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L’archéologie

à l’Université Libre de Bruxelles


(2001-2005)

Matériaux pour une histoire


des milieux et des pratiques humaines

ÉTUDES D’ARCHÉOLOGIE 1
Études d’archéologie 1

L’archéologie
à l’Université Libre de Bruxelles
(2001-2005)

Matériaux pour une histoire


des milieux et des pratiques humaines

Bruxelles
CReA

2006
Éditeur-Diffuseur : CReA
© Centre de recherches archéologiques (CReA)
Université Libre de Bruxelles
50, av. F.D. Roosevelt / CP 175
B-1050 Bruxelles
ISBN : 9077723358
Atlas des traditions céramiques du Niger
Olivier P. GOSSELAIN

L e projet vise à documenter, cartographier et


reconstituer l’histoire récente des traditions
céramiques actuelles du Niger. Fondé sur une
sans précédent : située dans la partie méridionale
du pays (où sont majoritairement implantées
les populations actuelles), elle s’étend de la rive
approche ethnographique et comparatiste, occidentale du fleuve Niger à la région du Lac
le travail combine observations, entretiens et Tchad, sur une bande de 400 à 500 km de large
analyse des distributions spatiales de matériaux, et 1500 km de long (fig. 1). Dans d’autres pays
de techniques, d’outils, de lexique, de produits d’Afrique, où d’importants programmes d’étude
finis, d’échelle de production et de statut ont été consacrés à la poterie ces vingt dernières
socioprofessionnel. années, les zones ayant fait l’objet d’enquêtes
Comme dans la majorité des études systématiques ont une taille 5 à 10 fois
ethnoarchéologiques consacrées à la poterie, inférieures. Étant donné le caractère comparatif
l’accent est mis sur la caractérisation des chaînes du travail, on mesure l’intérêt de travailler à une
opératoires et le contexte social et économique telle échelle géographique.
de l’activité. Toutefois, le projet d’Atlas des D’autre part, l’Atlas envisagé est avant tout
traditions céramiques du Niger se démarque à un atlas historique des traditions céramiques.
plusieurs titres de projets similaires menés en Si l’analyse des données permet en effet de
Afrique ou sur d’autres continents. mieux saisir les rapports qu’entretiennent les
D’une part, la zone considérée est d’une ampleur artisans avec leurs traditions et porter ainsi

0˚ 5˚ 10˚ -*#:& 15˚ Fig. 1. Aire couverte


1MBUF par le projet d’Atlas des
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J traditions céramiques
du Niger.
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0˚ #²/*/ 5˚ 10˚ 15˚
Programmes d’études

l’analyse à un niveau plus général – extrapolable


à d’autres contextes –, il s’agit avant tout
d’analyser les traditions céramiques comme des
/BJTTBODFFUBQQSFOUJTTBHF documents dont la trajectoire historique – ou
biographique –, une fois reconstituée, permet
üĂNBSJBHF
d’approcher celle des artisans qui en héritent et
üNBSJBHF les mettent en pratique.
Le projet répond également à une demande des
autorités scientifiques et politiques du Niger
qui souhaitent que l’on documente et valorise
üNBSJBHF le patrimoine céramique du pays. L’atlas se veut
(BSJO(BLV
donc accessible à un très large public et cherche
à articuler les questionnements scientifiques aux
attentes des populations concernées.
Enfin, le travail effectué au Niger prolonge
les recherches entreprises en Afrique sub-
saharienne par des équipes de l’ULB,
/BOB"CEV BOT notamment dans le cadre de l’Action de
7JMMBHFEF(BSJO(BLV
 üNBSJBHF Recherche Concertée « Céramiques &
Sociétés », dirigée par Pierre de Maret entre 1994
 LN
et 1999. Ce travail a déjà permis de constituer
une base de données unique au monde sur la
Fig. 2. Mobilité spatiale postérieure à l’apprentissage. La potière s’est déjà remariée à poterie de l’Afrique subsaharienne. Les enquêtes
quatre reprises au moment des observations, ce qui l’a conduite à résider et à pratiquer réalisées au Niger contribuent non seulement à
l’activité dans quatre villages différents, situés dans un rayon de ± 50 km. la renforcer, mais également à établir des liens
avec des zones précédemment étudiées dans les
pays limitrophes (Mali, Burkina Faso, Bénin,
Nigeria).

Le projet d’Atlas fait suite à une mission


d’expertise effectuée durant l’hiver 2002 pour
le compte de la Biennale de la Céramique
d’Andenne et le Ministère de l’Artisanat et
du Tourisme du Niger. À cette occasion, une
vingtaine de centres de production ont été
visités, ce qui a permis de mesurer l’ampleur,
le dynamisme et la diversité des traditions
céramiques du pays. C’est également lors de
cette mission que des liens ont été établis avec
les archéologues de l’Institut de Recherches
en Sciences Humaines (IRSH) de Niamey,
principaux partenaires nigériens avec le
Ministère de l’Artisanat et du Tourisme.
Parallèlement, une nouvelle Action de
Fig. 3. Village de Waraou, à l’ouest de Maradi. Dans cette localité, comme dans une Recherche Concertée « Gestes, Objets, lexique.
dizaine d’autres de la région, plusieurs dizaines de potiers Hausa produisent chaque Analyse multiscalaire de transmissions culturelles »
jour des centaines de jarres en forme de bouteille (tulu) destinées au transport de a démarré en 2003 à l’ULB, avec pour principal
l’eau. Les produits sont standardisés à l’extrême, mais reconnaissables d’un potier à
terrain africain le Niger. Ce projet étant consacré
l’autre par la nature de l’impression roulée placée sur l’épaule.
à la compréhension et la modélisation des
dynamiques culturelles dans des domaines aussi

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divers que les pratiques maraîchères, la métallurgie de Zinder, les Zarma de l’Est et toute une série
de récupération, la mécanique automobile ou de communautés de langue tamasheq situées au
les lexiques techniques, il y avait une excellente nord et à l’est de Tahoua. Un autre changement
opportunité de bénéficier d’avancées théoriques concerne les communautés d’anciens captifs
directement liées aux questions que pose Tuareg de la région du fleuve, qui développent
l’étude des traditions céramiques. En outre, la diverses stratégies destinées à se défaire du statut
recontextualisation sociale et historique des faits stigmatisant « d’esclave ».
techniques se trouvait facilitée par le caractère Une seconde caractéristique est l’extrême
pluridisciplinaire du projet ARC, unissant mobilité des populations. Celle-ci concerne au
géographes, anthropologues, linguistes et premier chef les déplacements matrimoniaux,
archéologues. qui s’effectuent dans un rayon pouvant atteindre
Dès 2003, le projet d’Atlas a pu voir le jour, jusqu’à 100 km, mais qui peuvent aussi se
grâce à un financement du CReA. Outre la multiplier chez les individus, en raison d’un taux
collecte de données, ce financement a permis important de divorces (fig. 2). Les déplacements
à 7 étudiants de l’ULB et à une étudiante de sont également liés au commerce d’une série
l’Université Abdou Moumouni de se former à de denrées (sel, mil, produits manufacturés,
la recherche de terrain et à l’analyse des chaînes produits d’importation), suivant un axe Nord-
opératoires de la poterie. La mise sur pied du Sud, ou au travers d’un réseau qui relie les
projet a également contribué au développement principales villes d’Afrique de l’Ouest et du
ou au renforcement de liens institutionnels, Nord. Il y a enfin les déplacements saisonniers,
tant au sein de l’ULB (Centre d’Anthropologie au cours desquels des individus ou des familles
Culturelle, Laboratoire de Géographie Humaine, issus des régions les plus arides descendent vers
Service Afrique) qu’avec l’extérieur (Musée le Sud ou la région du fleuve, afin de trouver de
royal de l’Afrique Centrale, Ville d’Andenne, quoi gagner un peu d’argent.
Institut de Recherches en Sciences Humaines La poterie constitue une autre caractéristique
de Niamey). justifiant la mise sur pied d’un projet
comme celui de l’Atlas. Il s’agit en effet d’un
Du point de vue humain, le pays se caractérise artisanat extrêmement développé au Niger et
par une grande diversité : pas moins de 19 particulièrement actif, contrairement à ce que
langues sont parlées actuellement dans l’espace l’on observe dans d’autres régions du continent
national, qui appartiennent à 3 des 4 grandes africain. Aucune menace ne semble peser sur ce
familles linguistiques représentées sur le secteur d’activité, dont le dynamisme se prête
continent africain : afro-asiatique, niger-congo remarquablement à l’approche comparatiste et
et nilo-saharien. À cette diversité linguistique se historique développée par le projet. On relève
combine une large palette d’identités régionales par ailleurs une grande diversité des contextes
(par exemple : Zarma du Zarmaganda, Zarma du et des échelles de production, qui vont de
Zarmatarey ; Hausa Katsinawa, Hausa Arewa, la « potière utilitaire », produisant quelques
Hausa Aderawa ; …) et de statuts sociaux. Ces récipients à la demande par saison, aux centres
derniers concernent au premier chef les artisans spécialisés de la région de Maradi ou de Mirria,
céramistes, qui appartiennent, selon les cas, au dans lesquels des dizaines d’artisans (souvent des
groupe socioprofessionnel des « forgerons », des hommes) produisent quotidiennement plusieurs
« griots », des « tanneurs », des « esclaves », des centaines de pièces identiques, distribuées dans
« nobles » ou qui ne jouissent d’aucun statut un rayon qui excède parfois 100 km (fig. 3).
social particulier. À cette variabilité des modes de production se
Il faut noter que de profonds bouleversements combine une extraordinaire diversité dans les
identitaires affectent certaines régions du pays. Le pratiques techniques, les matériaux utilisés, le
plus connus est le processus de « hausaisation » vocabulaire et le style des produits.
(adoption de la langue, de l’identité et de On relèvera enfin que c’est au Nord du Niger
certaines pratiques Hausa), observé depuis qu’ont été découverts les plus anciens vestiges
plusieurs décennies chez les Kanuri de la région céramiques connus sur le continent africain

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Programmes d’études

Fig. 4. Outre l’obser-


vation des actions
techniques, les enquêtes
comportent des entre-
tiens approfondis avec
les artisans, afin de
préciser leur biographie,
les modalités de leur
apprentissage et la
connaissance qu’ils ont
des traditions propres
à d’autres centres de
production.

Fig. 5. Extraction de
l’argile à Torodi, au
sud de Niamey.

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At l a s de s t r a di t ion s c é r a m iq u e s d u N ig e r

(± 10.000 av. J.-C.) et que c’est sur la rive


occidentale du fleuve, à proximité de villages
où l’activité céramique est toujours vivante,
qu’a été mis au jour un complexe de nécropoles
comprenant ce que l’on considère comme l’un
des plus beaux exemples d’art céramique du
continent. En termes de traditions céramiques,
nous nous trouvons de toute évidence face à une
histoire très longue.

Méthode d’enquête
Les lieux d’enquête sont identifiés par prospection
le long des voies de communication figurant
sur les cartes 1/500.000e ou localisées sur place.
Dans chaque village, ou tous les 5 à 10 km dans
les zones densément peuplées, des habitants sont
questionnés sur l’existence et la localisation de
fabricants de poterie. Ce type de prospection est
renforcé par les informations collectées auprès
des artisans eux-mêmes et, lorsque l’occasion se
présente, par les renseignements fournis sur les
marchés.
Dans chaque localité, l’enquête combine
observations techniques, entretiens et collecte
de données iconographiques et linguistiques
(fig. 4). Il s’agit de caractériser les procédés et
les outils utilisés à chaque étape de la chaîne
opératoire – depuis l’extraction de l’argile (fig.
5) jusqu’à la mise en circulation des produits
(fig. 6) –, de préciser l’identité linguistique et
sociale des artisans, les principaux éléments
de leur biographie et les modalités de leur
apprentissage, de collecter le vocabulaire
technique, de photographier et/ou dessiner les Fig. 6. Potières se rendant au marché sur la piste de Ouacha, au sud-est de
produits emblématiques et, dans la mesure du Zinder.
possible, constituer une collection de référence
d’outils, de matériaux et de récipients (fig. 7).
Depuis 2004, l’enquête porte également sur les
connaissances qu’ont les artisans de traditions
développées dans d’autres localités ou régions.
Il s’agit de mieux cerner la façon dont se
développent les représentations relatives aux
techniques et à leurs usages, mais également de
caractériser les espaces au sein desquels circulent
les connaissances.
Fig. 7. Les outils utilisés
Du point de vue de la circulation des produits,
aux différents niveaux
l’enquête reste superficielle. La principale de la chaîne opératoire
difficulté découle des conditions d’enquête sont systématiquement
assez difficiles sur les marchés, en raison des inventoriés, photogra-
attroupements qu’entraîne immanquablement la phiés et / ou collectés.

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Programmes d’études

présence d’Occidentaux. Étant essentiellement février au 1er mars par Claire Corniquet (ULB)
indirectes, les données relatives à la mise en et Doulla Sindy (IRSH), visait à faire la jonction
circulation des produits ne permettent pas à ce entre les zones étudiées en 2003 et en 2004 et à
jour d’établir une carte précise des réseaux de poursuivre les prospections à l’est et au nord de
distribution. Maradi. Une centaine d’artisans ont été visités
à cette occasion, dans 64 villages. La seconde
Détail des missions effectuées depuis 2002 mission a été effectuée par Marie Brisart (ULB),
Une mission exploratoire, trois missions durant la première moitié du mois d’avril. Les
collectives et deux missions individuelles ont enquêtes, réalisées dans 14 villages de la région
été entreprises depuis l’hiver 2002 (fig. 8). de fleuve (entre Niamey et Tillabéri), visaient à
La mission exploratoire (25 février – 9 mars mieux cerner l’origine et l’identité des potières
2002) a été effectuée conjointement par de la région et à retracer l’histoire récente de
Yves Sorée (Échevin de la Culture de la ville leurs traditions céramiques.
d’Andenne et organisateur de la Biennale de la Depuis février 2002, 269 localités ont ainsi été
Céramique), Hassan Zoubeyrou (Ministère de visitées (certaines à 2 ou 3 reprises) et près de
l’Artisanat et du Tourisme), Seydou Abarchi 500 potières et potiers observés et interviewés.
(chauffeur) et O. Gosselain. Initiées dans la À ce stade, il s’agit de la plus vaste enquête
région de Niamey puis au nord de Dosso, les jamais réalisée sur le continent africain.
enquêtes se sont poursuivies vers l’Est le long de
l’axe routier principal, jusqu’à Guidimouni. Au Premiers résultats
total, 23 centres ont été visités et 53 enquêtes Une diversité sans cesse renouvelée
individuelles effectuées. Les personnes familières des traditions
Ce travail s’est prolongé en 2003 (31 janvier – 25 céramiques africaines savent à quel point
février), 2004 (23 février – 15 mars) et 2005 celles-ci se caractérisent aujourd’hui par
(3 – 28 mars) lors de missions collectives placées une extraordinaire diversité technique et
sous la direction de O. Gosselain et réalisées esthétique – laquelle, il faut le souligner, n’a
avec Mr Doulla Sindy (IRSH - assistant de pratiquement pas d’équivalent dans d’autres
recherche) et sept étudiantes de l’Université régions du monde. Les enquêtes systématiques
Libre de Bruxelles et de l’Université Abdou effectuées au Niger contribuent à élargir un peu
Moumouni de Niamey : Awa Adam Aborak, plus encore la reconnaissance de cette diversité.
Claire Corniquet, Marie Demeuter, Estelle De En particulier, de nouveaux outils de décoration
Plaen, Valérie Lejeune, Sabine Tournemenne et et de traitement des surfaces ont été identifiés,
Julie Vanassche. Les trois missions, effectuées de même qu’une technique de façonnage
d’Ouest en Est dans les départements de Niamey, inédite (combinant moulage et martelage – fig.
Dosso, Tahaoua, Maradi et Zinder, ont permis 9) et certaines façons de contrôler la coloration
de visiter 172 localités et d’interroger près de de la paroi des récipients durant la cuisson. Le
400 artisans. travail comparatif permet également d’établir
Deux missions individuelles ont par ailleurs été de nouvelles distinctions au sein de catégories
effectuées en 2005. La première, réalisée du 4 techniques habituellement considérées de façon

Fig. 8 : zones étudiées


depuis 2003 et
localisation des 269
villages visités à ce jour

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At l a s de s t r a di t ion s c é r a m iq u e s d u N ig e r

Fig. 10. Martelage sur


dépression recouverte
d’une natte. La
potière part d’une
motte conique qu’elle
creuse et agrandit par
percussion à l’aide
d’un marteau en terre
cuite, en progressant
de la périphérie vers le
centre.

Fig. 11. Martelage


sur support en bois.
Le potier part d’une
« galette » d’argile qu’il
creuse, arrondit et
élargit par percussion
à l’aide d’un marteau
en terre cuite, en
progressant du centre
vers la périphérie.
Dans cette variante
du martelage, le bord
B de l’ébauche constitue
un bourrelet qui est
générique. C’est le cas du procédé de façonnage progressivement aplati
et étiré.
par martelage, qui se décline au Niger selon
deux « grammaires techniques » différentes,
l’une consistant à aplatir et à recourber une
motte d’argile en progressant de la périphérie
vers le centre de la pièce (fig. 10), l’autre à
progresser par percussion du centre vers la
périphérie d’un disque d’argile, ce qui revient à Fig. 9. Façonnage d’une
« dérouler » progressivement un épais bourrelet jarre par combinaison
des techniques de
de matière (fig. 11). L’intérêt tient en ce que les
martelage et de
deux variantes sont observées dans des groupes moulage (village de
C d’artisans qui n’entretiennent aucune relation Banteri, au sud-est de
et pour lesquels il n’est pas possible d’établir de Niamey). (a) La potière
connexions historiques. Par contre, les mêmes forme une galette
variantes semblent exister dans des groupes concave par martelage
dans une dépression
distincts bien au-delà des frontières du Niger,
recouverte d’une natte;
ce qui permet d’envisager une approche plus (b) elle la pose sur le
historiciste que celle, teintée d’évolutionisme et fond d’un récipient
de fonctionnalisme, récemment développée par retourné et l’étale à
Sterner et David. l’aide du marteau ;
(c) elle démoule
l’ébauche après un
Des traditions en constante évolution
temps de séchage et (d)
Si l’on sait depuis longtemps que les traditions poursuit le façonnage
céramiques ne sont pas plus figées dans l’espace par adjonction de
D
ou le temps, qu’issues en droite ligne d’un « passé colombins et battage.

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Programmes d’études

Fig. 12. Jarres peintes


(tallam) sur le marché
de Koukoumani, près
de Tillabéri. Le
style « polychrome »
de ces poteries est
caractéristique de la
région du fleuve.
des quelques informations disponibles dans la
littérature ethnographique indiquent que ce
style aurait émergé dans la seconde moitié du
XXe siècle. Propre aux communautés d’anciens
esclaves Tuareg (Iklan ou Bella) implantées sur
la rive orientale du fleuve, il résulterait d’un
métissage entre un style céramique local, plus
Fig. 13. L’intérêt ac- ancien et attribuable à des communautés de
cordé au décor des tallam
langue zarma, et un style proprement Tuareg,
conduit les potières de
la région du fleuve à développé sur le cuir, le bois et les tissus. Le
innover constamment, succès commercial de cette nouvelle forme de
notamment par l’intro- décor est tel qu’il tend à supplanter les autres
duction de figures styles bien au-delà de sa zone d’origine. On
scripturales ou zoo- observe par ailleurs une compétition entre ceux
morphes.
qui le produisent, plusieurs potières s’efforçant
de diversifier le répertoire des figures peintes par
immémorial », leur caractère fondamentalement introduction de chiffres, de lettres ou de figures
hétérogène et dynamique est assez saisissant animales (fig. 13) – inspirées, selon certaines,
au Niger. Dans certains cas, l’évolution se fait des manuels scolaires.
pratiquement en direct ou se laisse appréhender Si le renouvellement des styles ornementaux
aisément, au travers des entretiens ou des s’observe dans d’autres régions du pays
comparaisons. – avec pour principale tendance l’abandon
L’exemple le plus frappant est sans doute des décors plastiques (impressions, incisions,
celui du style ornemental polychrome de la cordons) au profit de décors peints, souvent
région du fleuve, véritable carte de visite de bi-chromes –, d’autres étapes de la chaîne
l’artisanat céramique du Niger (fig. 12). Les opératoire témoignent également de dyna-
enquêtes effectuées sur le terrain et l’examen miques de changement : simplification ou

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At l a s de s t r a di t ion s c é r a m iq u e s d u N ig e r

complexification des recettes de préparation En remontant à un niveau plus élevé, on


de l’argile, modification des éléments constate cependant que les traits qui permettent
ajoutés, acquisition de nouvelles techniques de distinguer les recettes de préparation des
de façonnage, introduction de nouveaux pâtes ne varient pas à l’infini mais appartiennent
combustibles, innovations et emprunts dans le à un répertoire assez limité. Ce répertoire diffère
vocabulaire technique, redéfinition du statut partiellement ou complètement de celui de
socioprofessionnel des artisans. Ces changements régions limitrophes comme le Delta intérieur
paraissent souvent résulter de stratégies sociales du Niger, le Nord du Bénin, ou la région du Lac
relatives à des tensions identitaires, à un souci Tchad, ce qui permet d’envisager deux lectures
de valorisation commerciales des produits ou, au moins du mode de distribution des recettes:
comme l’expriment quelques potières, au simple l’une locale, reflétant de micro-fluctuations
désir de moderniser les pratiques. sociales et économiques ; l’autre régionale,
reflétant une histoire plus longue et des liens
Importance des échelles de comparaison dont les artisans n’ont éventuellement aucune
Les cartes de distribution de techniques, de conscience.
matériaux ou de vocabulaire établies à ce jour ne
sont pas toujours faciles à interpréter. Certaines Mobilité et changement technique
distributions semblent échapper aux logiques Dans de nombreux centres, l’activité céramique
classiquement observées dans d’autres régions paraît s’être développée assez récemment, sous
du continent : relation avec la langue, le sexe, l’impulsion d’une potière venue en mariage
le statut socioprofessionnel, l’appartenance ou d’un groupe d’artisans migrants. Les récits Fig. 14. Reconstitution
régionale ou les anciennes structures politiques. collectés sur le terrain sont parfois suffisamment d’une filière de diffusion
Le fait est d’autant plus troublant que de précis pour que l’on retrace au fil des décennies de la technique de
nombreux artisans accordent une valeur la façon dont une tradition a « voyagé » dans martelage à l’est du
fleuve. Les différentes
identitaire forte à leurs propres pratiques, qu’ils l’espace. On peut alors expliquer pourquoi
étapes de diffusions sont
distinguent alors de celles des autres artisans certaines techniques cohabitent avec d’autres liées aux déplacements
dont ils ont connaissance. dans une région donnée, voire dans une matrimoniaux des po-
En réalité, on s’aperçoit que l’échelle de référence même localité. L’impact des déplacements tières.
des personnes interrogées est sans aucun rapport
avec celle du chercheur. Il faut « descendre »
au niveau local ou micro régional pour que la
distribution spatiale des pratiques techniques
commence à faire sens, grâce, notamment, à
la mise en valeur de corrélations systématiques
avec certaines facettes de l’identité sociale. Ce
phénomène est particulièrement perceptible
au niveau des recettes de préparation des pâtes.

Dans les villages où cohabitent des artisans

de statuts différents, certaines configurations
d’ingrédients sont partagées par ceux qui
portent le même statut, mais diffèrent de celles 
des autres. Parallèlement, de micro-phénomènes
d’homogénéité sont ponctuellement observés
autour des lieux de production les plus
réputés, comme si ces derniers constituaient
des « centres de référence ». Une dynamique
d’homogénéisation intra- et inter-villageoise
semble donc à l’œuvre, qui découle vrai-
semblablement de stratégies d’affiliation 0 50 km

délibérées.

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Programmes d’études

matrimoniaux sur la propagation spatiale d’une côtoyer des artisans dont le statut économique et
technique de façonnage a notamment été mis en la réputation sont généralement plus élevés que
évidence sur la rive orientale du fleuve (fig. 14). le leur. Il s’ensuit une valorisation des pratiques
Plus à l’Est, dans le Département de Maradi, on techniques et des processus d’emprunt, dont
assiste à la migration de potiers Hausa originaires il faut souligner que l’intensité et l’orientation
du Nigeria et du Sud-Niger, qui cherchent à géographique ne sont pas tributaires des réseaux
s’assurer de nouveaux débouchés économiques. sociaux, mais bien des fluctuations climatiques.
La poterie constituant la principale activité
masculine dans les familles de ces artisans et Patrimonialisation des savoirs
l’apprentissage étant quasiment obligatoire Parmi les phénomènes observés sur le terrain, l’un
(« Si tu vis parmi les potiers, mais que tu ne sais des plus passionnants est sans doute la façon dont
pas fabriquer de pots, qui es-tu ? » confie un les savoirs techniques sont systématiquement
informateur), de nombreux artisans, confrontés investis de sens et socialement mobilisés. Qu’il
à une saturation locale du marché, se voient s’agisse de recettes de préparation de l’argile,
contraints de quitter le village et d’aller ouvrir de techniques de façonnage, de décors, d’outils
des ateliers de plus en plus loin vers le Nord. ou de vocabulaire, tout élément est susceptible
Tous ces mouvements ont évidemment un d’être exploité comme point d’ancrage ou
impact sur la distribution spatiale des traditions, marqueur identitaire, comme le montrent
mais également sur leur évolution locale, suite quelques exemples déjà évoqués.
à la confrontation entre les pratiques des uns À côté de stratégies techniques que l’on peut
et des autres, et aux éventuels emprunts qui en qualifier d’opportunistes et dont la logique est
découlent. Une autre catégorie de déplacement principalement économique, des rapports très
est très révélatrice de ce point de vue. En raison forts peuvent être noués avec des pratiques qui
du caractère très rude du climat sahélien, des acquièrent de la sorte une valeur patrimoniale.
familles de l’intérieur des terres ont l’habitude de C’est particulièrement le cas pour les techniques
s’installer plusieurs mois durant dans la région de façonnage. Ainsi, par exemple, une série de
du fleuve ou au Sud du pays. Pour les potières de potières Songhay appartenant au groupe des
l’intérieur, ces séjours sont souvent l’occasion de forgerons ont récemment acquis la technique

Fig. 15. L’apprentissage


de la poterie s’effectue
le plus souvent durant
l’enfance, sous la
supervision d’un parent
proche. Chez certaines
femmes Hausa, la
pratique du métier ne
débute réellement que
bien plus tard, après
s’être mariée et avoir
déjà eu un ou plusieurs
enfant(s).

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At l a s de s t r a di t ion s c é r a m iq u e s d u N ig e r

du moulage, qu’elles jugent plus facile et plus De multiples exemples de ce type sont rencontrés Ce projet, financé par
rapide. Elles préfèrent cependant transmettre la au cours des enquêtes. Tous témoignent de le CReA, s’inscrit dans
technique du martelage à leurs filles, car c’est l’intérêt profond que les artisans ont pour leur un programme de
celle qu’elles ont héritée de leurs mères, tandis métier, au-delà de considérations strictement recherches plus large
(ARC « Gestes, objets,
que l’autre résulte d’un emprunt. Chez les Hausa, économiques. Ces exemples montrent lexiques. Analyse mul-
de nombreuses potières expliquent avoir appris également que les intérêts du chercheur peuvent tiscalaire de trans-
le métier étant enfant, auprès de leur mère (fig. aisément coïncider avec ceux des artisans, missions culturelles »),
15), mais ne l’avoir pas pratiqué avant la mort de particulièrement lorsqu’il s’agit de reconstituer financé par la Com-
celle-ci. Plus qu’un apport économique, la mise l’histoire des traditions et de comprendre les munauté française de
en pratique des connaissances permettrait de rapports qu’entretiennent avec elles ceux qui en Belgique. Je remercie
mes collègues de l’IRSH
maintenir un lien affectif et intergénérationnel. héritent et les mettent en pratique. de Niamey, avec lesquels
Une situation assez proche est observée chez les De ce point de vue, l’Atlas des traditions une collaboration fruc-
potiers Hausa de la région de Maradi, pour qui céramiques du Niger devrait être à même tueuse se développe
la capacité de pratiquer le métier est constitutif de remplir son rôle de trait d’union entre depuis 2003, les
de l’identité. Certains potiers rencontrés sur le la recherche scientifique et la valorisation étudiants de l’ULB et
terrain expliquent ainsi qu’ils comptent quitter patrimoniale, en rencontrant aussi bien les de l’Université Abdou
Moumouni qui ont
le village et pratiquer d’autres activités, mais qu’il attentes de l’archéologue ou de l’ethnologue que pris part aux recherches
leur faut avant cela devenir un « vrai potier ». celles des populations du Niger. de terrain, Doula
Sindy et tous les
artisans nigériens sans
le soutien desquels ce
projet n’aurait pas été
possible.
O r ie n tation b i b l i o g r a p h i q u e

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