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1. Hommage à Cheikh Anta Diop


LES THESES FONDAMENTALES DE CHEIKH ANTA DIOP
Par Djibril SAMB

Ethiopiques numéros 44-45


Revue socialiste de culture négro-africaine
Nouvelle série - 2ème trimestre 1987 - volume IV, N°1.2

Auteur : Djibril SAMB

Dakar, le 3 août 1986

« Je vais parler des coryphées ; car à quoi bon faire mention des philosophes médiocres » (Platon, Théétète, 173 c).
Après avoir organisé la première grande émission télévisée [1] sur l’œuvre du regretté professeur Cheikh Anta Diop, je suis heureux de
répondre à l’invitation de la revue « Ethiopiques » qui consacre ce numéro spécial au grand savant et érudit sénégalais. Je puis ainsi,
profitant de cette occasion, joindre, à l’hommage de l’audiovisuel, celui de l’écrit.
L’œuvre du Professeur Cheikh Anta Diop est, au sens propre du terme, encyclopédique [2], c’est- à dire qu’elle s’étend à toutes les
régions du Savoir. Cette dimension « polymathique », pour reprendre le terme consacré des Anciens (cf. note 2, ad finem), est liée au
double caractère polémique et scientifique de son entreprise et de son projet. Entreprise polémique parce que, d’une part :
« L’humanité ne doit pas se faire par l’effacement des uns au profit des autres ; renoncer prématurément, et d’une façon unilatérale, à sa
culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du
progrès, c’est se condamner au suicide ». [3]
D’autre part, parce que :
« ... S’il faut en croire les ouvrages occidentaux, c’est en vain qu’on chercherait jusqu’au cœur de la forêt tropicale, une seule civilisation
qui, en dernière analyse, serait l’œuvre des Nègres » [4].
C’est que, à vrai dire, l’une des règles cardinales de toute conquête est de nier l’identité et la personnalité culturelles des peuples
conquis, comme le fait César dans « La Guerre des Gaules », III, 2. La puissance coloniale, avec infiniment plus de moyens parmi
lesquels on compte souvent une certaine « science », procédera mêmement. Pour mieux nier l’identité des peuples coloniaux, elle leur
déniera l’existence de ce qui la constitue : l’Histoire. Les ayant réduits à la Barbarie - ce mot, dont le sens fort, peu à peu dégradé, ne
désignait chez les Grecs que le non-hellène par opposition à l’hellène, sans intention péjorative attestée dans l’Antiquité classique -, la
puissance coloniale se présentera alors comme civilisatrice. Il ne peut-être question de reconnaître simultanément chez l’Autre ce qu’on
prétend lui apporter. Ainsi, c’est la situation coloniale, avec ses conséquences négatives et aliénantes sur le plan culturel, qui impose un
inévitable aspect polémique à toute œuvre de réhabilitation et de ressourcement historiques et culturels : œuvre d’ailleurs sans haine
puisqu’elle est perçue également comme « un devoir à accomplir à l’égard l’Europe » [5], qu’il faut « aider à se guérir des vieilles
habitudes contractées par suite de l’exercice du colonialisme » [6].
Ce combat, engagé dès les années 1930 sur le front culturel et littéraire par ses prestigieux aînés, les Senghor, L.G. Damas et Alii, avec
autant de sincérité, de foi et de détermination, Cheikh Anta Diop le poursuit et le systématise, et en accroît du coup l’efficacité, en le
transportant sur le terrain de la science [7]. Non que ses prédécesseurs aient mené une bataille de Don Quichottes, condamnés par
avance à l’insuccès, mais il s’agissait aussi « d’éclaircir un point précis de l’histoire humaine, d’établir un fait singulier de cette histoire, de
le dégager du monceau d’affirmations fausses sous lesquelles il est enseveli » [8].
Une telle entreprise ne pouvait être menée à bonne fin sans le secours d’une immense érudition scientifique permettant de poser et de
résoudre correctement, en faisant la critique objective de tous les résultats de la science contemporaine, trois problèmes fondamentaux
étroitement liés :
1. L’antériorité des civilisations nègres, si elles sont attestées, historiquement, est-elle simplement un mythe ou une réalité historique
susceptible d’être établie scientifiquement ?
2. L’unité culturelle de l’Afrique noire est-elle seulement une postulation de l’esprit destinée à satisfaire un besoin idéologique d’identité ou
bien un fait sociologique et historique démontrable par des critères pertinents ?
3. Quelles conséquences culturelles et philosophiques découleraient de la redécouverte, par les Africains, de leur propre passé dûment
restitué dans son irréfragable historicité ? C’est en tentant de répondre à ces trois questions centrales que Cheikh Anta Diop élabore ses
thèses fondamentales.
« Il ne faut pas écouter les gens qui nous conseillent, hommes que nous sommes, d’avoir des pensée simplement humaines et, mortels
que nous sommes, d’avoir des pensées simplement mortelles, mais il faut autant que possible nous rendre immortels ». (Aristote, Eth.
Nic., X, 7,)

I DE L’ANTERIORITE DES CIVILISATIONS NEGRES


En principe, il eût été possible que fût né ailleurs qu’en Afrique, qu’il fût leucoderme et que néanmoins les civilisations nègres fussent
antérieures. La naissance de la civilisation n’est pas, en droit, concomitante de celle de l’homme.
La civilisation n’es pas naturelle à l’homme, elle est bien plutôt une conquête qui conduit de l’état de nature à l’état de culture, de la
physis à la nomos, par la voie obligée du Travail et de l’art. Prométhée a dû dérober, au profil de l’homme, non seulement la « sagesse
technique » mais aussi le feu civilisateur qui en commande l’usage ? [9] Le vol symbolise ici et suggère, avec le raccourci qui caractérise
le récit mythique, l’idée de conquête - anithèse du don.

1.L’Afrique, berceau de l’homme

Il se trouve, cependant, par le fait du hasard [10], que l’Afrique noire est le berceau de l’humanité. Les premières formes nettement
humanoïdes (australopithèques [11] pithécanthropes) surgissent en Afrique méridionale. Le développement de la paléontologie humaine,
avec les découvertes de la vallée de l’Omo par le docteur Leakey puis celle de l’homme de Kanjera, véritable homo-sapiens, a établi sur
des bases assurées, semble-t-il, que la sapientisation s’est bien effectuée dans la région des Grands lacs en Afrique orientale. Les
formes d’art les plus anciennes attestées dans cette région remontent au paléolithique supérieur. Ni le Grimaldien, premier occupant de
l’Europe, ni l’Homme de Combe Capelle n’en sont des indigènes [12]. Ils sont, selon toute probabilité, des migrants venus de l’Afrique, au
Paléolithique supérieur, essaimant vers des régions nouvelles, notamment l’Europe. Le détroit de Gibraltar, l’isthme de Suez ou l’Italie
méridionale, ou même l’Espagne, rattachée à l’Afrique à cette époque lointaine, ont pu être concurremment des voies de passage
naturelles, de toute façon praticables sans difficultés insurmontables.
De cette origine africaine de l’Homme, le Professeur Cheikh Anta Diop tire deux conséquences capitales dans le texte remarquablement
concis qui constitue le liminaire de « L’Antiquité africaine par l’image » [13] :
« 1. Une humanité née sous la latitude des Grands Lacs, presque sous l’Equateur, est nécessairement pigmentée, et négroïde, d’après la
loi de Gloger qui veut que les animaux à sang chaud soient pigmentés en climat chaud et humide ».
« 2. Toutes les autres races sont issues de la race noire par filiation plus ou moins directe, et les autres continents ont été peuplés à partir
de l’Afrique tant au stade, de l’Homo « faber » qu’à celui de l’Homo-sapiens, qui apparut il y a environ 150.000 ans : les théories qui
faisaient venir les Nègres d’ailleurs sont périmées ».
D’autre part, s’appuyant sur les importants travaux de MM. Boule et Vallois, il montre que du point de vue de l’anthropologie physique,et
notamment sur le plan ostéologique, la race grimaldienne [14] est négroïde ou nigritique [15] du fait des caractéristiques suivantes [16] :
* Membres inférieurs développés par rapport aux membres supérieurs,
* Nez platyrrhinien par opposition au nez mésorhinien des leucodermes,
* Prognathisme [17] (proéminence des maxillaires chez l’homme),
* Tête volumineuse et crâne allongé (dolicocéphalie : indice 68 et 69).
Au demeurant, tous les faits paléontologiques avérés attestent à la fois l’étendue et la vivacité du substratum nègre de l’humanité. Les
négroïdes ( cheveux frisés et serrés, prognathisme...), se retrouve un peu partout : en Afrique bien sûr (Algérie, Egypte, Somalie), en
Europe (Sud du pays de Galles, France, Portugal), en Syrie et sur les Côtes de l’Asie mineure. Le Natoufien, homme à tête ronde,
découvert en Palestine et qui remonte au capsien , rappelle étrangement le sorcier dansant - négroïde - de « la grotte des trois frères »
dans le Midi de la France, ou encore l’homme d’Afvallinskop en Afrique du Sud. On pourrait multiplier ainsi les données archéologiques et
les faits paléontologiques qui viennent, à mesure que la recherche progresse, conforter les trois premières thèses du Prof Ch. A. Diop,
qui peuvent se formuler ainsi :
Première thèse :
L’homme est né en Afrique, où s’est effectuée la sapientisation. De l’Afrique, il a envahi les autres continents. Cette thèse, loin d’être
arbitraire, repose sur les données archéologiques et paléontologiques les plus récentes et les plus sûres.
Corollaire : Tous les échafaudages théoriques, notamment ceux d’un Vaufrey [18] ou d’un Cornevin [19], qui faisaient venir l’homme
d’ailleurs ou considéraient que les faits paléontologiques africains étaient trop récents pour expliquer le devenir de l’humanité, sont
périmés et ne peuvent plus invoquer aucun fait dûment attesté. Bien au contraire, seuls les faits africains peuvent expliquer l’Europe. _
Deuxième thèse :
Tous les hommes descendent dece rameau unique de l’homo africanus [20].
Troisième thèse :
L’homo africanus, ancêtre commun et unique de l’Humanité,, né sous un climat quasi-équatorial, chaud et humide, est, conformément à
la loi de Gloger, nègre [21].
Corollaire : Toutes les autres races [22] descendent du Nègre, soit par adaptation à de nouvelles conditions climatiques, physiques et
physiologiques, soit concurremment, ou non par métissage ultérieur.
Le cromagnoïde, premier leucoderme connu, qui remonte au plus à -20.000 ans, est probablement issu de l’adaptation progressive du
Grimaldien (-40.000) - homo africanus niger allogène [23] -, au climat glacial de l’Europe.

2.L’Egypte, berceau de la Civilisation nègre

Que l’Egypte , pays africain, le berceau de la première civilisation humaine n’est plus sérieusement contesté par personne. Que, par
voie de conséquence, la première civilisation attestée soit africaine ne l’est pas non plus. Par contre, l’idée même qu’elle eût pu être
nègre était, il n’y a guère, catégoriquement rejetée en dehors de tout examen. La thèse de l’occupation primitive de l’Egypte par des
Hamites, de race blanche comme de bien entendu, devint un solide lieu commun repris par les manuels scolaires. Indiquons simplement,
à titre exemplatif et exemplaire, les termes de ce manuel de P. Hallynck et M. Brunet conforme aux programmes officiels de 1942 et 1943
des classes de sixième classique et moderne [24] : « L’Egypte fut habitée à l’origine par des Hamites de race blanche ; elle devait être
envahie à plusieurs reprises par des Noirs venant du Soudan et par des Blancs arrivés d’Asie par l’isthme de Suez ou d’Europe par
mer ».
Sans doute, quelques bons esprits, comme P. Jouquet [25] et Alii, soutiennent-ils la thèse inverse et affirment-ils, avec force, « que la
Vallée du Nil a été peuplée primitivement par des négroïdes ». Mais ils restent isolés et font figure de marginaux.
D’ailleurs, cette question est loin d’être pour eux de toute première importance. Il fallait qu’un Africain nègre, égyptologue de formation,
accédât à l’érudition scientifique et eût le double souci - scientifique de rétablissement des faits historiques, sans aucune préoccupation
hagiographique et - polémique de réhabilitation des peuples africains dans leur initiative civilisatrice usurpée, pour que cette question fût
mesurée dans toute sa gravité et fit l’objet d’une étude minutieuse et systématique. Car établir scientifiquement le caractère nègre de
l’Egypte antique revenait du coup à démontrer l’antériorité des Civilisations nègres sur le plan historique. C’est ce que fera le Prof. Cheikh
A. Diop en utilisant plusieurs types d’arguments qui vont de conserve.

a) Les arguments de texte

« Supposons [26], écrit-il, avec l’Egyptologie moderne, que les Egyptiens aient été de race blanche ». Aussitôt faite, cette supposition
se heurte à deux objections dirimantes. D’abord, leurs contemporains, grecs et romains, témoins oculaires, qui savaient tout de même
distinguer le blanc du noir, nous rapportent de façon indubitable que, comme les Ethiopiens [27], les anciens Egyptiens sont des nègres
et qu’ils ont civilisé le monde [28]. Ensuite, si l’opinion des Occidentaux modernes selon laquelle le Nègre a toujours été dominé par le
Blanc était vraie, elle aurait dû à fortiori être plus vraie dans l’Antiquité, et on n’aurait dû, alors, trouver aucun témoignage de cette nature.
Or, ces témoignages foisonnent dans les textes anciens. Par exemple, chez Hérodote, un historien grec du 5e siècle avant J.-C., on
trouve au moins quatre textes qui affirment la négritude [29] des Egyptiens. Citons-en seulement deux :
1. Pour prouver indirectement que les crues du Nil ne peuvent être dues à la fonte des neiges, il allègue, entre autres raisons, que « la
chaleur y rend les hommes noirs ». (II. 2)
2. Pour démontrer que les habitants de la Colchique [30] sont d’origine égyptienne, il dit qu’il le conjecture d’après deux facteurs : « le
premier c’est qu’ils sont noirs et qu’ils ont les cheveux crépus... » (II, 104).
On peut aussi rappeler le passage bien connu de Diodore de Sicile, un historien du 1er siècle avant J.-C., qui rapporte la déclaration des
Ethiopiens selon laquelle les Egyptiens étaient une de leurs colonies [31].
Or, s’ils n’avaient pas été de même race - noire -, Diodore eût certainement souligné l’impossibilité de la descendance ainsi affirmée [32].
On ne peut passer en revue ici tous les auteurs ou doxographes anciens que cite, à l’appui de son argumentation, le Prof. Ch. A. Diop.
Contentons-nous de souligner qu’il sont d’orientations, de disciplines et d’époques diverses : d’Eschyle [33] (-525-456) à Lucien [34] (
125-1 90 après J.-C.), en passant par Aristote [35] (-385-322), Appolodore [36] (1er siècle avant J.-C.) ou Strabon [Géographie, I, 3, 10.]]
(-58 à 25 après J.-C.) jusqu’à un auteur aussi tardif qu’Amien Marcellin [37] (4e siècle après J.-C.).
On aura cependant gardé de ne pas oublier, parmi tous ces témoignages, celui de la Bibliothèque hébraïque. En effet, d’après la Genèse,
X, VV. 6sqq, l’Egypte (Mizraïm) aurait été primitivement peuplée par Cham, ancêtre biblique des Noirs [38]. Un argument linguistique
vient renforcer ce point : le mot « cham viendrait de « kemi » qui a d’abord signifié « la couleur noire » avant de désigner, par extension,
la race noire [39].

b) Les arguments anthropologiques

Ils peuvent être regroupés sous deux chefs : d’une part, ceux qui se rapportent à l’anthropologie historique ou culturelle et, de l’autre,
ceux qui ont trait à l’anthropologie physique proprement dite.
Les arguments tirés de l’anthropologie historique sont d’abord exposés dans « Nations » avant d’être complétés dans « Antériorité ». Le
quatrième chapitre [40] du premier ouvrage identifie six arguments en faveur d’une origine nègre de la race et de la civilisation
égyptiennes :
* Le Totémisme [41], que le prof. Ch.A. Diop s’accorde avec Frazer à considérer comme un trait typiquement nègre, est attesté en Egypte
où il coexiste avec l’endogamie comme en Afrique noire. Le totem du Pharaon, par exemple, est le faucon, à l’essence duquel il
participe [42].
* La Circoncision : pratiquée en Egypte dès l’époque préhistorique, elle aurait été transmise par la suite, d’après le témoignage
d’Hérodote [43], aux peuples sémitiques. D’ailleurs, l’explication biblique de la circoncision d’après laquelle elle serait le signe d’une
alliance avec Dieu (alors qu’Abraham était âgé de 90 ans) n’est guère satisfaisante. On trouve par contre dans la cosmogonie nègre,
dogon par exemple, une interprétation idoine. Chez les Dogons en effet, elle va de pair avec l’excision de la femme. Il s’agit de retirer à
l’homme ce qu’il a de femelle et à la femme ce qu’elle a de mâle. Cette conception est liée à une androgynie originelle aussi bien de Dieu
que de l’homme. La circoncision et l’excision permettent de rompre avec l’indétermination qu’enveloppe cette androgynie. La similitude
est frappante avec l’androgynie d’Amon, Dieu Suprême du Soudan méroïtique et l’Egypte, dûment établie par Champollion Figeac lors de
son passage en Nubie, en 1833.
* La Royauté : En Egypte comme en Afrique noire, elle revêt un caractère sacré qui s’exprime notamment sous la forme typique de la
mise à mort rituelle du roi. Sans doute effective à l’origine, elle dut devenir peu à peu symbolique à l’instar de la fête égyptienne du Sed,
rituel de rajeunissement du roi, dont on trouve des formes analogues chez les Yorubas, les Dagombas ou les Haoussas du Gobir.
* La Cosmogonie : « Les cosmogonies nègres, africaines et égyptiennes, sont si proches les unes des autres qu’elles se complètent
fréquemment ». En témoignent la similitude du Dieu-Serpent Dogon et du Dieu-Serpent égyptien, ou encore celle du Dieu-Chacal Dogon
incestueux et du Dieu-Chacal égyptien. On pourrait encore citer, en guise d’exemple, l’importance du signe du Zodiaque dans les deux
cosmogomes.
* L’Organisation sociale [44] : On retrouve ici et là, le même type d’organisation sociale avec les mêmes stratifications :

Egypte Afrique noire


* Paysans ’’ (castes)
* Ouvriers spécialisés ’’
* Guerres ’’
* Prêtres ’’
* Fonctionnaires ’’
* Roi ’’

* Le Matriarcat : Rejetant l’hypothèse d’un matriarcat paléoméditerranien [45] (dans le monde hellénique et dans la latinité
notamment), le Prof. Ch.A. Diop le considère comme la base de l’organisation sociale aussi bien en Egypte qu’en Afrique noire. Le
matriarcat nègre se caractérise d’une part par le matronymat et, d’autre part, par la dévolution matrilinéaire des droits politiques [46].
L’homme apporte la dot en manière de garantie parce que la femme occupe une position privilégiée.

Cette argumentation, partiellement reprise dans « Antériorité », y est cependant complétée par de nouveaux arguments.
Ce sont des arguments paléographiques et iconographiques. Le nom des Anu, qui s’écrit avec 3 barres, est attesté dès l’époque
protohistorique. Premiers occupants de la Vallée du Nil, c’est-à-dire de l’Egypte méridionale, et de la Nubie, les Anu sont toujours
représentés dans l’iconographie égyptienne, avec des attributs de chefs : tel Narmer, le Ménès [47] des documents paléographiques, ou
encore le roi Khaskhen de la 2e dynastie. Il s’y ajoute que la peinture murale de la tombe S.D.63 d’Hiérakonpolis représente les Noirs en
train de vaincre les hommes rouges [48]. D’une manière générale, l’élément indo-européen ou sémite n’est jamais représenté comme un
citoyen libre de l’Egypte. De même, sur les rochers du « Mont Sinaï », le type asiatique se trouve dans l’état de captivité.
On ne saurait évidemment oublier le principal document iconographique représentant les races humaines vues par les Egyptiens Sur le
tombeau de Ramsès III (1300 avant J.-C.). Les Egyptiens [49] y ont peint le type générique de leur race, en incluant les Nubiens, sous les
traits d’un Nègre typique. A l’opposite, l’élément indo-européen ou sémite est toujours représenté par des Blancs [50]. Ainsi,
l’anthropologie historique ou culturelle fondée sur l’étude des plus anciens documents ethnographiques et épigraphiques permet de
conclure raisonnablement que la population ayant occupé primitivement l’Egypte est nègre [51]. Quelques arguments relatifs à
l’anthropologie physique viennent renforcer cette conclusion. D’abord, les deux types de nègres à cheveux lisses comme les Dravidiens
ou les Toubous, et à cheveux crépus comme les Ouolofs ou les Sérères, sont attestés en Egypte à l’époque proto-historique [52]. Miss
Fawcett a montré, du reste, que les crânes de Negadah se rapprochent des caractéristiques nigritiques (hauteur du crâne indice
céphalique, etc... [53]. Ensuite, le fameux canon dit de Lepsius montre que le type parfait de l’Egyptien correspond à la morphologie et à
l’ostéologie générales du Nègre : crêpelure des cheveux, [54], bras courts, etc... Enfin, l’argument de taille, auquel, me semble-t-il, on n’a
pas suffisamment prêté attention reste le test par la mélanine qui a été réalisé personnellement par le Savant sénégalais dans son
laboratoire « C 14 » de l’Iran. Le but de cette expérience scientifique [55] était, d’une part, de montrer que le taux de mélanine constitue
une caractéristique raciale fondamentale, et de l’autre, d’établir qu’il peut faire l’objet d’une mesure effective et fiable par des méthodes
variées pratiquées en laboratoire pour toutes les races et pour des êtres vivants ou morts. Le Prof. Ch. A. Diop a recouru aux techniques
des coupes minces de peau observées ensuite en lumière naturelle ou ultraviolette. Appliquées à quelques momies conservées au
laboratoire d’anthropologie du Musée de l’Homme de Paris, ces méthodes ont donné des résultats concluants : « Contrairement à une
opinion répandue, les procédés de momification ne détruisent pas l’épiderme au point de rendre la méthode inappliquée cable dans la
plupart des cas [56]. L’examen a, d’autre part, révélé un taux de mélanine [57] très élevé, inconnu chez les leucodermes, qui classe ces
momies égyptiennes anciennes parmi les Africains Noirs. Comment ne pas s’étonner dans ces conditions, avec le Prof. Ch.A. Diop, du
contraste entre la fiabilité scientifique [58] de ces méthodes et la rareté de leur utilisation ? On sait que c’est en vain que l’Egyptologue
sénégalais a demandé au Musée du Caire [59], où se trouvent encore en parfait état de conservation les momies royales de Thoutmosis
III, fondateur de la XVIIIe dynastie, de Séthi , fondateur de la XIXe dynastie et de son fils Ramsès II entre autres, des échantillons à
analyser.
Il reste que cette moisson d’arguments est suffisamment substantielle pour lui permettre de conclure :
« Quoi qu’il en soit, on voit que le moment n’est pas loin où le monde savant admettra que la race noire est la première race d’homo-
sapiens à exister ; toutes les autres sont issues d’elle par un processus que la science précisera. Il n’est donc plus nécessaire de peupler
l’Afrique noire et l’Egypte à l’origine des temps par de mystérieux blancs ou races non noires » [60].
Au demeurant, le Prof. Ch. A. Diop est allé plus loin en montrant de façon pertinente l’étroite parenté qui lie l’Ethiopie des Anciens [61] et
l’Egypte pharaonique, qui s’est toujours donnée et reconnue une origine méridionale. Cette thèse reste inséparable du rejet de la théorie
de la « prépondérance du Delta », dont le but semble être d’accréditer [62] l’origine extra-locale de la civilisation égyptienne. C’est dans la
Vallée du Nil, c’est-à-dire en Haute-Egypte, au Sud, qu’est née la civilisation égyptienne. Du paléolothique supérieur à nos jours, c’est le
Sud Egyptien qui a livré tous les témoins paléontologiques et archéologiques successifs de civilisations tasienne, badarienne, amratienne
et protodynastique. Même la civilisation dite gerzéenne n’est connue que par des documents de la Haute-Egypte dont l’histoire ne
présente, contrairement au Delta, aucune solution de continuité. L’argument selon lequel l’humanité du Delta accélère la décomposition
chimique des documents n’est pas dirimant puisqu’on y trouve des vestiges d’œuvres en bois [63] datant de la 3e dynastie, donc du
début du troisième millénaire. D’ailleurs, n’est-ce pas Ménès [64] lui-même qui a aménagé le Delta, foyer permanent de peste autrefois
inhabitable, et créé Memphis ? Premier roi connu de l’Histoire [65] universelle, n’est-ce pas lui qui a unifié la Haute et la Basse Egypte ?
Même décédés à Memphis, les « Fari » n’en étaient pas moins enterrés à Aby dos, à T. Hèbes ou à Karnak, comme pour signifier la
nécessité du retour aux sources ancestrales en cette ultime étape de l’existence, où l’âme du défunt doit entreprendre « le rand
voyage » [66]
Sans prétendre avoir passé en revue l’ensemble [67] des arguments du Prof. Ch. A. Diop sur cette question, on peut admettre dûment,
semble-t-il, que c’est bien plutôt la prépondérance de la Vallée du Nil qui est établie. La Haute-Egypte apparaît ainsi comme le véritable
berceau de toute la civilisation égyptienne, son point de départ et le lieu où elle atteint son acmé. Son caractère nègre n’en est que plus
patent et, inversement, plus inconsistantes les diverses théories sur son origine asiatique ou, à la limite, méditerranéenne, en tout cas
blanche.
Foyer de la première civilisation connue dans l’histoire de l’humanité, première civilisation nègre, l’Egypte Antique est aussi le berceau
des Sciences et des Arts.

3. L’Egypte, berceau des Sciences et des Arts

Dans le chapitre 16 de son bel ouvrage intitulé « Civilisation ou Barbarie » [68], le Prof. Ch.A. Diop a mis en évidence l’étendue et la
profondeur surprenante des connaissances de l’Antiquité égyptienne dans le domaine des sciences et des Arts. On sait ainsi, depuis
l’édition du papyrus de Moscou par Struve, que, 2000 ans avant Archimède [69] les savants égyptiens possédaient la formule exacte de
la surface de la sphère [70] : S = 4 π R2. Ils connaissaient aussi, comme le montre le Papyrus Rhind, celle du volume du cylindre : V = π
R2.h. Le mode de calcul de la surface du cercle leur était connu : S = π R2, avec une de π = 3,16. Ils maîtrisaient des données aussi
complexes que le théorème relatif d’un tronc de pyramide [71], soit V = 1/3 h (a2 + ab +b2), ou encore la formule du volume de la
pyramide : V = 1/3 a2h. Les Egyptiens étaient fort au courant du problème de la quadrature du cercle [72], de même qu’ils étaient
avancés en trigonométrie et savaient notamment le « calcul de la pente d’une pyramide à partir des lignes trigonométriques habituelles :
sinus, cosinus, tangente ou cotangente » [73].x
Ils n’étaient pas non plus en reste en Algèbre puisque le problème n° 40 du Papyrus Rhind traite d’une progression arithmétique [74].
Leurs mathématiciens pouvaient parfaitement résoudre des équations du premier et du second degré [75].
En Astronomie, ils avaient, au plus tard en 4236 BC, mis au point le calendrier astronomique de période remarquablement fiable de 1461
ans [76]. Un éminent savant, O. Neugebauer [77], a pu écrire qu’il était le seul calendrier intelligent de l’histoire de l’humanité. L’année
était divisée en 365 jours, soit douze mois de trente jours auxquels on ajoute cinq jours supplémentaires. Ce mode d’établissement du
calendrier est plus rationnel et plus « économique » que les calendriers « luni-solaires » [78] des Babyloniens [79], qui tentaient de faire
correspondre les mois avec les phases lunaires observables.
En médecine, les Egyptiens ne se sont pas contentés de simples recettes de bonne femme. Nous savons, par le célèbre papyrus Edwin
Smith qui, quoique datant de 1600 avant J :-C., intègre un matériel bien plus ancien, que leurs médecins utilisaient des procédés
taxinomiques et descriptifs assez rationnels. On trouve dans le papyrus Edwin Smith la description des quarante-huit cas cliniques
chirurgicaux relatifs notamment à des lésions cérébrales. Chaque cas fait l’objet d’un exposé méthodique intégrant des aspects clinique
et théorique : titres, observations, diagnostic, thérapeutique [80] et, enfin, explication de la terminologie médicale [81]. Bien des siècles
plus tard, les médecins hippocratiques,reprendront, en les transposant intelligemment mais sans les modifier substantiellement, tous ces
procédés cognitifs, heuristiques ou thérapeutiques en vigueur dans la médecine égyptienne.
Les compétences des Egyptiens s’étendaient pareillement à des activités à caractère industriel et technique telle que la « métallurgie »
du fer ainsi qu’à l’architecture et aux arts.
Dans un article d’une admirable concision : « la métallurgie du fer sous l’ancien empire égyptien » [82], le Prof. Ch.A. Diop a montré que,
contrairement à une idée reçue, « la métallurgie du fer est une invention africaine qui remonte à l’ancien empire, 2700 avant J.-C. » [83].
Pour ce faire, il s’est appuyé sur des données archéologiques et historiques dûment attestées :
· le 26 mai. 1837, M. Hill découvrit un morceau de fer datant de 2700 ans près de la grande pyramide dans un endroit dont il s’assura qu’il
n’avait pas été violé jusque-là. De ce fait, l’hypothèse de visiteurs postérieurs à la IVe dynastie ne pouvait être retenue ; en 1874, Lepsius
fit faire l’analyse mécanique et chimique de la pièce [84] reconnue comme du fer de gisement de minerai ;
· par la suite, d’autres échantillons remontant à la VIe dynastie (-2500) ont été découverts à Abydos et dans la pyramide d’Ounas
(notamment des douilles de fer d’outils) .
Ainsi, dès l’époque de l’édification de la grande pyramide du Khéops, les Egyptiens « avaient déjà maîtrisé la technique métallurgique
d’extraction du fer à partir du minerai et utilisaient celle-ci pour fabriquer non pas des oBjets votifs ou magiques mais des outils pour
travailler dans la vie quotidienne ; l’instrument trouvé dans les interstices de la grande pyramide est une houe [85]. De là, trois
importantes conclusions :
a) les Eyptiens ont inventé [86] la métallurgie du fer 1000 ans avant les peuples auxquels (Hittites, Chalybes d’Anatolie...) les
Occidentaux les attribuent d’ordinaire ;
b) l’usage du fer se répand ou s’accroît en Egypte sous la XXVE, dynastie soudanaise (à cette époque, le Soudan est le grand
pourvoyeur de ce métal).
c) l’idée d’une métallurgie « involontaire » du fer est à rejeter comme non confirme aux données scientifique et archéologiques actuelles.
Quant à l’architecture égyptienne elle est certainement l’une des plus impressionnantes de l’histoire des civilisations humaines. Citons,
simplement titre d’exemple la pyramide de Chéops construite sur un plan carré de 230 m [87] de côté. Son édification a nécessité le
transport [88] de 2.300.000 blocs de pierre pesant chacun plusieurs tonnes. L’ensemble constitue un bel édifice tout de splendeur et de
majesté qui sembIe comme un défi à la puissance corrosive » du temps. Sa perfection géométrique ne laisse pas de subjuguer les
savants. Comme l’écrit le grand Egyptologue, J. Vandier, dans son monumental « Manuel d’ archéologie égyptienne » : « Son orientation
par rapport aux points cardinaux est si exacte qu ’elle ne peut être due au hasard et qu’elle suppose, chez le maître d’oeuvre, des
connaissances astronomiques » [89]. De son côté, G. Jéquier a mis évidence, en des termes vigoureux, l’originalité de la création
architecturale égyptienne par rapport à celle d’autres civilisations [90]. On s’en convainc aisément si l’on considère l’intérieur des
tombeaux comportant la tombe du « Fari », la descenderie, le puits, les appartements souterrains, les galeries-magasins, les tombes des
reines et des enfants royaux [91].
Dans un autre domaine, qui révèle souvent avec plus de justesse le degré de raffinement atteint par une civilisation - la musique -, les
anciens Egyptiens semblent avoir atteint un niveau de performance remarquable du moins, si l’on en juge par la richesse et la qualité de
leur capital instrumental. On ne dénombre pas en effet moins d’une douzaine d’instruments à vent ou à cordes : flûte [92], double
clarinette [93] (Ve dynastie), harpe, lyre (Moyen Empire, luth [94], hautbois et double hautbois,tambourin [95], trompette (Nouvel Empire),
sistre [96], sistre arqué généralement en métal ou en terre émaillée, crécelle [97], et castagnettes. Avec cette foison instrumentale, les
orchestres ont dû se développer assez tôt, accompagnés sans doute d’une chorégraphie déjà largement conventionnelle. L’iconographie
de la tombe d’Akhanat laisse supposer l’existence d’écoles de danse tandis que celle du temple de Louxor révèle une étonnante maîtrise
corporelle dans la danse acrobatique [98].
Prodigieuse civilisation, donc, que celle de l’Egypte Antique, qui fut aussi le point de départ de populations nègres essaimant un peu
partout vers les régions côtières comme celles de l’intérieur.

4. Les mouvements migratoires des populations à partir de la Vallée du Nil

On a longtemps considéré que le peuplement africain était allogène. Il n’y a guère, un Delafosse situait l’origine du peuplement africain
dans l’Océan, avec lequel il identifiait indûment la « Grande Eau » des légendes africaines. Bien entendu, une telle thèse n’ignore pas
seulement l’origine africaine de l’homme, elle méconnait en outre la complexité des mouvements migratoires en Afrique.
Le Prof. Ch.A. Diop a montré, dans le chapitre VI de « Nations », qu’elle était d’abord contredite par toutes les légendes africaines, et a
identifié, au contraire de Delafosse, la « Grande Eau » avec le Nil. C’est ainsi que, en Afrique occidentale, les Dogons et les Yorubas
situent leur origine à l’Est et que les Fangs la placent au Nord-Est. Et, en quelque sorte « symétriquement », les peuples vivant dans une
région méridionale par rapport à la Vallée du Nil, par exemple les Batoutsi du Rwandaourundi, situent leur origine au Nord. Par contre :
« Dans toute l’antiquité, Nubiens, Egyptiens ne s’étaient jamais reconnus une autre origine que locale, si ce n’est une plus
méridionale [99]. Il est ainsi hautement probable que l’Egypte ait été peuplée à partir de la plaine du Senaar [100], où est née la
civilisation méroïtique. On peut constater, en l’occurrence, l’accord entre la légende et l’histoire.
En appui à ces légendes africaines, l’éminent savant sénégalais cite deux témoignages de l’inépuisable Hérodote. Le premier relate la
légende des jeunes Nasamons qui partirent de la Cyrte [101], longèrent la méditerranée puis traversèrent le Sahara avant d’arriver sur les
bords d’un fleuve [102] et dont la peine fut commuée en périple africain grâce à sa mère, sœur de Darius [103]. Après avoir traversé les
colonnes d’Hercule (Gibraltar), il fit voile vers le Sud où il vit aussi des pygmées noirs.
Selon le Prof. Ch.A. Diop, les pygmées habitaient exclusivement les région de l’intérieur tandis que les Nègres de grande taille formaient
vraisemblablement des grappes autour de la Vallée du Nil avant d’ essaimer vers toutes les directions ; (. Cette hypothèse trouve une
confirmation dans le fonds culturel commun aux Africains noirs. C’est, par exemple, ce que montre l’analyse linguistique des noms
totémiques de clans que portent les Africains noirs collectivement ou individuellement. Soit les noms égyptiens que l’on retrouve au
Sénégal [104] :

Egypte Sénégal
Sek-met Sek
Kéti Kéti
Kaba Kaba (Kéba. Kébé)
Fari Fari
Ba-Ra Bara- Bari (Peul)
Ramsès, Réama Rama
Bakari Bakari
Kara, Kéré Karé

Les Kara vivent aux confins du Soudan anglo-égyptien et du haut Oubangui tandis que le Karé habitent près du Logone.
On trouve les Karé-Karé [105] dans le Nord-Est nigérian. Le terme Ba est un préfixe Collectif des noms de peuples africains : Ba-Four,
Ba-Louba. En somme : « Cette identité des noms propres milite même pour une migration récente. Il est donc préférable d’approfondir
l’étude de l’origine de quelques peuples tels que : les Yorubas, les Sérères, les Toucouleurs, les Peuls, les Laobés, et montrer que leur
point de départ est bien la Vallée du Nil » [106].
Arrêtons-nous au cas des Peuls, des Toucouleurs [107] et des Sérères qui intéressent plus particulièrement le Sénégal. Selon le Prof.
Ch.A. Diop, toutes ces ethnies ont une origine nilotique.
Les Peuls sont venus d’Egypte,comme le montre un fait capital : l’identification des deux seuls noms totémiques qui leur soient propres
avec deux concepts également typiques des croyances métaphysiques égyptiennes : le Ka [108] et le Ba. Le Ka est une divinité céleste
qui ne se manifeste que post-mortem. Il s’unit au Zet [109] et forme la complétude de l’être en quoi se réalise sa perfection ontologique.
Le Ba est figuré par un oiseau à tête humaine. Il signifie « autruche » en valaf et désigne dans l’ancien égyptien usuel un oiseau terrestre
à long coup. Si donc ces termes conservent en gros le sens égyptien dans la langue valaf, ils deviennent des noms totémiques [110] chez
les Peuls[ [Nègres à l’origine, les Peuls se sont métissés avec un élément leucoderme, sémitique probablement, peut-être au temps de la
Dynastie.]]. En Egypte, plusieurs pharaons [111] ont porté ces noms.
A l’instar des Peuls, les Toucouleurs sont originaires du Bassin du Nil comme l’atteste l’identité de leurs noms totémiques avec ceux de
Nouers de cette région soudanaise [112].

Soudan dit Anglo-Egyptien Sénégal (Fouta-Toro)


Kan kann
Wan Wann
Ci Sy
Lith Ly

Dans la même région, on trouve les tribus des Nyoro et des Toro tout comme, en Abyssinie, il existe une tribu des Tékrouri. Si les
Toucouleurs du Sénégal sont une fraction de cette tribu, alors le Tékrour, loin d’avoir donné son nom aux Toucouleurs, l’aurait au
contraire reçu de ceux-ci.
Au Soudan français aussi, il existe un Nyoro Massina. Et lorsqu’au 19ème siècle, les Toucouleurs entrèrent dans le Sine Saloum, ils
baptisèrent leur capitale Nyoro.
Des observations similaires peuvent être faites à propos des Sérères, dont le passage est jalonné de pierres levées que l’on trouve sur la
même latitude à peu près à Tundi-Daro [113], un village du Mali actuel. Correspondant à un cultre agraire [114], les pierres levées
symbolisent, avec leur forme phallique, l’union rituelle du Ciel et de la Terre. Or, les Sérères pratiquent encore le culte des pierres levées
au Sine-Saloum et sont les seuls faiseurs de pluie au Sénégal. Il est donc hautement probable que Tund-Daro soit le témoignage du
passage des Sérères partis du Nil à une date peut-être récente.
D’autres faits plaident d’ailleurs en faveur de l’origine nilotique des Sérères. La ville sacrée qu’ils ont créée dès leur arrivée au Sine
s’appelle Kaôn, qui est aussi le nom d’une ville égyptienne où l’on a trouvé des hiéroglyphes. Le terme Rog Sen, nom totémique typique
des Sérères, rappelle étrangement l’univers égyptien. Rog viendrait peut-être de Ra ou Ré, Dieu céleste, tandis que Sen est un nom
porté par certains pharaons : Osorta-Sen [115] que Taharqa, roi nègre de Nubie considérait comme son aïeul ; Perib-Sen [116]... On peut
comparer aussi le radical de « Sen-aar » ou « Sin-aar » avec le terme « Sine ». Du reste, il existe une caste de prêtres du nom de Sen.
Plusieurs pharaons des premières dynasties portent des noms typiquement sérères : Pharaon Sar, Sar-Teta... [117].
Tous ces éléments tendent à montrer que le Sénégal constitue bien le point d’aboutissement de plusieurs mouvements migratoires partis
de la Vallée du Nil. Il existe cependant d’autres migrations parties de points differents comme le montre « l’Introduction à l’étude des
migrations en Afrique occidentale et centrale » [118]. C’est ainsi qu’une migration partie des rives du Lac Albert et des collines de
Nubie [119] aurait atteint le Sénégal en se glissant dans le couloir situé entre le 10e et le 20e parallèle au-dessus de l’équateur tandis
qu’une autre [120] aurait longé la côte jusqu’au Cameroun et au Delta du Niger, après avoir suivi le cours du Zaïre, jusqu’à l’embouchure.
Enfin, les peuples du Golfe du Bénin, du Nigéria méridional au Sud de la Côte d’Ivoire (Ibo, Yoruba, Ogo, Ewé, Akan, Agni, Baoulé),
appartiendraient à une migration plus ancienne également venue de l’Est.
Cette unité d’origine ainsi que le brassage de ces multiples tribus au cours de leurs nombreux périples ont fortement contribué à façonner
et à modeler l’histoire des peuples africains en engendrant du coup leur profonde unité culturelle et historique.

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