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Alain COURET*
1 Introduction
2 Le processus d’internationalisation des exigences de la corporate governance
2.1 L’acculturation d’un corps de normes privées dans un cadre volontariste
2.1.1 Diversité des techniques envisageables
2.1.2 Les choix français
2.2 L’intégration ordonnée ou encadrée par le législateur : la restauration de la maîtrise
du processus de production des normes
2.2.1 Le législateur national et la maîtrise du processus de production des normes
2.2.1.1 Les mesures nationales simplement en phase avec la corporate
governance : le processus de convergence
2.2.1.2 Le mimétisme législatif national : le processus d’alignement
2.2.1.2.1 La dissociation des fonctions de président et de directeur
général
2.2.1.2.2 La transparence des rémunérations
2.2.2 Le législateur européen et la maîtrise du processus de production des normes
2.3 Les autres sources d’intégration des principes de la corporate governance :
l’intégration par la régulation ?
2.3.1 La réception par la Commission des opérations de bourse des principes
du gouvernement d’entreprise
2.3.2 Les principes posés par la Cour de cassation
3 Les limites de l’influence de la mondialisation sur le droit des structures
3.1 Les résistances à la mondialisation
3.1.1 Résistances organisées au modèle libéral
3.1.2 Survie des spécificités nationales
3.1.3 Adhésion purement formelle aux « ornements » de la corporate governance
3.2 La résistance naturelle à la mondialisation : les sociétés non cotées
4 Conclusion
1 INTRODUCTION
Le droit des sociétés a vocation à s’insérer dans un processus de mondialisation. On
débutera cette présentation en rappelant les termes employés par Jean
PAILLUSSEAU dans son article désormais classique publié en 19841 et consacré au
fondement du droit moderne des sociétés.
« Il est évident qu’une approche strictement nationaliste du droit des sociétés
commerciales n’a plus de sens aujourd’hui. Il est, en effet, difficile d’imaginer que
l’on puisse avoir une certaine conception de la société à Paris, une autre à Londres,
à New York, à Tokyo, à Mexico, au Caire, etc. Les sociétés financières, industrielles,
commerciales ou de prestations de services ne se ressemblent-elles pas singulière-
ment au-delà de toutes les frontières ? Seuls, peut-être, sont différents certains
aspects de leur organisation technique ou l’importance qu’elles accordent plus
particulièrement à tel ou tel intérêt catégoriel. Cette similarité est encore accentuée,
pour certaines d’entre elles, par le caractère international ou multinational de leurs
organisations et de leurs activités. Par le fait, aussi, que leurs actions sont cotées
dans différents pays. Ne serait-il pas étrange que puissent exister dans différents pays
des notions très étrangères de la société commerciale, voire incompatibles alors
qu’elles pourraient concerner, par exemple, les filiales locales d’un même groupe
multinational ? En fait, la société commerciale est fondamentalement la même chose
dans tous les pays industriels. Il est donc, là aussi, très nécessaire d’avoir une
conception et une notion claires de la société qui ne soient ni trop étrangères d’un
pays à l’autre et, encore moins, contradictoires. »
Pourtant, l’impact de la mondialisation a pu apparaître longtemps modeste.
Indubitablement, la construction européenne a eu des incidences beaucoup plus
considérables car elle contraignait les législateurs nationaux à adopter des solutions
unifiées. Rien de tel ne découle de ce phénomène de globalisation qui est au centre
de nos débats. Pourtant, au nom de la mondialisation, on constate aujourd’hui des
modifications sensibles de la structure juridique des entreprises dictées pour l’essen-
tiel par l’intégration du modèle dit de gouvernement d’entreprise. Sur la suggestion
des organisateurs de la présente manifestation, c’est ce phénomène de la prégnance
du gouvernement d’entreprise qui sera au centre de nos développements.
Une remarque préalable de méthode s’impose. La référence au gouvernement
d’entreprise est marquée aujourd’hui par une évidente ambiguïté2. Tantôt ce gouver-
nement est perçu dans une logique de système et il s’agit alors du « système par lequel
les sociétés sont dirigées et contrôlées »3. Vu sous cet angle, le gouvernement
1. J.C.P. G II 14193.
2. Cf. MARINI, « La modernisation du droit des sociétés », Paris, La Documentation française, 1996,
p. 187.
3. Voir ici Dominique BESSIRE et Jeanne MEUNIER, « Conceptions du gouvernement des entrepri-
ses et modèles d’entreprises : une lecture épistémologique », in « Finance d’Entreprise » – Recher-
ches du CREFIB, Economica, 2001, pp. 185 et s.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 341
4. Voir de ce point de vue les efforts développés par Gérard CHARREAUX pour dégager la corporate
governance de son carcan théorique classique : « Le gouvernement d’entreprise », Paris,
Economica, 1997.
5. Alain PIETRANCOSTA, « Le droit des sociétés sous l’effet des impératifs financiers et boursiers »,
Paris, I, 1999, n° 158.
6. OECD, « Principles of Corporate Governance », 26/27 mai 1999, OECD Financial Market Trends,
n° 73, juin 1999, pp. 129 et s. Ces principes ont été adoptés en mai 1999 par les ministres représentant
29 gouvenements de l’OCDE.
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Banque mondiale, le Fonds monétaire international ont déclaré leur intérêt pour de
telles pratiques. Le G7 au sommet de Cologne, en juin 1997, a accepté ces principes
et reconnu la gouvernance d’entreprise « comme pilier majeur de l’architecture de
l’économie globale du 21e siècle »7. De puissantes associations internationales ont
relayé ces prises de position8 en publiant également leurs propres codes. Il n’est que
de consulter le site Web de l’European Corporate Governance Network9 pour
constater un certain universalisme dans les initiatives concourant à la consécration
d’une amélioration du gouvernement d’entreprise. Enfin des mécanismes d’appré-
ciation et d’évaluation se mettent en place qui font de la corporate governance l’aune
avec laquelle sont aujourd’hui étalonnées « aussi bien les sociétés dont les titres sont
cotés en bourse, que les droits nationaux qui les régissent »10.
Il convient toutefois d’observer que la référence au gouvernement d’entreprise
dans les pratiques que l’on vient d’évoquer n’a pas la même signification dans tous
les cas et l’on retrouve la difficulté précédemment évoquée. Tantôt, il s’agit
d’améliorer le gouvernement des entreprises (OCDE) sans que cette amélioration
repose sur des fondements idéologiques précis11, tantôt il s’agit de promouvoir une
véritable idéologie. Dans les deux cas, la pression mondiale incite à repenser les
structures du pouvoir, ou tout au moins son mode de fonctionnement.
Cette pression mondiale, quels en sont les vecteurs ? D’abord, bien sûr, la
suprématie de l’Amérique du Nord quant à la gestion des actifs financiers : celle-ci
représente 52 % de l’ensemble des actifs financiers de toutes natures gérés par des
investisseurs institutionnels. On ne peut dès lors que souscrire à l’affirmation de Jean
PEYRELEVADE : « Notre influence doctrinale sur l’évolution du capitalisme
financier est à hauteur de nos moyens : marginale. »12
Et de fait, les grandes entreprises européennes, lorsqu’elles recherchent des
fonds sur les marchés anglo-saxons sollicitent des investisseurs convaincus de la
nécessité de mettre en œuvre les principes définis par les codes de bonne conduite.
De manière plus spectaculaire encore, le marché national est devenu pour une très
large part un marché d’investisseurs étrangers. L’enquête effectuée et publiée par le
Monde cette année13 est de ce point de vue extrêmement riche d’enseignements : bon
nombre d’entreprises ont aujourd’hui un contrôle majoritairement exercé par des
7. Cf. Éric LOISELET, « Le grand retour de l’actionnaire », Banque stratégie, n° 173, mai 2000, p. 2.
8. EUROPEAN ASSOCIATION OF SECURITIES DEALERS (EASD), Corporate Governance
Principles and Recommendations, Bruxelles, mai 2000 ; également l’action conduite depuis 1995
par l’« International Corporate Governance Network », chargé de promouvoir le thème sur toutes les
places financières.
9. WWW.ecgn.ulb.ac.be
10. Alain PIETRANCOSTA, op. cit.
11. Voir ici « Gouvernement d’entreprise : débats théoriques et pratiques », sous la direction de Karine
LEJOLY et Bertrand MOINGEON, Éditions Ellipses, 2001, p. 33.
12. « Le Gouvernement d’entreprise ou les fondements incertains d’un nouveau pouvoir », Economica,
1999, p. 19.
13. Édition du 15 juin 2001, p. 22 : « Qui sont les propriétaires des entreprises européennes ? ».
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 343
investisseurs étrangers. À Paris, la part des non-résidents dans les sociétés du CAC
40 s’élevait au début de 2001 à 45,57 % (exclusion faite de France TÉLÉCOM et de
sa filiale ORANGE)14. Une autre enquête réalisée en 1997 montrait que la France était
après les Pays-Bas celui des pays développés le plus ouvert aux investisseurs
étrangers15. Dans ce contexte, on peut évidemment en venir à se demander si parler
d’actionnaires « étrangers » a encore un sens16. Parmi ces investisseurs non résidents
figurent nombre de fonds de pension convaincus, pour des raisons que l’on va
évoquer, de l’excellence des principes de corporate governance.
Ce sont sans doute ces investisseurs institutionnels qui sont les vecteurs les plus
actifs de l’idéologie du gouvernement d’entreprise.
À l’origine pourtant du gouvernement d’entreprise, on relève des préoccupa-
tions d’ordre scientifique. On rencontre des démarches de chercheurs s’efforçant
d’identifier le pouvoir dans les grandes entreprises américaines. La constatation
d’une dissociation entre la propriété et le pouvoir ouvrira la voie à des réflexions trop
connues pour être rappelées ici17. L’opinion publique retiendra que les dirigeants, ne
détenant pas la propriété de l’entreprise, peuvent être tentés d’agir dans leur propre
intérêt et à l’encontre des intérêts des actionnaires. En période de crise, ces idées
recevront notamment aux États-Unis la meilleure attention. Comme le rappellent
plusieurs auteurs18, la promotion de nouvelles méthodes de gouvernement d’entre-
prise a été d’abord une réponse à de multiples abus relevés aux USA dans les années
80 : la faible information donnée par les dirigeants aux actionnaires, la multiplication
des défenses anti-OPA, les stratégies d’enracinement, etc. Il s’agit donc moins au
départ d’une idéologie que de solutions recherchées pour contrer des abus flagrants
et pour répondre à des exigences de compétitivité19.
L’émergence d’un capitalisme d’investisseurs institutionnels20 va donner une
toute autre dimension au phénomène. Les gérants de fonds souhaitant dégager leur
responsabilité à l’égard de leurs propres mandants vont être amenés à formuler des
exigences précises à l’égard des dirigeants des entreprises investies. Pour reprendre
l’expression de Monsieur Philippe BISSARA, la corporate governance vient alors
14. Voir également l’enquête plus ancienne de quelques mois publiée par le magazine l’Expansion dans
son numéro 635 du 21 décembre 2000 : « Qui possède les entreprises européennes ? », par Adrien
de TRICORNOT, pp. 76 et s.
15. Spencer STUART, « Un aperçu du gouvernement d’entreprise dans le monde », 1997, cité par Jean
PEYRELEVADE, « Le gouvernement d’entreprise », Economica, 1999, p. 16.
16. Article du Monde précité.
17. L’ouvrage célèbre de BERLE et MEANS est ici essentiel : « The modern Corporation and Private
Property », New York, Mac Millan, 1932.
18. Voir Philippe BISSARRA, « Les véritables enjeux du débat sur le gouvernement de l’entreprise »,
Revue des stés, 1998, pp. 6 et s.
19. Cf. Michel BERGERAC et Alain BERNARD, « Fantaisie à deux voix. À propos de Dominique
SCHMIDT, les conflits d’intérêt dans la société anonyme », Le Dalloz, 2000, pp. 315 et s.
20. Dominique PLIHON et Jean-Pierre PONSSARD, « La montée en puissance des fonds d’investisse-
ment – Quels enjeux pour les entreprises ? », La Documentation française, 2002.
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réguler les rapports entre des mercenaires21. C’est moins le conflit actionnaires-
dirigeants qui est en cause que le conflit entre « mercenaires-dirigeants d’entre-
prise » et « mercenaires-gestionnaires de fonds22 ». La théorie en prendra au
demeurant acte qui constatera le déplacement du conflit actionnaires-dirigeants vers
un conflit actionnaires contrôlaires-actionnaires externes23.
Ce sont ces gestionnaires de fonds qui vont donner, au-delà de sa dimension
théorique, une dimension idéologique à la corporate governance, idéologie reposant
sur un postulat qui est celui de la primauté de l’intérêt de l’actionnaire24. Elle implique
le recours à la transparence qui permet de s’assurer que l’intérêt de l’actionnaire est
bien satisfait. Elle « cherche à insuffler davantage d’efficacité, mais aussi, idéale-
ment, de diligence, de loyauté et de transparence dans la direction des sociétés en
contraignant les responsables des entreprises à respecter les droits des actionnai-
res »25. Elle incite à un réaménagement des structures du conseil d’administration
dans le sens d’une meilleure séparation entre le pouvoir et le contrôle, l’intégration
d’administrateurs indépendants, la mise en place de comités spécialisées26.
Il convient donc de s’interroger sur l’impact de ces idées et sur les normes et
pratiques. Quelle a été l’influence de ces idées sur notre droit des structures ? Une
remarque simple permet de donner le ton. La place de Paris est, on le sait, en très vive
concurrence avec celle de Londres depuis de longues années. Si sa taille est très
inférieure, ses ambitions sont grandes. Les pouvoirs publics, depuis le début des
années 80, ont œuvré pour en faire un grand marché attractif pour les investisseurs
étrangers, et les chiffres précédemment donnés montrent qu’ils y ont réussi. Il était
dès lors inévitable que la place financière française soit rapidement impliquée dans
un processus d’internalisation des exigences de la corporate governance. Ce proces-
sus est certain, mais passablement ambigu comme on essaiera de le montrer dans un
premier temps (2).
Si les effets de la mondialisation sur l’évolution des structures juridiques des
entreprises sont indiscutables, ils demeurent néanmoins limités, ce que nous verrons
dans un deuxième temps (3).
2 LE PROCESSUS D’INTERNATIONALISATION
DES EXIGENCES DE LA CORPORATE GOVERNANCE
La forte pression exercée par l’environnement international pour la prise en compte
des principes du gouvernement d’entreprise ne pouvait que trouver des échos
favorables dans notre pays et cela au moins pour trois raisons.
Tout d’abord, comme l’a rappelé Madame Colette NEUVILLE, présidente de
l’ADAM (Association des actionnaires minoritaires) lors d’un colloque27, un certain
nombre de facteurs économiques et sociologiques ont fait évoluer les mentalités. En
quelques années, on est passé globalement d’une économie d’endettement à une
économie de capitaux propres, d’une économie intermédiée à une économie
désintermédiée : le marché est devenu central. L’évolution de la pyramide des âges
n’a pas été non plus sans incidence. La proportion des personnes vivant des revenus
de l’épargne ne peut que s’accroître compte tenu du vieillissement de la population.
Dans ce contexte, la reconnaissance de la légitimité du marché par les différents
acteurs est devenue dominante et cette reconnaissance a été exprimée dans le discours
public. Il n’est que de feuilleter les divers travaux préparatoires à la loi sur les
nouvelles régulations économiques. Au demeurant, l’emploi du mot régulation, à
supposer qu’il ait véritablement un sens dans la loi, entend signifier que la logique
de l’intervention étatique s’inscrit dans la perspective d’une économie du marché.
Ensuite, à la différence du capitalisme rhénan et du capitalisme britannique qui
sont des capitalismes dont les spécificités sont, au moins en apparence, très fortes, le
capitalisme français ne correspond pas à un modèle très accusé. Il s’agit d’un modèle
intermédiaire entre le modèle allemand et le modèle anglo-saxon, plus proche
d’ailleurs à divers points de vue de ce dernier que du premier. Ainsi la réglementation
des offres publiques a été calquée quasiment sur le modèle londonien, les pouvoirs
publics s’étant employés depuis 1988 à faire de la place financière de Paris une place
qui pouvait faire efficacement concurrence à celle de Londres. Dans ce contexte, la
perméabilité du milieu français à des logiques dominantes sur les grandes places
financière est assez grande, même s’il ne fait pas de doute que la France oppose
encore beaucoup de facteurs spécifiques de résistance28 comme on le verra dans le
deuxième temps de notre exposé.
Enfin, et cela nous permet déjà de mettre le doigt sur l’ambiguïté de ce qui est
un processus né de la mondialisation, bon nombre des exigences rattachables à ce
gouvernement d’entreprise correspondent à un indiscutable bon sens. Comment ne
pas souscrire par exemple aux principes mis en exergue par CALPERS29 ? La
référence à la corporate governance a ainsi rejoint une exigence de modernisation qui
était patente. Dans bien des cas, elle a été plus un accélérateur qu’un quelconque
élément de subversion. La mondialisation n’est pas toujours un phénomène imposant
aux droits locaux des exigences qui leur sont étrangères. En l’espèce, on sera plutôt
tenté de dire qu’elle a contribué à restaurer dans les sociétés françaises des mécanis-
mes démocratiques qui étaient souvent paralysés. Comme cela peut être observé
assez souvent dans la pratique, la pression de l’environnement international a eu un
rôle de révélateur des rigidités et des limites du droit français des structures ; plus
exactement, elle a eu un rôle de révélateur des défaillances dans les comportements
car il s’agit plus de comportements que de règles juridiques en fait. Avec le
développement de la globalisation des marchés, l’informatisation de l’information et
la croissance des opérations d’investissement transactionnelles, le comportement
28. Cf. Olivier PASTRE, « Le gouvernement d’entreprise : questions de méthode et enjeux théoriques »,
Revue d’Économie Financière, hiver 1994, pp. 15-34.
29. Cf. Richard H. KOPPES, « L’évolution du gouvernement d’entreprise – Tendances actuelles et
orientations futures », Les Petites Affiches, 7 mai 1997, pp. 12 et s., spécialement p. 14 :
– obligation faite aux dirigeants de rendre compte aux actionnaires ;
– nécessité de transparence du marché de par son libre-accès, la standardisation des normes
comptables et le contrôle interne ;
– obligation de traiter de manière équitable tous les actionnaires, même minoritaires ;
– obligation de mettre en place des règles de vote claires et précises ;
– nécessité pour tous les marchés financiers de développer un code de bonne conduite permettant
aux dirigeants et aux administrateurs de s’autoréguler ;
– obligation pour les administrateurs et dirigeants d’avoir une vision stratégique à long terme.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 347
des entreprises françaises s’est trouvé placé sous le regard d’un nombre de plus en
plus grand de parties intéressées. La véritable question est alors de savoir si l’on
assiste à un phénomène de convergence des modèles nationaux ou s’il faut parler
d’un alignement du système français30.
Identifier l’incidence réelle des idées qui se situent dans le sillage de la corporate
governance demeure dès lors tâche délicate. Il convient d’abord de se garder d’un
prosélytisme à bien des points de vue irritant. Il convient ensuite de se garder
d’appliquer à la réalité une grille de lecture « corporate governance » qui permet d’en
relever assez universellement des applications sans pour autant que l’on puisse
percevoir derrière l’expression d’un phénomène cohérent et assis sur de véritables
soubassements théoriques. Constater que les règles d’un système juridique conver-
gent avec les dispositions considérées comme idéales dans un système de corporate
governance ne signifie pas pour autant que la philosophie de ce dernier système
imprègne les comportements des acteurs du système.
Ainsi, si l’hypothèse de départ de notre réflexion peut être celle d’une accultu-
ration des exigences du gouvernement d’entreprise, les voies de cette acculturation
doivent être soigneusement analysées car cette acculturation inconsciente ou volon-
taire des exigences du gouvernement d’entreprise a procédé de trois démarches :
– une démarche volontariste par acculturation de normes purement privées ;
– une démarche imposée par le législateur soucieux de récupérer la maîtrise du
processus de production des normes ;
– une démarche imposée par d’autres autorités dans une logique de régulation.
Dans les trois cas, il est difficile de faire la part de ce qui a été sacrifié à la
mondialisation et de ce qui a été restauration, à l’instar de pratiques internationales,
d’une vision démocratique de la société anonyme.
30. Cf. sur cette problématique : Dominique PLIHON, Jean-Pierre PONSSARD, Philippe
ZARLOWSKI, « Quel scénario pour le gouvernement d’entreprise ? Une hypothèse de double
convergence », Revue d’Économie Financière, n° 63, « Le gouvernement d’entreprise », pp. 35 et s.
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31. « Director’s Remuneration », rapport du groupe de travail présidé par Sir Richard GREENBURY,
Londres, juillet 1995.
32. Créée en 1995, la Commission HAMPEL a publié son rapport en 1998.
33. Cf. KLAUS J. HOPT, « Le gouvernement d’entreprise – Expériences allemandes et européennes »,
Rev. soc., 2001, pp. 2 et s. ; B. PETTET, « The Combined Code ; A. Firm Place for Self Regulation
in Corporate Governance » (1998) Journal of International Banking Law 394.
34. Pour une approche comparative des codes de décontologie en Europe, voir « Comparative Study of
Corporate Governance Codes Relevant to the European Union and its Member States », Final
Report, janvier 2002.
35. Rapport du Comité sur le gouvernement d’entreprise présidé par M. Marc VIENOT, AFEP-MEDEF,
juillet 1999 ; Didier CHERPITEL, « Les défis du rapport VIENOT », Banque stratégie, octobre
1996, pp. 2 à 6.
36. Rapport VIENOT I, « Le conseil d’administration des sociétés cotées », AFEP-CNPF, 1995.
37. « Corporate governance : point de vue d’outre-Manche sur les pratiques françaises » par Michelle
EDKINS et Karina LITVACK, Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 15.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 349
41. Cf. Bernard FIELD, « La governance vient rappeler que le pouvoir n’est pas un bien que l’on
s’approprie », Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 13.
42. Bernard FIELD, op. cit., loc. cit.
43. « Votre conseil d’administration est-il prêt pour le défi mondial ? Le gouvernement d’entreprise en
Europe », édition 1999. Les principaux résultats de l’étude figurent in Sylvie FRONTEZAK,
« Gouvernement d’entreprise : évolutions récentes en France et à l’étranger », Bull. COB, n° 338,
septembre 1999, pp. 1 et s.
Voir également Jean-Philippe SAINT-GEOURS, « Les leçons de la comparaison », Banque
stratégie, n° 171, mai 2000, pp. 7 et s. Pour d’autres approches comparatives, voir « Leading
Corporate Governance Indicators 1999 : an International Comparison – DAVIS GLOBAL
ADVISORS », www.davisglobal.com
Des travaux comparatifs ont été également effectués par KPMG (« Gouvernement d’entreprise :
bilan français et international : Troisième enquête », juillet-août 1998), PRICE WATERHOUSE
COOPERS, RUSSEL REYNOLDS ASSOCIATES (« Corporate Governance at the Down of
Monetary Union », 1999).
L’étude KPMG Audit a été publiée pour la première fois en septembre 1997 puis actualisée. On
trouvera un résumé des conclusions dans l’article de Gérard RIVIÈRE, « Gouvernement d’entreprise
– l’évaluation depuis le rapport VIENOT », Les Cahiers de l’Audit, n° 3, 4e trimestre 1998, pp. 19
et s.
Également in Sylvie FRONTEZAK, « Gouvernement d’entreprise : évolutions récentes en France
et à l’étranger », Bull. COB, n° 338, septembre 1999, pp. 1 et s. On peut encore consulter avec intérêt
les travaux de KORN/FERRY INTERNATIONAL, « Gouvernement d’entreprise 2001 », novem-
bre 2001. Courant 2001, le Cabinet DEMINOR, spécialisé dans la défense des actionnaires, a
annoncé la création d’une agence de notation des pratiques de gouvernement d’entreprise, s’ap-
puyant sur les standards internationalement reconnus en la matière. Voir le site internet de
DEMINOR www.deminor.com. Également Corporate Governance 2001, Review of Trends across
Europe.
44. Les critères retenus sont les suivants :
– la structure du conseil (unitaire ou à deux niveaux) ;
– la déclaration de conformité aux meilleures pratiques de gouvernement d’entreprise publiée dans
le rapport annuel ;
– la création de comités spécialisés (audit, rémunération et sélection) ;
– la proportion d’administrateurs non exécutifs dans le conseil ;
– la présence d’administrateurs étrangers dans le conseil ;
– la publication par la société d’informations relatives à l’âge, la durée des mandats de l’exécutif
et des administrateurs, aux actions de la société et/ou options détenues et à la rémunération des
administrateurs ;
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 351
51. H. PAYEN, « La loi NRE œuvre pour le gouvernement d’entreprise », Option Finance, juin 2001,
n° 648.
52. Cf. Jean PEYRELEVADE, « Le Gouvernement d’entreprise », Economica, 1999, p. 37.
53. On estime au Royaume-Uni que 80 % des sociétés ont un chairman distinct du managing director.
54. Cf. Jean-Pierre BOUERE, « PDG ou président et directeur général », Bull. Joly, 2001, pp. 695 et s.
55. Le « Code of Best Practice » du Comité CADBURY (Rapport décembre 1992) recommande cette
séparation des fonctions.
56. Jean-Pierre BOUERE, op. cit., n° 8, p. 706.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 355
57. Cf. Claude DUCOULOUX-FAVARD, « L’histoire des grandes sociétés en Allemagne, en France
et en Italie », RID Comp., 1992, p. 865.
58. Voir ici Paul CORDONNIER, DC 1941 L 1 et s., également François GAUDU, Rev. soc., 1996,
p. 479, n° 18 et s. Voir également les intéressants développements consacrés à la question par Jean
PEYRELEVADE, « Ce gouvernement d’entreprise », précité, pp. 27 et s.
59. Article L. 225-102-1.
356 _______________________________________________ Mondialisation et droit des sociétés
la demande et faisant état à la fois du sort des options accordées et du sort des options
levées. Ce rapport comportera60 l’indication du nombre, des dates d’échéance et du
prix des options de souscription ou d’achat d’actions qui, durant l’année et à raison
des mandats et fonctions exercés dans la société, ont été consentis à chacun de ces
mandataires sociaux par la société et par celles qui lui sont liées dans les conditions
prévues au sens de l’article L. 225-180 et par les sociétés qu’elle contrôle au sens de
l’article L. 233-16 du Code de commerce. Doivent également être mentionnés dans
ce rapport le nombre, le prix des actions effectivement souscrites ou achetées en
levant ces options en cours d’exercice. Les mêmes informations doivent être données
concernant les options consenties aux dix salariés non-mandataires sociaux bénéfi-
ciant du nombre d’options ainsi consenties le plus élevé.
Enfin, la COB semble avoir concentré son intérêt sur la question de la valeur
actionnariale :
« Les sociétés cotées utilisent de plus en plus fréquemment des indicateurs de
performance financière dérivés notamment du concept de “valeur actionnariale”. Il
apparaît, cependant, que la définition et la composition de ces indicateurs n’ont pas
toujours la transparence et la rigueur requises, ce qui peut en rendre l’interprétation
et la comparaison délicates.
L’action permanente de la Commission en matière de transparence des émet-
teurs relève du souci de s’assurer que la qualité de l’information diffusée aux
épargnants soit la meilleure possible afin qu’ils disposent dans les meilleurs délais
des éléments leur permettant d’apprécier les perspectives d’évaluation des titres.
À ce titre, la Commission se propose de clarifier, en liaison avec les profession-
nels compétents, les conditions dans lesquelles l’information financière utilise ces
ratios de gestion. »65
Cette action est globalement assez discrète mais la COB, de manière peut-être
moins formelle, s’exprime sur un certain nombre de thèmes. Parmi les thèmes qui
donnent lieu à discussion figure notamment la publication trimestrielle des comptes
consolidés. Les sociétés américaines procèdent à ce type de publications qui sont
perçues comme nécessaires pour réaliser l’objectif de bonne information des inves-
tisseurs. La Commission des opérations de bourse est très favorable à l’amélioration
de la fréquence de l’information financière. Au demeurant, cette faveur n’est pas
seulement justifiée par un souci d’alignement sur ce qui tend à devenir une norme
internationale. La COB a constaté les effets dévastateurs des « profits warning », ces
avertissements sur résultat qui ont produit plusieurs fois des conséquences catastro-
phiques sur les cours des titres. C’est aussi pour éviter ces conséquences que la
Commission encourage le développement d’une information plus rapprochée.
65. Rapport, p. 50. Au cours de l’année 2001, la COB a publié une recommandation n° 2001-01 relative
à la communication des émetteurs sur la création de valeur actionnariale (cf. Bulletin COB, n° 356,
avril 2001).
66. « Droit bancaire et financier », Mélanges AEDBF-FRANCE II, 1999, pp. 369 et s.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 359
70. Cf. Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Direction de la prévision, Synthèse des
travaux et débats sur le gouvernement d’entreprise, mai 1996 – mai 1997, p. 4. Également Michel
GERMAIN et Véronique MAGNIER, « Vers un gouvernement d’entreprise à la française ? »,
L’Année Sociologique, 1999, 49, n° 2, p. 370.
71. La concentration est semble-t-il beaucoup plus faible au Royaume-Uni. Une étude publiée à partir
de données de 1990 est assez éclairante de ce point de vue. Voir J. FRANKS et C. MAYER,
« Corporate Control : a Comparison of Insider and Outsider Systems », Working Paper London
Business School and University of Oxford, 1994.
72. Voir ici : Patricia CHARLETY, « Activisme des actionnaires : le cas particulier des fonds de
pension », Bulletin COB, n° 354, février 2001, pp. 17-35 ; également R. LA PORTA, F. LOPEZ-de-
SILANES, A. SHLEIFER, R. VISHNY, « Investor Protection and Corporate Governance », Journal
of Financial Economics, 2000 October.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 361
76. Michelle EDKINS, Karina LITVACK, « Corporate governance : point de vue d’outre-Manche sur
les pratiques françaises », Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 15.
77. ROEM, « Political and Legal Restraints on Ownership and Control of Public Companies », Journal
of Financial Economics, Vol. 27, 1990 ; voir également Dominique PLIHON, Jean-Pierre
PONSSARD et Philippe ZARLOWSKI, « Quel scénario pour le gouvernement d’entreprise ? Une
hypothèse de double convergence », Revue d’Économie Financière, Vol. 63, pp. 35 et s.
78. Éric LOISELET, Banque stratégie, n° 171, mai 2000, p. 2.
79. Déclaration sur les principes de la gouvernance d’entreprise adoptée à Francfort en juillet 1999.
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 363
d’entreprise qui a ici un écho que le souci de modernisation du droit français des
sociétés.
Mais à vrai dire, le droit des sociétés par actions non cotées dérive aujourd’hui
vers d’autres perspectives. Étrangère aux préoccupations de la corporate governance,
la société par actions simplifiée est devenue un mode de fonctionnement confortable
pour les sociétés non cotées : les droits de vote multiples, les répartitions inégalitaires
de bénéfices peuvent prospérer ici sans inconvénient. La transparence est passable-
ment réduite.
On sait aussi qu’un modèle de société fermée européenne a été proposé par la
Chambre de commerce de Paris qui peut demain devenir un cadre à vocation
européenne85.
La Commission européenne a rendu en 1995 un rapport sur « La simplification
de la réglementation sur le fonctionnement des sociétés anonymes dans l’Union
européenne » favorable à un certain nombre d’assouplissements86.
4 CONCLUSION
En définitive, on est ici très loin d’une décomposition du système juridique par le
marché, telle que la décrit Jean-Arnaud MAZÈRES87 : « Le marché se substitue à la
nation, s’impose à l’État, devient le droit. » La mondialisation opère sans doute de
manière plus subtile.
Au-delà des phénomènes de mimétisme dont a essayé de préciser les limites, la
mondialisation tend à accuser la différence déjà très présente dans le droit français
entre les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne et les sociétés qui n’y font
pas appel. Les premières, tout en maintenant sans doute de fortes spécificités
nationales, céderont inexorablement à un certain tropisme des marchés et donc à une
unification culturelle largement centrée sur l’intérêt des actionnaires. Mais il n’est en
aucune manière évident que cette unification se fasse en éliminant ce qui fait
l’essence de chaque droit. Comme le relève Monsieur Philippe BISSARA : « Quant
aux sociétés cotées, les investisseurs s’accommodent en fait de la variété des règles
sous l’empire desquelles elles fonctionnent, pourvu qu’elles donnent des gages de
leur transparence au marché. »88
85. Cf. Jeanne BOUCOURECHLIEV, « Une société de droit européen ? », Paris, Presses de Sciences
Po, CREDA, 1999, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Conseil national du patronat
français, « Société privée européenne », septembre 1998.
86. Rapport définitif – décembre 1995.
87. « L’un et le multiple dans la dialectique marché-nation », in « Marché-nation, regards croisés », dir.
B. STERN, Paris, Montchrétien, 1995, p. 146.
88. « Au seuil d’un nouveau millénaire : quelles perspectives d’évolution pour le droit des sociétés ? »,
Revue des sociétés, 2000, pp. 70 et s.
366 _______________________________________________ Mondialisation et droit des sociétés
Summary
Corporate governance as a normative concept appears to be directly linked to economic
globalisation to the extent that it equally fits all internationally operating enterprises, that
it is recommended by international institutions, and that it corresponds to the interests and
responsibilities of international investors, in particular institutional investors interested
in the primacy of « shareholder value ». The report analyses the meaning and the
importance of the concept of corporate governance by examining, in a first part, the
international spread of the principles of corporate governance, and, in a second part, the
89. Aldo CARDOSO, « Gouvernement d’entreprise. Tout est une question de confiance », Les Cahiers
de l’Audit, n° 3, 4e trimestre 1999, pp. 4-5.
90. Cf. notre article « Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de
pension – titres propres autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997 », Dalloz, 1997, pp. 241 et s.
91. En ce sens, PAILLUSSEAU, « Réforme du droit des sociétés : la nouvelle donne », Fascicule EFE :
compte rendu d’un séminaire des 27 et 28 février 1997.
92. Rapport février 2001 : « Rapport final du Comité des Sages sur la régulation des marchés européens
de valeurs mobilières ».
La structure juridique des entreprises (corporate governance) ___________________________ 367
limits of the influence which the concept may exercise on the rules and practice of national
corporate law.
As regards, first, the international acceptance of the principles of corporate governance,
a distinction is made between, on the one hand, the voluntary introduction of corporate
governance, in particular by way of establishing professional standards and codes of
conduct or by recommendation of public authorities or trade associations, and, on the
other, by – mostly national rather than European – legislative action. In general, the latter
only transforms existing or desirable « best practice » into legal rules, but, in some regard
also takes legislative leadership, e.g. as regards the division of control within a corpora-
tion or as regards transparency of remuneration of board members. Finally, principles of
corporate governance may be imposed or enforced by regulatory action, in particular by
the agency in charge of regulating the stock market or by the courts, when they rule on
matters of corporate organisation or responsibility. Second, as regards the factors limiting
general acceptance of the principles of corporate governance, they may be of an economic
nature such as the high concentration of stock ownership on the Continent, or they may
be of a political nature such as principled resistance to capitalist liberalism. In legal terms,
however, the principal limitations are due to divergent national concepts of the role and
function of enterprises in that they may combine in different ways shareholder interests
with those of labor, e.g. by a variety of forms of codetermination, or with the protection
of the environment or with other societal interests. In addition, principles of corporate
governance are less easily accepted by corporations whose stocks are not listed at the
stock exchange. In sum, therefore, corporate governance is a hallmark of globalisation
with a considerable effect of harmonization and of enhancing the efficiency of corporate
structures, but there is still and there will remain quite some diversity of rules and of
conduct under the various national systems.
H. U.