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INTRODUCTION
A plusieurs reprises apparaît dans les Fleurs du Mal le thème du voyage. Il s’accompagne de la définition d’un
lieu privilégié, refuge, consolation, univers de bonheur. Baudelaire semble mener une quête inlassable pour
échapper au sentiment de spleen, d’ennui profond et mélancolique qu’il éprouve intensément. On découvre ainsi
ce texte musical et apaisant de l’Invitation au voyage, poème extrait de la section « Spleen et Idéal ». Il
appartient plus précisément au cycle de Marie Daubrun, jeune actrice que connut Baudelaire. Cette invitation
prend le triple visage de l’évocation d’un lieu idéal, d’une femme aimée et d’une initiation esthétique.
I. Un voyage idéal
II. La femme médiatrice du voyage
III. Le voyage comme initiation esthétique
I. Un voyage idéal
B. Un lieu indéterminé
Là-bas
1ère indication que donne le poète, adverbe repris 3 fois dans le refrain :là. C’est un lieu qui n’est déterminé que
par opposition à ici, comme un lieu idéal parce qu’il s’oppose à la réalité, à la proximité.
Au pays qui te ressemble
Le lieu est précisé ensuite par une allusion vague v.6 et donc à nouveau surprenante parce qu’elle ne peut être
comprise que par la femme aimée.
Les clés
En effet, quelques éléments peuvent nous éclairer : les soleils mouillés, les ciels brouillés font allusion à un pays
du Nord ; les canaux à une ville maritime. Dans le poème en prose qui porte le même titre, Baudelaire est plus
explicite et on comprend que c’est la Hollande (florins, tulipes). La 2 ème strophe rappelle un intérieur hollandais
comme on peut en voir dans les tableaux de Vermeer : un endroit confortable, riche, cossu, meubles luisants,
riches plafonds, miroirs profonds. C’est un lieu clos, une chambre, propice au bonheur des amants.
C. Un ailleurs exotique
L’orient
La 2ème strophe comporte une énumération d’éléments typiques de l’univers baudelairien : l’exotisme des fleurs
et des parfums : rares fleurs, senteurs de l’ambre, le luxe et le raffinement des matériaux, l’expression splendeur
orientale, fait la synthèse des éléments cités.
Le paradis
Le désir d’infini lié à l’orient peut être rapproché de l’idée d’un retour au jardin d’Eden :
orientale/natale riment v.23-26. Baudelaire considère l’orient comme un retour aux sources de
la civilisation
ce voyage hors du temps et de l’espace semble retracer le parcours de tout homme : vivre,
aimer, mourir (les infinitifs mode intemporel)
mon enfant, ma sœur fait peut-être aussi référence au « vert paradis des amours enfantines »
d’un autre poème des Fleurs du Mal, « Moesta et errabunda »
Conclusion I : Ainsi le voyage vers l’idéal représente un là-bas mystérieux et peut-être un avant mythique. Tout,
dans la magie du lieu, donne à imaginer un épanouissement et une harmonie antithétiques de l’oppression et du
repli qu’engendre le spleen.
La femme aussi apparaît comme une voie d’évasion vers un paysage idéal.
Conclusion II : Ainsi, même dans ce poème de bonheur absolu, l’amour garde son double visage : l’amour est
un moyen de sortir du spleen, mais il porte en lui le mal et la mort v.5.
A. Un poème pictural
3 tableaux : ce poème par sa composition en triptyque suggère une approche
picturale. Chacune des 3 strophes marque une étape dans la progression du poème.
La 1ère formule l’invitation au voyage en passant par l’analogie femme/paysage ; la
2ème évoque un intérieur secret et raffiné ; la 3ème décrit un paysage extérieur, la ville
au soleil couchant.
Intérieur/extérieur = correspondance. 3 tableaux qui se correspondent et
montrent une possibilité de passage entre l’intérieur et l’extérieur. C’est à l’intérieur
du regard de la femme que le poète voit les ciels. L’intérieur de la 2 ème strophe est
ouvert et semble se décupler à l’infini par le pouvoir de propagation des parfums et
par l’effet agrandissant des miroirs. Enfin l’espace ouvert de la 3 ème strophe est à
son tour intériorisé par la personnification des vaisseaux : dormir, humeur
vagabonde.
La peinture. Plusieurs indices confirment cette approche picturale : l’emploi du
mot ciels et le champ lexical de la couleur et de la lumière : brillant, luisants,
soleils couchants, d’hyacinthe et d’or, chaude lumière.
B. La synesthésie
L’harmonie picturale mêlée à l’harmonie musicale sont des conditions essentielles de l’esthétique
baudelairienne. Mais la synesthésie semble être une composante importante de cette harmonie. On trouve en
effet :
Des perceptions visuelles, très présentes dans l’évocation des différents tableaux,
les yeux, les lumières et les couleurs, concrétisées par l’impératif vois.
Des perceptions olfactives : fleurs odeurs senteurs
Des perceptions tactiles : des meubles…polis
Des perceptions auditives :créées par la richesse des assonances (nasales v.19-23),
des allitérations et des rimes rapprochées.
Les sensations s’enrichissent en se mêlant ou en s’ajoutant les unes aux autres.
D. L’art poétique
Toutes ces voies posées par le poète lui permettent d’ébaucher une définition de la poésie, surtout dans le refrain
et à la fin de la 2ème strophe.
Le poète traducteur du monde : Tout y parlerait/ A l’âme en secret/ Sa douce
langue natale. On trouve dans ces vers l’image du poète traducteur, déchiffreur du
monde, le poète voyant qui réinvente une langue originelle.
Une poésie sensuelle, spirituelle et esthétique : le refrain parfait cette définition
de l’esthétique baudelairienne. Tout et le tour restrictif ne…….que mettent en
évidence le caractère synthétique de cette définition, reprise 3 fois. Elle porte une
triple référence :
la beauté et le luxe renvoient à des concepts esthétiques de raffinement
la volupté rappelle l’importance de la sensualité
l’ordre et le calme touchent à des qualités de maîtrise et de rigueur qui mènent à l’harmonie de
l’esprit
Le rythme harmonieux de ce distique place ce poème sous le signe de la paix de l’âme et donne au
poème une structure circulaire qui lui confère un pouvoir d’envoûtement.
CONCLUSION
« L’Invitation au voyage » est un poème consacré à l’idéal. Son architecture symétrique, sa musicalité profonde
et la richesse de ses évocations révèlent l’aspiration baudelairienne vers une beauté supérieure et entrouvrent la
porte d’un paradis spirituel, sensuel et esthétique. Poème d’amour voluptueux, ce poème nous donne, au-delà de
sa musicalité subtile, une des meilleures définitions du voyage baudelairien : le voyage intérieur.