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Le document de k semaine

ALDO MORO (11)

Mille six cent soixante-huit attentats dans les hult premiers. mois de l'année 1978; cent
trente-cinq groupes armés recensés par la police : six mois après l'assassinat d'Aido
Moro par les Brigades rouges, voici les « nouveaux terroristes ». Dans la première partie
de leur reportage, Marcelle Padovani et Marc Semo avaient repris l'enquête sur l'enlè-
vement de Moro et stir l'organisation des « brigatIsti ». Cette semaine, c'est la société
italienne qu'ils nous décrivent les réactions de chacun devant la banalisation de la
violence, les bouleversements de la vie politique, les premiers succès de l'Antiterrorisme.

IL a Personne ne pourra effacer l'infamie de arrive souvent, en perdant de son dogmatisme,
cet assassinat. » Le quotidien romain qui publie l'organe du défunt parti a gagné en audience
Cette manchette, au matin du 10 mai, lende- pour devenir le porte-parole d'un movimento
main de l'exécution d'Aldo Moro, n'est ni de jeunes inorganisés, da marginaux et d'étu-
dérno-chrétien, .ni néo-fasciste, ni socialiste, ni
, diants déçus par les formations traditionnelles.
communiste. C'est Lotta continua », le plus Mais certains des 'militants de la première heure
« gauchiste » des journaux italiens, si ce quali- sont restés, qui tentent de donner un début
ficatif garde un sens après le bouleversement de conscience politique à cette a deuxième so-
de ces cinquante-quatre derniers jours. Pendant ciété » qui constitue le gros de leur public.
près de deux mois -- Moro a été enlevé le Andrea Casalegno ât de ceux-là. Fils de
16 mars —, partisans et adversaires de la bourgeois, il vivra jusqu'au bout la contradic-
négociation se sont affrontés sans trêve. Dé tion de son engagement. Son père, Carlo Casa-
nouveaux clivages politiques sont apparus, legno, directeur adjoint de la Stampa
même à l'intérieur des partis, mais c'est surtout grand résistant antifasciste, tombe, le 16 no-
à'rextrême gauche que le choc a été le plus fort. vembre 1977, sous les balles des Brigades rou-
Les mêmes étudiants :qui, au cours' d'un ges, On ne lui a pas pardonné, dit-on, la rubri-
meeting organisé par « Lotta continua » à que qu'il signe dans son journal. Elle est inti-
l'université de Rome, avaient accueilli la nou- tulée « l'Etat ». Andrea s'interrogera doulou-
velidikienlèvement par des a hip, hip, hip, reusement, dans « L,C, », sur « ces slogans
rejoignent dans une semblable
, qui se traduisent en actes sanglants », sur « cette
coriefernatien leurs adversaires « bourgeois ». violence symétrique' à celle de l'Etat, qui nous
LOCV 'èes qui saluaient, index tendu pour
- détruit en même temps que l'adversaire ».
sYbid « l'aimable P38 » l'exploit des Deux mois plus tard, nouvel épisode de
" stigent « ossassittat ». Et Enri- violence dont les retombées préfigureront les
co Rgtilo, le directeur de « Lona cpntiriva », angoisses du movimento au moment de l'affaire
écrit perspective que nous offrent les Moro, En janvier 1978, deux fascistes de vingt.
Bried0 rouges' a un goût de mort, pas de ans sont abattus, via Apple Tuscoiana à Rome,
» par les Noyaux armés potir le contre-pouvoir
lelysûr, le changement de cap ne s'est pas territorial, pour venger une série de tabassages
opéeeun ccup, Après la jubilation apparente
. et la mort d'un copain, De Rome à Milan, de
(sloeir: a DU, cent, mille Moro »); le ton passe Naples à Turin, sur les ondes des radios libres,
rudenée,' « NI avec l'Etat ni avec les
à ÉCP le « droit de tuer » devient matière à discus-
Brigades 'rouges », propose « Lotte continua », sion, « On ne peut pas revolvériser de sang
dont la relecture est décidément Indispensable froid deux jeunes uniquement parce qu'ils sont
à qui. Veut comprendre quelque chose à l'iso- plus ou moins fascistes 4, dit un auditeur, « Ces
lement progressif des Brigades .rouges, Dernier garçons, paumés et désmérés, ne sont-ils pas,
stade enfin l'horreur de l'assassinat, le rejet
. à bien des égards, semblables à nous-mêmes?
de "la logique: terroriste, et cette phrase pour
, questionne un autre, Comme nous, ils avancent
condamner définitivement les assassins de
- sur une route de mort, et leur vie, Ils la voient
Moro : Wer ont rétabli la peine de mort. » tout de noir vêtue. »
Tom:1W lecteurs de « L.C. » ne sont pas Malgré ces réserves, terroristes organisés et
d'accord - e"C',1zers camarades; je ne comprends
.' - jeunes du movimento ont quelque chose en
plus, écrit 1'n d'eux. Les B.R. ont touché juste commun, si l'on en croit psychologues et socio-
en frappciel'ennemi numéro un dé la classe logues : pulsion de mort » -- mort réelle ou
ouvrière etious les condamnerions? Sommes- « petite mort » provoquée par la drogue —,
nous; ouU 9 f ;.1 non, des révolutionnaires? » « vocation à la souffrance » et a désir de vio-
Vaste quedion, en effet; à laquelle l'extrême- lence ». C'est cette parenté culturelle qui empê-
gauche italienne tente, avec plus ou moins de che les jeunes de condamner sans équivoque
succès, d'apporter une réponse et qui s'était, les assassinats, les enlèvements et autres « jam-
déjà, posée dramatiquement quatre mois avant bisations » (tirs dans les jambes) des B.R. S'y
l'affaire Moro aux militants de « L.C. ». Car ajoute le fait que de nombreux « petits grou-
« Lotta continua » a aussi des militants. Avant pes » revendiquent la justesse des « expropria-
d'être tin journal, c'était un Mini-parti poli- tions prolétariennes » (ou hold-up à prétention
tique, marxiste-léniniste, que la crise générale politique), du parasitisme et de « l'illégalité
du, nudisme à peu à peu dissous. Comme il Suite page 136.

Manifestation de protestation contre


l'assassinat d'Aido Moro, le 9 mal 1978, à Milan

134 Lundi 4 décembre 1978

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