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Politique étrangère

Allemagne et Israël [Le traité de réparations israélo-allemand du 10


septembre 1952]
Le traité de réparations israélo-allemand du 10 septembre 1952
Paul Giniewski

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Giniewski Paul. Allemagne et Israël [Le traité de réparations israélo-allemand du 10 septembre 1952]. In: Politique étrangère,
n°2 - 1954 - 19ᵉannée. pp. 211-226;

doi : https://doi.org/10.3406/polit.1954.2629

https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1954_num_19_2_2629

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ALLEMAGNE ET ISRAEL

Le traité de réparations israélo-allemand


du \0 septembre 195 2

Le trailé de réparations conclu entre fa République fédêrpV


d'Allemagne et l'État d'Israël est un phénomène politique et économique sœ
generis.
En général, les réparations servie» par on vaincu au vainqueur ont le
caractère d'une obligation imposée par la force. Ce caractère fai*
évidemment défaut au traité conclu le 10 septembre 1952 entre le Dr Adenauer
et M. Sharett, ministre des Affaires étrangères d'Israël, et actuellement
soa président du Conseil, Mais, surtout, le contenu du traité, la nature des
dommages qu'il entend réparer (6 millions dé Juifs assassinés et des
millions d'autres ruinés F), les controverses passionnées qu'il a suscitées,
tant en Allemagne qu'en Israël, dans le monde juif et les pays arabes, et
l'inévitable rapprochement qu'il provoque entre l'Allemagne et Israël, les
derniers, pays au monde dont on attendait un si rapide rapprochement,,
méritent d'y consacrer une étude exhaustive.
Il est trop tôt, d'ailleurs,, pour faire l'histoire des réparations allemandes
à Israël. Sur L'origine des négociations, et sur les phases préliminaires: qui
durent secrètes» l'État d'Israël garde encore un silence pudique. Les
réparations elles-mêmes ne seront acquises et n'auront contribué au
développement de l'État d'Israël que si l'Allemagne honore intégralement sa
signature, c'est-à-dire si les douze annuités prévues sont servies» Mais d'ores et
déjà on> peut faire la somme des faits connus/ et leur analyse, pour répondre
aux, questions, suivantes : Que représentent les réparations-? Pourquoi
et comment sont-elles servies? Quelles ont été les négociations qui y ont
abouti? Qu'en ont pensé, et qu'en pensent les Allemands et Les Israéliens ?
Quelle est la position^ des» États arabes» et de l'Allemagne de l'Est ? A quoi
le traité dfes réparation* aboutit-il?
212 * PAUL GINIEWSKI

/. - LES PRÉLIMINAIRES

Les réparations allemandes à Israël et aux grandes organisations juives


dans le monde, groupées en un Comité de revendications contre
l'Allemagne, représentent matériellement 3 milliards de DM, à verser en
marchandises, et l'application d'une législation qui assure aux victimes
du nazisme la restitution de leurs biens spoliés et des compensations
pour les dommages subis.
Ce monument politico-économique a son origine en octobre 1950. Le
24 octobre, les gouvernements des U. S. A., de Grande-Bretagne et de
France adressaient à Israël (en même temps qu'à 54 autres États) une note
annonçant leur intention de prendre des mesures législatives en vue de
mettre fin à l'état de guerre avec l'Allemagne et suggéraient au
gouvernement israélien, s'il le jugeait opportun, de prendre des mesures similaires.
Le 16 janvier 1951, Israël répondait par une note aux quatre puissances
occupant l'Allemagne, soulignant qu'il ne pouvait envisager une action
similaire, mais demandant que ces gouvernements réservent, dans leurs
accords futurs avec l'Allemagne, le droit de revendication d'Israël au nom
des Juifs persécutés sous Hitler. Sans chiffrer ces revendications, Israël
souligne que

comme pays recevant une large immigration juive, Israël est particulièrement qualifié
pour parler au nom des victimes du nazisme et demande que des dispositions soient
prises pour : a, permettre aux spoliés qui ont quitté l'Allemagne de faire valoir leurs
droits ; b, donner aux ayants droit à la restitution et aux compensations la possibilité
légale de transférer à l'étranger des fonds et des marchandises. Tant que ces possibilités
n'existent pas, c'est l'Allemagne qui profiterait de l'extermination et des pillages nazis.

C'est le 12 mars 1951 seulement qu'Israël, dans une nouvelle note aux
quatre grandes puissances, demande des réparations de 1 500 000 000 de
dollars à l'Allemagne (soit 1 milliard à la République fédérale et 500 millions
à l'Allemagne de l'Est) pour le « massacre gigantesque et la spoliation du
judaïsme d'Europe sous les nazis » et comme contribution au réétablissement
de 500 000 survivants en Israël. Cette note bouleversante analyse ce que fut
l'un des chapitres les plus déchirants de l'histoire de l'humanité, démontre
la responsabilité financière du gouvernement de Bonn qui s'est reconnu
successeur du troisième Reich, définit dans quelle mesure le peuple
allemand continue de jouir du fruit des massacres nazis, analyse l'action
d'Israël pour le reclassement des D. P. et affirme que le peuple allemand
doit contribuer au réétablissement des survivants.
La réaction allemande à cette note vint le 27 septembre 1951, lors du
débat provoqué par le chancelier Adenauer au Bundestag de Bonn sur les
« réparations aux Juifs ». Soulignant dans son discours que << des crimes
ALLEMAGNE ET ISRAEL 213

effroyables ont été perpétrés au nom du peuple allemand, qui nous


imposent l'obligation de réparer moralement et matériellement », le chancelier
affirme que son gouvernement est prêt à promouvoir des solutions aux
problèmes des réparations, avec des représentants du judaïsme et de l'État
d'Israël, « pour ressusciter l'esprit de vraie humanité dans le monde ». Le
dialogue était donc engagé, et l'on pouvait passer à un stade plus concret :
l'initiative des contacts directs.
L'invitation officielle aux négociations fut lancée par l'Allemagne.
Sans doute le gouvernement d'Israël, aux prises avec une opinion
publique hostile aux négociations et une opposition parlementaire qui
s'appuyait sur cette hostilité pour contrecarrer l'ensemble de la politique
gouvernementale et discréditer ses chefs, aurait-il préféré, même à ce stade,
refuser le dialogue. Sa revendication était d'ailleurs adressée aux quatre
puissances occupantes, et Israël les avait sondées pour déterminer si elles
accepteraient de présenter, elles, ses revendication à l'Allemagne. Mais les
puissances occupantes avaient opposé un refus très net, et tous les
préliminaires furent menés pour le compte du gouvernement d'Israël et des
grandes organisations juives par l'intermédiaire du Dr Nahoum Goldmann,
président du Congrès juif mondial ; et c'est à lui que le gouvernement de
Bonn, après une phase mal connue de négociations secrètes, adressa le
6 décembre 1951 l'offre de négociations officielles. C'est lui également
qui transmit au chancelier Adenauer la décision prise le 1 5 février 1 952, par
le Parlement d'Israël, d'accepter des négociations directes, sur la base de
la revendication israélienne, prévues pour mars 1 952 dans un pays neutre.

//. - LES NÉGOCIATIONS

Les négociations officielles durèrent du 21 mars au 27 août 1952. Ce


furent des négociations longues et difficiles, sur lesquelles pesèrent la
controverse idéologique passionnée qui se déroulait simultanément en
Israël et dans le monde juif, le lent éveil d'une opposition parlementaire
allemande et une hostilité intransigeante et interventionniste des Ëtats
arabes. Les passions déchaînées par l'ouverture des négociations furent
telles, en Israël, qu'on tenta d'en tenir le lieu caché, par crainte de
terroristes, et la conférence s'ouvrit en fait secrètement à La Haye, le secret
ne pouvant d'ailleurs être gardé plus de quelques heures.
Techniquement, les négociations se déroulèrent sur deux plans : une
négociation entre les gouvernements de Bonn et de Tel-Aviv ; une
négociation entre le gouvernement de Bonn et le Comité des revendications
juives. Il y eut donc une délégation israélienne, conduite par MM. Shinnar,
Josephtal, Avneret Barou ; une délégation juive, conduite par MM. Easter-
214 » PAUL GIN1EWSKI

mann et Leavitt ; et une seule delegation allemande, conduite par le


professeur Franz Bœhm.
Dès l'abord, que furent les positions de ces trois parties?
La position israélienne se définit très facilement, s'identifiant avec la
revendication officielle : obtenir de l'Allemagne occidentale une
contribution de 1 milliard de dollars au coût du rétablissement de 500 000 D. P.,
dans les délais les plus courts possibles. Cette contribution devant
être fournie sous forme de marchandises, H était entendu qu'Israël
n'accepterait que des biens d'équipement, à l'exclusion des produits
manufacturés. La déclaration israélien&e à l'ouverture de la négociation souligne
que

la revendication israélienne est sans rapport avec la valeur des biens spoliés (qui sont
bien plus importants), mais se (onde sur les sommes effectivement dépensées pour le
réétablissement des immigrants. Il n'est pas non plus question de considérer le paiement
comme une réparation morale.

La position du Comité des revendications juives était plus complexe.


En tant que représentant de la communauté juive mondiale, le Comité
demandait le versement d'une somme forfaitaire (500 millions de dollars)
représentant les biens juifs en déshérence, et surtout la réalisation de la
promesse d'Adenauer : l'adoption d'une législation complète, applicable
surtout le territoire fédéral, sur la restitution, les compensations et
l'indemnisation pour toutes sortes de persécutions et spoliations, et l'extension de
cette législation aux catégories de spoliés qui n'étaient pas encore
bénéficiaires, sous les différentes législations des « Lœnder » allemands. En effet,
le grand nombre de cas de restitutions et de compensations, les différences
de législation suivant les Laender et les zones, appelaient une solution
d'ensemble.
La position allemande, à l'ouverture des négociations, fut très simple :
traduire en un règlement matériel la déclaration de principe du chancelier
Adenauer. Mais, dès le début, les négociateurs allemands mirent l'accent
sur la notion de capacité de paiement limitée de l'Allemagne, les
obligations financières allemandes à l'égard de ses autres créanciers, sur « les
dettes au titre des dommages de guerre, frais de l'occupation alliée,
remboursement des dettes d'avant guerre ».
Les négociations proprement dites connurent trois phases bien
distinctes : une première phase de contact, une phase de rupture et de
négociations en coulisse et une phase de liquidation technique des problèmes.
Le contact, vite établi, fit apparaître dès l'abord un conflit sérieux entre
Allemands et Israéliens. Le 31 mars, la délégation allemande faisait une
proposition de règlement de 750 millions de dollars, mais ce chiffre ne
devait représenter qu'une dette théorique, affectée d'un coefficient de
ALLEMAGNE ET ISRAEL 215

réduction. On sait qu'à cette époque l'Allemagne négociait à Londres


l'apurement de toutes ses dettes extérieures et cherchait à obtenir une
réduction forfaitaire. Les réparations à Israël auraient donc dû être réduites
dans une proportion identique au coefficient d'abattement obtenu pour les
dettes commerciales allemandes — coefficient inconnu au moment où la
proposition était faite. De plus, arguant de sa situation économique et
financière, la délégation allemande ne faisait aucune recommandation quant
à la date et au mode de paiement de la dette. Enfin, cette proposition
ne représentait nullement une offre ferme du gouvernement allemand,
mais simplement une suggestion de la délégation allemande : un ballon
d'essai.
La délégation d'Israël protesta contre le principe d'un rattachement des
réparations au problème des dettes commerciales en discussion à Londres,
et le 6 mai le gouvernement d'Israël décidait de rompre les négociations,
qui ne seraient reprises que « lorsque l'Allemagne ferait une offre claire et
précise qui satisfasse les revendications israéliennes et contienne des
modalités de paiement ». M. Sharett ajoutait qu'Israël « ne ferait pas la
queue à Londres ».
Alors s'ouvrit la deuxième phase, celle des contacts officieux, qui lurent
nombreux entre MM. Adenauer, Bœhm, Goldmann et Sharett, tant à
Bonn qu'à Paris. Cette phase, dont rien n'a été révélé au public, constitua
en fait la véritable négociation. Elle fut marquée par la démission
retentissante du professeur Bœhm et du Dr Kuester (chef et chef adjoint de la
délégation allemande). Le professeur Bœhm alla jusqu'à déclarer que
« le gouvernement Adenauer, qui s'est solennellement engagé à réparer,
dans la mesure du possible, n'aurait pas songé sérieusement à tenir parole ».
II est certain que le chancelier dut réaliser, devant un tel langage de son
propre négociateur, et devant le refus d'Israël de prendre en considération
les nombreuses offres qui lui furent faites pendant la rupture, que le
prestige moral qu'il comptait retirer du traité ne lui serait acquis que par
un engagement sérieux, à l'exclusion de tout faux-fuyant. Il fit donc, début
juin, une oiïre concrète, indépendante cette fois-ci du problème des dettes
extérieures en discussion à Londres. En voici l'essentiel :
1° La République fédérale paierait 3 milliards de marks (715 millions de dollars) en
marchandises, en douze ans. Une partie de la somme pourrait être payée en devises,
si FAllemagne réussissait à obtenir à cet effet un emprunt américain.
2° Les deux premiers versements seraient de 400 millions de DM en 1953 et 1954,
les dix dernières annuités étant de 250 millions.
3° Israël n'aura pas le droit de réexporter les marchandises.
4° L'accord serait sujet à révision en cas d' « événement inhabituel » (risque de guerre).

Cette offre fut jugée acceptable par Israël, et les négociations reprirent
le 24 juin à La Haye.
216 PAUL GINIEWSKI

En fait, cette offre renfermait toute la substance du futur traité, et la


troisième phase des négociations ne fut plus qu'une phase de mise au point
technique. Les travaux furent confiés à deux sous-commissions, légale et
économique, chargées de préparer l'une le projet de traité, l'autre
d'élaborer la liste, les quantités et les délais de livraison des marchandises.
C'est au cours de cette troisième phase aussi que se liquida toute la
négociation avec le Comité des revendications juives. L'Allemagne
acceptait pratiquement l'ensemble des engagements quant à la législation à
adopter sur les restitutions et indemnisations. Mais le forfait à accorder au
Comité, au titre des biens en déshérence, était réduit de 500 à 107 millions
de dollars. Ces travaux se terminèrent le 27 août. Le 1 0 septembre,
Adenauer et Sharett signaient le traité à Luxembourg. Fait significatif (de
crainte, cette fois encore, de terroristes), la date et le lieu de la signature
avaient été tenus secrets, et la presse avisée après coup.
Restait la ratification. Celle-ci ne fut acquise qu'en mars 1953. C'est que
dans l'intervalle se place une longue période d'activité diplomatique et
para-diplomatique arabe (que nous analysons plus loin) conçue dans le
dessein d'empêcher l'application du traité, et qui en retarda en effet la
ratification. Mais au Bundestag, lors du débat, tous les partis de la coalition et
l'opposition sociale-démocrate votèrent pour. Seuls les communistes et les
partis néo-nazis menèrent campagne contre. La seule clause non ratifiée
par l'Allemagne, et qui fut rapportée, concernait l'interdiction du transport
des marchandises par bateaux allemands.
Israël, de son côté, ratifiait le traité le 22 mars, et, le 27 mars, les
instruments de ratification étaient échangés à New- York, au siège du secrétariat
des Nations Unies.

///. - LA REVENDICATION CONTRE L'ALLEMAGNE DE L'EST

Quelle est cependant la situation en regard de la revendication contre


l'Allemagne orientale?
A la note israélienne du 12 mars 1951 formulant une revendication de
500 millions de dollars contre l'Allemagne de l'Est, ni ce pays ni l'U. R. S. S.
ne répondirent jamais.
Or, le 22 septembre 1952, M. Ernest Goldenbaum, ministre de
l'Agriculture de l'Allemagne orientale, et membre de la délégation parlementaire
« populaire » en visite à Bonn, y déclarait, au cours d'une conférence de
presse, que « l'Allemagne orientale reconnaissait l'immensité des crimes
commis contre les Juifs, et que son gouvernement n'était nullement opposé,
en principe, à discuter avec Israël de compensations à payer. Si rien n'avait
été fait dans ce sens, c'est qu'Israël n'avait pas encore formulé de demande
concrète ».
ALLEMAGNE ET ISRAEL 217

Outre que cette dernière motivation n'est pas exacte, la déclaration n'eut
jamais de suite concrète. Et, lors du débat au Bundestag de Bonn, qui
coïncidait avec la campagne électorale en Allemagne occidentale, MM. Grote-
wohl et Ulrich firent en Allemagne orientale des déclarations véhémentes
condamnant le principe des réparations. Sans doute faut-il mettre ces
déclarations sur le compte du désir d'immixtion des autorités d'Allemagne
orientale, pendant la campagne électorale à l'Ouest. Mais le fait est que
l'Allemagne de l'Est n'a jamais montré la volonté de réparer, et les
restitutions de biens, non seulement en déshérence, mais apparents et
parfaitement attribuables, n'ont jamais été organisées dans ce pays. C'est pourquoi,
au cours de la conférence des « quatre » à Berlin, en janvier 1 954, Israël
a réitéré par une note sa demande de réparations.

IV. - LES RÉPARATIONS DANS L'OPINION PUBLIQUE

Quelles réactions l'affaire des réparations a-t-elle suscitées au sein des


opinions publiques, israélienne et juive d'une part, allemande d'autre
part? Dire qu'il y eut, de part et d'autre, des adversaires et des partisans
est chose banale. Il est intéressant de dégager l'évolution des sentiments
de l'opinion publique avant et pendant les négociations, et après la
conclusion du traité.

L'opinion allemande.

On peut dire que l'opinion publique allemande fît montre d'une grande
indifférence pour toute l'affaire. Une très faible minorité (parmi laquelle
il faut citer les Carlo Schmidt, les Erich Lueth, promoteur du mouvement
« Paix avec Israël », les Bœhm, les Maas) milita en faveur des réparations.
Une faible minorité, issue des différents secteurs de l'horizon néo-nazi,
milita contre. Mais la masse ne s'en préoccupa jamais.
C'est qu'il n'existe pas, dans la masse du peuple allemand, de sentiment
de honte, de regret, de culpabilité, de remords. « L'intensité du sentiment
de honte, m'a déclaré Carlo Schmidt, leader du parti socialiste, est
proportionnel au niveau culturel de l'Allemand : seule une élite est
consciente d'une responsabilité. » Sans doute cette élite (et le Parlement est
une élite de fait) joue-t-elle un rôle effectif dans le pays : elle veut bâtir
une nouvelle dignité, une nouvelle présence allemande dans le monde, et
l'hypothèque juive doit être apurée pour ce faire. Elle entraîne donc, dans
une certaine mesure, la masse derrière elle. Mais cette masse ignore tout
de la question, lui fait confiance (ou la lui retire) aveuglément, mais ne
partage certainement pas cette opinion de Carlo Schmidt :
218 PAUL GINIE15KI

Le peuple allemand a une série de dettes à acquitter envers le monde, et dans la série
de nos dettes il existe une hiérarchie de priorités. Envers les Juifs nous avons la dette la
plus criante.

Ou cette appréciation du professeur Bœhm :


Le paiement de réparations ne doit pas représenter un prix du sang âprement disputé,
mais un acte de contrition, un effort supplémentaire : un sacrifice allemand.

Ni peut-être même cette opinion de la Stuîtgarter Naehrichten :


La plupart des Allemands ne comprennent pas que cette dette particulière ne peut être
comparée avec les revendications d'autres créanciers. Nous serons jugés parle monde
sur la manière dont nous remplirons nos devoirs dans cette question particulière.

La presse, d'ailleurs, s'est ti es peu chargée d'éclairer l'opinion. Elle n'a


consacré que des informations laconiques et sporadiques à la question, et
il est significatif qu'elle n'ait publié, avec ensemble, que le texte de la
déclaration d'Adenauer, en septembre 1951 : on sent là une intervention
probable des autorités.
Après la signature du traité et l'installation de la mission d'achats
israélienne à Cologne, la situation changea quelque peu. L'affaire des réparations
avait évidemment fait du bruit dans les milieux de la politique, de la
banque, de l'industrie, des transports, de l'assurance, et dans un grand
nombre d'administrations qui ont affaire avec les représentants d'Israël.
Mais, pour beaucoup d'Allemands, la mission d'Israël n'évoque encore
rien. Pour certains, elle évoque l'idée de mission évangélique, et les bureaux
israéliens de Cologne reçoivent tous les jours des lettres de prêtres et de
laïcs qui témoignent de cette confusion.
Quant à la minorité agissant contre les réparations, sa composition
politique la définit avec une précision suffisante : communistes opposés par
principe ; néo-nazis. Leur argumentation antisémite, utilisant pêle-mêle
l'injure, là menace, le mensonge, ne mérite pas d'être analysée et ne trouve
d'ailleurs pas grande résonance dans l'opinion.

L'opinion israélienne.

Si l'opinion allemande se caractérise par une grande indifférence à la


question, par contre l'opinion israélienne et juive s'y passionna. Car, si
l'Allemand a oublié son crime, le Juif, en 1 954, vit marqué inefïaçablement
par le drame de 1933-1945» et l'État d'Israël résulte sinon
intrinsèquement, du moins immédiatement, du nazisme.
Nul Juif ne fut indifférent. Et si la plupart se sont ralliés et acceptent
avec amertume le dialogue israélo-allemand, tous les degrés de la
désapprobation, du désespoir, de la révolte allant jusqu'au terrorisme se sont fait jour.
ALLEMAGNE ET ISRAEL ' 259

En tnèse générale, on peut affirmer que l'opinion juive dans le monde ià


montre d'une réaction sentimentale, tandis qu'en Israël prévalut un état
d'esprit plus réaliste. Mais le fond de la réaction fut le même : à des degrés
divers, le -dégoût d'avoir à traiter avec l' Allemagne. Ce problème fut poBe
nettement par M. Abba Eban, délégué d'Israël -aux Nations Unies :

Les discussions ont .montré que les puissances occidentales ne sont pas prêtes à
représenter Israël en ce gui concerne ses revendications contre l'Allemagne. En conséquence,
Israël doit décider si les biens spoliés doivent rester aux mains des assassins, ou s'il faut
entamer des négociations directes avec les autorités allemandes.

D'autre part, le principe d'une réparation matérielle répugnait a


beaucoup. N'évoquait-elle pas le « Wehrgeld » teutonique, le prix du sang par
quoi les crimes les plus abominables pouvaient, dans l'ancienne société
germanique, se racheter? Les tenants de cette argumentation ne
désarmèrent pas, même après la conclusion du traité, et se livrèrent à clés
arithmétiques impressionnantes. Six millions de Juifs ont été tués, disaient-*
ils. On nous donne 3 milliards de marks, soit 500 marks par Juif assassiné!
A cette position éminemment respectable, les partisans de l'idée des
réparations et le gouvernement d'Israël répondaient par des arguments

Ils arguaient tout d'abord du besoin où était l'Etat d'Israël de


recevoir une aide — et d'accepter celle qu'on lui offrait à <un moment où l'aide
américaine devenait de plus en plus assujettie à des considérations politiques
et où l'appui philanthropique des Juifs dans le monde accusait des signes
de lassitude. Et n'était-il pas légitime de chercher à utiliser au bénéfice
des survivants, installés si nombreux en Israël, ce qui pouvait être sauvé des
biens des disparus? Les réparations allemandes, ainsi, n'auraient
nullement le caractère d'une Wehrgeld, mais seraient bien, comme il est dit dans
les documents officiels, une contribution au coût du réétablissement de
500000 D. P, en Israël. Quant à l'inconvénient moral de rencontrer
le (bourreau diier à la table verte, on faisait ressortir qu'il serait
encore moins moral de permettre au bourreau et à ses ayants droit de
jouir du fruit du crime. L'ofiensé pouvait parfaitement traiter d'une
restitution et d'une réparation avec l'offenseur, puisque cela n'impliquait
aucun rapport d'ordre social, politique et culturel avec l'Allemagne. C'est
évidemment sur ce point que l'argumentation se révéla spécieuse, voire
démagogique, puisque des relations de plus en plus étendues sont en
voie de s'établir entre les deux pays.
Quoi qu'il en soit, l'adhésion de l'opinion juive à l'idée des réparations,
si elle s'est soldée par une sorte de résignation, n'a nulle part éclaté par* la
joie. Les manifestations de .désapprobation se sont presque éteintes ;
mais nulle part on n'a enregistré d'approbation enthousiaste. Depuis 1 95f ,
220 PAUL GINIEWSKI

d'innombrables discours et articles ont marqué l'opposition non pas d'un


parti ou d'une fraction, mais d'hommes appartenant à tous les milieux du
judaïsme. Sans doute la campagne la plus active a-t-elle été menée par le
parti communiste d'Israël, et par le parti Herout (issu de l'ancien groupe
« terroriste » Irgoun Tsvai Léoumi), mais c'était une campagne dirigée
avant tout contre le gouvernement par tactique d'opposition et à des fins
électorales. L'opposition ne s'identifiait évidemment à aucun parti. Différents
journaux israéliens parurent avec une bordure de deuil lors de la signature
du traité. Il y eut des manifestations et des bagarres devant le Parlement
de Jérusalem, pendant le débat sur les réparations. Et, aussi, une vague
tentative d'attaque à la bombe contre le premier cargo amenant des
marchandises allemandes en Israël. Mais, avec le temps, ces réactions extrêmes
se sont apaisées, et il est caractéristique que l'écrivain israélien Dvorjetsky,
qui avait annoncé son suicide public sur le mont Sion pour le jour où Israël
signerait avec l'Allemagne, n'ait pas accompli son geste. C'est que la
position d'Israël, faite d'un mélange incompréhensible de haines et d'espoirs,
est spécifique, comme le crime allemand contre le peuple juif l'a été.
D'ailleurs, le désir des gouvernants d'Israël d'agir en réalistes, en
« sujets » de l'histoire et non plus en « objets » passifs de son déroulement,
a facilité les choses. Arrivés depuis peu à la chose publique, après une longue
clandestinité faite toute de revendication et de peu de pouvoir réel, ils ont
mis un point d'honneur à faire taire les sentiments en cette difficile conjonc-'
ture politico-morale et à se conduire en vrais hommes d'Etat : à faire
violence à leurs sentiments.
C'est ainsi qu'entre Israël et l'Allemagne des pas de géant ont été accom~
plis. Les formes de coopération que l'on jugeait impossibles il y a deux ans
existent. Les marins allemands seront autorisés sous peu à débarquer à
Haîfa, Israël fournit des agrumes à Bonn. Par delà l'exécution de la lettre
du traité, tout un courant d'échanges s'ébauche.
Sans doute n'y a-t-il personne en Israël pour prétendre à promouvoir direc-
tement cette évolution. Mais l'on n'y condamne plus le philosophe israélien
Buber d'avoir accepté des distinctions académiques allemandes. Ni qu'un
zoo israélien envoie, en cadeau, à un zoo allemand des animaux rares. Et
Sharett, qui n'a pas serré la main d'Adenauer, à Luxembourg, referait-il
ce geste? Pour les Allemands, la question est résolue. Ils anticipent sur les
faits. La réalité est en marche. Parmi les représentations diplomatiques
portées dans leurs annuaires, la mission d'achats d'Israël figure déjà avec les
ambassades...
V. - L'INTERVENTION ARABE

Cette analyse des réactions suscitées par les réparations ne serait pas
complète si l'on n'y ajoutait la campagne orchestrée par la Ligue arabe en
ALLEMAGNE ET ISRAEL 221

Allemagne, pendant les négociations et après la signature du traité, afin


d'empêcher sa mise en application. Il est significatif que cette campagne
se soit éteinte lorsque la Ligue eut réalisé que l'Allemagne ne céderait pas
au chantage du boycott économique.
L'agitation arabe s'est exercée par l'envoi de missions de propagande
en Allemagne occidentale et par les voies diplomatiques normales. Elle
visait à la fois le gouvernement de Bonn et les milieux d'affaires, que la
Ligue menaçait de boycott des marchandises allemandes au cas où
l'Allemagne aiderait Israël à préparer une « nouvelle guerre d'agression» en
fortifiant son économie et en rompant sa neutralité en faveur de l'un des
belligérants.
Cette action ne fît d'effet sur les milieux industriels allemands qu'au
premier stade. Sans expérience de la démagogie politique de la Ligue, ils
mirent un certain temps à s'apercevoir que tous les États traitant avec
Israël avaient été l'objet de menaces similaires, et toujours sans suite.
D'autre part, le gouvernement de Bonn fut l'objet de certaines mises en
demeure de la part des U. S. A. et de la Grande-Bretagne, plus attentifs
aux exigences de la Ligue, et soucieux de soutenir, dans une certaine
mesure, tout en les ramenant à des proportions raisonnables, ses
revendications. De là le retard de plus de six mois que subit la ratification du traité.
Il faut dire que le gouvernement allemand, dès qu'il fut en mesure de
juger les prétentions sur leur mérite et quant à leur effet possible, adopta
une attitude ferme. Dans plusieurs déclarations officielles, il précisa que les
réparations ne sauraient constituer une violation de neutralité, puisque
l'Allemagne ne livrait pas d'armes à Israël, et ne saurait inspirer
d'inquiétude à la Ligue, puisque les marchandises ne pouvaient être réexportées.
L'Allemagne entendait que ces réparations soient considérées comme une
mesure humanitaire et morale en faveur des victimes survivantes du nazisme.
Quant aux États arabes, elle était toute disposée à fortifier ses liens
économiques avec eux.
En fait, nulle firme allemande n'a refusé à ce jour de livrer des
marchandises à Israël, et aucun État arabe n'a mis en application sa menace de
boycott, les économies arabes étant trop fortement intéressées à se fournir
en marchandises et techniciens allemands.

VI. - LE TRAITÉ

Le traité représente un document de quelque soixante pages, avec ses


annexes. En voici les dispositions essentielles :

Préambule. — Étant donné les « crimes indicibles » perpétrés par le national-socialisme


contre le peuple juif.
222 PAUL GINÎEWSK1

Étant donné la déclaration du 27 septembre 1951 du gouvernement fédéral, expiv


mant son désir de fournir des réparations dans la mesure de la capacité de paiement
allemande,
Étant donné la charge écrasante assumée par l'État d'Israël par l'accueil et
l'intégration économique des réfugiés juifs victimes du nazisme.
ARTICLE premier. — La République fédérale payera à Israël un montant de
3 000 millions de DM plus 450 millions de DM au bénéfice du Comité des revendications
juives, à charge, pour Israël, de mettre ce montant à la disposition du Comité.
Art. 2. — Ces montants serviront au paiement de marchandises et de prestations
pour améliorer la condition d'Intégration des réfugiés juifs en Israël.
Art. 3. — Ces réparations seront payées en 12 annuités : 3 de 200 millions de DM,
jusqu'au 34 mars 1953*. 9" de 310 millions d* DM, chaque 1er avril» à partir du
1er avril 1 954. Au cas où la République fédérale serait dans l'incapacité de faire face à
ces engagements, elle aurait la faculté de réduire les annuités, qui ne pourront en
aucun cas être inférieures à 250 millions de DM.
Art. 4. — La République fédérale s'efforcera de liquider sa dette dans un délai plu»
court et s'efforcera dans ce but d'obtenir un emprunt en devises à l'étranger.
Art. 5. — Les marchandises livrées au titre des réparations seront soumises aux mêmes
lois que les exportations allemandes normales. Aucune discrimination entre ce»
livraisons et des, exportations normales n'est admise.
Les marchandises fournies à Israël ne pourront être réexportées vers d'autres pays,
sauf accord de la commission mixte israélo-allemande.
Si Israël contrevient à cette interdiction, la valeur des marchandises réexportée* sent
déduite du montant des réparations à fournir.
Art, 6. — Les marchandises appartiendront à cinq groupe» auxquels le» crédit» seron
affectés dans les proportions indiquées en regard :
Groupe I : acier, fer, métaux non ferreux : 13 p. 100 des crédits.
Groupe II : produits de l'Industrie de Tacier : 30 p. 100 des crédits.
Groupe III : produits chimiques : 45 p. 100 des crédits.
Groupe IV : Produits pour l'agriculture : 45 p. Ï0& dé» crédits.
Groupe V : Prestations (transport, assurances, frais de la mission d'achats d'Israël k
Cologne 1 12 p. 100 des crédits).
Art. 7. — L'achat des marchandises est confié exclusivement à une mission d'achats
israélienne.
Art. 8. — (Concerné l'organisation du transport et de l'assurance des marchandïses»)
Art. 10. — Au cas où la situation économique et financière de la République fédérale
viendrait à être fortement compromise, de nouvelle» négociations seraient entamées
pour résoudre le problème des paiements.
Art. 12. — La mission d'achats israélienne est autorisée à exercer en Allemagne
occidentale et à Berlin-Ouest toutes les activités se rapportant à l'exécution du traité.
(Modalités du statut de cette mission qui jouit de pratiquement toutes les prérogatives
diplomatiques.)
Art. 13. — Les deux parties établissent une commission mixte de 20 membres,
chargée de trancher tous les litiges qui découleraient de l'application du traité.
Art. 14. • — Tous les litiges qui n'auraient pas été tranchés par la Commission mixte
seraient soumis à une Commission d'arbitrage de deux arbitres nommés par chacune
des parties, présidée par un arbitre désigne par le président de la Cour internationale
de justice. Les arrêts de cette commission sont obligatoires.

Parallèlement à ce traité, un protocole était conclu à La Haye, par lequel


ALLEMAGNE ET ISRAEL 223

l'Allemagne s'engageait envers le Comité des revendications juives à


mettre en vigueur une législation au bénéfice des victimes du nazisme. Cette
législation fut adoptée en 1953 par le Bundestag. Elle porte le nom officiel
de « loi fédérale supplémentaire sur l'indemnisation ».
Ces lois prévoient des compensations spécifiques à tous ceux qui ont
subi des dommages sous le régime nazi comme fonctionnaires des services
publics allemands, fonctionnaires et employés d'institutions
communautaires juives, victimes de guerre, exclus du bénéfice de k sécurité sociale
et victimes dès expérience» médicales criminelles des nazis.
La loi définit les ayants droit aux compensations comme « persécutés *
pour motifs raciaux et religieux, ou pour leurs convictions politiques par
des actes illégaux du régime nazi, les dommages étant causés à leur vie,
leurs corps, leur santé, leur liberté, leurs biens et propriétés, ou au progrès
dfe leur situation économique ou professionnelle. Elle couvre les actes
illégaux commis par le régime nazi entre le 30 janvier Î933 et k: 8 mai
Ï945.
La loi définit ensuite les persécutés et les personnes pouvant être
considérées comme héritières; elle fixe le montant des compensations ; le
lieu et lès délais de dépôt des demandes de compensations et les modalités
d*examen de ces demandes ; l'ordre de priorité pour l'octroi des
compensations. Elle contient un modèle de bordereau de demande.
Les fonctionnaires allemands auront droit à compensation s'ils ont
souffert d'une des discriminations suivantes, pour motifs raciaux, religieux,
idéologiques ou politiques : suspension par décision judiciaire, expulsion,
licenciement sans pension ou avec pension réduite ; mise à la retraite pré"
maturée, suspension temporaire ; non-avancement ou rétrogradation.
Des mesures spéciales sont prévues, sous la forme de paiements annuels
sur la base du salaire de l'ancien fonctionnaire, en faveur des fonction*
naires (et de leurs héritiers) d'institutions communautaires juives
(culturelles, religieuses, éducatives, philanthropiques).
La section de la lot qui accorde des compensations aux victimes de guerre
précise que, pour y avoir droit, le persécuté vivant à l'étranger doit résider
dans un pays dont le gouvernement maintient des relations diplomatiques
avec la République fédérale. 11 n'est pas nécessaire que h persécuté ait
résidé sur le territoire de Factuelle République fédérale.
L'Allemagne accorde également des compensations à tous ceux qui ont
étéFobjet d'expériences médicales, individuellement ou en groupe, de la
part des médecins nazis. Le montant de la compensation sera proportionné
à la position sociale de la victime au moment des expériences, et à la gravité
des lésions contractées.
224 PAUL GINIEWSKI

VIL - LA MISSION D'ACHATS ISRAÉLIENNE

Comment ce traité sera-t-il techniquement appliqué? Comme il est


disposé à l'article 7 du traité, par une mission d'adhats d'Israël.
L'existence officielle de la mission remonte à mars 1953, date de la
ratification du traité, et son entrée en fonctions du 16 juin 1953, date de
parution des règlements d'application allemands du traité. Mais le travail
pratique de la mission avait commencé plus tôt. Les contacts avaient été
pris avec les firmes et les autorités allemandes dès avril. Et l'Allemagne
avait débloqué dès octobre 1 952 des crédits à Israël, sous forme d'avoirs
allemands en sterling bloqués à Londres et qui permirent à Israël de
régler d'importants achats de pétrole britannique.
Actuellement, la mission possède le statut diplomatique : ses voitures
sont immatriculées au signe CD, ses employés ne paient pas d'impôts,
ses bureaux jouissent de l'exterritorialité. La mission exerce même les
fonctions consulaires, reprises au consulat d'Israël de Munich, fermé
définitivement le 30 juin 1952.
Après la ratification par le Parlement d'Israël, deux organismes étaient
créés, du côté israélien, pour la mise en application du traité : la Chiloumim
Corporation et la mission d'achats. La Chiloumim Corporation
(Chiloumim = réparations, en hébreu) est l'organisme central, émanant
directement du gouvernement, qui détermine les besoins d'Israël dans les
différents secteurs de l'économie, reçoit les demandes des industries
israéliennes, passe ses instructions à la mission d'achats de Cologne et décide
sur les propositions qu'elle en reçoit.
La mission d'achats n'est qu'un organisme exécutif. Elle reçoit les,
commandes des Chiloumim, se met en rapport avec les firmes allemandes,
dont elle transmet les offres en Israël, et applique les décisions venues de
Jérusalem. Cette mission comporte les départements suivants :
Quatre départements d'achat : 1° acier et fer, articles métallurgiques,
matériaux de construction et produits d'acier ; 2° textiles, cuir, bois, papier ;
3° produits alimentaires et agricoles, machines agricoles ; 4° produits
chimiques et pharmaceutiques.
Le département de la recherche, qui compare les prix des offres allemandes
avec les prix mondiaux.
Le département des transports, responsable du transport des
marchandises du port allemand (ou belge ou hollandais : Anvers et Rotterdam) au
port israélien.
Le département juridique, qui contrôle les contrats d'achat avant leur
conclusion, tâche délicate lorsqu'il s'agit de bateaux, de docks flottants
et d'importantes installations électriques.
ALLEMAGNE ET ISRAEL 225

Le département de l'information.
De plus, le Dr Moses, contrôleur des comptes de l'État d'Israël, a
installé un bureau auprès de la mission et décidé de le transformer
prochainement en département de contrôle de tous les postes diplomatiques
israéliens et de tous les services de l'Agence juive en Europe. Cologne
deviendra ainsi le centre principal des activités israéliennes en Europe.
Les partenaires directs de la mission d'achats sont les autorités et les
industriels allemands. Les contacts ont été jusqu'ici parfaitement corrects.
L'organisme allemand chargé de l'application du traité est le Bundesstelle
fur der Warenverkehr (Office fédéral de la circulation des marchandises)
de Francfort, qui a établi un bureau spécial à Cologne.
L'instance mixte, israélo-allemande, est la commission instituée par
l'article 1 3 du traité, et qui siège à Bonn.

VIII. - RÉSULTATS ET PERSPECTIVES D'AVENIR

C'est le 1 1 juillet 1 953 que les premières marchandises allemandes


quittaient le port de Brème — 650 tonnes de fer et de produits chimiques
qui arrivaient à Haifa le 1 4 août. Depuis, l'Allemagne a honoré sa signature
en ce qui concerne les deux premières annuités du traité, et dans les milieux
les moins optimistes on s'attend à ce que Bonn continue de tenir ses
engagements. Si tel est le cas, le traité aura évidemment, en dehors de ses
conséquences morales importantes comme précédent dans l'élaboration
du droit politique et sur le terrain de la pacification israélo-allemande,
de profondes conséquences économiques, pour Israël et pour l'Allemagne
d'une part, pour les survivants juifs des persécutions nazies, d'autre part.
Pour Israël, l'apport matériel de 750 millions de dollars, non
remboursables, sous forme de biens d'équipement, représentera pendant dix
années encore environ 10 p. 100 de son budget d'importation, et au moins
30 p. 100 de son budget en devises. En fait, ces pourcentages ne rendent
compte qu'insuffisamment du bénéfice économique, puisque les
réparations ne consistent pas en produits de consommation, mais en biens
d'investissement. L'Allemagne se placera donc au deuxième rang des
fournisseurs d'Israël, immédiatement après les U. S. A., et pourrait même devenir
le premier fournisseur, si des raisons politiques amenaient un relâchement
des liens entre Israël et les U. S. A., ou si le simple jeu de la commodité
technologique ou de la tendance à la standardisation amène Israël à
s'adresser à ses fournisseurs allemands, pour des achats normaux
financés par d'autres ressources que les réparations. De toute manière,
dans ce pays neuf, sotifïrant obligatoirement, en période d'immigration
massive, d'un déficit chronique de la balance des comptes, un tel apport
15
226 PAUL GINIEWSKI

de capital gratuit correspond à une véritable transfusion de sang qui aidera


largement à son développement.
Pour l'Allemagne, outre l'importance immédiate des fournitures pour le
plein emploi de son potentiel industriel (la clause du traité visant à accorder
une priorité à l'industrie de Berlin-Ouest aura sûrement contribué à dimi-
ner le chômage dans cette ville), le traité aura eu pour conséquence, au
bout de douze années de fonctionnement, d'implanter une présence aile"
mande en Israël, le pays le plus avancé, au pomt de vue technique, de tout
l'Orient méditerranéen. La traditionnelle pénétration économique
allemande dans le Proche-Orient, contrebattue et évincée par la France et la
Grande-Bretagne au cours des dernières décades, aura ainsi repris son élan,
non seulement par l'accueil sympathique que font les Etats arabes aux
produits et techniciens allemands, mais par l'intermédiaire de l'État juif,
qui semblait devoir être l'ennemi prédestiné de l'Allemagne renaissante!
Étrange imbroglio, puisque Israël et les États arabes, facteurs de cette
pénétration, sont eux-mêmes ennemis, où les considérations morales et
sentimentales s'évanouissent, et qui montre que, dans ses visées économiques
sur le Proche-Orient, l'Allemagne a su jouer gagnant sur les deux cartes.
La portée du traité sur la situation des victimes juives du nazisme est
plus directement accessible : les 450 millions de DM à verser au
Comité des revendications serviront à alimenter, toutes les organisations
dans le monde qui pourront fournir la preuve qu'elles assistent des victimes
juives. Cette assistance s'entend aussi bien sur le plan matériel qu'éducatif
et social. Quant aux lois sur la compensation aux victimes du nazisme,
dont nous avons fait l'analyse plus haut, on prévoit qu'elles nécessiteront
une dépense de 4 milliards de DM en dix ans. On peut donc dire,
étant donné l'importance de la somme et les catégories de personnes qui
sont théoriquement bénéficiaires, qu'un soulagement sera apporté à la
détresse matérielle d'un grand nombre de victimes. Telle est la situation
début 1954. Situation fluente et neuve, dont il est trop tôt pour tirer
une conclusion valable. Mais, parmi les grands renversements d'alliance
et les modifications de structure qui marquent l'après-guerre de la deuxième
guerre mondiale, la création de l'État d'Israël et l'un de ses corollaires :
le paiement volontaire de compensations pour crimes de guerre, marquent
des innovations spécifiques qui ont d'ores et déjà leur place dans l'Histoire.

Paul GlNIEWSKI.

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