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Institut Europeén d'Études He'braiques (IEEH)

‫ ‬םימוגרת‫ ‬ינשו‫ ‬דחא‫ ‬ךיסנ‫‬/ Un Petit Prince et deux traductions


Author(s): Ziva Avran and ‫ןרבא הויז‬
Source: Revue Européenne des Études Hébraïques, No. 6, ‫&א ‬הינופוקנרפו‫ ‬תירבע‫‬lrm;' /
Hébreu et Francophonie (I) (2002), pp. 95-112
Published by: Institut Europeén d'Études He'braiques (IEEH)
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23492885
Accessed: 19-12-2018 09:57 UTC

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Un Petit Prince et deux traductions

Ziva Avran

Le lecteur hébraïque découvre le Petit Prince en 1952 grâce à la tra


duction d'Arieh Lerner. Aujourd'hui, on compte plus de 30 rééditions
de cette première version, à laquelle s,ajoute en 1993 la nouvelle traduc
tion d'Ilanah Hamerman, rééditée déjà plus de 7 fois1. Ces chiffres
témoignent de F engouement du public israélien pour la nouvelle de
Saint-Exupéry, adoptée par les lecteurs et parfaitement intégrée dans le
patrimoine culturel du pays2.

La publication d,une nouvelle traduction est un phénomène courant


dans le domaine de l'édition. Les auteurs classiques font souvent l'objet
d'une "remise à jour" et il n'est pas rare de trouver deux ou trois
versions d'une même oeuvre, en France comme ailleurs3. La nouvelle
traduction est généralement justifiée par le degré de précision, tant dans
la restitution du texte intégral (écourté parfois dans les premières versions)
que dans l'emploi d'un niveau de langue adéquat ou dans la préservation
des propriétés romanesques ou poétiques du texte4.

En raison de l'évolution spectaculaire de la langue hébraïque, une nou


velle version est souvent indispensable, notamment lorsqu'il s'agit de
livres destinés aux enfants. Le niveau de langue des premières traductions
de certains chefs-d'oeuvre de la littérature occidentale est particulièrement
élevé et les textes dans leur ensemble sont chargés de termes archaïques,
d'imprécisions et de transcriptions invraisemblables. La volonté d'actu
aliser la langue se fait sentir très rapi-dement et toute nouvelle édition

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(même dans les années 30) est augmentée en annexe d'une liste de
corrections5. Dans les années 70-80, les maisons d'édition ne se contentent
plus de simples rectificatifs et plusieurs romans sont retraduits intégrale
ment.

Si la seconde version du Petit Prince semble correspondre tout naturel


lement à cette politique générale d'actualisation, elle constitue cependant
une exception. La publication re- lativement tardive du texte hébraïque
le protège d'emblée contre certaines formes d'archaïsme. Le fait que la
traduction d'Ilanah Hamerman ne supplante pas immédiatement celle
d'Arieh Lemer (au début, les deux sont en vente simultanément) constitue
sans doute une preuve irréfutable de la lisibilité de la première version.

Avant d'aborder la lecture comparée de la nouvelle de Saint-Exupéry et


de ses deux traductions, il convient de rappeler également que le choix
opéré par le traducteur est loin d'être seulement personnel, car quelles
que soient ses options, elles sont déterminées avant tout par des normes
socio- culturelles, littéraires ou purement stylistiques. Plusieurs études
diachroniques consacrées à ce problème ont montré que dans les traduc
tions en hébreu, ces normes ont subi des changements considérables6.

Sans évoquer dans le détail l'ensemble de ces modifications, on notera


que dans les années 50 et 60, les exigences stylistiques privilégient
toujours un niveau de langue très élevé. Même lorsque les éléments
fami-liers pénètrent peu à peu dans la littérature hébraïque, les traducteurs
résistent à cette influence et persistent à employer des locutions et des
tournures définitivement écartées de l'usage courant.

Le poids de ces normes est encore plus sensible dans la traduction de


livres destinés aux enfants. Afin de protéger le jeune lec-teur, de lui
transmettre un certain savoir ou de l'éduquer, les traducteurs n'hésitent
pas à manipuler le texte tant dans son contenu que dans son style7. La
valorisation d'un niveau de langue particulièrement soutenu est imposée
par l'ensemble des éditeurs qui n'hésitent pas à employer des correcteurs
chargés de veiller sur le bon usage de l'hébreu et le respect des règles
grammaticales, même si celles-ci sont parfois incompatibles avec les
fantaisies d'un écrivain iconoclaste.

Dans les années 70, on constate une certaine mutation dans la conception
des normes littéraires et stylistiques qui régissent le domaine de la
traduction. La fidélité au texte original qui marque cette nouvelle tendance
passe aussi bien par la restitution du message que par la transposition

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Un Un Petit Prince et deux traductions

de l'écriture.

La La présente étude, descriptive avant tout, constitue en quelque sorte une


démonstration de cette évolution. Afin de présenter les aspects les plus
patents des changements réalisés dans la nouvelle traduction, la confron
tation du texte original et de ses versions hébraïques est composée de
trois volets : dénomination, niveau de langue et organi-sation du discours.
Étant donné le nombre limité de figures, cet élément stylistique n'est
pas abordé dans la comparaison. Le problème des transcriptions,
prépondérant dans les traductions du début du siècle 8, semble déjà
résolu, même si dans les années 50, les règles exactes ne sont pas
encore déterminées d'une manière définitive. C'est ainsi que d'une version
à l'autre, l'auteur du Petit prince change de physionomie ; de ‫ירפוזכא טנס‬
il devient ‫ ירפיזכא טנס‬, car le u n'est plus transcrit pas ‫( ו‬ou), mais par ‫י‬
(i). Il s'agit toutefois d'un cas isolé qui ne justifie aucune recherche
supplémentaire.

Dénomination

Certains choix lexicographiques effectués par le traducteur sont suscep


tibles de modi-fier la valeur stylistique du texte, notamment lorsqu'ils
impliquent le passage à un niveau de langue différent. D'autres relèvent
uniquement d'un simple problème de dénomination qui consiste à
représenter par tel ou tel nom l'objet réel évoqué par l'auteur. Dans les
traductions du Petit Prince, ce type de divergences apparaît essentielle
ment dans la dénomination de certains objets relatifs à la science, à la
technologie ou aux faits de société. Chez Arieh Lerner, ce lexique se
distingue souvent par un manque de précision. Face au terme exact
employé par Ilanah Hamerman, on trouve tantôt une dénomination
générale (le terme ‫ לגלג‬désigne n'importe quelle roue) ou une paraphrase
(‫)תובכר ןווכ‬, tantôt une image poétique (‫ )תיבכוכ‬ou une expression littéraire
(‫ )ןותלקע שחנ‬issue du corpus juif traditionnel9. Bien moins nombreuses
que dans certains textes publiés antérieurement, ces apprxi-mations ne
provoquent pas de confusion dans la transmission des valeurs
dénotatives10

Texte français Lerner HamermanHamerman

serpent-boa ‫ןותלקע שחנ‬ ‫אוב שחנ‬

astéroïde ‫תיבכוכ‬ ‫דיאורטסא‬

poulie ‫לגלג‬ ‫הליגלג‬

aiguilleur ‫תובכר ןווכ‬ ‫קתע‬

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panne ‫הנואת‬ ‫הלקת‬


‫סנכ‬
congrès ‫הדיעו‬

dictateur ‫ףיקת לשומ‬ ‫ןדור‬

muselière ‫םוסחמ‬ ‫םמז‬

cent mille francs ‫הריל םיפלא תרשע‬ ‫םיקנרפ ףלא האמ‬

bridge ‫םיפלק קחשמ‬ ‫'גדירב‬

golf ‫ףלוגה טרופס‬ ‫ףלוג‬

L‫י‬emploi de certains termes peut s'expliquer par des contraintes in


hérentes à l'évolution de l'hébreu (dénomination inexistante ou lexèmes
non plébiscités par l'usage). La traduction du lexèmemrô«, désigné par
Tvnwdans la première version et par ‫ סוטמ‬dans la seconde, illustre par
faitement cette catégorie de motivations. Ce simple choix lexicographique
reflète en effet le changement qui s'est produit peu à peu dans le com
portement linguistique des hébraïsants. Introduit par Ben Yehuda et
largement employé dans les années 50, le terme ‫ ןוריווא‬tend à disparaître,
alors que le lexème ‫סוטמ‬, suggéré par Bialik, fait l'objet d'un usage de
plus en plus courant".
La situation objective de la langue hébraïque ne constitue cependant
pas un facteur exclusif dans le choix des dénominations. Le manque de
précision correspond aussi à un certain laxisme, parfaitement toléré par
les normes qui régissent l'ensemble des traductions de l'époque. Cette
liberté est souvent doublée d'un souci de lisibilité et la tendance à
l'hébraïsation (de noms propres ou de faits de société) s'accroît con
sidérablement lorsque la traduction est destinée au jeune public. Le
choix d'une appellation peut révéler un souci didactique, car le traducteur
cherche aussi à protéger le jeune lecteur de certaines informations,
jugées difficilement accessibles. C'est ainsi que les francs se transforment
en livres et le bridge en simple jeu de cartes. Le terme golf est conservé,
mais il est précédé d'une brève explication.
La volonté de gommer les particularités socioculturelles est teintée parfois
d'une motivation idéologique. Les références à Noël (le sapin et la
messe de minuit), simples signifiants dont le seul but est d'évoquer le
goût délicieux de l'eau dans le désert, sont soigneusement écartées de la
première version du Petit prince :
Lorsque j'étais petit garçon, la lumière de l'arbre de Noël, la musique
de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le
rayonnement du cadeau de Noël que je recevais, (p.81)
‫ןורודכ יל ומענ ]םימה[ םה‬. ‫גחה תורוא‬, ‫בגועה ילילצ‬, ‫רבסו‬-‫ תופיה םינפה‬- ‫וליצאה הלא לכ‬

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Un Un Petit Prince et deux traductions

‫ןטק דלי יתויהב לבקמ יתייהש תונתמה לע םרואמ‬. (‫רתל‬, ‫ ימע‬81)


‫בלל םיבוט ]םימה[ םה‬, ‫הנתמכ‬. ‫גח תנתמכ‬-‫ילש דלומה‬, ‫ןטק יתייהשכ‬, ‫ורואמ הל אב הוויז לכש‬
‫חושאה לש‬, ‫הצח לש הסימה ילילצמ‬/ ‫םיכויחה םעונמ‬. (‫ןמרמה‬, ‫ ימע‬69)

Dans ce chapitre consacré à la dénomination, il convient de rappeler


également la difficulté objective de traduire certains termes d,affection
n'ayant pas d'équivalences dans la langue d'arrivée en raison d'un
contexte culturel particulièrement éloigné.

L'L'expression petit bonhomme (répété dans la nouvelle à plusieurs reprises)


fait partie de ces éléments linguistiques difficilement traduisibles. En
l'absence d'un terme approprié, Arieh Lerner emploie toute une variété
d'appellations qu'il distribue soigneusement entre différentes catégories
de discours. Dans le discours indirect, il emploie les expressions ‫שנרבה‬
‫ ינטק‬,‫ יביבח אניטק‬,‫ טקה שיאה‬,‫ ביבח ןושיא‬,‫ !ורוחב‬,‫( טקה‬p.6, 10 et 70), tandis que
dans les répliques, il préfère des locutions dont la charge affective est
plus patente: (p. 10, 70, 79)‫ טקה ידמחמ‬,‫ ביבח אניטק‬,‫ינטק‬. L'existence de ces
nombreux synonymes témoigne de la difficulté de forger une correspon
dance sémantique précise. Dans les deux premières dénominations, le
choix est artificiel : le diminutif ‫ ינטק‬formé à partir d'un adjectif fléchi,
tandis que le terme araméen ‫ אניטק‬s'inscrit dans une tradition purement
littéraire (à l'instar de ‫אשישק‬, il est employé par les écrivains hébraïques
du début du siècle). Ilanah Hamerman qui opte pour ‫( ןודלי‬p.9, 75)
utilise toujours la même appellation, en ajoutant parfois, notamment
dans le discours oral, un simple qualificatif : 13,67 .?)‫)ביבח ןודלי‬. Ces
termes, parfaitement courants en hébreu moderne, apportent davantage
de précision quant à l'identité exacte du personnage (il s'agit bel et bien
d'un enfant), tout en augmentant la charge affective du discours grâce à
l'usage du diminutif.

Niveau de langue
Le niveau de langue employé dans les deux versions du Petit Prince
témoigne clairement de l'évolution des normes stylistiques, car les dif
férences constatées dans ce domaine sont particulièrement importantes.
La prédilection d'Arieh Lerner pour les éléments soutenus, qu'ils soient
lexicographiques, morphologiques ou syntaxiques est systématique. La
langue parlée est éliminée tant de la narration que du discours personnifié.
La traduction d'Ilanah Hamerman est bien au contraire débarrassée de
composants linguistiques trop marqués par leur caractère littéraire, même

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si la langue parlée est loin d'être appliquée en toutes circonstances. Des


expressions familières, des fautes grammaticales ou des défauts de pron
onciation caractéristiques de l'oral sont excessivement rares. La locution
15.^‫ )והשנאל‬qui cumule une faute grammaticale (‫ ןאל‬est réservé à Tinter
rogation) et un défaut de prononciation constitue sans doute une excep
tion. Son usage témoigne cependant de l'écart qui se creuse dans certains
contextes entre les deux versions. Ainsi, pour traduire une simple ex
pression comme "n'importe où" (p. 18), Ilanah Hamerman choisit un
élément propre à la langue parlée, tandis que Arieh Lerner opte pour
une tournure biblique : 2'(12.‫ךלת רשאב ךלת)ק‬.
Si l'on examine l'ensemble des choix lexicographiques dans la seconde
version, on note tout d'abord la disparition de termes archaïques tels
queoM ou ‫הבכרא‬, employés souvent par des écrivains hébraïques au
début du siècle13. Mais le décalage stylistique entre les deux traductions
est patent même dans l'usage de locutions adverbiales, de conjonctions
ou de prépositions.
Texte fr. Lerner Ham. Texte fr. Lerner HamermanHamerman

pourquoi ‫עודמ‬ ‫המל‬ pour que ‫ןעמל‬ ‫שידכ‬

dormir ‫םונל‬ ‫ןושיל‬ répondre ‫בישהל‬ ‫תונעל‬


bracelet ‫סכע‬ ‫דימצ‬ mois ‫חרי‬ ‫שדוח‬

cheville ‫הבכרא‬ ‫לוסרק‬ avec lui ‫ומע‬ ‫ותא‬

boisson ‫יוקיש‬ ‫הקשמ‬ à part ‫דבלמ‬ ..‫מ ץוח‬


arbre ‫ןליא‬ ‫ץע‬ à cause de ‫םיטעב‬ ‫םללגב‬

bouger ‫שומל‬ ‫זוזל‬ questionner ‫שקבל‬ ‫לואשל‬

Le passage d'un niveau de langue élevé à un langage plus familier est


dû souvent à la substitution de très nombreuses locutions, faisant partie
de registres soutenus, par des lexèmes ayant le même sens, mais dotés
d'une valeur stylistique différente14.

Texte Français Lerner HamermanHamermanHamerman

laisser de côté ‫די ךושמל‬ ‫קיספהל‬


absurde ‫רחש‬-‫רסח‬ ‫ךחוגמ‬
étoiles ‫תולזמו םיבכוכ‬ ‫םיבכוכ‬

puits ‫םייח םימ רוקמ‬ ‫ראב‬

avec sagesse ‫תעד בוטב‬ ‫המכחב‬

C'est dans cette perspective qu'il faut replacer également les nombreuses
locutions redondantes, telles que : ‫ בוט‬,‫ םרו לודג־הלעמ‬,‫ עגיו ףייע‬,‫הדומלגו הדדוב‬
‫בל‬-‫( חונו‬seule et esseulée, fatigué et rompu, gentil et aimable, noble et de

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haut haut rang) qui ponctuent la traduction d'Arieh Lerner. La présence de


ces expressions est rarement justifiée par le contenu sémantique du
texte français, car il s'agit généralement d'un seul lexème dénué de
toute valeur emphatique {grand, seul, déconcerté, etc.) ; la version
hébraïque est toujours sublimée et une langue parfaitement familière se
transforme ainsi en un style particulièrement soutenu.

Dans certains contextes, l'usage de ces expressions ne correspond à


aucun élément lexicographique ; elles sont introduites uniquement pour
rehausser le niveau de langue et anoblir l'écriture. Une simple exclamation
telle que : "Tiens ! Voilà un explorateur." (p.53) dont la forme verbale
ne contient aucune notion progressive devient curieusement : .‫רקוח הנה‬
‫( אכד ךלוה תוצרא‬p.47).

Une lecture attentive de toutes les occurrences ci-dessus montre toutefois


que le changement est loin d'être purement stylistique. Dans certains
cas, la traduction atténue l'effet du réel en transformant un objet concret
en notion abstraite. Alors que le texte français se réfère véritablement
au puits, aux étoiles ou à l'eau, inhérents au paysage évoqué, soit par
leur présence, soit justement par leur absence, la version d'Arieh Lerner
se contente de recréer une référence purement poétique. Le puits devient
une source de vie et les étoiles sont enrichies d'une fonction astrologique.

La prédominance d'éléments soutenus dans la première traduction se


manifeste également dans le choix morphologique. En plus d'un usage
sporadique du ‫לעפתנ‬, ou de l'orthographe araméenne du verbe être au
futur (‫)אהי‬, Arieh Lerner emploie fréquemment les verbes suffixés
(‫ ובישהל‬,‫ ינעיצפהל םיתרכה‬,‫ ךבזעא‬,‫ )ונחכשא‬et les substantifs fléchis (‫ךסנפ‬,‫)יבכוכ‬,
tant dans la narration que dans le discours direct.

Ilanah Hamerman écarte généralement les verbes suffixés, qui à l'instar


des formes araméennes (définitivement éliminées de la traduction) sont
particulièrement marqués sur le plan stylistique. L'emploi de substantifs
fléchis est courant dans la narration, mais très rare dans le discours
personnifié.

Les structures syntaxiques confirment aussi l'option stylistique de chacun


des traducteurs. Arieh Lerner cherche à produire un effet poétique sans
que celui-ci corresponde véritablement au choix de l'auteur. Il n'hésite
pas à employer certains éléments bibliques tels que le waw conversif
(‫וכרדל ןפיו‬, p.43) ou l'infinitif absolu dans sa fonction emphatique (‫טופש‬

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‫ךמצע תא טופשת‬, p.35). Il remplace le passé ou le présent par le futur [...]


‫הצרתש העש לכ העיקשה ימודמד תא תוארל( תלכי‬, p.21), l'infinitif par le participe
présent (‫ לכתסמ ליחתה‬et non pas‫) לכתסהל ליחתה‬, et tout au long du récit
multiplie les inversions (le verbe précède souvent le substantif).
Ilanah Hamerman cherche bien au contraire à éviter certaines tournures
à caractère soutenu. Elle n'emploie jamais l'infinitif fléchi pour exprimer
une action simultanée. Là où Arieh Lemer écrit ‫[ םכל ירפסב‬...] ‫יתקייד אל‬,
(p.53), elle choisit non seulement la structure syntaxique la plus simple,
mais préfère un lexème plus proche de la langue parlée (‫שכ‬... et non pas
‫[ אל םכל יתרפיסשכ‬...] ‫יתדפקה‬: (‫( רשאכ‬p.51). Loin de privilégier l'ensemble
des usages plébiscités par le discours oral, Ilanah Hamerman n'hésite
cependant pas à reproduire des phrases incomplètes selon le modèle
initial de la langue de départ, alors que Lerner forme toujours des
structures syntaxiques parfaitement équilibrées :
J'avais ainsi appris une seconde chose très importante :
C'est que sa planète d'origine était à peine plus grande qu'une maison
(p. 18)
Ce que le petit prince n'osait pas s'avouer, c'est qu'il regrettait cette
planète bénie [...] (p.53)
‫דואמ דע בושח רבד דוע יל עדונ ךכו‬: ‫ליגר תיבמ לודג היה אל ןטקה ךיסנה לש ואצומ בכוכ‬.

(Lerner, p. 12)
‫ובלב תודוהל זעה אל_ןטקה ךיסנה‬, ‫ךרבתנש בכוכ ובזע לע רקיעב רעטצמ אוהש‬.
(Lerner, p. 47) [...]
‫דואמ בושח והשמ דוע יתדמל הככו‬: ‫תיב לדוגכ ולדג ונממ אב אוהש בכוכהש‬, ‫אל‬

‫( !רתוי‬15 .Hamerman, p)
‫ומצע ינפל תודוהל זעה אל ךיסנהש המ לכא‬, ‫ךרובמה בכוכה לע רתוול ול רצש אוה‬
(Hamerman, p.45)
L'usage systématique d'éléments soutenus modifie profondément la
valeur stylistique du texte original qui alterne souvent, même dans les
séquences narratives, le littéraire et le familier. L'usage du passé simple,
caractéristique de la langue écrite, côtoie les formes syncopées du dé
monstratif (ça), caractéristiques de la langue parlée.

Cette alternance s'explique aisément par le passage d'un récit qui pourrait
être qualifié d'extradiégétique, car dominé par le regard d'un narrateur
non impliqué (bien que jamais absent), à un récit diégétique, déterminé
par la présence d'un narrateur personnifié, notamment dans ses face-à
face avec le petit prince ou avec le lecteur.

Malgré l'impossibilité de traduire en hébreu ces deux composants stylis

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tiques particulièrement marqués, Ilanah Hamerman tente de respecter le


principe de l'alternance (même s'il ne s'agit pas toujours d'une équiv
alence contextuelle précise), alors que le caractère éminemment soutenu
de la première traduction produit un style monolithique qui va à l'encontre
du choix opéré par l'auteur.

La distinction entre narration et discours direct, qu'il soit intégré dans le


récit ou mis en relief par la segmentation, apparaît dans la traduction
d'Ilanah Hamerman, même si l'opposition tout comme dans le texte
original, n'est ni systématique, ni flagrante. Certains éléments plus soute
nus restent cependant réservés à la narration.
Hormis quelques locutions idiomatiques marquées par leur caractère
littéraire (bien moins nombreuses que chez Arieh Lerner), on constate
par exemple que dans les séquences narratives, la négation au présent
est toujours exprimée par ‫ןיא‬, alors que dans les répliques, la traductrice
opte généralement pour le lexème ‫ אל‬. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un
usage exclusif, le terme le plus familier correspond davantage à la
restitution d'un échange oral, notamment lorsque qu'il révèle une charge
affective particulièrement importante. Le mécontentement, le refus ou
l'opposition sont exprimés de préférence par : ‫אל‬
- ‫!ןימאמ אל ינא‬
‫אל‬, ‫אל‬, ‫ !םולכ בשוח אל ינא‬-
(24-23 ‫שיא אל הז לבא ־‬, ‫הירטפוז‬. (‫ןמרמה‬

Dans la nouvelle de Saint-Exupéry, il n'existe pas de véritable diversifi


cation dans la conception des discours attribués à chacun des personnages.
La différenciation s'effectue davantage par le contenu que par le style,
et la fonction romanesque des registres (les utilisations que chaque
sujet parlant fait des niveaux de langue) n'est pas exploitée. Le langage
du petit prince ne diffère pas véritablement de celui du buveur ou de
celui du roi, car il s'agit avant tout d'une parabole et non d'un récit
réaliste.

Néanmoins, en gommant les variantes stylistiques, Arieh Lerner élimine


définitivement la possibilité de toute distinction romanesque. Cette cor
rélation entre style et contexte, toujours sporadique chez Saint-Exupéry,
est mise en valeur par Ilanah Hamerman ; c'est en diminuant sensiblement
le niveau de langue de l'ensemble du récit qu'elle fait ressortir le caractère
précieux de certaines répliques :
(La fleur au petit prince, p.26) - [...] ‫אנא‬, ‫ךבוטב יל גאד‬

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(Le roi au petit prince, p.30) -[...] ‫ךב ןנובתהל ביטיאו ילא ברק‬
(Le petit prince au roi, p.30) - [...] ‫ואולמב השעיי ורבדש ץפח ותוכלמ דוה םא‬

Organisation du discours

La recherche d'équivalences entre la langue de départ et la langue d'arrivée


ne s'applique pas uniquement aux éléments isolés. Elle passe néces
sairement par l'organisation du discours, car tout changement dans la
structure des phrases, dans leur enchaînement ou dans la segmentation
peut modifier le style et altérer le contenu du message.
Si l'on examine minutieusement le déroulement du récit, on constate
que la narration dans son ensemble s'organise sur un mode hypotactique,
car le narrateur explicite souvent les rapports de dépendances entre les
différentes unités syntaxiques. Le passage d'une action à une autre,
d'une parole à une autre, repose sur de nombreuses conjonctions, placées
au début d'un paragraphe ou devant une phrase isolée décrivant un
geste ou introduisant un acte de parole. Ce procédé narratif met l'accent
sur l'enchaînement du récit, tout en soulignant le caractère oral d'une
narration dans laquelle la présence de l'interlocuteur joue un rôle impor
tant. Dans certains chapitres, ce type d'articulation est pratiqué dans un
contexte très rapproché et les conjonctions sont insérées à quelques
phrases d'intervalle : "Et il rit encore [...]. Mais il ne me répondit pas.
[...][...] Et il rugit [...] Et j'ajoutai, en hésitant [...] Mais il me répondit [...]
Mais je n'étais pas rassuré [...]." (p.82-83, chapitre 25).
Au sein de ce flux narratif, l'auteur insère cependant quelques séquences
qui échappent à l'articulation logique du discours. Les phrases, rel
ativement brèves, se trouvent alors juxtaposées les unes par rapport aux
autres. Le procédé est généralement employé pour évoquer des moments
d'intense émotion : la découverte de l'eau dans le désert (p.81), la dis
parition du petit prince (p.91), etc.
La traduction d'Ilanah Hamerman respecte généralement les deux princi
pes d'organisation. Dans l'application du mode hypotactique, la traductrice
tient également compte des liaisons effectuées par le lexème ainsi,
placé parfois au milieu de la phrase. En hébreu, le lien logique est alors
mis en valeur par l'insertion de l'adverbe ‫הככ‬, précédé parfois d'un waw
conjonctif.conjonctif. On notera cependant que la présence du waw ne correspond
pas toujours à une conjonction équivalente en français et semble répondre
uniquement aux dispositions rythmiques de la langue d'arrivée.
Dans sa version, Arieh Lerner n'observe pas toujours l'articulation logique
de la narration. Le traducteur se contente souvent d'une simple segmen

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tation et renonce aux mots de liaison introduits en français, cherchant


ainsi sans doute à préserver une certaine élégance stylistique.

[..[...][...] J'ai volé un peu partout dans le monde. [...]


J'ai J'ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de
gens sérieux [...] (p.10).
[...] ‫םלועה יקלח לכב ףעיב יתרבע‬
(Lerner, p. 4) .‫םייניצרו םיבר םישנא םע עגמב יתאב ייח תונש ךשמב‬
(Hamermanp^m ‫[ םלועה לכב טעמכ יתסט‬...] ‫ןומה םע םירשק ןומה ייחב יתרשק הככו‬
p.8) [...].
Dans certains contextes, l'effet produit par la conjonction est atténué
justement par un changement de segmentation. L'absence de conjonctions
ou leur estompage modifie non seulement le rythme de la narration,
mais détruit aussi sa valeur mimétique et ses accents ironiques, comme
c'est le cas dans le chapitre consacré à l'allumeur de réverbères. En
isolant la phrase qui décrit les gestes de l'allumeur tout en conservant la
conjonction, Saint-Exupéry préserve l'enchaînement sans négliger pour
autant l'accélération des mouvements. Ilanah Hamerman reproduit la
même segmentation (à l'exception de la dernière action) et le même
découpage syntaxique, tandis qu'Arieh Lerner rattache la narration au
discours et le geste à la parole, diminuant ainsi simultanément la logique
du récit et la dynamique de l'action :
Et il le ralluma.
Et il éteignit son réverbère.
Et il ralluma son réverbère. [...]
Et il éteignit son réverbère, (p.51-52)
.‫שדחמ סנפה תא קילדהו רמא‬

[...] .‫[ סנפה תא_הכיכו_שיאה_רמא‬...]


‫דמא‬.‫קילדמה‬.‫הכיכו‬.‫סנפה תא‬. [...] . (Lerner, p. 45-46)
.‫ותוא קילדהו בש אוהו‬
.‫ולש סנפה תא הביכ אוהו‬

‫סנפה תא הביכ אוהו‬. [...] . (Hamerman, p.45-46)

L'absence d'une équivalence dans l'articulation du discours chez Lerner


est encore plus patente lorsqu'il s'agit de paragraphes conçus autour
d'une simple juxtaposition. Ces unités textuelles sont soumises à une
réorganisation visant à augmenter la cohésion, voire la cohérence, du
récit. Le traducteur multiplie les conjonctions pour expliciter les rapports
de dépendance entre deux propositions ou entre deux phrases, introdui

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sant ainsi des rapports de cause à effet ou une relation fondée sur
l'opposition qui n'existent pas dans le récit original14. Dans le paragraphe
suivant, par exemple, le narrateur se contente d'énumérer les différents
bonheurs du moment : la fraîcheur de l'eau, le sentiment d'apaisement,
la beauté du sable. Dans la traduction de Lerner, l'apaisement est claire
ment conditionné par la présence de l'eau. Chez Ilanah Hamerman, le
découpage syntaxique est respecté et les deux actions, celle de boire et
celle de respirer, sont parfaitement indépendantes. Seule, l'insertion d'un
wawwaw constitue un écart par rapport à la syntaxe initiale, mais il semble
répondre une fois de plus à un souci rythmique, car il donne une nouvelle
impulsion à la dernière phrase. Loin de modifier la valeur référentielle
du message, ce léger changement permet de reproduire le déroulement
rythmique de la séquence qui débouche sur une phrase plus ample dont
le mouvement ascendant exprime la nostalgie éprouvée par le narrateur.

J'avais bu. // Je respirais bien. // Le sable, / au lever du jour, / est


couleur de miel. // J'étais heureux aussi de cette couleur de miel. //
Pourquoi fallait-il que j'eusse de la peine [...] // (p.81)
‫החוורל יתמשנו םימה ןמ יתיתש‬// . ‫שבדה ןיעכ אוה המחה ץנהב לוחה עבצ‬// . ‫יושע הז עבצ‬
‫תרוק יל םורגל היה‬-‫הבר חור‬// . ‫יבל לא בצעתהל ילע רזגנ אופיא עודמ‬.Lerner, p)
?//[...](75
‫יתיתש‬// . ‫דחוורל יתמשנ‬// . ‫?ותה‬/ , ‫רחש םע‬/ , ‫הזה שבדה עבצכ ועבצ‬// . ‫ילע היה המלו‬

(Hamerman, p.71 )[...]//?‫בצעתהל‬

Les modifications réalisées par Lemer dans l'articulation du discours se


manifestent parfois simultanément dans le découpage syntaxique et
dans la segmentation. Cette réorganisation peut entraîner tantôt un
morcellement excessif, tantôt une fusion entre deux paragraphes
indépendants. Les longs extraits ci-dessous sont particulièrement
intéressants à cet égard en raison du nombre de changements et de leur
impact qui va bien au-delà d'une simple disposition textuelle :

[...] Elles [les grandes personnes] sont comme ça. Il ne faut pas leur en
vouloir. Les enfants doivent être très indulgents avec les grandes personnes.
Mais, bien sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des
numéros! J'aurais aimé commencer cette histoire à la façon de contes de fées.
J'aurais aimé dire:

« Il était une fois un petit prince [...] »

Car je n'aime pas qu'on lise mon livre à la légère. J'éprouve tant de chagrin à 6

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ans déjà que mon ami s'en est allé avec son mouton. Si j'essaie ici de le
décrire, c'est afin de ne pas l'oublier. C'est triste d'oublier un ami. Tout le
monde n'a pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui
ne s'intéressent plus qu'aux chiffres. [...] Mais mon ami ne me donnait jamais
d'explications. Il me croyait peut-être semblable à lui. Mais moi, malheureuse
ment, je ne sais pas voir les moutons à travers les caisses. Je suis peut-être un
peu comme les grandes personnes. J'ai dû vieillir, (p.20-21)
‫םירגובמה לש םביט ךכ‬, ‫הבוח ףכל םתוא ןודל ןיאו‬. ‫םהילא סחייתהל םידליה םיבייח ןכ לע‬
‫חור ךרואבו תונחלסב‬, ‫ונא יכ‬, ‫םייחה דוס תא םיניבמה‬, ‫הרתי תובישח םירפסמל םיסחימ ונניא‬.
‫רומאלו הדגא רופיס םיליחתמש ךרדכ הז השעמ חותפל יתייה הצור‬: "‫ןטק ךיסנ היה היה‬.[...]"
‫תולקב הז ירפס תא וארקיש הצור ינניא‬-‫שאר‬, ‫רעצ תושגר ךותמ הלא תונורכז ינא הלעמ יכ‬.
‫ותשבכ םע ןטקה דידי ול ךלה זאמ ילע ורבע םינש שש‬. ‫ןאכ וראתל ינא הסנמ םאו‬, ‫השוע ינירה‬
‫יבלמ חכשיי אלש ידכ ןכ‬. ‫דידי חוכשל רשאמ רתוי רעצמ רבד ךל ןיא‬, ‫הכוז םדא לכ אל יכ‬
‫דידיל‬.

‫ונחכשא םא‬, ‫הלילח‬, ‫םירגובמל תומדהל ינא לולע‬, ‫םירפסמ תלוז רבדב םיניינעתמ םניאש‬. [...][...]
‫רבד יל ריבסה אל ןטקה ידידי‬. ‫ונממ ינא הנוש אל יכ ובלב בשח ילוא‬. ‫ךא‬, ‫ינובאדל‬, ‫ינניא‬
‫תובית לש ןהיתונפדל דעבמ םישבכ תוארל לגוסמ‬. ‫ םירגובמל תצקמב ינא המודש ןכתיי‬- ‫יאדו‬
‫יתנקז‬. 14-15 .Lerner, p)

Dans le texte français, la segmentation (3 paragraphes sur 4) est fondée


sur une structure argumentative : affirmation, restriction (mais...), af
firmation, justification (car...). Mais l'organisation du discours ne repose
que partiellement sur une correspondance thématique. Si le passage au
second paragraphe marque l'opposition entre eux (les adultes) et nous
(les enfants) et si le troisième décrit le récit tel qu'il aurait pu être conté,
le quatrième échappe à toute définition. Le découpage interphrastique
semble calqué sur le déroulement naturel de la pensée et la brièveté
relative des phrases fait ressortir la charge affective du discours. L'usage
de la parataxe permet au narrateur d'aborder tour à tour le problème de
l'écriture, de l'oubli, de l'amitié ou de l'innocence.

Curieusement, alors que l'articulation logique du récit est minée par


l'absence de conjonctions au début des paragraphes différemment dis
posés, le traducteur cherche à imposer une correspondance quelque peu
artificielle entre la segmentation et les thèmes abordés. A l'instar des
exemples cités précédemment, cette recherche de cohérence est particu
fièrement visible dans les modifications effectuées à l'intérieur des para
graphes, car le mode paratactique est remplacé par un mode hypotactique.
Le passage d'une unité syntaxique à une autre (contrairement à la transition
au niveau de la segmentation) est marqué par une relation de cause à

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effet qui relie les différents motifs thématiques. Ce rapprochement systé


matique n'est pas dénué d'une certaine confusion ; le traducteur explicite
l'implicite et crée des liens de dépendance là où les rapports ne sont que
suggérés : les enfants doivent traiter les adultes avec indulgence, parce
qu'ils comprennent bien la vie et se moquent des chiffres... ; il est triste
de perdre un ami, parce que tout le monde n'a pas la chance d'avoir des
amis, etc.

La nouvelle segmentation interrompt le déroulement naturel du discours,


notamment dans le dernier paragraphe qui offre une sorte de réflexion
sur la nature du livre et constitue une introduction au récit. Dans ce
même passage, le nouveau découpage syntaxique atténue le rythme
saccadé de la narration et diminue ainsi sa charge affective. En modifiant
le statut de la dernière phrase "J'ai dû vieillir.", le traducteur estompe
également le sentiment de regret exprimé par le narrateur.

La volonté d'augmenter la cohérence du discours qui pousse le traducteur


à mettre en valeur des liens inexistants se révèle également dans certains
éléments rajoutés au récit initial. Il s'agit généralement de quelques
lexèmes dont la présence est à peine perceptible : la mise en place d'une
transition formelle entre narration et discours direct, l'insertion d'un
qualificatif, l'usage d'une locution redondante qui renforce le caractère
narratif du texte, mais n'introduit aucun nouvel élément référentiel.
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence:
- Tu vois bien...ce n'est pas un mouton, c'est un bélier, (p. 14)
J'ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'à une
panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s'était cassée dans
mon moteur, (p. 11 )
Quand je réussis enfin à parler, je lui dis : [...] (p. 12)
‫תונחלסב רמאו ךרב ךייח טקה ירבח‬:

‫ליא והז השבכ וז ןיא יכ תואורה ךיניע ־‬. (8.p)


‫יחורכ םדא אלל ידבל יתייח ךכ‬, ‫יארכ ותא חחושל רשפאש‬, ‫עגפנש דע םימיה ילע ורבע ךכו‬
‫השעמה רקיע הזו םינש שש ינפל הרק רבדה הרהס רבדמב הנואתב יסוטמ‬: ‫ןוריוואה עונמב‬
‫לוקלק לח ילש‬.[...](6.p)
‫ףוס ידיב הלעשכ‬-‫ההימתב יתלאש יפמ הגה איצוהל ףוס‬: [...](8.p)
‫ביבח ךויח ךייח ידידי‬, ‫ינחלס‬: "‫האור התאירה‬... ‫"ליא הז ןושבכ אל וז‬. (11 .p)
‫ומאב רבדל ימ םע יל היה אלו ידבל יל יתייח הככו‬/ ‫ינפל ןורהס רבדמב הלקת יל התרקש דע‬
‫םינש שש‬. ‫ילש סוטמה לש עונמב רבשנ והשמ‬. (9 .p)

‫ףוס יתחלצהשכ‬-‫רבדל ףוס‬, ‫יתלאש‬: [...](8.p)

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Quelques éléments rajoutés au texte par Arieh Lerner, à l'instar de


certaines dénominations, révèlent une fois de plus un souci didactique.
Afin de présenter un héros au comportement exemplaire, il rectifie
imperceptiblement quelques répliques. Lorsque le petit prince demande
au pilote de lui dessiner un mouton, il ne prononce pas toujours la
formule de politesse, et lorsqu'il interroge l'allumeur de réverbères, il
semble peut-être manquer de respect à un inconnu. Lemer s'empresse à
corriger ces lacunes, rendant ainsi le personnage plus poli et plus respec
tueux :
- S'il vous plaît...dessine-moi un mouton!
- Hein!
- Dessine-moi un mouton... (p. 11)
- Bonjour. Pourquoi viens-tu d'éteindre ton réverbère? (p.50)
!- ‫אנא‬...‫ושבכ יל רייצ‬
‫!?המ‬
(p.5) !‫ השקבב יל רייצ‬-
(p.45)? ‫בוט רקוב‬, ‫ ךסנפ תא תיבכ עודמ !ינודא‬-

L'ingérence d'Arieh Lerner dans l'organisation du discours ne porte pas


atteinte au déroulement du récit, mais il n'hésite pas à introduire dans le
texte hébraïque des intitulés résumant brièvement le contenu des chapi
très, alors que Saint-Exupéry se contente d'une simple numérotation. Si
certains intitulés présentent l'épisode ou le personnage évoqués dans le
chapitre (‫ רבדמ‬,‫ ףרגואיגה‬,‫)רוכשה לש ובכוכ בלב הרזומ השיגפו סוטמ תנואת‬, en
anticipant parfois sur les événements (‫הדירפה‬, ‫)רבד ףוס‬, d'autres, livrent
sous forme de citation à caractère proverbial le message idéologique,
soigneusement tissé par l'auteur à l'intérieur du texte ("‫דחא חרפ בהואה ירשא‬
‫"ןיעה ןמ םייומס םיבושחה םירבדה‬, "‫)"דיחיו‬.

Conclusion

Au moment de sa publication, la nouvelle traduction du Petit prince ne


fait pas l'unanimité. Certains critiques et certains lecteurs nostalgiques16
regrettent l'ancienne version et semblent contester la modernisation de
l'écriture. Sans remettre en question la qualité des traductions dont les
choix sont inévitablement ancrés dans un contexte normatif, il apparaît
clairement que la première traduction s'éloigne parfois considérablement
des options initiales contenues dans la nouvelle de Saint-Exupéry17.
Les interférences dans la restitution du texte vont bien au delà d'un effet
purement stylistique. Ils touchent parfois à la poétique même du récit.

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L'alternance du soutenu et du familier, de l'hypotaxe (au niveau de la


segmentation) et de la parataxe (à l'intérieur de certains paragraphes)
correspond souvent à une narration qui se déroule en deux temps. Le
Petit Petit prince se présente d'une part comme un récit classique placé dans
une perspective extradiégétique qui préserve la distance entre le narrateur
et les événements. Mais cette nouvelle contient d'autre part un récit
individualisé et l'implication affective du narrateur permet d'abolir la
distance entre le temps de la narration et le temps de l'action. Les
changements réalisés par Arieh Lerner modifient cet équilibre entre
l'épique et le dramatique, entre l'écrit et l'oral.

La visée didactique, qui apparaît dans certaines appellations destinées à


gommer les différences socioculturelles et surtout dans la réorganisation
du discours, va aussi à l'encontre de la vision fondamentale de l'auteur.
Le regard paternaliste introduit dans le récit par le traducteur est diamé
tralement opposé à l'optique de Saint-Exupéry qui se place toujours
dans le camp des enfants et non dans celui des adultes.

Notes

1. En France, la nouvelle est publiée pour la première fois chez Gallimard en


1946. Les citations en français sont extraites du livre édité par Gallimard
Jeunesse (texte intégral) en 1987. Pour les traductions voir les éditions publiées
par 'Am-'Oved (‫ )דבוע םע‬en 1981 et en 1993.

2. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur ce livre. Voir notamment :


- ‫ קפוא‬.‫לאירוא‬, ‫יתפרצ חיש וד‬, ‫םילעופה תירפס‬, 1958
- ‫ "הפי ץיבולרב‬,‫ ןטקה ךיסנה‬- ‫ץקה וק לע האווצ‬," ‫םיינזאמ‬, ‫ז"םךרכ‬, ‫ 'סמ ןוילג‬3 ‫ ראוני‬1993
- ‫הביבא יקסנירק‬, ‫דובאה בכוכה תובקעכ‬, ‫םערוא תאצוה‬, 1992

3. D'après VIndex Translationum, consulté pour les besoins de cette analyse,


les exemples sont particulièrement nombreux et l'on compte au moins deux ou
trois traductions pour des auteurs classiques, tels que Dostoïevski ou Tolstoï.

4. On rappellera, par exemple, que la dernière traduction du célèbre roman de


Cervantes L'Ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche par Aline Shulman
(Ed. du Seuil, 1997) est saluée par tous les critiques pour sa fidélité à l'originalité
des dialogues (notamment les répliques de Sancho) et pour sa capacité à restituer
les nombreux jeux de mots qui ponctuent le texte.

5. Voir à ce sujet l'article de Menahem Regev :


-"‫"תירבעה ןושלה לש התושדחתה יארב םימגרותמ םידלי ירפס‬, ‫א"ע םיינזאמ‬, ‫ ןוילג‬1, ‫ רבוטקוא‬1996.

6. Voir notamment :

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- ‫ןב‬-‫הניר רחש‬, ‫הירבעה המארדב ןושלה‬, ‫לת‬-‫ש"ע הקיטוימסו הקיטאופל ילארשיה ןוכמה ביבא‬
‫רטרופ‬, ‫דחואמה ץוביקה תאצוה‬, 1998
- ‫לחר דורבסיו‬, "‫ה תונשב תימשר אלהו תימשרה תמגרותמה תרופיסה ןושל ןיב םיסחיה‬-60 ‫הו‬-70".
‫היח הפש תירבעה ךותב‬. ‫הפיח תטיסרבינוא לש םירפסה תאצוה‬, 1992, ‫ ימע‬260-245.
- ‫ןועדג ירוט‬, ‫ םינשב תירבעל יתורפסה םוגרתהו םוגרת לש תומרונ‬1945-1930, ‫לת‬-‫ןוכמה ביבא‬
‫רטרופ שיל הקיטוימסו הקיטאופל‬, 1977.

7. Cette tendance a été soulignée dans différentes études comparées. Voir tout
particulièrement :
- Ben-Ari Nitsa, "Didactic and Pedagogic Tendencies in the Norms Dictating
the Translation of Children's Literature: The Case of Poster German-Hebrew
Translations". Poetics Today 13:1, Spring 1992.
- Even-Zohar Basmat, "Translation Policy in Hebrew Children's Literature:
The Case of Astrid Lindgren", Poetics Today 13:1, Spring 1992.
- ‫ןב‬-‫הניר רחש‬, "‫ קפוא דעו רימאמ‬- ‫תומרונ לעו תואלפה ץראב הזילעל םימוגרת ינש לע ?הנתשנ המ‬
‫"תירבעל יתורפסה םוגרתה‬, ‫ולילמ‬/ ‫!וברתהו ךוניחה דרשמו לרב תיב תללכמ‬/ ‫א"נשת םילשורי‬. ‫ימע‬
7-24.

- ‫רהז טיבש‬, "‫תודלי השעמ ךותב "םימגרותמה םיטסקטה לש םייפואו םידליה תורפס לש הדמעמ‬.
‫םידליה תורפס לש הקיטאופל אובמ‬, ‫לת‬-‫החותפה הטיסרבינואה תאצוה ביבא‬, 1996, ‫ ימע‬335-327.

8. La transcription de noms étrangers dans les toutes premières traductions


porte souvent l'empreinte du russe. L'altération est due aussi bien à la substitution
des consonnes qu'à celles des voyelles : ‫ םיניח‬la place de ‫סובמלק‬, ‫ םיניס‬la place de
‫סובמולוק‬, etc. Ces exemples sont extraits de la traduction d'un roman de Jules
Verne publiée en 1935 :
‫ןרו לול‬, ‫םינוזניבורלרפס תיב‬, ‫ףש 'י םגרת‬, ‫תונמא תאצוה‬

9. Lerner emploie ici une locution biblique (Isaïe 27, 1), traduite par "serpent
fuyard" (dans la version de Dhorme) ou par un "serpent droit comme la barre"
(dans la traduction De Z. Khan).

10. Contrairement à certaines confusions caractéristiques de la littérature du


début du siècle. Voir à ce sujet l'article d'Itamar Even-Zohar :
- ‫ןבא‬-‫רמתיא רהז‬, "‫"?רבוקייציצ לכא המו לטיג הלשיב המ‬- ‫תירבעה תורפסה ןושלב היצטונדה דמעמל‬
‫"םינורחאה תורודב‬, ‫ודפסה‬/ 23 (‫)רבוטקוא‬, 6-1

11. 11. Voir l'article de Reuven Sivan concernant les mutations lexicales en hébreu
moderne :
/!‫ןבואר ןויס‬, "‫םילימ ישודיח לע‬, ‫םעל וננושל‬, ‫טסק םיסרטנוק‬-‫וטק‬, ‫אמ‬, ‫מ‬/ ‫!ירבעה ןושלל הימדקאה‬/‫ ירבעה‬-

12. A comparer par exemple à Ruth 1,16 ‫ךלא יכלת רשא לא יכ‬

13. Il s'agit de deux termes bibliques. Le premier désigne un anneau porté à la


cheville (voir Isaïe 3, 18), alors que le second, d'origine araméenne, évoque le
genou (voir Daniel 5,6). L'emploi de cette dernière dénomination repose sur

Ill

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une confusion sémantique, car le traducteur décrit la cheville et non le genou.

14. Les expressions idiomatiques et les locutions redondantes font partie du


"répertoire" soutenu adopté aussi bien par les écrivains que par les traducteurs
de la littérature dite "canonique". Voir les références citées dans la note 6.

15. Cette tendance est caractéristique des traductions de l'époque. Voir les
études citées précédemment.
16. Voir notamment :
- ‫ךורב ירימ‬, ‫ןב ימענ‬-‫רוג‬, "‫ רעונו םידלי ירפס םוגרת‬- ‫"השיגהו השיגה‬, ‫ךותב‬: ‫םיינזאמ‬, ‫סרמ‬, 1996,
‫ ימע‬9-69-6

17. Ce décalage explique certaines conclusions erronées dans l'analyse stylistique


d'Aviva Karinski (Op. cit. note 2), publié un an avant la parution de la nouvelle
traduction.

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