You are on page 1of 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Ce verdict de première instance est une défaite pour


Rui Pinto et son équipe d’avocats, qui avaient fondé
Football Leaks: la justice hongroise veut
leur stratégie sur le fait que la justice hongroise
extrader le lanceur d’alerte Rui Pinto reconnaisse à Rui Pinto le statut de lanceur d’alerte.
PAR RAFAEL BUSCHMANN (DER SPIEGEL)
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 5 MARS 2019 Sous le pseudonyme de « John », Pinto a transmis,
à partir de 2016, plus de 70 millions de documents
Football Leaks au magazine allemand Der Spiegel,
qui les a partagés avec Mediapart et ses partenaires de
l’EIC.

Rui Pinto, alias « John », le lanceur d’alerte des


Football Leaks. © Yann Philippin / Mediapart
Une juge hongroise a décidé l’extradition vers
le Portugal du lanceur d’alerte Rui Pinto, alias
« John », la principale source des Football Leaks. Rui Pinto, alias « John », le lanceur d’alerte des
Il a immédiatement annoncé faire appel et reste en Football Leaks. © Yann Philippin / Mediapart

résidence surveillée à Budapest. Nos révélations fondées sur ces documents ont donné
Budapest (Hongrie), envoyé spécial.– Dans la salle lieu à la publication de plus de 800 articles et
d’audience du tribunal de Budapest, Rui Pinto reste ont provoqué l’ouverture d’enquêtes judiciaires dans
stupéfait, immobile, le regard fixe. Ce n’est qu’au plusieurs pays, dont la France, la Belgique, l’Espagne,
bout de plusieurs minutes que le lanceur d’alerte la Suisse et les États-Unis. Nos documents ont
portugais des Football Leaks remue doucement la notamment joué un rôle clé dans les condamnations
tête, visiblement sous le choc du verdict. Une juge pour fraude fiscale en Espagne de plusieurs stars du
hongroise vient de lui signifier, ce mardi matin, qu’elle ballon rond comme Cristiano Ronaldo, José Mourinho
a décidé de son extradition vers le Portugal, ainsi que et Ángel Di María, ce qui a rapporté des dizaines de
la remise aux autorités portugaises de l’intégralité des millions d’euros à l’État espagnol (lire ici).
10 téraoctets de données confidentielles saisies à son Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait
domicile de Budapest lors de son arrestation le 16 également commencé à collaborer avec la justice
janvier. française. Il a remis un vaste échantillon de
12 millions de fichiers informatiques au Parquet
national financier, qui a lancé une procédure de
coopérationvia Eurojust afin de partager les données.
Huit autres pays se sont déclarés intéressés, lors d’une
Rui Pinto est poursuivi dans son pays natal, première réunion de travail qui s’est tenue le 19
le Portugal, pour vol de données et tentative février.
d’extorsion. Il réfute ces accusations. Ses avocats Cette coopération avec les procureurs français était au
ont immédiatement annoncé leur intention de faire cœur de la stratégie de Rui Pinto. À l’audience, il a
appel, ce qui suspend l’exécution de l’extradition. En indiqué avoir lancé le projet Football Leaks pour servir
attendant son second procès, le jeune homme restera l’intérêt général, précisant qu’il voulait dévoiler les
en résidence surveillée avec bracelet électronique. nombreuses pratiques illégales du foot business.

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

Il a demandé à la juge hongroise de ne pas l’extrader Si le jugement était confirmé, ce serait une très
vers le Portugal, car il est persuadé qu’il ne bénéficiera mauvaise nouvelle pour les pays européens, dont la
pas « d’un procès équitable » dans son pays. Il estime France, qui veulent enquêter sur les dérives du foot
qu’il y a trop de liens d’intérêt entre le football et les business. La justice hongroise a saisi à son domicile
instances politiques et judiciaires portugaises. des disques durs contenant 10 téraoctets de données
Il est vrai que nous venons de révéler que le (dont 6 téraoctets inédits qui n’ont pas été transmis à
magistrat représentant le Portugal à Eurojust a omis l’EIC). Or Rui Pinto n’a eu le temps d’en transmettre
de déclarer que son fils travaillait dans un cabinet qu’environ 10 % aux procureurs français du PNF.
d’avocats représentant Cristiano Ronaldo et plusieurs La juge a ordonné que l’intégralité des données
autres personnalités mises en cause par les Football soit remise au Portugal. Or selon plusieurs experts
Leaks(lire notre enquête ici). interrogés par l’EIC, le droit portugais interdit,
Rui Pinto a conclu sa déclaration en indiquant que « la contrairement au droit français ou allemand, l’usage
décision de l’extrader est aussi une question de vie ou de données obtenues illégalement pour engager des
de mort ». Il redoute d’être agressé par des fans du poursuites judiciaires. Il est même probable que la
Benfica de Lisbonne s’il est incarcéré dans une prison loi empêche les magistrats portugais de partager ces
portugaise. Ces derniers mois, il a reçu de nombreuses données avec d’autres pays européens.
menaces de mort par courriel. Bref, il y a un risque élevé que les autorités portugaises
La presse portugaise a en effet écrit qu’il serait ne détruisent les données, ce qui paralyserait les
l’homme ayant piraté des mails confidentiels du enquêtes en cours sur les Football Leaks dans
Benfica – ce qu’il dément. L’affaire a fait scandale au plusieurs pays.
Portugal et a provoqué plusieurs procédures judiciaires Boite noire
visant le club.
Dans la petite salle d’audience, remplie de journalistes
et de caméras, son avocat hongrois, David Deak, a
ensuite développé dans sa plaidoirie plusieurs points
allant à l’encontre de l’extradition, dont une possible Après une première saison en 2016, Mediapart
erreur de procédure qui pourrait être exploitée en et quatorze médias européens regroupés au sein
appel. Selon lui, les autorités portugaises n’auraient du réseau European Investigative Collaborations
pas émis de mandat d’arrêt national avant d’émettre (EIC) ont publié en novembre 2018 la deuxième saison
le mandat d’arrêt européen. En tout cas, ce mandat des Football Leaks, la plus grande fuite de l’histoire du
national n’apparaît pas à ce stade dans la procédure. journalisme. Plus de 70 millions de documents obtenus
Si ce fait était confirmé, ce serait contraire aux règles par Der Spiegel, soit 3,4 téraoctets de données, ont été
applicables. analysés pendant huit mois par près de 80 journalistes,
La juge hongroise s’est ensuite retirée pendant 45 infographistes et informaticiens. Corruption, fraude,
minutes avant d’annoncer son délibéré. Son jugement dopage, transferts, agents, évasion fiscale, exploitation
en faveur de l’extradition semble s’appuyer sur un des mineurs, achats de matchs, influence politique : les
argument simple : puisque les délits présumés qui Football Leaks documentent de manière inédite la face
sont reprochés à Pinto datent de 2015, et sont donc noire du football.
antérieurs de quelques mois au partage de ses données Le lanceur d’alerte Rui Pinto, principale source des
avec les médias membres de l’EIC, elle ne peut pas Football Leaks, a été arrêté mi-janvier en Hongrie et
juger si Rui Pinto peut bénéficier de la protection se bat pour éviter une extradition vers le Portugal,
accordée aux lanceurs d’alerte pendant cette période. son pays, qui le soupçonne de vol de données et de
« tentative d’extorsion »(lire son interview ici). Deux

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

mois avant son arrestation, Rui Pinto avait commencé une procédure de coopération judiciaire européenne
à collaborer avec le Parquet national financier (PNF), pour partager ces documents, lors d’une réunion
à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.
issus des Football Leaks. Le PNF a lancé le 19 février

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

You might also like