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LA DÉBÂCLE DU MARXISME

L'Islam ne fut si longtemps invincible


que parce qu'il ne croyait qu'en lui-même
et voyait en tout homme non mahométan
un ennemi. Dos l'instant où l'Islam signa
des compromis et suivit les voies des
puissances non mahométanes, il perdit sa
force conquérante. Il ne pouvait en être
autrement. Ce n'est plus la vraie foi qui
délivre le monde. C'est le cas du socialisme
qui ne peut conquérir et délivrer le monde
qu'en maintenant sa foi en lui seul.
LIKBKNKCIIT.

« Vous êtes un âne, on fait de telles choses, mais on ne les dit pas. »
C'est par ces paroles caractéristiques que suivant ses propres décla-
rations Ed. Bernstein, après la publication de son livre fameux :
Die Voraussetzungen des Socialismus and die Aufgabe der Sozial-
demohralie, s'entendit apostropher par le socialiste démocrate Auer,
un des membres du « gouvernement ». On sait peut-être que dans le
parti le Comité central (Parteivorstand) est désigné par ce mot. Cet
Auer est déjà un des vieux et nous pouvons bien présenter cet homme
que dans la cynique brutalité qu'il montre constamment — il est
Earce
avarois et on sait qu'ils sont connus pour leur grossièreté — il
possède une grande sincérité, de sorte qu'on peut dire avec assurance
qu'il dit ce que les autres pensent.
Et si nous relisons attentivement les débats sur ce livre et sur la
lettre de Bernstein au dernier congrès de la sociale-démocratie alle-
mande de Hanovre, qui s'est tenu du 9 au Hoctobre, nous verrons que
les paroles d'Auersont justifiées. On enparlabeaucoupcertes, énormé-
ment et au lieu d'un congrès de parti on aurait pu, avec plus de raison,
le nommer le congrès Bernstein,car on n'y parla presque pas d'autre
chose que de Bernstein.
Qu'est-ce que Bernstein?
Nous allons le présenter à nos lecteurs.
Bernstein était un des jeunes gens qui entreprirent à Berlin une
vive agitation avant la loi socialiste de 1678. 11 était alors très lié
avec Johann Most et penchait même un peu vers les théories anar-
chistes. 11 était un disciple du fameux privât docent Eugène Duhring
qui exerçait alors une si grande influence dans le parti, que Frédéric
Engels jugea nécessaire de détruire ses principes dans son ouvrage
intitulé : Eugen Duhring und die Umtoalzung der Wissenscliaft.
LA DEBACLE DU MARXISME 687

Après le vote de la loi il se retira en Suisse et lorsque Most, qui était


parti à Londres, fonda en cette ville un journal révolutionnaire, le
parti pensa qu'il était nécessaire, afin de neutraliser l'influence de cet
agitateur très populaire, d'éditer aussi un journal qui resta entre
les mains du parti. Bernstein et Volmar en furent les rédacteurs,
toujours sous le contrôle du parti.
Lorsque plus tard, sous la pression du gouvernementallemand, Bern-
stein fut expulsé do Suisse, il s'établitàLondres. Ses penchants liber-
taires, il les avait déjà perdus à Zurich, car là il n'avait pu continuer
à diriger le journal. Son amitié pour Most s'évanouit bien vite et se
changea plus tard en inimitié. Pendant son séjour en Angleterre il
s'adonna à des travaux scientifiques, de sorte qu'il passa pour une des
autorités scientifiques, qui communiquent leurs lumières au Neue
Zeit, l'organe théorique du parti. Pendant des années, il fut un des
Pères de l'église — c'est ainsi qu'on s'exprimerait dans le monde
ecclésiastique — et il était si hautement estimé que Engels le nomma
un des exécuteursde sontestamentscientifique. On ne croirait pas cela
en lisant ce que Bebel et Liebknechtont dit au Congrès, car, pour eux,
ce même Bernstein, qui avait été chargé de tant de missions de con-
fiance, fut vilainement arraché de son piédestal, et c'étaient cepen-
dant ces mêmes hommes qui avaient contribué à l'y élever. Bebel le
représente comm.e un ignorant et un utopiste; il parle de lui comme
d'un phraseur et d'un radoteur, expressions qui sont bien loin d'être
louangeuses. Et Liebknecht déclare que Bernstein n'a jamais eu
dans le parti une autorité scientifique dans le sens marxiste de cri-
tique sociale (Sociologie), de la recherche méthodique et de la concep-
tion d'un nouveau système ou corps de doctrines.
Sans nul doute, Bernstein subit l'influence du milieu dans lequel il
vivait. Il comprit très bien que le parti de la démocratie sociale a
vieilli et que de fait il est devenu un parti de réforme bourgeoise,
comme les Fabiens en Angleterre et les radicaux ici. C'est pour cela
qu'il voulut mettre le nom en harmonie avec la chose et qu'il parla
d'un parti de réformes démocratiques socialistes. Il écrivait :
n.Plus la démocratie sociale est résolue à vouloir paraîlre ce qu'elle est,
plus elle doit tendre à activer la réalisation des réformes politiques. La peur
est certainement un grand facteur dans la politique, mais on se tromperait
on pensant que l'on peut arriver à tout en éveillant la crainte. Ce n'est pas
lorsque le mouvement chartistc prit son caractère révolutionnaire que les
travailleurs anglais obtinrent le droit de vote, mais quand la phraséologie
révolutionnaire disparut et quand ils s'allièrent avec la bourgeoisie radi-
cale dans la lutte pour l'obtention des réformes. »
Car c'est bien cela, il faut que la démocratie sociale veuille bien
paraître.ce qu'elle est, et on ne peut nier qu'elle a cessé d'être un
parti socialiste pour devenir un parti purement démocratique. Lieb-
knecht n'a-t-il pas pu déclarer avec raison dans la revue américaine
Forum : « Nous avons le droit absolu de dire que nous sommes le
seul parti en Allemagne luttant pour les principes de la démocratie? »
Et s'il le déclare honnêtement, le combat entre lui et nous doit
revêtir un tout autre caractère. D'abord, dans ce cas, le champ de son
activité est assez grand pour lui, car combien peut-on encore obtenir
de réformes qu'on puisse considérer comme une sérieuse amélioration
à l'état de choses actuel.
688 L'HUMANITÉ NOUVELLE

Lorsqu'un conseiller communal socialiste a obtenu que dans un


endroit obscur on place un réverbère, il a certes fait oeuvre utile,
mais s'il venait se vanter de cela comme d'une réforme socialiste,nous
lui ririons tout simplement au nez.Eh bien,toutes les réformes qui sont
« arrachées » aux conseils communaux et aux parlements sont de ce
calibre, car ce n'est pas là que le socialisme peut se réaliser.
N'était-ce pas Engels lui-même qui flétrissait l'activité parlementaire
en ces mots :
« Une sorte de socialisme de petit bourgeois a ses représentants dans le
parti de la démocratie sociale, dans la fraction parlementaire môme. Et
n'est-ce pas de cette façon que l'on est pour les principes du socialisme mo-
derne et le changement de tous les moyens de production en propriété
commune, mais qu'on estime que la réalisation de ce programme n'est pos-
sible que dans un avenir lointain, qu'on ne peut presque pas lixer. »
Ce qui est plus grave, c'est que cette sorte de socialisme de la petite
bourgeoisie a réussi à gagner finalement les sympathies de Engels
lui-même. Bernstein connaît ses Pappenhoimers et écrit avec raison :
« Celui qui connaît un lantsoit peu l'histoire de la démocratie sociale, sait
que le parti esl devenu grand par sa lutte continuelle contre ces théories et
parce qu'il ne s'est pas conformé aux décisions prises sur celte buse. »
Voyez donc, on est devenu grand et puissant en écartant le socia-
lisme et alors on se glorifie des conquêtes socialistes ! C'est bien là ce
que voulait dire un jour l'ancien rédacteur de la Réforme belge,
M. Lorand, en écrivant après la victoire de la démocratie sociale et la
défaite des candidats radicaux aux élections :
t. Nos hommes sont vaincus niais nos principes ont triomphé. On se pare
des plumes des radicaux, on les revêt d'un rnantolel socialiste très mince et
transparent, et cela pour la galerie. Voilà, le tour est joué. »
Mais la faute de Bernstein est qu'il veut être honnête. Il a dû songer
combien est exact le reproche d'Auer : « On fait simplement ces
choses-là, niais on ne les dit pas ! » Et il est d'accord avec le journal
anglais The Clarion, dans lequel je trouve cette phrase :
« Laformalion d'une vraie démocratie, voici, selon moi, la tâche la plus
urgente et la plus importante que nous ayons à remplir. C'est la leçon que
dix années de luttes et de combats nous ont apprise. C'est la leçon qui
résulte de ma connaissance et de mon expérience des choses politiques.
Pour que le socialisme soit possible, nous devons fonder une nation de
démocrates. »
Donc démocrates et non pas socialistes démocrates. Le socialisme
sera relégué à l'arrière plan, et plus tard, beaucoup plus tard, lorsque
depuis longtemps nous serons morts et enterrés, alors peut-être
viendra le jour où nous pourrons travailler pour le* socialisme.
Bernstein peut être satisfait du résultat du Congrès. Bien qu'il ne
soit pas une autorité scientifique, mais un ignorant, et un homme ne
connaissant pas les plus simples événements de l'histoire allemande,
il a réussi à accaparer pour lui seul l'attention et les travaux du
Congrès depuis le lundi jusqu'au vendredi à midi, si bien que sur
toutes les autres questions on dut ensuite délibérer à la hâte.
« Et Bebel parla »... Et comment? Pas une heure, ni deux heures,
ni trois heures, non, mais six heures presque d'un seul trait.
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 689

Et Bebel parlait toujours, faisant des grands gestes do bras,


menaçant et provoquant Bernstein absent, si bien qu'on eut dit qu'il
n'en resterait plus rien. Mais non, Bernstein vit?après comme aupa-
ravant.
Et le sujet ne paraissait pas encore épuisé. On avait cru finir après
Bebel, car quand Bebel a parlé, l'affaire est vidée. Mais trente-
quatre orateurs se firent encore inscrire pour prendre la parole. Tous
avaient sur le coeur quelque chose qui devait sortir. Et à la fin les
délibérations furent si fastidieuses que tout comme dans les Parle
ments plus personne n'écoutait. Heureusement que par son spirituel
discours Auer regaillardit un peu les choses, car autremeut on eut
succombé à l'ennui.
Le résultat de tout cela fut qu'on accepta une motion dont Bernstein
écrivait :
« J'aurais voté moi aussi pour la résolution avec le petit grain de sel né-
cessaire et habituel dans do telles circonstances. »
Oui, un des membres avait déclaré au Congrès :
« Cum (jrano salis chacun peut accepter la molion de Bebel. »
C'était donc une motion tellement générale qu'elle disait tout ou en
d'autres termes qu'elle ne disait rien.
Mais, il existe semble-t-il, clans tous les pays une sorte de gens spé-
ciaux qu'on pourrait dénommer «les fabricants de motions ». Ce sont
ceux-là qui pour toute divergence d'opinions, pour toute question sor-
tent de leur poche un morceau de papier et se mettent à rédiger une
motion qu'on soumettra à l'approbation des membres de l'Assemblée.
A cette sorte de gens appartient Bebel en Allemagne.
Il a réuni en un tout un peu de chaque motion, s'en est toujours
tenu à celles qui ne disaient pas grand'chose et dont tout le monde
pouvait se contenter. On se souvient du grand différend avec Vollmar.
On agit alors précisément ainsi. On prépara une motion que les deux
partis pouvaient accepter et l'affaire fut bâclée. Tout à fait comme
dans l'antre où les sorcières cuisinent:
Oui je le dis
D'un fais-en dix
Otes-en six
Puis trois encore
Et c'est de l'or
Le reste suit
A sept et huit

Vingt se réduit
Car la sorcière
Ainsi l'a dit
Ainsi finit le grand mystère
Et neuf est un
Dix n'est rien
De la sorcière
Tel est
L'infaillible arrêt.
Faust (scène des Sorcières).
Faust appelait cela « extravaguer dans la fièvre » ; les démocrates
socialistes appellent cela « travailler pratiquement » au profit de
l'unité du parti.
4e ANNÉE, XXXVI. 4
690 L'HUMANITÉ NOUVELLE

Et nous nous représentons Bernstein après la lecture de la motion


adoptée, un sourire sardonique sur les lèvres disant comme Gretchen
après la grandiose apostrophe de Faust sur la divinité : « Tout cela
est très bien. Ainsi parlent aussi les prêtres, mais en des termes
un peu différents. » On peut appliquer en cette occasion le proverbe
latin : « parturiunt montes, nascitur ridiculus mus ». Oui, c'était
une souris ridicule qui naquit de ce congrès après de si bruyants
débats. Le tout était enveloppé dans un paquet terriblement lourd.
Nous allons maintenant faire connaître la motion comme elle fut
adoptée après quelques modifications à une énorme majorité. Elle
était ainsi conçue :
« Le développement de la société bourgeoise ne donne pas au parli le
motif d'abandonner ses principes ou de les modifier.
Le parli reste maintenant comme auparavant sut» le terrain de la lutte
des classes, il en résulte que l'affranchissement de la classe des travailleurs
ne peut être que sa seule fiche et doit être par conséquent considéré comme
le devoir historique de la classe ouvrière, afin de conquérii- le pouvoir
politique, pour établir ainsi le bien-être de tous par la socialisation des
moyens de production et l'introduction du système de production et
d'échange socialiste.
Pour atteindre ce but, le parti fait usage de tous les moyens conformes à
ses principes qui en promettent la réalisation. Sans se conduire, quant à
l'essence et le caractère des partis bourgeois, comme défenseurs et repré-
sentants de l'état social actuel, il ne refuse pas de marcher avec lui dans
certains cas quand il y a ainsi moyen de renforcer le parti aux élections ou
d'augmenter les droits politiques et les libertés du peuple, soit encore de
provoquer une amélioration sérieuse dans la situation sociale des classes
ouvrières, d'amener le progrès de la civilisation, ou de combattre énergi-
quement tout ce qui s'oppose à l'affranchissement du peuple et de la classe
ouvrière. Mais le parti conserve son indépendance entière et ne considère
tout succès acquis que comme un pas en avant qui le rapproche du but
final.
Le parti reste neutre vis-à-vis des sociétés économiques, il considère la
fondation de ces associations, si toutes les conditions ^nécessaires sont rem-
plies comme un moyen d'amener l'amélioration de la condition sociale de
ses membres ; elle voit aussi dans l'institution de ces unions, comme en
toute organisation de travailleur, pour la protection et la sauvegarde de
leurs intérêts, un moyen propre à l'éducation de la classe ouvrière en vue
delà direction indépendante de leurs affaires, mais il n'attribue aucune
signification définitive à ces associations économiques pour l'affranchisse-
ment des classes ouvrières des chaînes de l'esclavage salarial.
Dans la lutte entreprise contre le militarisme et la politique coloniale le
parti conserve les vues qu'il a adoptées. Il maintient également la politique
internationale qu'il a suivie et qui a pour but la fraternisation des peuples,
surtout celle de la classe ouvrière dans les différents pays civilisés, pour,
sur la base d'une fédération générale, obtenir la réalisation des grands
principes de civilisation sociale. »
D'après cette déclaration, il n'y a pour le parti aucune raison de
modifier ses principes et ses revendications, non plus que sa tactique
ou son nom, c'est-à-dire de faire du parti social-démocrate, un parti
démocrate-socialiste et il refuse définitivement de tenter aucun effort
qui aurait pour but de fortifier ou de diminuer sa position vis-à-vis de
l'ordre social et politique actuel et les partis bourgeois.
Heureusement que la plupart des gens avaient à la fin de la motion
déjà oublié le commencement. Et on effet il fallait un estomac solide
pour digérer comme il convenait cette mixture du brouet social-démo-
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 691

crate. Qu'importe après tout, on l'oublie aussitôt ot c'est bien de cela


que l'on peut dire : on dit de ces choses-là, mais on ne les fait pas !
Le parti agit précisément comme l'église catholique qui par son
latin déconcerte h'.-! gens simples, de sorte que les croyants naïfs, ne
comprenant, rien, s'abandonnent complètement à la direction des
ecclésiastiques et en arrivent à cette conclusion : « cela doit être bon
puisque nos chefs disent que c'est ain»i...»
Avec cet «abc » de la sagesse social-démocrate on s'en retourne
chez soi. On a ainsi un os à ronger pour toute une année au moins.
Puis on s'occupera d'un nouveau Congrès qui procurera la diversion
nécessaire.
Il est vraiment curieux de voir comme on est indulgent et doux
vis-à-vis de là droite, mais malheur à ceux qui tourneraient leurs
efforts vers la gauche.
Et pourquoi cela ?
Rosa Luxemburg va nous le dire.
« Nous avons dans notre parti un certain nombre de compagnons qui
parlageutcette opinion et dont les diversités d'opinions sont non seulement
dans la théorie mais aussi dans la pratique. C'est un fait connu, que nous
avons depuis environ dix ans dans nos rangs un fort courant d'opinions qui
tend dans l'esprit de Bernstein à représenter déjà notre pratique actuelle
comme le socialisme ; et en agissant ainsi ceux qui professent ces idées
sont inconscients naturellement ! — le socialisme que nous poursuivons, le
seul socialisme, qui n'est ni phrase ni imagination et qui doit) passer par la
phase révolutionnaire.
Bebel a dit avec raison que la conception de Bernstein était si vague,
d'un sens si étendu qu'on ne pouvait l'enfermer dans un cadre fixe sans
s'exposer à s'entendre dire « vous ne m'ayez pas compris » jadis Bernstein
n'écrivait pasainsi.Son obscurité,ses contradictions ne sont pas des défauts
qui lui sont personnels; ils résultent de la direction qu'il a donnée à sa
pensée ot-de ce que renferme sa conception. Si vou3 suiviez l'histoire du
parli dans ces dernières années, c'est-à-dire si vous étudiez les rapports des
congrès, vous voyez que les idées de Bernstein se fortifient lentement, mais
ne sont pas encore venues à maturité. J'espère que cela ne viendra
jamais.»
Et Vollmar, lui aussi, ne trouve pas juste que Bernstein attrape
toutes les injures et ses pareils rien, et il trouve que presque jamais
une soupe si bien cuite n'a été servie aussi froide. Evidemment on
n'ose pas les attaquer, parce qu'ils sont en trop grand nombre, car :
« Le bûcher se trouvait là, mais les allumettes ne voulaient pas prendre
et la force manquait pour nous jeter sur le bûcher. »
Il ne faut pas cependant prendre Bernstein au collet et laisser in-
demnes le grand nombre de Bernsteins qui agissent pratiquement
de la même façon. Auer, Schippel, Heine, Vollmar, auraient tous dû
être pris au collet et puis alors on aurait dû également éloigner des
rangs tous les opportunistes.
Nous avons déjà dit plus haut que Vollmar et les siens formaient
en fait le parti et en insistant trop sur le nettoyage, il pourrait bien pa-
raître que les opportunistes forment la majorité et qu'ainsi les autres
devraient être exclus du parti. Et pour cela on fabriqua une si longue
motion qui ne disait rien, afin que tous opportunistes,et radicaux puis-
sent tenir ensemble sous les ailes de la grande poule : démocratie
sociale,façonnéetoutàfaitcommedansle catholicisme où on peut ob-
692 L'HU.YUMTÉ NOUVELLE

tenir toutes les dispenses à condition qu'on reste dansl'église.L'unité


en face des autres doit avant tout se maintenir ! On agit de même
ici et là.
Nous écrivions jadis :
«. La tactique de Vollmar est désirée par un trop grand nombre de socia-
listes allemands pour qu'elle n'ait pas chance de triompher. Et
notre impression est que pour des raisons d'opportunité la direction du parti
a préféré aller vers la droite (pour ne pas perdre l'appui de Vollmar et des
siens dont le nombre était plus considérable qu'on ne l'avait pensé) et qu'elle
a.sacrifié l'opposition (des jeunes) dans un but personnel. »
Tous les congrès prouvent que de plus en plus on se dirige vers la
droite.
Rappelons encore une fois les faits :
Au Congrès d'Erfurt la lutte était dirigée contre Vollmar, qui sui-
vant Bebel, Liebknecht et autres, voulait introduire une nouvelle tue-
tique dans le parti. Un des congressistes présents formula son grief
avec l'àpreté suivante : « Si nous acceptons les vues de Vollmar, il
nous faut immédiatement remplacer, dans notre programme les mots :
a parti de la démocratie sociale » par ceux de « parti ouvrier
allemand ».
Après de vives discussions, dans lesquelles Vollmar maintint ses
opinions et triompha, notre labricant de motions, Bebel, arriva avec
une résolution longue d'une aune dans laquelle comme maintenant on
commençait par dire qu'il n'y avait pas de raisons pour modifier la
tactique suivie jusqu'alors par le parti, et qu'on avait en outre si bien
débarrassée de tous les points litigieux que Vollmar en lut content et
Bebel satisfait. Le Congrès se. termina donc par une apothéose où l'on
. vit Vollmar d'une part, et Bebel et Liebknecht de l'autre, tomber clans
les bras les uns des autres.
Au congrès de Berlin, les deux tendances se heurtèrent de nouveau,
principalement sur le chapitre du socialisme d'Etat, mais derechef on
fabriqua une motion qui porta 1RS signatures des deux fractions, celles
de Liebknecht et de Vollmar.
Et ainsi les années so succédèrent. On sut toujours par de vagues
et incolores motions maintenir la masse unie.
L'année passée, il fut déclaré par la bouche de Liebknecht que :
« Si les théories do Bernstein étaient exactes, nous pourrious procéder à
l'enterrement de notre programme, de tout notre passé, de la sociale démo-
cratie tout entière, car nous devrions cesser d'être un parli prolétaire. >>
Cette année, Bernstein a par écrit rappelé ses théories dans le livre
que nous citions plus haut et l'enterrement du parti n'a pas eu lieu,
mais une motion souple a été confectionnée que Bernstein peut ac-
cepter, lui aussi. Ainsi l'homme qui enterre le parti est toléré dans
cette association, et cela dans le but de maintenir l'unité.
De deux choses l'une : ou bien Bernstein a abandonné le programme
et renié le passé, et alors il n'appartient plus au parti, ou bien Berns-
tein partage toujours lès idées du parti, et alors peuvent difficilement
y trouver place Liebknecht, Bebel et consorts, puisque ceux-ci pensent
qu'il le conduit à sa ruine. Il est d'une insigne faiblesse de maintenir
au milieu de soi quelqu'un que l'on considère comme capable d'en-
terrer le parti dont on est !
LA DEBACLE DU MARXISME Q9'.i

Les opportunistes ont toutes les raisons d'être satisfaits du résultat


du Congrès, car effectivement ils ont remporté la victoire.
Ecoutez comment la radicale Frankfurter Zeitung exulte dans son
numéro du 16 octobre :
« Au Congrès social démocratique qui vient de se terminer, Bebel parlant
dans son discours final de l'incident Bernstein, a exprimé sa satisfaction de
voir Bernstein lui-môme signer la résolution qui avait été présentée. Par
cela même en effet il abandonne tout ce qu'il a dit et il revient comme un
pêcheur pénitent dans la maison paternelle de Marx et d'Engels. »
Nous ne savons pas si Bebel pensait cela sérieusement, mais si tel
est le cas, il se fait le jouet d'une comique illusion. Nous avons déjà
en une précédente occasion expliqué que cette résolution est si large-
ment rédigée et. que l'opportunisme s'y rencontre à tel point qu'elle ne
peut effrayer personne et tous les « compagnons » du parti peuvent y
souscrire, toujours avec le « grain de sel » qui a joué un si grand rôle
dans tous les débats do l'affaire Bernstein.
Maintenant que Bernstein a accepté la résolution, en effet, et que
tous les opportunistes ont fait de même, elle est repoussée par un petit
groupe composé des extrêmes radicaux. La résolution était pour eux
beaucoup trop élastique, tandis que les disciples de Bernstein n'a-
vaient aucune raison de refuser leurs voix à quelques idées qui
étaient au moins aussi éloignées du pur marxisme que des opinions
des Bernsteinistes. Il est très naturel que les David, les Vollmar et
leurs adeptes ne pourront arriver à formuler clairement et rigoureu-
sement leurs principes dans la présente résolution. Nous avons déjà
expliqué pourquoi cela doit être ainsi et pas autrement. Mais qu'à la
fin cela doive être une victoire de partisans do Bernstein, voilà qui
doit être évident pour chaque homme qui pense et si Bebel dit le
contraire, il en est de lui comme de tant d'autres « qui pensent pousser
et qui le sont eux-mêmes. Il n'est pas du reste invraisemblable que
Bebel employa cette phrase uniquement dans ce but ». Lorsque Berns-
tein accepte la résolution, il dit : « Je sacrifie tout » pour donner à
ceux qui sympathisaient avec Bernstein l'occasion de rejeter la réso-
lution et en agissant ainsi de remporter une apparente victoire dans
la direction radicale. Cela ne.lui a d'ailleurs nullement réussi. Les
Bernsteinistes ont accepté la résolution et quelques ultras votèrent,
seuls contre elle. Si cela est une défaite de Bernstein, on ne peut plus
distinguer le noir du blanc.
Combien est déjà forte dans la démocratie sociale la direction mo-
dérée, voilà qui nous est prouvé par l'entrée en scène relativement
domestiquée de ceux pour qui, comme le dit Vollmar, le mot « démo-
crate socialiste » est déjà trop faible et se nomment plutôt « prolé-
taires révolutionnaires ». Avant le congrès, ces braves gens cla-
maient dans la presse. On parlait chaque jour d'hérésie et le moindre
désir qui était formulé était celui de se séparer. Rosa Luxemburg alla
même jusqu'au point de donner libre cours à ses penchants inquisi-
toriaux en demandant de décider que la liberté de la science sociale
démocratique ne dépassât pas la limite des principes de la sociale
démocratie. Mais le congrès vînt et le grand bûcher sur lequel les
hérétiques devaient être brûlés ne fut pas érigé.
La force n'était pas suffisante pour livrer à la flamme purifiante
comme victimes expiatoires les Bavarois et tous les autres pêcheurs.
694 L'HUMANITÉ NOUVELLE

Les intrépides le sentaient et de longtemps ne parlèrent pas aussi


âprement qu'ils avaient écrit. Alors les opportunistes, se portant en
avant, eurent beau jeu, ils ne gardèrent plus qu'un masque léger, quel-
uns l'enlevèrent totalement comme le prouve le dernier discours
3ues
'Auer. Il n'a pas été tout à fait injuste de reprocher aux opportunistes
au congrès d'avoir précisément pris le ton violent qu'ils désapprou-
vaient chez les radicaux. C'est généralement juste ; aussi aucun
Bernsteinisteneparla«d'un compagnon défroqué » ou de quelque chose
de semblable. Mais voilà qui prouve précisément combien fortement
la direction modérée se fit sentir, combien elle avait conscience que
l'avenir lui appartenait et que les développements naturels auraient
lieu dans son esprit. Cela indique un peu aussi combien est exacte
notre conception de la chose, conception qui ne date pas d'hier, mais
est indiquée dans cette revue depuis des années.Et l'opportunisme, aurait
apparu à Hanovre plus fortement encore si de nombreux compagnons
n'avaient pas une crainte bien compréhensible de le laisser voir. Ils
couraient risque de ne pas réussir vis-à-vis de leurs électeurs...
Tout compte fait, Bernstein peut être satisfait du congrès de Hanovre.
Il est bien vrai qu'une partie de la démocratie sociale n'a pas de gaieté
de coeur voulu paraître ce qu'elle est mais cela ne change rien au fait
qu'on a raison de la désigner comme un parti de réformes social démo-
cratiques. Ceci peut causer d'amers regrets à beaucoup, aux Kautsky,
par exemple, qui voulaient conserver intact le bel édifice du marxisme
et de l'autre côte à ces hardis réactionnaires à qui ne convient pas
l'escamotage de la démocratie sociale, mais peu importe tout cela,
le fait est là et le nombre de ceux qui le reconnaissent s'accroît.
Dans cette opinion l'état des choses est rarement ébauché d'une
façon objective. Le fait existe que la démocratie sociale est domesti-
quée, que c'est un parti de réformes habitué à l'idée de sa mort, qui
maintenant considère dans un avenir très lointain la réalisation de
son idéal socialiste ; cet idéal ne lui sert que comme cheval de parade
il le fait sortir de l'écurie et le montre en public dans les occasions
solennelles, et puis le fait rentrer immédiatement dans son écurie où
il doit rester caché à tous les regards.
Et de fait, si tous les compagnons du parti agissent de la même
manière, ils ne sont pas tous des ânes, dirait Auer, pour le claironner
surles toits. Lorsqu'on reproche à Vollmarson opportunisme,ils'en va
puiser quelques lambeaux de phrases dans les discours prononcés au
Reichstag par Auer, Liebknecht et Bebel pour prouver qu'ils ont dit
absolument la même chose que lui sans que pour cela on les ait atta-
qués. Et c'est parfaitement exact ; la manière d'agir des députés au
Reichstag conduit nécessairement à la tactique de Vollmar. Il y a
eu une grande différence entre les paroles et les actes ; dans ses paroles
on veut paraître révolutionnaire, mais dans ses actions on est le plus
pur opportuniste. Auer dit ainsi avec raison que l'on peut dire quelque
chose sans être reprouvé, tandis qu'un autre qui n'en avance que
la moitié est attaqué de toute part. Lorsque Liebknecht écrivit un
leading article dans lequel il expliquait que lo seul parti populaire était
la démocratie sociale, il recueillit une ample moisson d'applaudisse-
ments, et maintenant que Bernstein écrit que l'on doit être vraiment
un parti populaire, on s'écrie :
« Ce Bernstein veut nous vendre à quelque Sonnemann (l'éditeur de la
Frankfurter Zeitung). Et y a-t-il bien un membre au Reichstag ou dans
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 695

quelque parlement qui ne soit élu sur la base do ce qu'on appelle une hérésie
plus ou moins sérieuse contre les principes du parti? Le vieux Liebknecht
le savait très bien quand il disait: « celui qui pactise avec ses ennemis par-
lemente et celui qui parlemente trahit. » Et nous répétons — on ne peut
assez le faire — la parole d'or de Frédéric Engels qui devrait être écrite au-
dessus de tous les locaux de réunion et des journaux socialistes : « COMBIEN
AISÉMENTET DOUCEMENTONGLISSE, UNE FOIS SUR LA PENTE. ï
Il est et reste essentiel qu'on a toujours clopiné sur deux idées, et
on ne peut se dégager encore et dénouer le noeud, de sorte
qu'on devient alors ou un pur parti socialiste révolutionnaire ou
bien un parti de réforme social-démocratique.
Bernstein fait maintenant un effort pour venir sur un terrain net et
faire disparaître toute ambiguïté. Cela se rencontre chez Marx, qui
pouvait dire comme Faust se promor.ant le jour de Pâques hors des
murs de la ville :
« Deux âmes, hélas, habitent en mon sein et l'une tend constamment à se
séparer de l'autre. L'une, vive et passionnée, tient au monde et s'y cram-
ponne au moyen des organes du corps, l'autre, ennemie des ténèbres, aspire
aux demeures des aïeux. »
L'une de ses âme» glorifie les lois sur les fabriques comme si le pro-
létariat pouvait obtenir on suivant cette route lente tout ce dont il a be-
soin pour sa libération. Los réformateurs de la petite bourgeoisie qui
ont la tâche d'introduire une meilleure réglementation des systèmes de
production capitaliste reposant sur la propriété privée, se réclamentde
préférence de ce Marx. Et l'autre âme est celle qui s'attache au prin-
cipe idéal, qui ne demande pas des résultats pratiques palpables, mais
va droit à son but et tend vers l'évolution de la propriété capitaliste,
en propriété commune. D'une part donc la nécessité d'une meilleure
réglementation de la société capitaliste actuelle, de l'autre la con-
science de la ruine nécessaire de cette même Société. :
Nous trouvons cela également dans les deux programmes ; le pro-
gramme de principe et celui d'activité pratique.
Qu'on prenne en main ce dernier ot qu'on nous indique sérieuse-
ment lequel des dix articles peut s'appeler socialiste et lequel des
cinq qui y ont été encore ajoutés séparément pour la protection de la
classe ouvrière. On ne le sait pas parce qu'on ne le peut pas. Ainsi
on admet comme démocrate socialiste aux élections celui qui combat
avec un programme qui n'est pas socialiste mais simplement radical.
Oui, il y a des partis comme les nationalisateurs de la terre qui ont
dans leur programme beaucoup plus de socialisme que les social-
démocrates. C'est précisément ce jeu des deux programmes qui fait
ressembler le parti social démocrate à la tête de Janus qui laisse voir
tantôt le visage révolutionnaire, tantôt le visage réformiste.
Voici Bernstein qui vient et ne désire rien autre que nommer
l'enfant par son vrai nom et subitement on lui montre le visage révo-
lutionnaire. N'avons nous pas vu Auer et Heine défondre la politique
de compensation, c'est-à-dire qui entretient avec le gouvernement un
véritable commerce de marchandages éhontés, par exemple, en
satisfaisant aux désirs du gouvernement sur le domaine du militarisme,
à condition qu'il fasse en revanche des concessions dans l'intérêt des
travailleurs ? N'avons-nous pas entendu Bebel accédor à un emprunt
pour des uniformes noirs et appeler cette dépense la plus productive
de toutes ? Fini donc avec la vieille devise « Plus tin homme, x>lus
696 I. HUMANITE NOUVELLE

un sou ! » Schippel n'a-t-il pas fait un pas en avant dans cette voie
dangereuse en se montrant disposé à accorder de l'argent pour de
nouveaux canons? Oui, on l'a, à ce sujet, fort attaqué et dès qu'il parla
à Hanovre il fut jeté par dessus bord et cependant nous ne voyons
pas la différence qu'il y a entre lui et Bebel, car si des uniformes noirs
protègent les militaires contre le tir de l'ennemi, de nouveaux canons
n'exposeront pas nos soldats au feu d'une meilleure artillerie dont la
portée est plus longue. On s'est déclaré on faveur de la participation
aux élections du Landtag prussien, de même qu'en Saxe, en Bavière
et à Bade, oui l'opportunisme a fait les mêmes progrès, si bien que
Vollmar a pu, aux applaudissements de la majorité du congrès, se
séparer avec hostilité de la Commune en déclarant que les combat-
tants de la Gommune de Paris auraient mieux fait d'aller se coucher !
Quelle différence y a-t-il maintenant dans la pratique entre Bernstein
d'une part et le parti allemand et ses chefs d'autre part? Bernstein a
commis la sottise de vouloir être honnête, c'est précisément pour cela
qu'il était un âne, car... on ne dit pas de ces choses-là, mais on les
fait!
A ce point de vue le parti offre le même spectacle en Allemagne
qu'en France. Après que Guesde, Vaillant et consorts ont pendant des
années intrigué de concert avec Millerand et Jaurès en faveur des
résultats pratiques, après qu'ils ont jeté le socialisme complètement
par dessus bord, ils deviennent subitement révolutionnaires, et Mil-
lerand et Jaurès n'ont plus maintenant qu'à s'en aller. Si la cause
populaire peut gagner en ayant dos députés dans la Chambre, nous ne
voyons aucun argumentlogique qui s'oppose à soutenir qu'ils ont inté-
rêt à être défendus par des ministres de cette tendance dans le Gouverne-
ment. Ils n'avaient pas le droit de dire de telles choses car ce sont eux
précisément qui se sont rendus coupables des fautes qu'il reprochent
à d'autres. On devrait se hâter de dire qu'ils n'agissent pas ainsi par
méchanceté, mais parce qu'ils n'étaient pas compris dans la combi-
naison.
Et au congrès qui sera bientôt tenu, il y aura bien un fabricant de
motion qui, dans une résolution longue d'une aune, égalisera tous les
points aigus, de telle sorte qu'à la fin, aux applaudissements de tous,
elle sera acceptée ad majorem gloriam de tout le parti social démo-
crate (1).
Nous certifions que la logique des faits doit conduire un parti où
il en est maintenant lorsqu'il prend ce chemin. C'est le premier pas
qui coûte. Mais quand il est fait, alors il cesse d'être une affaire de
principes, cela devient simplement une lutte pour une question de
forme.
La seule chose que fit Bernstein fut de mettre en système dans un
livre l'opportunisme social démocratique. Lorsqu'il eut terminé
cette tâche, il le présenta au parti et celui-ci s'effraya de sa propre
image. Peut-être cela plaide-t-il en sa faveur, mais alors qu'il rentre
sérieusement en lui-même et se demande si ce n'est pas là qu'il en
est venu après tous ses « escamotages » comme les nommait Bebel.

(1) Cet article a été écrit avant le Congrès français de décembre 1899. La pro
phétie a été réalisée. L'ange rédempteur, la motion pour tous a triomphé. L'atti-
tude de Millerand a été désapprouvée mais il osa rester au ministère.
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 697

Et qu'on ait alors le courage pour ou bien accepter les conclusions


de Bebel et paraître ce qu'on est, ou bien rompre franchement avec la
tactique suivie et de reconnaître la faute commise au congrès
d'Erfurt en excluant du parti ceux qu'on appelait les «jeunes ». Ils
ont eu raison d'une manière éclatante, mais avec cette différence que
ce que Bebel et Liebknecht disent maintenant contre Bernstein fut dit
par eux contre Bebel et Liebknecht.
Rappelons-nous ce qui s'est passé là, et on verra que chaque faute
se paie sur la personne qui l'a commise.
•On devait faire front à Vollmar et un certain député Oertel voulut
faire une déclaration catégorique concernant l'attitude de Vollmar ; il
proposa pour cela comme amendement à la motion de Bebel, longue
d'une aune, ce qui suit :
« Le congrès déclare expressément ne pas partager l'opinion défendue
par Vollmar dans ses deux discours prononcés à Munich le '1er juin et le
6 juillet concernant le devoir pressant de la social-démocratie allemande cl
la nouvelle tactique à suivre, mais les considère au contraire comme nuisibles
pour le développement ultérieur du parli ».
C'était verser du vin clair.
Que dirent les chefs du parti ?
Auer demanda l'adoption de la résolution de Bebel avec l'amende-
ment Oertel.
Fischer demanda la même chose.
Liebknechtconsidère l'adoption de l'amendement Oertel comme une
nécessité absolue pour le parti, et il ajouta :
« Dans l'intérêt de la vérité, je nie réjouis que cette proposition ait été faite;
en ce qui me concerne je vole pour et j'espère quo le congrès se pronon-
cera à une écrasante majorité pour la résolution. Si ELLE N'EST PAS ADMISE,
L'OPPOSITION AURAIT RAISON ET DANS CE CASJE PASSERAIS MOI-MÊME A L'OP-
POSITION ». I
Bebel ajouta qu'il était nécessaire que le congrès s'exprimât claire-
ment.
Tous estimaient nécessaire l'adoption de l'amendement Oertel.
Alors Vollmar s'avança et dit : Si l'amendement Oertel est adopté,
il ne me reste plus qu'à vous dire que dans ce cas j'aurais pris pour la
dernière fois la parole devant vous.
L'amendement est retiré. Une proposition intermédiaire est adoptée
et l'affaire expédiée.
Naguère nous écrivions :
« La question est de savoir si les circonstances donneraient raison à
Aucrbach lorsqu'il dit : Je crains que Liebknecht — il l'a dit lui-même —
passe à l'opposition, peut-être dans un ou deux ans, si le congrès n'adopte
pas l'amendement Oertel. Nous craignions à tort car une fois sur la pente on
glisse rapidement (1). »
Nos craintes étaient vaines, car Liebknecht appartient encore au
parti et ne songe pas à passer à l'opposition.
Ainsi ce n'est pas Vollmar qui a passé à gauche, c'est au con-
traire tout le parti qui a été emporté par lui vers la droite.
Vollmar a chaque fois triomphé et avec lui l'opportunisme. Et la
victoire de Bernstein peut effectivement être attribuée au crédit de
Vollmar.
'1) Le. Socialisme en danger, page 16.
698 L HUMANITENOUVELLE

Mais pourquoi le livre de Bernstein suscita-t-il tant de colères?


Moins par le contenu, car ce qui s'y trouve a déjà été plusieurs
fois et mieux dit, que par la personne qui l'a écrit.
Comment Bernstein, le marxiste par excellence, l'autorité scienti-
fique du marxisme, ose-t-il, si modeste qu'en soit la forme, élever
des doutis sur le système sacro-saint de Marx?
C'est une trahison, c'est un scandale !
Bebel raconte bien « que le droit de la libre critique est un postulat
en faveur duquel on n'a pas besoin de combattre », que « la libeité de
la critique est pour nous un principe de vie, l'air dans lequel nous
respirons » que s'il y a un parti qui n'a pas de dogmes c'est le parti
social-démocrate et que s'il est des hommes qui ont délibéremment
combattu le dogme et nous l'ont chassé du cerveau, ce furent Marx et
Engels. Mais les faits prouvent précisément le contraire. S'il y a un
parti qui reste attaché aux dogmes et dans la pratique s'irrite contre
le droit de la libre critique, c'est bien le parti de la, démocratie sociale
en Allemagne et dans tous les pays où il s'est formé sur son modèle.
Marx est attaqué ! Ainsi sonna le cri de ralliement et tous se levè-
rent pour marcher. C'était un sacrilège !
Marx est attaqué par un marxiste, par Ed. Bernstein ! s'écria-t-on
de nouveau et le parti surgit pour condamner ce crime de haute trahi-
son.
Relisez attentivement les débats du congrès de Hanovre et à chaque
page vous verrez qu'on jure par l'autorité du maître.
Y a-t-il en France plus grand sectaire que le marxiste Guesde?
On a souvent fait remarquer que Marx est pour les démocrates
socialistes ce que la Bible est pour les croyants. La plupart des croy-
ants n'ont jamais lu la Bible, les démocrates socialistes n'ont jamais
lu Marx non plus. Les deux oeuvres nécessitent des explications ; il
existe des sortes de gens,nommés exégôtes ou commentateurs de livres,
qui entreprirent la tâche d'expliquer ces livres. Marx, comme
la Bible, a besoin de commentaires, d'exégètes. Il se produisit
ainsi toute une race d'hommes qui se présentèrent comme explica-
teurs.de Marx. De même qu'on a des théologiens, on eut des Marxo-
logiens.
On peut tout prouver par la Bible et si l'on observe combien les
théologiens ont l'habitude de se frapper le tympan mutuellement à
l'aide de textes bibliques, on en sera facilement convaincu.
Et lebon Bernstein nous dit très bien et très exactement comment
les commentateurs de Marx s'entendent à nous marteler les oreilles
avec des citations de leur auteur. Actuellement on en est arrivé à
tout prouver à l'aide de Marx et Engels.Bebel s'est fâché de ces mots,
mais n'est-ce pas la vérité ? Si Marx a dit cela toute discussion
est close parmi les démocrates-socialistes ; c'est comme si on disait
aux Pythagoriciens : le maitre l'a dit.
Eh bien Bernstein n'a rien dit de nouveau ; il reconnaît même que
son livre n'a aucune prétention à l'originalité, mais il a cependant un
mérite, celui d'avoir dit quelque chose d'autre, d'avoir un plan bien
combiné et de produire un ensemble. Quelquefois cependant il est
hardi par exemple lorsqu'il dit comment Marx lui-même écrivit un
jour, concernant la destinée des théories . « L'amante de Moor ne
peut mourir que par Moor ». (C'était une citation des Brigands, de
Schiller).
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 699

Il est méchant encore lorsqu'il dit : « Cela veut dire la même chose
que si le Marxisme a le cou tordu par un marxiste. »
Bernstein dit avec palliatif, que la découverte et le triomphe des
erreurs dans une théorie n'en est pas encore la déchéance ot qu'il
pourrait bien paraître en somme que c'est Marx qui combat contre
Marx, mais tout le monde avouera que lorsqu'on a décapité quelqu'un
et qu'on lui met une nouvelle tête, il est bien difficile de le faire passer
pour la même personne.
Nous allons examiner ce que Bernstein dit du marxisme.
Certainement Marx était un homme rigoureusement scientifique,
personne ne lui enlèvera cet honneur, mais s'il fut vraiment un homme
de génie qui eut des conceptions originales, c'est un point qui est mis
en doute. Et lorsqu'on entend émettre sous son nom des choses qui
ne sont pas de lui — et ses disciples firent cela en préconisant le
maître — alors on donne lieu à une folle idolâtrie, qui quelque jour
deviendra apparente.
Ainsi Engels écrit que Marx a découvert la conception matérialiste
de l'histoire. Et Bebel dit à un congrès « que les sources du dévelop-
pement social ont été découvertes par Marx », après qu'il eut déjà
raconté dans son livre sur la femme, que c'étaient les Allemands qui
avaient découvert la dynamique du développement de la société
moderne et les bases scientifiques du socialisme. Parmi ces Allemands
la première place revient à Marx et à Engels.
Malheureusement rien de tout cela n'est vrai.
Que les facteurs économiques aient fait sentir leur influence dans
l'histoire, ce qui n'est pas une découverte de Marx, nombre d'autres
le savaient déjà et l'avaient exprimé clairement dans leurs écrits.
Tcherkosoff dit tout à fait justement dans son ouvrage intitulé :
La démocratie sociale dam ses enseignements et dans les faits :
« La manière de production nous indique l'état de civilisation et de déve-
loppement de quelques sociétés dans quelques périodes historiques. Mais
cela était connu avant 1845 et même avant lo 28 novembre 1830, jour de
naissance d'Engels. Seulement on nommait cela lo rôle, l'influence des
facteurs économiques dans l'histoire. Mais l'ensemble des facteurs économi-
ques, en que nous nommons l'économismo n'est pas encore le matérialisme.
La manière do production n'est qu'un l'acteur ou plutôt un élément entre
beancoups d'autres qui servent aux généralisations révolutionnaires,connues
sous lo nom de théories matérialistes. La partie ne peut contenir le tout;
l'économisme ne constitue pas lu théorie matérialiste. »
Sans dire un mot de Tcherkesoff, Bernstein indique dans son cha-
pitre sur la conception matérialiste de l'histoire qu'il a pris connais-
sauce de ses explications si claires.
11 écrit :
« Knfin vient la question de savoir jusqu'à quel point la conception maté-
rialiste de l'histoire a encore quelque droit à son nom si on continue à la
détériorer par l'adjonction d'autres facteurs. Effectivement, suivant les
déclarations d'Engels (exprimées dans une lettre de celui-ci à Conrad
Schmidt en l'année 181)0), elle n'est pas purement matérialiste, elle reste
puremeni économique. Je ne nie pas que le nom et la chose ne soient pas
tout à tait analogues. Mais je no cherche pas le progrès dans l'effacement
mais dans la précision des idées, et comme en développant une théorie
Tiistorique il faut avant tout montrerqu'elle se différencie des autres, je ne
serais pas loin de tenir le litro do Bar.tli : Conception, de l'histoire ècono-
700 L HUMANITE NOUVELLE

inique, malgré tout, comme le meilleur indicateur des théories historiques


du marxisme.
Dans l'importance qu'elle donne à l'économie, se trouve sa signification.
De la connaissance et de l'usage des faits historiques dérivent les grands
services qu'elle rendit à la science historique et l'enrichissement que cette
branche du savoir humain lui doit. La conception économique de l'histoire
n'a pas besoin d'indiquer que seules les forces économiques, seuls les motifs
économiques sont reconnus mais simplement que l'économie constitue tou-
jours une force plus importante lo point do gravité des grands mouvements
de l'histoire. Au terme conception matérialiste de l'histoire so rattachent,
tous les malentendus qui ont en général rapport à l'idée de matérialisme.
N'est-ce pas, en d'autres termes, ce que disait TcherkesoffV Mais le
dernier se distingue du premier, de même que de Kautsky en ce que
ceux-ci s'enveloppent de ténèbres scientifiques, tandis que le premier
cherche à parler et à écrire une langue compréhensible pour tout le
monde. Nous demandons à quiconque connaît le développement de
la pensée humaine, s'il n'est pas ridicule de se représenter Marx
comme celui qui a découvert les lois éternelles de la vio sociale ? On
peut faire croire ces choses-là à des hommes qu'on a enfermés dans un
cercle politique, comme dans une serre chaude, pour les séparer du
vent rafraîchissant de la réalité et les réchauffer au moyen de tuyaux
placés artificiellement et sous la surveillance do guides partiaux em-
prisonnés dans un corset de dogmes comme dans les séminaires re-
ligieux; mais ce n'est pas ainsi que l'on promène son regard sur le
champ de la science si l'on veut obtenir de bons résultats.
Le manque de science est à peine dissimulé sous la formule demi-
scientifique de ces polémiciens, et nous n'avons jamais compris
pourquoi la science doit toujours être rendue inaccessible à l'aide
d'une terminologie obscure et embrouillée, de sorte que scientifique
etincompréhensible paraissent être des termes synonymes. Boileau a
dit avec raison : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ï et
nous voudrions ajouter que t le revêtement obscur d'une idée prouve
que cette conception n'existe pas clairement dans l'esprit.» Mais tous
les Allemandsne sejlaissent pas duper,témoin G.Landauer qui,dans le
Sozialist, a écrit de jolies choses sur les Bernsteiniades, comme on dit
en Allemagne :
«Je veuxdonner une seule preuve del'insignifiance du livre et de la trivia-
lité de la tête dont il est sorti. Les choses on sont malheureusement au point
qu'un esprit aussi médiocre a suffi pour faire chanceler le marxisme sur
ses bases. On trouve notamment aux pages 4 et 14 les phrases suivantes qui
se rapportent au môme sujet. La question de l'exactitude de la conception
matérialiste de l'histoire est la question du degré de nécessité historique.
Etre matérialiste, c'est tout d'abord admettre la nécessité de tout ce qui
arrive. Lo matérialisme philosophique ou d'js sciences naturelles est dé-
terministe ; la conception de l'histoire marxiste, pas ; elle ne reconnaît au
principe économique de la vie des peuples aucune influence péremptoire et
absolue sur leur formation.
Quel illogique galimatias! En lisant cola, on croirait qu'il n'y a pas
d'autre déterministe que le matérialiste. Une conception de l'histoire
n'est-elle plus déterministe parce qu'elle n'attribue pas d'influence pé-
remptoire à un facteur ? La question du déterminisme est cependant celle-
ci : Si tous les phénomènes sans exception sont occasionnés, déterminés?'
Dans la question de causalité, le folliculaire Bernstein et le journaliste
Kautsky peuvonl certainement se donner la main , l'un y comprend autant
que l'autre. »
LA DEBACLE DU MARXISME 701

Kautsky a écrit un livro pour réfuter Bernstein. Il est intitulé :


Bernstein und das Sozialdemohratische Programm. Les deux amis s'y
trouvent à côté l'un de l'autre. Cependant nous constatons avec plaisir
que Kautsky ne suit pas la misérable méthode de Liebknecht et ne
qualifie pas celui qui professe une autre idée que lui, d'homme igno-
rant ot sans valeur. Au contraire, il sait estimer Bernstein en citant
l'opinion du professeur Diehl, lequel disait : « Ce qu'on appelle le
socialisme scientifique a perdu en Bernstein un de ses adeptes les
plus talentueux et les plus savants. »
Du reste tous les points que Bernstein discute comme la conception
matérialiste de l'histoire, la théorie de concentration et de plus-value,
la théorie de la crise, la théorie de l'accroissement de la misère, la
théorie des catastrophes, etc., etc., ont déjà été le sujet de grandes
discussions. D'ailleurs, jadis, on ne pensait pas qu'il valût la peine
d'accepter une terminologie semblable, tandis que maintenant on sus-
cite une quantité de difficultés comme à plaisir.
Bernstein a formulé trois griefs contre la théorie de Marx sur le
mode de production capitaliste :
1" Le nombre des possédants ne diminue pas, mais augmente ;
2° La petite industrie ne recule pas;
15° La chance de voir éclater de grandes crises dévastatrices est
toujours plus petite.
Nous laisserons d'abord parler Marx lui-même. Il formule ainsi son
opinion dans le Capital, vol. I :
« La propriété fondée sur le travail personnel, cette propriété qui soude
pour ainsi dire le travailleur isolé ot autonome aux conditions extérieures
du travail va êlro supplantée par la propriété privée capitaliste, fondée sur
l'exploitation du travail d'autrui, sur lo salariat.
Dès que ce procès do transformation a décomposé suffisamment de fond
en comble la vieille société, que les producteurs sont changés en prolétaires
et leurs conditions de travail on capital, qu'eniin le régime capitaliste se
soutient par la seule force économique des choses, alors la socialisation
ultérieure du travail ainsi que la métamorphose progressive du sol et des
autres moyens de production en instruments socialement exploités, com-
muns, en un mot l'élimination ultérieure des propriétés privées va revêtir
une nouvelle forme. Ce qui doit maintenant être exproprié, ce n'est plus
le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d'une armée ou d une
escouade de salariés. Cette expropriation s'accomplit par le jeu des lois
immanentes de la production capitaliste, lesquelles aboutissent à la centra-
lisation des capitaux. Corrélativement à cette centralisation, à l'expropriation
du grand nombre des capitalistes par le petit so développe, sur une échelle
toujours croissante, l'application de la science à la technique, l'exploitation
de la terre avec méthode et ensemble, la transformation de l'outil on instru-
ments puissants. Seulement par l'usage commun, partant l'économie des
moyens de production, l'entrelacement de tous les peuples dans le réseau
du marché universel, d'où lo caractère international imprimé au régime
capitaliste. A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui
usurpent et monopolisent tous les avantages de cette évolution sociale,
s'accroît la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation,
mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de
plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de sa
production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le
mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices.
La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels
arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capi-
702 L'HUMANITÉNOUVELLE

taliste. Cette envoloppe se brise avec éclat. L'heure de la propriété capitaliste


a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. »
Si on débarrasse ce raisonnement du jargon scientifique dont Marx
en pur hégélien enveloppe volontiers sa pensée, le sens est celui-ci :
le nombre des capitalistes est toujours plus petit et un temps viendra
où cette poignée d'individus deviendront trop oppressifs, de sorte que
la classe ouvrière toujours plus nombreuse et mieux organisée jettera
simplement par dessus bord cette petite bande de capitalistes.
Prenons comme exemple le commerce et la production du pétrole.
On a réussi à le concentrer entre les mains de deux personnes, c'est-
à-dire de Rockefeller en Amérique et du trust des pétroles en Russie.
Il devient très facile de mettre de côté ces deux personnages.
C'était très simple et compréhensible.
Mais est-ce exact en effet?
N'y a t-il pas derrière ces deux personnes, toute une série d'autres
qui ont intérêt au maintien de l'état actuel ?
Chaque capitaliste en assomme quelques autres.
Bien, mais le trust qui accomplit cette oeuvre n'est pas un monstre à
une seule tête, mais à plusieurs.
Bernstein dit aussi :
« 11est tout à fait inexact d'admettre que le développementactuelindique
une diminution relative ou même absolue des possédants. Ce n'est pas un
plus ou moins, mais franchement un plus,c'est-à-dire que le nombre des pos-
sédants croît d'une façon absolue ET relative. Et il a parfaitement raison
contre Kautsky, lorsqu'il lui reproche l'erreur d'identifir capital et capita-
listes ou possédants. »
Examinons la chose de plus près :
La richesse nationale de l'Angleterre s'élevait, non compris la va-
leur des maisons :
En 1812, à 4.875 millions de francs.
En 1SS8, à 73.845 —
Cela veut dire que la richesse est à notre époque 15 fois plus grande
qu'au temps de nos aïeux, et qu'elle se trouve entre les mains de
158.600 familles de la classe riche et 730.500 de la classe moyenne sur
les 37.8 8.153 habitants de la Grande-Bretagne.
En France, suivant Fournier de Fleix et Yves Guyot, voici quels
étaient les chiffres :
En 1824. . . 14.775 millions de francs.
En 1888. . . 1)1.392 —
(y compris les maisons).
La propriété moyenne laissée après décès était en Angleterre de :
2.325 francs on 1837-1840.
2.471 — 1841-1850.
4.000 — 1861-1870.
5.250 — 1871-1880.
6.771 — 1881-1885.
Tandis que le nombre des fortunes au-dessus de 125.000 francs se mon-
tait en 1840 à 1.989
En 1877, il était de 4.478
Le nombre des fortunes au-dessus de 2.500 francs se montait en
1840 à 14.936
Il atteignait en 1877 36.438
LA DEBACLEDU MARXISME 703

Tandis que le nombre des contribuables avec un revenu annuel de


3,750 à 12,000 fr. s'augmente de 1868/69 à 1889 de 187,518 à 333,070
c'est-à-dire de 72 0/0
Le nombre des rentiers de 12,500 à 2J.500 s'augmentait de 21,482 à 22,019,
c'est-à-dire, 29 0/0.
Celui des rentiersde 22,500 à 100,000s'augmentait de 14,167 à 18,935, c'est-
à-dire, 28 0/0.
Celui des rentiers de 100,000 à 125,000 et au-dessus s'augmentait de 2,152
à 2,907, c'est-à-dire de 28 0/0.
Ainsi chez les riches une augmentation de 28 0/0 contre 72 0/0 dans
la classe moyenne. Le nombre des potentats du capital a diminué en-
core celui des petits capitalistes et ainsi cette loi de Marx opère tout
à fait mal.
Kautsky, le garde orthodoxe sur les murs de Sion, devient eniba-
rassé, et dit que l'on doit accepter cette loi cum grano salis. C'est
couvrir la retraite afin de ne plus présenter la tète à l'ennemi.
Pour rendre la chose plus claire, Tcherkesoff cite une grande mai-
son de commerce de fourrures de Londres, qui a annuellement un
déplacement de plusieurs millions,7,800,000 en 1895. Le commerce est
naturellement très concentré. A la question de savoir si cette maison
en a anéanti beaucoup d'autres, la réponse doit être : « Au contraire,
leur nombre s'est accru. » La firme fait tout pour diminuer les frais de
transport et autres. Elle prospère et les producteurs gagnent plus
qu'auparavant. D'où proviennent alors les grands bénéfices?
Tout le secret est en ceci : si la firme vendait il y a quarante ou
cinquante ans pour 100,000 fr., annuellement avec un salaire de com-
mission de 10 0/0, actuellement au moyen d'un déplacement beaucoup
plus grand, elle rapporte avec un salaire de commission de 1 0/0 une
somme beaucoup plus grande. Diminution du gain sur chaque arti-
cle, mais autant de déplacement que possible de sorte qu'on exploite ,
maintenant 1,000 ou 10,000 producteurs au lieu de 10 ou 100. Voilà la
raison des fabuleuses fortunes d'aujourd'hui.
Et partout l'augmentation se produit de la même manière.
En Hollande, il y avait 683 soeiétés anonymes en 1882
Ce nombre monta à 1327 — 1890
et à 2656 — 1897
En la seule année 1898 il ne s'en adjoignit pas moins de 335 avec un
capital social de 226 millions de francs. En combien de mains se trou-
veraient bien les parts de ces sociétés? Ainsi la concentration du ca-
pital va de pair avec l'augmentation du nombre des capitalistes. Si la
classe ouvrière doit attendre jusqu'à ce que le capital ait supprimé la
classe moyenne, alors elle peut dormir tranquillement. Si le capital
réussit à l'exproprier sous une forme quelconque, par exemple,comme
petit commerçant, petit industriel, petit boutiquier, il le fait revivre
dans une autre, comme associé, actionnaire dans une société ano-
nyme.
Et Tcherkesoff a parfaitement raison de dire :
« 11faut être plus que naïf pour répéter cette absurdité que la bourgeoisie
se soumettra de bon gré à l'expropriation approuvée par un parlement,
parce que le nombre des capitalistes sera ramené à une petite mino-
rité. »
Le programme du parti démocrate socialiste en Allemagne qui a été
704 L HUMANITENOUVELLE

accepté à Erfurt en 1891 commence par la déclaration de principe


suivante :
« Ce développement économique de la société bourgeoise conduit nécessai-
rement àla ruine de la petite industrie.
Avec la monopolisation des moyens de production va de pair l'élouffe-
ment du petit commerce par la colossale grande industrie.
Le nombre des prolétaires s'accroit à mesure que les moyens de produc-
tion se monopolisent au bénéfice d'un nombre relativement restreint de
capitalistes et de grands possédants.»
Tout cela est en contradiction directe avec les assertions de Bern-
stein et nous ne comprenons pas comment il n'a pas senti qu'il parta-
geait une opinion trop différente de celle du parti pour pouvoir encore
y tenir place.
Liebknecht sent le danger que de telles hérésies font courir au
parti, et il s'écriait déjà l'année précédente à Stuttgart :
tSi les conceptions de Bernstein sont exactes,nous pouvons enterrernotre
programme, notre passé et en môme temps la démocratie sociale tout en-
tière; nous devrions cesser d'être un parti prolétaire. »
Voilà le vrai dogmatisme. Ici ce n'est pas la libre recherche qui
décide; non, on dit avant tout : « s'il en est ainsi, alors nous nous
trouvons dans le ruisseau,car c'en est fait de notre démocratie sociale,
c'en est fait de notre situation! »
Tout à fait, n'est-ce pas comme l'orthodoxe qui ne permet pas qu'on
examine ses dogmes, car on pourrait les reconnaître inexacts. Et où
allons-nous donc alors ?
Donc le socialisme se tient et tombe avec la théorie de Marx.
Nous étions-nous donc avancés trop loin en disant que Marx est la
Bible de la démocratie sociale et que la construction artificielle du
parti s'élève et tombe avec le dogme du capital de Marx?
Mais les souris commencent à ronger les fondements de l'édifice,
déjà il y a ça et là des crevasses, des lézardes, des trous par où on
peut voir et sentir que de toutes parts, la foi sacro-sainte du marxisme
est prête de chanceler. Une autorité qui est mise en doute n'est plus
une autorité. Maintenant les vieux marxistes comme Bernstein com-
mencent à y songer ; le marxime est en péril.
Comme tel est ordinairement le cas, l'erreur ne se dissimule pas
seulement chez Marx,'mais chez tous ses disciples, qui se livrent au
surenchérissement de sa doctrine. D'abord on fait d'un homme un
Dieu et plus tard on se plaint qu'il ait été vénéré comme tel, et qu'il
ait consenti à cette adoration.
Bien certainement le Marxisme sera nommé plus tard, le socialisme
dogmatique.
Arrêtons-nous maintenant aux conseils politiques que Bernstein
donne comme guide intellectuel du parti.
Il paraît qu'il considère le socialisme comme un idéal lointain puis-
que provisoirement il ne s'occupe que des conditions qui mèneront à
sa réalisation. Dans l'attente des événements futurs, il peut se nommer
simplement un démocrate et nous pensons que la lutte serait beaucoup
plus franche s'il abandonnait le mot social et se donnait tel qu'il
est. Tant qu'il se nomme socialiste, il se rend coupable, consciem-
ment ou non, d'une imposture.
Suivez l'oeuvre des démocrates socialistes clans les parlements et
LA DEBACLEDU MARXISME 705

vous verrez qu'ils ont fait de la propagande pour tout, excepté pour le
socialisme.Tous les démocrates socialistes qui sont dans les parlements
travaillent pour le socialisme d'Etat, et il ne peut pas on être
autrement, ils doivent nécessairement travailler dans cette direction.
Au lieu d'affaiblir l'Etat pour arriver tout doucement à le supprimer et
ù. le mettre dans un musée de curiosités,on tend à le renforcer,et l'Etat
n'a pas de plus fermes et de plus fidèles amis que les démocrates socia-
listes.
Bernstein indique comme limitation du socialisme « le mouvement
vers l'état de l'ordre social en communauté ».
Comme première condition de la réalisation du socialisme, il admet
un degré limité de développement capitaliste eteomme seconde l'exer-
cice de la domination politique par le parti de la classe ouvrière, la
démocratie sociale. La forme de l'exercice de cette puissance est
selon Marx, dans la période de transition, la dictature du proléta-
riat.
En ce qui concerne la première, Bernstein suppose que la centrali-
sation des professions est une condition nécessaire de la socialisation
de la production et de sa distribution.
Mais à celle-ci, se rattache la seconde, c'est-à-dire la conquête du
pouvoir politique par le prolétariat.
Tout s'emboîte clans ce système.
D'abord concentration de. la production pour la faire entreprendre
par l'Etat, après qu'on l'aura conquise.
Mais nous demandons à tous si ce n'est pas là du socialisme
d'Etat?
En véritable prestidigitateur Liebknecht escamote le nom de socia-
lisme d'Etat et le remplace par capitalisme d'Etat; il conclut alors que
le socialisme d'Etat est franchement oppose à la démocratie
sociale.
Mais nous pénétrons ce petit jeu et nous veillerons à1 avertir les
travailleurs de ne pas se débarasser d'un joug pour se soumettre immé-
diatement à un autre, etclene pas devenir d'esclaves,des patrons capi-
talistes, esclaves d'Etat, car alors il ne vaudrait, pas la peine d'avoir
pour un si mince résultat, engagé tant de combats.
Pourquoi toujours se parer d'une fausse étiquette ? Pourquoi ne pas
dire ouvertement qui l'on est et quel but on poursuit?
Ce que nous trouvons de mieux dans le livre de Bernstein, c'est
qu'il conseille à ses amis de ne plus se dire ce qu'ils ne sont pas.
La conquête du pouvoir peut se faire de deux façons différentes,
c'est-à-dire soit par la lutte parlementaire avec le billet de vote, par
l'usagede tous autres moyens légaux et aussi au moyen de la violence,
au moyen de la révolution.
Marx et Engels penchaient vers le dernier et encore beaucoup
des partisans de Marx le considèrent-ils comme inévitable.
Il nous semble toujours que la différence entre l'anarchie et la
démocratie sociale est plus profonde qu'on ne l'admet habituellement
et que la distinction entre les deux opinions réside surtout dans une
conception tout opposée de la Société.
Comment pourrait-on nommer socialisme la conquête du pouvoir
politique avec un Jaurès, un Rouanet?
Comment le congrès de Londres de 1896, aurait-il pu dire autrement
4» ANNÉE, XXXVI. 5
706 L'HUMANITÉNOUVELLE

que « la conquête du pouvoir politique est le moyen par excellence-


par lequel les travailleurs peuvent arriver à leur émancipation, à
l'affranchissement de l'homme et du citoyen, par lequel ils peuvent
établir la République socialiste internationale ».
Ainsi donc la conquête du pouvoir politique !
Cela semble très simple et très joli, mais a-t-on songé à ce que cela
veut dire exactement ?
Nous allons essayer de faire comprendre à tous, ccque signifie cette
expression: la conquête du pouvoir politique.
Los Etats moderne* ont presque partout accepté le système parle-
mentaire, dont l'Angleterre est le pays d'origine ; en général l'organi-
sation est partout la même.
Il y a trois sortes de pouvoirs :
1° le pouvoir exécutif;
2° — législatif;
3° — judiciaire.
Le pouvoir exécutif est le couronnement ou la plus haute autorité
que revêt le gouvernement.
Lo pouvoir législatif est le plus généralement scindé en deux, c'est-
à-dire en une première Chambre ou Sénat et en une seconde Chambre
ou Parlement. On connaît l'étymologie spirituelle qui a été donnée du
mot Parlement. Il est composé dos deux mots parler et mentir. Peut-»on
mieux caractériser les parlementaires que par ces deux mots ?
Le pouvoir judiciaire est nommé par le pouvoir exécutif, soi-disant
pour exercer la justice. La plupart du temps ces fonctionnaires judi-
ciaires sont nommés à vie,et ainsi dès qu'ils sont nommés on ne peut
plus, sinon clans des cas peu fréquents, se débarrasser de ces mes-
sieurs.
On ne peut ainsi exercer d'influence sur les premier et troisième
pouvoirs.
Reste le pouvoir législatif.
Aucune proposition n'obtient force de loi, à moins qu'elle n'ait
reçu l'approbation autant de la première chambre, que de la seconde.
Je prends maintenant comme exemple la Hollande, chacun pourra
remplacer ces chiffres par ceux qu'il désire.
La première Chambre est composée de 50, la deuxième de 100
membres.
Pour cette raison on nomme cette dernière la Chambre des cent,
ou n°100.
Dans ce pays le suffrage n'est pas universel pour tous les sujets
mâles et majeurs, mais limité.
Cela importe peu en somme, pour la chose en elle-même, mais le
pouvoir politique est plus difficile à conquérir.
Tout d'abord on doit s'efforcer d'obtenir dans la seconde chambre
. ôO-f-l voix, donc 51 démocrates, car dans tous les pays la moitié plus
un a le pouvoir en mains pour tyranniser la moitié moins un.
Ce n'est pas facile, car en Allemagne on a le suffrage universel
depuis 1866, donc depuis 34 ans, et on n'a pu obtenir au Reichstag que
56 démocrates-socialistes jusqu'à ce jour, et lo Reichstag est composé
d'environ 40!) membres. Il devient de plus en plus difficile de gagner
d'autres sièges , on ne peut y parvenir qu'en concluant un compromis
avec d'autres partis — ce qui s'accompagne toujours d'un affaiblisse-
LADEBACLE
DUMARXISME 707

ment des principes. Mais supposons qu'on continue à gagner du ter-


rain dans la même proportion, on peut compter le nombre d'années
qui devront s'écouler avant que la majorité soit obtenue. En France
on possède le suffrage universel depuis plus longtemps encore, depuis
1848, (donc 52 ans) et quel est le nombre des socialistes des différentes
nuances en comparaison de celui des autres membres de la chambre?
Avant tout, on ne doit pas se créer d'illusions au sujet du suffrage
universel ; c'est par l'argent qu'on peut le mieux le manoeuvrer. Qu'on
considère les Etats-Unis de l'Amérique du Nord où, chacun le sait,
triomphe le parti qui dispose des bourses les mieux garnies. C'est le
dollar qui, lors des élections, donne le coup de grâce.. Si le suffrage
universel était le meilleur moyen de sauvegarde contre la tyrannie,
pourquoi sont-co les despotes qui l'ont donné, comme Bismark en
Allemagne, ou savent l'employer comme Napoléon III en France? Si
jamais quelqu'un put dire en montant sur le trône : « Je suis ici en
vertu de la loi », ce fut bien Napoléon III après le plébiscite.
Nous voyons donc qu'en tous cas bien des années se passeront
avant qu'on obtienne une majorité dans la seconde chambre.
Mais supposons qu'on y soit parvenu, ce n'est encore rien, car on a
également besoin d'une majorité dans la première chambre.
Et comment est composée une première chambre?
La dénomination de représentation des gros sacs d'argent lui est
toujours parfaitement applicable.
On doit là aussi avoir une majorité de 25-f-l.
Peut-on imaginer que jamais les démocrates-socialistes parvien-
dront à obtenir la majorité dans la représentation des gros sacs
d'argent ?
C'est à proprement parler tirer une traite sur l'éternité que de tra-
vailler clans un but qu'on sait pertinemment ne pouvoir atteindre.
Mais à supposer que l'impossible se réalise, que dans'la seconde
chambre on dispose de 50-4-1voix et dans la première de 254-1 alors
tout serait arrangé I
Halte ! ne concluons pas si vite.
Nous nous heurtons maintenant au pouvoir exécutif.
Supposons qu'il ne veuille pas mettre à exécution les décisions du
pouvoir législatif ; supposons que brutalement il n'en tienne aucun
compte, que faire dans ce cas?
Il doit se retirer alors, nous répond-on triomphalement.
Mais s'il ne se retire pas?
Alors on repoussera les budgets et on forcera le gouvernement à ,
fléchir en lui refusant tout argent.
Et si cela n'y fait rien ?
Mais c'est de l'exagération, dira-t-on, il sera bien forcé de céder
alors?
Nous n'en sommes pas persuadé. '
Et pourquoi ?
Parce que dans ces dernières années deux faits se sont produits
nous montrant que lorsqu'on heurte des personnages gouvernemen-
taux, aux moeurs brutales, on n'en vient pas si facilement à bout.
A l'époque où Bismark était ministre de Prusse, il était particuliè-
rement haï, en tant que réactionnaire, parles nationaux libéraux qui
/•armaient alors la majorité au landtag prussien. Pour se débarrasser
70S L'HUMANITÉ NOUVELLE

de lui, on rejeta son budget, car on supposait qu'il serait bien alors
forcé de s'en aller.
Mais il n'en fit rien.
Il resta au gouvernement, appuyé par son ami, le roi de Prusse. Il
ne s'inquiéta nullement de sa mésaventure et gouverna tout simple-
ment sans budget.
La guerre germano-danoise éclata en 1864 et se termina par une
victoire sur le petit Danemark. Ensuite suivit, en 1866, la guerre
entre la Prusse et l'Autriche, et celle-ci aussi finit par un succès de la
Prusse. Le succès régit le monde. Et lorsque Bismark eut remporté
. tant de succès, il devint, lui l'homme le plus haï jadis, le plus popu-
laire de tous; et on a vu que tous ses anciens péchés lui furent
pardonnes, et qu'il rentra en grâce. Ou plutôt lui, le puissant, eut la
grande bonté d'accorder leur grâce aux membres du parti national
libéral, bien qu'à proprement parler il ne l'oublia jamais. La conces-
sion du suffrage universel à l'ancienne Confédération du Nord do
l'Allemagne ne fut rien autre qu'une vengeance de Bismark exercée
contre les nationaux libéraux. Et cela lui roussit parfaitement. Il a
par le suffrage universel anéanti les nationaux libéraux qui possé-
daient auparavant la majorité.
On put constater un cas semblable en Danemark où le ministre
Estrup resta avec l'aide du roi pendant plusieurs années au pouvoir,
bien que la majorité repoussât chaque année ses budgets.
(,)uel instrument de puissance possède lu pouvoir législatif pour
mater l'exécutif?
Pas un seul.
Lorsque le pouvoir exécutif, qui dispose de l'armée, envoie un
peloton de soldats à la Chambre pour la dissoudre par la violence,
que peut-on contre lui ?
C'est le pouvoir qui délibère et la puissance n'est pas dans les col-
lèges parlementaires, mais dans le pouvoir exécutif qui agit.
Lassalle a dit cela très bien dans sa magistrale conférence « l'ber
Yerfassungswesen :
« Les princes sont beaucoup mieux servis que le peuple I Les serviteurs
des princes ne sont pas des orateurs, comme le sont souvent les serviteurs
du peuple, mais des gens pratiques qui savent agir. C'est pour cela qu'on
désarma d'abord (en 1848) les citoyens. C'est ce qu'il y o. de plus intelligent,
à faire pour ne pas à tout moment renouveler la lutte. »
Voilà donc la situation réelle.
Le gouvernement est maintenant l'instrument dont la classi; possé-
dante se sert pour opprimer les non possédants, et peut-on s'ima-
giner que bénévolement il fera abandon de son pouvoir? Le pou-
voir législatif prend une mesure par laquelle il empiète sur les
droits de la classe possédante, par exemple il augmente de tant pour
cent les impôts de succession, disons annuellement de 4 0/0; dans
un espace de vingt-cinq ans, tous les capitaux reviendraient ainsi
entre les mains de l'Etat. Ne pense-t-on pas que la classe possé-
dante aurait recours à tous les moyens, même à une contre-révolution
pour empêcher cet état de choses?
Ou bien si on décide, à la majorité des voix, l'abolition de la
royauté, s'imagine-t-on que le roi dira, très calme : « Je vois que
vous ne voulez plus de mes services, je m'en vais! » Eh non! Celui
LA DEBACLEDU MARXISME 709

qui détient le commandement de l'armée, mettra tout en oeuvre plutôt


que d'abandonner volontairement ses bénéfices et sa facile carrière.
Que peut le parlementarisme, par exemple, contre l'accumulation
du capital, la constitution des trusts, l'invention de machines toujours
plus perfectionnées ? Absolument rien. Capital signifie despotisme.
C'est un géant cuirassé contre lequel les piles de papier du Parlement
vont se heurter sans qu'il en souffre le moindre dommage.
On crie toujours : « Conquête du pouvoir politique ! » Mais que les
ouvriers se rendent une bonne fois compte de la valeur de cette
phrase, qu'ils comprennent qu'ainsi la solution du problème est
reculée jusque dans un avenir très lointain, d'un millier d'années
peut-être, et les travailleurs ne se laisseront plus tromper par ces
mots.
Le suffrage universel sans égalité économique n'est qu'une duperie.
Une pièce de vingt francs dans la main d'un affamé n'a-t-elle pas
beaucoup plus de valeur pour lui que toutes les promesses d'amélio-
rations futures des socialistes?
Il est triste d'être obligé de dire ces choses à des anciens compa-
gnons do combat, qui au fond, lo savent aussi bien que nous.
Prenez l'excellente brochure de Liebknecht, sur l'altitude politique,
de la social-démocratie, spécialement par rapport au Parlement de
l'année 1869 » Si je parle souvent de Liebknecht et des allemands,
c'est parce que je préfère prendre lé modèle et non la copie, qui en est
souvent la caricature, comme chez nous en Hollande. Dans l'industrie,
an connaît le mot : made in (lermany (fabriqué en Allemagne) ; eh
bien, on peut dire du parti social-démocrate international : made in
Germany, c'est-à-dire fabriqué selon le modèle allemand.
Vous y lirez que dans l'état absolutiste, le suffrage universel, sui-
vant l'auteur, ne peut être qu'un jouet et un instrument de l'absolu-
tisme, que le suffrage universel est accepté, non comme un levier de
la démocratie, mais comme une arme pour la réaction. Oui, il va
jusqu'à soutenir qu'en Prusse, il n'y a pas un député élu au Reichstag,
par conséquent, pas de social démocrate, dont le gouvernement com-
batte sérieusement la candidature. Et nous rappelons encore ce qu'il
écrit :
« Supposons que le gouvernement ne fasse pas usage de son droit soit par
conviction de sa force, soit par esprit de calcul, et qu'on en arrive (comme
c'est le rêve de quelques politiciens socialistes) à constituer au Parlement
une majorité social-démocratique, que ferait-elle ? Ici commence la
véritable difficulté. Le moment est arrivé de réformer la société et
l'Etat. La majorilé prend une décision faisant date dans les annales de
l'histoire universelle ; les nouveaux temps sont arrivés! Oh, rien de tout
cela... Une compagnie de soldats chasse la majorité social-démocratique
hors du temple et si ces messieurs ne se laissent pas faire facilement,
quelques agents de police les conduiront à la « Stadvoipteiti (préfecture),
où ils auront lo temps de réfléchir à leur conduite don-quichottesque. »
C'est donc prêcher des convertis, que de raconter de telles choses.
Ils le savent très bien, mais ils s'entendent encore mieux à conduire
les travailleurs à contre-sens. Et pour ces gens-là, la question sociale
est résolue, dès qu'elle l'est pour eux personnellement.
Au cours de près de 25 ans, pendant lesquels j'ai eu l'occasion
d'observer les choses dans les différents pays, j'ai vu nombre d'ardents
socialistes d'antan, changés en démocrates-socialistes honorables,
710 L HUMANITÉ NOUVELLE

parlementaires, frisés et pommadés. Jadis ils étaient de pauvres, mais


honnêtes gens, qui se vouaient à la cause sainte et maintenant les
mêmes hommes sont en meilleure situation,libres de soucis, mais en
même temps, sont changés du tout au tout. Ils prêchent aujour-
d'hui la patience, parce qu'ils ont le temps d'attendre et ils adressent
aux pauvres prolétaires précisément les mêmes paroles avec lesquelles
les bernaient jadis leurs adversaires.
Bernstein paraît considérer les élections et l'activité parlementaire
comme travail négatif, du moins il dit : « au travail positif pour
l'émancipation socialiste, un pourcentage beaucoup plus restreint de
travailleurs prend part. » Vers la fin de 1897, on comptait en
Allemagne 420,000 ouvriers organisés par professions, dont le nom-
bre total d'hommes s'élevait à'6,165,735 et si on y ajoute les 80,000
membres des unions de Hirsch-Duncker, on arrive à une proportion
de 1 ouvrier organisé sur 11 qui ne le sont pas.
Il admet aussi ce qui; nous avons soutenu toujours, que la pratique
.iiarxiste est une politique de prépondérance, fondée sur la conquête
iu pouvoir politique et qu'on a négligé le pouvoir corporatif. On ne
pourrait pas dire cela ouvertement, de crainte de faire du tort au
moment des élections, mais on voit toujours avec dépit les différentes
grèves et on les proposait toujours avec beaucoup de précautions,
comme une épée à double tranchant, ce qui n'avait pas besoin d'être
dit, car les travailleurs le sentent mieux eux-mêmes. Certainement,
on soutenait les grèves quand on ne pouvait pas faire autrement, mais
à l'écart on s'en détournait avec répulsion. Combien de fois est-il
arrivé qu'on a répondu négativement àdcsdomandesdesecours pécu-
niaires pour les grévistes, failes par la caisse centrale, sous le pré-
texte qu'il n'y avait pas d'argent, tandis qu'il y en a toujours pour
soutenir les candidatsà la Chambreou au Conseil municipal? Le centre
de gravité était clans le combat politique, non dans la lutte écono-
mique, et comme on ne peut servirdeux maîtres à la fois, on réservait
toutes ses sympathies, tout son amour, pour les élections.
La lutte économique qui doit mettre le prolétariat organisé on état
de réaliser contre toutes les législations ses buts révolutionnaires,
est regardée avec méfiance et répugnance par tous les politiciens.
Cela se voit par exemple dans leurs opinions au sujet de la grève
générale.
Les opinions des deux fractions sont donc diamétralement diffé-
rentes : ils veulent augmenter le pouvoir de l'Etat, ou comme un des
leurs le disait : développer l'Etal dans toute son élévation et sa pureté
et nous au contraire nous ne voulons pas accorder de plus grands
pouvoirs à l'Etat, mais lui enlever celui qu'il possède encore.
On parle beaucoup d'utopie, on jette cette accusation à la tète des
anarchistes, mais nous voudrions bien savoir quel.autre mot qu'uto-
PJsme pourrait être donné aux efforts qui ont pour but d'augmenter
l'iufluence du parlement bourgeois et avec l'aide de la puissance de
l'Etat conquise, restaurer une organisation communiste de la Société.
Si le but doit être, d'après la résolution du Congrès de Londres, de
conquérir le peuvoir politique et si le socialisme y parvient, nous
pensons que la direction marxiste de ce parti représente le plus pur
utopisme socialiste.
En dernière instance, personne n'y croit, pas même Bernstein, car
comme nous l'indiquions, les gouvernements disposent dans tous les
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 711

pays des moyens d'autorité et de force qui mettent entre leurs mains
l'armée, la police, la justice, c'est-à-dire les canons, les fusils, les
prisons, moyens qui mettent toute puissance et par là même tous
droits, non du côté des représentants du peuple, mais du leur.
Tout se rattache à cettequestion décisive: les intérêts économiques
régissent-ils tout, ot par conséquent aussi la politique, ou les intérêts
politiques régissent-ils les intérêts économiques?
Suivant la conception marxiste, c'est le premier cas, et suivant un
marxiste donc, c'est une hérésie de se conduire dans la pratique
comme le fait le parti démocrate socialiste allemand et celui do tous
les autres pays .à la suite, comme si sa seconde théorie était la
bonne.
Cette faute de logique doit avoir ses suites fatales et elle les a, car
théoriquement eettc doctrine ne peut être maintenue.
Le parlement reste à proprement parler, la machinerie légale delà
société bourgeoise reposant sur la propriété privée, et ne peut être
employé que dans ces sociétés et pour la classe bourgeoise qui y gou-
verne.
Nous nous laisserons guider par un témoin qui n'est pas suspect
pour voir comment dans le pays le plus démocratique du monde, aux
Etats-Unis, tout est soumis au pouvoir de l'argent. Nous voulons
parler d'un livre de l'Américain Lloyd.
Le trust est actuellement le pouvoir qui gouverne tout.
Celui qui veut le connaître, doit commencer par les chemins de fer.
Ils sont en Amérique la propriété de sociétés particulières et malgré
nombre de dispositions légales, elles font de leur propriété ce qu'elles
veulent. Celuiqui est propriétaire des grandes voies de communication,
celui là est maître de toutes les branches de l'industrie qui doivent
nécessairement transporter leurs produits par ces voies, j
Un rapport dit : Les Sociétés de chemins de fer ont effectivement en
mains,outre le transportées productions des mines et ont formé une
combinaison pour réglementer ces produits et en fixer le prix.
L'industrie du pétrole date de l'année 1860. Il y avait un libre mar-
ché pour l'huile,ot il est prospère clans certains districts; les salaires
étaient élevés. Vers 1872, la production annuelle atteignait 6 millions
détonnes.
Alors,sans qu'on sut comment, se produisit une panique.
Une commission d'enquête révéla qu'un petit groupe d'individus
possédant de grandes dispositions pour les affaires — ils étaient
treize en nombre—qui s'intitulaient la South Improvement Company,
(société ayant pour but d'améliorer la situation dans le Sud), s'était
uni en secret avec la société des chemins de fer pour s'assurer de
cette façon le monopole dû commerce du pétrole.
Il est bien vrai que l'opinion publique réclama et obtint la dissolu-
tion de cette «combinaison» mais elle reparut sous d'autres formes. De
ces treize individus, il y en eut plus tard dix qui firent partie du Stan-
dard Oit Trust. Et on eut beau créer les dispositions légales qu'on
voulut, rien n'y fit. Ils réussirent à supprimer toute concurrence.
En 1865, on commença à employer la canalisation par tuyaux, de
sorte que pour le transport on pouvait se passer des sociétés de che-
mins de fer. En 1894, il y avait 20 de ces lignes par tuyaux, mais les
sociétés de chemins de fer transportèrent pour la combinaison, à
•meilleur marché, que les meilleures lignes par tuyaux ne pouvaient le
712 L HUMANITE NOUVELLE

faire. Cellos-ci furent ruinées. Alors la combinaison les racheta comme


vieux fer et la canalisation par tuyaux revint entre ses mains. Sous
différents noms le transport soit par chemins de fer soit par canalisa-
tion fut en une seule main. Tous les produits étaient au pouvoir de la
combinaison . On fit encore un effort pour l'établissement d'une cana-
lisation par tuyaux dans la direction de la côte, ce fut la Tidewater
Pipe-Linc, mais on n'épargnaaucun moyenpoursa ruine. Enfinla cana-
lisation fut entièrement dérangée, parce que par hasard (?) on avait
introduit un bloc de bois dans les tuyaux. On ne put trouver l'auteur
du méfait, mais chacun sentait bien qui on devait réellement accuser.
Cette Société conclut la paix en 1883 en consentant à devenir une
section du Trust. C'est ainsi qu'on réussit en Amérique à mettre cet
immense commerce du pétrole entre les mainsd'un consortium de sept
individus, grands artistes en affaires, les Napoléons de la finance et
de l'industrie.
Un autre exemple nous est donné par le trust du whisky.
En 1888 toutes les distilleries à l'exception de deux étaient dans le
trust. Une de ces deux se trouvait à Chicago. On médita sur ce qu'on
devait faire avec un concurrent de si mauvais caractère qui ne voulait
pas composer avec les autres. En avril on découvrit un espion clans
cette distillerie non affiliée; chacun comprend dans quel but il avait
été placé là. En septembre on remarqua qu'une des soupapes de sûreté
était si fortement chargée qu'une explosion aurait dû se produire si
on ne l'avait pas découvert. En octobre, la direction fit savoir qu'elle
avait refusé une offre de un million de dollars faite par la combinaison
et en décembre il y eut une explosion de dynamite dont les auteurs no
furent jamais connus. Par un hasard providentiel la fabrique fut épar-
gnée, bien qu'il y eut des dégâts considérables.
En 1891, le secrétaire du trust fut soudainement arrêté; on l'accu-
sait d'avoir voulu corrompre un employé des contributions pour faire
sauter la distillerie qui était restée indépendante. Le secrétaire fut
poursuivi, mais les administrateurs du trust résolureut de le sou-
tenir. Et le résultat? Il fut déchargé de toutes poursuites et remis en
liberté.
Quelle fut la suite de l'enquête?
Un employé des contributions déclara avoir eu une conversation
avec ce secrétaire qui lui avait dit :
« Vous pouvez conclure une magnifique affaire pour nous et pour vous.
Vous pouvez gagner 10.000 dollars (50.000 francs), oui, laissez-moi dire,
vous pouvez gagner 25.000 dollars (125.000 francs).» Ce fonctionnaire com-
muniqua la chose à son chef qui lui donna ce conseil : « Continuez ces né-
gociations, mais après chaque entretien instruisez-moi soigneusement de ce
qui a été dit. » L'employé obéit. Lors delà seconde entrevue avec le secré-
taire, celui-ci lui parla d'un objet qu'il devait mettre sous les chaudières de
la distillerie.
ceApi es trois ou quatre heures une explosion se produira. Personne
ne subira do dommage, pas même les propriétaires de la distillerie,
car ils sont bien assurés, et le coup en aidera bien d'autres. »
A la troisième entrevue il reçut toute une machine infernale avec
les instructions nécessaires du secrétaire. Il devait encore attendre
quelques jours avant de mettre le coup à exécution, car le secrétaire
voulait d'abord acheter encore quelques parts dans lo trust, parts qui
hausseraient naturellement lorsque le dernier concurrent aurait dis-
LA DÉBÂCLE DU MARXISME 713

paru. Le fonctionnaire livra l'appareil à la justice et déposa sa plainte.


D'accord avec le parquet qui le tenait d'abord pour un fou, il écrivit
une lettre au secrétaire concernant quelques détails d'exécution et
demanda encore un entretien. Le secrétaire revint à l'hôtel connu de
lui et fut arrêté.
L'appareil et la matière explosive qui devait y être employée furent
examinés par la justice. Que résulta-t-il de cotte enquête ? La certitude
que l'explosion ne se serait pas produite trois heures, mais
trois secondes après le placement de l'engin!
On se débarrassait ainsi en même temps du témoin dangereux du
crime.
Quelques mois plus tard la distillerie était achetée par la com-
binaison.
Nous n'avons parlé ici que d'une tentative do destruction criminelle
et que du fait d'accaparement, mais on pourrait indiquer ailleurs des
crimes réellement commis contre des concurrents obstinés. Tout
fut mis en oeuvre pour atteindre le but.
Les monopoliseurs sont millionnaires, et les millionnaires régis-
sent la production ot ainsi la vie.
Et que fait la législature contre cet ordre de choses ?
Toutes sortes de loi sont imaginées pour détrôner ces rois de l'or,
mais elle sont dans la pratique restées inefficaces.La loi est unréseau
plein do mailles, assez grand pour qu'on puisse s'y glisser furtive-
ment.
Et les tribunaux n'y peuvent rien. Qu'on lise les plaintes des inspec-
teurs et des inspectrices qui accusent les fabricants et on verra qu'ils
sont condamnés, si tel est le cas toutefois à des amendes ridiculement
minimes.
Un cas se présente d'une amende de 250 dollars, et une aussi de
trois sous. !
Le pouvoir de l'argent détruit toutes les lois.
Les juges lui sont soumis, et les collèges gouvernementaux sont des
corps dans lesquels on va faire des affaires. Oui, toute la politique
entière n'est-elle pas devenue une affaire ? La politique est-elle autre
chose qu'un jeu de polichinelles ?
Comme on demandait au président du trust des sucres pendant une
enquête si son établissement dépensait de l'argent pour les élections,
il répondit :
« Nous le faisons toujours.flaH.s- l'Etal de New-York, où les démocrates
peuvent gagner avec une petite majorité, nous nous efforçons de les
faire gagner. Dam l'Etat de Massachussets oh les républicains peuvent
juste arriver, nous appuyons ces derniers. Car là ou il y aune majorité
puissante et dominante, nous F appuyons de notre argent,parce que cette
majorité régit toutes les affaires locales. A ces affaires locales appar-
tiennent aussi les élections pour le Sénat et pour là présidence. »
Le pouvoir de l'argent domine la politique.
C'est ainsi que le New- Yorh World exprimait l'opinion que la rati-
fication d'un traité d'extradition accordé en 1894 à la Russie par les
Etats-Unis était dû au Standard OU Trust, qui comme service réci-
proque du gouvernement russe obtint son influence dans l'accord
conclu contre les producteurs de pétrole russe et le Standard OU
Trust.
L'église est aussi à son service.
714 L HUMANITE NOUVELLE

En voici un joli exemple.


Un directeur de compagnie de pétrole indépendante et opiniâtre,
était .vonnu comme un homme pieux ; il était membre du conseil de
la paroisse. Un jour le pasteur de la commune vint lui conseiller de
ne plus solliciter de situation dans la paroisse, parce qu'il avait pen-
dant si longtemps persévéré à vendre du pétrole sans l'assentiment du
trust- Beaucoup de membres de la commune le considéraient comme
un homme opiniâtre et un agitateur. Il était indigné de ce culte de
l'argent qui se rencontrait dans l'église même.
Un journal ecclésiastique autorisé témoigna que quatre des hauts
administrateurs du trust des pétroles étaient des chrétiens excellents,
« remplissant leurs devoirs religieux avec soin et contribuant pour
une grande part aux généreuses et philanthropiques institutions
chrétiennes. »
C'est précisément parce qu'ils donnent beaucoup d'argent qu'ils
sont loués comme bons chrétiens, bien qu'ils commettent dos actes
ignobles contre leurs coreligionnaires. L'église ne s'inquiète pas
comment ses serviteurs gagnent l'argent pourvu qu'ils lui en donnent.
Qu'est-ce que la philanthropie, sinon prendre en grand et rendre en
petit ? Et l'homme qui sur son butin prélève un dixième ou plus pour
des oeuvres de charité, obtient de l'Eglise carte blanche pour agir
ainsi et est loué comme un bienfaiteur de la race humaine.
On disait du président du trust : « Il prie si bien ! »
Et cela alla à tel point que le Standard OU trust fui loué par un ser-
viteur haut placé de l'Eglise comme « une institution équitable et
chrétienne. Toutes les attaques communistes doivent être attribuées
à la jalousie de ceux qui envient la prospérité des autres. »
Sous cette dernière remarque se cache beaucoup de vérité, mais
pour cela un trust semblable n'est pas encore une institution chré-
tienne équitable !
Le Lloyd s'exprime ainsi :
« Le rêve du roi qui souhaitait que tous ses sujets n'eussent qu'une seule
tête aûn que d'un seul coup il put l'abattre, est réalisé aujourd'hui par
notre système d'étranglement dans l'industrie.. Le Trust n'a qu'à serrer lo
lacet un peu fort, tous les cous sont brisés. »
Et avec beaucoup de justice, il résumait ainsi son opinion :
« Si on prend comme mobile le principe de faire des affaires :
prendre autant que possible, donner aussi peu que possible, étant
donnée la domination légale et économique de quelques-uns sur le
plus grand nombre, ce qui est possible dans l'organisation de la situa-
tion actuelle, si la marche n'en est pas moclifiéeou arrêtée,le résultat
ne peut être que le retour au vieil esclavage. On peut lui donner un
nom plus beau, mais ce ne sera pas plus beau en fait. »
Macaulay n'a-t-il pas prédit que si notre civilisation est dévastée,
ce ne sera pas par les barbares des classes inférieures de la so-
ciété ?
Non, nos barbares viennent d'en haut.Pour les rois de l'ar-
gent, la science est un répertoire de remplois financiers qui sont
rassemblés par la nature en vue des trusts, les gouvernements des
sources de privilèges, les nations des chalands pour leurs marchan-
dises. Mais notre écrivain ajoute cette remarque :
LA DEBACLE DU MARXISME 715

« Les administrateurs de trusts sont-ils donc alors des monstres de


méchanceté ? '
Nos tyrans sont notre propre idéal devenu chair et os, des hommes
nés pour gouverner. Nous les avons faits ce qu'ils sont. Tout gouverne-
ment est une représentation ; également le gouvernement dans l'industrie.
Nous nous trompons lorsque nous cherchons la solution de ces problèmes
en croyant que nos rois d'affaires sont de sorte plus mauvaise que nous-
mêmes. Us sont simplement plus forts dans le mal. Il y a une rivalité dans
le mal et les vainqueurs sont les plus forts. Et cependant, s'il y avait quelque
chose de plus bas encore, ils concourraient aussi et s'ils ne triomphent
pas, ils injurient. Et la masse des bourgeois n un sentiment de regret plus
ou moins dissimulé de n'avoir pu frapper un aussi bon coup.»
On voit que démocratie et ploutocratie peuvent très bien marcher
de pair, et que la ploutocratie peut réduire la démocratie à une
fiction.
L'affaire du Panama et celle des chemins de fer Sud-orientaux
n'ont-elles pas prouvé que tous les partis politiques se sont
compromis et que l'un n'a rien à reprocher à l'autre sur ce point? Né
voyons-nous pas aussi qu'on aime à s'épargner les uns les autres
parce qu'on sent très bien que : hodie libi, crus mihi (aujourd'hui ton
tour, domain le mien).
Et s'imagine-t-on que si les monopoles existants étaient transfor-
més enun grand monopole d'Etat, il y aurait un ternie à tous cesabus,
et qu'en effet le fléau serait arrêté? Naïve supposition ! Les formes
seraient changées et un plus beau nom leur serait donné, mais dans
son essence la chose serait la même et ne serait pas plus belle. Le
socialisme d'Etat que les parlementaires nous représentent avec son
monopolo d'Etat est bien capable de faire des individus des esclaves
d'Etat, peut-être des esclaves d'Etat bien nourris,mais nullement des
citoyens libres dans une société libre. ;
Mais les démocrates socialistes ont perdu le sentiment de la
liberté. Autrement, il serait impossible que Kautsky ait pu impuné-
ment écrire sans une protestation au sein du congrès :
« Dans la société socialiste, tousles moyens de production seront concentrés
dans l'Etat et il n'y aura pas de choix. Les travailleurs de nos jours
jouissent de plus de liberté qu'ils n'en auront dans la société
socialiste. »
Magnifique perspective!
On avoue ainsi que la société socialiste accordera encore moins de
liberté que celle d'aujourd'hui et que le travailleurauradans la société
future une diminution de liberté et par conséquent une augmentation
d'esclavage. On change de maîtres, mais il reste des maîtres. Voilà
les bienfaits de la démocratie sociale d'après ses propres porte-
paroles! Et si Marx vivait encore et s'il n'était pas entièrement
absorbé par la Bauernf angerei comme les démocrates socialistes
allemands, il flétrirait l'esprit socialiste comme un esprit d'épicier,
si justement caractérisé par lui clans son 18 Brumaire :
« On a émoussé la pointe révolutionnaire des revendications sociales du
prolétariat pour leur donner une tournure démocratique. »
Le courant de la petite bourgeoisie a gagné cela et a entraîné aussi
Bebel et Liebknecht clans le courant.
« Qui croit que les conditions particulières de son émancipation Fon^
716 L HUMANITE NOUVELLE

les conditions générales sous lesquelles seulement la société ^moderne


peut obtenir sa libération et éviter la lutte des classes. »
Est-il étonnant que Merlino ait dit du programme d'Erfurt :
« Tet est le programme d'Erfurt, fruit de quinze ans de réaction socialiste
et d'agitation électorale, à base de suffrage universel accordé aux classes
ouvrières pour les tromper, les diviser et les détourner de la voie révolu-
tionnaire. »
C'est à dessein que nous nous sommes longuement arrêté sur ce
point, parce que c'est le point cardinal autour duquel s'oriente la
lutte.
Si on donne à l'action économique une place secondaire, inférieure,
on ne peut que négliger le mouvement corporatif et économique, et
ce reproche si souvent jeté à la tête des marxistes ne peut être repoussé
par quelques déclarations d'amour platonique et des démonstrations
de sympathies ampoulées.
Si les démocrates socialistes dévoilent un jour le groupe statuaire
représentant le « Triomphe de la Démocratie », avec une allocution
de l'un ou de l'autre Millerand (ne pas confondre avec T&lleyrand),
cela aura lieu lorsqu'ils auront rendu inoffensifs les hommes qui
aiment la liberté, en premier lieu les anarchistes, soit en les empri-
sonnant, soit en les bannissant, soit en les fusillant selon la méthode
du vieux député Chauvin. Los démocrates socialistes autoritaires sont
ainsi franchement opposés aux anarchistes, car de même que ceux-ci
estiment que le triomphé de la liberté doit être la condition sine qua
non de tout, de même les autres veulent l'étouffer.
Si paradoxal que cela puisse paraître, la distance qui sépare le pape
Léon XIII et ses trabans de la phalange démocrate socialiste Lieb-
knecht-Bebel-Adler-Vandervelde-Millerand-Guesde n'est pas si
grande que celle qui existe entre les derniers nommés et nous. Toute
la réaction, depuis Léon XIII jusqu'à Liebknecht est la ligue d'auto-
rité, se querellant réciproquement non pas sur le principe, mais sur
la source et la mesure de l'autorité, et se tenant armée contre les
défenseurs de la liberté qui trouvent que la question sociale ne sera
pas résolue quand on aura rempli tous les estomacs, mais qui pensent
que l'homme, l'homme pensant, ne peut être heureux que s'il respire
dans une atmosphère de liberté.
Considérée à ce point de vue, toute la lutte entre Bernstein et
Kautsky-Bebel est une niaiserie,et la colère qui s'est déchaînée contre
Bernstein peut seulement être bien comprise si on considère que le
premier a dévoilé le secret que les autres cachaient soigneusement
dans leur sein. « Ces choses-là, on ne les dit pas, on les fait (Auer).»
Cependant Kautsky attaque vivement Bernstein, maisil ne faut pas
perdre de vue qu'il concède en partie, bien que ce soit avec quelques
restrictions, qu'il pétrit, roule et tourne la théorie de Marx au point
qu'il n'en reste plus grand'chose.
En général Kautsky concède que la théorie de Marx doit être com-
plétée, améliorée, assaisonnée cum grano salis, mais en particulier il
n'admet pas de défautsou essaie de les pallier avec une telle abondance
de paroles qu'on penserait qu'en somme les plus grandes cireurs sont
les plus hautes qualités de son oeuvre.
Ecoutons ce que Bernstein appelle démocratie.
Il n'est pas satisfait de la version « souveraineté populaire », il
LA DEBACLEDU MARXISME . 717

pense qu'on est plus près de la chose si on traduit négativement


« démocratie » pur absence de souveraineté déclasse, s'il est question
d'un état social dans lequel aucun privilège n'est accordé à aucune
classe au détriment d'une autre. Il se rapproche ici même de l'anar-
chie, s'il nomme démocratie absence de toute souveraineté, cette
signification s'identifie avec celle de l'anarchie. Il semble que l'op-
pression de l'individu par la majorité commence aie gêner. « Nous
trouvons actuellement contraire à l'idée démocratique l'oppression de
la minorité par la majorité, quoique originairement, elle fut considé-
rée comme se conciliant parfaitementavec lasouveraineté populaire ».
Toutefois la minorité n'y gagne rien, car même dans le parti de la
démocratie sociale, on condamne la minorité et on laforce à se sou-
mettre aux résultats de la majorité et ainsi on agit constamment d'une
manière contraire à la démocratie.
On connait le lloma locula est (Rome a parlé), par lequel on met
fin aux raisonnements, car quand Rome a parlé, tout est fini. Et cette
théorie est si profondément, ancrée que dernièrement l'abbé Daens, de
Belgique, qui avait eu un différend avec son évoque, déclara qu'il se
tairait et se soumettrait si le pape le lui ordonnait. C'est donc l'individu
vinculé par la parole puissante de l'autorité.
Le parti de la démocratie sociale qui est ainsi modelé en tout sur le
patron de l'église catholique, agit de même. On peut se quereller,
s'injurier, comme on a l'habitude do le faire régulièrement dans les
congrès, mais lorsque le congrès a parlé, alors tout est fini et on
demande à tous les bons compagnons du parti do se soumettre à sa
décision.
« A mesure que la démocratie prend droit do cité cl régit la conscience
générale, elle devient synonyme du plus haut degré de liberté pour
tous. »
i
Et ainsi les idées de « démocratie » et « d'anarchie » s'identifient
assez bien. Et Bernstein craint d'avoir été trop loin. Immédiatement
après il se corrige et dit :
«Cependant anarchie et démocratie ne sont pas une et même chose. La dé-
mocratie ne peut se distinguer des autres systèmes politiques par l'absence
de toute loi, mais par l'absence de lois qui créent des privilèges ou le bon
vouloir, qui sont fondées surla possession, la race, la confession, non par une
absence totale de lois qui fixent le droit de chacun, mais par la suppression
de toutes les lois qui limitent l'égalité, le droit égal pour tous.»
Il est regrettable qu'il ne cite pas de lois qui soient compatibles avec
l'égalité générale des droits. Nous aurions volontiers appris ce qu'il
entendait par là Car voici qu'il dit que des expressions comme des-
potisme, tyrannie et autres ne peuvent s'appliquer à la démocratie
qu'en tant que loi sociale, parce que chez elle les décisions sorit
prises par la majorité et qu'il reconnaît les lois acceptées par cette
majorité.
Certainement, la démocratie ne donne aucune protection absolue
contre des lois qui par quelques-uns sont reconnues comme tyran-
niques. Mais, dans notre siècle, on peut assurer sans réserve que
la majorité d'une communauté démocratique ne fera pas de loi qui,
d'une manière durable portera atteinte à la liberté personnelle, car la
majorité d'aujourd'hui peut être toujours la minorité de demain et
718 L HUMANITE NOUVELLE

toute loi qui oppresse la minorité menacerait les membres de la


majorité temporaire elle-même.
Toutefois, nous voyons journellement que cela se fait et que la
majorité oublie chaque fois qu'elle fut jadis la minorité et se plaignait
alors de l'oppression.
Bernstein qui, lorsqu'il était jeune avait des penchants anarchistes
montre de nouveau ici qu'on revient toujours à ses premières
amours, mais cela ne dure pas longtemps, car immédiatement après,
il brouille si étrangement démocratie et anarchie, qu'on n'y voit plus
qu'un stupéfiant mélange.
Nous ne voyons pas que la démocratie soit en principe la suppres-
sion de la domination des classes.
Mais tandis qu'on disait auparavant : « Tout effort pour travailler
au Reichstag, tout effort pour coopérer à la législation conduit né-
cessairement au sacrifice de nos principes, à la duperie des com-
promis, et enfin au marécage empesté des miasmes du parlementa-
risme détruisant toute vie saine », on voit maintenant le salut dans la
conclusion même des compromis.Oui,Bernstein pense que cette démo-
cratie tant louée est la « haute école des compromis. »
Et tous ces compromis sont couverts par un appel à la question
d'utilité et grâce à ce truc, on peut de nouveau escamoter à son
aise. Soutenir ou non tel parti aux élections —question d'utilité, dit
Liebknecht, mais lorsque les démocrates socialistes bavarois et
parmi ceux-ci Vollmar conclurent pour raison d'utilité un com-
promis avec lo Centre, le même Liebknecht lui adressa ce re-
proche :
t II y a d'autres facteurs que l'utilité qui doivent être pris en considéra-
tion. La pureté des principes, l'idéalisme de nos efforts, voilà des facteurs
de forces raffermissantes et encourageantes qui nous ont rendu capables de
mena' jusqu'ici nos combats et qui donneront à nos disciples l'ardeur
nécessaire pour attirer a eux irrésistiblement tout ce qui se sent oppresse et
qui a le sentiment de son honneur et de sa dignité. »
Quelques-uns répondent que ce n'était pas la bourgeoisie qui se servait
d'eux, niais au contraire, eux qui se servaient de la bourgeoisie ; alors,
c'est comme Milleraud, voulant par son allante G-allifet-Waldeck-Rousseau
anéantir le militarisme. Et savez-vous comment Liebknecht appelle cela ?
Trahison do parti, et il a raison ; les principes sont indivisibles, ils doivent
être conservés intacts ou être sacrifiés.
Jules Guesde, Lafargué et Vaillant ont, dans leur manifeste
contre Millerand, admirablement raison, car un socialiste qui prend
place dans un gouvernement bourgeois ou passe à l'ennemi ou
s'abandonne au pouvoir de ses adversaires, dans les deux cas, cesse
d'être socialiste. De plus il montre qu'il ne comprend pas la lutte des
classes, car tant que celle-ci subsiste, tous les Etats sont des Etats
de classe et tous les gouvernements sont des gouvernements de
classe. Un socialiste qui fait partie d'un gouvernement de classe ne
peut plus être un socialiste, quoiqu'il s'imagine, car comme'socia-
liste, il combat le gouvernement de classe auquel il appartient et
comme personne de gouvernement il combat le socialisme qui s'est
donné sa perte pour tâche. S'il ne veut pas trahir sa classe, il est
voué à l'impuissance, et s'il veut montrer ce qu'il est, il doit nécessai-
rement lutter contre sa propre classe. L'admission de l'opposition
LA DEBACLE DU MARXISME {l'a

dans un gouvernement, pour la maîtriser est un moyen trop usité et


trop connu pour que nous nous y laissions prendre encore.
Le triumvirat avait ainsi raison en principe, mais... il manquait
de logique, car il a bravement pris part lui-même au travail parle-
mentaire. Dans le système parlementaire la plus haute autorité repose
sur les chambres, car, quoique le Gouvernement possède quelques
prérogatives, il n'est pas autre chose en fait que l'exécuteur des déci-
sions de la majorité. On peut dire ici : « le Gouvernement propose
mais le Parlement dispose. » Chaque membre delà Chambre est donc
ainsi un simple rouage de la machine de l'Etat.
Qu'on soit donc logique et qu'on condamne l'action parlemen-
taire.
Suivre la ligne de conduite de Jules Guesde et consorts et désap-
prouver l'acte de Millerand, est illogique, car l'une conduit à l'autre
et il semble que le désapprobateur, forcé de rester en arrière, s'irrite
de-ne pas faire partie de la combinaison.
Si le parti socialiste ne peut partager le pouvoir avec la bourgeoisie,
entre les mains de laquelle l'Etat n'est qu'un instrument de conserva-
tion et d'oppression sociale, il peut d'autant moins partager le pouvoir
représentatif avec cette même bourgeoisie, et cela pour les mêmes
raisons.
Le parlementarisme règne souverainement ou il n'est rien.
Celui qui prend part même pour protester aux discussions d'un
projet de loi, celui qui vote, soit môme contre la proposition, celui-là
prend d'avance l'obligation de se soumettre aux décisions de la
majorité afin d'y conformer sa conduite.
Qu'il occupe une place de ministre ou un siège au Parlement,
l'homme qui possède une parcelle de pouvoir — exécutif ou législatif
— est responsable des décisions prises.
Pour lamème raison, d'après laquelle le parti socialiste ne peut être
ou devenir ministériel sous peine de suicide, il est impossible qu'il
devienne un parti parlementaire.
Qu'on soit donc logique! et maintenant nous voudrions bien entendre
un seul argument contre le raisonnement que nous venons d'exposer.
On peut mettre la main sur le pouvoir de deux façons différentes,,
soit par les moyens parlementaires, soit par les voies révolution-
naires. On s'adonne au premier avec ardeur depuis quelques années,
que reste-t-il donc au nom du ciel, sinon à recourir aux derniers?
Nos adversaires de la démocratie sociale ne le reconnaissent-ils
pas? Devons-nous lui rappeler que Jules Guesde leur enseignait un
jour que la classe dirigeante rira de la volonté populaire tant qu'elle
ne sera que légalement exprimée ?
« L'ouvrier devenu électeur n'a vu diminuer les charges qui l'écrasent ou
réduire en quoi que ce soit son exploitation ni comme producteur, ni comme
consommateur, ni comme contribuable, contribuable de sang ou d'argent.
Gabriel Deville ne dit-il pas dans son aperçu sur le socialisme scienti-
fique : la souveraineté dans la propriété n'est pas seulement inutile, elle est
le plus perfide des pièges?
Le suffrage universel voile, au bénéfice de la bourgeoisie, la véritable
lutte à entreprendre. On amuse le peuple avec les fadaises politiciennes, on
s'efforce de l'intéresser à la modification de tel ou tel rouage de la machine
gouvernementale; qu'importe en réalité une modification, si le but de la
machine est toujours le même, et il sera le même, tant qu'il y aura des pri-,
720 L HUMANITENOUVELLE

vilèges économiques à protéger; qu'importe à ceux qu'elle doit toujours


broyer, un changement de forme dans lo mode d'écrasement?..
Pour modifier l'homin 1!et ses institutions, il faut commencer par modifier
le milieu économique dont ils sont le produit...
Qu'on le déplore ou non, la force est le seul moyen de procéder à la
rénovation économique de la société. .
Les révolutionnaires n'ont pas plus à choisir les armes qu'à décider du
jour de la révolution. Ils n'auront à cet égard qu'à se préoccuper d'une
chose, de l'efficacité de leurs armes, sans s'inquiéter de leur nature. Il leur
faudra évidemment, afin de s'assurer les chances de victoire, n'être pas
inférieurs à leurs adversaires, et, par conséquent, utiliser toutes les res-
sources que la science met à la portée de ceux qui ont quelque chose à
détruire. »
Avons-nous besoin d'instruire des gens qui comprennent si bien où
l'on va ot qui indiquent si bien le chemin que doit suivre la popu-
larité?
Ou bien doit-on le croire lorsqu'il dit :
«Jadis j'ai pu croire à l'efficacité de la violence, j'ai pu avoir confiance dans
la force 'brutale. Mais comprenant que l'affranchissement du prolétariat
devait être l'oeuvre non d'une minorité en révolte, mais d'une majorité
consciente, je reviens sur ces écrits qu'on veut me reprocher. »
Et les électeurs ont avalé cela sans lui crier : « A la porto ! à
la porte ! »
Et c'est bien là la plus triste constatation : qu'un homme habile
puisse faire des électeurs tout ce qu'il veut; il peut les faire rire et
hurler, applaudir et siffler, et surtout voter comme il l'entend. C'est
précisément cela qui montre les dangers du suffrage universel dont
Jules Guesde disait un jour :
« Toute intervention électorale de la classe laborieuse tourne fatalement au
profit de son ennemie, la bourgeoisie. N'est-ce pas prêter inutilement le liane
à nos adversaires, pour qui le socialisme no poursuit pas l'émancipation de
l'être humain dans la personne de chacun des membres do la collectivité
mais la conquête du pouvoir au profit d'une minorité ou d'une majorité
d'ambitieux, jaloux de dominer, de régner, d'exploiter à leur tour ? »
Hélas ! il est triste de constater qu'après vingt ans les mêmes hommes qui
étaient si courageux, que conduisait seule la logique des faits et qui tenaient
haut la bannière du socialisme révolutionnaire en face du monde entier,
traînent maintenant cet insigne dans la boue et vont so joindre à cette
« bande jalouse de dominer, de régner, d'exploiter à son tour I »
Car si nous devons voter, nous supporterons plutôt le joug des
vieux oppresseurs, aristocrates de naissance, qui sentent encore « que
noblesse oblige », que celui des parvenus frais émoulus qui ajoutent
encore au poids de l'oppression l'ineptie des formes.
Le fardeau des premiers est moins lourd que celui des derniers.
Et pourquoi ?
La Fontaine va nous le dire :
Le renard gisait sur le sol blessé par la balle d'un chasseur et toute
une troupe d'oiseaux cruels, attirés par son sang, s'établissait sur son
corps. Un hérisson s'interposa par pitié et voulut mettre en fuite ces
LA DEBACLE DU MARXISME 721

tourmenteurs, pensant ainsi rendre un service, au renard. Mais


celui-ci refusa cette offre amicale en disant :
Ami, ne le fais pas.
Laisse-les, je te prie, achover leur repas.
Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle
Viendrait fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Arislote appliquait cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes
Plus tels gens sont pleins, moins ils sont importuns.
Il en est ainsi en effet !
Les premiers sont déjà venus et causent ainsi moins de peine,
mais les seconds doivent aussi arriver et ainsi descendus sur le corps
social, ils occasionneront de plus grandes souffrances.
Les Bebel et les Liebknecht, les Kautsky elles Bernstein, les Van-
dervelde et les Anscele, les Guesde et les Millerand savent très bien
que nous avons raison, mais ils sont tous devenus des politiciens qui,
voyant que la révolution ne vient pas aussi vite que nous l'avons
attendue, que l'édifice capitaliste est encore plus fort et plus vivace
que nous le pensions, ont cherché chacun pour soi un asile sûr,
s'écriant comme Louis XV : « Après nous le déluge! »
En attendant, les travailleurs sont les dupes.
Qu'on ne cherche pas à nous berner par des arguments comme
celui-ci : que Marx ne croyait pas à une révolution, car ce n'est pas
vrai.
Oui mais, dit Kautsky, il ne parlait pas d'une révolution politique
et économique, car nous traversons effectivement cette dernière, mais
Marx, Engels, Bebel et nous tous, nous nous imaginions qu'une révo-
lution par la violence surviendrait qui, il est vrai, ne satisferait pas à
tous les desiderata dusocialisme, mais qui cependant nous aurait fait
avancer d'un grand pas, fut-ce même sur les cadavres de beaucoup des
nôtres.
On a surtout reproché à Bernstein d'avoir ditque le socialisme était
l'héritier légal du libéralisme, et il n'y a effectivement pas une seule
idée libérale qui n'appartienne à l'idéal socialiste.
« Eh quoi? s'écrie Liebknecht, socialisme et libéralisme n'ont rien
de commun. Le libéralisme est une sorte de spécifique bourgeois. Dès
que la bourgeoisie devient capitaliste, elle cesse d'être libérale et elle
a prisprôcisément le développementqui est en contradiction flagrante
avec le socialisme.» Mais s'il avaiidit: démocratie et socialisme, c'eut
été différent.
Mais quel est vraiment la différence entre libéralisme et démocratie?
Y a-t-il entre ces deux mots une différence de principes oU l'un est-il
plus ou moins que l'autre?
Et le même Liebknecht dit autre part:
« Socialisme et démocratie ne sont pas synonymes, mais ils ne sont
qu'une expression différente du môme idéal, ils s'appartiennent, ils se com-
plètent, mais ils ne peuvent pas être mis en opposition. Le socialisme sans
la démocratie est la caricature du socialisme, de même que la démocratie
sans socialisme est la caricature de la démocratie. L'état démocratique est
la seule forme possible de la société socialiste organisée, s
4» ANNÉE, XXXVI. 6
722 L HUMANITENOUVELLE

Ainsi le libéralisme est la démocratie illogique et incomplète. En


effet, ils appartiennent bien l'un à l'autre, et c'est à la corruption
du mot libéralisme seul que l'on doit cette autre dénomination.
Et Liebknecht continue à supposer naïvement — car il ne sait pas
mieux— que l'insôparabilité des deux mots démocratie et socialisme
a servi de guide sûr à la classe ouvrière allemande dans les pénibles
difficultés de la politique, que l'écueil dangereux a é:é évité et que la
démocratie sociale vogue à pleines voiles dans le port du socialisme
d'Etat.
N'a-t-onpas dit que los télégraphes, les téléphones, le gaz et les
eaux, les chemins de fer et les tramways, les assurances, les pharma-
cies, etc., devraient être des institutions socialistes, et passer des en-
trepreneurs privés et des sociétés à la nation ou à la commune?
La ville de Glascow n'est-elle pas représentée comme une com-
mune modèle où le socialisme pratique est en grande partie réalisé?
Ne se représente-t-on pas le monopole dos grains, du tabac, du sel,
de la poudre, des allumettes, etc., comme lo germe du socialisme, de
telle sorte que le Vorwaerts dut reconnaître, lors des débats de la
motion Kanitz concernant le monopole des grains au Reichstag alle-
mand que la proposition était purement socialiste, bien qu'il regrettât
qu'une proposition semblable dût être présentée par des agrarions et
les gens du Centre et se trouvât ainsi « dans les mains des adver-
saires »?
Ainsi toutes ces choses se réalisent dans l'Etat .de classe actuel et
sont les matériaux dont sera construit plus tard l'idée définitive du
socialisme.
Coram.! la Société se meut en ce sens, les démocrates socialistes
ont toutes raisons de so féliciter de ce développement.
Le socialisme d'Etat sera cependant l'extension du milieu ouvrier
de l'Etat, de telle sorte que la production elle-même y sera comprise.
Et alors nous nous demandons ce que la démocratie sociale fait
autre chose que de pousser la Société dans cette direction?
Tout démocrate socialiste qui va dans un corps législatif emploie et
doit employer tout son zèle — il ne peut en être autrement — en faveur
du socialisme d'Etat, car toute amélioration qu'il réclame renforce
le pouvoir de l'Etat.
Liebknecht qui sait si bien jouer avec les mots dit en réponse à ceux
qui assurent que la démocratie sociale aura pour but la dictature du
prolétariat : « la vérité la voici : depuis les massneres de juin à Paris,
c'est à-dire depuis cinquante-deux ans nous avons en fait sur tout le
continent européen la dictature de la bourgeoisie. Et maintenant la
puissance politique vers laquelle elle tend, n'a pas pour but l'institu-
tion d'une dictature du prolétariat, mais l'anéantissement de la dicta-
ture bourgeoise ».
Très bien, mais nous répondrons qu'elle ne veut pas seulement
l'anéantissement de cette dictature, mais l'établissement en son lieu
etplace,dela dictature prolétarienne. Et c'est là précisément que
notre opposition commence, car nous ne voulons pas le déplacement
de l'injustice, de telle sorte que ce qui est en haut vienne en bas et
que ce qui est en bas vienne en haut, mais nous voulons l'abolition de
toute dictature.Guillaume Liebknecht,dictateuravec ses amis,serait-il
moins tyrannique que Guillaume deHohenzollern avec les siens? Nous
LA DEBACLE DU MARXISME 723

n'avons pas la moindre garantie à ce sujet. Nous combattons moins


contre des tyrans que contre la tyrannie, et tant que dans son essence
elle reste intacte et possible nous n'avons que peu ou rien gagné. On
voit qu'on peut ergoter autant qu'on veut : la démocratie sociale est
déjà et devient chaque jour de plus en plus l'aile gauche de la démo-
cratie bourgeoise. Mais cela ne peut pas être dit, et Bernstein a eu la
maladresse de proclamer tout haut ce que les faits révélaient déjà. Et
c'était bien le cas de dire : « On fait ces choses-là, mais on ne les dit
pas! »
Les Fabiens anglais avouent honnêtement qu'ils sont dessocialistes
d'Etat. Pourquoi la démocratie sociale d'Allemagne et d'ailleurs ne
le reconnaîtrait-elle pas?
Il n'y a pourtant pas de honte à être socialiste d'Etat ! C'est une
opinion comme une autre, et si nous ne nous abusons, elle a même
l'avenir pour elle.
Bernstein y est déjà arrivé, mais à pas lents. 11 ne peut rester où il
est, puisqu'il a dit : a, il doit avoir le courage de continuer et d'aller
jusqu'à z.
Et on verra que le parti de la démocratie sociale, qu'il l'avoue ou
non, prendra de plus en plus cette direction. Nous donnons parfaite-
ment raison à Bernstein quand il demande qu'on dise franchement ce
qu'on est et qu'on ne veuille pas paraître ce qu'on n'est pas. Certai-
nement, il vaudrait mieux faire ce qu'on dit, que dire ce qu'on ne f.iit
pas, mais exiger que les paroles et les actes se correspondent, n'est
cependant pas trop demander. Et nous pensions qu'il peut avoir du
succès lorsque nous lisons sa réponse à la rédaction du /. L. P. News
de novembre : « Ces quelques mots peuvent suffire à montrer à vos
lecteurs ce que mon livre est réellement. C'est une réfutation de
théories usées et d'arguments pourris en faveur du socialisme. Mais
il n'anéantit nullement la cause du socialisme. Il s'efforce simplement
de leplacer sur un principe plus sain et plus ferme que les arguments
surannés d'une situation de vie sociale et politique passée. » Il esti-
mait que c'était une erreur du marxisme de faire de l'action politique
la principale tendance du mouvement et il pensait que là même il
se mettait en contradiction avec lui-même.Et il est curieux de voir
comment il montre que Marx et Engels, dans la préface du Manifeste
communiste et dans : La guerre civile en France, développèrent un
programme qui, pour la partie politique, montre dans tous ses ca-
ractères essentiels, la plus grande ressemblance avec le fédéralisme
de Proudhon. Marx et Proudhon finalement en complète harmonie,
qui aurait pu imaginer cela !
Bernstein pense que le prolétariat n'est pas encore mûr pour la
domination, mais quelle période de temps peut-il lui assigner avec
certitude pour arriver à cet état supérieur ? En 1789, la bourgeoisie
était-elle mûre pour entreprendre la tâche de se débarrasser de la
noblesse et du clergé ?Celui qui, à cette époque, eut fait cette question
aux esprits les plus avancés n'aurait certainement pas reçu une
réponse satisfaisante. Au contraire, la classe qui domine actuelle-
ment ne possède rien moins que la supériorité dans l'accomplisse-
ment de cette mission. A ce point de vue, nous nous trouvons dans
des circonstances plus favorables. La situation ne peut être plus
mauvaise, et ainsi tout changement doit être une amélioration. Au
724 L HUMANITENOUVELLE

contraire de ceux qui insistent sur l'épouvantable désordre qui résul-


terait alors, nous demandons si l'ordre actuel nous donne autre chose
que l'image d'un désordre sans limites.
Nous en arrivons à la conclusion que le marxisme a reçu une
vilaine blessure non pas de ses ennemis, comme on appelle ceux qui
osent mettre en doute un point xou un iota de la théorie de Saint
Marx, mais qu'il l'a été par ses propres amis soumis à la critique. Il
a semblé que Marx s'était assez fortement trompé sur différents
points et quoi que ce soit folie de dénier une valeur scientifique à
— quel est l'écrivain qui ne le fait pas ?
quelqu'un qui s'est trompé
C'est là cependant la faute de ses admirateurs aveugles qui l'ont
revêtu d'un manteau d'infaillibilité, bien qu'on puisse dire de Marx
commejadis du poète allemand Klopstock : «11 est plus loué que haï. »
A Bernstein toutefois revient l'honneur en tant que marxiste
d'avoir été assez honnête et impartial pour appliquer ici la formule
célèbre : « Amtcus Plato sed magis arnica verilas... »
Et les marxistes orthodoxes sont tellement inquiets qu'ils appellent
son livre « l'abjuration solennelle des principes de la démocratie
sociale faite par un homme qui jusqu'ici avait passé pour un de ses
défenseurs. »
On peut encore ajouter que le livre de Bernstein est de contenu insi-
gnifiant et sans une seule pensée nouvelle et originale, ce qui n'em-
pêcha pas un grand et puissant parti d'estimer qu'il valait la peine de
s'occuper si longuement de cet homme si insignifiant.Oui,plus encorer
on n'a pas osé lui tenir tête. Bien qu'il ait abjuré les principes de la
démocratie sociale, il s'y maintient, parce qu'on sait qu'il a derrière
lui une grande partie de ses membres, la plus grande peut-être, car
encore une fois le parti a fait comme Bernstein, il a parlé. Pris en
flagrant délit, les chefs se sentent démasqués dans leur tactique, et
inde irae, de là la colère.
De plus en plus on commence à voir que ni l'application des mé-
thodes dialectiques aux études sociologiques, ni la théorie des plus-
values, ni la conception matérialiste de l'histoire, ne sont des décou-
vertes de Marx. Comparez l'article de Tcherkesoff dans les Temps
Nouveaux et intitulé : Un plagiat très scientifique,' dans lequel il
démontre que toutes les idées de Marx, clans le Manifeste communiste
et ailleurs se retrouvent chez Victor Considérant. Elles étaient déjà
connues et expliquées avant lui. On voit aussi que la loi de la con-
centration du capital, l'expropriation du grand nombre de capita-
listes par le petit nombre, a paru insoutenable, de telle sorte que,
même un Bernstein, a dû la sacrifier et un Kautsky l'aeccpte sous
bénéfice d'inventaire.
Le sol s'est dérobé sous les pieds des vieux marxistes et s'il est
vrai, comme le dit Liebknecht, que la démocratie sociale se tient
ou tombe avec l'inexactitude ou la justesse des conceptions de Bern-
stein, l'état de l'édifice est très précaire, car il y a des trous et des
lézardes dans les murs. Mais alors nous comprenons l'irritation des
chefs de parti qui se sentent en péril, qui se défendent par instinct de
conservation, avec l'énergie désespérée de gens qui sentent que leur
situation ne pourra pas durer à la longue.
L'année dernière, nous écrivions, à l'occasion du congrès de
Stuttgart, que Vollmar et les siens sont, à proprement parler, les chefs
du parti, car c'est leur opportunisme qui a triomphé.
LA DEBACLE DU MARXISME 725

Bernstein ne peut pas rester dans la situation où il se trouve, il


doit ou retourner à la démocratie sociale et faire amende honorable,
ou bien rompre avec elle et créer un parti de réforme socialiste démo-
cratique, dont'on biffera ensuite le mot socialiste, car il n'en sera
pas un.
Soyons donc honnêtes enfin et ne nous appelons que ce que nous
sommes, c'est-à-dire un parti de réformes démocratiques.
Le combat sera alors plus correct, car ce sera socialisme d'Etat
ou anarchie. Ce qui restera entre ces deux camps, ne sera qu'une
minorité qui doit périrou se dissimulerhypocritement,qui à la longue
ne pourra subsister.
Les social-démocrates disent que cela n'est pas ainsi, eh bien, qu'ils
répondent si oui ou non ils veulent la centralisation des moyens de
production et d'échange entre les mains du gouvernement et s'ils n'ont
pas besoin ainsi d'un gouvernement pour exercer la réglementation
et le contrôle de l'industrie. Donc renforcement, toute-puissance même
de l'Etat. Donc l'Etat pas aboli, mais au contraire l'Etat grand régie-
menteur de la production.
Les démocrates socialistes veulent-ils cela, oui ou non?
Bernstein parle de l'étatisation de lagrancleproduction(Vers(aa(/i'c/i-
ung der Grossprodul(tion), sans résoudre la question de savoir « si
l'Etat ne maintiendra que son contrôle ou s'il s'emparera immé-
diatement de la réglementation effective de l'industrie. Ainsi, soit
directement soit indirectement, dans chaque cas, le but final est
celui-ci : « l'Etat réglementant la production », le monopole
porté à sa plus haute puissance et l'autorité comme base.
Et maintenant on peut faire autant de motions qu'on le veut, de la
fabrique de Liebknecht et de Bebel. nous soutenons que les démo-
crates socialistes, bien qu'ils ne le disent pas ouvertement, sont en
tous leurs actes des socialistes d'Etat. Auer pourrait appliquer ici
sa phrase devenue célèbre : « On ne dit pas ces choses, on les fait! »
Précieux avis ! Hardi gaillard qui dit franchement ce que d'autres
pensent, car on pénètre ainsi jusque dans l'essence même de la
chose.
Le principe du socialisme ne se maintient ni ne tombe avec une
personnalité, fut-ce même avec Marx.
Cette querelle intérieure entre les marxistes nous laisse bien indiffé-
rents, car nous connaissons ces choses depuis longtemps,mais noue
qui aimons à observer les signes des temps, nous remarquons avec
intérêt comment dans les cerveaux déprimés par le marxisme, un
rayon de lumière commence a pénétrer et nous ne doutons pas que
cette évolution, une fois commencée, s'accomplira jusqu'au bout.
Il n'est pas facile de triompher des préjugés surtout lorsqu'on est
bourré d'idées dogmatiques, mais si nous aimons la vérité, nous
devons veillera ne jamais fermer notre esprit mais à l'ouvrir toujours
à toutes les brises fraîches de la science. Ayons soin de ne pas nous
pétrifier, car alors il en serait du socialisme comme de l'Eglise. Nous
devons penser en hommes libres, penser par nous-mêmes et nous
garder de la pétrification.
F. DOMELA NIEUWENHUIS.

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