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Economies, sociétés,
civilisations
Lefort Claude. Pour une sociologie de la démocratie. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 21ᵉ année, N. 4, 1966. pp.
750-768;
doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1966.421419
https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1966_num_21_4_421419
de la démocratie *
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SOCIOLOGIE DE LA DÉMOCRATIE
ils ne cessent pas pour autant d'orienter notre curiosité. Vouloir les
ignorer, c'est seulement les soustraire à l'interrogation qu'ils méritent,
leur donner une solidité que peut-être ils ne devraient pas avoir et,
finalement, comme la connaissance positive est impuissante à décider des
principes de l'action, se condamner à les retrouver sous la forme de valeurs
qui se passent de toute justification et ne tolèrent pas la contestation.
Ce n'est pas parce qu'il est lié à une indétermination manifeste que
le concept de démocratie est vague et qu'il échappe à nos prises. Il ne
devient tel, au contraire, que lorsque la vérité de cette indétermination
est méconnue, lorsque, sous prétexte de s'en tenir au positif, on prétend
réduire la réalité sociale à un système, ou un système de systèmes, fait
pour fonctionner. Qu'on considère, par exemple, ces études réputées
objectives qui prétendent substituer à l'arbitraire de l'idéologie le sérieux
de l'interprétation des faits : voici la démocratie dans l'Etat, la démocratie
dans le Plan, la démocratie dans l'Entreprise, le Syndicat, l'Université :
autant de cadres bien délimités qui permettent de spécifier des traits
de fonctionnement. Mais, quel que soit l'intérêt de telle ou telle analyse,
c'est alors que le terme devenu fétiche s'opacifie et n'offre plus à la pensée
que l'artifice dont elle a besoin pour mettre une borne à ses questions.
On parle bien de démocratie, mais il importe peu de s'interroger, ne disons
pas sur les difficultés de la chose — on aime à répéter qu'elles ne seront
jamais éliminées, que la démocratie intégrale est un idéal, que seul compte
le mouvement qui s'en inspire — mais sur la vérité de ce qu'elle postule.
Le mot n'est là que pour rassurer, pour masquer les lacunes du savoir
et maintenir coûte que coûte une bonne image de la société.
Or n'est-il pas vrai que si un sociologue — passons nous l'usage du
terme — a quelque chose à dire sur la démocratie qui lui appartienne
en propre, qui le distingue du premier bavard venu ou de l'idéologue
ou du prétendu technicien de la politique, ce n'est que dans la mesure
où il ébranle les évidences de première vue, où il tente de ramener à la
lumière du jour le non-savoir sur lequel elles reposent, où il met en
danger la foi commune, et d'abord celle qui s'honore d'être bonne...
Loin de se faire le prisonnier du mythe parce qu'il prend en charge une
représentation trouble, il s'en libère du seul fait qu'il assume la position
de l'interrogeant. Seule cette position l'habilite à revendiquer le point
de vue de la science. Assurément, son interrogation ne naît pas de rien,
celui qui la soutient n'est pas dépourvu d'identité ; quand il parle de la
démocratie, nul doute qu'il ne mette en jeu des convictions, car enfin
il en a, fussent-elles négatives, comme il a toujours une expérience des
rapports de groupe et du fonctionnement des organisations, une
sensibilité particulière aux relations de pouvoir, une image de la politique,
et aussi une demande qui lui est propre de participation, d'échange et
d'autorité. Toutefois, qu'il en soit ainsi ne discrédite pas son entreprise.
Dès lors qu'il n'élude pas la difficulté, qu'il ne se dérobe pas devant les
apories de sa situation, il a l'espoir que sa voie, quels que soient son point
de départ et la direction suivie, puisse croiser celle d'autrui, que les
questions dont il s'entretient en suscitent d'autres, qu'il ait en certains
points partie liée avec la vérité.
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I. Délimitation du champ
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SOCIOLOGIE DE LA DÉMOCRATIE
Le niveau politique
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ANNALES
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Le niveau économique
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pour une bonne part une tentative de compensation. Mais outre que
la nouvelle dépense d'énergie se traduit par une usure des producteurs,
difficilement mesurable, mais dont la fatigue, les perturbations du
comportement (troubles psychiques et psycho-somatiques) fournissent un indice
incontestable, elle n'accroît le gain qu'en accusant la perte — développant
la stéréotypie des conduites, l'indifférence à l'égard des objectifs collectifs,
l'impuissance à répondre aux sollicitations neuves du milieu...
Ces considérations banales ne paraissent déplacées que parce que
la sociologie de l'organisation reste, en dépit de ses dénégations, fortement
tributaire du taylorisme, la seule idéologie du monde moderne qui s'est
avérée indéracinable parce qu'elle a su donner à l'objectivisme le masque
de la science (idéologie accomplie parce qu'elle semble énoncer le réel
dans l'indifférence au désir). De fait, c'est encore une manière de céder
au taylorisme que de le critiquer au nom d'une morale humaniste ou de
prétendre, au nom du pragmatisme, ajouter au facteur technique le facteur
humain. C'est s'y soumettre encore que de proclamer que la machine
est faite pour l'homme et non l'homme pour la machine ou que l'homme
doit être reconnu comme tel pour que la machine fonctionne mieux.
La vérité est qu'il y a bien des problèmes spécifiques de productivité,
de rendement, de rentabilité, mais qu'il ne peuvent être convenablement
posés qu'à condition de l'être intégralement, de l'être donc en regard
d'un ensemble, le sujet social pris dans toute sa généralité, que ce sujet
ne peut jamais être réduit entièrement à la combinaison d'opérations
partielles, que ses gains et ses pertes ne peuvent jamais être entièrement
déterminés par le calcul, et qu'enfin le réfèrent démocratique se manifeste
précisément en ceci que la détection et l'estimation des pertes est au cœur
de la pratique de l'organisation.
Le niveau de l'information
Nous employons ce terme dans son sens ancien, sans retenir celui
dont fait usage la théorie de l'information. L'information, telle que nous
l'entendons ici, est rapportée à un sujet qui — à la différence d'une
machine dont le dispositif si complexe soit-il est adapté à un type ou
à des types déterminés d'opérations — a le pouvoir de l'intégrer à divers
niveaux de pensée et d'en tirer un parti indéterminé. Quoiqu'on puisse,
à bon droit, répugner à ranger sous la rubrique information telle ou telle
forme de savoir (pensons au ridicule de la formule : la seule chose dont
je sois informé est que je n'ai pas d'information), il demeure que ce terme
est encore le moins insatisfaisant pour couvrir à la fois la connaissance
ïa plus abstraite et la plus générale, et la connaissance la plus particulière
et la plus sensible.
Nous prétendons donc qu'en dépit de l'hétérogénéité des formes
et des contenus de connaissance le niveau de l'information existe en tant
que tel. Indépendamment de son statut économique, de sa position
au sein d'un système de dépendance, un individu participe à son milieu
en fonction du volume et de la qualité des informations qu'il détient,
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SOCIOLOGIE DE LA DÉMOCRATIE
Le niveau de la personnalité
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ANNALES
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SOCIOLOGIE DE LA DÉMOCRATIE
Le concept de communauté
Le concept d'égalité
Le concept ďautonomie
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Le concept de participation
Le concept de mobilité
Là où les hommes sont enfermés dans les limites d'un statut et d'une
fonction, sans chance raisonnable d'y échapper, là où leurs mouvements
sont entravés par des contraintes juridiques ou de fait qui les empêchent
d'abandonner leur territoire ou leur lieu de travail, la démocratie connaît
une restriction essentielle. Il est même permis de juger que l'accroissement
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Le concept d'ouverture
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ANNALES
Le concept de conflit
On voit dans quel esprit nous avons choisi les concepts qui devraient
permettre d'orienter notre investigation. Il ne s'agit nullement de trouver
des définitions qui, ajoutées les unes aux autres, donneraient celle de la
démocratie. Ce sont des concepts énigmes qu'il faut sonder un à un et
rapprocher les uns des autres pour apprendre à penser notre question,
c'est à dire à la poser au moins en justes termes.
Les indications que nous avons données, répétons-nous-le pour finir,
ne peuvent que préparer à un travail futur.
Claude Lefort.
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