ITALIE qu'à mes funérailles ne participent ni les auto- rités de l'Etat ni les hommes de parti. » C'est le comble pour Zaccagnini, le coup qui pouvait Brigades rouges: lui faire le plus mal... Mardi 25 avril. Trente-troisième anniversaire de la Libération. La foule se presse via Fani,
un pays en otage sur les lieux de l'enlèvement. La mère du poli-
cier Pizzi pleure ; les syndicats viennent en délégation. Au milieu des bouquets, on lit des messages : « Je m'appelle Maria Angela. Je suis fille de carabinier. Hommage à vous qui avez perdu la vie. » Les « amis de Bari » — Comment sauver à la fois la vie c'est la ville natale de Moro, dans la lointaine d'Aldo Moro et le régime démocratique ? Personne, Pouille — ont envoyé un télégramme à « Zac ». Ils sont favorables à la négociation : « Il existe jusqu'ici, n'a trouvé la réponse des moyens politiques et juridiques pour libérer Moro », disent-ils. Zac » lit attentivement ce télégramme et en conclut que, dans son parti, Ill A Rome, au deuxième étage de la Piazza on n'est pas unanime sur la ligne de l'intransi- del Gesù, siège de la Démocratie-chrétienne, geance. un homme plus qu'aucun autre a senti peser La fausse nouvelle sur ses épaules le poids de l'affaire Moro : Beni- gno Zaccagnini, soixante-six ans, secrétaire gé- Le soir, lors du journal télévisé de 20 heures, néral de ce parti, ex-pédiatre à Ravenne, ami le secrétaire général de l'O.N.U.; Kurt Wald- intime de la victime, sentimental, émotif et heim, s'adresse en italien aux « membres' des vulnérable. e Zaccagnini, sois courageux et pur , B.R. » pour demander la libération « immé- comme au temps de ta jeunesse », lui a écrit, diate » d'Aida Moro. Aux sièges des partis, on le 24 avril, du fond de sa prison, son ami Aldo s'interroge : qui lui a demandé d'intervenir ? Moro. A-t-il agi de Sa propre initiative ? Le chance- Depuis son bureau, Benigno .Zaccagnini est lier autrichien, Bruno Kreiski, concitoyen de en contact permanent avec le chef de la police, Waldheim, a-t-il fait pression sur lui, après Parlatto ; le ministre de l'Intérieur, Cossiga, avoir été lui-même alerté par Benin() Craxi, et les secrétariats des partis politiques. Et puis, secrétaire général du Parti socialiste italien ? il y a les vieux amis : Tino Anselmi, ministre de Mercredi 26 avril. L'ex-président « démo- la Santé, qui fait le va-et-vient, infatigable, entre chrétien » de .1a région Latium est criblé de la demeure des Moro et le siège du parti ; Gio- projectiles par un groupe de terroristes. Zacca- vanni Galloni, le secrétaire adjoint, qui « a gnini lui envoie un télégramme. Les enfants l'oreille du' P.C.I. » ; les sections de province, d'Aldo Moro ont écrit à leur père par l'inter- qui expédient des télégrammes de félicitations médiaire du journal « Il Giorno ». « Cher papa, pour la. « fermeté » du parti ; et aussi ces gens tout va bien... », disent-ils. Le quotidien du qui attendent sur la place, en bas de l'immeuble, P.S., « l'Avanti », paraît avec un article de coincés entre l'église du Gesù et le théâtre Cen- Craxi. e L'Etat peut évaluer s'il existe la pos- trale, et qui lui serrent la main, l'embrassent, ou sibilité d'une initiative autonome dans le cadre même pleurent en le voyant. Benigno Zacca- des lois républicaines », y lit-on. Cette position gnini est au cœur d'un drame personnel et poli- est « en contradiction avec celle du gouver- tique. Qu'il cède aux Brigades rouges, et son nement et de l'ensemble des partis politiques », parti se déchire publiquement, tandis que la ma- réplique « Repubblica ». Cette fois, c'est bien jorité gouvernementale (communiste, socialiste, l'idée d'une initiative politique, et pas seule- démo-chrétienne) se désagrège ; qu'il se montre ment humanitaire, qui semble contenue en intransigeant, et l'on risque de l'accuser de Benigno Zaccagnini filigrane dans les propos du P.S.I. Zaccagrtini n'avoir pas voulu la libération de Moro. Il ne « Zac, ta parole est décisive... » se rend, à 10 heures, au siège du parti socia- quitte pratiquement plus son bureau. Il vient d'y liste pour remercier Craxi de « sa participation vivre une semaine dramatique. Le « communiqué n° 8 » tombe comme un cou- à l'angoisse de la D.-C. ». Mais il rappelle la Vendredi 21 avril. La D.-C. refuse, une peret. Les Brigades rouges demandent la libé- position de la D.-C. : pas de négociation. A nouvelle fois, de négocier avec les Brigades ration de treize détenus, dont le choix semble 13 h 30, les journalistes montent dans le bureau rouges. bien dosé -- il y a parmi eux des dirigeants de Zaccagnini pour lui annoncer que « Moro « historiques » des B.R. (dont Renato Curcio), a été libéré sur la via Pontina ». Son visage Le choix de treize détenus des « nappistes », des membres du groupe 22- s'illumine. Ses collaborateurs s'embrassent. C'est Samedi 22 avril. Coup de théâtre : le pape Octobre, des criminels de droit commun —, une fausse nouvelle. Paul VI adresse une prière « à genoux » aux et balaient avec mépris les tentatives des par- • Jeudi 27 avril. Le Parti républicain, sous la « hommes des Brigades rouges », les suppliant tisans de la négociation. e Certaines personna- plume de son vieux leader Hugo La Malfa, part de libérer Moro sans conditions. Zaccagnini lités du monde bourgeois, écrivent-elles, et cer- en guerre contre l'initiative des socialistes et approuve la « noble initiative » du chef des taines autorités religieuses nous ont clamé de de Kurt Waldheim ; puis il dénonce « l'exploi- catholiques. Le journal gauchiste « Lotta Conti- prétendus appels humanitaires. » La réaction tation qui est faite des lettres de Moro pour nua » continue de récolter les signatures en est unanime : les conditions des B.R. sont Mac- des manoeuvres politiques au nom de l'humani- faveur d'une négociation. On compte toujours ceptables, techniquement et politiquement. Les tarisme ». On cherche, selon lui, à établir une parmi les partisans de la négociation : les socia: socialistes sont les premiers à l'affirmer, et la nouvelle majorité gouvernementale, à pousser listes, l'extrême-gauche.(sauf le P.D.U.P.), quel- D.-C. maintient son refus. le P.C.I. dans l'opposition, en faisant ainsi le ques évêques, des intellectuels. Tous les autres Mais la journée n'est pas finie. Vers 18 heu- jeu des B.R. S'il s'agit de négocier sur un plan partis — le P.C.I., la D.-C., les républicains, res, le journal du soir « Vita » annonce à Zac- humanitaire, il n'y a pas de problème, dit le les libéraux, les social-démocrates — sont hos- cagnini qu'une lettre- de Moro est arrivée. Elle leader républicain. S'il s'agit de donner un sta- tiles à une trattativa qui affaiblirait l'Etat. est déchirante. « Cher Zac, écrit le président tut politique aux Brigades rouges, de les recon- Dimanche 23 avril. L'avocat des B.R. au de la D.-C., ce ne sont plus des minutes mais naître comme un « contre-Etat » avec lequel procès de Turin, M" Gianino Guiso, déclare des secondes qui nous séparent du massacre. » on négocie, c'est la fin de la démocratie. que la prière du pape, jointe à l'appel lancé Pourquoi donc, demande-t-il, le parti s'est-il Les socialistes semblent proposer la libéra- par le Conseil de Sécurité de l'O.N.U., « consti- réfugié dans sa position intransigeante ? A tion « pour raison de santé » de certains dé- tue une prétnice valable pour la suspension de cause des communistes ? Et Moro poursuit : tenus politiques afin d'amorcer la négociation l'ultimatum des B.R. et l'ouverture de vrais « Zac, tu es élu par le Congrès. Ta parole est avec les Brigades rouges. Ces dernières, elles, pourparlers ». Zaccagnini attend jusqu'au soir décisive. » Puis, menaçant : « Je n'absoudrai continuent de mitrailler : jeudi matin, à huit Piazza del Gesù. ni n'excuserai personne. Que la Démocratie- heures, un cadre de chez Fiat. Lundi 24 avril. C'est une journée terrible. chrétienne ne croie pas avoir résolu le problème MARCELLE PADOVANI