You are on page 1of 11

Les cai'nets duL CAPS

Numéro 17
^-:^- I
i,,ll i')
^*^.lJS zU
prlrliC;

Sommalre
a
J
r KLIALT

ENERGIES
Espoirs et illusions de la "révolution du scniste" aux Etats-Unis 13

Gaz de schiste : une réplnse au problènre énergetique de ia Chine


? 33

v'ew Universiÿ 55
Sécurité énergetique en Asie : un débat à ia Lee Kuan

Après Fukushima, quel avenir pour le nucleaire dans Ie monCe ? 59

La Russie et sa manne énergétioue 81

lran : menaces sur la sécurité energétique 95

Le climat, l'innoalm et ie prc Éiroler (o; "r-e bon, e brute et le t'uand") 105

AcruartrÉ
Syrie ; le scénario noir d'un glacis territorial libano-alaouite
r1/
)
Gr*tio Ar'.lGLÉ
1a:
lJJ
l-a question kurde dans scn environnement régional

ECLAI RAGI
Robots létaux autorlcmes : l'amorce d'un ciébat

rOCUS
La perception japonaise de la montée en puissance de la Chine l'59
Syrie
l/
le scenan c nolr
ung ACI S

te rr rtc rial
t.tl',
IrDanc-alacutte
r
Chargé de mission au ÛAPS

mars 2013

Le scénaric ci-dessous anticipe deux risques : ia constitutiort


d'un glacis territorial syro-libanais continu sous la ccupe du
régime de Damas et du Hizbollah ; un niveau d'affrontement et
de destruction en hausse pour le contrÔie de cette zone.

ll se fonde sur l'engagement de l'lran et du Hizbollah au cÔté du


régime de Damas comme élément désormais structurel de la
crise syrienne, et sur une convergence d'intérêt entre les deux
alliés libanais et syrien en termes de continuité et de complé-
mentarité territoriales. ll laisse augurer une deuxième phase de
l'affrontement interne encore plus féroce que celle des dernières
années, dont l'enjeu vital sera le contrÔle de cette longue et
épaisse bande de territoire syrien mitoyenne du Liban, concentrant
près de la moitié de la " Syrie utile ,, dont la capitale.

126 127
Les carnets du CAPS Syrie : le scénario noir d'un'glacis libano-alouite .IIJ
F
J

t-
Pour conjurer les rrsques dont il est porteur (étape possible vers Hizbollah) qu'entrainerait une victoire totale et définitive de Ia O
un morcellement durable du Proche-Orient arabe, cassure du révolution syrienne, Téhéran devrait logiquement se donner un
Liban etc.), ce scénario déjà plus ou moins amorcé doit être objectif de substitution réaliste : iouer le morcellement politico-
stoppé. ll ne peut I'être qu'à travers un renforcement substantiel confessionnel du Moyen - 0rient arabe en cherchant à inscrire
des capacités militaires et politiques de l'opposition syrienne. Les sur la carte de manière durable des entités politico-confessionnelles
agissements du Hizbollah et de l'lran en Syrie appellent par alliées (étatiques ou infra- étatiques).
ailleurs une extrême vigilance.
On ne peut exclure qu'un tel schema aii aussi la préférence
inavouée oe la Russie. Ses dirigeants sont obsédés par la montée
Lr Fl ,zsollAr-r EN SYRTE:uN PARI d'une vague islamiste sunnite perçue comme une menace sur
leur flanc méridional (expériences de la Tcirétchénie, oe
STRAîÉGIQUE QUI ENGAGT T,IRnN l'Afghanistan), voire comme un cheval de Troie des Occidentaux.
Uimplication militaire du Hizbollah au coté du régime syrien a La défense oes -minorités chrétrennes d'Orient fait partie de
désormais atteint le seuil de la cobelligérance (plusieurs dizaines l'iciéologie nationaliste russe, la convergence i'intérêts avec
de tués dans des combats en Syrie même, à Damas et Homs Alaouites et Chiites apparaissant a eI égard comme un nroincire
notamment). ille ne se réduit donc pas à de simpies forces mal, Leur compcrrtement depuis deux ans ntontre en outre qu'iis
d'appoint destinées à sécuriser les points de passage et les zones redoutent moins en Syrie le risoue de désintégration que ie fait
frontalières mitoyennes du Liban et de la Syrie, et traduit une accompli d'une nouvelle révolution arabe qui les priverait de
réorientation historique, fut-elle partielle, de la mission et de la leurs leviers.
« ratson d'être, du Hizbollah - la résistance face à lsraëI. Cette
implication va bien au-delà des intérêts du Hizbollah comme acteur
responsable des équilibres politiques et de la cohésion interne LJ N r v ro LEN cE cRo tssANTE
du Liban, et pourrait même les affecter gravement: elle a toutes
les apparences d'un pari stratégique. Pour la maitrise de Damas, du sud-ouest et de la zone méditer-
ranéenne, les affrontements et les violences infligées aux civils
Ce pari stratégique est lourd de risques pour Ie parti libanais : il seront d'une très haute intensité,
peut l'exposer à des frappes israéliennes, s'il apparait par exemple
partre prenante à la gestion par le régime syrien de certaines Cet engagement du Hizbollah au coté du regime de Bachar El
capacités militaires sensibles (chimique) ; il peut aller à I'encontre Assad, à en juger par ses points de déploiement géographiques,
de la sensibilité d'une partie de sa base sociale (pour quoi aller parait relever d'une communauté d'intérêts qui se fonde en premier
mourir à Homs ?) ; il peut aviver les tensions au Liban et précipiter, lieu sur la continuité territoriale. Le régime semble s'être o recalé ,
sur fond de crise syrienne, la cassure du pays. La seule explication sur une sorte de glacis de sécurité - Sud-ouest (Deraa, Damas),
rationnelle de ce pari stratégique du Hizbollah est à rechercher versant méditerranéen (pays alaouite), verrou de Homs - où il a
dans un alignement obligé sur la politique régionale de son parrain réorganisé ses forces avec l'assistance directe de l'lran, et a tout
et dispensateur de fonds, l'lran. intérêt à la sécurisation d'une profondeur stratégiqr-re libanaise vers
I'ouest. Corrélativement, ie Hizbollah s'implique comme acteur
Face au rlsque d'affaiblissement voire de disparition de ses points militaire oans la profondeur de son hinterland syrien (où se trouvent
d'ancrage au Proche-Orient (Syrie et lrak en tant qu'Etats unifiés, les installations et les lignes de communication permettant le

128
Les carnets du CAPS Syrie : le scénario noir d'un glacis territorial libano-alouite

soutien du régime de Damas 3u « parti de Dieu ,), c'est-à-dire au la lassitude de I'opinion arabe et internationale et sLlr une image
delà de ses zoRes de pro.lection traditionnelles (Liban, frontière dégradée de l'opposition (u velléitaire , à l'extérieur ; divisée ou
israélienne) mais en continuité avec ses zones d'implantation au . djihadiste, à l'intérieur).
Liban (sud et plalne de la Bekaa à l'est).

La défense de ce continuum territorial (avec le verrou de Homs


comme point d'articulation), qui recouvre entre le tiers et la moitié
UNr ÉvcluloN PRoBABLE NtAts
de la o Syrie utile », constitue donc un enjeu vital tant pour le INCERTAINE
régime de Bachar El Assad que pour le Hizbollah. llfaut dès lors
s'attendre, pour la maitrise de ce territoire, à une résistance Cette évolution est incertaine cai' exposée aux rapports de force
beaucoup plus déterminée du régime, et donc à des combats et régionaux (avec une nouvelle conionction cie forces iran-Hizbcllah),
des violences encore plus âpres que ceux qui se sont déroulés mais sur laquelle les soutiens de I'opposition syrienne pourraient
jusqu'alors dans le nord et le norci-est du pays. Les difficultés cie peser, Si ce scénario n'est pas certain, il apparaÎt néanmoins
l'insurrection dans les faubourgs de Damas et les environs cie assez probable conrpte tenu de la tendance des derniers mois. ll
Deraa depuis plusreurs mois en donnent un avant-goût. repose sur une ciouble hypothèse :

L'armement par le régime de miiices communautaires, les


provocations confessionnelles dans la région de Homs 1/ à court et moyen terme, l'insurrection ne pourra pas faire de
(massacres de villageois), l'embrigadement de la communauté progrès militaires rapides et décisifs ;
alaouite dans les forces du regime, la mise au point par celui-ci
d'une doctrine et d'une pratique organisée de contre-insurrectron, 2/ à la négociation avec Ia Coalition nationale syrienne, le régime
voire l'usage ponctuel de gaz augurent de diffrcultés supplé- dans son état actuel (clan Assad) pt'éfèrera la poursuite ie la guerre
mentaires dans cette zone. Pour surmonter ces difficultés, le pour perdurer à ia tête d'une coalition de la peur (minorités et
niveau d'équipement et d'organisation de l'insurrection devra diverses clientèles), cantonné sur un « reduit , assez vaste pour être
être bien supérieur à ce qu'il aurart du être il y a six mois pour le à peu près viable tant que ses soutiens extérieurs (lran, Russie) ne
même gain, lui feront point défaut, et tant qu'il estimera pouvoir opposer sa
Cétermination à la division des forces de l'insurrection.
Le grignotage régulier des positions du régime par les forces de
l'insurrectiôn et l'usure attestée de ses capacités de réactivité Ce scénario pourrait toutefois être contrarié dans les prochatns mois
militaire (en dépit de la rationalisation de celles-ci avec l'assistance par des évolutions régionales plus vastes (effets en chaine
iranienne depuis 2011) laissent penser que le régime ne pourra consécutifs à un raidissement général autour de la question
pius reconquérir ie terrain perdu. Mais durer indéfiniment sur son nucléaire iranienne avec une réaction israélienne, etc), ou plus
« glacis de sécurité » n'est probablement pas un objectif hors de
simplement par une amélioratiorr rapide et ti'ès substantielle des
portée du point de vue du clan Assad (et son comportement moyens et de la cohésion de l'insurrection.
politique a ce jour semble indiquer qu'il croit même une
reconquête possible). Dans les conditions actuelles, les Dans ce dernier cas, un recul sensibie des positions du régime sur
composantes d'une telle stratégie ne sont pas irréalistes : enrayer la bande occidentaie du territoire adossée au Liban poserait, pour
les avancées de l'insurrection dans les zones de Deraa, Damas, les chefs du régime et leurs afridés, la question de leur survie de
Homs, Hama voire Alep ; tabler sur l'épuisement de la popuiation, manière nouvelle et pressante. Leurs alliés libanais (Hizbollah)

l-30 L31
Les carnets du CApS

seraient également confrontés à la perspective d'un rétrécissement


rapide de leur espace stratégique. Sous la pression. des remises en
cause voire des recompositions inédites pourraient en résulter :
modération par le Hizbollah de son activisme régional « coup »
;
interne au régime pour sacrifier la tête ou une partie du clan en vue
d'une négociation qui serait axée notamment sur les garanties aux
minorités et I'unité maintenue de l,armée.

On est aujourd'hui encore loin d,une telle situation. Seule la mise


en
æuvre effective et déterminée de notre politique (soutien à
l'opposition, assistance humanitaire et militaire à la Coalition
nationale syrienne, parallèlement à l,action diplomatique en faveur
d'une négociation politique décente) permettra de s,en rapprocher.
ll y va de la possibilité même d,une Syrie unifiée, pluraliste et
pacifiée dont la coalition nationaie serait la principale force
fédératrice.

Pour l'heure, chaque jour de violences accentue le désespoir de


la population, renforce le morcellement territorial et pousse à Ia
montée aux extrêmes. Ceci affecte directement les équilibres du
Liban (gui paraissent ébranlés comme ils ne I'ont peut-être jamais
été depuis ies accords de Taef), et fait écho à la tension politico-
confessionnelle qui traverse l'lrak (sans précédent depuis les
élections de 2010).

Dans ce contene, l'engagement effectif en Syrie du Hizbollah, qui a


renoué avec un certain activisme international, et de I'lran, qui
engage ainsi ses intérêts au Liban, en lrak et face aux Etats arabes
du Golfe, a toutes les apparences d,un partenariat stratégique de
portée régicnale (voire au-cielà), dont il faudra mesurer et si possible
anticiper les effets. Dans sa dimension strictement territoriale
aujourd'hui en Syrie, il paraît défensif. Si sa portée devenait plus
globale (ciblage hors Moyen-Orient d,intérêts israéliens ou/et
occidentaux), il pourrait être, pour notre sëcurité et celle de nos
alliés, plus offensif.

132
q
F
zru
É,
L'islamisme o
ê
d,ans le monde arabe o
zo
F
au1ourd,'hui : U'
trJ

=
o
trois nuances de vert

Charg6e de mission au CAPS

I- Consultanl du CAPS
-
Janvier 2015

Au déclenchement des printemps arabes en 20ii, les médias


en Orient et en Occident ont d'abord cru déceler des signes
de disparition de l'islamisme au profit de revendications
considérées comme occidentales. ll est vrai que les premières
manifestations en Tunisie comme sur la place Tahrir n'étaient
pas le fait d'islamistes, qui se sont investis plus tard dans la
contestation. Toutefois, plus de quatre ans après la mort de
Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid, force est de constater que le
cours des transitions en Tunisie, en Syrie et au Yémen, en passant
par Le Caire, a replacé la question de l'islamisme au cæur des
débats dans la région. Les sociétés se définissent aujourd'hui
pour ou contre l'islamisme. Les gouvernements font de même,

9
[islamisme dans le monde arabe aujourd,hui
Les carnets du CAPS
trois nuances de vert o
F
z
UN ivoNDE ARABE LotN DE Tour
IJI
æ,
en plaçant cette problématique au centre de leur politique vooÈlr mic o
intérieure et de leurs options diplomatiques. â
La plus grande confusion règne dans l'utilisation des termes liés
Lislamisme est aujourd,hui l,expresslon d,un questionnement 6
identitaire profond au sein des sociétés arabes, qui
a commencé 2
à l'islamisme, dans la mesure oÙ il ne s'agit pas d'une catégorie
avec le déclin de l,Empire ottoman, puis a été occulté (ou o
en soi, dont le sens serait invariant malgré l'histoire et la spécificité
rement réprimé) durant les mandats et les périodes
sévè_
l-
q)
de chacun de ces mouvements ou Ieurs implantations et leurs pour resurgir avec force à l,occasion des printemps
autoritaires,
UJ
arabes.
évolutions respectives dans les différents contextes nationaux. )
Des phénomènes polymorphes, qui n'ont pas grand-chose à voir
ll éclot au sein de sociétés où la religion joue un rôle
o
les uns avec les autres, sont amalgamés volontairement de part constitutif, y
compris quand elles sont abusivement qualifiées de .
et d'autre de la Méditerranée, dans une perspective qui a tout à lalques ,,
Tous les pays arabes- à l,exception notable du Liban qui est le seul
volr avec l'instrumentalisation politique qui en est faite. Tout se
à compter un Président chrétien _ ont Inscrit l,lslam
passe comme si, à travers la place à donner (ou non) à l'islamisme, comme religion
d'État dans leur constitution, y compris la Tunisie
les pouvoirs politiques, en quête de légitimité, ainsi que les de Bourguiba.
Tous les dirigeants doivent attester sous une forme
sociétés, déboussolées par les incertitudes nées des transitions, ou une autre de
leur légitimité religieuse : le u commandeur des croyants ,
cherchent ainsi à redéfinir les espaces politiques et les nouveaux au
Maroc, le « gardien des deux lieux saints , en Arabie
rapports de force. saoudite, en
passant par la mise en scène de la religiosité
des présidents
Bouteflika, Moubarak, Assad et alii, à travers des
0r l'islamisme n'est pas une catégorie opérante en elle-même. reportages sur
leurs fréquentations des mosquées, leurs pèlerinages
C'est un concept qui mérite d'être précisé, ne serait-ce qu'au vu à la Mecque
ou leurs visites auprès des clercs.
de l'importance qu'il revêt auiourd'hui dans nos relations
bilatérales avec un monde arabe en pleine transformation. Même si la pratique rerigieuse varie seron res individus,
Loin d'être seulement un débat intellectuel, la bataille des avancée soclétale n,a pu voir le jour sans être
aucune
noms et des définitions est un enjeu politique pour la France. soutenue par
I'establishmenf religieux. Ainsi du très réputé
Déconstruire le concept et en connaître les différentes décli- code de statut
personnel en Tunisie, qui avait dû être justifié
naisons - des moins problématiques au plus dangereuses - est en termes islamiques
et adoubé par le clergé avant de constituer la mesure phare
une étape indispensable pour décrypter le discours de nos Bourguiba. Ainsi de la réforme du code de la famille (muda_
de
partenaires et en tirer les conclusions qui s'imposent.
wana) au Maroc, qui a été présentée aux électeurs
comme le
seul choix religieusement possible par les autorités
Le CAPS a ici fait le choix de se limiter à une typologie de religieuses.
Ainsi encore du divorce en Égypte, autorisé après
l'islamisme sunnite, cette branche de l'lslam représentant la consultation
d'Al Azhar, pour ne citer que quelques exemples
majorité écrasante des musulmans dans le monde arabe. de cette
prégnance du facteur rerigieux dans tous
res aspects de ra vie.
ll est intéressant de noter à cet égard que là passage des
Frères musulmans en Tunisie et en Égypte a paradoxalement
permis l'ouverture sur les réseaux sociaux
d,un débat totalement
tabou auparavant sur l,athéisme.

L0 t_1
[islamisme dans le monde arabe aujourd,hui
Les carnets du CAPS
trois nuances de vert 6
F
2
IU
Wro's u/Ho ? autoritaires en place ont favorisé ces mouvements E
années 1970, en y voyant un utile contre_feu face
depuis les o
Les courants qui se réclament aujourd'hui de l'islamisme ont en à d,autres
tendances islamistes plus politisées (à titre d,exemple,
o
commun la contestation de l'ordre établi eVou de l'lslam officiel,
entendus comme les clercs religieux agréés par les États - et dont
Tunisie, Algérie, Arabie saoudite). sans être sarafiste
Égypte,
6
sensu, le tabligh (association pour la prédication),
sfrrcfo
z
le parangon est l'institution d'Al Æhar au Caire - tout comme les
en France, peut entrer dans cette catégorie.
bien implanté
o
islamistes ont tendance à déprécier " I'lslam traditionnel , - soit la F
pratique routinière et souvent mâtinée de rites populaires comme o
UJ
Les adeptes de ce courant veulent appliquer l,orthodoxie
le culte des saints - de la plus grande majorité des musulmans. sunnite
Les plus rigoristes englobent dans ce rejet les adeptes du
dans sa version la plus intransigeante, en islamisant
par le bas. lls se concentrent sur la prédication
les sociétés o
soufisme (partisans d'un islam plus mystique), même s'il existe et ne sont pas
intéressés par le pouvoir. lls acceptent l,autorité
des exceptions à cette règle. Pour souligner cette différence des États,'du
moment que ces derniers les laissent libres dans le
d'attitude vis-à-vis de l'lslam, ces acteurs revendiquent le caractère champ du
religieux. LArabie saoudite constitue la version la plus
militant de leur démarche en se définissant souvent comme aboutie de
cette forme de pacte, où le mouvement salafiste
islamistes Uslamiyyuù et plus seulement comme musulmans a délégué la
gestion du politique à Ia famille Al_Saoud
(muslimum). depuis la fondation du
Royaume, ce qui remonte au contrat conclu entre
le théologien
Abd Al Wahhab et le chef tribal et guerrier lbn Saoud
Tous les islamistes partagent l'idéal d'une société dans laquelle en 1744.
Les salafistes attendent en retour des:autorités saoudiennes
l'lslam occuperait une place centrale. Tous prÔnent le recours à la
qu'elles imposent une norme sociare courée
charia (l'ensemble de règles édictées par les textes sacrés de dans reur doctrine
(imposition d'une porice des mæurs
l'lslam), mais l'acception donnée à ce terme varie d'une très regardante, interdiction
de la mixité et de pratiques considérées comme idolâtres).
tendance à l'autre et fait l'objet de débats très vifs. Les plus libéraux
considèrent qu'il s'agit juste d'un cadre éthique. D'autres y voient
Les salafistes sont profondément anti-chiites (même
une norme socioreligieuse. D'autres encore en font le fondement de si les avis
des experts divergent sur le degré de rejet et la priorité qui
la législation. De nombreuses nuances existent sur l'application lui
est donnée). lls ne tolèrent pas davantage les pratiques
plus ou moins littérale des textes religieux. sunnites
n hétérodoxes , (comme le culte des saints,
à l,égard duquel
certains vont jusqu'à recommander ra destruction
Partant, les islamistes peuvent être classés en trois grandes de mausorées
nonobstant reur vareur patrimoniare) et tiennent ainsi
catégories, aux objectifs différents, voire contradictoires : res soufis
pour de dangereux déviants. ils torèrent res
chrétiens du moment
qu'ils ont un statut juridique . d,inférieui , (qualifié
de dhimmi
Une famille salafiste en arabe), quand ils ne sont pas tout simplement
enjoints de se
convertir.
Elle englobe les mouvements centrés sur un puritanisme religieux
et social extrême, mais qui se désintéressent du politique. C'est
Si la majorité des salafistes refuse de s,occuper
aujourd'hui l'islam officiel saoudien (qualifié le plus souvent de de politique, une
minorité d'entre eux a néanmoins dérivé vers une politisation
wahhabisme), mais aussi une tendance répandue dans tous les partielle au cours des trois dernières
pays arabes, comme " l'association pour le renouveau de décennies. Ainsi :
l'héritage islamique » au KoweiT, puissante dans le pays et très - Un premier
prosélyte hors des frontières de l'émirat. Tous les régimes
groupe, les o salafistes activistes , (al harakiyyun),

t2 l_3
Hslamisme dans le monde arabe aujourd,hui
Les carnets du CAPS
trois nuances de vert
:
6
zF
IJJ
æ,
estime qu'il faut se constituer en lobby religieux lorsque la situation
politique le permet pour demander encore plus de rigueur. Leur
époques. Pour autant, les Frères adopteront toujours le principe
de la participation au système en place, afin d,être en mesure
de le
I
ô
réformer de l'intérieur.
objectif n'est toujours pas de prendre le pouvoir, mais d'influencer
la prise de décision politique. Ce groupe ressemble peu ou prou
6
Le mouvement s'étend dès les années 40 à l,ensemble z
aux partis ultra-orthodoxes en lsraë1, qui sont prêts à s'allier poli-
arabe.Toute une nébuleuse de mouvements en est issue,
du monde o
tiquement à des partis non religieux en échange de certaines aux liens F
concessions. En Égypte, la prédication salafiste d'Alexandrie
plus ou moins étroits avec la Confrérie égyptienne.
On trouve ainsi o
UJ
des groupes identifiés comme Frères en Jordanie et en Syrie,
@a'wa salafiyyah) et son bras politique le parti Nour, aujourd'hui des f
alliés du Maréchal Al-Sissi, se situent dans cet espace ;
organisations liées à la Confrérie comme le Hamas en palestine,
tandis que d'autres mouvements sont issus de ra tradition inter-
o
lectuelle frériste, mais s,en sont détachés pour produire
- Un second groupe développe une rhétorique plus ouvertement un socle
théorique distinct sur ra compatibirité entre rsram et démocratie
critique des régimes en place, tout en maintenant sa priorité
bn-nahda eÀ Tunisie, al-wasaten Égypte, al-istahau yémen _ dont
d'islamisation par le bas, sans jamais appeler à la violence ou à
une des militantes, Tawwakul Karman, a reçu le prix Nobel
la lutte armée. C'est le cas par exemple en Arabie saoudite du de la
paix en 2011 -, et, dans une moindre mesure, le parti de la Justice
mouvement de la sahwa (le " réveil " islamique, à ne pas
et du Développement marocain). À la différence des FM,
confondre avec le qualificatif donné aux ralliements des tribus dont le
principe d'organisation confrérique favorise le
d'lrak à la lutte contre Al-Qaida), qui prit la tête de la contestation caractère autoritaire
(guide élu à vie, obéissance inconditionnelle
du pouvoir des Saoud après la première guerre du Golfe. à la hiérarchie), ces
derniers mouvements ont.un mode de fonctionnement plus
collégial
et démocratique.
Une famille politique
Concentrés sur leur volonté de réforme des pouvoirs en place,
Cette catégorie considère l'lslam comme un vecteur pour parvenir les
FM se sont le plus souvent adaptés aux conditions du moment.
au meilleur système de gouvernement possible, en conformité lls
ont ainsi pu se décrarer en faveur d'une monarchie constitutionneile
avec les injonctions des textes sacrés. À l'inverse des salafistes,
en Égypte dans les années 1930, puis adopter le langage propre
ces islamistes s'intéressent peu aux questions religieuses sfricto
au système démocratique à partir des années 19g0. Alors que
sensu. lls se concentrent sur l'action politique pour arriver à leurs
l'objectif premier d'Hassan Al-Banna était l,établissement
fins. d,un
. État islamiqus », âuX contours largement indéfinis, les
FM, qui
veulent sans doute indiquer ainsi leur acceptation des principes
À la suite du large débat qui a prévalu entre intellectuels arabes de
la démocratie, parlent plus volontiers aujourd,hui d,un État
et musulmans à la chute de l'Empire ottoman et la suppression
caractère civil mais de référence islamique ,. Mais "à
du Califat par Atatürk en 1924, la véritable naissance de
questions restent non résolues pour ce qui
différentes
l'islamisme dit politique survient avec la fondation de la concerne la déclinaison
concrète du modèle du père fondateur. Entre les conservateurs,
Confrérie des Frères musulmans (FM) en 1928 à I'initiative de
partisans d'une vision holiste et potentieilement
I'instituteur égyptien Hassan Al-Banna. Ce dernier place autoritaire du
pouvoir, et les réformateurs, plus proches
d'emblée son action dans un cadre politique, avec l'objectif de du modèle de l,État-
Nation démocratique, les clivages sont nombreux alors que
réformer les pouvoirs existants pour les rapprocher d'un " modèle se
creusent aussi res différences générationneiles entre
islamique ". Al-Banna ne précise pas les contours de ce modèle, une vieiile
garde gardienne du Tempre et de jeunes
ce qui donnera lieu à des interprétations diverses selon les " " Frères désireux de faire

t4 l_5
[islamisme dans le monde arabe aujourd,hui
Les carnets du CAPS
trois nuances de vert o
zulF
É,
évoluer la Confrérie vers une plus grande modernité politique. À titre
Les écrits de Qotb seront dûment réfutés en 1g69 par Hassan
Hudaibi, alors " guide , des FM, mais ils inspireront différents
I
o
d'exemple, le débat reste ouvert sur la légalité de l'élection d'un
chrétien à la Présidence de la République (même s'il faut noter que
mouvements terroriétes qui se constituent en marge de la Confrérie
et en deviennent les enfants terribles. 6
les FM l'avaient de fait accepté puisque la constitution adoptée sous z
Morsi le permettait) ou encore sur la nécessité de faire attester - ou Les premiers jihadistes dirigent leur violence contre les régimes
o
F
non - de l'islamité des lois par un comité de clercs. arabes. C'est le cas du Gihad et de la Gamaa islamiyya en Égypte o

(les assassins de Sadate). lls sont aussi extrêmement virulents
En tout état de cause, les islamistes politiques issus de la mouvance f
FM sont tournés vers un but avant tout politique et non vers la
contre les FM qu'ils accusent d'avoir trahi l,idéal islamique fle
premier livre d'Ayman Al-Zawahiri, membre du Gihad avant de
o
défense à tout crin d'une orthodoxie sunnite. 0n trouve ainsi des FM devenir n'2, puis chef d'Al Qaida, est un brûlot anti-confrérie).
proches des soufis ou encore des FM " salafisés ,. En d'autres
termes, pour autant qu'ils le souhaitent, les FM sont plus en mesure Puis, dans les années 1990, les jihadistes ajoutent l,Occident à la
que la famille salafiste de composer avec la pluralité, qu'elle soit liste de leurs cibles terroristes et se globalisent. Au-delà du combat
musulmane (chiite ou soufie) ou celle des « gens du Livre " contre les régimes dans le monde arabe et musulman, ils consi_
(chrétiens ou juifs). Ainsi, le numéro 2 du parti politique des FM
dèrent qu'il faut s'attaquer à l'Occident dans son ensemble, dans
éryptiens . justice et liberté , (interdit depuis 2014) était le copte la mesure où il est considéré comme responsable du maintien de
Rafic Habib, chose impensable pour le parti salafiste Nour. pouvoirs o impies et corrompus ,. Ainsi naît Al_eaida et la théorie
peaufinée par l'égyptien Ayman Al-Zawahiri à la fin des années
Une famille jihadiste 1990, selon laquelle on ne peut dissocier le combat contre
n l'ennemi lointain , (al 'udu al baid) c,est à dire les États_Unis
La dernière catégorie d'islamistes ne croit pas à Ia réforme des
- et
l'Occident « protecteurs , des pouvoirs en place _ de celui contre
pouvoirs existants et prÔne leur renversement par la violence ces derniers, « €rtflêffii proche (al ,udu al-qarib). Loin de s,appuyer
pour les remplacer par un É.tat islamique fantasmé supposé "
sur un corpus théologique, la doctrine développée par Zawahiri est
correspondre aux premiers temps de la révélation coranique. celle d'un stratège en géopolitique rompu à la modernité, mais mise
Aujourd'hui, il s'agit aussi bien d'Al Qaida et de ses avatars au service d'un dessein jihadiste et terroriste.
(AQPA, AQMI, etc) que de Daech.

S'ils s'inspirent au départ des FM dont ils ont radicalisé la doctrine,


Le jihadisme puise sa doctrine dans les écrits de Sayyed Qotb, une majorité de jihadistes a adhéré au fil du temps aux conceptions
FM emprisonné et torturé par Nasser dans les années 1950 et religieuses des salafistes, tout en rejetant le quiétisme de ces
qui rompt avec la stratégie de la confrérie, basée sur une
derniers. lls reprennent à leur compte la vision manichéenne d,un
approche graduelle et réformiste. Profitant de la marge d'inter- lslam salvateur se dressant contre un monde impie. Le concept de
prétation laissée par le fondateur des FM Hassan Al-Banna à
" l'allégeance aux vrais musulmans et la rupture avec les infidèles "
la notion d'État islamique, Sayyed Qotb estime qu'il s'agit Gl wala' wa-l-bara), emprunté aux théories wahhabites flu lsème
d'imposer la " souveraineté de Dieu sur terre , hakimiyyah) siècle, devient central pour ces jihadistes globaux. De même, alors
face à une société mécréante Uahiliyyah, soit u ignorante ' qu'il était quasiment absent de la matrice FM, l,anti-chiisme devient
de l'lslam, terme qui qualifie la période ayant précédé la
de plus en plus prégnant au milieu des années 2000, quand il
révélation coraniq ue). incarne " l'ennemi proche
" par excellence chez le terroriste

16
t7
[islamisme dans le monde arabe aujourd,hui
Les carnets du CAPS
trois nuances de vert
:

IF
z
UJ
É,
Zarqaoui en lrak ou aujourd'hui dans la sauvagerie exercée à
ll ne s'agit pas d'idéaliser les Frères musulmans,
mais d,éviter de se
laisser piéger dans une logique éradicatrice contreproductive.
o
l'encontre des chiites par Daech, alors que Ben Laden - qui voulait
fait des ambigui'tés qui persistent dans son discours
Du o
sans doute aussi éviter tactiquement l'hostilité de l'lran - n'évoquait
jamais la question sunnite-chiite.
mode de fonctionnement, la confrérie continue de
et dans son
susciter légitime_
6
ment des réserves. pour mieux faire la part des choses, 2
cependant bien comprendre les raisons de l,hostilité
il faut o
Enfin, les jihadistes se divisent aussi sur le plan stratégique. place - républicains ou monarchiques _ à
des régimes en F
q)
Certains, comme Al Qaida et Jabhat Al-Nusra, comparables aux l,égard des islamistes de
la famille politique. lrJ
trotskystes en leur temps, veulent faire triompher le jihad global en :)
exportant leur vision de l'lslam, de manière à inverser le rapport de
Plus que tout, c'est leur volonté affichée de s,inscrire,
o
force global en leur faveur, ce qui seul permettra l'établissement au nom de
l'islam, dans un cadre démocratique moderne qui suscite
d'un Califat définitif et rédempteur. D'autres, comme Daech des pouvoirs en place, inquiets de voir émerger un
la crainte
aujourd'hui, selon une logique plus " stalinienne ,, visent l'établis- contre_modèle
viable face à l'autoritarisme dominant ces dernières décennies.
sement d'un Califat . ici et maintenant » sur un territoire donné à
D'autant que lqs islamistes politiques sont porteurs
partir duquel est censé se répandre le jlhad global. d,un projet qui
se veut réaliste, fondé sur une vision conservatrice,
mais qui ne
remet pas en cause le cadre étatique hérité des indépendances,
pas plus que le système économique libéral
ou même le jeu
DÉcnvprER LES N oBTLES géopolitique régional (au contraire des jihadistes,
dont la
radicalité les place d,emblée hors_jeu et en fait des ennemis
DE L,AIüALGA/\AE finalement plus faciles à combattre).

Pour combler le vide laissé par les FM, certains pouvoirs


La description des différents courants islamistes et de leurs dérives comptent
sur les salafistes. Mais ces derniers, en partie décrédibilisés
radicales, qui sont en partie le produit d'années de fermeture et par
leur soutien aux autoritarismes, ne peuvent être
d'oppression politiques sous des régimes autoritaires n'offrant un substitut
viable à l'islamisme politique. C,est donc vers le jihadisme,
aucune autre perspective, permet de nuancer fortement le tableau
incarné aujourd'hui par Daech, que risque de se tourner
d'une n internationale islamiste et terroriste , qu'aiment à présenter partie des déçus du « printemps arabe ,.
toute une
Le danger, d,abord pour
aussi bien des médias peu soucieux de rigueur que des gouver- les populations locales et les États de la région,
nements souhaitant instrumentaliser l'épouvantail islamiste dans mais aussi
pour la France et l,Occident, serait à terme
leur intérêt bien compris. de se retrouver au
Moyen-Orient face à deux monstres qui se nourrissent
I,un de
l'autre : des régimes ultra-autoritaires et des jihadistes globaux,
La typologie dressée ici permet aussi de mieux définir la ligne de
radicalisés et terroristes, sur le modèle de Daech.
partage qui doit s'imposer à la France entre islamisme et terrorisme.
En clarifiant les concepts et le vocabulaire de l'islamisme, elle
identifie la nature du danger, très précise et imposant une lutte
sans merci quand il s'agit de jihadisme terroriste, et beaucoup plus
sujette à caution dans le cas des islamistes de la famille dite
. politique ,.

18 t9

You might also like