présence ».

5. H. Ey : la schizophrénie est une espèce de délire

En 1958 : parution dans L’Évolution psychiatrique d’un texte important d’H. Ey : « Les pro-
blèmes cliniques des schizophrénies » [5]. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, le point de vue de
H. Ey y est clairement exposé : la forme d’existence schizophrénique se caractérise avant tout par
le délire (« toute schizophrénie est délirante »). Tous les symptômes classiques tels que stéréoty-
pies, négativisme, maniérisme, bizarrerie, ambivalence, repli sur soi, écho ou vol de la pensée, etc.
ne sont dans le fond que « l’expression d’un délire ». Les formes cliniques de la schizophrénie sont
certes plurielles, mais selon Ey « le commun dénominateur des diverses formes de schizophrénie,
c’est l’autisme, et l’autisme c’est le délire ». Ce sont essentiellement ces idées qu’il va développer
dans ce long article. La question du délire apparaît ici comme centrale, et complexe : « les pro-
blèmes les plus difficiles de délimitation de la schizophrénie posent le problème du délire (. . .).
Le problème du délire est comme le fil d’Ariane qui doit nous conduire à poser correctement le
problème de la définition de ce mode d’existence imaginaire, de cette destruction de la réalité, qui
caractérisent l’existence schizophrénique ». Ainsi, vouloir définir la schizophrénie suppose préa-
lablement de pouvoir définir le délire. Or, pour H. Ey, la schizophrénie est « une espèce de délire »,
ce dernier étant lui-même défini par l’auteur comme « une altération de la réalité qui exprime une
altération de l’être psychique, une déstructuration de la conscience, ou une désorganisation de
la personnalité ». La schizophrénie est une « espèce » de délire, au sens où elle « n’enveloppe
pas tous les délires, mais au contraire n’en représente qu’une typique mais particulière variété ».
Autrement dit, Ey fait entrer la schizophrénie dans le cadre des délires chroniques, des psychoses
délirantes chroniques, lesquelles « bouleversent essentiellement le système de la personnalité, les
idées et les sentiments de sa relation avec son monde ». Ces délires chroniques se subdivisent
en : (1) délires chroniques systématisés (paranoïa, paraphrénie), et (2) délires autistiques (schi-
zophrénie). Le délire du schizophrène – autistique, donc – consiste en un « anéantissement du
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Moi et de son univers, dans et par la constitution d’un monde imaginaire ». Ce délire autistique
n’est pas là d’emblée ; il survient progressivement : la schizophrénie se définit ainsi désormais
comme « une forme de délire chronique qui aboutit progressivement à un déficit autistique (. . .).
La schizophrénie ne peut être définie que comme une psychose qui constitue une espèce d’un
genre, celui des délires chroniques, caractérisé par sa tendance à la désorganisation de l’existence
et à l’organisation d’un monde autistique qui aboutit généralement à une fermeture plus ou moins
complète de communication avec autrui », d’où un « état de déficit psychique particulier ». Cette
organisation autistique et délirante constitue le « noyau central » de la schizophrénie. Le schi-
zophrène, selon Ey, « a tendance à s’enfoncer dans cette forme d’existence, ou plutôt de non
existence » ; la schizophrénie y est conçue comme une « psychose délirante de fuite autistique
jusqu’au fond de soi », alors que la paranoïa (qui fait également partie du groupe des psychoses
délirantes chroniques) est conçue comme une « psychose délirante en forme de combat systé-
matique contre un objet imaginaire ». Enfin, pour terminer sur cet article, le délire chronique
schizophrénique peut être dans le fond défini comme caractérisant de façon typique « la rupture
des communications avec autrui ». On perçoit bien le point de vue d’H. Ey concernant le délire du
schizophrène, mais on ne peut éviter non plus de percevoir la dimension absolument déficitaire
associée à ce délire (et à cette psychose), alors que la clinique nous montre tous les jours que
les cas de schizophrénies sont loin de présenter tous cet aspect déficitaire. Ce fut l’un des points
soulevés par S. Follin – sur lequel nous allons revenir – lors de la discussion qui suivit ce long
rapport : « délirer, dit-il, c’est aussi la création d’un monde déréel, et non pure altération du réel ».
Bien des années plus tard, dans le Manuel de psychiatrie [11], H. Ey maintiendra l’idée de « la
forme autistique » du délire schizophrénique. La définition de la schizophrénie reste la même,
mot pour mot pratiquement. S’y ajoutent toutefois deux termes : impuissance et besoin, au sens
où le « processus schizophrénique » serait une « impuissance à vivre dans un monde réel », et
« un besoin de fuir dans un monde imaginaire ». Quant à la question plus spécifique du délire
dans la schizophrénie, il est ici qualifié de « paranoïde », et devrait être réservé uniquement « aux
formes délirantes de la schizophrénie », ce qui – notons-le en passant – peut sembler étonnant
dans la mesure où, répétons-le, pour H. Ey toute schizophrénie est délirante (« toutes les schizo-
phrénies sont foncièrement et globalement un Délire (. . .). La schizophrénie, c’est le Délire par
excellence » [12]). Le « noyau » de la schizophrénie serait le délire, au sens de l’autisme, à savoir
au sens d’une régression dans le monde imaginaire intérieur. Dans le Traité des Hallucinations,
le délire schizophrénique en tant que processus de désorganisation de l’être « parcourt toutes les
étapes de l’existence délirante » [12]. Notons ici qu’un certain nombre d’auteurs se sont opposés
à la conception de H. Ey selon laquelle dans la schizophrénie l’autisme serait l’équivalent du
délire, et inversement. En 1963 par exemple, J. Burstin [13] écrit que cette affirmation « autisme
égale délire » est bien loin d’être démontrée, et « il est encore moins sûr que le dénominateur
commun des diverses formes de la schizophrénie soit le délire autistique pour la simple raison
que le délire (. . .) peut manquer, et quand il est là, il n’est pas forcément autistique d’emblée ».
Pour Burstin, l’organisation d’un monde autistique dans la schizophrénie « n’est qu’un épiphéno-
mène, un simple sous-produit de la désagrégation ». De même, en 1974, G. Heuyer [14] trouvait
la position de H. Ey « pas très claire » quant au délire, à la schizophrénie et à sa classification. Pour
lui, le délire est « presque constant » dans la schizophrénie. Il en rappelle les grandes caractéris-
tiques : incohérent, polymorphe, mobile, comportant des « idées délirantes très diverses, variables
et souvent absurdes ». Heuyer s’est attaché à classer les délires de la schizophrénie en trois caté-
gories : les délires hallucinatoires (avec le délire d’influence, de possession, mystique et spirite, le
délire hypocondriaque, délires érotiques, érotomaniaques, de persécution), les délires imaginatifs
de rêverie (à thème mégalomaniaque, de puissance, les cas de puérilisme), et les délires de
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rationalisme morbide, le syndrome basal de l’ensemble de ces délires étant pour l’auteur
l’automatisme mental de Clérambault.

6. S. Follin : la fascination par l’imaginaire

Revenons rapidement à S. Follin que nous évoquions tout à l’heure. Dans son article consa-
cré à la « Psychopathologie du processus schizophrénique » (1958) Follin considérait déjà, avec
raison, que la schizophrénie avait « fini par absorber tous les délires, y compris les plus systé-
matiques et logiquement construits comme la paranoïa »4 . Et il ajoutait que « cette extension de
la psychopathologie de la schizophrénie au délire en général entraîne d’ailleurs en retour à effa-
cer les limites des schizophrénies par rapport aux bouffées délirantes subaiguës oniroïdes, dites
parfois psychoses schizophréniformes ou abortives, voire schizophrénies aiguës ». L’article est
long et dense, mais riche d’enseignement, notamment sur la question du processus, de la dis-
cordance, mais aussi parce que Follin tient une position originale anti-déficitaire assez marquée
quant à la schizophrénie. Par exemple lorsqu’on dit un peu rapidement que la pensée schizo-
phrénique est « vide », Follin répond avec pertinence, en donnant toute sa place et sa valeur
à la position subjective du malade : « au fond, le vide de la pensée, chez le schizophrène, est
encore une façon de dire et de penser. Le vide de la pensée schizophrénique est bien parti-
culier, c’est un vide plein d’affects et d’idées, c’est un vide délirant qui contient, dissimule et
exprime tout à la fois la richesse du vécu (. . .). La distance autistique au monde est encore une
forme de présence, elle n’est jamais une absence » [17]. Une question se pose à l’auteur, ques-
tion centrale : « il s’agit de savoir s’il existe un drame » qui puisse « définir le drame propre
et spécifique des schizophrènes ». Ce qui lui semble se retrouver chez tous (le « dénominateur
commun », pour reprendre les mots d’H. Ey), c’est « l’angoisse de se perdre dans les relations
à autrui et l’impuissance terrifiante de se vivre comme un “je” », autrement dit, il y a là un
drame existentiel profond « vécu dans le vide même de leur conscience déchirée », et « le délire
est la forme essentielle suivant laquelle le schizophrène vit son drame ». Quid du délire comme
tel ? Il semble se définir pour l’auteur par le recours à un monde imaginaire : « s’il y a fas-
cination par l’imaginaire, c’est essentiellement parce que le contenu de cet imaginaire est le
sujet lui-même ou plus exactement le plan imaginaire d’une recherche de soi où il se perd ».
Quelle différence alors avec d’autres délires ? Follin répond : « d’autres délirants, les paraphrènes,
s’y retrouvent [dans cet imaginaire, dans leur délire] comme sujets, aliénés sans doute, mais
personnages ayant retrouvé une conscience de soi ». Ce qui serait dès lors caractéristique du
schizophrène serait que celui-ci « ne vit que son délire, et progressivement, en fonction même
de la dialectique interne de l’anéantissement de soi, sa richesse thématique s’appauvrit, son
organisation se morcelle dans la déchéance finale où il n’en reste plus que les bribes stéréoty-
pées ». Ainsi le drame du schizophrène résiderait dans « l’échec de cette lutte pour se retrouver
soi-même ».

4 P. Guiraud dira sensiblement la même chose 10 ans plus tard dans son article « Origine et évolution de la notion de
schizophrénie » : « le résultat de cette vaste synthèse [celle de Bleuler] a été que la schizophrénie est devenue (. . .) un cadre
dans lequel on dépose tout ce qu’on ne peut pas classer ailleurs » [15]. De même H. Baruk, en 1974, souligne « l’extrême
danger de l’extension du diagnostic de schizophrénie » [16]. En fin de compte, dès la parution de l’ouvrage, l’extension
excessive du diagnostic de schizophrénie avait été notée. Voir par exemple Trénel en 1912 : « l’ouvrage de Bleuler marque
une date. Il gardera longtemps une haute importance. Mais nous ne pouvons nous défendre d’une critique. N’est-il pas à
craindre qu’il n’ait fait rentrer des maladies absolument différentes dans sa vaste synthèse ? » [7].
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7. P.-C. Racamier : délirer dans le réel

En 1958 toujours : P.-C. Racamier et S. Nacht publient leur long rapport sur « La théorie psy-
chanalytique du délire » [18]. Pour ces auteurs, le délire est « à la fois une forme de reconstruction
et de défense ». La schizophrénie est ici considérée comme « le royaume du délire paranoïde ». En
1976, pour l’Encyclopédie Médico-chirurgicale, Racamier rédige un texte sur « L’interprétation
psychanalytique des schizophrénies » [19]. Il y aborde l’angoisse schizophrénique, l’ambivalence,
l’intériorité, les désinvestissements, la régression, les identifications primitives, massives et fusion-
nelles, les projections, etc. Il relève par ailleurs avec l’appui des travaux de Tausk que le « délire
typiquement schizophrénique » porte « sur la représentation de soi tout entier », et non pas seule-
ment sur les « contenus pulsionnels ». Avec E. Jacobson, il considère également que le délire
dans la schizophrénie constitue « l’ultime et folle tentative de suprématie de la réalité ». En 1980,
Racamier publie son ouvrage : Les schizophrènes [20]. L’émergence du délire y est appréhendée
ainsi : « la perte psychotique primordiale est celle du self : comme un enfant qu’on jette avec l’eau
de son bain, le Je est liquidé avec l’ambivalence. Alors vient le délire », ce qui revient à dire en
substance que « vivre la schizophrénie consiste à vivre hors de soi ». Un peu comme si, en vivant
« hors de soi », le schizophrène avait perdu ses origines, comme s’il était sans origine, non-né en
quelque sorte (« la pensée délirante primaire, qui s’efforce de penser d’impensables origines, est
l’œuf du délire manifeste »). À partir, donc, de cette perte fondamentale, de cette perte de soi,
perte de réalité psychique, le schizophrène devient un « combattant » : « le combat avec le réel,
c’est la grande affaire des schizophrènes ». Cette perte en effet « a pour complément la recréa-
tion du réel ». Le délire viendrait donc ici jouer un rôle essentiel et nécessaire : « tout délire est
l’ultime recours d’une surréalité déçue » ; ou encore : les sujets qui délirent « le font pour conti-
nuer d’exister ». Reste encore à préciser la singularité du délire du schizophrène. P.-C. Racamier,
à ce sujet, a cette formule : le schizophrène « délire dans le réel ». Contrairement aux autres déli-
rants qui échafaudent en pensée une nouvelle réalité (leur délire), le schizophrène, lui, « se glisse
comme un bernard-l’ermite et se tapit dans le tissu d’une réalité objectivement présente ; c’est ce
que j’appelle délirer dans le réel ». Il s’agirait donc là d’un délire qui s’inscrit, qui s’ancre « dans
des objets bien réels, de telle sorte que les contours de leur délire se confondent avec “l’hôte” où il
se loge ». Cette dimension de l’objet « bien réel », concret, présent, fait écho avec ce que Racamier
écrit dans ce même ouvrage : « les schizophrènes ont un besoin absolu de concret ». Par ailleurs,
pour revenir sur le côté « combattant » des schizophrènes, Racamier distingue ces derniers des
autres psychotiques dans la mesure où les sujets schizophrènes luttent pour leur moi, et pour leur
pensée, ce qui ne serait pas le cas, par exemple, des paranoïaques. Quant aux mélancoliques, si
l’on prend ces deux critères en considération, la question reste entière. . .

8. G. Benedetti : le délire comme signe d’une absence de défense

G. Benedetti a consacré en 1995 un chapitre de son livre Psychothérapie de la schizophrénie


aux délires schizophréniques [21]. On notera tout d’abord qu’il inclut dans ce chapitre le délire de
persécution, l’omnipotence paranoïde, le délire érotique ou extatique, etc., là où d’autres auteurs
mentionneraient ceux-ci plutôt dans le cadre des psychoses dites systématisées, dans la paranoïa
notamment. Benedetti conçoit le délire psychotique « en tant que défense », plus précisément
même « comme signe d’une absence de défense, d’une totale non-défense ». Autrement dit c’est
lorsque le sujet psychotique se montre particulièrement démuni quant aux défenses propres vis-
à-vis du monde extérieur, vis-à-vis des relations sociales, de tout ce qui fait notre « réalité », qu’il
614 N. Brémaud / L’évolution psychiatrique 81 (2016) 605–623

tente de se défendre par le délire. Le sujet se montrerait particulièrement sans défense « au début »,
c’est-à-dire, pour Benedetti, « au moment de la dissolution du moi ». Là, tout ce qui entoure le
sujet viendrait faire « référence au patient », autrement dit tout ce qui l’entoure, tout ce qui se dit,
concernerait, viserait le sujet : « cette situation est une non-défense parce que le moi du patient
est complètement livré au monde extérieur, et parce que toute fonction symbolique défensive fait
défaut ». À partir de là, certains sujets élaborent un « délire de défense »5 , à savoir la « projection
d’une figure délirante sur le monde environnant qui (. . .) a pour caractéristique de se référer en
permanence au patient, de recueillir donc en soi toutes ces valences de référence qui d’abord
étaient éparses ». D’autres solutions existent. Par exemple, il n’est pas rare que le schizophrène
mette en place, « à l’encontre de la dissolution psychotique du rapport objectal (. . .) un rapport
identificatoire avec les choses ». Dans ce cas, le sujet « devient tout un » avec les choses, parant
ainsi – plus ou moins durablement – à la fragmentation psychotique. Il s’agit là d’un « besoin
d’identification défensive ». D’autres enfin s’accrochent « à quelque aspect banal de la réalité qui
devient pour eux (. . .) révélation divine », phénomène, du reste, qui peut passer – pendant un
temps – inaperçu par l’entourage. C’est la fonction de « voile du délire ». G. Benedetti précise,
quant à ces élaborations délirantes : « rien n’est thérapeutiquement plus absurde que de vouloir
enlever à un patient chronique son “chef-d’œuvre délirant” ».

9. Du délire comme « choix forcé » et de sa fonction « cicatrisante » dans la


schizophrénie

À la lecture des chapitres qui précèdent, l’on peut se rendre compte combien les auteurs, depuis
Bleuler, peinent à définir ou à délimiter les contours du délire schizophrénique. C’est sans doute
en (grande) partie parce que depuis le début l’on peine à définir à la fois le délire [23], à la fois
la schizophrénie elle-même. Que retiendrons-nous des recherches précédentes ? D’abord, que les
conceptions du délire dans la schizophrénie diffèrent sensiblement – voire considérablement –
d’un auteur à l’autre. Ensuite, que le délire est quasi constamment référé à ladite réalité, sans que
l’on s’arrête spécialement à définir ce qu’est la « réalité » [24]. En ce sens, la « perte du contact
vital avec la réalité » (Minkowski), ou la « destruction de la réalité » (H. Ey) – pour ne prendre que
ces exemples – poussent à jauger le schizophrène à l’aune d’une soi-disant norme commune de la
réalité, comme si la réalité était « une donnée en soi, c’est-à-dire une entité objectivable pour tous »
[25]6 . Nous laisserons ce point de côté, mais c’est pourtant un point essentiel, non seulement pour
le repérage diagnostique (qui peut être établi autrement que par la seule recension des symptômes,
en écoutant le sujet par exemple, en distinguant énoncé et énonciation, en considérant les rapports
du sujet au signifiant) mais aussi pour le travail thérapeutique afin de ne pas verser dans un travail
“orthopédique” avec le patient. P. Deniker, Th. Lempérière et J. Guyotat notent que « d’après
H. Ey, dans la schizophrénie tout est délire, c’est-à-dire transformation de la réalité » [26]. On

5 Souvenons-nous que la thèse du « délire-défense » n’avait pas les faveurs de Binswanger. De nombreux auteurs l’ont
soutenue et défendue. Un exemple parmi bien d’autres : P. Balvet – rarement cité – qui écrivait en 1967 : « est-ce que le
délire ne serait pas d’une part l’expression du vécu schizophrénique angoissant, et d’autre part (. . .) un monde de défense
contre l’angoisse ? Comme si le délire à la fois exprimait l’angoisse et en dispensait (. . .). Le délire schizophrénique n’est
que le signe du vécu schizophrénique. Mais celui-ci, à son tour, n’est qu’une réaction à une situation dont on ne peut pas
se tirer autrement » [22].
6 En 1952 dans La personne du schizophrène, J. Wyrsch se montrait critique vis-à-vis du critère de la réalité, car « on

la considère toujours sous un aspect ou sous un angle qui ne permettent pas d’embrasser toutes choses avec la même
évidence et la même clarté » [3].
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peut certainement appréhender autrement ladite réalité tout comme le délire dans le champ de
la psychopathologie. S. Flémal souligne en ce sens : « dégager l’étude du délire du champ de
la “réalité” et s’intéresser aux enjeux subjectifs qu’il recouvre permet de mettre en évidence
les fonctions du processus délirant dans l’appareil psychique de la personne psychotique (. . .).
Plutôt que de vouloir ramener le sujet dans l’expérience de la “réalité” ou de vouloir corriger
la signification qu’il en donne, il s’agirait pour le praticien de soutenir de façon structurante les
lignes d’efficience que coordonne le délire » [25].
Mais revenons à ce qui nous occupe ici et terminons cette revue de la littérature. En 1998,
J. Sutter s’efforce de s’arrêter tout spécialement sur la question du délire schizophrénique dans
son article : « Le délire et l’existence schizophrénique » [27]. Dans la ligne de H. Ey, Sutter écrit
ici que « l’existence du schizophrène est, dans tous les cas et pendant toute la durée de la maladie,
une existence délirante. Le délire de la schizophrénie n’est pas spécifique et peut être observé dans
diverses structures pathologiques ». L’auteur donne ainsi d’emblée deux idées directrices : (1) toute
l’existence du schizophrène (de tout schizophrène) est délirante : « l’existence tout entière, et non
pas seulement les idées délirantes ou le roman délirant » ; « en présence d’un schizophrène on
n’a jamais le droit d’affirmer que son existence n’est pas délirante » ; et (2) le délire dans la
schizophrénie n’a pas de spécificité. En ce qui concerne le premier point, Sutter ajoute que même
lorsqu’on a affaire à une schizophrénie simple, autrement dit à un sujet qui ne semble pas délirer,
dont le délire n’est pas manifeste, c’est que ce sujet « ne nous propose pas son délire ; il ne le
parle pas » (c’est ce que l’on pouvait appeler autrefois le délire des actes). En ce qui concerne le
second point, Sutter considère que « certes, les délires schizophréniques ont tous certains traits
communs (. . .), mais ils ne sont par eux-mêmes aucunement spécifiques ». Ensuite, il s’attache
à distinguer deux modalités délirantes différentes dans la schizophrénie : le « délire vécu », et
le « délire construit », lesquels peuvent se succéder ou coexister. Sutter est amené à faire ce
répartitoire dans la mesure où dans la schizophrénie « le délire n’est pas chez tous les sujets et à
tous les moments le même ». Dans le délire vécu, le sujet ne se montre ni confus, ni désorienté,
mais « présent dans notre monde réel ». Le délire vécu surviendrait par poussées (« expériences
délirantes aiguës », « poussées processuelles ») et consisterait en une totale « subversion du réel » :
le monde est perçu, mais les informations que perçoit le sujet sont refusées et remplacées par
l’action. Cette « répudiation » du monde, des perceptions du monde, le schizophrène délirant
ne l’aurait pas subie dans une totale impuissance : « il a décidé de répudier – en “choisissant”
le délire – un monde qui a pour lui moins d’attrait que celui de son “illumination” (. . .). Le
choix du monde délirant a été imposé et le malade n’a pas été libre de le refuser ». Autrement
dit, il s’agit ici en quelque sorte d’un « choix forcé ». Dans une orientation théorique différente
(lacanienne), J.-A. Miller disait quant à lui : « le “choix” de la psychose est le choix impensable
d’un sujet qui fait objection au manque-à-être qui le constitue dans le langage. C’est un choix
qui est exactement un “déchoix”. Je le dis impensable parce qu’il contrevient au choix forcé de
l’aliénation » [28]. Cette question du « choix » du délire, qui est une question éthique, est pour
Sutter « un fait de première importance », et il en donne quelques raisons. La plus essentielle
est sans doute la fonction défensive du délire, défense au regard de l’angoisse : « réfugié dans sa
thématique délirante aménagée en forteresse, le schizophrène évite tout ce qui pourrait ouvrir une
brèche et livrer passage à l’ennemi inconnu ou trop connu ». Sutter évoque également le rôle du
délire relativement à la question identitaire, à la question des origines, etc. Du côté du « délire
construit », l’auteur prend soin de le distinguer du délire paranoïaque. Bien que « construit », plus
durable et « moins dissocié » que le délire vécu, le délire construit du schizophrène n’en présente
pas moins une « multiplicité » et une « absence de cohérence des thèmes », sur un fond de pensée
« profondément autistique ». Ce délire s’oppose au « prosélytisme agressif d’un paranoïaque », le
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sujet ne tente pas de convaincre son interlocuteur. On a là des « ébauches et comme une volonté
d’organisation et de construction ».
En 2004 J.-L. Goeb, M. Botbol et B. Golse se demandent s’il y a des particularités cliniques
au délire exprimé lors de schizophrénies secondaires à une psychose infantile [29]. Les auteurs,
se référant entre autres à l’œuvre freudienne (le délire schizophrénique s’impose « pour rem-
plir le vide laissé par le désinvestissement des représentations d’objet »), mettent en valeur « la
fonction auto-thérapeutique du délire ». Un partage est fait entre (1) les schizophrénies secon-
daires à une psychose précoce, dans lesquelles le délire « vient combler l’espace intersubjectif »,
la « béance psychique » insupportable, le « déchirement que représente la séparation d’avec la
mère » (voir l’usage délirant des langues chez L. Wolfson, pour qui l’apprentissage des langues
étrangères lui servait à se défendre de la langue maternelle), et (2) les schizophrénies « de novo »,
à savoir celles qui sont « sans antécédents psychotiques précoces » (se déclarant plus tardive-
ment, à l’adolescence souvent), dans lesquelles le délire a une fonction de mise à distance de
l’autre, mise à distance notamment des questions liées à la sexualité ou au désir, thèmes ravi-
vés au moment de l’adolescence : « tout rapproché est vécu par le patient comme une menace,
à la fois d’intrusion de l’extérieur vis-à-vis de lui (. . .) mais aussi menace pour l’extérieur en
raison de sa propre agressivité meurtrière ». La mise à distance opérée par le délire viendrait
ainsi protéger le sujet de la menace inhérente au monde extérieur (le délire « éloigne, pré-
vient, empêche » la réalisation d’un certain nombre de fantasmes psychotiques, incestueux par
exemple).
Cette fonction défensive et protectrice du délire a encore été récemment mise en relief par
S. Flémal et al. Le délire aurait à la fois une fonction « contenante », à la fois une fonction
« cicatrisante ». En ce qui concerne la fonction contenante, les auteurs considèrent que « les
formations délirantes constitueraient un contenant psychique palliatif au sein duquel pourrait
venir se déposer l’impensé des hallucinations ainsi que la charge pulsionnelle que ces dernières
comportent ». Ce travail délirant « accomplirait un premier processus de mise en forme et de
mise en sens ». Le délire est donc considéré ici comme une « réponse subjective visant à traiter
l’état de surtension psychique morcelant l’identité corporelle du sujet » [30], un délire qui vient
comme une réponse en lien direct avec la question du corps, effectivement si problématique dans
la schizophrénie. La deuxième fonction du délire serait une fonction « cicatrisante ». Pour les
auteurs, le délire schizophrénique est « ancré dans un univers imaginaire et solipsiste », ce qui
le rendrait imperméable à « tout véritable essai de subjectivation dans une dynamique partagée
avec l’Autre ». De ce fait, la fonction contenante pourrait se trouver limitée dans ses effets,
limitée notamment sur l’angoisse de morcellement du corps. Mais, dans la mesure où les premiers
éléments délirants de mise en forme et de mise en sens parviennent tant bien que mal à réguler,
à contenir les phénomènes pulsionnels débordants, une deuxième « étape » peut s’opérer dans
ce processus délirant. Sortant – partiellement – du chaos angoissant et énigmatique dans lequel
se trouvait le sujet (hallucinations, phénomènes élémentaires), il lui est possible désormais de
« réinvestir un monde signifié par son délire ». Ce que l’on constate en pratique, c’est que la
« tension pulsionnelle intolérable » jusqu’alors, les pulsions débridées, viennent (dans le délire
plus avancé, si l’on peut dire) à se localiser précisément dans le corps. Délire de corps, ou corps
délirant, certes, mais chaos moindre : « le délire permettrait de localiser à l’extérieur du sujet
la partie pléthorique de la tension pulsionnelle intolérable. Cette opération projective rendrait
ainsi possible une mise à distance du débordement pulsionnel (. . .). Le sujet délirant et son
entité corporelle s’en trouveraient davantage protégé ». C’est cet effet d’apaisement – relatif,
mais effectif quand même – sur le plan du corporel, du vécu corporel, que les auteurs nomment
fonction « cicatrisante » du délire dans la schizophrénie.
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10. Le schizophrène, le délire et la langue : perspective lacanienne

Evidemment, pour cela – pour que le sujet parvienne à mettre en marche ce « néo-sillon » qu’est
le délire, selon l’expression de C. Chaperot [31] – il faut qu’il puisse a minima mettre en mots les
phénomènes angoissants qui le traversent. C’est loin d’être le cas de tous les schizophrènes. Ce
qui fait le malheur de certains schizophrènes en effet, comme disait J. Oury, « c’est qu’il y a une
déconstruction, quelque chose qui est en petits morceaux et qui n’arrive plus à se construire » [32].
Ce point est important, et d’ailleurs ce que dit Oury dans cet ouvrage – Création et schizophrénie –
nous paraît essentiel à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne ce qu’il a appelé « les
lésions de la parole », ou les « lésions au niveau du “dire” ». Dans la schizophrénie, selon Oury,
« la fabrique du dire » étant défaillante, le champ de la parole est nécessairement touché (troubles
du langage caractéristiques du schizophrène) : « pour qu’il puisse y avoir de la parole, que ça
puisse s’articuler, il faut que le dire fonctionne bien. S’il y a quelque chose qui s’effondre à ce
niveau (. . .) il y aura des défauts au niveau du champ de la parole ». Après tout, ce que l’on
observe fréquemment, c’est qu’il y a un certain nombre de schizophrènes qui s’en « sortent »
mieux que d’autres, et ce sont peut-être bien précisément ceux qui parviennent à articuler entre
eux des mots, des signifiants, quitte à délirer. C’est un peu en ce sens que P. Balvet, dans l’article
déjà cité, pouvait écrire en 1967 : « il semble que l’angoisse est d’autant plus vécue par le malade
que le délire est moins élaboré (. . .). Lorsque le délire est élaboré, l’angoisse vécue semble
au contraire tomber » [22]. Cette organisation, cette articulation de signifiants entre eux, c’est
ce qui dans le fond nous semble être une des définitions possibles du délire. Lacan disait en
effet en ce sens que le délire est une forme de discours, une forme d’organisation signifiante.
L’articulation de signifiants qui étaient isolés, dé-chaînés – signifiants qui n’ont pas de valeur
signifiante comme telle puisque cette valeur n’est acquise que par l’articulation de signifiants
entre eux ; il s’agirait donc là de signifiants que l’on pourrait qualifier de « réels », hors sens –
forment maintenant une chaîne signifiante (sorte de roman délirant, tentative d’historisation et
d’explication des phénomènes élémentaires). Cette chaîne est certes délirante, mais un minimum
de sens est tout de même apposé sur un réel particulièrement angoissant. « Le délire est surtout une
narration », disait P. Janet [33] en 1935 (dans un article où il citait d’ailleurs à plusieurs reprises
la thèse de Lacan). Pour Lacan, dans les années 1950, le délire est une « organisation discursive »
[34], « quand le psychotique reconstruit un monde, qu’est-ce qui est d’abord investi ? (. . .). Ce
sont les mots » [35]. Le monde des mots, le monde du langage et de la parole, si particulier chez
le schizophrène, et même le monde de ce que Lacan a appelé la « lalangue », c’est peut-être là,
à cet endroit, que l’on pourrait trouver à définir la spécificité du délire schizophrénique. Dans
le fond, et cela depuis les origines du concept de schizophrénie, qu’est-ce qui en premier lieu
vient en effet caractériser celle-ci ? Ce ne sont pas les thèmes ou les idées délirantes, communes
à de nombreuses psychoses ; ce ne sont pas non plus les hallucinations ou le rapport à la dite
réalité, mais peut-être bien ce que l’on a appelé les troubles du langage, un langage en effet très
reconnaissable. Très tôt les cliniciens7 ont repéré la voix particulière de ces sujets (changements de
voix, voix « haut perchée »), le rythme ralenti ou au contraire accéléré de la parole, ces pensées qui
ne s’enchaînent pas, ces mots coupés, l’absence d’articles de coordination, les propos incohérents,
hors sens, les ruptures entre le mot et sa signification, entre le signifiant et le signifié, l’absence
de métaphorisation du langage, la dérive métonymique, les associations par assonance, les jeux

7 Tous les grands traités, manuels ou précis de la psychiatrie classique donnèrent des chapitres entiers sur les troubles

du langage et de la parole. Voir plus spécialement les travaux incontournables de J. Séglas.


618 N. Brémaud / L’évolution psychiatrique 81 (2016) 605–623

syllabiques, « barrages », arrêts, suspens, interruptions dans le cours de la pensée, coq-à-l’âne,


néologismes, stéréotypies verbales, « salades de mots », etc. Tout cela vient attester de la rupture,
de l’écart, de la discordance entre le signifiant et le signifié, entre le mot et la chose, et attester de
l’absence d’un « point de capiton », selon l’expression de Lacan, lequel pourrait venir stabiliser ce
rapport, mettre un frein à la dérive du signifiant. Bref, c’est là peut-être bien que l’on peut trouver
la spécificité du délire du schizophrène : dans le langage. Son délire est le langage, car en effet,
il est assez remarquable que chez le schizophrène « le langage est l’objet de tout un travail de
remaniement » [26]. C’est aussi à cet endroit que l’on peut distinguer le délire schizophrénique des
autres délires psychotiques. Freud [36] avait insisté sur ce point essentiel : « prédominance de la
relation de mot sur la relation de chose » ; les schizophrènes « se contentent des mots à la place des
choses » ; « ils traitent les choses concrètes comme si elles étaient abstraites », etc. Cette hypothèse
d’une spécificité du délire schizophrénique en tant que délire langagier peut en un certain sens
trouver un écho chez Lacan, et même plus qu’un écho. Dès le début des années 1950 en effet, on
le sait, Lacan avançait que pour le schizophrène « tout le symbolique est réel » [37], le mot est
la chose, le mot n’est pas signifiant mais réduit à la chose, à sa matérialité, à sa matière sonore,
ou à sa matière visuelle. On dit communément que les schizophrènes prennent les mots au pied
de la lettre (S. Leclaire disait ainsi : « c’est bien à des “mots-choses” que l’on a affaire chez le
schizophrène » [38]). J.-A. Miller, à partir de cette formulation de Lacan qui soulignait cet aspect
central de la dé-métaphorisation du langage dans la psychose avançait que le sujet schizophrène
« ne se défend pas du réel par le langage parce que pour lui le symbolique est réel (. . .). C’est
le seul sujet à ne pas se défendre du réel au moyen du symbolique ». En quoi est-ce délirant ?
Dans la mesure où le symbolique est réel, dans la mesure où le schizophrène ne peut se défendre
du réel par les moyens du symbolique, qu’il ne peut éviter le réel, alors on peut suggérer que le
schizophrène est le sujet qui apparaît « sans défense devant l’impossible à supporter », qu’« il y a
un délire qui est du réel, et c’est celui du schizophrène » [39]. Et en effet, le névrosé, lui, se défend
du « réel » (au sens de Lacan8 ) grâce au langage, et plus spécialement grâce au « discours », grâce
au lien social (« le lien social, dit Lacan, je le désigne du terme de discours » ; le discours est
une « utilisation du langage comme lien » [40]). Pour qui n’entre pas dans un « discours », le lien
social en est nécessairement affecté, voire rompu. Dans son texte « L’Etourdit », Lacan écrivait
aussi en ce sens que « le dit schizophrène se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours
établi » [41]. D’être dans le langage, comme tout sujet, mais « hors discours », le schizophrène
se situe dans un rapport bien particulier vis-à-vis de la parole, vis-à-vis de son usage et de sa
fonction, une parole qui ne fait pas en tant que telle communication. F. Perrier disait très bien
en 1958 : « tout se passe comme si le schizophrène s’appuyait sur le mot même qu’il ne veut
pas prononcer pour s’en faire un rempart contre toute transmission d’un sens compromettant. Il
joue ainsi avec le matériel verbal en tant que signifiant, pour remettre en cause tous les signifiés
éventuels. Il désarticule, déguise, ampute, dissocie, morcelle les termes dont il semble jouer, et
se sert des pivots sonores qu’il a ainsi singularisés, pour faire la pirouette, nous tourner le dos,
et couper le pont de la communication » [42]. Ce langage qui ne fait pas communication nous
fait rejoindre ici ce concept de la fin de l’enseignement de Lacan, déjà évoqué plus haut : « la
lalangue ». Dans le séminaire Encore il avançait ainsi : « lalangue sert à de toutes autres choses
qu’à la communication (. . .). Lalangue sert-elle d’abord au dialogue ? Rien n’est moins sûr » [40].

8 Le registre du réel chez Lacan est bien trop complexe pour pouvoir le définir ou le résumer – même en quelques

lignes – d’autant qu’il évolue tout au long de son enseignement. Disons simplement ici qu’on peut le saisir comme ce qui
est hors sens, hors registre symbolique, et que dans la psychose le sujet y est généralement confronté sous les espèces de
l’hallucination ou du délire.
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En effet, « le phénomène essentiel de ce que Lacan a appelé lalangue, ce n’est pas le sens, c’est
la jouissance » [43]. Or, comme le questionnait J. Oury : dans la schizophrénie, « l’étoffe même
qui est perturbée, sinon détruite, n’est-ce pas lalangue ? » [44]. Ce concept mériterait à lui seul
de longs développements, ce que nous ne pouvons faire ici. Retenons simplement avec C. Soler
que « la lalangue évoque la langue émise d’avant le langage structuré syntaxiquement », et que
le schizophrène « se dispense du symbolique mais pas de lalangue » [45]. La lalangue en effet
est, selon la formule de J.-A. Miller : « anagrammatique (. . .), ana ou hypogrammatique ; c’est
la langue pleine d’échos, c’est la langue d’assonances, la langue d’allitérations (. . .). Du coup,
le langage, c’est une réduction de la langue, de cette lalangue » 9 . Contrairement au langage,
lalangue n’est pas structurée, elle n’a pas d’ordre, elle est a-syntaxique, elle ne forme pas un
discours, elle est comme telle en effet d’avant le langage, et doit donc être distinguée du langage :
pour Lacan en effet « le langage est une élucubration de savoir sur lalangue » [40]. Par ailleurs, ce
néologisme de Lacan veut faire entendre le rapport au réel et la dimension de jouissance présente
au cœur de lalangue. Celle-ci rappelle et fait équivoque avec la lallation, et Lacan, de fait, qualifie
lalangue de « maternelle » (premiers mots, premières phrases entendues par le nourrisson). Il y
a d’ailleurs sans doute un parallèle à faire entre lalangue – « maternelle » donc – et l’échec dans
la schizophrénie de la symbolisation primordiale qui porte sur l’Autre maternel, la Mère, plus
spécialement le Désir de la Mère (DM). Il y a donc une logique délirante à l’œuvre, même dans
cette langue désorganisée, déconstruite, retravaillée, réélaborée, réinventée, car ainsi que l’écrivent
P. Deniker et al. : chez le schizophrène « la langue maternelle serait comme une inclusion en lui
qui l’attaque, et qu’il attaque quelquefois en créant une langue hermétique » [26].
On conçoit que le concept lacanien de « lalangue » mériterait de plus amples développements,
et devrait être distingué rigoureusement du discours, du langage et de la parole. C’est un concept
qui peut sembler hermétique au premier abord, mais c’est un concept qui, pour nous, éclaire la
clinique, qui s’avère même très parlant lorsqu’on a l’expérience de la pratique auprès de patients
schizophrènes. En effet, ce que la phénoménologie des états schizophréniques démontre – les élé-
ments morcelés du discours, du corps, de la pensée, l’absence d’historicité, de liens, les difficultés
d’orientation dans le temps, dans l’espace, l’absence de « direction » comme disait Minkowski,
l’absence d’ordonnancement, etc. – sont en réalité les manifestations visibles de la structure non
organisée du langage, ce sont les conséquences directes de cette non-organisation langagière, liée
à ce défaut de symbolisation primordiale. Et lorsque le discours est atteint, lorsque le sujet se situe
structurellement parlant « hors discours », cela a nécessairement des répercussions sur la régula-
tion de la jouissance. Il y a comme un passage direct entre l’altération structurale de l’organisation
signifiante et le débridage de la jouissance. Ainsi que le formulait pertinemment J. Oury : « on
ne peut pas dérailler d’autre part que du Symbolique » [32] 10 . Autrement dit si le champ du
symbolique est atteint, non structuré, alors ça déraille, le sujet sort des rails, du sillon (étymologie
du terme « délire »), et la jouissance prend le pas sur le sens. Le paranoïaque qui parvient très
bien à localiser la jouissance dans un Autre souvent malveillant, persécuteur, se présente tout
différemment du schizophrène, lequel ne parvient pas à élaborer un délire construit et à imputer
durablement à l’Autre les phénomènes qui le traversent. Cet Autre, pour lui – et contrairement au
paranoïaque – n’est pas un Autre consistant. Puisque les idées délirantes ne s’enchaînent pas entre
elles, qu’elles passent du coq-à-l’âne, qu’elles ne forment pas un « système », qu’elles échouent ou
peinent à parer efficacement au réel énigmatique, puisqu’en un mot la clinique nous enseigne que

9 Miller J.-A. La fuite du sens. Cours du 13 décembre 1995. Département de Psychanalyse Paris VIII. Inédit.
10 Et J. Oury ajoutait : « tout le travail, c’est d’essayer de le récupérer ».
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dans la schizophrénie c’est le symbolique qui est principalement touché, alors peut-être pouvons-
nous en déduire au final que le seul Autre du schizophrène serait celui de la langue ; c’est l’une
des thèses de J.-A. Miller : « le schizophrène n’a pas d’autre Autre que la langue » [39].

11. Conclusion

Un certain nombre d’idées relatives au délire du schizophrène, dans les pages qui précèdent,
peuvent être retenues. D’abord, avec Bleuler, il est vrai que dans la plupart des cas ce délire peut
être qualifié d’incohérent, manquant de logique interne, mal ou non systématisé (plus près de
nous, C. Soler constatait ce principe de dispersion plutôt que d’unification dans la schizophrénie :
« le schizophrène est en proie à du multiple non vectorialisé, à des chronologies a-historiques qui
juxtaposent faits et dates sans les ordonner, bien parentes du réel qui est sans ordre » [46]). Il
peut être généralement qualifié de « paranoïde » (Ey ; Racamier et Nacht ; Benedetti, etc.) dans
la mesure où bien souvent le sujet vit le monde comme persécuteur, sans parvenir pour autant à
localiser précisément ce persécuteur, sans parvenir, dans tous les cas, à faire de cette persécution
une forme de « roman » délirant qui pourrait apporter durablement et efficacement une réponse,
un sens, aux phénomènes de jouissance intrusifs qui le traversent. Les ébauches délirantes du schi-
zophrène (« ébauches » traduisant pour J. Sutter une « volonté d’organisation et de construction »)
n’en ont pas moins une fonction. C’est par exemple le délire comme « compensation des heurts et
des déceptions de la vie » pour Minkowski ; c’est une « re-création du réel », une solution trouvée
pour « continuer d’exister » (Racamier) ; en tant que « voile » apposé sur le réel angoissant, il est
une défense signant « l’absence de défense » face au réel (Benedetti) ; il vient combler, colmater
la brèche, le « vide laissé par le désinvestissement des représentations d’objet » pour Goeb, Botbol
et Golse ; il présente enfin une fonction à la fois contenante et cicatrisante (S. Flémal), vrai travail
de « mise en forme et de mise en sens », travail de contention des phénomènes pulsionnels, abou-
tissant à la possibilité de réinvestissement du monde des objets et de l’autre via un apaisement du
vécu corporel douloureux. Mais on aura noté également dans ces pages qu’il n’y a pas véritable-
ment en soi de spécificité du délire schizophrénique. Même les phénomènes hypocondriaques, si
fréquents dans la schizophrénie, peuvent se retrouver à un moment ou à un autre dans d’autres
formes de psychoses. C’est toutefois un aspect qui reste essentiel en clinique : la localisation de
la libido, de la jouissance, dans le corps, mise en relief par Freud, et son pendant : le « langage
d’organes », et de manière générale le rapport singulier du sujet schizophrène au langage, au
signifiant « réel » (le mot est la chose). Ainsi, langage et corps semblent être les deux mots clés
autour desquels s’articule la question du délire dans la schizophrénie, les deux termes pouvant
se traduire dans celle-ci par : lalangue et langage d’organes. Tous les troubles du langage dans
la schizophrénie mettent particulièrement bien en relief l’absence de lien, de nouage, entre corps
et langage, ainsi que l’absence de lien entre représentation de mot et représentation de chose.
Si l’on devait résumer en deux mots ce que nous avons vu dans les pages qui précèdent, nous
pourrions dire que d’une part il y a les aspects assez caractéristiques du délire schizophrénique,
aux premiers rangs desquels se trouvent le caractère polymorphe du délire, l’absence de systé-
matisation, la variété des thèmes délirants, avec incohérence, manque d’enchaînements logiques,
etc. Et d’autre part – les deux aspects sont toutefois corrélés – tout ce qui concerne les rapports
du schizophrène au langage, tout ce que l’on peut considérer comme « troubles du langage » –
plus ou moins accentués selon les cas –, qui reflètent la structure non organisée, non structurée
du champ du symbolique (mots coupés, coq-à-l’âne, associations par assonance, par consonance,
néologismes, stéréotypies verbales, etc.). Si le délire schizophrénique semble se distinguer de la
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plupart des autres délires par son aspect mal ou non « systématisé » 11 , on doit cependant noter
que certains sujets psychotiques qui ne sont pas pour autant schizophrènes ne vont pas néces-
sairement jusqu’à échafauder un délire bien construit, cohérent, logique, systématisé. Quant aux
thèmes délirants, aucun ne peut être dit pathognomonique de la schizophrénie. Mais concernant
la question du langage – du rapport au champ du symbolique, du rapport aux « mots-choses », à
« lalangue » – les particularités qui apparaissent dans la schizophrénie nous semblent par contre
tout à fait spécifiques. Et si délire il y a (tous les schizophrènes, pour nous, ne délirent pas
stricto sensu ; certains parviennent à trouver des identifications suffisantes, des fonctionnements
« comme si », des adaptations, un certain conformisme qui parviennent à les maintenir tant bien
que mal sans en passer nécessairement par le délire), si délire il y a, donc, on pourrait sans doute
le qualifier de délire de « littéralité », ou délire de lalangue. Dire qu’il y a à proprement parler
« délire » dans la schizophrénie délirante serait en toute rigueur presque abusif si l’on considère
en effet que le délire consiste en un effort, un travail intense d’organisation signifiante fourni par
le sujet pour traiter la jouissance débridée, pour inventer une nouvelle réalité, un sens nouveau à
son monde, afin de pouvoir y vivre de façon plus apaisée. Dans la schizophrénie, au risque de nous
répéter, on peut admettre que l’une des grandes caractéristiques de la dimension délirante est que
le délire peut y être, dans un grand nombre de cas, qualifié de « paranoïde » : pour N. Franck « le
délire associé à la schizophrénie est dit paranoïde. Contrairement au délire paranoïaque, qui est
structuré, monothématique (. . .), le délire paranoïde est non structuré et polymorphe. L’intrication
de plusieurs thèmes et son caractère flou rendent son contenu parfois difficile à saisir » [2]. Mais il
y a des exceptions. Car nous devons noter aussi que certains schizophrènes parviennent à fournir
un travail délirant d’une grande rigueur, travail délirant non dépourvu d’une certaine cohérence.
Et l’on peut observer cette rigueur et cette cohérence de façon privilégiée, justement, lorsque
le sujet parvient à élaborer quelque chose autour de la langue, ou des langues, qu’il s’agisse
par exemple d’un travail de décomposition ou de déconstruction de la langue12 , d’invention de
nouvelles langues, d’usage particulier d’une langue « privée », d’un mélange savant de plusieurs
langues, etc. En un mot de conclusion, les « troubles du langage », effectivement si présents et si
nombreux dans la schizophrénie, reflètent certes la désorganisation, la non-structuration du champ
du symbolique, mais en outre, on ne peut que constater aussi que l’usage que fait le schizophrène
de sa langue maternelle lui sert à mettre son semblable à une distance respectable. Délirer la langue
est peut-être bien l’une des portes de sortie du schizophrène pour éviter le chaos et pour retrouver
un simili lien social, pas trop envahissant, pas trop menaçant. Pour tel sujet schizophrène qui ne
supporte plus un instant le discours commun et qui parvient à élaborer suffisamment une forme
de délire de lalangue, une façon singulière de jouer avec la langue maternelle, avec le réel de la

11 Avec le délire schizophrénique, disait J. Oury, on a toujours « l’impression que ce n’est pas assez poussé » [47].
12 Le cas de L. Wolfson – qui se nommait lui-même « l’étudiant en langues schizophrénique » – est très intéressant à
cet égard. Il s’est appliqué à désosser, à démembrer sa langue maternelle, avec rigueur. Contrairement à d’autres sujets
psychotiques qui firent également tout un travail délirant sur la langue, qui tentèrent d’inventer par exemple une nouvelle
langue, le procédé délirant de Wolfson, lui – comme l’indique J.-C. Maleval – « ne débouche pas sur la création d’une
langue nouvelle mais sur un infini morcellement du langage (. . .). Son effort intellectuel tend à déboucher (. . .) sur une
dérive métonymique persistante » [48]. Ce travail monumental qui tente de parer à l’intrusion angoissante de la voix et de
la langue maternelles est un effort délirant, mais qui trouve toutefois ses limites : « sa problématique centrée sur la tentative
d’instaurer une barrière linguistique, afin de significantiser la jouissance insupportable attachée à la voix maternelle, n’est
pas propice à l’orientation vers la suture du délire. Il ne parvient pas à élaborer une construction qui puisse masquer la
malignité de l’Autre jouisseur » [48]. Sur cette question, et plus largement sur celle de la « logique du délire » et des grandes
questions théorico-historico-cliniques qui y sont relatives, voir cet ouvrage fondamental de J.-C. Maleval : Logique du
délire [48].
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langue13 par la découverte d’un nouveau lieu d’accueil pour la jouissance (une localisation autre
que le corps, mais l’un n’empêchant toutefois pas l’autre), et pour peu que ce travail en passe par
la lettre, alors l’effet de traitement du réel de la jouissance, le bordage de celle-ci, n’en sera que
plus sûr. Comme le disait Lacan, la marque, la trace, le vide creusé par l’écriture est « godet prêt
toujours à faire accueil à la jouissance, ou tout au moins à l’invoquer de son artifice » [50].

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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13 Il s’agit bien ici de la face réelle de la lettre, de la langue, et non de sa face signifiante : « l’écriture, la lettre, c’est dans

le réel, et le signifiant, dans le symbolique » [49].


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