Professional Documents
Culture Documents
Giniewski Paul. Allemagne et Israël [Le traité de réparations israélo-allemand du 10 septembre 1952]. In: Politique étrangère,
n°2 - 1954 - 19ᵉannée. pp. 211-226;
doi : https://doi.org/10.3406/polit.1954.2629
https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1954_num_19_2_2629
/. - LES PRÉLIMINAIRES
comme pays recevant une large immigration juive, Israël est particulièrement qualifié
pour parler au nom des victimes du nazisme et demande que des dispositions soient
prises pour : a, permettre aux spoliés qui ont quitté l'Allemagne de faire valoir leurs
droits ; b, donner aux ayants droit à la restitution et aux compensations la possibilité
légale de transférer à l'étranger des fonds et des marchandises. Tant que ces possibilités
n'existent pas, c'est l'Allemagne qui profiterait de l'extermination et des pillages nazis.
C'est le 12 mars 1951 seulement qu'Israël, dans une nouvelle note aux
quatre grandes puissances, demande des réparations de 1 500 000 000 de
dollars à l'Allemagne (soit 1 milliard à la République fédérale et 500 millions
à l'Allemagne de l'Est) pour le « massacre gigantesque et la spoliation du
judaïsme d'Europe sous les nazis » et comme contribution au réétablissement
de 500 000 survivants en Israël. Cette note bouleversante analyse ce que fut
l'un des chapitres les plus déchirants de l'histoire de l'humanité, démontre
la responsabilité financière du gouvernement de Bonn qui s'est reconnu
successeur du troisième Reich, définit dans quelle mesure le peuple
allemand continue de jouir du fruit des massacres nazis, analyse l'action
d'Israël pour le reclassement des D. P. et affirme que le peuple allemand
doit contribuer au réétablissement des survivants.
La réaction allemande à cette note vint le 27 septembre 1951, lors du
débat provoqué par le chancelier Adenauer au Bundestag de Bonn sur les
« réparations aux Juifs ». Soulignant dans son discours que << des crimes
ALLEMAGNE ET ISRAEL 213
la revendication israélienne est sans rapport avec la valeur des biens spoliés (qui sont
bien plus importants), mais se (onde sur les sommes effectivement dépensées pour le
réétablissement des immigrants. Il n'est pas non plus question de considérer le paiement
comme une réparation morale.
Cette offre fut jugée acceptable par Israël, et les négociations reprirent
le 24 juin à La Haye.
216 PAUL GINIEWSKI
Outre que cette dernière motivation n'est pas exacte, la déclaration n'eut
jamais de suite concrète. Et, lors du débat au Bundestag de Bonn, qui
coïncidait avec la campagne électorale en Allemagne occidentale, MM. Grote-
wohl et Ulrich firent en Allemagne orientale des déclarations véhémentes
condamnant le principe des réparations. Sans doute faut-il mettre ces
déclarations sur le compte du désir d'immixtion des autorités d'Allemagne
orientale, pendant la campagne électorale à l'Ouest. Mais le fait est que
l'Allemagne de l'Est n'a jamais montré la volonté de réparer, et les
restitutions de biens, non seulement en déshérence, mais apparents et
parfaitement attribuables, n'ont jamais été organisées dans ce pays. C'est pourquoi,
au cours de la conférence des « quatre » à Berlin, en janvier 1 954, Israël
a réitéré par une note sa demande de réparations.
L'opinion allemande.
On peut dire que l'opinion publique allemande fît montre d'une grande
indifférence pour toute l'affaire. Une très faible minorité (parmi laquelle
il faut citer les Carlo Schmidt, les Erich Lueth, promoteur du mouvement
« Paix avec Israël », les Bœhm, les Maas) milita en faveur des réparations.
Une faible minorité, issue des différents secteurs de l'horizon néo-nazi,
milita contre. Mais la masse ne s'en préoccupa jamais.
C'est qu'il n'existe pas, dans la masse du peuple allemand, de sentiment
de honte, de regret, de culpabilité, de remords. « L'intensité du sentiment
de honte, m'a déclaré Carlo Schmidt, leader du parti socialiste, est
proportionnel au niveau culturel de l'Allemand : seule une élite est
consciente d'une responsabilité. » Sans doute cette élite (et le Parlement est
une élite de fait) joue-t-elle un rôle effectif dans le pays : elle veut bâtir
une nouvelle dignité, une nouvelle présence allemande dans le monde, et
l'hypothèque juive doit être apurée pour ce faire. Elle entraîne donc, dans
une certaine mesure, la masse derrière elle. Mais cette masse ignore tout
de la question, lui fait confiance (ou la lui retire) aveuglément, mais ne
partage certainement pas cette opinion de Carlo Schmidt :
218 PAUL GINIE15KI
Le peuple allemand a une série de dettes à acquitter envers le monde, et dans la série
de nos dettes il existe une hiérarchie de priorités. Envers les Juifs nous avons la dette la
plus criante.
L'opinion israélienne.
Les discussions ont .montré que les puissances occidentales ne sont pas prêtes à
représenter Israël en ce gui concerne ses revendications contre l'Allemagne. En conséquence,
Israël doit décider si les biens spoliés doivent rester aux mains des assassins, ou s'il faut
entamer des négociations directes avec les autorités allemandes.
Cette analyse des réactions suscitées par les réparations ne serait pas
complète si l'on n'y ajoutait la campagne orchestrée par la Ligue arabe en
ALLEMAGNE ET ISRAEL 221
VI. - LE TRAITÉ
Le département de l'information.
De plus, le Dr Moses, contrôleur des comptes de l'État d'Israël, a
installé un bureau auprès de la mission et décidé de le transformer
prochainement en département de contrôle de tous les postes diplomatiques
israéliens et de tous les services de l'Agence juive en Europe. Cologne
deviendra ainsi le centre principal des activités israéliennes en Europe.
Les partenaires directs de la mission d'achats sont les autorités et les
industriels allemands. Les contacts ont été jusqu'ici parfaitement corrects.
L'organisme allemand chargé de l'application du traité est le Bundesstelle
fur der Warenverkehr (Office fédéral de la circulation des marchandises)
de Francfort, qui a établi un bureau spécial à Cologne.
L'instance mixte, israélo-allemande, est la commission instituée par
l'article 1 3 du traité, et qui siège à Bonn.
Paul GlNIEWSKI.