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Gestion de projet concourante et gestion des ressources humaines : vers un éclatement de la fonction GRH et de ses missions ? Gilles GAREL Lingénierie concourante s'est progressivement développée dans Vindustrie manufacturidre des années 1980, Elle pantcipe d'un double mouvement de remontée en amont, dés les phases exploratoires dos projets, de tous les acteurs (interes et extemnes) et dun accompagnement du projet jusqu’a son terme par ce collectif hétérogéne. Elie vise principalement, sous contrainte de qualité, de coft et de délai, Timplication des acteurs interes et externes le plus en amont possible d'un projet, dans un lieu désigné par le terme de “plateau” of sous l'autorité dun directeur de projet, puissant acteur transversal Le pari de l'ingénierie concourante est celui de la réduction du temps de développement des projets par Yanticipation en amont des aléas du projet. Les transformations concourantes des processus de développement remettent en cause organisation séquentelle historiquement efficace : = transformation organtsationnelle avec Vémergence de structures transversales et dlacteurs projets puissants coordonnant des équipes-projets ; ~ transformation informationnelle avec \'intensification et la multiplication des flux d'informations une part, et, autre part, Yavénement doutils de coordination a distance ; = transformation contractuelle avec de nouvelles formes de contractualisation intra et inter- entreprises Ces transformations se traduisent par un éclatement des frontiéres traditionnelles de la firme ‘et de ses systémes de gestion. Cette communication a pour objet de présenter des conséquences sur la gestion des ressources fhumaines du passage d'un modéle traditionnel ou séquenticl de gestion de projet au modéle de Yingénierie concourante. Dans quelle mesure cette transformation impacte-lle la G.R.H. ? Dans quelle ‘mesure améne tele les acteurs projets, les acteurs métiers, les D.RLH. et les chercheurs en gestion & ““repenser” la G.R.H, ? Quel est Impact de lingénierie concourante sur fa fonction G.R.H. et sur ses missions ? Notre propos a une visée de repérage, une visée programmatique. Quelles sont les questions ‘qui structurent le champ a Tintersection de la G.RH. et de la gestion de projet concourante ? Quelles sont les catégories de problemes que pourraient constituer un objet aujourd'hui délaissé par les travaux de gestion de projet ? Les travaux de gestion de projets ne sintéressent pas spécifiquement a la GRH. Ainsi Touvrage d'ECOSIP (Giard et Midler, 1993), référence académique en France, ne consacre til ‘qu'une place trés négligeable aux aspects sociaux. La performance de conception passe pourtant par tune implication trés exigeante des acteurs intemes ct extemnes, La ressource humaine est trés sollicitéc, Giant désignée par organisation concourante comme une ressource rare en amont des projets, 14 oi, avant méme les phases prototypiques, Factivté est abstraite, immatérielle et donc trés cognitive. fl faut ‘néanmoins mentionner fa publication récente dun ouvrage de TANACT (Bossard, Chanchevrier, Leclair, 1997) qui vient opportunément souligner quelques effets sociaux des pratiques concourantes ainsi que la revue de littérature de Trépo et Zannad (1997) sur les effets socio organisationnels de la gestion par projet. Quelques réflexions préalables peuvent également étre signalées (ex. : Bonnafos, 1991 ; Baron et Couvreur, 1992 ; Baron, 1993), Inversement, les sciences de gestion en général ot les cchercheurs en G.R.H. en particulier (Milkovich et Boudreau, 1988 ; Weiss et aii, 1988), ne se sont pas ‘encore intéressés A ce champ non encore stabilisé, ol les pratiques continuent a se transformer. Notre communication distinguera deux voies de réflexion. Dune part nous tenterons dorganiser une présentation des conséquences humaines et sociales du passage a la gestion de projet concourante. Diautre part, nous nous demanderons, comment, face & ces conséquences, la fonction G.R.H. peut sladapter en séclatant. 523 4. QUELLES CONSEQUENCES HUMAINES ET SOCIALES DU PASSAGE A LA GESTION DE PROJET CONCOURANTE ? Apparaissent & la fois des difficultés nouvelles tenant & la spécificité des “situations de conception” (Schdn, 1983, 1988 ; Midler, 1993) ot des difficultés plus traditionnelles de G.R.H. Nous distinguerons sept points 44. Les relations entre les acteurs-métiers et les acteurs-projets : éclatement ou convergence ? S wo Lingénierie concourante a consacré Tavénement de nouvelles fonctions projets dans les “entreprises industrielles a été des hiézarchies métiers: Dans lalignée de travaux organisationnels:surla- structure matricielle &t sa performance (Larson et Gobeli, 1988, Galbraith, 1971), Clark et Fujimoto {1991), Clark et Wheelwright (1992) puis Midler (1993) ont montté comment les fogiques projets s'agengaient avec les logiques fonctionnelies des métiers lors d¢ a mise en place d'une gestion de projet dans une entreprise. La concourance correspond au modéle dit “heavyweight” ob une puissante autorité projet, mandatée par fa direction générale, lui tend des comptes sur la qualité, les cod et les délais du projet. Les métiers seraient fonctionnels et permanents, les projets transversaux et temporaires. Liéquipe-projet, c'est~idire son directeur et les chefs de projet ne développe pas directement le projet = eile coordonne fes acteurs métiers qui seuls déticanent les savoirs de conception. Le risque de “guerre” pormaneate entre les projets et les métiers ou la confrontation projet / métier est evident, Cette confrontation vécue comme un jou & somme nulle est évidemment une perspective sans issue (Giard et Midler, 1993). Pousser trop loin fa togique projet reviendrait 4 coordonner des coordinateurs, Le risque serait de casser le coeur des métiers en pastant & la concourance. Or, la matidre premitre des projets et la survie a terme des entreprises dépendent des savoins détenus dans les métiers. L'avenir méme de la gestion de projet concourante se joue dans les métiers, cest-acdire dans la capacité a faire converger des expertises professionnelles différentes et complémentaires (Garel, 1994). La concourance ne doit surtout pas casser pas les métiers, Elle ne checche pas a transformer les acteurs (qui sont dailleurs les mémes dans organisation séquentiell et concourante) en généralistes de fa conception, Elle organise la relation entre métiers. La complémentarité des acteurs n'est pas la multidisciplinarité. Le metteur av point ne devient pas un commercant sur le plateau. Il ne sert & rien de former tes emboutisseurs au marketing, Los relations entre les deux méties sont toutefois indispensables, mais c'est au nom de sa propre expertise que chacun stexprime. La convergence prime sur Péclatement. 1.2. La diversité des savoirs détenus par tes acteurs Les acteurs-métiers sont appelés sur un projet en raison des savoiss techniques! quils détiennent et non pas pour une réaliser une tiche précise, Llobjet et la maniére de développer se définissent collectivement au fur et & mesure du déroulement du projet. En ingénierie concourante, Tacteur-métier co-construit dans son interaction avec les autres experts le processus de conception tandis que dans Torganisation séquentielle il délivre un savoir précis avant de “céder” te projet @ un autre métier, La gestion concourante des projets enrichit et complexifie la nature des savoirs mobilisés dans la conception. Dans un projet concourant, Tacteur-métier n'apporte pas que ses savoirs techniques. doit aussi détenir des savoirs économiques ou dévaluation et des savoirs relationnels pour interagir avec des métiers quill ne rencontrait pas dans lancienne organisation (Garel, 1994 ; Garel et Midler, 1995). Les savoirs relationnels peuvent se définir comme les savoirs nécessaires a la relation avec les autres. Ils sont mobilisés pour les comprendre, s'en faire comprendre ef prendre une décision optimale dans le cadre d'un travail collectif. C'est par exemple, savoir écouter, savoir transmettre des informations dans le travail de conception, savoir argumenter techniquement, savoir négocier (sens de Ia diplomatic, sens du bon compromis etc.), Les savoirs dévaluation sont les savoirs, de nature économique, des membres de Vorganisation sur leurs activités techniques : savoir donner de la valeur, Les savoirs techniques sont partie intégrante des métiers. tis peuvent se définir comme l'ensentble des savoirs qui permettent aux menibres de organisation de transformer les objets et environnement dans lequel iis agissent 514 savoir évaluer les informations disponibles, savoir évaluer les priorités, savoir évaluer les implications de ses actions, savoir dire les critéres et les conclusions de son évaluation... I! s'agit bien dun déplacement du point dapplication de expertise traditionnelle des acteurs-métiers. Par exemple, un ingénicur d'études se voit inséré dans une logique commerciale qui va lui interdire de promouvoir uniquement sa “belle technique” (Charue Duboc, 1997), Be méme, le métier ¢achetcur industriel est amené a évoluer. Si ces acteurs détiennent historiquement des savoirs économiques, ceux ci se révélent inadaptés au choix et au pilotage de fournisseurs les “mieux disants", aptes a co-développer un projet cen ingénierie concourante. Les savoirs économiques des acheteurs se sont historiquement développés dans le cadre d'une relation de “moins disance”, Parce que la conception concourante est collective, le spécialiste fonctionnel est conduit a abandonner sa représentation ancienne de l'nique bonne solution & tun probleme donné, & accepter l'ambiguité, la contestation de sa propre expertise, & prendre en compte des points de vue différents du sien, & affronter des cultures dentreprises différentes de la sienne, en particulier dans la relation aux fournisseurs sur les plateaux, 1.3. Les difficultés d’expression des savoirs de conception On peut lire un projet comme un processus de convergence de savoirs différents et complémentaires. Le plateau cherche a faire converger les savoirs plus vite pour résoudre plus tét les difficultés sur le projet. Toutefois la mise en présence de savoirs techniques n’offre aucune garantie quant au fonctionnement efficace et efficient de organisation concourante. Le résultat de Faction collective n'est pas directement lié 4 la somme des savoirs professionnets de organisation. “I! y a trop de cas o¥ les organisations en savent moins que leurs membres” (Asgyris et Schon, 1978, p. 9) ‘Toutefois, la mise en commun des savoirs des acteurs n'est pas une condition suffisante du succés de la concourance. Les acteurs de la conception peuvent éprouver des difficultés dexpression de leur savoir. Nous distinguerons deux aspects Le premier est lié 4 la difficulté d’exprimer ses savoirs (limités pour V'nstant aux savoirs techniques) de fagon siire et définitive. Les savoirs techniques, notamment des métiers de aval comme les fabriquants, apparaissent souvent lacunaires en amont car ils sont décontextualisés*. Ainsi, dans Yindustrie automobile, les fabriquants “séchent” souvent face aux probiémes soulevés sur le plateau, Ce qu'un metteur au point peut dire face & une matrice d'emboutissage de vingt tonnes, il ne pourra pas nécessairement lexprimer face & un plan AO ou un écran CAO. Les savoirs d'un fabricant ne sont pas, a priori, performants sur un plateau. Le fabricant est souvent désarmé dans les situations amont, Ila Thabitude des contraintes de production et on lui demande de donner son avis sur des plans et des colonnes de chiffres, loin de son contexte industriel. Habitué & un horizon de quelques jours, i! peine & ‘exprimer son savoir et & se projeter quatre ans a lavance, qui est Vhorizon de sortie dun véhicule sur le marché, L'amont des projets est déstabilisant pour les acteurs de aval. Diautre part, les savoirs sont en cours d'émergence pendant fe développement dun projet, Cestdire flous, mal définis et difficies & exprimer. La manifestation de ces difficultés peut étre le sitence. Les acteurs restent silencieux parce qu’ils ne savent pas ou ne peavent pas exprimer leurs savoirs tacites, Ils peuvent savoir faire mais ne pas savoir expliquer comment ils font. Is peuvent également, méme en tant qu’experts reconnus, restersifencieux face & un probleme, le temps qu’émerge une solution ad hoc face & un probléme singulier, L’explication peut aussi tuer laction. Elle peut 2Les savoirs professionnels sont plus ou moins “contextuslisés”. Le “contexte” renvoie a fa fois aux notions de “capacité d'interprétation” et de “situation dans l'environnement”, Dans le premicr cas, it s'agit de ta capacité des acteurs, déienteurs des savoirs, & donner une signification a un événement, a um acte ou un message (ex sar le plateau, le jeune dessinateur ne saura pas si fencouragement qui Ini est adressé par le chef de projet est tune sincére reconnaissance publique ou uae perfide “vacherie” -savoirs relationnels). Dans le second cas, il s'agit de la capacité des acteurs & mesurer les effets de leurs propres actions ou décisions pour des situations de {gestion concomitantes aux leurs, Contextualiser est ici synonyme de repérage dans un eavironnement, Les savoits. sont contextualisés @ partir da moment od ceux gui les exprimemt sitvent leurs effets dans Yenvironnement (ex : dans l'industrie automobile, lorsqu‘un metteur au point propose une modification de pice en amont d'un projet, if doit savoir s'il ne perturbe pas lassembiage en usine ; il dépasse alors le strict contexte de son intervention pour envisager les effets sur d'autres contextes que le sion : il se place dans le contexte de lusine), 515

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