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L’adieu théorique à une littérature mythifiée.

William Marx propose l’Histoire d’une dévalorisation qui toucherait le genre littéraire du
XVIIIe au XXe Siècle. Rien que cela !

Selon la thèse de l’auteur, la littérature connut un point de bascule entre le XVIIe et le XIXe
siècle. Son expansion constante au sein de la société lui attira le statut de véritable religion.
Mais au cœur du XIXe siècle, grisée par sa puissance, elle aspira à se détacher de toutes les
contraintes stylistiques, notamment via le concept d’art pour l’art forgé mythiquement par
Victor Cousin, en 1818, durant un hypothétique cours de la Sorbonne.
Subitement désenclavés, les écrivains tombèrent alors comme de pauvres fantômes d’eux-
mêmes dans une marginalisation vaniteuse et auto-dévalorisante. Ce fut alors le
commencement d’un adieu à la littérature dont nous ne serions toujours pas libérés, coincés
dans la Caverne de toutes leurs fatuités.
Ce processus de survalorisation s’inversant en dépréciation aurait duré trois siècles, et ce sans
discontinuer.
Mais si Marx conclut assez habilement sa démonstration en constatant l'impossibilité de tout
savoir à définir de façon exhaustive le processus d’énonciation littéraire, c’est tout l’objet de
son ouvrage qui s’en trouve frappé d’historicisme simplificateur et essentialiste.
Le principe même d’établir des jugements qualitatifs sur un objet aussi mouvant, arbitraire,
subjectif, opaque et donc fondamentalement indéfinissable comme l’est la littérature, en
s’appuyant qui plus est sur une grille de lecture plus ou moins rationnelle d’inspiration
hégélienne ne relève- t-il pas du péché d’orgueil ?
Il le reconnaît d’ailleurs tout naturellement : « Ce que pourra être la suite de l’évolution, il
n’appartient pas à l’historien de le dire, mais au devin». P.168
Dire ce qu’elle fut relève de la même gageure, car LA littérature en soi n’existe tout simplement
pas.
L’auteur critique certes le réductionnisme marxiste d’un Bourdieu, qui ignorerait le
déterminisme intrinsèque à la littérature, mais ne tombe-t-il pas dans le même travers en
accordant aux écrivains une telle souveraineté sur le cours historial de leur propre sphère
d’activité ?
Si certains auteurs ont aspiré à une intransivité radicale, ne recherchant que la forme pour la
forme, rien ne permet d’affirmer valablement qu’ils ont à eux seuls réalisé cette fameuse
scission entre société et littérature ni même qu’elle a bel et bien eu lieu. Jamais autant de livres
n’ont été rédigés, publiés et lus qu’en ce début de 21eme siècle. Et cette littérature de nature
industrielle n’a rien de proprement nouveau, Sainte Beuve la dénonçait dès 1839.
Que des écrivains voire des meutes d’écrivains renoncent à l’écriture, cela a toujours eu lieu.
Qu’une certaine littérature se détourne de ce que l’on nomme le réel, également, cela forme des
sous-genres. La déconsidération des auteurs par la société, considérés comme marginaux
stériles étant aussi ancienne que leur apparition statutaire régulièrement perçue comme
parasitaire.
Mais tous les jours, des auteurs continuent de traiter du réel, le prochain Houellebecq,
« Sérotonine », ne fait que cela.

Certes, le cortège funèbre qui mena Voltaire au Panthéon le 11 juillet 1791 démontre l’influence
considérable des classiques sur leur époque, et ce ne sont pas les funérailles d’un d’Ormesson
qui contrediront l’auteur sur la perte d’importance symbolique de nos illustres écrivants. Si la
fonction religieuse de la littérature n’existe plus, et qu’elle a pu correspondre avec ce que Marx
détermine comme sa phase d’expansion partie du XIXesiècle, ne faut-il pas la ramener assez
prosaïquement à l’athéisme globalement triomphant de nos sociétés consuméristes, qui ne vise
particulièrement aucun champ social plus qu’un autre ?
L’auteur hésite lui-même à fixer sérieusement des limites temporelles à cette évolution :
« Le temps des adieux correspond à une phase de transition entre deux mondes : celui où la
littérature aspirait à la totalité et celui où elle réduit ses ambitions au minimum. Se clôt alors
une période exceptionnelle dans l’histoire de la littérature occidentale, s’étendant grosso modo
du début du XVIIe à la fin du XIXe siècle- avec tout ce que de telles limites temporelles
appliquées à un mouvement culturel de fond, ont nécessairement d’arbitraire. »P.38
Si Renan, et sa « Prière sur l’Acropole », déclarait son ironie à l’égard de toute pose religieuse
propre au monde littéraire de son temps, il n’était ni le premier, ni le dernier à se gausser de
cette emphase, de Platon à Cioran.
Malmenée par les positivistes, par les romantiques, par les idéalistes, par les cyniques, par les
avant-gardes et les arrière-gardes, la grande littérature ? Mais qu’est-ce donc ? Qui peut
prétendre répondre à cette question ? Une littérature de qualité ? Et le sexe des anges alors ?
Alors quoi ? Trop démocratique ? Trop peu élitiste ? Le contraire du contraire ? Tout lui est
reproché, et ce depuis des siècles, mais la littérature ne s’en émeut pas, car son là est
indécidable. Intertextuelle, passéiste, déphasée, politisée, faussement inconvenante,
publicitaire, déficitaire, pathétique, creuse, intellectualiste, faussaire, vulgaire, absconse,
incestueuse, obsolète, elle est ce qu’elle n’est pas, et n’a pas à obéir à quelque canon
téléologique que ce soit.
Aucune mission éthique, logique, sociale, politique ou métaphysique ne lui a jamais été
assignée de toute éternité. Elle n’est qu’un vecteur d’expression, mutant et aléatoire. C’est à la
source de cette illusion empreinte de religiosité dégradée que naissent tous les discours sur son
éloignement ou sa mort à venir.
Elle va, elle vient, elle se perd, se méprend, nous déprend, se réapprend. Elle qui n’existe pas.

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