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Fiscalité et marché de l’emploi

Pourtant indispensables au financement des services publics et de la politique de


redistribution, les prélèvements obligatoires (impôts directs et indirects, taxes, redevances, cotisations
sociales) introduisent des distorsions sur le marché de l’emploi. La fiscalité (prise au sens large des po)
fausse le libre jeu de l’offre et de la demande et aboutirait soit à la destruction d’emploi ou en
découragerait la création. La fiscalité serait donc une des causes du chômage. Après l’échec du
traitement social du chômage, où la fiscalité permettait de financer les transferts sociaux, le traitement
économique du chômage milite pour une baisse des PO et en premier lieu pour une réduction du coin
fiscalo-social.
Mais la relation de causalité est loin d’être si évidente. Est-ce le montant ou la structure des po
qui pénalise le marché de l’emploi ? Les actifs subissent-ils de la même façon la pression fiscale ?

I Les effets désincitatifs de la fiscalité sur le marché de l’emploi

A) des prélèvements obligatoires pénalisant l’offre et la demande de travail :


-mécanisme général : courbe de Laffer :
Une forte pression fiscale est souvent accusée de freiner l’activité. La courbe de Laffer formalise
l’idée qu’à partir d’un certain taux d’imposition, l’épargne, le travail et donc la production et l’emploi
se trouvent pénalisés. La France est particulièrement exposée à ces critiques car le montant des po
s’établit à 45,7% du PIB, certes moins que le Danemark (52%) mais plus que l’Allemagne (38%) et
les Etats-Unis (28%). Il ne faut pas oublier que l’hétérogénéité des taux révèle des choix sociaux
différents.
Cependant si ce mécanisme désincitatif semble évident, il possède de nombreuses limites. Tout
d’abord la courbe de Laffer n’indique pas le taux d’impôt optimal, cad le taux qui maximise les
recettes fiscales sans freiner l’activité. Ensuite, la courbe de Laffer met trop l’accent sur les effets
d’offre (effets désincitatifs de la fiscalité) au détriment des effets de la demande (effet revenu de la
politique fiscale notamment par le biais de la redistribution et des transferts) qui stimule l’activité et
donc l’emploi. Dans un schéma simplifié : chômage keynésienaction sur la demande, chômage
classique action sur l’offre.
-effets négatifs sur la demande de travail :
Le coin fiscalo-social (coût du travail- salaire disponible) serait considéré comme trop élevé en
France. Il représente selon l’OCDE (1996) 43,5% du coût total du travail pour un salaire moyen
ouvrier (30,3% de cotisations patronales et 13,2% de cotisations salariales, CSG et CRDS incluses). A
titre de comparaison la taxation moyenne des revenus du capital est de 19%. Ainsi une hausse des
prélèvements sociaux entraîne une distorsion dans le prix du travail. La distorsion est induite par le fait
que l’employeur ajuste ses calculs sur le coût du travail alors que le salarié détermine son offre de
travail à partir du salaire net. De plus pour les travailleurs peu qualifiés, l’existence d’un salaire
minimum a pour effet de rendre le coût du travail supérieur à sa productivité. Cette distorsion a pour
conséquence d’atténuer la demande de travail des entreprises et d’augmenter le chômage d’équilibre.
Cet effet négatif sur la demande de travail n’est cependant pas automatique, si l’augmentation est
compensée par une baisse du salaire net (compensation intégrale aux Etats-Unis et de la Suède,
partielle dans la plupart des pays comme la France). On retrouve ici la problématique de l’incidence
fiscale –augmentation d’une cotisation patronale qui peut être supportée in fine par le salarié (sauf en
cas de salaire minimum).
Alors qu’en France le coin fiscalo-social est principalement constitué par les cotisations sociales
(19,2% du PIB en France contre 12,2% dans l’Union européenne), à l’étranger, l’impôt constitue une
part plus importante. Au Royaume-Uni les charges sociales constituent seulement 15% du coût du
travail.
-effets négatifs sur l’offre de travail :
L’impact de l’impôt sur le revenu sur l’offre de travail n’est pas aisé à définir. Les taux marginaux
français sont jugés dissuasifs, à la fois pour le salarié riche (risque d’expatriation) et pour un chômeur
qui voudrait retrouver un emploi (trappe à inactivité). De plus la progressivité de l’impôt augmente le
coût d’opportunité des heures supplémentaires travaillées et peut entraîner une baisse de l’offre de
travail (effet de substitution supérieur à l’effet de revenu). Mais ce jugement doit être nuancé car le
poids de l’IR est faible en France (4% du PIB contre 11,3% pour la moyenne communautaire), et il
n’est acquitté que par 50% des contribuables. De plus le mécanisme de quotient familial même
plafonné qui minore l’impôt sur le revenu des ménages avec enfants, l’abattement fiscal (20% en
France pour un salaire ouvrier moyen, 24% au RU et aux Etats-Unis, 3% en Grèce, 100% en Suède),
la différence dans la largeur des tranches faussent la comparaison internationale entre les différents
taux du barème d’imposition.

B) incidence de la fiscalité sur la structure du marché de l’emploi :


-le type de fiscalité : taxation de l’épargne ou du travail, directe ou indirecte ?
Le type de fiscalité influe la structure du marché de l’emploi. En effet privilégier la taxation du travail
par rapport au capital conduit à accélérer la substitution capital-travail (remplacer les travailleurs
peu qualifiés par des machines) et donc à privilégier les secteurs moins riches en main d’œuvre. Mais
la taxation du capital et des bénéfices décourage l’investissement et donc l’emploi.
Face à l’impopularité de la fiscalité directe (qui augmente le coût du travail), la tentation est grande
d’augmenter la fiscalité indirecte jugée plus indolore (notamment la TVA) et très rentable (TVA : 7,9%
du PIB, 50% des po de l’Etat). Considéré comme un impôt neutre, l’impôt indirect entraînerait moins
de distorsions sur l’activité économique. Or la neutralité est loin d’être vérifiée, puisque la TVA influe
sur la consommation de certains produits, dont la demande est fortement élastique au prix, et pour
lesquels la hausse ou la baisse de TVA se répercute instantanément sur les prix (si le secteur est
fortement concurrentiel) et joue sur l’offre et la demande de travail dans ses secteurs. Pour ces raisons
l’OFCE conclut que seule les baisses de TVA ciblées sur ces produits seraient favorables à l’emploi.
-une fiscalité qui exclurait les moins qualifiés du marché du travail (seul point d’accord entre les
études économétriques) : rigidité induite par le SMIC : du fait de la rigidité à la baisse du salaire
minimum (puisque celui-ci est fixé institutionnellement), toute augmentation des cotisations sociales
est supportée par l’employeur. Le coût du travail augmente d’autant. Les salariés dont la productivité
marginale est inférieure au SMIC se trouvent exclus du marché du travail. La demande de travail non
qualifiée est donc plus sensible au coût que la demande de travail qualifié (élasticité-demande plus
forte). Thomas Piketty souligne d’ailleurs que le coût élevé du travail non qualifié en France par
rapport aux Etats-Unis constitue un frein au développement de secteurs comme le commerce,
l’hôtellerie, la restauration.
Pour financer ces allègements de cotisations patronales sur les bas salaires, le rapport Malinvaud
proposait soit de relever les impôts à large assiette (TVA et CSG mais risque d’inflation) ou de les
compenser par une augmentation des cotisations patronales sur le travail qualifié (jugé moins
pénalisant pour ces salariés du fait de la compensation salariale).

II Les réformes proposées et les aménagements récents de la fiscalité visent à limiter ces
distorsions

A) les réformes proposées :


-l’harmonisation ou la coordination de la fiscalité au niveau européen pour éviter les distorsions
et les délocalisations d’entreprises : l’ hétérogénéité des systèmes d’imposition se traduit par des
incitations potentielles à la délocalisation des entreprises. Le marché unique produit les conditions
d’un jeu non coopératif entre Etats : les Etats sont tentés de réduire les prélèvements pour attirer les
entreprises et plus particulièrement de taxer la base la plus mobile (le capital) quitte à augmenter les
prélèvements sur les bases les moins mobiles (TVA, travail). Malgré le sommet de Nice et surtout à
cause de la règle de l’unanimité en matière de fiscalité, les progrès sont minces : rapport Ruding de
1992 sur la réduction des écarts en matière d’IS, proposition Monti (retenue à la source de 20% mais
qui ne concerne que les revenus des particuliers), adoption d’un code de bonne conduite européen
visant moins l’harmonisation des fiscalités que la lutte contre les régimes préférentiels instaurés par les
Etats dans le seul objectif d’attirer les entreprises étrangères. Mais il ne faudrait pas surestimer
l’importance du facteur fiscal dans le choix de localisation des entreprises, d’autres facteurs
interviennent comme l’existence d’un marché et d’un bassin de main d’œuvre (ex : l’implantation de
Toyota à Valenciennes).
-rééquilibrer la fiscalité du capital par rapport à celle du travail : proposition de mise en œuvre
progressive d’une nouvelle assiette élargie à la valeur ajoutée (rapport Chadelat 1997), mais l’idée a
été contestée car l’assiette VA est plus instable que les salaires, elle rend la prévision plus difficile (car
elle n’est connue qu’à posteriori) et n’augmente au final pas plus vite que la masse salariale.

B) les réformes adoptées :


-rééquilibrage de la fiscalité sur le capital et le travail: création en 1991d’un impôt dont l’assiette
est plus large que l’IR (et le rendement plus élevé), la CSG contribuant à la fiscalisation d’une partie
du financement de la sécurité sociale (affectation au financement des prestations familiales, du Fonds
de solidarité vieillesse, et de l’assurance maladie). En contrepartie les prélèvements sociaux sur les
revenus d’activité ont été diminués.
-une fiscalité favorable aux moins qualifiés :
 par l’incitation au travail (le taux d’activité favorisant la croissance et l’emploi) et la
lutte contre les effets de seuil : instauration de la prime à l’emploi plus avantageuse que l’ACR
(proposition de Godino) accusée de favoriser le temps partiel : avec la prime à l’emploi, le passage du
RMI à un emploi payé 0,5 SMIC pour un célibataire ne se traduira plus par une perte de revenu. De
plus la loi de lutte contre l’exclusion du 29 juillet 1998 permet le cumul pendant un an d’une partie de
l’allocation avec un revenu salarié.
 par l’incitation à l’embauche des travailleurs les moins qualifiés via la baisse de
cotisations patronales sur les bas salaires : d’abord en 1984, 1990, 1991 avec le déplafonnement
assorti de diminution des taux des cotisations patronales aux branches maladie, famille et accident du
travail, et depuis 1993 succession de mesures : 1993 réduction des cotisations sociales patronales
jusqu’à 1,3 SMIC, 1998 jusqu’à 1,8 SMIC (en cas de passage aux 35 h, allègement de 21 500F au
niveau du SMIC soit 26% du SMIC brut, diminuant jusqu’à 4000F pour 1,8 SMIC) création à terme
de 450 000 emplois (prévisons OFCE) ou entre 220 000 et 280 000 (selon le RESF) mais risque de
trappe à pauvreté et de freinage de la progression des bas salaires car les employeurs sont tentés de
rester en dessous des seuils afin de profiter des aides (effets d’aubaine).
-une fiscalité plus favorable à l’embauche de tout type de salarié: suppression progressive
(jusqu’en 2003) de la part salariale de la taxe professionnelle favorisant les entreprises de main
d’oeuvre, et les avantages fiscaux de la réduction du temps de travail (aide forfaitaire de 4000 F par
salarié et par an en cas de passage aux 35h). Mais la loi Aubry II a supprimé la contrainte d’embauche
obligatoire instaurée par la loi Aubry I pour bénéficier des allègements de cotisations.
-une fiscalité qui avantage à la fois l’entreprise et les ménages (PLF 2001) :
baisse des taux marginaux de l’impôt sur le revenu (taux supérieur 52,5% en 2003), dans le but de
stimuler la consommation et donc la production et l’emploi, aménagement de la décôte, baisse de
l’impôt sur les bénéfices effet de compétitivité
le problème de la compensation de ces allègements : la réduction du coin fiscalo-social avait pu
être financée grâce à une augmentation du prélèvement sur le capital des entreprises (« surtaxe
temporaire » de l’IS en 1997) . Depuis l’année 2000, c’est surtout la croissance qui permet ces
allègements, ce qui évite d’augmenter trop fortement d’autres impôts en contrepartie, ces hausses
entraînant d’autres distorsions (en effet baisse du taux normal de TVA de 1 point, mais par contre
d’autres prélèvements ont été instaurés en 1999 la TGAP et la contribution sociale sur les bénéfices
afin de financer les allègements introduits par la loi sur les 35 heures).

Conclusion :
De l’étude des liens entre fiscalité et marché de l’emploi, il ressort que certaines questions ne
peuvent être tranchées définitivement. La courbe de Laffer n’indique rien qu’en au montant de l’impôt
optimal. De plus chaque type d’impôt implique des distorsions différentes : l’impôt sur le capital
décourage l’investissement, l’impôt sur le travail agit à la fois sur l’offre et la demande de travail,
l’impôt sur la consommation diminue le pouvoir d’achat. L’effet final sur l’emploi est difficilement
quantifiable car il dépend aussi de la conjoncture économique. La seule certitude concerne le travail
des non-qualifiés, sensibles aux variations de fiscalité. C’est pourquoi, les mécanismes de la loi sur la
réduction du temps de travail mis à part, les incitations fiscales se concentrent sur l’embauche des
moins qualifiés.
Dans d’autres pays les liens sont parfois ténus entre incitation fiscale et emploi. Aux Etats-
Unis avec l’expérience rating les cotisations patronales à l’assurance chômage dépendent des
licenciements effectués par l’entreprise. L’experience rating introduit un lien microéconomique direct
entre la fiscalité et l’emploi. Mais du fait de l’ampleur du chômage, la transposition de ce mécanisme
en France semble peu probable.

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