La japonaise: l'ennemie des harleyistes
La police pourtant les a à En avril, la
douzaine de Hell's parisiens ont arrosé le dixième
- (Wisconsin) organise ses propres rassemblements
annivehaire du club. On s'est retrouvé entre amis
et initiés, dans une boîte de la capitale. La bière a
coulé à flots. Quelques semaines plus tard, les flics
gâchaient l'anniversaire. Le 3 juillet, la brigade
des stups faisait une descente au siège de la SARL
Motor Club Hell's Angels, rue Louis-Blanc, le
sanctuaire parisien des Anges de l'Enfer, un local
qui tient à la fois du bar, du garage et de la salle de
gym. Les policiers annonçaient la saisie d'un
véritable arsenal — pistolets-mitrailleurs, fusils à
pompe, arbalètes, gilets pare-balles— et d'un stock
de carburants interdits : 750 grammes de cocaïne
et 11 kilos de résine de cannabis.
La fête est finie. En tout cas pour une demi-
douzaine d'Anges aux ailes brisées, aujourd'hui
derrière les barreaux. D'autres sont en cavale.
Apparemment, les flics et la justice n'en ont pas
fini avec eux. Les amis des Anges déchus parlent
de manipulation policière et de preuves fabri-
quées. Les mêmes reconnaissent pourtant qu'il
faut bien vivre. La moto est une maîtresse qui
coûte cher : « Alors, c'est vrai, certains membres
flirtent avec la petite délinquance. D'autant
qu'autour d'eux tournent toutes sortes de gens... »
Reste qu'après la chute de leurs leaders « Dyna-
mite » la Flèche » et « Fred », les Anges sont
orphelins. L'opération coup de poing des poli-
ciers, une première en France, les a sonnés.
L'affaire a ébranlé le petit monde de la Harley.
Les bikers n'aiment pas les faits divers. La société
Harley-Davidson non plus. Une réputation sul-
fureuse, c'est bon pour la pub, mais jusqu'à un
certain point... « Aux Etats-Unis, la Harley est
l'objet d'un véritable culte, explique Albert
Saladini, auteur de la biographie officielle Har-
ley-Davidson (1). Bricolée en 1903 par deux
apprentis mécanos, William Harley et Arthur
Davidson, elle est devenue, avec la Seconde
Guerre mondiale, le symbole de la victoire. On se
souvient des 90 000 militaires américains venus
délivrer l'Europe sur leur Harley WLA 45, sur-
nommée la "Liberatore". Harley-Davidson en a
assez de voir son nom accolé à celui de voyous, des
images de types chevauchant leur moto une
canette de bière à la main et une fille aux seins nus
en croupe. » Alors la marque de Milwaukee
et crée, en 1983, le Harley Owners Group, club
maison réunissant les fans e clean ». A sa tête, le
propre fils du PDG, Willie G. Davidson.
Pour renouveler sa clientèle, elle lance en 1984
un nouveau moteur, tout alu, plus fiable, et une
gamme de produits dérivés : fringues, accessoires,
pin's, etc. Jusqu'aux petites culottes féminines
estampillées Harley-Davidson. Cette politique
porte ses fruits : on voit désormais à chaque coin
de rue des Harley montées par des motards BCBG
• gendarmes ont signalé récemment d'étranges
en cravate, sans tatouages ni traces de cambouis.
Le marché s'envole : en France, depuis trois ou
quatre ans, les 23 concessionnaires agréés vendent
2 500 motos neuves par an, malgré le prix (de
48 490 francs pour la Sporster 883 à 172 110
francs pour une Electra Glide Ultra Classic).
Une mode qui suscite l'amertume des « vieux »
bikers. Les frimeurs ont supplanté les pionniers
sauvages des Motor Clubs et même les puristes
clean, membres de Harley-Davidson Clubs re-
connus par la marque. Comme Aldo, qui roule en
Harley depuis seize ans : « A l'origine, le biker,
c'est une sorte de cow-boy moderne, de chevalier
romantique qui veut vivre sa liberté jusqu'au
bout. Un "élu". Aujourd'hui, le harleyiste est un
monsieur tout-le-monde qui ne suit pas le mode
de vie Harley. » La Harley-Davidson est redeve-
nue une moto. Les nostalgiqués peuvent bien
gémir C'est bon pour le business.
Ce que les hommes de marketing de Harley-
Davidson n'avaient pas prévu, c'est qu'une tuerie
aveugle, par une nuit de pleine lune dans un
quartier populaire de Marseille, viendrait réveil-
ler la légende noire de la Harley. Le fait divers
décidément s'accroche à sa roue. Miss Harley se
serait bien passée de l'affaire Burel et son côté
règlement de comptes sur fond de trafic de pièces
détachées. Des pièces qui s'arrachent comme des
objets de collection. Aujourd'hui, le Bandido
moyen doit dépenser quelque 150 000 francs pour
briller en bécane au milieu de ses frères. Un
marché qui déchaîne les appétits.
Pour les policiers du SRPJ de Marseille, aucun
doute : la bonne piste est bien celle de dealers de
chromes. Une piste qui les entraîne loin du
Vieux-Port. On les a vus récemment du côté de
Clermont-Ferrand. A Cunlhat exactement, un
village de quelques centaines d'âmes. Plus de
8000 passionnés de la Harley s'y étaient donné
rendez-vous le 24 août. Une « concentre», comme
disent les initiés. Mais les flics n'ont rien trouvé.
Dans ce genre de manifestation, qu'ils gèrent
comme des pros du spectacle et de la fête foraine,
les Hell' s Angels ne se font pas trop remarquer. Ils
se savent observés. Déçus, les flics ont orienté
leurs recherches vers la Haute-Savoie, où les
incidents.
En juin, un membre des Wanted Bikers, rejeté
par ses anciens copains, a pris la mouche. Armé
d'une mitraillette Stenn, il s'est mis à canarder la
ferme d'altitude qui sert de local à ses anciens
copains. Ne pouvant venir à bout de la porte
blindée, il s'est soulagé en faisant exploser quatre
ou cinq Harley, avant de disparaître. On a
échappé à un joli feu d'artifice : dans la ferme, les
gendarmes trouveront plus tard plusieurs bâtons
de dynamite....
A Marseille, au 12 de la rue Schiaffini, le rideau
de fer du Motor Club Bandidos est baissé. Il ne
reste qu'une vingtaine d'impacts de balles entou-
rés à la craie. Premier épisode sanglant d'une
guerre des Harley à la française, comme les
policiers en restent convaincus ? Ou classique
règlement de comptes à la marseillaise, comme
veulent le croire les fans de la belle américaine ?
Les policiers espèrent clore rapidement le dossier.
Dans une cité voisine, ils ont retrouvé les motos
des agresseurs; elles avaient été volées et maquil-
lées. Ils ont aussi mis la main sur les armes : un
pistolet-mitrailleur de marque Beretta et un fusil
à pompe. Plus une grenade quadrillée, qui a
rebondi sans exploser. Les motos et les armes
parleront-elles ? Les survivants de la fusillade,
eux, se taisent. Les Bandidos ne parlent pas aux
flics. Ils mènent leur propre enquête. Objectif: les
tueurs aux motos japonaises.
LAURENT BIJARD et
JÉRÔME CORDELIER
(1) A paraître aux éditions Jean Pierre Barthélemy.
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5-11 SEFTEMBRE 1991/71