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Une année à Florence / par

Alexandre Dumas

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Dumas, Alexandre (1802-1870). Une année à Florence / par
Alexandre Dumas. 1851.

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AU t{URE.AU DU S~CLE,i6, RUE DU CRO~Sl~
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J~mpr~~t~tt~ t!~a~c

UNE ANNÉE A FLORENCE.

LE LAC M CUGES ET LA. FONTAINE DE ROUGIEZ. -Ah 1 vous ne connaissez pas Rougiez. Rougiez, mon
cher, c'est un village qui, depuis la création, cherche de
l'eau. Au déluge il s'est désaltéré; depuis ce jour-là bonsoir.
En soixante ans, il a changé trois. fois de place; il cherche
J'étais à Marseille depuis huit jours, et j'y attendais avec une source. Jamais Rougiez n'élit un maire sans lui faire
d'autant plus de patience le moment de mon départ, que j'a- jurer qu'il en trouvera une. J'en ai connu trois qui sont
vais i'hOté! d'Orient pour caravensérail et Méry pour cice- morts à la peine, et deux qui ont donné leur démission..
rone. Mais pourquoi Rougiez ne fait-il pas creuser un puits
Un matin Méry entra plus tôt que d'habitude. artésien ?
Mon cher, me dit-il, féiicitez-nous, nous avons un lac. Rougiez est sur granit de première formation; Rougiez
Comment, lui demandai-je en me frottant les yeux, frappe le rocher pour avoir de l'eau, il en sort du feu. Ah 1
vous avez un lac? vous croyez que cela se fait ainsi. Je voudrais vous y voir,
La Provence avait des montagnes, la Provenceavait des vous qui parlez. En ~8~0, oui, c'était en <8)0, Rougiez prit
neuves, la 'Provence avait des ports de mer, des arcs de l'énergique résolution de se donner une fontaine. Un nou-
triomphe anciens et modernes, la bouillabesse, les devis et veau maire venait d'être nommé, son serment était tout frais,
l'ayoli mais que voulez-vous, elle n'avait pas de lac Dieu il voulait absolument le tenir. Il assembla les notables, les
a voulu qué la Provence fut complète, il lui a envoyé un lac. notables nrent venir un architecte
–Et comment cela? Monsieurl'architecte, dirent les notables, nous voulons
!i lui est tombé du ciel. une fontaine.
-Y a-t-il. longtemps ? Une fontaine, dit l'architecte, rien de plus facile)
Avec les dernières pluies j'en ai appris la nouvelle ce Vraiment? dit le maire.
matin. -Vous allez avoir cela dans une demi-heure.
Mais, nouvelle officielle ? L'architecte prit un compas, une règle, un crayon et du
Tout ce qu'il y a de plus officiel.
–Etoûest-i), ce lac? papier, puis il demanda de l'eau pour délayer de l'encre de
la Chine dans un petit godet de porcelaine.
A Cuges, vous le verrez en allant à Toulon c'est sur
votre route. -De l'eau P dit le maire.
Et les Cugeois sont-ils contens t -Eh bien 1 oui, de l'eau.
Je crois bien qu'ils sont contens, pardieu 1 ils seraient Nous n'en avons pas d'eau, répondit le maire si nous
bien difficiles. avions de l'eau, nous ne vous demanderions pas une fon-
Alors Cuges désirait un lac? taine.
Cuges? Cuges aurait fait des bassesses pour avoir une –C'est juste, dit l'architecte. Et il cracha dans son go-
citerne; Cuges était comme Rougiez; c'est de Cuges et de det et délaya l'encre de la Chine avec un peu de salive.
Rougiez que nous viennent tous les chiens enragés. Vous Puis il se mit à tracer sur le papier une fontaine super-
connaissez Bougiez ? be, surmontée d'une urne percée de quatre trous a masca-
-Non, ma foi 1 rons, avec quatre gerbes d'une eau magnifique.
Ah ah ) 1 dirent le maire et les notables en tirant la tables adressèrent une pétition à la Chambre. Malheureuse-
tangue, ah voilà bien ce qu'il nous faudrait. ment la pétition tomba au milieu des émeutes du mois de
Vous t'aurez; dit l'architecte. juin il fallut bien attendre que la tranquitlité fût rétablie.
Combien cela nous coùtera-t-il 7 Cependant le mal avait un peu diminué. Comme nous
L'architecte prit son crayon, mit une foule de cMCres,Jes_, ~vons dit, l'eau s'était rapprochée d'une lieue et demie:
uns sous les autres, puis il additionna. c'était bien quelque chose; aussi Rougiez aurait-il pris sa
Cela vous coûtera vingt-cinq mille francs, dit l'archi- soifen patience, sans les épigrammes de Nans.
tecte. –Mais, interrompit Méry, usant du même artificeque
–Et nous aurons une fontaine comme celle-là P? l'Arioste, cela nous éloigne beaucoup de Cuges.
–P)usbei)e. Mon cher, lui répondis-je, je voyage pour m'instruire,
Avec quatre gerbes d'eau semblables ? tes excursions sont donc de mon domaine. Nous reviendrons
Plus grosses. àCuges par Nans. Qu'est-ce queNans?
Vous en répondez?il -Nans, mon ami, c'est un village qui est fier de ses eaux
-Tiens, pardieu Vous savez, mon cher, continua Méry, et de ses arbres. A Nans, les fontaines coulent de source, et
les architectes répondent toujours de tout. les platanes poussent tout seuls. Nans s'a'euve aux casca-
Eh bien dirent les notables, commencez la besogne. des de Giniès, qui coulent sous des trembles, des sycomores,
En attendant, on atGcha ,le plan de l'architecte à ;)a mai- et dès-chênes Mânes -et ~erts. Nans.-fMtemi&e ~vac-cettc
rie tout ID village.a!la le. voir, et u'en .revint que (plus al- 1 tongue'dhaîne de montagnes gui porte comme un aqueduc
téré. nature)Bes eanxSte Satnt-CasStBM aux v~lé& theasalaennes
On se nul àlailler les pierres du bassin, èt dix ans après, de Gem'enos.T)ieu à versé Teau ét l'ombre sur T{ans, en se-
c'est-à-dire le )" mai <820, Rougiez eut la satisfaction de couant la poussière sur Rougiez. Respectons les secrets de
voir ce travail terminé i) avait coûte ~o,000 francs. La con- la Providence.
fection de l'urne hydraulique fut poussée plus vivement, Or, chaque fois qu'un charretier de Nans passait avec son
cinq petites années sufHrcnt pour la sculpter et la mettre en mulet devant le bassin de Rougiez, il défaisait le licou et la
place. On était alors en <825. On promit à l'architecte une bride de son animal, et le conduisant à la vasque de pierre,
gratification de mille écus s'il parvenait, la même année, à l'invitait à boire l'eau absente et attendue depuis 48)0. Le
mettre ta fontaine en transpiration. L'eau en vint à la bou- mulet attongeait la tête, ouvrait la narine, humait la chaleur
che de l'architecte, et il commença à faire creuser, car il de la pierre, il fait un soleil d'Afrique à Rougiez, et
avaitjeuTa m~5~ia$eque vous, un puits artésien. A cinq ¡ -jetait -a -snn maître un oblique regard, comme pour lui re-
pieds sous le sol, il trouva le granit. Comme un architecte procher sa mystification. Or, ce regard, qui faisait rire à
ne peut pas avoir tort, 1 dit qu'un forçat évadé avait jeté gorge déployée le Nansais, faisait grincer des dents aux
son boulet dans le conduit, et qu'il allait aviser à un autre Rougiessains. On résolut donc de trouver de l'argent à tout
moyen. ifncnt)!Mr~)Vtrr
<'
faire
prix, dût-on vendre les vignes de Rougiez pour boire de
tfT prendre patience aux notables, l'eau; d'ailleurs les Rougiessains avaient remarqué que rien
l'architecte planta autour du bassin une belle promenade de n'altère comme le vin.
platanes, arbres friands d'humidité, et qui la boivent avec Le maire de Rougiez, qui a cent écus de rente, donna
délices par les racines. Les platanes se laissèrent planter, l'exemple du dévoûment ses trois gendres l'imitèrent. H
maisils.promijrent.bicndene pas.pousser une feuille tant avaLt.mapiéj ses 4.rtMSAUps~ dan~ -)'t~r~e~t<}uan~sa
qu'on'ne leur donnerait pasd~au; le maire, sa femme et pauvre femme, ette était morte sans avoir eu !à consolation
ses trois nDes, aDcront tous les soirs, pour les .encourager, de voir couler la fontaine. Tous les administrés, entraînés
se .promener à l'ambre Ue leurs jeunes troncs. par un élan national, contribuèrent au prorata de leurs
Cependant, 'Rongiez., après avoir fait ses quatre repas. moyens.; on atteignit un chiffre assez, élevé .pour oser diceàà
était obligé d'aller'boire à une source abondante qui voulait t'architectc:Cdmmëncez'!ecana). v
à (rois .fieues.au midi c'est dur quand on a.payévingt-cinq TEn'nn, 'mon cher,, continua Mëry,, ap!'es Ylhtg'i-s'ts/.ans.'cf'es-
mille francs pour avoir de .l'eau- pérances conçues et aétru~es, lès 'travaux ont'été termines
L'architecte redemanda cinq autre mille francs, mais.la la semaine dernière.; .l'architecte fépondit du-résulta~.t~i-
bourse de la commune était à sec comme son bassin. nauguration ae ta fontaine Tut 'flxee:au d'imanctie savant, et
La révolution de .jmllët arriva les'habUans de Rougiez le maire de Rougiez 'invita, .par .des aûiches et des citputa!-
reprirent espoir, mais rien ne -vint. Mors le maire, .qui était res, tes popùlations des communes voisines assister à la
un'homme lettre, .se ranpeJale procède des Romains, qud grande fête de l'eau sur ta .place de Rodiez.
a!!aienttchercn.er Teau où étlc,ëtait p:t qui 'ramenaient ou lis Le .programme .était court, ce qui nel'aura!< rendu que

en quête.
voulaient qu~HeJfû.t témon 1e.pont du Gard. 'H .s'agissait meilleur, s'il e&tetÉÏenu.
donc toutLonnementde trouver .une source un jpeu mou)s
éloignée que celle où'Rougicz allait se désaltérer.ûn.se.mi.t
Le vô~cj
((Art. etun'ique.Je maire DuvriM te "bat sur ~aa'
place ue'tàpontainc, et aux premiers sons-tLu lamb(Mirin,)a
Au bout d'un an de recherches on trouva une .source qui fontaine coulera.
n'était qu'à une lieue et demie de Rougiez~ c'étatt d~à moi- Vous comprenez, mon cher, ce qu'une paMitIe.~mtorce
tié chemin d'épargné. attira de curieux..Ueut -d'énormes .pans <!e fa<ts~ tes uns
Alors on délibéra pour savoir'sTI ne 'vainlràit psrs fnieux parièrent que ia'fon'ta'ine coulerait, les autres parièrent
aller chercher'ie'villagc,sa fontaine et ses platanes, ttles la fontaine ne coûterait pas.
q
amener 'a t)a source, <que :de conctutre la soarce ao 'v?Mage. On vint à la fête de tous les vIHages circonvoisins, de
MaMfewreusenienHe moire avait ane'bell'e'vae de 5esfet)%- Tretz, qui s'enorgueilfit de ses redoutes romaines, d~ Plan-
très, et i) craignaM'de'la'perdre 'il iint en conséquence à ce d'Aups, illustré par .l'abbé Garnier; de Pépin, Corde ses
que ce fût la source qui vint le trouver. mines de'ttouiïtes; deSaint-Maximin, qui conserve la Icte
On eut de nouveau recours à l'Architecte, avec lequel on de sainte Madelaine, grâce à laquelle le villageoblient de la
étaitcn froid. D~cmajtda vingt.mille francs pour creuser un ptuie. à volonté.de Tourves, qui ~u-les amours de Val-
canal. belle et de mademoiselle Clairon de Bessc, qui donna nais-
Rougiez n'avait pas le premier milledes vingt mille francs. sance au fameux Gaspard, le plus .gâtant des voleurs (<), et
Réduit à cette extrémité, Rougiez se souvint qu'ail existai enfin du vallon de Ligmore gui s~étend aux.lituites de l'anti-
une chambre. Le maire, qui avait .fait un voyage Parist
assura même que chaque fois qu'un orateur montait;à la .tri, !(t) Gaspard de 60~6, voyhnt un de ses hommes qui voulait totf-
bune, onlui apportait un verre d'eau sucrée. II pensa donc
des vivaient pcr le doigt d'une femme parce qu'il n'en pouvait pas .tirer «M
que gens qui dans une telle abondance ne lais- bague précieuse, mit terre devant elle, et tira la ba-
seraient pas leurs compatriotes mourir de la pépie. Les no- gue avec ses dents, un genou en
que'Gargamas.vous-même, mon. cher, si vo~s ëHez.vtm'a C'était juste ce que prédisait Nostradamus.
deux jours plus tôt, vous auriez pu y aller. R'ougioz, scanoc tenant et dans: )e' premier' mouvement
Nans:arriva enfin avec tous.sc5.mu)ëtssa~siicou~et'sans d'entiteuMasme*, s'impo&a'une'nom'cHe'ccmtfiBu~ont
BrMe, déclarant qu~eiic ne'epoipa~ à' Feau'que quand ses Puis tous les villages, vioion~cnt~'et. mulets en'qucue,
mu«s~ auraient Bw se rendirent aux fontaines de Saitrt-Genië~, où te !)a) recom-
C'était à cinq heures que devait s'ouvrir le bal. On avaft mença, et où les danseurs se HvrarenC & mre= orgie hydrau-
attendu que la grande cha<M)r CfUt pass~tf, (? pear'que les lique digne de i'age d'or.
danseùns m' dassëehassant ia' fontaine. Cinq n'cm'as-son- En attendant, Rougiez, tranquillisé par la prophétie de
~rcnt. Nostradamus, compte sur L'an-40. Maintenant vous compre-
ï!'yeuetm'momenfdbairBnceso)e!fm'r. nez, mon cher, combien Rougiez doit être furieux du bon-
te'ma~re'aira inviter'sa'danseuseetviht se'm'eMre en'p~BB heur qui arrive à Cuges.
avee'eDb, le visage tourné vers !a tontine. Ees persom~cs Peste 1 je crois bien Mais est-ce bien vrai que Cuges
indiquëcs~poup-Gompiëter'Ie'q~tadrn~isaisirent son exem- aituniac?
pt:.~hJssitoHesnnitetSd6 N.fnfs- a'apprsstent dtr baexin. Parbleu 1
Les~vw~nsdonTfent~ Hey na~eo))~ pfë!udt!n<?e!fnot)es Mais un vrai lac 7?
e)aire?~ sonores eonnnB')e'ctran~.de')~bueH<B'. –'Ujt vrai' tac li pris.si gnam~ qtre~e-tao'Ontafib', trîjque le
Le'3%)Ta!'e&td'<mM;Ja ï'HoupneHe* commence. Mf~BtëTH* lac Léman, pardieu~! mais.nn'lac comnre )!e' lac d'Engniënt
lë'maitre- est a ta gaùene' d<6's~ dansense, ? pied'dfo~ en –Mais comment ceias'est-i~ fait?'
avanC;' tbns les yeux sont n~ës sur )frBspccta))!e ma~stpat –Voi)à!. (Eugcs est! situe-dans'unentonnoir. 1); est'toïntB
qui, comprenant rimportanceda'sa'sauat&m', pedc~Icdë beaucoup de neige cet hcvH'; et beaucoup' d'eau cet et6: Ba
d!gniM: 'L'àrcaitecte~ la-'B~uettfa !a' mafn', strt~eat prêt, !t)M)ge'e~)~eau' r~uai'esontfattnn.iac. Ce lac; à'ce~H< pa-
comme'Mo~B.a'fMpper. ra!~ s'ëst'.mis en sommu'nicadon'arYeo'dea sources qui ont
-En avant deux crie l'orchestre.En avant deux poupt~
1 pmmBade'Fa~menter: Des canarde saniva~BS qui pnssa?ent
rrëh'!5' l'ont pnsau serienx, etse sent abattus: dessus. Du'monrsnt
te mafre' et; sa da~'sMSC s'~n'ce~t'VBrs!tc ibtttaite' pocr et)i!)yxemde5 canards- sur- fe It)t[!, on construit des' ba-
ar
gafuer l't'au' nàfssan<b'~ fentes' fes= Bou'cne? a~ntp't~vn'nt teaux pour leur donner ia chasse. De sorte qu'Qncnagae
pour'aspirEr'ces premfèrc~ gout~~aHend~e~depa'fs 4~0; déjà sur )e lac deCagas, mon cher. Oh n'y'p~che'pas encore,
!esmn)ets ~nmascnt d'ëspëranBS, L'architecte te~esa'ba~- c'est vrai- mais ]a' pèche' est déjà )'ouëe' pour l'année pro-
~eH~:NaT)~es~atiattue,R'<t<igiMtriomphe: chaine.-Quand'vous y passerM, faites-y~ attention' soir'et
TouOà' coup'it'~viMons' s'aff~nt, ?9 uageoitts fonCun matin, it' a' une'vapemr. C'est un-vrai i5pc~
canard', Fes 6agtreMes resCent sn'spend'n'es~ –VnxsMtendor, ~<je!) Jadin qtu entMt, !)' nous faut
MtrcMtfcte a frappe la faTftaine'db' sa.vBrga, mafis.!a <b!t- un dessin de Cuges: et <te son lac.
ttiire'n'a pas'cotrré'. Le matrc pa)<t, jette guT'rarcMtcetfnn On vous )e fera, répondit Jadin mais le déjeuner'?'
regard-foudroyatM. ~rcMtccte frappe la~ataine- d'un' se'- C'estt TMM, dia-je'à~Méry; eOe'd~euner?
cond coup. L'eau ne' para~ pas. C'est juste, BepntM~ry, ee' maudit )ac de Ctrges'm'A-
]~ns'it,.T'ret~s'&)digne,Fcpfn'Bondit, Bessej-nre', Satnt- iait< fait perdre la't'été. Le déjeuner vous attend' an château
Hatrmin's~rrite tous' les v!!)a'gcs invites à ta' Mtë menacent <Mf.
Rougiëz'd'unp SBdrtion'. Le m'aire tire' soir écnarpe d8'sa po- –Et <omment.al)ons'nonsau château cPK?'
che', Ta roDfè autour de' son abdomen, et d~are' que-force Je ne vous l'ai pas dit?
restera a' la ior. –Mais'.non.
Croyez ça et buvez de l'eau, répond Nans. –BS~e'.d&iaedB Cagast c'est encopes~fauH' c'est <~ne
–Mionstem'Farcnitecte'rcna le maire, monsieur t'aMhi- c'est tcn )a~ nMm d))M'; parafe ~honneu~ un vrai tac. Eh
Metc, vous m'avcx'repondu de')a fbntaHte:d'<9û ïi'enPque'ta Bien matsTtKtsa))ëz' au'Gitateau) d~f'dans-un'cHarma!)t h9t-
fontaine ne coule pas'?" teau qu'un de nos amis vous prêter un bateau ponte'aveole-
E'areltittcFe'pnt aon crayon, tira' des~ lignes. superposa (~ueion'i<KtMau!t!ndes.
aes'chifR-e~, cta~rësun quprt d'heure' de' calculs, dedara Et oùest-iHa bateau?'
–N.voaa.aMend's~r'tepoct.
que les deux carr)?s'eonst~u~ssur )~s: pecHes tfgnes:~e'))y-
pe~~ttsë étant* <%auyau) troisième', !a'fo~~?~ne-ë~ait-cM~gee iflions.
–Eh bien!
–Nom.p~a'iiez.
de coûter.
Et pourtant, dit Nans etr hoan< Roo~e~ etîe'Be eou!e Comment, vous ne venez pas avec nona?'
c'était ra'mente' ctose' qtre' le Pafe'~t'M de'GaMée, M)0<, aller e~met, <tiitiMery';je:n!iTais.paB atif !e' lac
pas
excepté que c'était tout le contraire. deLCages~
'Satnt-Za'chafrie~a'inMrposaet'prêcha' !a mofteMtiM~ C'é- Mery, i'host)tta]<t~ exige ~e'vouBnou~ accompagniez.
tittfMen faei)e''a Satni-zactrarie. Saiht'-ZacHarM'donne nais- Jes~s Uicn'q~e'je suis dany mon tort; mais' que vou-
sance à cette belle rivière de i'Huveaume,qui' roule tambde tM~'ousï:
poussière dans son lit. -~Je vpu~un'dc~mm'a~ement'.
Etr m~me temps', tme'YieH<e' femme s'avança avec !es. een- –Lequel?
tmcies de Nostradamus, rëc]ama')e sHence, et lut !a centurie –CenFTBr~surMafsciDe pendant' que nous irons' au
suivante chateau~tn.
–Deux eents~ai voua voulez.:
Sous bois b6nict de saincte p&pilcnte,. C'est) cMfenu'.
Avec pépie et géhenne au gcsier,
bougiez bevra bonne eau en l'an quarante,
–Arrêté,
En grand soulas et liesse en Mvrier. –.Songez-y, nous serons de retour dans deux heures.
Dans deux. hruTes.voscont'vcrs seront faits.
Cette prophétie est ciaire comme de l'eau de roche, Cette convention, conoiue, nous nou& rendimes sur te'port.
dit )c maire. A chaque personne qu'! Méry rencontrait

suis (rompe.
Et elle sera accomplie, dit l'architecte, c'est moi qui me
Ah
j
s'écria î~ougiëz triomphant, ce n'est point la faute ne
Votts'savcz'y (tisnit-i)', que euges a nn )ac'.
Pantieu répondaient les. passans, un~ lac superbe~ on
peut pas en trouver le fond,
de la fontaine. –Yoy('z-vous!?fép~Oi<'Mcry.
C'est la mienne, dit t'architecte~ te e!ma)! dWair Ctre Su!')c'()uaitt'Ot')mtMnous trouvâmes un charmant t'a-
creusé en H~neconvetc, il a. été' creuso- en ligne. concave. teau qui nous attendait.
C'est une aO'ji're de quatre ou'einq ans pRt'o'e, et d'une di- Voi!a votre C!))))~)'caHo]), nous-dit Mëry: é'

zaine de mille francs :)u ptus, pui& la fontaine'coutet'a. –Et j'aurai mes vers?
Ils seront faits. rinage politique, comme la Sainte-Beaume est un pèlerinage
Nous descendlmesdans le bateau, tes bateliers appuyèrent religieux.
leurs rames contre le quai, et nous quittâmes le bord. Le château d'If était la prison où l'on enfermait autrefois
Bon voyage nous cria Méry. les fils de famille mauvais sujets; citait une chose hérédi-
Et il s'en alla en disant tairement convenue le fils pouvait demandw la chambre
Ce diable de Cuges qui a un lac du père.
Mirabeau y fut envoyé à ce titre.
Il avait un père fou et surtout ridicule; il l'exaspéra par
iesdéréglemensinoutsd'une jeunesse où débordait la sève
des passions; tous ses pas jusqu'alors avaient été marqués
par des scandales qui avaient soulevé l'opinion publique.
Mirabeau, resté libre, était perdu de réputation. Mirabeau
IMPROVISATION. prisonnier fut sauvé par la pitié qui s'attacha à lui.
Puis cette réclusion cruelle était peut-être une des voies
dont se servait la Providence pour forcer le jeune homme a
Le premier monument qu'on aperçoit & sa droite, quand étudier sur lui-même la tyrannie dans tous ses détails; il en
on va du quai d'Oriéans à la mer, c'est la Consigne. résulta que, lorsque la révolution s'approcha, Mirabeau put
La Consigne est un monument de fraîche et moderne mettre au service de cette grande catastrophe sociale, ses
tournure, avec de nombreuses fenêtres garnies de triples passions arrêtées dans leur course et ses colères amassées
grilles, donnant sur le bassin du port. pendant une longue prison.
Au dessous de ces fenêtres sont force gens qui échangent La société ancienne l'avait condamné à mort il lui ren-
des paroles avec les habitans de cette charmante maison. voya sa condamnation, et le 2t janvier <T95 l'arrêt fut exé-
On croirait être à Madrid, et on prendrait volontiers tous cuté.
ces gens pour des amans qui se cachent d'un tuteur. La chambre qu'habitaMirabeau, la première et souvent la
Point; ce sont des cousins, des frères et des sœurs qui ont seule qu'on demandeà voir, tant le colosse républicain a em-
peur de la peste. pli cette vieille forteresse de son nom, est la dernière à
La Consigne est le parloir de la quarantaine. droite dans la cour, à l'angle sud-ouest du château; c'est un
Un peu plus loin, en face du fort Saint-Nicolas,bâti par cachot qui ne se distingue des autres que parce qu'il est
Louis XIV, est la tour Saint-Jean bâtie par le roi René; plus sombre peut-être. Une espèce d'alcôve taillée dans le
c'est par la fenêtre carrée, située au second étage, qu'essaya roc indique la place où était son-lit; deux crampons qui sou-
de se sauver on 93 ce pauvre duc de Montpensier,qui a laissé tenaient une planche aujourd'hui absente, la place où il
de si charmans mémoires sur sa captivité avec le prince de mettait ses livres; enfin quelques restes de peintures à
Conti. bandes longitudinales bleues et jaunes, font foi des amélio-
On sait que la corde grâce a laquelle il espérait gagner rations que la philanthropie de l'ami des hommes avait per-
la terre étant trop courte, le pauvre prisonnier se laissa tom- mis au prisonnier d'introduire dans sa prison.
ber au hasard et se hrisa la cuisse en tombant; au point du Je ne suis pas de l'avis de ceux qui prétendent que Mira-
jour, des pécheurs le trouvèrent évanoui et le portèrent chez beau captif pressentait son avenir; il aurait fallu pour cela
un perruquieroù il obtint de rester jusqu'à son entière gué- qu'il devinât la révolution. Est-ce que le matelot, quand le
rison. ciel est pur, quand la mer est belle, devine la tempête qui le
Le perruquier avait une fille, une de ces jolies grisettes jettera sur quelque ile sauvage, dont sa supériorité le fera
de Marseille qui ont des bas jaunes et un pied d'Andalouse. le roi?
Je ne serai pas plus indiscret que le prince, mais cela En sortant de la chambre de Mirabeau, l'invalide,qui sert
me coûte. H y avait une jolie histoire à raconter sur cette de cicerone au voyageur lui fait voir quelques vieilles plan-
jeune fille et le pauvre blessé. ches qui pourrissent sous un hangard
Nous laissâmes à notre droite le rocher de l'Esteou nous C'est le cercueil qui ramena le corps de Kléber en France.
étioas juste sur la Marseille de César que la mer a recou- A notre retour nous trouvâmes Méry qui nous attendait
verte. Quand il fait beau temps dit-on, quand la mer est en fumant son cigare sur le quai d'Orléans.
calme, on voit encore des ruines au fond de l'eau. J'ai bien Et mes vers? lui criai-je du plus loin que je l'aperçus.
peur qu'il n'en soit de la Marseille de César comme du pas- Vos vers?
sage des pigeons. Eh bien 1 oui, mes versPP
Au pied d'un rocher, près du Château-Vert, nous aper- Ils sont faits, vos vers, il y a une heure.
çûmes Méry; il nous montra qu'il avait à la main un papier Je sautai sur le quai.
et un crayon. Je commençai à croire qu'il avait aussi bien Où sont-iis ? demandai-je en prenant Méry au collet.
fait de ne pas venir; nous avions vent debout, un diable de Pardieu, les voila, j'ai eu le temps de les recopier
mistral qui ne voulait pas nous laisser sortir du port, mais êtes-vous content ?y
qui promettait de bien nous secouer une fois que nous en C'est miraculeux mon cher.
serions sortis. En effet, en moins d'une heure, Méry avait fait cent vingt-
En face de la sortie du port, l'horizon semble fermé par huit vers l'un dans l'autre, c'était plus de deux vers par
les îles de Ratonneau et de Pommègues. Ces deux iles, réu- minute.
nies par une jetée, forment le port de Frioul, Fretum Ju- je les cite, non point parce qu'ils me sont adressés, mais
lii, détroit de César. Pardon, i'étymoiogie n'est pas de à cause du tour de force.
moi cette jetée est un ouvrage moderne; quant au Frioul, Les voici
c'est le port du typhus, du choléra, de la peste et de la Se-
vre jaune, la douane des Oéaux, ie lazaret enfin. MARSEILLE.
Aussi y a-t-il toujours dans le port du Frioul bon nombre
de vaisseaux qui ont un air ennuyé des plus pénibles à voir.
Malheureusement, ou heureusement plutôt, MarseiHe n'a
point encore oublié la fameuse peste de <T20, que lui avait
apportée le capitaine Çhataud. A Alexandre Bmnas.
La troisième !)e des environs de Marseille, la plus célèbre
des trois, est l'ile d'If; cependant I't)e d'If n'est qu'un écueil; Tantôt j'étais assis près do la rive aimée,
mais sur cet écueil est une forteresse, et dans cette forteresse La mer aux pieds, couvert de l'humide fumée
est le cachot de Mirabeau. Qui s'élève des rocs lorsque les flots Nouvans
Il en résulte que l'ile d'If est devenue une espèce de pèle- S'abandonnentlascifs aux caresses des vent:.
L'air était, froid décembre étendait sur ma tête Une tour, qu'épargnait notre peuple rongeur,
Son crêpe nébuleux, drapeau do la tempête Aurait pu t'arrêter un instant. voyageur!
Les alcyons au vol gagnaient l'abri du port Moi je t'ai vue enfant noble tour! elle seule
Le Midi s'effaçait, sous les teintes du Nord. A chaque Marseillais rappelait son aïeute.
La Méditerranée, orageuse et grondante, Un jour d'assaut, un jour d'héroïque vertu,
Comme un lac échappé du sombre enfer de Dante, Nos mères, a. son ombre, avaient bien combattu!1
N'avait plus son parfum, plus son riant sommei), Elle avait des créneaux ou )a conque marine
Plus ses paillettes d'or qu'elle emprunte au soleil. Sifflait l'air belliqueux, lorsque la coulevrine,
Il le fallait ainsi la mer intelligente S'allongeant, envoyait, d'un homicide vol,
Qui roule de Marseille au golfe d'Agrigente, Le boulet de Marseille au dévot Espagnol.
Notre classique mer, avait su revêtir Sur cette haute tour, la tour de Sainte-Faute,
Le plaid d'Ecosse au lieu de la pourpre de Tyr: Flottait notre drapeau! Là, le coq de la Gaulel
Cest ainsi, voyageur, qu'elle te faisait fête, Et sur l'écu d'argent, si redouté des rois,
A toi, l'enfant du Nord, dramatiquepoète, L'azur de notre ciel dessinant une croix
Le jour où, couronné d'un cortége d'amis, Elle s'est éboulée 0 voyageur, approche,
La voile au vent, debout sur le canot promis, Il te faut aujourd'hui visiter une roche;
Loin du port; où la vague expire, où le vent gronde, C'est un fort monument qui rcsi:te à la mer;
Loin de la citadelle, où surgit la toar ronde, Se rit du feu grégeois et méprise le fer.
Vers l'archipelvoisin tu voguais si joyeux,
Et pour tout voir n'ayant pas assez de tes yeux. Nous n'avons ni palais, ni temples, ni portiques,
Les seuls monts d'alentour sont nos trésors antiques,
Moi, l'amant de la mer, et que la mer tourmente, Et même, tant Marseille a subi de malheurs,
Moi, qui redoute un peu mon orageuse amante, Us n'ont plus ni tours bois, ni leurs vallons de fleurs.
Sur la brume des eaux je te suivais de l'œil Tourne ta proue, oh viens, la vi))c grecque est morte,
Je conjurais de loin la tempête et l'écueil, Oui, mais Marseille vit; elle t'ouvre sa porte
En répétant tout bas à ta chaloupe agile La splendide cité, reine de ces climats,
Les vers qu'Horace chante au vaisseau de Virgile; Cache l'fau de son port sous l'ombre de ses mâts.
Et puis, en te perdant sur les i:ots écumeux, Elle est riche eUe peut, à défaut de ruines,'
Mes souvenirsvenaient, noirs et tristes comme eux Couvrir de monumens sa plaine et ses collines.
Son nom, que sur le globe elle fait retentir,
Combien de fois, depuis mes courses enfantines, Est plus grand que les noms de Sidon et do Tyr.
J'ai contemplé la mer et ses voiles latines; Elle envoie aujourd'hui les cnfans de son mOle
L'île de Mirabeau,rocailleuse prison Aux feux de la Torride, aux glacières du p6to
Les Monts-Bleus dont le cap s'effite à l'horizon Partout, son f~avUton, à l'heure où je t'écris.
Et les golfes secrets, où le flot de Provence L'univers commerçant le salue à grands cris.
Chante de volupté sous le pin qui s'arance. Les trésors échanges de sa rive féconde
Alors, à cet aspect, je ne songeais à rien, Illustrent les bazars de Delhy, do Golconde,
C'était un tableau calme, un rêve aérien, De Lahore, d'A)ep, de Bagdad, d'Ispahan,
Un paysage d'or. La vague, douce et lente, Que la terre couronne et quo ceint l'Océan.
Endormait dans l'oubli ma pensée indolente. Notre voisine sceur, l'Orientale Asie,
'Aujourd'hui,toi voguant au voisin archipel, Couvre ce port heureuxde tant de poésie;
La brise obéissant a ton joyeux appel, Les longs quais de ce port, congrès da l'univers,
Je ne sais trop pourquoi de tristes revoies Sont hroyés nuit et jour par tant d'hommes divers,
Fanent aux mêmes bords mes visions Jeunes. Qu'un voyageur mêlé dans la foule mouvante,
Je ne songe qu'aux jours où le deuil en passant. Marbre aux mille couleurs,mosaïque vivante,
A coloré ces flots d'une teinte de sang, Croit vivre en Orient, ou, dans les jour,< premiers,
Où la peste, vingt fois do rodent venue, Sous Didon ao Carlhage, au pays des palmiers.
A frappé cette ville agonisante et nue; Ainsi donc le commerce est chez uous poétique.
Où les temples sacrés du rivage voisin, Poëte, viens t'asseoir sous quelque frais portique;
Meurtrisdu fer de Rome ou du fer sarrasin, Si je no puis oflrir à ton brûlant regard
Se sont évanouis comme la vapeur grise Ni tes temples n!mois, ni l'aqueduc du Gard
Que ma bouche aspirante abandonneà la brise. Ni la vieille Phocée à &a gloire ravie
A défaut de la mort, viens contempler la vie;
Pèlerin, sur la mer, en détournant les yeux, Le cœur se réjouit à cet éclat si beau,
Ici, tu ne peux voir ce qu'ont vu mes aïeux L'opulente maison vaut mieux que le tombeau.
Cette tie de maisons, près de la tour placée,
Oh 1 non, non, co n'est point la fille de Phocée; Maintenant, me dit Méry après que j'eus lu ses vers, ce
Elle est bien morte, et l'algae a tissé son linceul. n'est pas le tout. Pendant le temps que j'ai perdu & vous
Son cadavre est visible aux regards de Dieu seul. attendre, je vous ai retrouvé une chronique qui vous ma
Peut-être sous les flots elle dort tout entière, que pour compléter votre tableau de Marseille.
Et M golfe riant lui sert de cimetière. Laquelle ?
Hétas! sur nos remparts trois mille ans ont pes6, C'est Marseille en 93.
Le roc des Phocéens lui-même s'est usé; Vite)a chronique.
Et chaque jour encor la vague déracine Allons d'abord place du Petit-Mazeau; mon frère nous
Cette église qui fut le temple de Lucine, y attend avec ses manuscrits.
Cette haute esplanade où tant do travaux lents Nous nous rendimes à la rue désignée Louis Méry me
Avaient amoncelé les péristyles blancs, montra une petite maison, basse et de chétivc apparence, et
Divine architecture, expirée,
en naissant que cependant on avait récrépie et mise à neuf autant que la
Comme sa sœur qui dort dans les flots du Pyrée, chose était possible.
Et qui du moins en Grèce, aux murs du Parthénon, Regardez bien cette maison, me dit Louis Méry.
En s'éteignant laissa les lettres de son nom 1. son ?
C'est fait. Eh bien ) 1 qu'est-ce que c'est que cette mai-
Il no nous reste rien, à nous; rien ne surnage Rentrez à votre Mte!, lisez ce manuscrit et vous le
De notre vie antique, et rien du moyen-âge. saurez.
J'obéis ponctuellement je lus le manuscrit de la première mieres brises du soir, demeuraient fermées; enfin, dernier
a)aderniéreligne. symptôme de douleur, encore plus terrible dans une ville
Voici ce que c'était que cette maison. commercialeque dans toute autre, les boutiques s'étaient do-
ses, à l'exception d'une seule.
Sans doute c'était à cause de l'innocent commerce de célui
qui l'habitait, car au-dessus de la porte de cette boutique il
y avait une enseigne qui disait:
Coquelin, faiseur de joujoux en carton.

MARSEILLE EN 95. Du reste, probablement pour appeler la protection dé la


république sur son établissement, )o propriétaire avait fait
peindre un bonnet rouge au dessus de cette enseigne, dont
l'inscription se trouvait en outre encadrée entre une bâche
COQUELM (~. et un croissant.
La boutique de Coquelin s'ouvrait sur ta place du Pftit-
Mazeau. C'êtaitune espèce de voûte, petiteet obscure. Célui
qui en passant y jetait un coup d'œit apercevait, à ped de
Vers le mois de mars ~93, un homme arriva de Paris à distance du seuil de la porte, une table et une ebatse, erde-
Marseille, se rendit immédiatementau palais, mit sur sa'tête vant cette table, et sur cette chaise, un homme à t'œit éteint,
un chapeau orné de plumes tricolores, et déploya un papier aux joues pendantes, occupé à promener les deux branches
signé par les membres du comité de salut public, lequel pa- de ses ciseaux à travers une feuille de carton,.à achever une
pier t'instituait présidentdutribunat révolutionnaire. On le boite, une brouette, une maison, un puits;un arbre, ou bien
laissa i~ire sans s'opposer en rien son installation seu- encore à faire rouler un carrosse attelé de ses chevaux, it fai-
lement on lui demanda comment il s'appelait: il répondit re danser un pantin en le tirait par le fil qui pendait entre
qu'il s'appelait le citoyen Brutus. C'ctaMnn nom formata ses jambes, ou à habiller et déshabiller un&poupée. Au res-
mode à cette époque; aussi personne ne s'étonna du choix te, quelle: que fut la chose dont il s'occupât, ses mouve-
qu'on avait fait à Paris du citoyen président du tribunal ré- mens étaient, doux et modérés; il dirigeait tenten*ent sa
volutionnaire de Marseille. main'vo~ps le compas ou te pot à colle, prenait, eN) remaant
Pendant toute l'année 92 et tout le commencementde l'an- méthodiquementla tête, le pinceau ou le canif, et sa figure
née 95, la guillotine avait nn peu langui à Marseilte, on en restait coBstamment animée d'une bienveillante: sonHM~ence
avait porté plainte au comité de salut publie, et le comité de parfaitement d'accord avec ses juvéniles occupationa.
salut pubiicavait envoyé, comme nous l'avons dit, le citoyen De temps en temps il se tevait, entraH dans son arritère-
Brutus pour rendre un peu d'activité à la machine patrioti- boutique, et là disparaissait aux regards de&passam&0n
que. A la première vue on put s'apercsvoir que le choix entendait alors le bruit d'une roue, de&s~s.etaifs et.Rtpi-
était bon le citoyen Brutus s'entendait à merveille à déver- des pareils à ceux dont le rémouleur modère, ou augmente
ser surles planches de la guittotine !e trop-pleindes prisons. l'activité, selon qu'en sa courbant sur sa pierre, i~peesse
On lui remettait chaque matin des Hste~ de-suspects. Pour ou ralentit le mouvement de son pjedL.Quetq.Mfoisun éiotair
ne pas perdre son temps, Brutus emportait ces listes au brittait dans la nnit permanente de. cette arriefe-boutique.
tribunal révoiutionnaire, condamnait à mort sans que la Cetéctair la traversait pour s'éteindre da~suM obscurité
moindre émotion de plaisir ou de peine apparût sur sa lon- soudainement interrompue. On aurait eDtvoir le jet de ce

rompu.
gue et sèche figure- Puis, pendant que~e greSier lisait Far- rayon, qu'un enfant, à t'aide d'un verre, diMgesur le nez de
rêt, il thdiquart, sur les listes des suspects qu'on lui avait son professeur.- Puis Fhomme à la Cgur&booacerouvrait
remises le matin, le nom de ceux~ qui devaient remplir dans et refermait ta po~te de son arrière-boutique,, revenait s'as-
la prison les vides qu'il y lisait le soir. seoir sur la cbatse,. et contiMtait.te ciMyahdecafton itter-
Cette besogne achevée, il rentrait dans son obscur troi-
sième étage, qui, par une de ces traverses comme'on en trou-
ve fréquemmentdans les vieiHes viHes, mettait en communi-
Cet homme, c'était Coquetin).. ,<.

Depuis quelques semaines,.une'jeunaifemme-s'aBrêtaijt de-


cation la Glande-Rue etia rue'de'ia CoaMteTtë. Là, ii restait vant la boutique de Coquette-: Bon pas~qiu'eHe se'ptût: beau-
seul et invisible, même ponr lés Saron et, les Mouraitle; qui coup examinef tes peUts.ouivrages qua.cet;)M)mnMconfec-
étaient les Carrier eUcs FouqnierTah)viHe de cet autre tionnait mais par détérence pour tes.désirs de sa Bt)e,.jotie
Robespierre. enfant de six ans,à tattëte de chérubin, qu~.chaque.fois
Quant parfois Brutus sortait pour se promener par la qu'ellepassai devant ta boutique, tirait sa mère par ta main,
ville, il secoinait d'une casquette en peande renard' et atta afin qu'elle s'aErëtdt, et Oxatt ses grands yeux. bleus, sur les
chait à son cou un grand sabre qm M'avait en faisant jail- ct)Rfs-d'œuvre dubo~homnu;. Quant, à sa: mÈre, qjn'à~son
lir des étince'ies des pavés. Le reste de son accoutrement se teint pâle età.se&tongs cheveux<btonds oa.pou~ai.t re~on-
composait' diane carmagnole et d'Une palpa de pamtai'ons de na!trc pour:mM. 8eur'6tpjngcpa à. tat€haude atmo&ph6rA-pro-
couleur sombre. Quand on ierencoptratt ainsi, iaisant sa Yen(;ate, atiomouvait son entant si, heureuse à.:)a vue de la
tournée, chacun &'empressaitde'h;ûter son chapeau., de.potu' table de Coquotin~, que te'bonheur de.sa CiJ& était pr.esque
qu'iineiuiûtat'tatëte.' un adoucissement au c1)agria.p~ou)nd qui. paraissajtt~ do-
Grâce son beau soleil, à ses joyeuses maisons peinte~de miner, etqu'ettenes'arcac)ta<.tqu;a,~QSuB~.Ba.uae~d'unpde-
vives couleurs, et & cette mer (Pazur q~f rij.
à ses pM:ds, mi-))eure quelquefois, à la. conLomptation jputcati.e~e. des

fille.
M:)rsei))e, quoique profondément aUjeinhe. par. cette fièvre cartonnages du/(<M<:Mr~f!oxc~~<n/a."<
révo)utionnaipenu!M tiraifle~us.pundeson san&, avait Coquelin avait t'espr.it et I'a;U, fopt peu curieux,, majs il
conservé pendant quelque tempStcncore'cnt aspect uabonr avait pourtant fini par.Kcmarqut)r.:cettt),fc.mmcet cet enfant
heur pt d&'gaité qui faat 'c caractère principal de sa pitysio- auxquels, mait!)é son manque absolu d'éducation,, il faisait
nomie. Cependdnt, peu à peu~un voitede dcui) s'était éten- un si~nc~c tote assez amical, qui; ra8SuraiUa,m&re.et en-
du sur elle, ses. rues i)ru.ya~esré)aiont devenues~sitencifu- hurdissait la
ses, ses ft;nctrM,qui,pa)'ei!!csautournersoi, s'ouvrent tour Ln jour, )a.une femme dtimanda~a. Coquctin le prix d'une
à tour. pour aspit<er;)espremicr&.rayons'duso)eit.cttes p)'e- jolie )),))<n~onnoHn en carton,dont le toit-simutatt parf~itt'ment
les tuHes, el qui. avait dn&conit'CYeus pcLntscn.vcrL L'c)jf:)nt
C'est la chronique de Louis Méry, quo nous avions promise sautait de joie en frappant les mait~st'unc contre t'autre a
(bns!annte page 300 ~M/t/;p)'M~M~d<' t'o~n~~tM/c'M~e t'idccquesa nK're allait lui acheter cette jotiemaisouCo-
la f;'<M~. quetin examina le travail de t'cbj.ct demandé, ctaj;r~ avoir
réfléchi un instant, .il prononça ces parûtes: Trois francs. Oh! citoyenne, répondit Coquclin, j'en suis bien fûché'
C'étaient les seules que la jeune femme lui avait jamais en- carj'anra'is du yveitler; c'est ma 'faute. Mais mademoisette
teMhtdiM. EUe posa.je prix de l'estimation sur latabtë, Louiscesttëgèrecommeunebiche..
carCoquelinc'avait point tendu la main vers e)!e pour re- -Et étourdie comme M 'hannehm, ~tt la jeune femme
cevoir l'argent, et. Ja petite fille, toute radieuse .de joie et avec un triste et doux sourire.
d'orgueil, emporta lasuperhe joujou.. Ce sourire, si passager qu'il eût été, rendit Coquelin ex-
Letendemain, seit que l'enfant, satisfaite de son acquisi- pansif. !) regretta de n'avoir pas une chaise, pas un tabou-
tion de la veille, n'eût canservé aucun désir pourles autres rei à présenter à 1a citoyenneet a sa <!t<e. Sa conversation
jouets que renfermait ~Jbo.utique de Coquelin, soit que la étaitcette d'un hommequi a peu <T)dëes, et'une certaine te-
jeune lemme fût retenue lotn~ie la rue duPetit-Mazeau par nacitë de caractère, ce qui va presque toujours ensemMe.
ceMe<fraiM.quHa.Mndajt.si..triste, ni la mère ni ta Ole ne D'ailleurs, sa phrase était courte, 'saccadée, inattendue, et il
parurent. la débitait avec un accent !t<on<agna<~t. De son côte, la jeune
Jusqu'à l'heure où elles avaient,l'~bitude de s'arrêter de- ifcmme commençaità s'habituer à cet homme,qui avait com-
vantsa botrti~ee, Coquelin demeura fort tranquille, se H- mence par lui inspirer une rëpagnance dont ettc~e se ren-
vrant assidûment a ses occupations hahituel'es. Lorsque dait pas compte. Aussi lui Ot ette, a son tour, quelques
cette -uearefutMBue, il se retourna plusieurs fois vers ta questions.
porte avec M certain .air d'impatience, et comme si quel- Et ce que vous faites-tasunH~ vos besoins? lai de-
qu'un qu'il attendait ne fût pas venu au rendez-vous; mais manda t-elle.
quand l'heune fat passée, Coquelin passa de l'impatience à Oh j'ai du travail en ville; fëpondit Coque~in.
l'inquiétude, quitta fréquemmentsa chaise pour aller regar- -Mais ce travail vous rend-il beaucoup 9
der aux deux ,~ïjtr~aujtes ~de la ,rne, revenant, chaque fois –Oui,quitonmepaiebien.
qu'ittfoyaitsBO.ostMfaaœ trampee, d'un air chagrin delà- –Et]atna!stt<!omanque?'!
porte à sa chaise. Ce jour~. ii découpa mal. jl ne put ache- C'est-à-dire, répondit~t'ouvrier, qui.Jetait (remis &aa
ver une'boitc;es manceau-x. ne rajustaient pas; Ta cotje' besogne, se renversant en arrière et relevant ses manches,
étai~pophr~ce; sesjcisaaux se,montraient reyëc1)es~ M~n c'est dire qu'itya'des temps.
plus, choseët<MH)anteJ.ii~'y ~t point/ce ~our-!à,d'~ciairs Et vous êtes -dans un bon moment, à ce .qu'i) paralt1
vifs et~pidos ni ~e bruits .gr~npans dans'l'arriere-toutique. demanda la jeune femme, car vous me semblez content.
Maisie lendemain, les Joues pendante~ et ridëps'de Co- –Mais oui~ mais oui! DepuiBdeuxmoisapeu pres,!e:
qaB) in passèrent ~u .Mr.t,an rouge quand )a jeune 'femme .et commandes ne vont pas mal et 6'Mgmententtoustes jours,
stm. enfant is'ap{u'ochèrent de Ba J)OtUi<tue. Pourtant il ne te-. graceautiitoyenBrutus.
motgnt .s~ joie .que. p~Lr :te pittt s<Mjrire qui efueura ses -–Voas.connaissezle' citoyen 'Brutus?
s'écria ~a jeune
grosses.tcMtes'ct s'en ~ta mourir stu,pMemjcnt dans.ùn com femme,' sans rët)échtr à <et(e ë<Mn~ jnOtMnce que pouvait
de ses yeux éteints; la petite nne/cnitardie parle sourire, avoir ')e cttoyen Brutus sur le ';commeMe d'Mn faiseur de
eB~af6s~amMtj.dans.Ja.bpuHq,ue et vint poser-sa petit jouets~'enfans;
!Min~)rJ'épat))e.de:Coqu.eti.n~tandis q~e deTautrë eTte fai- –Si jesi'jecen'na)B'le
otoyen Brutus, 'rëpondUCoqueUc;
-sait tourner une girouettejpia~ée sijucuo c)taiteaude,carton; parbleu le concais. C'-estun~ha~d ~unne p~isaa~
Ceqpettn se tauraa fV€)'& la ctar.mantc enfant et lui ht une pas.
gmmace d~mitie:tapetite.ne .se,famHiansa tout .a fait –~V(m6 le <!bmtsMssez < -oh imoa Dieu t ~tMt.p~t-~tre la
a~ec ia'&gMC ~ur;de<t sale du,faiseur de joujoux, et finit Prtrtidencequim'aconduMeici.–Et le voyez-yotts sou-
par agir sans façons, ~esorle que, tandis que.samer/; avait venf?
les ;)eMf<hi<ssur les. murs~du. palais eu le (riounal tenait –Oui, comme cela, de temps en temp&Quand t'ai~in)
ses.s6~noe&,~.petite 6J,k s'ins)a)ia c)ans la Doutique {!e Co- mon tfava'!) du jonr, je vais demander pes ordres~po~ le
que)in, trempant ses petits dogts.dajisJe pot de .collp., fai- tcnd~thain.~ous prenons un ~etit~enre ensemble etnous
sant danser les pantins, rouler.tescan'osses,ouvrant )esfe- trinquons à la santé deta .répub)iquB,'une ~ttindt.vieibic.
B~rfs ~es maisons d,e carton, hpufeversant la table de Oh 1 H 'n'est pas<ier, te citoyen Bfutus.
GequeMa~i~nJ.ne pMfëraitpas ta moindre plainte et dont C~t'oyen Coqne~n, vou8'nie:para!ssez tua jbraye hom.OML
les yeux se reportaient successivement de i'cnfant à ta m~re. 'Un brave homtn~ moi?. ô cito~eone t
.Pendtat un imament où .ii.regardaiUa mère, Fenfant se –'V~ns me renartez volontiers un service, a'es~ce (pas~*
gHs8<~nsTarNÈ<)e-Jtpu.tique; et presque aussitôt, Jetant un –'Si je )€ pûTna!6, ettoyeane. Ceft~inenteat te <? fteman.-
cri, reparut sùrie seuil de la porte intérieure avec un doigt tteraispas mieux.
iott.en'smg. Tene?, citoyen Coquetm, je ~~UKlout~Xis dM',e. J'ai
A ce cri, la mère se retourna vivement et se précipita dans mon mari~npnson, voila'peunqwo! je passeto~sI.esjQur~
ta bpuHqtte. ~ns eetteTue M est mnocent, 'je fous te jure, maJLS il ,a~es
Oh. ,moB Dieu mon Dieu t lui, dit-elle, qu'as-tu Tait, ennemis parce qu'il est riche. Si vous poumst unptorefjpoxr
MtKptUtTe enfant?'tu t'es MopëefP lui ta justice 'au dtoyea Orutus! B ~Moomme Robert,
–Oh~,maman, maman, repondit Tenfant en secouant sa 'mon-mar! retenez 'bjen son mom, et .puisque vous connais-
petite nMiinettenffai&ant ,tout.ce qu'el)e pouvait pour retenir sez~eprësMent Brutus, pu6sqMe'TOU8 attBïtev~Mf à Ia~
ses larmes, ne me jgronde ~as,; c'est un ,gros vilain couperet ne votre travail, eh Men! '<K<es-h<i,~a pMjmipM fois qu.e vo~s
tqui m):a mordue.. irez, 'dites-M qu'~e p<hïre ~femme i)iea malheureuse te
–.Un~~upûret! s~ëcria.ia'mëre. supplie au nom <ht -ciel <te tui co.nserner ~ou marL.. Dites-
La nguce/deCoquetin'devint Uvjde.ae pâleur-'Et, fermant lui bien qu'il n'a rien fa~t, mon pauvne Charijes, le père de
avec soin la porte de i'arrière~boutique, dont il mit )a clef ma petite'Lou~se~d~tes-tut qti'il n'.a -jamais conspiré, que
-~ans'sapcehe.: c'est un bon -patriote qui aime <)a fépubtiqae..Si.vous saviez
–'Ce n'est .rien.. ce n'est rien, dit-il d'une voix trem- commei) il m'aime! si vous .saviez comme il aime son ~en-
blante. Voici du tauetas'd'Angleterre pansez-la vous-jnëme; fant.t) faut que je vous dise que toupies'joursje revois
moi, j'ai la main trop lourde. à cinq heures, i't passe do'ant une petitefenetregriMéeet me
Et avec Tm empressement extraordinaire, Coquelin pré- fait un signe aussi, tous tes jours à .cinq heures, nous a,I-
sen'ta !) )a jeune femme une tasse pleine d'eau, et se tint a ge- ions attendre ~e signe devant ta fenêtre. J'ai-fait tout,ceqne
noux devant l'enfant, tandis que sa mère lui lavait le doigt j'ai pu pour voir le citoyen Brutus, mais on ne m'a ~pas laissé
et appliquait.sur la coupure un morceau de taffetas d'Angle- arriver jusqu'à lui. Cependant je t'aurais!tantpr.i6,)tant sup-
terre. ,plié, qu'il m'aurait donné la vie de mon .mari, j'enstds-sûre.
–E)Ieaura misia main imprudemment sur quelque cou-1 Mais c'est te'bon Dieu qui m'a conduite'ioi, et puisque vous
(eau de cuisine, dit la jeune femme un peu rassurée. Ces connaissez le citoyen Brutus, on ne tuera pas mon Chartes.
malheureux enfans fourrent la main partout. Louise'! mon enfant s'écria ta pauvre .m&re toute éperdue,
on veut tuer ton père, prie avec moi le citoyen Coquelin Oui, dit ia jeune femme, et comme elle est bien sage,
pour qu'on ne le tue pas l je vais encore lui acheter ce pantin.
Louise se mit à pleurer en criant:, Louise poussa un cri de joie. Coquelin se leva dans toute
Je ne veux pas que papa meure, monsieur Coquelin.; la fierté dé sa taille, et remit le pantin à la pauvre mère, qui
ne .tuez pas papa. le paya quatre francs, recommanda une dernière fois son
La figure de Coquelin devint livide de pâleur. mari aux bons offices de Coquelin et sortit.
N'écoutez pas ce que dit cette enfant, s'écria la mère A propos votre adresse, citoyenne ? lui demanda-t-il.
elle ne sait ce qu'elle dit, mon bon monsieur Coquetin. Rue des Thionvillois, !)e 4, n° 6.
Et elle voulut prendre les mains rugueuses du faiseur de Merci, dit Coquelin. Et il rentra dans son magasin,
joujoux, qui les retira vivement. écrivit sur un morceau de papier l'adresse que venait de lui
Citoyenne, ne touchez pas à mes mains, lui dit-il avec donner la jeune femme, mit le morceau de papier dans la
une sorte d'effroi. poche grasse de son gilet à ramages, poussa un soupir, et
La pauvre femme se recula, elle ne comprenait pas le passa dans l'arrière-boutique.
mouvement de Coquelin. Il y eut un instant de silence. Un instant après, les éclairs jaillirent, et le bruit grinçant
Vous dites donc, reprit Coquelin, que la vie de votre se fit entendre.
mari dépend du citoyen BrutusP Le lendemain, vers les onze heures du matin, la jeune
De lui seul s'écria la jeune femme. femme apprit que son mari avait paru devant Brntus, et que
C'est qu'il est bien dur, le citoyen Brutus continua Brutus l'avait condamné à mort.
Coquelin en secouant la tête. Bien dur, bien dur, et il La jeune femme resta d'abord toute étourdie de ce coup.
poussa un soupir. Mais elle vit son enfant qui jouait avec la jolie maison elle
Me refdsez-vous votre protection ? demanda avec ti- pensa à Coquelin, dit à la petite Louise d'être sage et de
midité )à jeune femme en joignantles mains. s'amuser avec ses joujoux, ferma la porte à clef, et courut,
Moi, dit Coquelin; moi vous refuser quelque chose de comme une folle, rue du Petit-Mazeau.
ce qu'il m'est possible de faire ? ah vous ne me connaissez La boutique du faiseur de jouets d'enfans était fermée.
pas, citoyenne. D'ailleurs, est-ce que vous ne m'avez pas C'était un dernier espoir qui lui échappait; aussi se mit-
acheté une maison en carton ? est-ce que vous ne venez pas elle à frapper du poing contre cette porte comme une in-
tous les jours dans ma boutique où il vient si peu de monde? sensée, renversant de temps en temps la tête en arrière et
Est-ce que vous ne parlez pas, avec votre bonne petite voix poussant des sanglots.
si douce, à un pauvre homme à qui personne ne parle 1 Et Personne ne répondit, mais une vieille femme voisine de
cependant rendez-moi justice, est-ce que je n'ai pas la bou- Coquelin ouvrit sa fenêtre, et, voyant cette jeune temmequi
tique la mieux fournie de Marseille? Est-ce qu'il y en a un frappait sans relâche, elle lui demanda ce qu'elle voulait
pour manier les ciseaux comme moi Oh 1 allez, j'ai de l'a- -Je veux parler an citoyen Coquetin! s'écria la jeune
dresse, j'ai du goût, moi. Tenez, voyez ce petit pantin, femme.
c'est cela qui est drôte je n'ai qu'à tirer la CceUe, et les Le citoyen Coquelin est parti avec son tombereau, ré-
bras, les jambes, la tête, tout cela s'agite, tout cela remue; pondit la vieille it doit être à cette heure-ci sur la Canne-
voyez voyez 1 bière. Et la vieille refermala fenêtre.
La jeune femme, par complaisance, regarda, à travers les La jeune femme femme se mit à courir du côté indiqué;
larmes qui s'étaient répandues dans ses yeux, le grotesque mais à mesure qu'elle approchait, la foulé était si considé-
pantin, dont Coquelin, la figure ébahie avec une satisfaction rable, qu'elle fut obligee de s'arrêter dans une des rues voi-
orgueilleuse d'artiste, faisait bondir les jambes et les bras. sines. Des gens à face patibulaire disaient
De son coté, la petite Louise, passant de la douleur à la Quel malheur de ne pas pouvoir aller plus loin 1 On en
joie, comme une entant qu'elle était, sautait sur la pointe mené douze aujourd'hui. Ceux qui ont les premières places
de ses pieds en riant comme une folle. en verront pour leur argent.
La scène avait pris un caractère touchant et presque pa- La pauvre femme s'évanouit.
triarcha). Renversé sur sa chaise, Coquelin tenait d'une On la porta dans une maison, on fouilla dans ses poches;
main, à la hauteur de son nez, le petit bonhomme de carton on y trouva une lettre a son adresse, et on la reporta rue des
suspendu par la tête, et de l'autre main il communiquait, Thionvillois.
au moyen de la 6ee))e, un mouvementrapide aux bras et aux Quand elle revint à elle, la petit Louise était à genoux, et
jambes de ce pantin. Plus le bonhomme se démenait, p)us une vieille femme, qui l'avait suivie de Paris, lui jetait de
les rires de Louise devenaient joyeux. Coquelin savourait l'eau sur la figure.
son succès de mécanicien sa figure s'épanouissait. Et il Elle voulut se lever, mais elle était si faible qu'elle fut
disait, tout en tirant la Scelle et en accordant sa voix avec forcée de se rasseoir.
les gestes du pantin: Elle resta deux heures,les mains appuyées sur les bras
Vous dites donc, citoyenne, que votre mari est accusé?P de son fauteuil, t'œi) fixe, sans prononcer une seule'parole.
Eh bien, je verrai le citoyen Brutus; je lui parlerai. Il est Au bout de deux heures, on sonna viotemment.àla porte.
dur, le citoyen Brutus Mais, qui sait?. En tout cas, je fe- Allez voir ce que c'est, dit-elle à la vièllle servante.
rai tout ce que je pourrai pour votre mari; soyez tranquille, La bonne femme descendit. Un instant après, elle rentra
citoyenne. Malheureusement,je~te peux pas grand chose. toute tremblante et tenant un billet à la main.
mais tout ce que je peux, je le ferai. tout 1 Un homme, coiffé d'un bonnet rouge, avait jeté ce billet
Oh 1 mon bon monsieur Coquelin 1 dans l'escalier, en criant: Pour ta citoyenne veuve Robert.
Oh j'ai de la mémoire, moi, citoyenne. J'en ai. je La jeune femme prit le papier. Voici ce qui y était écrit
n'oublierai jamais que, depuis deux semaines, vous venez
me voir travailler une demi-heure tous les jours, et que pen- «Citoyenne, ils étaient douze, votre mari était le dou-
dant cette demi-heure, je ne sais pourquoi, mais je suis zième, je t'ai fait passer le premier vous voyez que j'ai tenu
heureux. C'estqu'à Marseille, voyez-vous, on n'aime pas les ma promesse, j'ai fait tout ce que j'ai pu.
artistes. j'étais forcé de m'admirer tout seul. Voyez donc "COQUEUN,
comme i) danse, mon pantin, ma petite citoyenne. Elle aime Exécuteur des hautes-œuvres.
bien son papa, n'est-ce pas ?
De tout mon cœur, répondit l'enfant. Encemoment,Louiseditasamère:
C'est bien. Elle n'a pas cassé sa maison? Maman, vois comme il saute, mon pantin1
Oh non 1 monsieur Coquelin, je l'ai mise sur la table La pauvre femme se leva, mit en pièces )e pantin et la
à jeu du salon. maison de carton, et prenant sa fille dans ses bras, elle ra-
Vous devez être bien heureuse, citoyenne, d'avoir une tomba évanouie une seconde fois en disant
aussi jolie en~ïT Les monstres! ils ont tué ton père!1
le pauvre savetier devenu riche, étaient quasi prêts à rendre
leur lac, si on voulait leur rendre leur tranquiiiité.
Nous nous arrêtâmes à Cuges, d'où nous repartimes le
TOULON. lendemain à six heures du matin.
La seule chose curieuse que nous offrit la route jusqu'à
Toulon, c'était ]es gorges d'Ollioules; les gorges d'Ollioules
sont les Thcrmopy)es de la Provence. Que l'on se figure
Attendu, dit le proverbe, qu'il n'y a si bonne compagnie des rochers à pic de deux trois mille pieds de haut, du
qu'il ne faille quitter, après trois jours de fêtes et de plaisirs, sommet desquels quelques villages perdus, où l'on monte
force me fut de quitter cette bonne et spirituelle compagnie on ne sait par où, se penchent curieusement pour vous re-
marseillaise, au milieu de laquelle une semaine s'était envo garder passer. Quelques-unes de ces montagnes ont de plus
lée aven la rapidité d'une heure. la prétention d'être des volcans éteints je ne m'y oppose
En me conduisant à la voiture, Méry recommanda Jadin pas.
de ne point oublier de lui faire faire en passant un dessin du A peine est-on sorti des gorges d'Oiiiouies, que le con-
lac de Cuges, puis nous nous embrassâmes; je partis pour traste est grand au lieu de ces deux parois de granit, si
Toulon, et Méry rentra dans Marseille. nues et si rapprochées qu'elles vous étouffent, on se trouve
la route que l'on prend pour sortir de la capitale de la tout :'t coup dans une plaine délicieuse, encaissée a gauche
Provence est aussi brûiec et aussi poussiéreuse que celle que par les montagnes qui s'arrondissent en demi-cerc)e, et à
l'on suit pour y arriver; rien de plus uniforme et de plus droite par la mer. Celte plaine, c'est la serre chaude de la
triste que ces oliviers entremêlés de vignes, dans les inters- Provence; c'est là que poussent en pleine terre, et à l'envi
tices desquels, comme dit)c président des Brosses, on élève l'un de l'autre, le palmier de Syrie, l'oranger de Mayorque,
par curiosité des plantes de froment. le néOier du Japon, le goyavier des Antilles, le yucca
Au bout d'une heure ou deux, nous nous engageâmes dans d'Amérique, le lentisque de Crète, et l'accacia de Constanti-
des montagnes peiécs et nues, auxquelles le soleil et les nople; c'est fa le pied :') terre des plantes qui viennent de
pluies n'ont laissé que leur ossature de granit. Nous suivîmes l'orient et du midi, pour s'en aller mourir dans nos jardins
le fond d'une vallée aussi sèche que le reste du chemin en- botaniques du nord. Heureuses celles qui s'y arrêtent, car
fin, vers la nuit, au détour d'une roche gigantesque qui force elles peuvent se croire encore dans leur pays natal.
la roule de décrire une courbe, nous nous trouvâmes en face C'est à gauche, sur le revers du chemin qui conduit des
d'une grande nappe d'eau c'était Je lac de Cuges. gorges d'Ollioules Tou)on. qu'eut lieu, le ~8juin ~8~
Comme le voiturier était à nos ordres, nous fimcs halte. le jour même de la bataille de Waterloo, l'entrevue du ma-
Jadin, ainsi qu'il l'avait promis, dessina une vue pour Méry. réchal Brune et de Murât. Murât était vêtu en mendiant,
Le lac était au premier plan, Cuges et son église au second; avait une redingote grise, une résille espagnole, un grand
le troisième était fermé par les montagnes Pendant ce feutre catalan, et des lunettes c~'or. Ce que demandait le men-
temps, je pris mon fusil, et je suivis ses bords pour voir si diant royal, c'était de reprendre sa place comme simple
jene rencontrerais pas quelque canard; ma]heureusement)es soldat dans les armées de celui qu'il avait perdu deux fois,
roseaux n'avaient point encore eu le temps de pousser, et la première en se déclarant contre lui, la seconde en se dé-
les canards se tenaient au large. clarant pour lui. On sait que) fut le résultat de cette en-
Je revins près de Jadin, qui avait fini son croquis, et nous trevue. Murât, repoussé de France, passa en Corse, et de la
nous apprêtâmes à passer le lac. Corse s'embarqua pour la Calabre. On peut retrouver son
Ce n'était pas une petite affaire, les Cugeois n'avaient cadavre dans l'église du Pizzo'.
point encore eu lc temps de bâtir un pont; puis avant de le En entrant à Toulon, nous passâmes devant le fameux
bâtir, ils voulaient sans doute être bien sûrs que leur lac balcon du Puget, qui fit dire au chevalier Bernin, lorsqu'il
leur resterait. En attendant, l'eau avait recouvert la grande arriva en France, que ce n'était pas la peine d'envoyer
route on voyait bien le chemin entrer d'un côté et sortir de chercher des artistes en Italie quand on avait chez soi des
t'autre mais pendant l'espace d'un quart de lieue, on n'avait gens capables de faire de pareilles choses.
d'autre guide pour le suivre que quelques jalons plantés à Les trois tètes qui soutiennent ce balcon sont les charges
droite et ù gauche. Or, comme ce chemin formait chaussée, des trois consuls de Toulon, dont Puget était mécontent;
pour peu que nous nous écartassions d'un coté ou de l'autre, aussi la ville les garde-t-etie précieusement comme des por-
nous tombions dans des profondeurs que nous pouvions me- traits de famille.
surer par des cîmes d'arbres qui apparaissaient comme des J'avais des lettres pour M. Lauvergne, jeune médecin du
broussailles à fleur d'eau. Je commençai à trouver que la plus grand mérite, qui avait accompagné le duc de Join-
Providence avait été bien prodigue envers Cuges, de lui ville dans son excursion de Corse, d'Italie et de Sicile, et
donner un pareil lac, quand les Cugeois se seraient fort frère de Lauvergne, le peintre de marine, qui a fait deux ou
bien contentés d'une fontaine. trois fois le tour du monde. Comme nous comptions nous
Cependant, comme il n'y avait ni pont, ni bac, force nous arrêter à Toulon, il nous offrit, au lieu de notre sombre
fut de prendre notre parti nous montâmes sur l'impériale, appartement en ville, une petite bastide pleine d'air et de
afin d'être tout prêts à nous sauver :'< la nage, et notre ber- soleil qu'i) avait au fort Lamaigue. L'offre était faite avec
lingo entra bravement dans le lac, dont il atteignit sans ac- tant de franchise que nous acceptâmes a l'instant. Le
cident l'autre bord. soir même nous étions installés, de sorte que le lendemain,
Nous trouvâmes Cuges en révolution le gouvernement en nous éveillant et en ouvrant nos fenêtres, nous avions
avait eu avis de son lac et avait mis la main dessus. Les lacs devant nous celle mer infinie qu'on a besoin de revoir de
sont de droit la propriété des gouvernemens, seulement un temps en temps une fois qu'on l'a vue, et dont on ne se
cas litigieux s'élevait pour celui-ci. C'était un lac de nou- lasse pas tant qu'on la voit.
velle date, et qui ne remontait pas, comme les autres, a la Touion a peu de souvenirs. A part le siège qu'en fit le duc
création du monde ou tout au moins au déluge. C'est par le de Savoie, et la trahison qui le mit aux mains des Anglais
déluge, comme on sait, que les lacs font leur preuve de no- et des Espagnol, cfHTOS, son nom se trouve rarement cité
blesse. Le déluge est le ~599 des lacs. Or, celui de Cuges dans i'bistoirc mais h cette dernière fois elle s'y trouve
s'était étendu sans façon sur des propriétés qui apparte- inscrite d'une manière ineuaçabie c'est de Toulon que
naient a des citoyens des villages environnans. Les citoyens date rcc))eu)C))t la carrioc mi'itaire de Bonaparte.
propriétaires voulaient bien laisser le lac au gouvernement, Comme curiosités, Toulon que n'a que son bagne et son
mais ils voulaient être indemnisés des terres qu'ils perdaient port. Malgré le peu de sympathie qui m'altirait vers le pre-
par cette concession. Les Eaux et Forêts leur riaient au nez, mier de ces étabtissemens, je ne lui en fis pas moirs ma
ils montraient les dents aux Eaux et Forets bref, il y avait t visite le second jour après mon arrivée. Malheureusement,
déjà eu du papier marqué d'échange, et les Cugeois, comme le bagne de Toulon n'avait pour le moment aucune not:))'i-
!ité; il venait, avait deux ou trois mois, d'envoyer ce juifs. Mais depuis ce temps, nous dit-il, la grâce de Dieu
il y
qù'i) possédait de mieux à Brest et & Rochefort. l'avait touché, et il s'était fait chrétien. -Parbleu, lui ré-
Les trois premiers objets qui frappent la vue en entrant pondit Jadin, voilà un beau triomphe pour notre religion 1
au bagne sont, d'abord un Cupidon appuyé sur une ancre, Nous avions commencé par les exceptions, mais nous en
puis un crucifix, puis deux pièces de canon chargées à revinmes bientôt aux généralités.
mitraille. Les forçats sont divisés en quatre classes les indociles,
Le premier forçat que nous rencontrâmes vint droit à les récidives, les intermédiaires, et les éprouvés.
moi, etm'appe)aparmon nom en me demandant si je n'a- Les indociles, comme l'indique leur nom, sont dont
chetais pas que)quechose à sa petite boutique. Quelque il n'y a rien à faire; ceux-là ont lé bonnet vert,aceux casaque
désir que j'eusse dé lui rendre sa politesse, je cherchais rouge et les deux manches brures.
vainement a me rappeler ia ngure de cet homme il s'aper- Ensuite viennent les récidives, qui ont le bonnet vert, une
çut' de mon emMarra" et se mit rire. manche rouge et une manche brune.
Monsieur cherche à me reconnaître? me dit-il. Puis les intermédiaires, qui ont te bonnet et. la casaque
Oui, je l'avoue, mais sans aucun succès.
–rai pourtant eu l'honneur de voir Monsieur bien rouge. Et enfin les éprouvés, qui ont la-casaque rouge et le bon-
souvent. net violet
La chose devenait de p~us en p)us flatteuse; seulement je Les individus des trois premières classes sont enchaînés
ne me rappelais pas avoir jamais fréquenté si bonne com- deux à deux ceux de la dernière n'ont que l'anneau autour,
pagnie enfin'H pritpitié de mon embarras. de ta jambe et pas de chaine de plus, on leur distribue une
Je vois bien qu'il faut que je dise à Monsieur où den)i-)ivre de viande les dimanches et lés jours de fêtes,,
je l'ai vu, car Monsieur'ne~ se le rappellerait pas. J'ai vu tandis que les autres ne sont nourris que de soupe et de
Monsieur chez maden)oise))ë Mars. pain.
Et que faisiez-vous chez mademoiseite Mars ?2 Des chantiers et du port, nous passâmes dans les dor-
Je servais, Monsieur, j'étais va)et de chambre c'est toirs la couche des forçats est un immense lit de camp en.
moi qui ai volé ses diamans. bois, dont les deux extrémités sont en pierres. A l'extrémité.
Ah ah vous ctes Mulon, a)ors ? inférieure qui forme rebord, sont scellés des anneaux; c'est!
!) me présenta une carte. à ces anneaux que, chaque soir, on cadenasse la chaîne que.
Mulon, artiste forçat, pour vous servir. les forçats traînent à la jambe; la maladie ne la fait pas
Mais, dites-moi, il me semble que vous êtes à mer- tomber, et le condamné a perpétuité vit, dort et meurt avec
veille ici. les fers.
Oui, monsieur, grâce à Dieu je ne suis pas mal il A chaque issue du bagne, deux pièces d& canon chargéesà,
est toujours bon de s'adresser aux personnes comme il faut. mitraille sont braquées jour et nuit.
Quand on a su que c'était moi qui avais vo)é mademoiselle Comme j'avais des lettres de recommandation pour le
Mars, cela m'a va)u une certaine distinction. Alors, mon- commissaire de marine, il me fit, lorsqu'il eut appris que je
sieur, comme je me suis toujours bien conduit, on m'a dis- demeurais à une demi-lieue de Toulon, la gracieuseté de
pensé des travaux durs; d'ailleurs on a bien vu que je n'é- m'offrir, pour mon serviceparticulier,pendant tout le temps
tais pas un voleur ordinaire; j'ai été tenté voilà tout. que je resterais à Toulon, un canot det'Ëtatetdouze éprou
Monsieur sait le proverbe l'occasion fait le larron. i vés. Comme nous comptions visiter les différens points du
Pour combien de temps en avez-vous encore? golfe qui attirent les curieux, soit par leur site, soit par
Pour deux ans, monsieur: leurs souvenirs, nous acceptâmes avec reconnaissance en
Et que comptez-vous faire en sortant d'ici ? conséquence te canot fut mis à notre disposition à l'instant
Je compte me mettre dans le commerce, monsieur j'ai même, etmous en profitâmes pour retourner à notre bastide.
fait ici un très bon apprentissage, et comme je sortirai, Dieu En nous quittant, le garde chiourme nous demanda nos
merci) avec d'excellens certificats et une certaine somme ordres comme aurait pu faire un cocher de bonne maison.
provenant de mes économies, j'achèterai un petit fonds. En Nous lui dîmes dé se trouver le lendemain à neuf heures du
attendant, si monsieur veut voir ma petite boutique. matin à notre porte. Rien n'était plus facile que d'obéir lit-
Volontiers. tératement à cet ordre, notre bastide baignantses pieds dans
Mulon marcha devant moi et me conduisit à une es- la mer.
pèce de baraque en pierre, pleine de toutes sortes d'ouvra- Dtt'restc, il serait difficile d'exiger de ces malheureux for-
ges en cocos, en corail, en ivoire et en ambre, qui faisait çats un sentiment plus profond de leur abaissement qu'ils
réeDement'de cet étatage un assortiment assez curieux de ne t'exprimenteux-mêmes. Si vous êtes assis dans te canot,
l'industrie du bagne. ils s'éloignent le plus qu'ils peuvent de vous; si vous mar-
–Mais, lui dis-je, ce n'est pas vous qui pouvez confec- chez, ils rangent longtemps à l'avance leurs jambes, pour
tionner tout cela vous-même?P que vous ne les rencontriez pas. Enfin, lorsque vous mettez
–Oh non, monsieur, me répondit Mu)on, je fais tra- pied à terre, et que le canot vacillant vous force de chercher
vaiHer. Comme ces malheureux savent que j'exploite en un appui, c'est'le coude qu'ils vous présentent, tant ils sen-
grand, ils m'apportenttout ce qu'ils font; si ce n'est pas tent que leur main n'est pas digne de toucher votre main. En
bien, je leur donne-des avis, des conseils je dirige leur effet, les malheureux comprennent que leur contact est im-
goût; puis je revends aux étrangers. monde, et parleur humilité ils désarment presque votre ré-
–Et vous gagnez cent pour cent sur eux, bien entendu? pugnance.
Que voulez-vous,monsieur, je suis à la mode, il faut Le lendemain, à l'heure dite, lé canot était sous nos fenê-
bien que j'en profite; monsieursaitbien que n'a pas la tres il n'y a pas dé serviteurs plus exacts que les forçats;
vogue qui veut. Oh 1 si je pouvais rester ici dix ans de plus le bâton répond de )eurpo)i('tt)a)ité, et n'était la livrée, je
seulement, je ne serais pas inquiet de ma fortune, je me re- désirerais fort n'avoir jamais d'autres domestiques. Pendant
tirerais avec de; quoi vivre pour le reste de mes jours. Mal- que nous achevions dé nous haMttér, nous )éur fimes boire
heureusement, monsieur; je n'en ai eu que pour dix ans en déuxbouteittesdevin.qui leur furent distribuées par lé
tout, et dans deux ans il faudra que je sorte. Oh 1 si j'avais garde chiourme. Ce brave h'omme nt les parts avec une jus-
su. tesse de coup d'oeil qui prouvait une pratique fort exercée
J'achetai quelques babioles à ce forçat optimiste, et con- du droit individuel. H poussa même l'impartialité jusqu'à
tinuai ma route, tout stupéfait de voir qu'il y avait des gens boire le dernier verre, qu'il ne pouvait diviser en douze
qui pouvaient regretter le bagne. portions, plutôt que de favoriser tes uns aux dépens des
Je trouvai Jadin en marché avec un autre industriel qui autres.
vendait des cordons d'Alger c'était un Arabe, qui nous ra- Nous allions d'abord à Saint-Mandrier. SaintMandrier
conta toute sa vie. JI était là pour avoir un peu tué deux estunhôpitatnon-seutfmentbati par )ës forçats, mais en
quelque sorte créé.entièrementpareux. En effet, itsont-tiré En conséquence de l'accord, nous rangeâmes les avirons a~
ta.pierre deta.carrière, ils ont écarri tes charpentes, ils ont fond du canot, nous dressâmes !e petit m~t,.nous dépioyame:
~ai))ë)es..bri(;ues,forgé.la serrurerie, cuit les tui)es, ctta- la voile, et nous partimes.
miné les plombs; il n'y a que la verrerie qui leur est arrivée Quoique, nous fussions sépares .de deux milles a. peine du
toute faite. Triton, ]a navigation n'était pas.sans .un certain,danger; i!
.Au-dessus de .Saint-Mandrier, au-dessus .de ta deuxième y avait mistral, ce qui suffisait pour mettre la mer en gaité;
copine, s'élève la tour des :signaux qui sert en même temps or, tout )e monde sait ce que c'est que les gaitës de la mer.
de tombeau à t'amira) deLatouehe-Trévitte. Certes, si le capitaine avait eu son équipage, ou seule-
.En quittant. Saint-Mandrier, nous .traversâmes .toute la ment ses deux bras, notre traversée n'eût été qu'une plai-
.rade et.nous attâmes.descendre.a-upetit Gibraltar..C'est oe santerie mais n'ayant que son bras gauche et moi seul pour
fort, comme on te sait, qui .fut emporté par Bonaparte en compagnon, sa position n'était pas commode. Le capitaine
jpersonne,etdont Ia.prise,amena presqu'immédiatement la oubliait toujours mon ignorance en marine, de sorte qu'il
reddition, de Toulon. Le vainqueur, en montant .à l'assaut, me commandait.~a'manceurresomme!) aurait pu faire au
y fut grièvement blessé d'un coup de baYonnette..à La cuisse., contre-maitre le plus exercé, ce à quoi je répondais en pre-
.Enrevenant'du,petit.Gibrattar, nous tuaversâmes touteta nant bâbord pour tribord, et en amarrant quand il aurait
flotte du contr&amiratMassieu.deCtairva); élle,se.compo- fallu larguer; il en résultait des quiproquos qui, avec des
sait.desixmagnifiques.vaisseaux: teSM~M?t,)a Didon, le vaguesde~ouzeà:q<nnzepiedsde 'haut, 'et'avec un vent
Nestor, le jPM<j'uMne, ta Bellone et.le T-riton. Nous ~aecostamas aussi.capriMeux'queJe.mistra), ~ne laissaient pas d'offrir
ce dernier, car j'avais .une visite.à y rendre.à un ami déjà .quelque. danger. Deux ou ;trois'fois je'cras i'embarcation
.cétebre.ators, .mais dont la cé)ébrité .s'est ,accrue depuis, sur~'point de chaMt)er,)etj'ôtai mon :habit sous le pré-
jgrace à.un des plus beaux faits.d'armes dont s'honore notre .(exte~etre.ptus 'apte a~afmaMœuvre,mais de fait, pour être
.marine; cet ami était le vice-amiral Batidin. Quant au fait -moins empêché,'s'H~mefaHait~par hasard continuer ma
-d'armes, on a déjà nomme ta prise deSamt-Jean-d'.UHoa. route à la nage.
JLe vice-amiral n'était alors que capitaine, et commandait .De.temps~entemps, fau'miiieu de mes~ perplexités, je jetais
le Triton. C'était une.de ces existences.brisées par la res- )es yeux &ur!)ern<<w,.et j'apercevais ~tout l'équipage qui,
tauration de 48)3, et.qui venaient de .se rcprendre.a la ré- amas&é &ur,)e:p<)nt~nou6tregardait 'man<Borrer sans nous
volution.de <850.. Pendant ces,gainze ans,. te capitaine Bau- perdre un seul instant de vue. Je ne comprenais pas une
din :s'était réfugié dans la marinemarchande; et dans <jette pareiJie.tnaction,.join(eà!une,c)trMsHési soutenue;'n'était
_partie de .sa .carrière, je pourrais, si je le voulais, à défaut évnic.nt que )'on savait .q~i nous étions. A)ors, puisqu'on
de belles actions, citer de bonnes actions. -voyai~notce~position. -comment n'envoyait-onpas notre
Le capitaine Baudin nous fit les honneurs de son bâtiment aide?.Je comprenais bien tout ce qu~hy avait d'orrgina)ité
<avec cette grâce,parfaite qui n'appartient qu'aux ofliciers de à-se noyer en~compagnieuumeiUeur capitaine: peut-être de
.marine; puis, en s'invitant.a déjeuner le lendemain dans touie.ta marinefrano8ise,maisj'avoue:que,'dans~emoment,
notre petite bastide, mit à néant toutes tes mauvaises je .n'envisageais point eeUtonBeur sous son 'véritabte point
raisons que nous.lui donnionspour ne pas rester a diner :de vue.
avec.lui.àabord; il en résulta que nous quittâmes le.Triton Nous mîmes~t peu pres~une heure et'demie a gagner !e
,àtuit.heuresdusoir. bâtiment; car,.comme nousfavions ie~ent debout, ce ne fut
Je voudrais bien .savoir ce qui empêcha les forçats, qui qu'à t'aide de manœuvres très compliquées etftrfs savantes,
étaient douze, de nous prendre quelque vingt-cinq louis que qui Srent l'admiration de l'équipage, que nous atteignîmes
nous avions dans nos poches, de nous. jeter à ta mer, Jadin, notre majestueux Triton, )eque), comme~s'i) était étranger a
moi et te garde chiourme, et de s'eu.aller où bon.leuraurait tous.ces petits caprices du vent. et de la:mer, sebaiancaità à
semblé avec le canot du gouvernement. à
peine sur ses ancres. A peine fûmes-nous portée, que
Lors.quej)ous fûmes .rentrés à notre bastide, .et tous deux cinq ou six matelots se précipitèrentjdansla yo)e alors te
couches, nos portes bien fermées dans la même chambre,je capitaine, ~avecia gravité et )e. sang-froid qui 'ne t'avaient pas
fis,part de ma réucxion à Jadin. quitté un seul instant, monta )'éche))e le premier; on sait
Jadin m'avoua que, tout le long de la route, iln'avait pas que c'est d'étiquette, )e capitaine~est Mi à;hord.Hexptiqua
pensé à autre chose. en,deux mots comment.nousrevenions seuls, et donna quel-
Le lendemain, à.l'heure convenue, nous vîmes arriver ques ordres relatifs à ia réception faire aux matelots lors-
notre convive dans :ayo)eétégante, dont tes douze rames qu.'ils reviendraient à ieur'tjour. Quant à moi, qui l'avais
fendaient l'eau d'un mouvement si rapide et si uniforme, suivi le plus promptement possible, je reçus force compli-
qu'on les aurait crues mises en jeu par l'impassible volonté mens sur ia façon distinguée dont .j'avais accompti )cs ma-
d'une machine. Le capitaine la laissa dans le petit débarca- nœuvres qui.m'avaient été .commandées. Je. ni'inclinai d'un
dère et monta chez nous. L'hospitalité était moins étégante .air modeste,'en répondant.que j'étais'a si bonne école qu'il
que celle du Triton; une petite guinguette des environs en n'y avait rien d'étonnant :à ce j'eusse fait de pareils pro-
avait fait tous les frais. Heureusement une des qualités de grès.
l'air de la mer est de donner un éternel et insatiable Le dinerfortfut~ai et fort spirituel, notre expédition fit
appétit. en partie les frais de.la conversation. Là, je m'informai des
A deux heures, le capitaine nous quitta; je le reconduisis raisons pour lesquelles le lieutenant qui, gràce à sa )u-
jusqu'à sa yole. La yole se balançait seule et vide sur la nette, ne nous avait pas perdus de vue un instant, s'était
mer. Les matelots, qui avaient prohablcment compté que abstenu d'envoyer un canot au devant de non?. II nous ré-
notre déjeuner dégénérerait en diner, étaient allés faire pondit que, sans un signe du capitaine qui indiquât que
leurs dévotions au cabaret du fort Lamalgue. nous étions en détresse, il ne se serait jamais permis une
C'était, ce qu'il paraît, une faute énorme contre les rè- telle inconvenance.
gles de la discipline, car.ayant voulu les appeler, le capi- Mais, lui demandai-Je, si nous avions chaviré, ce-
taine me pria de n'en rjen faire, et me dit qu'i) s'en irait pendant. t.
sans eux,aCn que les coupables comprissent bien la gran- –Oh! dans ce cas, c'était autre chose, me répondit-il;
deur de leur péché. Comme le capitaine était seul, et que, nous avions une embarcation toute prête.
comme on le sait, il avait cu le bras droit emporté par un Qui serait arrivée quand nous aurions été noyés! 1
boulet de canon, j'offris alors de lui servir d'équipage, ce merci.
qu'il accepta a la condition qu'à mon tour je resterais di- Le lieutenant me répondit par un geste de la bouche et
ner avec lui. Ce n'était point une condition pareille qui des ëpautfs, qui signifiait
pouvait empêcher mon enrôlement dans l'équipage du Tri- Que voutcx vous, c'est la tcgie.
ton. Je répondis donc que je suivrais le capitaine au bout J'avoue qu'a part moi, je trouvai cette )'f!g)e fort sévère,
du monde, et aux conditions qu'il lui plairait de m'imposer. surtout ()U9))d on )'app)i')nc de compte f) (!cn)i i des gens
qui n'ont pas t'honneur d'appartenir au corps royat de la à Issachar qui posa ses tentes au midi. Du côté de l'occident,
marine. la mer vient baigner sa base qui s'avance, fait une pointe
En m'en allant, j'eus la satisfaction de voir les douze ma- entre les flots, et se présente de loin au pèlerin qui vient
telots de la yole qui prenaient le frais dans les haubans ils d'Europe, comme le point le plus avancé de la Terre-Sainte,
en avaient pour jusqu'au quart du matin à compter tes etoi)es sur lequel il puisse poser ses deux genoux.
et a Oairer de quel côte venait le vent. Ce fut sur le sommet du Carmel qu'Éiie donna rendez-
vous aux huit cent cinquante faux prophètes envoyés par
Achab, afin qu'un miracle décidât, aux yeux de tous, quel
était le véritabtoDieu,de Baal ou deJehovah. Deux autels
alors furent élevés sur la plateau de la montagne, et des vic-
times amenées à chacun d'un. Les faux prophètes crièrent'àà
leurs idoles qui restèrent sourdes. Élie invoqua Dieu, et à
peine s'était-il agenouillé, qu'une flamme descendit du ciel
FRÈRE JEAN-BAPTISTE. et dévora tout à la fois, non seulement le bois et la victime,
mais encore la pierre du sacrifice. Les faux prophètes, vain-
cus, furent égorgés par ]e peuple, et le nom du vrai Dieu
glorifié cela arriva 900 ans avant te Christ.
Nous ne pouvions pas être venus si près de la ville d'Hyè- Depuis cejour, le Carmel est resté dans )a possession des
res sans visiter le paradis de la Provence; seulement nous fidèles. Élie laissa à ÉHséc non seulement son manteau,
hésitâmes un instant si nous irions par terre ou par mer. mais encoresa grotte. A Élisée succédèrent tes fils des pro-
Notre irrésolution fut fixée par le commissaire de la marine, phètes, qui sont les ancêtres de saint Jean. Lors de la mort
qui nous dit qu'il ))c pouvait pas nous prêter les forcats pour du Christ, les religieux qui l'habitaient passèrent de ]a loi
une si longue course, attendu qu'il ne leur était pas permis écrite à la loi de grâce. Trois cents ans après, saint Bazile
de découcher. et ses successeurs donnèrent ù ces pieux cénobites des règles
Nous envoyâmes donc tout bonnement retenir nos places particulières. A l'époque des croisades, les moines aban-
à la voiture de Toulon à Hyères, qui tous les jours passait donnèrent le rit grec pour le rit romain, et de saint Louis
vers les cinq heures du soir, à quelque cent pas de notre à Bonaparte, le couvent bâti sur l'emplacement même où ie
bastide. prophète dressa son autel, fut ouvert aux voyageurs de toute
Rien de délicieux comme la route de Toulon à Hyeres. Ce religion et de tout pays, et cela gratuitement, à )a glorifica-
ne sont point des'plaines, des vattées, des montagnes que l'on tion de Dieu et du prophète EHe, lequel est en égaie véné-
franchit, c'est un immense jardin que l'on parcourt. Aux ration aux rabbins, qui ie croient occupés à écrire les évé-
deux cotés de la route s'étcvent des haies de grenadiers, au nemens de tous les âges du monde, aux Mages de Perse, qui
dessus desquelles on voit de temps en temps flotter, comme disent que leur maître Zoroastre a été disciple de ce grand
un panache, la cime de quelque palmier, ou surgir, prophète; et enfin aux Musulmans qui pensent qu'il habite
<;omme une lance, la fleur de t'aloes puis au delà de cette une oasis délicieuse dans laquelle se trouve i'arbre et la fon-
mer de verdure, la mer azurée, toute peuplée, le long de ses taine de la vie qui entretiennent son immortalité.
cotes, de barques aux voiles latines, tandis qu'à son horizon La montagnesainte avait donc été vouée au eu) te du Sei-
passe gravement le trois mâts avec sa pyramide de voiles, où gneur pendant deux mille six cents ans, lorsque Bonaparte
file avec rapidité le bateau à vapeur, laissant derrière lui vint mettre ie siège devant Saint-Jean-d'Acre; alors le Car-
une longue traînée de fumée, lente à se perdre dans le ciel. mei ouvrit, comme toujours, ses portes hospitalières, non
En arrivant à l'hôtel, nous n'y pûmes pas tenir, et notre plus aux pèlerins, non plus aux voyageurs, mais aux mou-
premier mot fat pour demander à notre hôte s'il possédait rans et aux blessés. A huit cents ans d'intervalle, il avait vu
un jardin, et si dans ce jardin il y avait des orangers. Sur venir à lui Titus. Louis IX et Napoléon.
sa réponse amrmative, nous nous y précipitâmes mais si la Ces trois réactions de l'Occident contre l'Orient furent fa-
gourmandise est un péché mortel, nous ne tardâmes point à tales au Carmel. Après la prise de Jérusalem par Titus, les
en être punis. soldats romains le dévastèrent;après l'abandon de la Terre-
Dieu garde tout chrétien, ne possédant pas un double ra- Sainte par les Chrétiens, les Sarrasins égorgèrent ses habi-
telier de Désirabode, de mordre à pleines dents comme nous tans enfin, après )'échecde Bonaparte devant Saint-Jean-
le fimes, dans les oranges d'Hyëres. d'Acre, les Turcs s'en emparèrent, massacrèrent les blessés
En revenant vers notre bastide, nous aperçûmes de loin, français, dispersèrent les moines, brisèrent portes et fenê-
debout sur le seuil de la porte, un beau moine carmélite a tres, et laissèrent le saint asile inhabitable.
figure austère, à longue barbe grisonnante, couvert d'un Il ne restait donc du couvent que ses murs ébranlés, et de
manteau levantin, et le corps entouré d'une ceinture arabe. la communautéqu'un seul moine qui s'était retiré Kaïffa,
Je doublai le pas, curieux de savoir ce qui me valait cette lorsque frère Jean-Baptiste, désigné par son générai au pape,
étrange visite. Le moine alors vint au devant de moi, et me reçut de Sa Sainteté l'ordre de se rendre au Carmel, et de
saluant dans le plus pur romain, me présenta un livre sur voir dans quel état les infidèles avaient mis )a sainte hôtel-
lequel étaient inscrits les noms de Chateaubriand et de La- lerie de Dieu, ct quels étaient les moyens de la réédifier.
martine. Ce livre était l'album du mont Carmel. Le moment était mai choisi. Abdaiiah-Pacha commandait
Voici l'histoire de ce moine; il y en a peu d'aussi simples pour la Porte, et ce ministre du sultan portait une haine
et d'aussi édifiantes. profonde aux Chrétiens; cette haine s'augmenta encore de
En ~)9, frère Jean-Baptiste ()), qui babitaitRome, reçut la révolte des Grecs. Abdallah écrivit au sublime empereur,
mission du pape Pie VII de partir pour la Terre-Sainte, et que le couvent du Carmel pourrait servir de forteresse a ses
de voir, en sa qualité d'architecte, quel moyen il y aurait à ennemis, et demanda la permission de le détruire elle lui
employer pour rebâtir le couvent du Carmel. fut facilementaccordée. Abdallah fit miner le monastère, et
Le Carmel, comme on le sait, est une des montagnes sain- l'envoyé de Rome vit sauter les derniers débris de t'édifiée
tes ainsi que t'Horeb et le Sina!, il a été visité par le Sei- qu'il était appelé à reconstruire. Cela se passait en <82t. H
gneur. Situé entre Tyr et Césarée, séparé seulement de n'yavaitplusrien à faire au Carmel, le frère Jean-Baptiste re-
Saint-Jean-d'Acre par un golfe, !) cinq heures de distance vint Rome.
de Nazareth, et à deux journées de Jérusalem lors- de la Cependant il n'avait point renoncé à son projet. En ~826,
division des tribus, il échut en partage à Azer, qui s'établit i) partit pour Constantinopte, et grâce au crédit de la France
à son septentrion, à Zabulon, qui s'empara de son orient, et et aux instances de l'ambassadeur, ii obtint de Mahmoud un
lirman qui autorisait )a reconstruction du monastère. !i re-
(<) Son nom )aïf;ue était Cassini c'était un cousin issu de ger- vint alors a Kaîffa et trouva le dernier moine mort.
main du cu)cbre géographe. Alors il gravit tout seul la montagne sainte, s'assit sur un
débris de colonne Bysantine, et là, son crayon à la man), rues de Constantinopie, demandant partout l'aumôneaunom
architecte élu pour la maison du Seigneur, il fit le plan d'un du Seigneur, et, six mois après, il revint, rapportant une
nouveau couvent plus magnifique qu'aucun de ceux qui somme de vingt mille francs, sufBsante aux premières dé-
avaient jamais existé, et après ce plan le devis. Le devis penses de son édifice. Enfin, le jour de la Fête-Dieu, sept
montait à 250,000 fr.; puis enfin, le devis arrête, l'archi- ans heure pour heure après qu'Abdallah-Pacha avait fait
tecte miraculeux, qui bâtissait ainsi avec la pensée sans sauter les murs de l'ancien couvent, frère Jean-Baptiste posa
s'occuper de l'exécution, alla à la première maison venue la première pierre du nouveau.
demander un morceau de pain pour son repas du soir. Mais, avant )a fin de l'année, cette somme fut épuisée
Le lendemain, il commença à s'occuper de trouver les alors le père Jean-Baptiste repartit pour la Grèce et pour
250,000 fr. nécessaires à l'accomplissement de son oeuvre l'Italie; et porteur d'une somme considérable, il revint une
sainte. seconde fois, ramenant )a vie au monument qui continua de
La première chose à laquelle il pensa fut de créer un re- grandir, et qui déjà à cette époque était assez avancé pour
venu à la communauté qui n'existait point encore. !i avait donner t'hospita)ité aux voyageurs. Lamartine, Taylor,
remarqué, à cinq heures de distance du Carmel et à trois i'abM Desmazurcs,Champmartin et Dauzatz, y furent logés
heures de Nazareth, deux moulins à eau abandonnés, soit pendant leurs voyages en Palestine.
par les suites de la guerre, soit parce que l'eau qui les fai- Et c'est ainsi que, sans se lasser de la fatigue, sans se re-
sait mouvoir s'était détournée. chercha si bien qu'à une buter des refus, offrant Dieu ses dangers et ses humilia-
lieue de là il trouva une source que, par le moyen d'un tions, )e frère Jean-Baptiste, quoique âgé aujourd'hui de 63
aqueduc, il pouvait conduire jusqu'à ses usines. Cette ans, poursuivit son œuvre. H partit onze fois du Carmel et
trouvaille faite, et certain qu'il pouvait mettre ses moutins y retourna onze fois. Pendant dix ans que durèrent ses
en mouvement, le frère Jean-Baptiste s'occupad'acquérir les courses, il visita tout un hémisphère il alla à Jérusa-
moutins.its appartenaient à une fami))e de Dt'uscs: c'était une lem, à Damas, i) Jaffa, à Alexandrie, au Caire, à Rama,
tribu qui descendaitde ces israétites qui adorcrentteV eau d'Or; à Tripo)i de Syrie, à Smyrne, ?) Maite, à Athènes, à
ils avaient conservé l'idolâtrie de leurs pères. Les femmes, Constantinople, a Tunis, H Tripoli d'Afrique, à Syracuse,
aujourd'hui encore, portent pour coiffure la corne d'une vache. à Palerme, a Alger, à Gibraltar. Il pénétra jusque Fez et
Cette corne, qui n'est relevée d'aucun ornement chez les fem- jusqu'à Maroc, il parcourut toute l'Italie, toute la Corse,
mes pauvres, est argentée ou dorée chez les femmes riches. toute la Sardaigne, toute l'Espagne, et une partie de l'An-
La famille druse, qui se composait d'une vingtaine de per- gleterre, d'où il revint par Hriandc et le Portuga), si bien
sonnes, ne voulût pas se défaire du terrain iégué par ses an- qu'A la dixième fofs il était retourné au Carmel avec if com-
cêtres, quoique ce terrain ne rapportât rien; elle aurait cru ptément d'une somme de 250,000 francs. Mais son d~'vis,
faire une impiété. Le frère Jean-Baptiste lui offrit de louer ce comme tout devis doit être, se trouvait d'une centaine de
terrain qu'elle ne voulait pas vendre. Le chef consentità mille francs au dessous de la réalité, de sorte qu'il arrivait
cette dernière condition. Le revenu des moulins devait être parti pour la douzième fois du Carmel, afin de faire une der-
divisé en tiers: un tiers aux propriétaires, et les deux au- nière quête en France, ayant garde ie royaume trcs chrétien
tres tiers aux bailleurs. pour sa suprême ressource.
En effet, les hailleurs devaient être deux l'un apportaitt Et ce qu'il y avait d'admirabte dans cet homme, c'est que,
son industrie, et celui-là, c'était frère Jean-Baptiste; mais il pendant dix ans qu'ii avait fait la quête du Seigneur, pas
fallait qu'un autre apportât l'argent nécessaire aux frais de une obole de ces 250 000 francs qu'il avait recueitiis ne s'é-
réparation des moulins et de construction de l'aqueduc. Le tait detourn''e de la masse commune au profit de ses besoins
frère Jean-Baptiste alla trouver un Turc de ses amis qu'it personnels. S'il avait eu :) franchir les mers, il avait reçu
avait connu dans son premier voyage, et lui demanda neuf son passage gratis sur quelque pauvre bâtiment, qui avait
mille francs pour mettre à exécution sa laborieuse entreprise. espéré, par cette bonne œuvre, obtenir une mer calme et un
Le Turc le conduisit à son trésor, car les Turcs, qui n'ont vent favorable. S'il avait eu des royamnes à traverser, it fcs
ni rentes, ni industrie, ont encore à cette heure, comme dans avait traversés, soit à pied, soit dans la voiture de pauvres
les Mille et une Nuits, des tonnes d'or et d'argent. Le frère rouliers qui toi avaient demandé pour toute récompense de
Jean-Baptistey prit la somme dont il avait besoin, affecta au prier pour eux; s'il avait eu faim, il avait demandé du pain à
remboursement de cette somme le tiers de la vente des mou- )a chaumière, et s'il avait eu soif, de l'eau à la fontaine
lins et grâce à cette première mise de fonds faite par tin chaque presbytère lui avait prêté un lit pour son repos de
musulman, l'architecte put jeter les fondemens de son hôtel- quelques heures. Ht ainsi parti du même lieu que le Juif
lerie chrétienne. D'intérêts, il n'en fut pas question, et ce- errant, avec une bénédictionau lieu d'un anathème, il venait,
pendant il fallait au moins douze ans pour que sa part dans après avoir vu presqu'autant de pays que lui, terminer ses
la rente couvrît le bon mahométan de l'avance qu'il venait courses par la France.
de faire quant au centrat, ce fut chose toute simple, les J'offris mon offrande au frère Jean-Baptiste, honteux de
conditions en furent arrêtées de vive voix, et les deux con- )a lui faire si faible; mais je lui donnai des lettres pour des
tractans jurèrent par leur barbe, l'un au nom de Mahomet, amis plus riches que moi.
l'autre au nom du Christ, de les observer religieusement. Aujourd'hui, frère Jean-Baptiste est retourné demander
Savez-vous rien de plus simplementgrand que ce chrétien une tombe à cette montagne qu'il a dotée d'un palais.
qui s'en va demander de l'argent à un Turc pour rebâtir la Et maintenant, Dieu garde le couvent du Mont-Carme)
maison de Dieu, et rien de plus grandement simple que ce d'Ibrahim, d'Abdut-Medjid, et surtout du commodore
Turc qui le prête sans autre garantie que le serment du chré- Napier.
tien ¡>
C'est que la réédincation du Carmel était non seulement
une question de religion, mais encore d'humanité c'est que
le Carmel est une hôtellerie sainte, où sont reçus, sans payer,
les pèlerins de toutes les croyances, les voyageurs de tous les
pays, et où celui qui arrive n'a qu'i) dire pour trouver un lit
et un repas Frère, je suis fatiguéet j'ai faim.
Bientôt le frère Jean-Baptistepartit pour sa première cour- LE GOLFEJUAN
se, laissant le soin de l'exécution de son aqueduc et la répa-
ration de ses moulins à un néophite intelligent. En partant,
il écrivit que ceux qui voulaient se réunir au supérieur des
Carmelets d'Orient n'avaient qu'à venir, et que, dans quet- Nous quittâmes Toulon après un séjour de six semaines.
que temps, un monastère s'élèverait pour les recevoir. Alors Comme il n'y avait rien voir de Toulon à Fréjus, si ce
il parcourut les côtes de l'Asie mineure, de t'Archipe), et tes n'est le pays que nous pouvions parfaitement voir par les
portieres,"nons prîmes'ta voiture publique. D'ailleurs, pour Corse qui les commandait, qai sauta'du haut en bas des
un observateur, la voiture pubiique a un avantage'qui ba- remparts, et qui aUa te rejoindre, ce grand empereur.
lance tous ses désagrémens, c'est que 'l'on peut y étudier –Et que fit-on des prisonniers ? demandai-je.
sous un 'jour assez curieux ia classe moyennedes pays que –'Monsieur, on voulait les mettra dans la maison d'arrêt
l'on parcourt. dela--ville, mais elle étaitpteine~tjedis, moi Mettez-!es
L'intérieur de notre diligence était complété par un jeune dans l'église, pardieu Et onies mit dans l'église.
homme de vingt ou vingt-deux ans, et par un homme de –Et combien de temps y restèrent-ils ? demanda Jadin.
cinquante & cinquante-cinq. Oh ils y restèrent depuis tedemars'jusqu'au 22,
Le jeune homme avait la figure naïve, les'yeux étonnes, que l'on apprit que te grand Napoléonavait fait 'son entrée
les jambes embarrassantes, un chapeau & long,poil, un dans ta capitale.
habit b)eu barbeau, un pantalon gris sans sous-pieds, des Pauvres gens 1 dit le jeune homme.
bas noirs, des souliers iacés, et une montre avec des fruits 'Comment, pauvresgens reprit le capitaine:Comment,
d'Amérique. pauvres gens voilà pardieu! des gaittards bien è plaindre
L'homme de cinquante-cinq ans avait les cheveux, gris et lis avaient de bon,pain, de.bon vin,debonriz et de !bonnes
raides, des favoris formant demi-cercle, et se terminant-en fèves; je vous demande un peu qu'est ce qu'il faut de ptus
pointe à la hauteur des narines, des yeux gris clair, un nez pour faire te bonheur't'1
en bec de faucon, les dents écartées, et la bouche gourmande;
–Mais, dis-je à mon tour, j'espère, capitaine, qu'au
sa toilette se composait d'un col de chemise qui lui guiHo- retour des Bourbons, vous avez eu au moins la croix d'hon-
tinait les oreilles, d'une cravate rouge, d'une veste grise, neur'PP
d'un pantalon bleu, et de souliers de peau de <!aim.De temps –Lacroix <t'honneur!jantënoui!jeTardemandée, la
en temps il sortait la tête par la portière et dialoguait avec
croix d'hoBneur)Savez-vous ce qu'il m'a envoyé,ce'vieux
ie conducteur, qui ne manquait jamais, en lui répondant, de calotin de Louis XVIFTP !t m~a envoyé sa Beur de tis. Oh'!
l'appeler capitaine. que je dis en ta recevant, tu pouvais bien ta garder, ta pu-
Nous n'avions pas encore achevé la première poste, que naise t
nous savions déjà que ie capitaine portait ce titre parce –Pester repris-]e,'capitaitte,comme vous les traitez,
qu'en ~8~N il avait reçu du maréchal Brune l'ordre de ces pauvres'Oeurs de tis!'Faites donc attention que 'saint
charger et de transporter des vivres de Fréjus et d'Antibes Louis, François ~"etHenri'IV étaient moins dimcites que
à Toulon. Pour cette expédition on lui avait donné une cha- vous, et que ces fleurs de lis,que vous méprisez, étaient
loupe et six mateiots qui avaient commencé par l'appeler leurs armes.
patron, et qui avaient fini par l'appeler capitaine ce titre –Les annes'deHeurirV! mais t)on, Henri IV, il était
lui avait paru faire bien en tête de son nom, et il l'avait protestant, pardieu) C'est parce qu'il était protestant que
garde. Depuis ce temps, en conséquence, on l'appelait le tes jésuites Fcnt tué; car'ce sont les jésuites,monsieur, qui
capitaine Langlet. l'ont tué~ce grand roi. Vous avez lu iaXfpttftCKfe, monsieurP
A la seconde poste, nous connaissions )es opinions poli-
–Qu'est-ce qtre'c~est'que la Nenno~e? demanda Jadin
tiques et religieuses du capitaine en politique il était bo- avec le plus grand sang-froid.
napartiste, en religion il était voltairien.
–Voas'ne connaissez pas1a\~n'<~e? Il:faut lire la
Henriade, monsieur, c'est un beau ~oëme c'estde M. de
La conversation tomba sur le frère Jean-Baptiste; le Voltaire, qui'n'aimait pas tes calotins, ce)ui-)à; aussi'les
capitaine en profita pour nous exprimer tout son mépris calotins l'ont empoisonné.ils l'ont empoisonné 1 On a dit.le
pour les calotins; il nous cita à ce sujet deux articles ex- contraire, mais ils l'ont empoisonné,monsieur, aussi vrai que
ceilens du Constitutionnelcontre )e parti prêtre. jem'appei)e)ecapitaineLang)et. Ce pauvre M. de Voltaire1
Nous descendîmespour.diner à Cornoulles. Comme c'était Si j'avais vécu de son temps, j'aurais donné dix ans de ma
un vendredi, l'hôte nous demanda si nous voulions faire vie pour conserver la sienne. M. deVottairct!! ah 1 en
maigre.–Est-ce .que vous me prenez pour un jésuite? Lui voilà un qui n'aurait jamais fait maigreJevendredi
répondit d'un ton foudroyant le capitaine; faUes-moi.de 'Nous comprimes à qui i'ëpigramme's'adressait, ~tnoas
bonnes grillades, et une omelette au lard. courbâmes la tête. Pendant quelque temps le capitaine
Quanta nous, nous répondîmes que s'il y avait du pois- Langlet nous com'prima sous son regard victorieux; puis,
son frais, nous mangerions du poisson. Le jeune homme, voyant que nous nous'rendions, il se mita fredonner une
interrogé à son tour, répondit d'un ton très-doux et en chanson bonapartiste.
rougissant jusqu'aux oreiiies Je ferai comme ces mes- Nous arrivâmes à Fréjus sans nous être relevés du coup.
sieurs. Là, nous primes congé du capitaine Langlet, qui donna de
Le capitaine Langlet nous regarda avec un mépris encyclo- nouveau à Jadin te conseil de lire la Henriade, et qui, se
pédique, et quand on lui apporta son omelette, il se plaignit penchant à mon oreille, me dit tout bas
qu'il n'y avait pas assez de lard. On voit bien que vous êtes royaliste, jeune homme,
Nous remontâmes en voiture, et comme nous devions avec votre poisson et vos fleurs de lis mais, troun de t'airtt
coucher le soir à Fréjus, la conversation tomba sur )e dé- ne dites pas ainsi tout haut votre opinion nous n'entendons
barquement de Napoiéon.Lecapitaine Langlet y avait assisté pas plaisanterie sur Napoiéon, nous autres Fréjusains et
de son navire. Antibois vous vous feriez égorger comme un poulet, dame!
–Ators, lui dit Jadix, it n'y a pas besoin de vous de- Ainsi, de la prudence.
mander, avec les opinions que je vous connais, si vous vous Je promis au capitaine Langlet d'être plus circonspect ~a
réunîtes au grand homme. l'avenir, et nous primes congé l'un de l'autre, lui continuant
Peste monsieur, répondit le capitaine Langlet, je sa route pour Antibes,~t nous restant a Fréjus pour visiter
n'eus garde d'abord à cette époque, monsieur, je lui en te lendemain à noire aiseie golfe Juan.
voulais encore un peu à ce sublime empereur, d'avoir ré- Au moment où nous.aiïions prendre place pour souper,
tabli les églises au lieu d'en faire d'excellens magasins à à l'extrémité d'une de ces longues tables d'auberges où dine
fourrages. Non point, monsieur, au contraire, je fis voile ordinairement toute-une diligence, notre hôte vint nous de-
pour Antibes, et j'annonçai la grande nouvelle au comman- mander si nous voulionsbien permettre que le jeune homme
dant de place, le généra) Cossin; je lui dis mcme que je qui était venu avec nous de Toutoa se fit servir son repas
croyais qu'une petite troupe d'une vingtaine d'hommes s'a- à l'autre bout de la table. Comme ce jeune voyageur nous
vançait vers notre ville avec un drapeau tricolore. Alors il avait paru fort convenable tout le tongde )n'route, nousré-
fit ses dispositions, ce bon généra) et lorsque la petite pondimes que non seulement il était parfaitement libre de se
troupe arriva, on la laissa entrer, puis on ferma )a porte faire servir où cela lui convenait, mais que si, mieux encore,
derrière elle. De sorte que, grâce à moi, ils furent tous it voulait souper avec nous, it nous ferait plaisir. L'auber-
pris, monsieur, à l'exception de Casablanca, un farceur de giste s'empressa donc de tui porter notre réponse qu'ittat-
tendait dans l'autre chambre. Nous avions déjà fait toutes- Le postillon répondit au prince que les artilleurs déte-
Ms dispositions pour intercaler autmiiieu, de nous notre laient ses chevaux..
nouveau convive, lorsque notre hôte vint.nous dire qpe le: Le prince de Monaco sauta àbas de.sa voiture pour don-
jeune homme était bien reconnaissant, mais qu'il ne voulàit ner des coups de canne aux Mtitteurs, jurant entreses
pas nous être importun; et'dêsirait seulement se tenir assez dents que, si les drôles passaient jamais. par sa principauté,
près de nous pour jouir du charme de notre conversation. il les ferait pendre.
Je me retournai vers Jadin en lui tirant mon chapeau, car le Derrière les artilleursi il y avait, un, homme en costume
compliinent était évidemment pour lui. Pendant toute ià de général.
route il avait fait poser le capitaine Langlet de manière à -Tiens! c'est vous, Monaco? dit en voyantle prince.
satisfaire les amateurs les plus difficiles, et'tout naïf que pa- l'homme en costume de général. Laissez,passer le prince,
raissait notre compagnon déroute, i) avait on ne peut plus ajouta-t-il aux artilleurs. qui lui.barraient le. passage,, c'est
apprécie ce genre d'àmabi)ité si' nouveau pour lui. un ami.
Lemarécha) Gérard disait un jour 5 propos de courage, Le prince de Monaco se frotta !es yeux.
et en parlant du général Jacqueminot Quand on ne le Comment, c'est vous, Drouot? lui dit-il.
regarde pas, ii n'est qu'étonnant, mais si on le regarde, Moi-même, mon cher prince..
il devient fabuleux. Même chose peut se dire dé Jadin à' Mais je vous croyais à l'ile d'Elbe avec l'empereur.
propos de l'esprit. Ce soir-là n'était regardé, ii fut spien- -Eh 1 mon Dieu oui, nous y étions en effet, mais nous
dide. Le jeune homme alla'se coucher bien content il avait' sommes venus faire un. petit tour en France; n'est-ce pas,
passé une heureuse soirée. maréchal ?
Le lendemain; nous fimes un tour dans Fréjùs, juste ce –Tiens) c'est vous,.Monaco ? dit le nouveau venu; et
qu'il en fallait pour qu'une ville qui date de 2,600 ans n'eût comment vous portez-vous, mon cher prince ?
pas à se plaindre de nos procédés. Nous mimes en consé- Le prince de Monaco se frotta les yeux une seconde fois..
quence des cartes à l'amphithéâtre, à i'àqueducetà à la porte Et vous aussi, maréchal, lui dit-il, mais vous avez
dorée, et nous revihmes déjeuner notre hôte), où nous at~ donc tous quitté !'ile d'E)be?7
tendait la voiture qui' devaitnouscondùireàNice. En dé- Eh mon Dieu t oui, mon cher prince, répondit Ber-
jéunant, nous demandâmes des nouvelles de notre jeune trand l'air en était mauvais pour notre santé, et nous
homme; mais, comme il n'avait pas osé nous proposer de sommes venus respirer celui de France.
lui céder une place dans notre voiture, et qu'il n'était' pas Qu'y a-t-il.donc,.messieurs ? dit une voix claire et im-
assez grand seigneur, avait-il dit, pour iouer une voiture pérative, devant laquelle le groupe qui entourait le prince
à lui tout seul, il avait pris les devans en prévenant qu'i) s'ouvrit.
aurait l'honneur de nous souhaiter le bonjour au golfe Juan. Ah ah! c'est vous, Monaco? dit la même voix.
Oh ne pouvait pas être à la fois plus discret et plus poli. Le prince de,Monaco se.frotta tes yeux une troisième fois,
Nous quittâmes Fréjus vers les dix heures du matin. Il croyait faire un rêve.
La route que nous primes remontait dans les terres mais, Oui, sire 1 Oui, dit-il oui, c'est moi, mais d'où vient
au bout de six à sept lieues, nous nous rapprochâmes de là Votre Majesté ? où va-t-elle? 'l
mer, moitié de notre part, moitié au moyen d'une gr.indÈ -Je viens de ]'!)e d'Elbe; et'je'vais à Paris. Voulez-vous
échancrure qui semblait venir au devant de nous. Cette venir avec moi, Mbnaco? Vous savez que vous avez votre
grande échancrure était le golfe Juan. Nous nous arrêtâmes appartement aux Tuileries.
juste où le prince de Monaco s'était arrêté. Sire! dit le prince de Monaco qui commençait à com-
On sait l'histoire du prince de Monaco. prendre, je n'ai point oublié tes bontés de Votre Majesté
Madame de D. avait suivi M. le prince de Talleyrand'au pour moi, et j'en garderai une éternelle reconnaissance.
congrès de Vienne. Mais il y'a huit jours à peine que ies Bourbons m'ont rendu
Mon cher prince, iui dit-elle un jour, est-ce que vous ma principauté, et if n'y aurait vraiment.pas assez de temps
ne ferez rien pour ce pauvre Monaco, qui, depuis quinze entre le bienfait et l'ingratitude. Si Votre Majesté le permet,
ans, comme vous savez, a tout perdu, et qui avait étépMigé je continuerai donc ma route versma. principauté, où j'atten-
d'accepter je ne sais quelle pauvre petite charge à la cour de drai ses ordres.
l'usurpateur? Vous avez raison, Monaco, lui dit l'empereur, allez,
Ah 1 si fait, répondit le prince,, avec le plus grand allez! seulement vous savez que votre ancienne place vous
plaisir. Ce pauvre Monaco 1 vous: avez bien fait de m'y faire attend, ja n'en disposerai pas.
penser,.chèreamieje t'avais oublié. Je remercie mille fois Votre Majesté, répondit le
Et le prince pritd'acte du congrès qui était sur sa table, prince.
et dans lequel on retaillait, à petits coups de plume.le bloc L'empereur. fit un signe, et. l'on. rendit au postillon ses
européen que Napoléon avait dégrossi à grands coups chevaux qui. avaient déjà. mis en position une pièce de
d'épée puis de sa plus minime écriture, après je ne sais quatre.
quel protocole qui. regardait l'empereur de Russie oa le roi Le postillon rattela ses. chevaux. Maistant que le prince
de Prusse, il ajouta fut à la portée de la vue: de l'empereur, il ne. voulut point
Et le prince de Monaco rentrera dans ses Étals. remonter en voiture et marcha à pied.
Cette disposition était bien peu de chose elle ne faisait Quant à Napoléon, il alla s'asseoir, tout. pensif sur un
banc de bois à laporte d'une petite auberge, d'où ii présida
pas matériellement la moitié d'une ligne; aussi passa-t-elle le débarquement.
inaperçue, ou si elle fut aperçue, personne ne jugea que ce
fut la peine de rien dire contre. it
Puis, quand le débarquement fut fini,.comme commen-
L'article supplémentaire passa donc sans aucune con- çait à se faire tard, il décida qu'on .n'irait pas p!us loin ce
jour-ià, et qu'il passerait la.nuit au bivouac.
testation.
En conséquence, il s'engagea dans une petite ruelle,.et
Et madame de D. écrivit au prince de Monaco qu'il était alla s'asseoir sous le troisième olivier à partir delà grande
rentré dans ses Etats.
route. Ce fut là qu'il passa la première nuit de son retour
Le 2S février ~8~5, trois jours après avoir reçu cette nou- en France.
velle, le prince de Monaco fit venir des chevaux de poste, Maintenant, si on veut le suivre dans sa marche victo-
et prit la route de sa principauté. rieuse jusqu'à Paris, on n'a qu'à consulter le .MMi!'<€M-. Pour
En arrivant au golfe Juan, il trouva le chemin barré par guider nos lecteurs ubns cette recherche historique, nous
deux pièces do canon. allons en donner un extrait assez curieux. On'y trouvera la
Comme il approchait de ses Etats, le prince de Monaco fit marche graduée de Napoléon vers Paris, avec la modiSca-
grand bruit de cet embarras qui leretardait, et ordonna au tion que son approche produisait dans les opinions du
pp&tUion défaire déranger les pièces et de passer outre. journal.
–L'antropophageest sorti de son repaire. celui qui lui paraîtra le plus vraisemblable ou qui lui sera
L'ogre de Corse vient de débarquer au golfe Juan. le plus sympathique.
Le tigre est arrivé à Gap.
Le monstre à couché à Grenoble. PnEHtER SYSTÈME.
Le tyran a traversé Lyon. L'auteur du premier système est anonyme. Le système est
L'usurpateur a été vu à soixante lieues de la capitale.
venu tout fait de la Hollande, sans doute sous le patronage
-Bonaparte s'avance à grands pas, mais il n'entrera ja- du roi Guillaume. Tel qu'il est, le voici Le cardinal de
mais dans Paris. Richelieu, tout fier de voir sa nièce Parisiatis aimée de
Napoléon sera demain sous nos remparts. Gaston, duc d'Orléans, frère du roi, proposa à ce prince de
L'empereur est arrivé à Fontainebleau. devenir sérieusement son neveu. Mais le fils de Henri IV, qui
Sa Majesté Impériale et Royale a fait hier son entrée voulait bien de mademoiselle Parisiatis pour maitresse,
en son château des Tuileries au milieu de ses Mêles su- trouva si impertinent que le premier ministre osât la lui
jets' proposer pour femme, qu'il répondit à cette proposition
C'est l'exegi HMHumMfuM du journalisme; il n'aurait par un soufflet. Le cardinal était rancunier; mais, comme il
rien dû faire depuis, car il ne fera rien de mieux. n'y avait pas moyen de traiter le frère du roi en Bouteville
Quant a Napoléon, il voulut qu'une pyramide constatât le ou en Montmorency, il s'entendit avec sa nièce et le père
grand événement dont )e prince de Monaco avait été un des Joseph pour tirer de Caston une autre vengeance. Ne pou-
premiers témoins. Celle pyramide fut élevée sur le bord de la vant lui faire tomber la tête de dessus les épaules, i) résolut
route, entre deux mùriers et en face de l'olivier où il avait de lui faire cheoir la couronne de dessus la tête.
passé )a première nuit. MalheureusementNapoléon voulut La perte de cette couronne devait être d'autant plus sensi-
que celte pyramide renfermât un échantillon de toutes nos ble à Gaston que Gaston croyaitdéja )a tenir. Il y avait quel-
monnaies d'or et d'argent frappées au millésimede ~8~5. que vingt-deux ou vingt-trois ans que son frère aîné était
H en résulta qu'après Waterloo, tes gens de Valory abat- marié, et la France attendait encore un dauphin.
tirent la pyramide pour voler ce qu'elle renfermait. Voici ce qu'imagina Richelieu, toujours dans le système
Notre jeune homme nous attendait à )a porte de la petite de l'anonyme hollandais.
auberge, assis sur le même banc où s'était assis Napoléon. Un jeune homme, nommé le C. D. R., était amoureux, de-
Cette petite auberge, qui, depuis ce temps, s'est mise de puis plusieurs années, de la femme de son roi. Cet amour,
son autorité privée sous la protection de ce grand souvenir, auquel la reine n'avait pas paru insensible, n'avait point
se recommande aux voyageurspar l'inscription suivante: échappé aux regards jaloux de Richelieu, qui, amoureux
Au débarquement de Napoléon, empereur des français, lui-même d'Anne d'Autriche, s'en était inquiété jusqu'au
venant de l'ile d'E)be, débarqué au golfe Join, le mars moment où il jugea à propos d'en tirer parti.
<8<S on vend à boire et à manger en son honneur, à la Un soir, le C. D. R. reçut un billet d'une main inconnue
minute. dans lequel on lui disait que, s'il voulait se rendre à un en-
t C'est lui qui subjugua presque tout l'Univers, droit indiqué, et se laisser bander les yeux, on le conduirait
t Affronta les périls, la bombe et la mitraille, dans un lieu où il désirait être présente depuis longtemps.
Brava partout la mort et sillonna les mers, Le jeune homme était aventureux et brave: il se trouva au
Combattit à Wagram et gagna la bataille. » rendez-vous, se laissa bander les yeux et lorsque le ban-
deau lui tombadu front, il était dans l'appartement d'Anne
Nous demandâmes à l'aubergiste si c'était son cuisinier d'Autriche qu'il aimait.
qui avait fait les vers de son enseigne, et, sur sa réponse Le lendemain elle alla trouver le cardinal et lui dit:
négative, nous lui commandâmes à diner. « Vous avez enfin gagné votre méchante cause mais prenez-
En attendant le dîner, nous nous préparâmes à prendre y garde, monsieur le prélat, et faites en sorte que je trouve
un bain de mer. A peine eut-il à nos dispositions pénétré cette miséricorde et cette bonté céleste dont vous m'avez
notre projet, que notre jeune homme demanda a Jadin si nattée par vos pieux sophismes. Ayez soin de mon âme o o
nous voulions bien lui accorder l'honneur de se baigner en L'auteur anonyme attribue à cette aventure la naissance
même temps que nous. de Louis XIV, fils de Louis XIII, par voie de transubstan-
Nous nous regardâmes en riant, et nous lui répondîmes tiation. La brochure, qui se terminait là, annonçait une
qu'il était parfaitement libre que, s'i) croyait au reste avoir suite qui n'a point été publiée. Mais comme l'anonyme bot-
besoin de notre permission pour cela, nous la lui accordions landais ajoutait que cette suite serait la /ot<e catastrophe du
de tout cœur. C. D. R., on prétendit que la castatrophe fut la découverte
Le jeune homme nous remercia comme si nous lui avions que fit Louis XIII des amours de la reine, et que le prix
fait une grande grâce puis, pour ne pas choquer notre pu- dont le C. D. R. les paya fut une prison perpétuette avec ap-
deur, il se fit un caleçon de sa cravate, entra dans la mer plication d'un masque de fer.
jusqu'aux aisselles, et s'arrêta là à regarder nos évolutions. Le C. D. R. était ou le comte de'Rivière ou !e comte de
En face de nous, à l'horizon, étaient les îles Sainte-Mar- Rochefort.
guerite. Ce système, à notre avis, sent trop le pamphlet pour avoir
Les !)es Sainte-Marguerite, comme on le sait, servirent, besoin d'être réfuté.
pendant neuf ans, de prison au Masque de fer.
Nos lecteurs peuvent sauter par dessus le chapitre suivant, DEUXtÈHE SYSTÈME.
quej'intercale par conscience, et pour satisfaire la curiosité
de ceux qui, comme moi, se baigneraient dans le golfe Juan. Celui-ci est de Sainte-Foix, et, s'il n'a pas le mérite de la
Ils n'y perdront qu'une dissertation historique médiocrement vraisemblance, il a au moins celui det'origiuatité. Sainte-
amusante. Foix, comme on ic sait, était un homme de beaucoup d'ima-
gination, qui n'aimait pas les bavaroises, et qui trouvait
mauvais que les autres les aimassent. U en résultait qu'il
déjeunait ordinairement avec des côtelettes et du vin de
Champagne, et qu'il avait le tort d'écrire l'histoire après
avoir déjeuné.
Un jour Sainte-Foix lut dans l'histoire de Hume, que le
L'HOMME AU MASQUE DE FER. duc de Montmouth n'avait point été exécuté comme on l'avait
dit, mais qu'un de ses partisans qui lui ressemblait fort, ce
qui cependant n'était pas facile à rencontrer, avait consenti
Tout calcul fait, il y a neuf systèmes sur homme au à mourir à sa place, tandis que le fils naturel de Charles
masque de fer. Nous laissons au lecteur le soin de choisir chez lequel on avait respecté le sang royal, tout ittégitime
qu'il fût, avait été transféré secrètement en France pour y fer,
fi et le duc (l'Orléans ~H-BbmoyoM. Quant à la Bastille,
subir-une prison perpétuette. elle
e était désignée sous le nom de la forteresse ~M/;<!?!, et
A ce passage, Sainte-Foix, toujours en quête du romanes- les
Il i)es Sainte-Margueritesous )cnon) de <act< .(~Hed'OrmtM.
Voici maintenant t'anccdote réduite à ses vrais noms
que, ouvrit de grands yfux et découvrit un petit volume
anonyme et apocryphe intituié: ~wouM de Chartes 77 e< de Louis de Bourbon, comte de Vermandois,était, comme on
1le sait, fils naturel de Louis XIV et de mademoiselle de La-
Jacques jf/, rois d'Angleterre.Dans ce petit volume il était
dit: La nuit d'après la prétendue exécution du duc de va)Hère. Comme à tous ses bâtards, Louis XIV lui portait
Montmouth, le roi, accompagné-de trois hommes, vint lui- tune grande amitié, si bien que cette amitié ayant changé
jmême te tirer de la tour. On lui couvrit ta tête d'une espf'ce 1l'orgueil qui était propre au jeune prince en insolence, it

ss'oublia, dans une discussion avec le dauphin,


de capuchon, et le roi et tes trois hommes entrèrent avec lui jus!)u'& tu!
dans le carrosse, o donner
t un soufuet. C'était là un de ces outrages a la ma-
Un autre témoignage, bien plus important que celui du j
jesté royale que Louis XIV ne pouvait pardonner, même à
colonel Hetton. dans la bouche duquel l'auteur du petit vo- un
t de ses bâtards. Aussi, toujours selon les ~mon-Mpur
tume met ce récit, était encore invoqué parSainte-Foix. Ce servir à !7tM/o!'fe de Perse, 'ta/M-, ou le comte de Verman-
témoignage était cetui du père Saunders, confesseur de Jac- dois,
< futi) envoyé en Flandres, où pour lors on faisait la
jguerre. Or,peine fut-i) au camp, où il arriva si bien prêché
ques IL En effet, le père Tournemine étant atté, avec le père
Saunders, rendre visite à ta duchesse de Montmouth, après par sa mère, qu'on croyait, dit mademoiselle de Montpen-
la mort de- cet ex-roi, il échappa à la duchesse de dire sier, qu'il se fùt fait un honnête homme, que le )2 du mois
Quant à moi, je ne pardonnerai jamais au roi Jacques d'a- de novembre au soir it se trouva mal, et mourut le 19. Ce
voir laissé exécuter le duc de Montmouth~ au mépris du ser- malheur, dit mademoisellede Montpensier,arriva à la suite
ment qu'il avait fait sur t'hostie, près du lit de mort de d'une orgie où il avait trop bu d'eau-dc-vie. Les autres Mé-
Charles If, qui lui avait recommandéde ne jamais ôter la vie moires parlèrent de fièvre matigne ou de peste. Mais l'auteur
à son frère naturel, même en cas de révolte. c Mais à ces du 4" système prétendit que ces bruits n'avaient été répan-
mots, le père Saunders interrompit la duchesse en lui di- dus que pour é)oigner tes curieux dela tente du jeune prince,
sant « Madame la duchesse, le roi Jacques a tenu son ser- qui était, non pas mort, mais seulement endormi à J'aide
ment. d'un narcotique, et qui ne se réveiifa qu'un masque de fer
Selon Sainte-Foix, l'homme au masque de fer ne serait sur le visage.
donc autre que le duc de Montmouth, sauvé de t'échafaud Selon )e même auteur, Ali-Homajou,c'est-à-dire Philippe !I,
par Jacques !t, à qui Louis XIV aurait prêté presqu'en mê- régent de France, était allé faire une visite au comte de
me temps les ttes Sainte-Margueritepour son frère, et Saint- Vermandois, à la Basti))e, vers le commencement de ~725;
Germain pour lui. il était résulté de cette visite la résolution de rendre la li-
berté au prisonnier, lorsque la même année, le régent mou-
'ntOISï&M SYSTÈME. rut d'une apoplexie foudroyante. Il en résulta que le pauvre
Giafer resta dans la forteresse d'Ispahan, dont ce n'était
Le système deSainte-Foix avait été établi pour battre en guère d'ailleurs la peine de sortir, attendu qu'à cette époque
brèche le système de Lagrange-Chancel,qui prétendait, sur il devait avoir à peu près soixante-cinq ans.
tediredeM.deLamothe-Guérin, gouverneur des lles Sainte-
Marguerite, en ~8, c'est-à-dire à l'époque où tui-méme y CINQUIÈME SYSTÈME.
était détenu, que l'homme au masque de fer était le fameux
duc de Beaufort, disparu en <669 au siége de Candie. Voici Celui-ci appartient au baron d'Heiss, ancien capitaine au
la version de Lagrange-Chancel régiment d'Alsace. Il était déve)oppé dans une lettre écrite
Dès ('année 4664, M. de Beaufort était déjà, par son in- de Phalsbourg, et datée du 28 juin 1770. Cette lettre fut
subordination et sa tégèreté, tombé dans la disgrâce, sinon publiée dans l'Histoire o6)e~M de l'Europe. Voici l'analyse
apparente, du moins réelle, de Louis XIV, qui pardonnait de cette iettre
avec une égale dimcutté le bonheur qu'on avait eu de lui Selon le baron d'Heiss, le duc de Mantoue avait dessein
plaire, ou le matheur qu'on avait eu de lui déplaire. Or, de vendre sa capitale au roi de France, lorsqu'il en fut dé-
M. de Beaufort ne lui avait jamais plu, le grand roi ne vou- tourné par son secrétaire Matthio)i, lequel lui persuada,
tant pas de rivaux, fût-ce aux halles. au contraire, de s'unir à la ligue qui, dans ce moment, se
Vers le commencement de ~669, M. de Beaufort reçut de formait contre Louis XIV. Le roi, qui croyait déjà tenir
Colbert l'ordre de soutenir Candie, assiégée par les Turcs. Mantoue, vit donc cette ville importante lui échapper; et
Sept jours après son arrivée, c'est-à-dire le 26 juin, le duc ayant su par quel conseil, il résolut de se venger du con-
4e Beaufort fit une sortie; mais, emporté par son courage seiller. En conséquence, sur l'ordre du roi, le malheureux
)u par son cheval, il ne reparut pas. A. cette occasion, Na- Matthioli aurait été invité par le marquis d'Arcy, ambassa-
vailles, son collègue dans le commandement de l'escadre deur de France, à une grande chasse à deux ou trois lieues
française, se contente de dire, page 245, livre ïv de ses de Turin, et là, tandis qu'il suivait l'ambassadeur dans un
Mémoires Le duc de Beaufort rencontra sur son chemin sentier perdu, douze cavaliers l'auraient en'evé, masqué, et
un gros de Turcs qui pressait quelques-unes de nos trou- conduit à Pignerol. Mais, comme cette forteresse était trop
pes Il se mit :) leur tête et combattit avec beaucoup de va- voisine de l'Italie, il serait passé de là successivement à
leur mais il fut abandonné, etl'on n'a jamais pu savoir de- Exiites, aux iles Sainte-Marguerite, et enfin à )aBastii)e, où
puis, ce qu'il était devenu. 1) il serait mort.
Selon Lagrange-Chancel, le duc de Beaufort aurait été Ce système, qui n'était plus déraisonnaMe que les
pas
enlevé, non par les soldats du sublime empereur, mais par autres, n'obtint cependant jamais grande faveur. Cette idée
les agens do roi très-chrétien, et au lieu d'avoir eu la tête que l'homme au masque de fer était un étranger et un subal-
coupée, i) t'aurait eue, ce qui ne valait guère mieux, enfer- terne, n'ayant pas suffi pour évfiiier une grande curiosité.
mée à perpétuité dans un masque de fer.
SIXIÈME SYSTÈME.
QUATMÈME SYSTÈME.
Celui-ci n'a point de parrain. C'est un de ces bruits va-
Ce quatrième système, qui n'était pas loin non plus d'ê- gues comme il en court par le monde, sans qu'on sache d'où
tre celui de Voltaire, avait été répandu avec un prodigieux ils viennent, ni où ils vont. Aussi ne ieeitons-nousquepour
succès par l'auteur anonyme des Mémoires pour servir à l'his- mémoire.
tot're de Perse. Comme l'Histoire amoureuse des Gaules, tes Selon ce système, l'homme au masque de fer ne serait au-
Mémoires pour servir à l'histoire de Perse racontent des tre que le second fils du protecteur, c'est-à-dire Henri Crom-
anecdotes de la cour de France. Le roi y est appelé Cha-Ab- wel, qui disparut de la scène du monde sans que jamais per-
bas, le dauphin SepAt-~t').sa. le comte de Vermandois Gia- sonne sût par quelle coulisse, ou par quelle trappe. Mais
pourquoi eût-on masqué et emprisonné Henri, lorsque Ri- née, un gouverneur arriva chez dame Perronnette, c'était le
chard, son frère aîné, vivait publiquement et tranquillement nom de la sage-femme, et la somma de lui remettre l'enfant,
en France? qu'il devait continuer d'élever en secret, comme un fils de roi.
L'enfant et le gouverneur partirent pour la Bourgogne.
SEPTTÈMESYSTÈME. Là, l'enfant grandit inconnu, mais cependant portant sur
Le septième système est tiré d'un ouvrage in-8°, publié en son visage une telle ressemblanceavec Louis XIV, qu'à cha-
<T89 par M. Dufey de l'Yonne, et intitulé la B<M(t'He ou ?. que instant le gouverneur tremblait qu'il ne fût reconnu. Le
jeune homme atteignit ainsi l'âge de dix-neuf ans, effrayant
<xotre$pourM)T:t7'd~M'~otreduGottterftenMn< /r<!tt!NM de-
,puis le xn'* siècle jusqu'à la fin du xvin'. Tout l'échafau- son vieux mentor par les idées étranges qui lui passait par-
dage de ce système, qui, du reste, a tout l'intérêt du roma- fois à travers la tête comme des éclairs. Lorsqu'un beau
jour, au fond d'une cassette mai fermée et qu'on avait eu
nesque et de la poésie, s'appuie sur ce passage des Mémoi- l'imprudence de laisser à sa portée, il trouva une lettre de
res de madame de MotteviHe c La reine, dans cet instant, la reine Anne d'Autriche, qui lui révélait sa véritable nais-
surprise de se voir seule, et apparemment importunée par
quelque sentiment trop passionné du dnc de Buckingham, sance. Quoique possesseur de cette lettre, le jeune homme
s'écria et appela son écuyer, et le blâma del'avoir quittée. résolut de se procurer une nouvelle preuve. Sa mère parlait
Selon M. Dufey, ce cri d'appel poussé par Anne d'Autri- de cette ressemblance miraculeuse avec Louis XIV, qui ef-
che, fut le dernier. Le duc de Buckingham, de plus en plus frayait tant le pauvre gouverneur. Le jeune homme résolut
de se procurer un portrait du roi son frère, afin de juger
amoureux, fut de plus en plus apprécié, comme le prouve lui-même de cette ressemblance. Une servante d'auberge se
l'histoire des ferrets de diamans; si bien que Louis XIII eut
un fils qu'il ne connut jamais, mais que Louis XIV décou- chargea d'en acheter un à la ville voisine; ce portrait confir-
'vrit, et auquel, pour l'honneur de sa mère, il donna un ma tout ce qu'avait dit la lettre. Le prince se reconnut, ne
masque. fit qu'un bond de sa chambre a celte du gouverneur, et lui
D'après M. Dufey de l'Yonne,la mort sanglante de Buckin- montrant le portrait de Louis XIV « yoità mon frère 1)
gham aurait bien pu être une expiation de son bonheur, et lui dit-il. Il Et ramenantles yeux sur lui-même e Et voilà
il n'est pas loin de croire que le couteau de Felton était non qui je suis JI
seulement de manufacture française, mais encore de fabri- Le gouverneur ne perdit pas de tempsetécrivitàLouisXIV,
que royale. qui, de son côté, lit bonne diligence, et courrier par cour-
rier l'ordre arriva d'enfermer dans la même prison te gou-
MJmÈME SYSTÈME. verneur et l'élevé. Puis, comme, même à travers les grilles
d'une prison, on pouvait reconnaître la contre-épreuvedu
Celui-ci, mis sous le patronage du marécha) de Richelieu, grand roi, le grand roi ordonna que le visage de son frère
appartient très-probablement, en toute propriété, à Soula- fût, à compter de cette heure, couvert d'un masque de fer,
vie, son secrétaire. H serait, dit ce dernier, emprunté à un assez habilement travaillé pour que, sans le quitter jamais,
manuscrit retrouvé dans les cartons du duc après sa mort, il pût voir, respirer et manger. Cette recommandation, toute
et intitulé Relation de la naissance et de l'éducation du prin- fraternelle, aurait, d'après Soulavie, été exécutée de point
ce infortuné, soustrait par les cardinaux Richelieu et J~oMrt'M en point.
à la société, et renfermé par ordre de Louis XIV, composée C'est cette donnée qu'ont adoptée, pour faire leur beau
par le gouverneurde ce prince, à son lit de mort. ~ramedu~ff~ueJe/Bf.MM. Fournier etArnoult, ce qui
Ce gouverneur aoonymc racontait que ce prince, qu'il n'a pas peu contribué, avec le latent de Lockroy, à lui don-
avait éieré et gardé jusqu'à la fin de ses jours, était un frère ner, de nos jours, une parfaite popularité.
jutncau de Leuis XIV, né le 5 septembre ~658, à huit heu-
res et demie du soir, pendant le souper du rgj, et au moment NEUVIÈME SYSTÈME.
où on était loin de s'attendre, après la naissance de
Louis XIV qui avait eu lieu à midi, à un second accouche- Celui-ci est notre contemporain et date de <85T. !) a été
ment. Cependant ce second accouchement avait été prédit émis par notre confrère le Bibliophile P.-L. Jacob. Selon
par des pâtres, qui avaient dit par la ville que, si la reine lui, l'homme an masque de fer noterait autre que le mal-
accouchait de deax dauphins, ce serait un grand signe de heureux Fouquet, qui, profitant des adoucissemens donnés
calamité pour.laFrance. Ces bruits, de si bas qu'ils fussent à sa prison pour exécuter une tentative 4'évasion, aurait été
partis, n'en étaient pas moins venus aux oreilles du supers- puni de cette tentative par la nonvelte de sa mort officielle-
titieux Louis XIII, qui alors avait fait venir Richelieu, et ment répandue, et par l'application de cette ingénieuse ma-
t'avait consulté sur cette prophétie, à laquelle, sans y croi- chine, dont Pinvention, dans ce cas encore, appartiendrait
re cependant, Richelieu avait répondu que, ce cas échéant, au grand roi.
il fallait soigneusement cacher le second venu des deux en- Comme le livredans lequel notre ami a développé ce nou-
fans, parce qu'il pourrait vouloir être roi. Louis XIII avait veau système est dans les mains de tout le monde, nous y
a peu près onNié cette prédiction, lorsque la sage-femme renvoyons pour plus amples défaits.
~'int lui annoncer, à sept heures du soir, que, selon toutes Il y a encore deux autres petits systèmes t'un ferait du
les probabilités, la reine allait mettre au jour un second en- masque de fer le patriarche Arwedicks, enlevé, selon le ma-
fant. Louis XIII, qui avait senti !a justesse du conseil du nuscrit de monsieur de Bonac, pendant l'ambassade de mon-
cardinal, réunit aussitôt t'éveque de Meaux, le chancelier, sieur de Féréol à Constantinople; l'autre serait nu malheu-
le sieur Honorat et la sage-femme, et leur dit, avec cet ac- reux écolier puni par les jésuites d'un distique latin fait con-
cent qui annonce qu'on est disposé à tenir ce que l'on pro- tre leur ordre, et auquel, sur la recommandation de ces
met, que le premier qui révélerait le mystère de son second bons pères, Louis XIV aurait bien voulu servir de geôlier
accouchement paierait la révélation de sa tête. Les assistans et de bourreau.
jurèrent tout ce que le roi voulut, et à peine le serment était. Ajoutons, pour dernier système, celui qui consiste à ne
il fait, que la reine, accomplissant la prophétie des bergers croire à rien et à dire que le masque de fer n'a jamais
accoucha d'm second dauphin, lequel fut remis la sage~
femme et élevé en secret, destiné qu'it était à remplacer le
existé.
Maintenant, après les conjectures, voici les cerlitudes
dauphin, si le dauphin venait à mourir, tandis que, au con- Ce fut dans l'intervalle du 2 mars ~C80 au ler septembre
traire, il était condamnéd'avance l'obscurité, si le dauphin <68t, que l'homme au masque de fer parut a Pignero), d'où
continuait de vivre. il fut transporté à Eyilles, lorsque monsieur de Saint-Mars
La sage-femme éleva le second dauphin comme son fils, passa de cette première forteresse à la seconde. Ity resta six
!e faisant passer aux yeux de ses voisines pour le bâtard ans et monsieur de Saint-Mars, ayant eu en ~687 le gouver-
-d'un grand seigneur dont on lui payait grassement la pen- nement des îles Sainte-Marguerite,s'yfit suivre par son prt-
sion. Mais à l'époque où l'enfant eut atteint sa sixième an- esonnir, dont il était condamné tui-méme à rester l'ombre.
En arrivant dans ces lies, Saint-Mars écrivit à monsieur de L'homme au masque de fer fut placé dans une !i)i<re qui
Louvois, le 20 janvier <687 « Je donnera! si bien mes or- pnécédaitta voiture de monsieur de Saint Mars. Cette litière
dres pour la garde de mon prisonnier, que je puis vous en était entourée de plusieurs hommes à cheval qui avaient
répondre pour son entière sûreté. l'ordre de tirer sur le prisonnier a la moindre tentative qu'il
En effet, ce bon monsieur de Saint-Mars avait fait exécu-
ter tout exprès pour lui une prison modèle. Cette prison,
Cemit, ou pour parler, ou pour fuir. En passant sa terre de
Patteau, monsieur de Saint-Mars s'arrêta un jour et une nuit.
selon Piganiol de la Force, n'était éclairée que par une seole Le dîner eut !ien dans une salle basse dont les fenêtres don-
fenêtre regardant la mer, et ouverte à quinze pieds an-dessas naient sur la cour. A travers ces fenêtres, on pouvait voir
du chemin de ronde. Cette fenêtre, outre les premiers bar- le geôlier et le captif prendre leurs repas. L'hommeau mas-
reaux, était défendue par trois grilles de fer placées entre que de fer tournait le dos aux fenêtres. I) était de grande
les soldats de garde et le prisonnier. taille, vêtu de brun, et mangeait avec son masque, duquel
Aux Hes Sainte-Marguerite, monsieur de Saint-Mars en- s'échappaient par derrière quetques mèche;! de cheveux.
trait rarement dans la chambre de son prisonnier, de peur blancs. Monsieur de Saint Mars était assis en face de lui, et
que quelquè indiscret écoutât leur conversation. En consé- avait un pistolet de chaque côte de son assiette; un seut
quence, il se tenait ordinairement sur la porte ouverte, et de valet ies servait et fermait la porte double tour chaque (ois
cette façon pouvait, tout en causant, voir des deux côtés du qu'il entrait ou qu'il sortait.
corridor si personne ne venait. Un jour qu'il causait ainsi, Le soir, monsieur de Saint-Mars se fit dresser un lit de
!eS)s d'un de ses amis, qui était venu passer quetques jours camp et. concha en travers de la porte, dans la même cham-
dans !)e, cherchant monsieur de Saint-Mars pour lui de- bre que son prisonnier.
mander l'autorisation de prendre un bateau qui le conduisit Le lendemain on repartit, et les mêmes précautions lurent
aterre,raperçutdeioinsur le seuil d'une chambre. Sans prises. Les voyageurs arriérent à la Bastille.le jeudi <8 sep-
doute en 'ce moment la conversation entre ie.pnsonnier et tembre ~698, a trois heures de l'après-midi. L'bonime au.
monsieur de Saint-Mars était des plus animées, car ce der- masque de fer fut mis dans la tour de )a Bazinière en atten-
nier n'entendit les pas du)eune homme que lorsqu'il fut prés dant la nuit puis, la nuit 'venue, monsieur Dujcnea le eon-
de lui. Il se rejeta en arrière, referma la porte vivement, et duisit iui-meme dans la troisième chambre de la tour de la
Bemanda tout pâlissant au jeune homme s'il c'avait rien vu Bertaudière, laquelle chambre, dit Je journal de monsieur
ni entendu. Le jeune homme, pour toute réponse, lui dé- Dujonca, avait été meublée de toutes choses. Le sieur Ro-
montra que de la place où !i était ia chose était presque im- sanges, qui venait des !ies Sainle-Marguerile à la suite de
possible. Alors seulementmonsieur de Saint~Mars se remit; monsieur de Saint-Mars, était, ajoute io même journal,
maisii n~en fit pas moins le même jour partirle jeune hom- chargé de servir et de soigner ledit prisonnier, qui était
me, en écrivant a son père pour lui raconter )a cause du nourri par le gouverneur.
renvo!, et ajoutant < Peu s'en est fallu que cette aventure Néanmoins, en souvenir de ta chemise trouvée sur le bord
n'ait coûté cher à votre Os, et je vous le, renvoie de peurde de la mer, c'était le gouverneur qui le servait a table, et
quetquenouve~eimprudence.-n » qui, après le repas, lui enlevait son linge; en outre, il avait
Un'autre jour, H arriva que le masque de fer, qui était reçu la défense expresse de parler personne ni de montrer
~ervi en argenterie, écrivit quelques lignes sur un plat, ait sa figure à qui qaece fut dans les courts instans de répit que
moyen d'un clou -qu'il s'était procuré, et jeta ce plat à tra- lui donmnt le gouverneur en ouvrant lui-même la serrure
vers sa fen<trè et les triples grilles. Un pêcheur trouva ce qui fermait son masque. Dans )e cas où il eût ose contreve-
plat au bord de la.mer, et pensant qu'il ne pouvait provenir nir à l'une o<t l'autre de ces défenses, les sentinelles avaient
<que de l'argenterie ck château, le rapporta au gouverneur. ordre de tirer sur lui.
~A~ee-vous )u ce qu! est écrit sur ce p!at? demanda Ce fut ainsi que le malheureux prisonnier resta à la Bas-
monsieur de Saint-Mars. tille depuis le 18 septembre 1698 jusqu'au )9 novembre
Je ne sais pas JiM, répondit ie pêcheur. )T05. A la date de ce jour, on trouve cette note dans le
–Quetqu'uni'a-t-ii vu entre-vos mains? même journal « Le prisonnier inconnu, toujours masqué
-Je rai trouvé à f instant même, et je)M apporté à Vo- d'MM masque de velours noir (t~, s'étant trouvé i)ieru)) peu
tre Excellence; en le cac))ant sous ma reste, de peur qa'on plus mal en sortant de la messe, est mort aujourd'hui sur
nëmepritpourunfoteur. les dix heures du soir, sans avoir eu une grande maladie.
Monsieur de Saint-Marsréuëchit ua instant; puis, faisant Monsieur Giraut, notre aumônier, le confessa hier. Surpris
signe au pécheur de seTetirer: par la mort, il ifa pu recevoir les sacremens, et notre au-
Allez, lui dit-il vous êtes bien heureux de ne pas sa- mônier l'a exhorté un moment avant que de moupir. t) a été
U
voir tir&)
ï/annéesuivanle, ait garçon de chirurgie,quiOt~ne trou-
enterré, le mardi 20 novembre, à quatre heures du soir,
dans )e cimetière de Saint-Paul. Son enterrement a coûte
vaille à peu près semblable, fut moins heureux que iepe- quarante livres: n
eheur. H vit notter sur l'eau quelque chose de blanc et le Maintenant, voici ce que l'on a retrouvé sur les registres
amassa; c'était une chemise très fine, sur ]aque))e, à dé- de sépulture de l'église Saint-Paul
faut de papier et-b l'aide d'un mélange de suie et d'eau et « L'an ~05, le ~9 novembre, Marchialy, Agé de quarante-
d'un os ue'poutet taillé en manière de plume, le prisonnier !) cinq ans ou environ, est décédé dans la BastiHe, duquel le
~rvait écrit foute son histoire. Monsieur de Saint-Mars lui <X))'ps a été inhumé dans le cimetière de Saint-Paul, sa
fit a~rs )a mftne question qu'au pêcheur. Le garçon <)e chi- paroisse, le 20 dudit mois, en présence de monsieur Ro-
'rurgie rfp''))()it qu'il 'a'ait lire, ii est vrai, mais que pen. » sarges, major de:la Bastille, et de monsieur Reih, chirt.n?--
sant que les lignes tracées sur cette chemise pouvaient ren- ogien de la Bastille, qui ont signé. B
fermer quelque secret d'État, il s'était bien garde de tes lire. Mais ce que ne disent ni le registre de la prison ni le re-
Monsieur de Saint-Marsle renvoya d'un air pensif, et le len- gistre de la Bastille, c'est que les précautions prises pen-
demain on trouva le pauvre garçon mort. dans son lit. dant sa vie poursuivirent ce malheureux après sa mort. Son
Vers te même temps, le domestique qui servait l'homme visage fut denguréavec duvitfio), a~n qu'en cas d'exhuma-
au masque de fer étant trépassé, une pauvre femme se pré- tion on ne pût le reconnaitre; puis on brùla tous ses mou-
senta pour le remplacer; mais monsieur de Saint-Murs lui hIes, on dépava sa chambre, on effondra les plafonds, on
ayant dit qu'il fanait qu'eHe partagent é)n'M))pmfnt la pri- fouilla tous les coins et recoins, on tpgratta et htanciut les
son du mnh'e au service de quicHc allait cnt)'cr,ftqM') mu)'ai))es; enfin, on leva tes uns après les autres tous les
partir (~ cejourcDt'ccssitt de voir son mari <'t ses enfans, carreaux, de peur qu'it eût caché quefquc billet ou quelque
.elle refusa de sonso'iru :) de p~)'eiH<'s conditions et se retira. marque qui pût taire connaître son nom.
Ln 1C08, rotdrë arriva monsieur de Siunt-Mars de
ti'a))sf(!rcr son prisonnier :) la Bastille. On comprcRd que (t) La coutcurft t'amonr f~t terrible auront sans doute fait
pour uu voy~c aussi long les précautions rcdou)))~ron prendre ce masque pour un masque de ter.
Du ~9 novembre )T05 au <4 juiitct d789, tout continua Ce que jevais vous répondu', nous dit-il, est bien bête.
de rester ()?ns l'obscurité, tant les murs de la Bastille étaient Vous me demandez où je vais, n'est-ce pas?
épais. tant ses portes de fer étaient bien fermées. Puis, un S'il n'y a pas d'indiscrétion,jeune homme, lui dit Ja-
jour, il arriva que ces murs furent renversés à coups de ca- din en trinquant avec lui.
non, c's portes enfoncées à coups de hache, et que les cris Eh bien je n'en sais rien, nous répondit-il.
de liberté retentirentjusqu'au plus profond de ces cachots Comment cela ? dit Jadin. Vous vaguez purement et
où tout semblait mort, jusqu'à i'écho qui dut hésiter à tes simplement. Permettez-moi de vous le dire ceci n'est point
répéter. une position dans la société.
Les premiers soins du peuple vainqueur furent pour les Mon Dieu reprit le jeune homme en rougissant, si je
vivans. Huit prisonniers seulement furent retrouvés dans la n'avais pas peur que vous ne me trouvassiez indiscret, je
sombre et sinistre forteresse. Le hruit courut alors que, vous raconterais mon histoire.
quelques jours auparavant, plus de soixante autres avaient Est-elle longue demanda Jadin.
été transportés dans les bastilles de l'État. En deux minutes, monsieur, elle sera finie.
Puis, après )a préoccupation envers les vivans, vint la Alors versez-moi encore un verre de ce petit vin il
curiosité pour les morts. Parmi les grandes ombres qui ap- n'est pas mauvais ce petit vin, et dites.
paraissaient au milieu des ruines de la Bastille, se dressait, En effet, l'histoire était courte, mais n'en était pas moins
plus gigantesque et plus sombre que les autres, le fantôme incroyable.
voi)é du masque de fer. Aussi courut-on à ia cour de la Ber- Notre compagnon de route s'appelait Onésime Chay. Il
taudiere qu'on savait avoir (té habitée cinq ans par ce mal- avait douze cents livres de rente que lui avaient laissées ses
heureux mais on eut beau chercher sur les muraiites, sur parens; il était cinquièmeclerc de notaire à Saint Denis, et
les vitres, sur les carreaux, on eut beau déchiffrer tout ce il était venu à Toulon pour recueillir une petite succession
que l'oisiveté, la résignation ou le désespoir avaient pu tra- de quinze cents francs qu'une tante lui avait laissée.
cer de sentences, de prières ou de malédictions sur ces mys- Le hasard avait fait que nous nous étions trouvés à
térieuses archives que les condamnés se léguaient en mou- Toulon en même temps que lui. Dans sa curiosité juvénile,
rant les uns aux autres, toute recherche fut inutile, et le se- il avait tout fait pour nous voir, Jadin et moi, sans avoir pu
cret du masque de fer continua de demeurer entre lui et ses y réussir; enfin, il avait appris que nous partions par la
bourreaux. voiture de Toulon à Fréjus et, cédant à cette curiosité, il
Tout à coup cependant de grands cris retentirent dans la y avait retenu sa place jusqu'au Luc, comptant repartir du
cour. L'un des vainqueurs avait découvert le grand registre Luc pour Aix et Avignon mais au Luc, le charme de notre
de la Bastille sur lequel était mentionnée la date de t'entrée société l'avait tellement /asctn~, qu'il avait poussé jusqu'à
et de ia sortie des prisonniers, et qui avait été inventé et Fréjus à Fréjus, il nous avait faitdemander, comme nous l'a-
établi par le major Chevalier. Le registre fut porté à l'Hôtel- vons dit, la permission de diner au bout de notre table. La
de ViHe, où l'assemblée municipale voulut chercher elle- façon gracieuse dont nous lui avions accordé cette demande
même ce secret de la royauté si longtemps caché. On l'ou- l'avait séduit de plus en ptus. Nous entendant parler du
vrit t'année t698. Le folio <20, correspondant au jeudi
à golfe Juan, il s'était décidé à le visiter en même temps que
)8 septembre, avait été déchiré. Le feuillet de t'entrée man- nous; et maintenant, puisqu'il était en route, son intention,
quant, on se reporta à la date de sortie. Le feuillet corres- si nous le lui permettions, était de nous accompagner jus-
pondant au 49 novembre 4705 manquait comme celui du qu'à Nice. Mais, ajouta-t-il, à la condition, bien entendu,
<8 septembre,et cette double lacération bien constatée, tout qu'il paierait sa place dans notre voiture.
espoir fut à jamais perdu de découvrir le secret de l'homme Si notre convive avait été moins na!f, nous aurions cru
au masque de fer. qu'il se moquait de nous; mais il n'y avait pas à se trom-
per à son air c'était la bonhomie en personne.
Nous lui dtmes en conséquence que, s'il tenait absolu-
ment à payer sa part de notre voiture, il n'avait qu'à faire
le calcul lui-même, en défalquant les huit ou dix lieues que
nous avions faites sans lui, et qu'il n'était pas juste qu'il
payât. Il prit un crayon, fit sa soustraction, la vérifia par
une preuve, et nous remit ~9 francs 75 centimes, en nous
LE 'CAPITAINE LANGLET. remerciant, les larmes aux yeux, de la faveur que nous lui
accordions,
Nous montâmes dans la voiture; mais quelques instances
que nous fimes à notre compagnon de voyage, il ne voulut
Quand notre dtner fut prêt, notre aubergiste nous fit si- jamais aller qu'à reculons.
gne de revenir son avis eut le plus grand succès. L'eau et En arrivant à Antibes,Jadin l'appelait Onésime tout court.
l'air (te. la mer nous avaient donné une faim rouge; nous A la fin du souper, il le tutoyait. Le lendemain, il lui don-
pensâmes que ces deux causes réunies avaient dù produire nait de grands coups de poing dans le dos.
le même effet sur notre compagnon de voyage, qui, entré en Quant à Onésime, il ne parla jamais à Jadin qu'avec le
même temps quenousvenaitde sortir eh mêmetemps que nous, plus profond respect; il continua toujours del'appeler mon-
etscrhabi))ait.Ennousrhabi)tant,noustui demandâmesdonc sieur Jadin, et jamais ne leva la main, même sur Milord.
s'i) ne voulait pas partager notre diner. Il nous répondit que A Nice, l'amitié d'Onésime pour Jadin était devenue si
ce serait avec grand plaisir, si nous lui permettions d'en forte, qu'il ne put pas se décider à le quitter, et qu'il partit
payer sa part. Nous lui répondîmes qu'il en était de cela avec nous de Nice pour Florence.
comme du bain, et qu'il était parfaitement libre, ou de se Onésime ne voulut pas être venu a Florence sans voir
considérer comme notre invité, ou de changer notre repas en Rome, et il partit avec nous de Florence pour Rome.
pique nique,attendu que, là-dessus, nous ne voulions en rien Bref, Onésime fit avec nous presque le tour de l'Italie. Les
blesser sa délicatesse. Il insistapour lepique-nique,et nous <,SOO francs de sa tante y passèrent jusqu'au dernier sou.
nous mimes à table. Après quoi, il s'en revint joyeusement à Saint-Denis, em.
Le pique-nique fut splendide; on nous servit comme des portant, nous dit-il, des souvenirs pour tout le reste de son
empereurs. Nous en eûmes chacun pour trente sous. existence.
Pendant le diner, nous ffmes plus ample connaissance avec Et alors P. alors ce fut Jadin qui eut toutes les peines du
notre jeune homme, et, profitant du progrès que nous pa- monde à se passer de lui.
raissions avoir fait dans sa confiance, nous lui demandâmes J'ai anticipé sur les événemens, pour faire connaître tout
où it allait. !) se mit sourire avec une simplicité qui n'é- de suite quelle bonne créature c'était que notre compagnon
tait pas dénuée de charme. de voyage.
Jadin et lui couchèrent dans la même chambre, et, comme Eh bonjour, capitaine, lui dit Jadin en lui frappant
nous n'étions séparés que par une cloison, j'enlendis,,pen- sur le ventre.
dant une partie de la nuit, Jadin qui lui donnait des conseils Le capitaine, se voyant reconnu, fit contre fortune bon
sur la manière de se conduire dans le monde. cœnr; et, relevant sa calcule, il nous découvrit une figure
Je fus réveillé à six heures du matin par des chants d'é- qui n'avait rien de l'austérité monaca!c.
glise. En même temps Jadin ouvrit ma porte en me criant de Eh bien oui, c'est moi, nous dit-it avec son triple ac-
regarder par ma fenêtre. cent provençal. Que vouiez-vous; il faut bien hurler avec les
Un convoi passait, escorté par une vingtaine de pénitens, loups; ils connaissent ici mes opinions napoléoniennes et
couverts de longues robes bteues, dont le capuchon leur ma vénératio)) pour ce grand monsieur de Voltaire je n'ai
couvrait le visage. Ces pénitens chantaient a tue-tète. pas envie de me faire mettre en canoetie comme ce bon ma-
C'était la première fois que nous voyions un spectacle de réchal Brune. D'ailleurs, qu'est-ce que cela me fait, à moi,
ce genre aussi, Jadin et moi sautâmes-nous sur nos habits. l'enveloppe? Le cœur, il est toujours dessous, n'est-ce pasP
En un tour de main nous fûmes vêtus. Nous descendîmes Eh bien je vous le répète, ce coeur, il est napoléonien dans
l'escalier quatre à quatre, et nous nous mimes à la suite du t'âme. Quant à ce livre de messe, est-ce que vous croyez
convoi. Onésime, qui était resté derrière par ordre de Jadin, que je sais ce qu'il y a dedans? Je ne connais pas )e latin,
pour demander des explications à notre hôte, nous apprit, moi.
en nous rejoignant, que le mort était un jeune manœuvre en -Mais, capitaine, lui répondis-je, vous vous défendez là
maçonnerie qui avait été écrasé par accident, la veille, et de choses fort honorables, ce me semble.
que la confrérie qui l'accompagnait appartenait à t'égtise -Non, c'est que vous pourriez penser que je crois à tou
du Saint-Esprit et Sainte-Claire, la même où avaient été tes ces bêtises, moi, à toutes ces momeries qui sont bonnes
renfermés, en ~8~5, les vingt Français de Casabianca. pour les femmes et pour les enfans.
Cela nous rappela ce bon capitaine Langlet. -Soyez tranquille, capitaine, dit Jadin; nous pensons
Cependant la confrérie se rendait, au pas de course et que vous êtes un farceur, voilà tout.
tout en chantant, au cimetière. Voulant voir comment la cé- –Et) 1 allons donc! Eh bien oui, je suis un farceur,
rémonie se terminerait, nous y entrâmes avec elle. un bon diable, un bon vivant. Avez-vous déjeuné?
Tout le long de la route j'avais marché près d'un pénitent Non, capitaine.
que mon voisinage, à mon grand étonnement, avait paru Vouiez-vous venir déjeuner avecmoi?
fort inquiéter. Dix fois it s'était retourné rapidementde mon Merci, capitaine, nous n'avons pas le temps
coté sans interrompre son chant, m'avait jeté un regard in- Eh vous avez tort. Je vous aurais conté de bonnes
quiet, et à chaque fois avait tiré sa cagoule de plus en plus histoires de calotin, et chanté des chansons bien hardies sur
sut ses yeux si bien qu'!t la fin à peine y voyait-il pour se l'empereur.
conduire. Quant a son office, quoiqu'il tint son livre ouvert Nous sommes on ne peut plus reconnaissans, capi-
pour la forme, il n'y jetait pas même les yeux it le savait taine mais il faut que nous soyons aujourd'hui de bonne
par cœur. En entrant dans le cimetière, il s'écarta le plus heure à Nice.
qu'il put de moi, mais il s'en alla tomber dans Jadin, à qui Vous ne voulez donc pas ?7
je fis signe de ne point le perdre de vue il commençait à [mpossibie.
me venir un singulier soupçon. Eh bien 1 alors, bon voyage, dit le capitaine en nous
On déposa près de la fosse le cercueil, que quatre ou- tendant la main. 1
vriers maçons portaient découvert sur leurs épaules. Puis, Nous vimes que nous le tirerions d'embarras en le lais-
après que chacun à son tour eut jeté de l'eau bénite sur le sant aller de son côté et en allant du nôtre. En conséquence,
cadavre, on cloua le couvercle, comme je l'avais déjà vu faire nous ne voulûmes pas le tourmenter plus longtemps, et nous
au cimetière des Baux, et l'on descendit la bière dans la lui donnâmes la main chacun à notre tour, en lui souhai-
tombe. tant toutes sortes de prospérités.
En ce moment les pénitens entonnèrent le Libera. Nous-renlrâmes à l'auberge, où nous trouvâmes notre dé-
J'allai près de Jadin, lequel était resté près du pénitent jeuner qui nous attendait. Nous ordonnâmes d'atteler, afin
sur lequel ma présence avait paru produire une si étrange de pouvoir partir en nous levant de table.
impression. t) chantait à tue-tête. -Mais, nous dit notre hôte d'un air assez embarrassé,
Est ce que vous ne connaissez pas cette voix-là de- ces messieurs vont à Nice, je crois?P
mandai-je à Jadin. Sans doute pourquoi cela ?7
Attendez donc, me dit-il en rappelant ses souvenirs, il C'est qu'il faudrait alors' que les passeports de ces
me semble que si. messieurs fussent signés par le consul de Sa Majesté Char-
Venez par ici, maintenant. Je le conduisis en face du les-Albert.
chanteur. Mais Ils sont visés par l'ambassade de Paris, dit Jadin.
Est ce que vous ne connaissez pas cette bouche-là ? lui N'importe, dit l'hôte, ces messieurs ne pourraient pas
demandai-je. entrer en Sardaigne s'il n'y avait pas un visa daté d'An-
Attendez donc, attendez donc. Oh 1 pas possible tihes.
Mon cher, ou y en n
il deux pareilles, ce qui n'est pas Donnez donc votre passeport, dis-je à Jadin; it faut
probable, ou c'est celle. bien que tout le monde vive, même les rois
Du capitaine Langlet, n'est-ce pas? Nous grossîmes de chacun trente sous la liste civile du
C'est vous qui l'avez dit. roi Charles-Albert, après quoi nous fûmes libres d'entrer
Le pénitent, qui voyait que nous te regardions, se déman- sur son territoire.
tibulait le visage et faisait tout ce qu'il pouvait pour se dé- Nous profitâmes de cette liberté pour monter en voiture.
figurer. Deux heures après nous étions sur les bords du Var.
Ah le vieux singe dit Jadin. La tête du pont était gardée par la douane. Comme nous
Chutt 1 fis-je en l'entrainant.
sortions de France, nous n'avions rien à faire avec elle.
passâmes donc fièrement.
-Non pas, non pas, reprit Jadin, je veux lui demander Nous Derrière la douane étaient deux factionnaires avec les-
des nouvelles de monsieur de Voltaire. quelles nous n'eûmes encore rien & démëter.
–Attendons-tedehors, et là vous lui demanderez tout ce Derrière les deux factionnaires était un commissaire de
que vous voudrez. police
Vous avez raison. Avec cehti-ci ce fut autre chose. Après avoir bien com-
Nous sorti mes et'nous attendimes à la porte. Notre pé- paré mon signalement à mon visage ot en avoir fait autant
nitent sortit un des derniers, sa cagoule plus rabattue que pour Jadin et pour Onésime, lui vint dans l'idée que l'une
jamais. des deux dames qui étaient dans notre voiture était sans
doute la duchesse de Berry. En conséquence, il lui chercha petits ducs sans importance, qu'on appelait tout bonnement
une querelle sur son âge, prétendant qu'elle ne paraissait Messieurs de Savoie; lorsque, lassée des révolutions qui
pas tes 26 ans qui étaient portés sur son passeport. La chose suivirent la mort de la reine Jeanne, Nice se donna corps
~tait on ne peut plus flatteuse pour la dame, mais, comme et biens à Amé VII surnommé le Rouge en <8<S, il en fut
elle était fort ennuyeuse pour nous, je voulus faire quelques de Gênes comme il en avait été de Nice en ~58~, avec cette
observations au commissaire. exception que Nice s'était donnée et que Gènes fut prise;
Le commissaire me dit qu'il savait ce qu'il avait à faire, mais aujourd'hui i) n'en est ni plus ni moins, ces deux bou-
et que, si je ne me taisais pas, il allait me faire prendre par chées que les anciens ducs et les nouveaux rois ont mordues
deux gendarmes et me faire reconduire à Antibes. à droite et à gauche arrondissent assez comfortablement la
Je lui fis alors observer que mon passeport était parfaite- souveraineté sarde, et en font une petite puissance euro-
ment en règle. péenne qui, grâce à l'esprit et au cœur belliqueux de son
Eh qu'est-ce que cela me fait, me dit le commissaire, roi, ne laisse pas d'avoir bon air sur la carte militaire de
que votre passeport soit eu règle ou non? Je ne m'en mo- l'Europe.
que pas mal de votre passeport. Et il rentra dans sa bara- Cependant, les princes de Savoie ne jouirent pas toujours
que. seuls de cette belle maitresse provençale qui s'était donnée
Je vis que le commissaire était un insolent ou un imbé' à eux en <543, les armées combinéesdes Turcs et des Fran-
cile, deux espèces qu'il faut ménager quand elles ont le çais assiégèrent Nice Barberousse et le ;duc d'Enghien
pouvoir en main. sommÈrent te gouverneur André Odinet de se rendre; mais
En conséquence, je me Lus, me contentant de souhaiter André Odinet répondit Je me nomme ~ot~/ort, mes
tout bas qu'on donnât de l'avancement à monsieur le com- armes sont des pals, et ma devise Il faut tenir. Quoi qu'il
missaire en le mettant auprès d'un Aeuve où il y eût de fit en bravo :so)dat pour ne pas mentir à cette réponse toute
j~eau. héraldique, André Odinet fut forcé de se retirer dans le châ-
Au bout d'une demi-heure d'attente, monsieur le commis- teau, et Nice capitula.
saire sortit de sa baraque et nous annonça avec une morgue En <6M, Patinât assiégea Nice et la prit à son tour, grâce
pleine de blenveillancequ'il ne s'opposait pas à ce que nous à une bombe qui fit sauter le donjon du château où était le
continuassions notre chemin. magasin à poudre. En <M6, le duc de Bervick prit le châ-
En conséquence,nous nous engageâmessur le pont. teau à son tour, comme Catinat l'avait pris, et pour épar-
A moitié chemin du pont se trouve un poteau. gner à ses successeurs ta peine que cette forteresse avait
Sur ce poteau, est écrit d'un coté le mot France, et de donnée à ses prédécesseurs, il la démolit tout à fait. Aussi
l'autre est peinte une croix, ce qui veut dire Sardaigne. en 98 Nice fut conquise sans résistance, et devint jusqu'en
Nous nous retournâmes pour saluer d'un dernier adieu <8<4 le chef-lieu éu département des Alpes-Maritimes.
!e pays natal. En ~8~4, Nice retourna, pour la quatrième fois, à ses~
Puis, avec-cette émotion que j'ai éprouvée toutes les fois amans éternels les ducs de Savoie et tes rois de Sardaigne.
que j'ai quitté la patrie, je Os un pas. Nice est représentée sous i'embtême d'une femme armée,
Un pas avait suffi pour franchir la limite qui sépare les portant Je casque en tête, ayant la poitrine ouverte, et la-
deux royaumes. Nous foulions la terre itajiqae, nous étions croix d'argent de Savoie empreinte sur le coeur, sa main
dans tes États de Sa Majesté le roi Charles-Albert, droite porte une épée nue, sa main gauche un bouclier d'ar-
gent avecuneaigledegueulesaux ailes ëptoyées ses pieds
s'appuient sur un écueil de sinople que baignent les vagues
de la mer. Enfin, ses pieds, on voit un chien, symbole de
la Mftité, avec ces mots WcoM /MeMs.
Quelque flatteur que soit cet embtême pour la ville de
Nice, elle serait mieux représentée, à notre avis, sous les
traits d'une belle courtisane, mollement couchée au bord
tA PRINCIPAUTE DE MONACO. de son miroir d'azur, a l'ombre de ses orangers en Cours,
avec ses longs cheveux abandonnés aux brises de la mer, et
dont les flots viendraient mouiller ses pieds nus, car Nice
c'est la ville de la douce paresse et des plaisirs faciles, Nice
Il y a parmi les choses que le roi de~ardaigne ne peut est plus italienne que Turin et que Milan, et presque aussi
pas sentir, cinq choses qui lui sont particu)i6rement désa- grecque assurément que Sybaris..
gréabtes: Aussi rien de plus charmant que Nice par une belle soi-
Le tabac qu'il ne fabrique pas lui même; fée d'automne, quand sa mer, à peine ridée par Je vent qui
Les étoffes neuves et non iaiHées en vêtemens; vient de Barcelonne ou de Pa)ma, murmure doucement, jet
Les journaux libéraux; quand ses lucioles, comme des étoiies filantes sembjent
Les livres philosophiques.; pleuvoir du ciel. Il y a alors à Nice une promenade qu'on
Et ceux qui font les livres philosophiques ou autres. appelle la yen-<M$e, et qui n'a pas peut-être sa pareille au
Je n'avais pas de tabac, tous mes babils avaient été por- monde, où se presse une population de femmes pâtes et
tés, les seuls journaux que je possédasse étaient trois nu- frêles qui n'auraient pas !a force de vivre ailleurs, et q~
méros du CotMft'<M<tMMe< qui enveloppaient mes bottes; mes viennent chaque hiver mourir à Nice c'est ce que l'aristo-
seuls livres étaient un Guide en Italie et une Cuisinière cratie de Paris, de Londres et de Vienne, a de mieux et de
bourgeoise, et mon nom avait l'honneur d'être parfaitement plus souffrant. En échange, les hommes eh général s'y por-
inconnu au chef de la douane il en résulta que j'entrai tent à merveille, et ils semblent être venus là, conduits par
beaucoup plus facilement en Sardaigne que je n'étais sorti un sublime dévouement, pour céder une part de leur force
de France. et de leur santé à toutes ces belles mourantes, que lorgnent
Il y avait bien au fond de ma caisse à fusils deux ou trois en passant de charmans petits abhës, si coquets et si ga-.
cents cartouches pour lèsquelles je tremblais de tout mon lans, que l'on comprend à la première vue qu'ils ont des
corps; mais Sa Majesté Je roi Charles-Albertavait fait, à absolutions toutes prêtes pour elles, quelques péchés qu'cttes
ce qu'il parait, étant prince de Carignan, une connaissance nient commis.
trop intime avec la poudre pour en avoir peur. Ses doua- Car à Nice commencentles abbés; non pas de gros vilains
niers ne firent pas même attention à mes cartouches. ubbcs comme à Naples ou Florence, mais de jolis petits
Au reste, je ne sais pas trop pourquoi )c roi Charies-Ai- abbés, comme on en rencontre parfois au Monte Pincio a
bert en veut tant aux révolutions, il est peut-être le prince Uootc, ou sur )a promenade de ta marine a Messine; de
qui ait le moins à s'en piaindrc. ti y a quelques centaines \r.iis abbe.s de tueiie, comme il y en avait au petit lever de
d'aunées que ses aïeux, les ducs de Savoie, étaient uc braves madame de Pontpadour, et au petit coucher de mademoi-
selle Lange; de délicieux abbés, enfin, nourris de bonbons instant, et trouvant cette haine injuste, i) résolut d'en tirer
et de confitures~ la chevelure propre et parfumée, à la parti. En conséquence, il fit planter force tabac, et annonça.
jambe rondelette, au chapeau, coquettement incliné sur L'o- pour l'année suivante des cigares à un sou, qui, vu l'hen-
reille, et -au petit pied mignardement chaussé d'un soulier reuse position du terrain, vaudraientceux de la Havane.
verni à boucle d'or. Cette annonce mit en émoi toutes les contributions ind!~
Je vous demande un peu si tout cela donne à Nice l'air rectes sardes. Le roi Charles-Albert vit ses états inondés de
d'une Minerve armée de pied en cap, et si son épithete de cigares; il avait bien une douane ou deux comme son voi-
/Me<~ doit se prendre au pied de la lettre. sin Honoré V, mais ces douanes sont sur tes routes, et n<Ht
H y a deux villes à Nice, la vieille ville et la ville neuve, point tout autour de la principauté; d'atiteftrs~ eùt-M dan<
l'antica JV<z~, et la Nice <MM la Nice italienne et la Nice toute sa circonférence-uneligne aussi épaisse et aussi vigi-
anglaise. La Nice italiemie, adossée à ses collines avec ses lante qu'un cordon sanitaire, cinq cents cigares sont bien"
maisons sculptées ou peintes, ses madones au coin des rues tôt passés un carlin cousn dans la peau d'un caniche e!t
et sa population, au costume pittoresque, qui parle, comme passe a lui seul trois ou quatre mille, et la principautéde
dit Dante, la langue del bel pa~e là dove il si suona. Monaco est peut-être la seule où i) reste encore des cartins~
La Nice anglaise, ou le .faubourg de marbre avec ses rues Il n'y avait qu'un parti & prendre, c'était d'abaisser te prix*
tirées au cordeau, ses maisons blanchies à la chaux, aux de ses cigares au prix des cigares d'Honoré V, on de traiter
fenêtres et aux portes régulièrement percées, et sa popula- avec lui de puissance à puissance. Le roi Charles-Albert
tion à ombrelles, à voiles et à brodequins verts, qui dit préféra traiter baisser le prix de ses cigares, tvu la repu"
–/M. gnance que les peuples ont en général pour t'administratioo
Car, pour les habitans de Nice, tout voyageur est Anglais. des droits réunis, tui eût semblé une concession politique.:
Chaque étranger, sans distinction de cheveux de barbe, ït fut donc établi un congrès entre les deux souverains
d'habits~d'age et de sexe, arrive d'une ville fantastique per- pour régler cette importante question de commerce; mais
due au milieu des brouillards, ou quelquefois par tradition comme les prétentions du prince de Monaco paraissaient
on entend parler du soleil, où l'on ne connait les oranges exagérées au roi de Sardaigne, à l'instar du congrès de Ras~
et les ananas que de nom, où il n'y a de fruits mûrs que tadt, le congrès de Monaco traîna en longueur, si bien que le
les pommes, cuites, et que par conséquent on appelle temps de la récolte arriva.
J~ondott. Le prince de Monaco donna une livre de tabac de gratM-
Pendamt~Myétais.à l'hôtel dYork, une chaise de poste cation à chacun de ses cinquante carabiniers, et les envoya
uriva. Da iastant. après l'aubergisteentra dans ma chambre. fumer sur les frontières dn roi Charles-Albert.
Qn'est-ee,que vos nouveaux venus lui demandai-je. Les soldats sardes Oairèrent la fumée des pipes de leurs
Sono cerM Ing:ese, me répondit-il, ma non saprai dire voisins les Monacois c'était, comme l'avait dit le prince
St sono Fr~ttCMt.o Tedeschi. dans son prospectus, une véritable fumée havanaise, sans
C&<[Ut vent dire,: Ce sont de certains Anglais, mais aucun mélange de ces herbes inouïes que les souverains ont
je ne saurais dire s'ils sont Français ou- Allemands. l'habitude de vendre pour du tabac les Sardes étaient con-
Il est inutiled'ajouter que tout te monde paie en consé- naisseurs, ils accoururent sur les frontières d'Honoré V, et
quence d& ce que ehaeum est appelé milord. demandèrent aux carabiniers du prince où ils achetaient
Nous restâmes deux jours. à Nice; c'est un jour de plus leur tabac. Les carabiniers répondirent que c'étaient des
~uenerestentordinairemeaUesétrangers, qui ne viennent plants que leur souverain bien aimé avait fait venir de Csba
point pour y passer six mois. Nice est la porte de ritalie,et et de Lalakié, et dont, outre leur solde qui était égale à cette
!e moyen d& s'arrêter sur le seuil quand on sent à l'horizon des soldats sardes, Ils recevaient nne livre par semaine.
FIorenc&.RomeetNaplesl1 Le même jour, vingt soldats du roi Charles-Albert déser-
Nous Gmes prix avec un voiturin, qui se. chargea de nous tèrent et vinrent demander du service à HottoréV, !oio{fran<,
conduire à Gènes en trois jours par la route de la Corniche: s'il les acceptait, de faire déserter aux mêmes conditions
t&connaissMS ie mont Cents, le Saint-Bernard, le Simpion, tout le régiment.
le col de Tende, les Bernardins et te Saint-Gotbard. C'était Le danger devenait pressant, le régiment pouvait suivre
4o!M la seule route, je crois, qui me restât à parcourir. les vingt hommes, et l'armée suivre le régiment; or, comme
La première ville qu'on rencontre sur le chemin est Villa- la monarchie du roi Charles-Albert est une monarchie toute
Franca, dont le port, ouvrage des Génois, et creusé par le militaire, qui n'a pas. encore eu le temps de se creuser des
conseil de Frédéric Barberousse, n'est séparé de celui de racines bien profondes dans le peuple, il vit d'un seul cottp-
Kice que par La roch~de Montalbano a une demi lieue au d'œi) que si t'armée désertait ainsi en masse, ce serait Ho-
delà de Villa-Franca, on entre dans la principauté de Mona- noré V qui serait roi de'Sardaigne; quant à M, it serait
ee,qui s'anaonce formidahlementau voyageur par uife ligne bien heureux si on le laissait même prince do Monaco. En
de douanes. Le prince de Monaco, Honoré V, actuellement conséquence, il passa par toutes tes conditions qu'exigea
régnant, est le même qui, en revenant en <8t5 dans ses son voisin, et te traité fut conclu moyennant une rente an-
États, cenconira Napoléon au golfe Juan. La douane du nuelle de 50,000 francs que le roi Charles-Albert paie a
prince perçoit deux et demi pour cent sur les marchandises, Honoré V, et une garnison de 300 hommes qu'il tni prête
et seize sous sur les passeports. Or, comme Monaco est sur gratis pour étonner tes petites révoltes qui ont lieu de temps
ia route la plus fréquentée d'Italie, cette double contribu- en temps dans ses petits états. Quant à la récolte, elle ifit
tion forme la partie la plus claire de son revenu. achetée sur pied moyennant une autre somme de 50,000
Au reste, le prince de Monaco est né pour la spéculation, francs, et mêlée aux feuilles de noyer que l'on fume gêne*
quoique toutes les spéculations ne lui réussissent pas, té- ralement de Nice à Gènes et de Chambéry à Tnrin si bien
moin la monnaie qu'il a fait battre en 4837 et qui s'use tout qu'il en résulta chez tesPiémontais, qui n'étaient pas habi-
doucement dans sa principauté, attendu que les rois ses tués à cette douceur, une grande reertidesceincede poputatKe
voisins ont refusé de la recevoir. Les autres industriels se pour le roi Charles-Albert.
font ordinairement payer ce qu'ils font; le prince de Monaco La principauté de Monaco a'suM de grandes vicissitudes;
se fait payer ce qu'il ne fait pas, voici la chose. elle a été tour à tour sous la protection de l'Espagne et de la
Parmi les choses que le roi Charles Albert a en antipa- France, puis république fédérative, puis incorporée a l'empire
thie, n~us avons mis au premier rang le tabac à fumer et le français, puis rendue, comme nous l'avons vu, à son légi-
labac en poudre, autrement dit en terme de régie, le Scafer- time propriétaire en ~8)~ avec le protectorat de la France,
lati et le Macouba. puis remise en ~)S sous le protectorat de la Sardaigne.
Or, puisque moi qui demeure à trois cents lieues du roi Nous allons ta suivre dans ces différentes révolutions, dont
de Sardaigne, je connais son antipathie, H n'est point éton- quelques-unes ne manquent pas d'unecertaine originalité.
nant que le prince Honoré V, dont les états sont enclavés Monaco fut, vers le X< siècte, érigée en seigneurie héré-
dans les siens, en ait été informé. Le prince réfléchit un ditaire partafamiJteGrimatdi, puissante maison génoise
qui avait des possessions considérables dans le Milanais et qu'ils prirent d'assaut, et dont ils commencèrentpar piller
dans le royaume de Naples. Vers <SSO, au moment de la les caves, qui pouvaient contenir douze à quinze mille bou-
formation des grandes puissances européennes, le seigneur teilles de vin. Deux heures après, les huit mille sujets du
de Monaco, craignant d'être dé'oré d'une seule bouchée par prince de Monaco étaient ivres.
les ducs de Savoie ou par les rois de France, se mit sous la Or, à ce premier essai de liberté, ils trouvèrent que la
protection de l'Espagne. Mais en ~6~ cette protection lui liberté était une bonne chose, et résolurent à leur tour de
étant devenue plus onéreuse que profitable, Honoré I! réso- se constituer en république. Seulement, comme Monaco était
lut de changer de protecteur, et introduisitgarnison française un trop grand Etat pour donner naissance à une république
à Monaco. L'Espagne, qui avait dans Monaco un port et une une et indivisible comme était )a république française, ii fut
forteresse presque imprenables, entra dans une de ces belles résolu entre les fortes têtes du pays qui s'étaient constituées
colères flamandes comme il en prenait de temps en temps à en assemblée nationale, que ia républiquede Monaco serait,
Charles-Quintet à Philippe I!, et confisqua à son ancien à l'instar de la république américaine, une république fédé-
protégé ses possessions milanaises et napolitaines. Il résuita rative. Les bases de la nouvelle constitution furent donc
de cette confiscation que le pauvre seigneur se trouva réduit débattues et arrêtées entre Monaro et Mantone, qui s'alliè-
à son petit Etat. Alors Louis XIV, pour l'indemniser, lui rent ensemble à la vie et à la mort: i] restait un troisième
donna en échange le duebé de Valentinois dans le Dauphiné, village appelé Roque-Brune. I) fut décidé qu'il appartien-
le comté de Carlades dans le Lyonnais, le marquisat des drait par moi!ié à l'une et à l'autre des deux villes. Roque-
Baux et la seigneurie de Buis en Provence puis il maria le Brune murmura; il aurait voulu être indépendant et entrer
fils d'Honoré H avec la fille de M. Le Grand. Ce mariage eut dans la fédération, mais Monaco et Mantone aeCrentque
lieu en ~688, et valut à M. de Monaco et à ses enfans le rire d'une prétention aussi exagérée Roque-Brune n'étant
titre de princes étrangers. Ce fut depuis ce temps-la que les pas le plus fort, it lui fallut donc se taire seulement, à
Grimaldi changèrent leur titre de seigneur contre celui de partir de ce moment, Roque-Brune fut signalé aux deux
prince. conventions nationales comme un foyer de révolution. Mat-
Le mariage ne fut pas heureux la nouvelle épousée, qui gré cette opposition, la république fut proclamée sous le
était cette belle et galante duchesse de Valentinois si fort nom de république de Monaco.
connue dansla chronique amoureuse du siècle de Louis XIV, Mais ce n'était pas le tout pour les Monacois que d'être
se trouva un beau matin d'une enjambée hors des états de constitués en répuMique: i) fallait se faire dans les Etats
son époux, et se réfugia à Paris, tenant sur le pauvre prince qui avaient adopté la même forme de gouvernement des al-
les plus singuliers propos. Ce ne fut pas tout: ta duchesse liés qui tes. pussent soutenir. Ils pensèrent naturellement
de Valentinois ne borna pas son opposition conjugale aux aux Américains et aux Français quant à la république de
paroles, et le prince apprit bientôt qu'il était aussi malheu- Saint-Marin, la république fédérative de Monaco la mépri-
reux qu'un mari peut l'être. sait si fort qu'il n'en fut pas même question.
A cette époque on ne faisait guère que rire d'un pareil Toutefois, parmi ces deux gouvernemens, un seul était à
malheur; mais le prince de Monaco était un homme fort portée, par sa position topographique, d'être utile a la ré-
bizarre, comme l'avait dit la duchesse, de sorte qu'il se fâ- publique de Monaco c'était la république française. La ré-
cha. I) se fit instruire successivement du nom des différons publique de Monaco résolut donc de ne s'adresser qu'à elle;
amans que prenait sa femme, et les lit pendre en effigie dans elle envoya trois députés à la convention nationale pour lui
la cour de son château. Bientôt la cour fut pleine et déborda demander son alliance et lui offrir la sienne. La convention
sur le grand chemin, maisteprir!~ ne se lassa point et nationale était dans un moment de bonne humeur; elle re-
continua de faire pendre. Le brui! i te ces exécutions se ré- çut parfaitement les envoyés de la république de Monaco, et
pandit jusqu'à Versailles, Louis X IV se fâcha à son tour, et les invita à repasser le lendemain pour prendre le traité.
fit dire à monsieur de Monaco d'utrc plus clément mon- Le traité fut dressé le jour même. I) est vrai qu'il n'était
sieur de Monaco répondit qu'il était prince souverain, qu'en pas long; il se composait de deux articles:
conséquence ii avait droit de justice basse et haute dans ses Art. fer. Il y aura paix et alliance entre la république
Etats, et qu'on devait lui savoir gré de ce qu'il se conten- française et la république de Monaco.
tait de faire pendre des hommes de paille. Art. 2. La république française est enchantée d'avoir
la chose fit un si grand scandale qu'on jugea à propos de fait la connaissance de la république de Monaco. »
ramener la duchesse à son mari. Celui-ci, pour rendre la Ce traité, comme il avait été dit, fut remis aux ambassa-
punition entière, voulait la faire passer devant les efnRies deurs qui repartirent fort contens.
de ses amans; mais la princesse douairière de Monaco in- Trois mois après, la république française avait emporté
sista si bien que son fils se départit~de cette vengeance, et la république de ~onaco danssa peau de lion.
qu'il fut fait un grand feu de joie de tous les mannequins. On n'a pas oublié sans doute comment, grâce à madame
« Ce fut, dit madame de Sévigné, le flambeau de ce second de D., le traité de Paris rendit, en 48<4, au prince Honoré V,
hyménée. ses Etats qu'il a heureusement conservésdepuis.
On vit bientôt cependant qu'un grand malheur menaçait Au reste, le prince Honoré V, toute plaisanterie à part,
les princes de Monaco. Le prince Antoine n'avait qu'une est tort aimé de ses sujets, qui voient avec une grande in-
fllle et perdait de jour en jour l'espoir de lui donner un quiétude l'heure où ils changeront de maitre. En effet, mal-
frère. En conséquence, le prince Antoine maria, le 20 octo- gré le mépris qu'en fait Saint-Simon (<), ils habitent un déli-
b~e~7~5, ta princesse Louise Hippotyte à Jacques-François. cieux pays, dans lequel H n'y a pas de recrutement, et pres-
Léonor de Govon-Matignon, auquel it céda le duché de Va. que pas de contributions, la liste civile du prince étant près
lentinois, en attendant qu'il lui laissât ta principauté de Mo. que entièrement défrayée par les deux et demi pour cent
naco, ce qu'il fit à son grand regret le 26 févner <75<. Jac- qu'il perçoit sur les marchandises, et par les seize sous
ques-François-Léonor de Goyon-Matignon, Valentinois par qu'il prélève sur les passeports. Quant à son armée, qui se
mariage, et Grimaldi par succession, est donc la souche de compose de cinquante carabiniers, elle se recrute par les en-
la maison régnante actuelle, qui va s'éteindre à son tour rôlemens volontaires.
dans la personne d'Honoré V et dans celle de son frère, Malheureusement nonsre pûmes jouir, comme nous l'au-
tous deux sans postérité masculine et sans espérance d'en rionsvoulu, de Cftte charmante orangerie qu'on appelle la
obtenir. principauté de Monaco, une pluie atroce nous ayant pris à
Honoré IV régnait tranquillement, lorsquearriva la révo- la frontière, et nous ayant accompagnés avec acharnement
lution de 89. Les Monacois en suivirent toutes les phases
avec une attention toute particulière, puis lorsque la répu- ()) C'est au demeurant la souveraineté d'une roche du milieu
Miqu~ fut proclamée ~n France, ils profitèrent d'un moment de laquelle on peut pour ainsi dire cracher hors de ses étroites
.Ou Jepr~g éjait je le sat& o"' s'armèrent de tout ce qu'ils limites.
.oKrpuversous leurs mainb et marchèrent sur le palais (~MWM du duc ~e &?!Sf'won.)
pu..
pendant les trois quarts d'heure que nous mimes à traverser 8e vingt sous un chat sur la carte. Explication demandée e
te pays. H en résulta que nous n'aperçûmes la capitale et sa reçue, nous apprlmes que c'était le dîner de Mylord.
forteresse, dans laquelle tiendrait la population de toute la Cette carte éclaircissait un point qui avait été souvent dé-
principauté, qu'à travers une espèce de voile il en fut ainsi battu d'avance entre Jadin et moi c'était )e prix que pour-
du port, où nous distinguâmes cependant une felouque, la- rait nous coûter un chat en Italie. Mylord, selon les habi-
quelle, avec une autre qui pour le moment était en course, tudes qu'il avait transportées de Londres à Paris, et qu'il
forme toute la marine du prince. exportait maintenant de Paris à l'étranger, ne pouvait pas
En traversant Mantone, une enseigne nous donna une apercevoir un chat qu'en un tour de main le malheureux
idée du degré de civilisation où en était venue l'ex-répu- animal ne fût mis à mort. En France, cela avait encore été
blique fédérative, l'an de grâce ~8S5. Au-dessus d'une porte assez bien, en généra) les chats étant peu protégés par les
on lisait en grosses lettres Mariane Cosunoue vendpain et aubergistes qui trouvent que, presque toujours, ils mangent
modes. plus de fromage que de souris. Mais en Italie, le change-
A un quart de lieue de la ville, nous retombâmes dans ment de mœurs, et par conséquent de goûts, pouvait sur ce
une seconde ligne de douanes et dans un second visa point nous amener mille difEcultés, sans compter celle d'un
de passeport; le passeport n'était rien, mais la visite surcroît de dépense à laquelle nous n'avions point songé en
fut cruelle, et uous pûmes nous convaincre que, dans établissant notre budget. Nous étions donc enchantés qu'à
les États .du prince de Monaco, l'exportation était aussi peine le pied posé en Sardaigne une occasion se fût pré-
sévèrement défendue que l'importation. Nous voulûmes sentée de fixer un tarif. Nous fimes en conséquence venir
employer le moyen usité en pareil cas, mais nous avions l'aubergiste, et nous lui demandâmes s'il croyait que le prix
affaire à des douaniers incorruptibles qui ne nous firent qu'il nous faisait payer son chat était le prix-courant des
pas grâce d'une brosse à dents, de sorte qu'il nous fallut, chats en Italie. Celui-ci crut que nous voulions marchander,
nous et nos effets, recevoir une espèce de contre-épreuve et nous énuméra aussitôt toutes tes qualités du défunt. Nous
du déluge, attendu que, sous lé prétexte de la beauté t'arrêtâmes au milieu de son apologie pour lui dire qu'il se
du climat, il n'y a pas même de hangard. Je profitai de ce méprenait à nos intentions, et que nous ne discutions pas la
contre-temps pour approfondir un point de science choré- valeur de son animal, seulement que nous voulions savoir si
graphique que je m'étais toujours proposé de tirer au clair cette valeur ne haussait pas ou ne baissait pas selon cer-
à la première occasion; il s'agissait de la Monaco, où, taines localités. L'aubergiste secoua la têle, et nous assura
comme chacun sait, l'on chasse et l'on déchasse. Je fis en que moyennant deux pautes en Toscane, et deux carlins à
conséquence, pour la troisième fois depuis que j'avais Naples, il croyait que Mylord pouvait étrangler ce qu'il y
quitté la frontière, toutes les questions possibles sur cette avait de mieux dans la race féline, & l'exception cependant
contredanse si populaire par toute l'Europe mais là, des chats angoras ou des chats savans, qui avaient dans
comme ailleurs, je n'obtins que des réponses évasives qui tous les pays du monde une valeur de convention, etqu'il y
redoublèrent ma curiosité, car elles me conGrmerent dans aurait même de petits villages, loin de toute industrie et
ma première opinion, à savoir que quelque grand secret, où privés de tout commerce, où nous pourrions, pour ce prix,
l'honneur du prince ou-de la principauté se trouvait compro- exiger ]a peau c'était tout ce que nous désirions savoir. En
mis, se rattachait à cette respectable gigue. Il me fallut conséquence, nous payâmes la carte, mais nous nous fimes
donc sortir des Etats du prince aussi ignorant sur ce point donner un reçu détaittédu chat; ce reçu était important
que j'y étais entré, et perdant à jamais l'espoir de découvrir puisqu'il devait faire ptanche. Après une mûre délibération,
un mystère que je n'avais pu éclaircir sur les lieux. nous le rédigeâmesdonc en ces termes
Quant à Jadin, il était absorbé dans une idée non moins "Reçu de deux messieurs français qui voyageaientavccun
importante que la mienne boule-dogue,vingt sous de Sardaigne ou un franc de France
H cherchait à comprendre comment il pouvait tomber une qui font environ deux pautes de Toscane ou deux carlins de
si grande'pluio dans une si petite principauté. Naples, en paiement d'un chat de première qualité mis à
mort par ledit boule-dogue.
Vintimiglia, ce 20 mai <855.
? FRAKCESCO B!G!OH,
padrone della locanda della Croce d'oro.
Au bout de huit jours, nous avions trois reçus en règle, et
parfaitement détaillés, oit les chats étaient estimés au même
prix, ce qui était pour nous une grande tranquittité pour le
LA RIVIÈRE DE GÊNES. reste du voyage, attendu que lorsqu'on nous demandait davan-
tage, ce qui arrivait souvent,nous tirions notre registre,en di-
sant Voyez, c'est leprix quenous les payons partouLLe pro-
priétaire du mort jetait aters les yeux dessus, et, convaincu
La première ville que nous rencontrâmes sur notre che- par les témoignages respectables que nous lui présentions,
min, après avoir dépassé les Etats de Monaco, est Vintimi- il finissait toujours par dire Duuque, va bene per due
g)ia, l'Albentimilium des Romains, dont Cicéron parle dans paoli. Et les deux pautes empochés par lui, nous nous
ses lettres familières, livre ~ni, ëp. xv, et à laquelle Tacite remettions en route avec sa bénédiction, qu'il nous donnait
s'arrête un instant pour enregistrer un fait historique digne par dessus le marché, en regrettant au fond du cœur qu'au
d'uneSpartiate:une mèreligurienne,interrogée paries soldats lieu d'un chat Mylord n'en eut pas étranglé deux.
d'Othon pour qu'eue indiquât ta retraite où était caché son Nous continuions donc notre route enchantés de l'inven-
fils qui avait pris les armes contre cet empereur, aveccette su- tion, lorsqu'en sortant de Borduguerra, nous fûmes distraits
blime impudenceantique dontAgrippineavaitdéja donné un de ces idées par l'aspect du charmant petit village de San-
si magnifiqueexemple(<), montra son ventre en disant Il est Remo avec son ermitage de Saint-Romulus tout entouré de
là et mourut dans les tortures sans pousser d'autre cri que palmiers. Nous nous arrêtâmes un instant pour reposer nos-
ce cri de maternité. yeux, fatigués de ces éternels oliviers grisâtres et rabougris,
Une lettre d'Ugo Foscolo, la plus éloquente peut-être de sur cette belle végétation orientale. En ce moment un paysan
toutes celles qu'il a écrites, complète l'illustration de Vin. s'approcha de nous, et, voyant avec quelle satisfaction nous
timiglia. nous étions arrêtés dans cette petite oasis, il nous dit que
Nous din&mes dans cette petite ville on nous servit des le moment était mauvais pour -regarder les palmiers de
lapins de !'ite de Galinara. Au dessert, nous eûmes un instant San-Hemo, et qu'à cette heure nous les voyions à leur désa-
d'inquiétude en voyant qu'on nous portait pour la somme vantage. En effet, ils venaient d'être dépouillés de leurs
plus belles palmes, qui avaient été envoyées à Rome pour la
(<) Fe<t ventrem. fête de Pâques. Je lui demandai alors à quel titre ces palmes
étaient envoyées à Rome, et si, les habitans tiraient de cet Tout à coup, un homme s'écrie dans la foule ~gtM oHe
envoi quelque,profit temporel ou spirituel et alors j'appris corde, de l'eau aux cordes, et, traversant l'espace, va
que c'était un' droit de la famille Bresca, qui lui avait été se remettre aux mains du bourreau.
conféré par Sixte-Quint, et qu'elle avait maintenu depuis. Le conseil est un trait de lumière pour Fontana. Sur toute
Voici à quelle occasion. la longueur des câbles il fait aussitôt verser des seaux d'eau.
En ~586, il y avait encore l'endroit où Pie VI.a. fait bâ- Les cordes se resserrent naturellement, sans effort, et
tir la sacristie deSaint-Pierre,un magniCqueobéiisque,élevé comme par la main de Dieu: I'obé)isque se remet en mouve-
autrefois par Nuncoré, roi d'Egypte, dans la vi))e d'Héiiopo- ment et s'assied sur sa base, au milieu des applaudissemens
lis, transporté par CaiiguiaàRome,etplacé ensuite dans le de la multitude.
cirque deNéron au Vatican, sur remplacement duquel Cons- Alors Fontana court a son sauveur, qu'il trouve la corde
tantin fit élever sa basilique. Or, jusqu'en <5S6, c'est-à- au cou et entre les mains du bourreau; il le. prend dans ses
dire jusqu'à la seconde année du pontificat deSixte-Quiht, bras, l'embrasse, l'entraîne, t'emporte aux pieds de Sixte-
cet obélisque était resté debout au milieu des constructions Quint, et demande pour lui une grâce déjà accordée. Mais
successives qu'avaient fait faire Nicolas V, Jules lI, Léon X, ce n'était pas le tout d'accorder la grâce, il fallait une
et Sixte V, lorsque ce grand pontife, qui fit plus en cinq ans récompense.Le pape demande à l'étranger de fixer lui-même
que cinq autres papes n'en ont jamais fait en un siècle, ré- celle qu'il désire. L'étranger répond qu'il est de la famille
solut de faire transporter le gigantesque monolithe (<) sur Bresca, qui est riche, et qui par conséquent n'a.point de fa-
cette belle place, que, soixante-dix ans plus tard, Bernin veurs pécuniaires à demander; mais qu'il habite San-Remo,
devait étreindre de sa magnifique. colonnade. vittage fameux par ses palmiers, et qu'il demande le privi-
Ce fut l'architecte Fontana, le plus habile mécanicien de lége d'envoyer tous les ans gratis les palmes nécessaires
son temps, qui fut chargé de cette grande opération il dis- pour la fête de Pâques à Rome. Sixte-Quint accorda ce pri-
posa ses machines en homme qui comprend que les yeux de vilége, et y ajouta une pension de six mille écus romains
toute une ville se fixent sur lui. Le pape lui dit de ne rien anectée à t'entretien des palmiers.
épargner pour réussir. Fontana opéra en conséquence: le Depuis ce temps, la famille Bresca, qui existe toujours, a
transport seul, quoiqu'il fùt de cent cinquante pas à peine, usé du privilége d'envoyer tous les ans à Rome un vaisseau
coûta200,000francs. chargé de palmes; et depuis 245 ans que ce privilége a été
Enfin tous les préparatifs achevés, Fontana indiqua le accordé, elle en a joui sous la protection visible du ciel; car

j.
jour où il comptait dresser l'obélisque sur son piédestal, et jamais le moindre accident n'est arrivé à aucun des 245 vais-
ce jour fut publié à son de trompe par toute la ville. Chacun seaux qui ont héréditairement etannuellement transporté la
pouvait assister à l'opération, mais à la condition du plus sainte cargaison.
rigoureux silence c'était un point qu'avait réclamé Fon- Nous arrivâmes à Oneitte à neuf heures du soir, car notre
tana, afin que sa voix a lui, le seul qui eût le droit de don- MMunna nous ayant promis de nous déposer à Gènes, le
ner des ordres dans ce grand jour, pût être entendue des troisième jour à deux heures, à la porte des Quatre-Nations,
travailleurs. Or, comme Sixte-Quint ne faisait pas les cho- faisait ses journées en conséquence. It en résulta que
ses à demi, la proclamation portait que la moindre parole, nous repartîmes d'Oneille le lendemain au point du jour.
le moindre cri, la moindre exclamation serait punie de mort, Nous n'en dirons pas grand'chose, si ce n'est que c'est la
quels que fussent le rang et la condition de celui qui i'au- patrie du, grand André Doria, ce qui n'empêche pas, à ea
rait proféré. juger par celle où nous couchâmes, que ses auberges n'en
Fontana commença son travail au milieu d'une foule im- soient détestables.
mense d'un côté était ie pape et toute sa cour sur un écha- Au pointdu jour nous nous,remimes en route. Nous com-
faudage élevé exprès; de l'autre, était le bourreau et la po- mencions à nous réveiller, lorsque nous traversâmes Ales-
tence au milieu, dans un espace resserré et; que faisait sio, où nous vimes pour ia première fois les femmes coiffées

vriers..
respecter un cercle de soldatsi étaient Fontana et ses ou-
La base de l'obélisque avaitrété amenée jusqu'à son 'pié-
de mezzaro génois, voile blanc, qui, sans,te cache.r, encadre
leur visage. Quant aux hommes, c'étaient autrefois de har-
dis marins, qui prirent part avec Pizarre à la conquête du
destal; ce qui restait.à faire, c'était donc de le dresser. Des Pérou, et avec don Juan d'Autriche à la victoire de Lépante.
cordes attachées à son extrémité devaient, par un mécanisme Nous nous arrêtâmes pour-déjeuner à Albeuga, ville au
ingénieux, lui faire perdre sa position horizontale pour t'a- doux nom, mais à laquelle ses remparts croulans et ses
mener doucement à une position perpendiculaire. La lon- tours en ruines donnent un aspect des plus sombres. C'est à
gueur des cordes avait été mesurée à. cet effet; arrivées à Albenga, s'il faut en croire madame de Genlis, que la du-
leur point, d'arrêt, i'obéiisque devait être debout, chesse de Cerifalco fut enfermée pendant neuf ans dans un
L'opération commença au.miiieu du.pius profond siience; souterrain par son mari.
l'obélisque lentement soulevé obéissait comme par magie à Un autre point historique plus sérieusement arrêté, c'est
ta force attractive qui ie mettait en mouvement. Le pape, que ce fut à Albenga que naquit ce Proculus qui disputa
muet comme les autres, encourageait la manoeuvre par des l'empire à Probus, et DeciusPertinax; qu'iine fautpas con-
signes de tête; la voix de l'architecte donnant des ordres fondre avec le Pertinax qui devint empereur.
retentissait seule au milieu,de ce silence solennel. L'obéiis- Albengapossède deux monumens antiques, son baptistère,
que montait toujours, un ou deux tours de roues encore, et qui remonte, assure-t-on, à Proculus et son ponte longo qui
ii était étaNi sur sa'base. Tout à coup, Fontana s'aperçoit fut bâti par le général romain'Constance. Une chose remar-
que le mécanismene tourne plus; )a mesure des cordes avait quable au reste, c'est que les habitans d'Albenga, l'ancienne
été exactement prise, mais,les cordes avaient été distendues .~MMyauMtnt, s'étantalliés avec Magon, frère d'Annibal, fu-
par la masse, et elles se trouvaient maintenant de .quelques rent compris dans le traité de paix qu'il fit avec le consul
pieds trop longues; nulle force humaine ne pouvait suppléer romain Publius /E)ius; et depuis ce temps, jusqu'au XH<
à ia force qui manquait. C'était une opération manquée, une siècle, en vertu de ce traité, se gouvernèrent par leurs pro-
réputation perdue; Fontana pressait les ordres, -multipliait pres lois, frappant monnaie comme un
État indépendant. Au
)es commandemens.Du moment où les corder n'atliraient xii" siècle, les Pisans en guerre avec les Génois prirent
plus i'obéiisque, i'obéiisque pesait d'un double poids sur les Albenga et la saccagèrent. Rebâtie par tes Génois, elle resta
cordes. Fontana porta les-mains à son front, ne voyait au- depuis c& temps en teur pouvoir, sans être brûtée, c'est vrai,
cun moyen de remédiera l'extrémité où il se trouvait, ii mais aussi sans être rebâtie, ce qui fait qu'Albenga aurait
grand besoin d'être brûtée une seconde fois.
brisa..
sentait qu'il devenait fou.,En ce moment un des câbles se
Le route continuait'au restera être délicieuseet pleine
d'&ccidens pius. pittoresques~es'unsque tes autrea avec la
(i)~ta soiMnte-Mize'pieds de haut et h croit qn! )e tunnontS mer à notre droite, calme comme un lac et resplendissante
vingt-six comme un miroir; et !) notre gauche, tantôt des roches!) pic,
tant6t:de charmans vallons-avec des baies de grenadiers et à rhorizon, couchée au, fond de son golfe avec la noncha-
de grosses touffes de lauriers rosés'; tantôt de grandes échap- lante majesté d'une reine. Un seul mot explique, au reste,
pées de vue, avec, quelque Tiiiage pittoresque, se détachant ce luxe presque inexplicable de palais, que le voyageur
sur des fonds bleuâtres comme on n'en voit que dans le pays trouvé éparpillés sur sa route avec la même profusion que
des montagnes. H en résutta.quct. sans fatigue aucune; nous les;bastides des environs de Marseille. Les lois somptuaires
arrivâmes à Savone où nous devions coucher. de la république, qui défendaient de donner des fêtes, de
Sayone.est'!une espèce de viife à qui il reste une espèce de s'habiller de velours et de, brocard, et de porter des dia-
port que les Génois ont laissé se combler peu à peu malgré mans, ne s'étendaient point au detà des murailles de la ca-
les réclamations des.habitans, afin qu& ie commerce de Sa- pitale c'était donc à la campagne que s'était réfugié le luxe
vone ne nuisit point au commerce de Gênes. Il en résnite de ces turbulens,et orgueilleux républicains.
que Savone est à peu près ruinée. Comme toutes,les puissan- La première chose que nous aperçûmes en arrivant à
ces tombées et forcées de renoncer à leur avenir, la ville est Gênes, et en traversant,. pour nous rendre à notre hôte),ia
toute orgueiiieusedesonpassé.En effet, Savone a donné Porta di Vacca,. qui est située près de ia Darse, c'est un
naissance. a l'empereur Pertinax, a Grégoire VII,à Sixte !V, fragment des chaînes du port de Pise, rompues par les
à Jules ![, et-à a Chiabrera.qui passe pour )p plus grand poëtc Génois en <290. Depuis GOO ans, ce témoignage de la haine
lyrique que i'Itatie moderne ait jamais eu. De toutes ces des deux peuples, haine que leur chute commune n'a pu
grandeurs; iirësteà Savone ia façade du palais de Jules II, éteindre, est étale à la vue de tous. Ce fut Conrad Doria,
attribuéà l'architecte San Gaiio, et le,bas-reliefde la Visite sorti de Gênesavec 40 galères, « qui, secondé de ceux de Luc-
de la Vierge à sainte Élisabeth, l'un des meilleurs du Ber- ques, dit l'historien Accinelli, attaqua Porto Pisano, le pilla,
nin. Le sacristain- montre en outre au. voyageur un tableau et se tournant ensuite contre Livourne, en détruisit tes for-
de la Présentation de )a~ Vierge au temple, comme étant du tifications et la ville, à l'exception de l'église Saint-Jean.
Dominicain: Défiez-vous du sacristain de Savone, payez Ce n'est pas la seule preuve de haine que tes Génois aient
comme s'il vous avait montré un Vasari ou un Gaëtano, et donnée aux autres peuples de la péninsule. En 4262, l'em-
vous serezencore voté. pereur grccayant abandonné aux Génois un château qui
A trois ou quatre lieues de Savone, nous trouvâmes Co- appartenait aux Vénitiens, les Génois, en haine de ceux-ci,
goletto, petit village qui prétend mieux savoir que Colomb dont ils avaient reçu je ne sais quelle insulte, démolirent le
lui-même où Colomb est né, etqui reciameie grand naviga- château, en transportèrent les pierres sur leurs navires, ra
teurcomme un de ses enfans, quoiqu'il ait dit dans son tes- menèrent ces pierres à Gènes, et en bâtirent .l'édifice connu
tament Que M'endo yo Inacido en Genova, como natural d'allg autrefois sous le nom de Banque de Saint-George, et aujour-
porque de ella sali y en ella Ttactt L'argument eût peut-étre d'hui sous celui de la Douane. Ce monument de vengeance
été concluant pour tout autre que Cogolelto, mais Cogotetto renferme un monument d'orgueil, c'est le griffon Génois,
est entêté, et i) répondit à Colomb en écrivantsur )a: porte étouffant dans ses serres l'aigle impériale et le renard Pisan,
d'une espèce de cabane qu'il prétend être la maison du avec cette inscription:
grand magistrat:
Griphus ut bas ang!t,
Proviucia di Savdna, Sic hostes Genua frangit.
Communa di Cogolétto,
Patria di' Colombo, Si l'on monte a ta Douane, on y trouvera les anciennes
Scropitor~ieInuovomoNdo. bouches de dénonciation qui, dans les dernières révolutions,
à ce qu'on assure, ne sont pas toujours restées vides.
Puis, à tout hasard, et comme ne pouvant pas faire de Notre hôtel était tout près de la Darse; tandis qu'on nous
mal, il ajouta ce vers latin de Gagiuim: préparait f) diner, j'eus donc le temps d'aller, Schiller à la
main, faire ma visite au tombeau de Fiesque..
Unus erat mundus: duo sint, ait iste: fuere (1). Parla même occasion, je parcourus l'arsenal de mer. Dans
ta première enceinte, Gênes, encore aujourd'hui, arme, dé-
EnRn, pour accumuler les preuves, 'on déterra nn vieux sarme ou répare ses vaisseaux. A cette enceinte a succédé
portrait qui représentaitle visage vénéraNe de quelque baii!i une seconde, desséchée, et qui n'est cette heure autre que
de Cogoietto, et on'l'installa en grande pompe à ia maison le vaste chantier maritime où la république construisait
communalecomme étant le portrait de Colomb. ces fameuses galères, longues de 58 mètres, larges de 4,
Ceux qui passeronta Cogoletto sont priés de faire au ci- qui coûtaient chacune sept. milles. livres génoises, et qui,
cerone qui leur'montrera ce portrait l'aumône de quelques montées par 250 hommes, parcouraient en .maîtresses toute
coups de canne, en mémoire du pauvre Colomb, si cruelle- la Méditerranée: Cette seconde enceinte sert aujourd'hui
ment persécuté pendant sa vie, et si traîtreusement calomnié d'atelier & 7 ou 800 galériens, qui traînent: leurs boulets
après sa mort. sous les bettes voûtes bâties au XIU* siècle d'après tes des-
sins de Boccanegra.

GÊNES LA SUPERBE.
t Dans un coin de l'arsenal est un exacte sarde avec cette
inscription
<<Br!'yatt<tt!o Sar~o~t Fentce, commatM~o da capitan'
fMtcefeM'e.MoKe Jat ~5 a! <4 /B&&ro;'o 485S, essendosi opty<<!
un entestatura di taaola Ca~o a Picoo a l'isola. di Z.atrc. ? »
Un tableau représente l'événement: le navire sombre, la
chaloupe s'abandonne à la mer, et la Vierge qu'cDo invoque,
et qui apparaît dans, un coin de la toile, calme la tempête
d'un signe.
En allant de l'arsenal de mer au vieux palais Doria, on
A partir de Cogoletto; Gênes vient pour 'ainsi dire au trouve sur son chemin la porte Saint-Thomas: une petite
devant du voyageur. Peg)i, avec ses trois magnifiquesviitas, porte s'ouvre.dans la grande'; c'est en franchissant le seuil
n'est qu'une espèce de faubourg qui passe par Cestri di Po- de cette petite porte que Gianettino, neveu du doge, fut tué.
nente; et se prolonge jusqu'à Saint-Pierre-d'Arena, digne Avant d'arriver cette porte, on traverse la place d'Aqua
entrée de la ville qui s'est donnée à eiie même le surnom de Verde. C'est en ce lieu que Masséna, après avoir tenu
la Superbe, et que depuis six ou sept lieues déjà on aperçoit soixante jours, avoir épuisé toutes ses ressources et avoir
mangé jusqu'aux selles des chevaux, mangés eux-mêmes de-
(i) Il n'y avait qu'un inonde Qu'il y en ait deux, dit Colomb; puis longtemps, ayant signé au pont de Conegliano, avec
et ils furent l'amiral Keith et le baron d'Ott, sa bette capitulation qu'il
intitula convention, rassembla le reste de sa garnison, lent; les débris qui en tombent sont poussés dans les ruel-
~2,000 hommes à peu près, qui, pendant trois jours, ychan- les qui les séparent, où ilss'amassent avec d'autres immon-
tèrent, entourés d'Autrichiens, tous tes chants patriotiques dices. C'est un mélangedouloureux de plâtre et de marbre,
de la France. de grandeur et de misère, et l'on sent qu'au dixième du
Le palais Doria est le roi du golfe il semble, à le voir, prix qu'ils ont coûté, on aurait palais, meubles, tableaux,
que c'est pour le plaisir des yeux de ceux qui Tout habité et, s'il faut en croire le proverbe génois, la duchesse par
que Gènes a été bâtie ainsi en amphithéâtre. Nous montâmes s dessus.
les larges escaliers que le vieux doge balayait a'quatre- Le proverbe n'est point comme l'investigation scientifique
vingts ans de sa robe ducale, après, comme le dit l'inscription du président Desbrosses, et peut se citer. En conséquence,
de son palais, avoir été amira) du pape, de Charles-Quint, le voici tel qu'il a couru de tout temps
de François 1er, et de Gênes. En montant.~cet escalier, on n'a ~oreMKzapMce, monttMnzo ~no,uomtHtMnzo/f(~, don-
qu'à lever les yeux pour voir au-dessus de sa tête de char- ne ~enza ~M-~na.
mantes fresques imitées des toges du Vatican, et peintes par Ce qui signifie mer sans poisson, montagnes sans bois,
Perino del Yaga. un des meilleurs élèves de Raphaë), que te hommes sans foi, femmes sans vergogne.
sac de Rome par les soldats du connétable de Bourbon fit C'est ce proverbe qui faisait sans doute dire à Louis XI
fuir de la ville sainte. A. cette époque i) y avait toujours des <t Les Génois se donnent à moi, et moi je les donne au
palais ouverts pourle poéte on l'artiste qui fuyait, le pinceau diable."
ou la plume & la main. Perino del Vaga trouva le palais de I) n'y a qu'une petite observation à faire, c'est que je crois
Doria sur sa route; il y fut reçu par le vieux doge comme le proverbe pisan et non génois~Bridoison dit avec beaucoup
eût été reçu l'ambassadeur d'un roi, et i! paya son hospita- de justesse qu'on ne se dit pas de ces choses ta à soi-même
)itë en couvrant de chefs-d'œuvre les murs qui lui oCrirent et jamais un Génois n'a passé pour être plus bête que Bri-
un abri. doison.
Le palais Doria est entre deux jardins; l'un d'eux est situé La strada Ba!6t nous mena à la strada ~ViMf!Mtmt!, et la
de l'autre côté de la rue et-s'élève avec la montagne on y ar- strada J!fMOM~tma à la strada ~VuoM. C'est dans cette der-
rive par une galerie; l'autre estattenant au palais lui-même nière rue, terminée par la place des jFontotttM omoMMtMM,
et conduit à une terrasse de marbre qui commande le gol- toute encadrée dans ses maisons à fresques extérieures,
fe. C'est sur cette terrasse qu'André Doria 'donnait aux am- que se trouvent les plus beaux palais. Parmi ceux-ci, nous
bassadeurs ces fameux repas servis en vaisselle d'argent re- en visitâmes deux; le palais Doria Tursi; et le palais Rou-
nouvelre trois fois, et qu'après chaque service on jetait à la ge, l'un propriété publique appartenant à l'Etat, l'autre
mer. Peut-êlre bien y avait-il quelques filets cachés sous propriété privée appartenant à M. de Brignole,ambassadeur
i'ea)), !t l'aide desquels on repêchait le lendemain plats et du roi Charles-Albert à Paris.
aiguières; mais c'est le secret de t'orguei) ducal, et il n'à Le palais Tursi, dont on attribue à tort l'architecture a
jamaisété révé)é. Michel-Ange, fut commencé par le Lombard Roch Lugaro,
Prcs de la statue colossale de Jupiler s'élève le monu- ornementé là porte et aux fenêtres par Thaddëi Carloni,
ment funéraire du fameux chien Radan, donné par Charles- et achevé parRandoni les peintures sont du chevalierMi-
Quint h André Doria, et qui étant trépassé en l'absence de chel Canzio. Au reste, l'un des plus riches au dehors, il
Doria, fut enterré au pied de cette statue, ann, dit son épi- est l'un des moins beaux en dedans.
taphe, que tout mortqu'il était, il ne cessât point de garder Il n'en est point ainsi du palais Rouge, son extérieur est
un dieu. Doria revint de son expédition, trouva l'épitaphe peu élégant, quoiqu'il nemanquepasd'un certain grandiose,
toute simptc,etlataissacommeet)e était. mais il renferme la plus belle gâterie de Gênes peut-être,
Quant à André Doria )ui-même, il est enterré dans l'église sans en excepter la galerie roya)e. On y trouve des Titien,
de San-Mattei. des Véronese, des Palma-Vecchio, des Paris-Bordone, des
Ma religion pour l'historique m'avait d'abord conduit où Albert Durer, des Louis Carracae,.desMichel-Ange de Car-,
m'appellaicnt mes souvenirs mes dettes avec Doria, avec ravage, des Carlo Do)ci, des Guerchin, des Guide, et surtout
Fiesque et avec Masséna acquittées, je jetai un regard sur
la lanterne bâtie par Charles Y!)!, et, en longeant pendant
des Van-Dyck. i .1
I) est inntile de dire que le palais Brignole n'est point de
dix minutes lerempart, je me trouvai à la porte de l'arsenal, ceux qui sont à vendre.
où était le fameux rostrum antique qui fut retrouvé dans le Après avoir visité la tombe de Fiesque.it. me: restait A
port de Gênes, et qu'on suppose avoir appartenu à un vais- voir ia ptace où était bâti son palais. Je! m'y fis conduirez
seau coulé à fonddanstecombatnaval qui eutlieu entre les Gé-
nois et Magon, frère d'Annibal. Près de ce rostrum, qui date
de l'an 524 de Rome, est un canon de cuir eercté de fer, pris
surtesVénitiensau siégedeChiozza,en~5T9,etqui,par con-
séquent, est un des premiers qui aient été faits apres l'in-
vention de la poudre. Quant aux trente-deux cuirasses de
une propriété dcl'État.
cette place, toujours vide, est située près de l'église de San-
ta-Maria-in-~ia-Lata. Cette inscription, sans nommer le
conspirateur, indique à quelle époque le terrain est devenu

Ha*cjam)aintus et extra
J)
femmes portées en 1501 par les croisées génoises, et dont la PuMicamproprietatem
Indicabat ex décrète P. P.
forme a fait é)ever au président Desbrosses un doute si in- Communis diei 18 july
jurieux sur ces nobles amazones (1), elles ont été, en t8<5, m4.
vendues dans les rues au prix de la vieille ferrai'te, par les
Anglais.qui tenaient Gènes. Une seule a échappé a cette spé- Dans toutautre pays, cet emplacement, qui a à peine 50
culation de laquais, encore ne m'a-t-elle point paru bien au- pieds carrés, donnerait une pauvre idée de la richesse et de
thentique. la puissance de son propriétaire. Mais !t Gênes, il ne faut
Del'Arsenal., il n'y a qu'un pas au bout de la rueBaibi, pas prendre les patais en largeur, maison hauteur; les plus
l'une des trois seules rues qui existent Gênes, les autres riches, à l'exception de celui d'André Doria et de deux ou
méritant a peine )c nom de rue))cs. H est vrai aussi que ces trois autres peu t'être, n'ont de jardins que sur leurs terrasses
trois rues, que madame de Staë) prétendait être bâties pour et sur leurs fenêtres.
un congrès de rois, et qu'Alfieri appelait un magasin de Un autre souvenir du même genre se trouve à quelques
palais, n'ont peut-être pas leurs pareilles au monde. minutes de chemin du premier, près de la petite église ro-
Sur tous ces palais le temps a passé une couche de tristes- mané de San-Donato, où l'envient de découvrir,sous le ba-
se incroyable. Queiques-uns se fendent, les autres s'écait- digeon qui les recouvrait comme le reste de l'édifice, quatre
charmantes colonnes de granitoriental,les plus belles eties
(1) Au moment de citer l'opinion du spirituel président,je n'ose
mieux conservéespeut-êtrequ'ilyaitdanstoute la .ville de
le faire, et me contente de renvoyer a l'ouvrage tui-même. Gênes, qui est cependant la ville des colonnes.
Voir en conséquence, tome t, page 71, édition de t836. Ce souvenir, qui date de 1560~ se.rattacheà }a<:Qnspira-
tion Raggio le palais a été rasé comme celui de Fiesque; lait bien faire quelque chose. Ils en faisaient des églises et
mais l'inscription'a été enlevée par un descendant du cons- des palais.
pirateur, ministre de la police, et portant le même nom. L'église Saint-Laurentest la première en date sur le cata-
Cette conspiration, moins connue que celle de Fiesque, logue des curiosités de Gênes. Néanmoins, comme nous
parce qu'il ne s'est point trouve de Schiller qui en fit un marchions devant nous sans suivre aucun ordre ni chrono-
chef-d'œuvre tragique, ne faillit pas moins être aussi fatale logique, ni aristocratique, nous la visitâmes une des der.
que l'autre à la république,et fut découverte par un hasard nières. C'est une belle fabrique du onzième siècle, toute re-
non moinsremarquable que cetuiqui Bt échouer les prejets vêtue de marbre blanc et noir, comme le sont la plupart des
de Fiesque. églises d'Italie, mais qui a sur beaucoup d'autres l'avanta-
Le marquis de Raggio était le chef de cette conspiration ge d'être achevée. Entre autres choses curieuses, l'église de
il faisait creuser de son château au palais ducal une gale- Saint-Laurentrenferme le fameux plat d'émeraude sur le.
rie souterraine, delaquelle devaient sortir, à une:heure con- quel Jésus-Christ fit, dit-on, la Cène, et qui avait été donné
venue, trente conjures parfaitement.armés et résolus, lors- à Salomon par la reine de Saba. Il était gardé à Jérusalem
qu'un tambour qui était de garde au palais, ayant par ha- dans le trésor du temple, et il est connu sous le nom de
sard posé sa caisse à terre, remarqua qu'elle frémissait Secro-Cothno.Que l'on discute ou non l'antiquité de l'ori-
comme Il arrive lorsqu'on creuse quoique mine i) appela gine, la sainteté de l'usage et ta richesse de la matière, la
aussitôt son ofucier qui prévint le doge. On contremina, et manière dont il tomba entre les mains des Génois n'en est
l'on trouva les travailleurs. La galerie souterraineconduisait pas moins merveilleuse, et rien quela façon dont ils l'acqui-
droit la maison du marquis Raggio il n'y avait donc point rent suffirait pour expliquer les précautions dont la républi-
à nier. D'ailleurs le coupable était trop fier pour en avoir que l'avait entouré, dans la crainte qu'il ne lui arrivât mal-
même l'idée il avoua tout et fut condamné à mort. heur.
Au moment où il marchait au supplice, et comme il était Ce fut en 4~0) que les croisés génois et pisans entrepri-
arrivé à moitié chemin du castellaccio où il devait ctre exécu- rent ensemble le siège de Césarée. Arrivés devantla ville, ils
té, il demanda comme grâce suprême de mourir en tenant a tinrent an conseil de guerre pour savoir comment ils l'atta-
la main un crucinx rapporté, dit-il, par un de ses ancêtres queraient. Plusieurs avis avaient déjà été émis et combattus,
de la Terre-Sainte, et dans lequel il avait une grande foi.. lorsqu'un des soldats pisans, nommé Daimbert, qui passait
A cette époque de croyance, on trouva la demande toute pour prophète, se leva et dit
simple, et on se hâta de l'accorder au condamné un prêtre Nous combattons pour la cause de Dieu, ayons donc
fut en conséquence dépêché au patais Raggio, et te cortége confiance en Dieu il n'est besoin, ni de tours, ni d'ouvra-
funèbre (it halte pour l'attendre. Au bout d'un quart d'heure ges, ni de machines de guerre. Ayons la foi seulement, com-
le prêtre revint apportant le crucifix. munions tous demain, et quand le Seigneur sera avec nous,
Le marquis baisa avec amour les pieds du Christ, puis, prenons d'une main notre épée, de l'autre les échelles de nos
tirant la partie supérieure du crucifix,qui n'étaitautre chose galères, et marchons aux murailles.
que la garde d'un poignard dont la lame rentrait dans la Le consul génois Caput-Malio appuya l'avis tout le camp
gaine, il se l'enfonça tout entière dans la poitrine, et mourut y répondit par des cris d'enthousiasme. Les croisés passè-
du coup. rent la nuit en prières, et le lendemain au point du jour,
De San-Donato nous allâmes visiter le pont Carignan; ayant communié, et sans autres armes que leurs épées, sans
c'est une curieuse bâtisse destinée, non pas à conduire d'un autres machines que les échelles de leurs galères, sans au-
bord a l'autre d'une rivière, mais à joindre deux monta- tres exhortations que le cri de Dieu le veut, guidés par le
gnes il se compose de sept arches, dont les trois du milieu consul et le prophète, Génois et Pisans, se pressant à l'envi,
ont, je crois, quatre-vingtspieds de hauteur ce qu'il y a de prirent Césarée du premier assaut.
certain, c'est qu'il passe au-dessus de plusieurs maisons à Puis, la ville prise, les Génois abandonnèrent aux Pisans
six étages. C'est une promenade .fort fréquentée dans les toutes les richesses, à la condition que ceux-ci leur laisse-
chaudes soirées d'été, attendu qu'à cette hauteur on est tou- raient le Socro Cot<tHo.
jours à peu près sûr de trouver de l'air. Le Sacro-Cattino fut en conséquence rapporté de Césarée
Le pont de Carignan conduit a l'église du même nom bi- à Gènes, où dès lors it fut en grande vénération, tant par
jou du seizième siècle, MU par le marquis de Sauli, sur les souvenirs religieux que par les souvenirs guerriers qui
les dessins de Galeas Alessio. Voici à quel événement cette se rattachaient a lui. On créa douze chevaliers Clavigeri,
église, l'une des plus belles de Gênes, doit son existence. qui devaient, chacun à son tour et pendant un mois, garder
Le marquis de Sauli, l'un des hommes les plus riches et la clef du tabernacle où il était renfermé, et d'où on ne le ti-
des plus probes de Gênes, avait plusieurs palais dans la rait qu'une fois l'an, pour l'exposer à la vénération de la
ville, et un entre autres qu'il habitait de préférence et qui foule; alors un prélat le tenait par un cordon, tandis que
était situé sur l'emplacement même où s'élève, aujourd'hui tout autour de la relique étaient rangés ses douze défen-
l'église de Carignan. Comme il n'avait point de chapelle a seurs. Enfin, en ~76, parut une loi qui condamnait à la
lui, il avait l'habitude d'aDer entendre la messe dans celle peine de mort quiconque toucherait le Sacro-Cattino avec
de .Sants-JMarta-tn-Fta-fato, qui appartenait à la'famille de l'or, de l'argent, des pierres, du corail, ou toute autre
Fiesque. Un jour, Fiesque fit Mter l'heure de l'office, de matière, afin, disait cette loi, d'empêcher los curieux et les
sorte que le marquis de Sauli arriva quand il était fini. La incrédules de faire un examen pendant lequel le Cattino
première fois qu'il rencontra son élégant voisin, il s'en plai- pourrait souffrir quelque atteinte ou même être cassé, ce qui
gnit à lui en riant. serait une perte irréparable pour la république. Il Malgré'
Mon cher marquis, lui dit Fiesque, quand on veut al- cette loi, monsieur de la Condamine, qui avait cru remar-
ler à la messe; on a une chapelle à soi. quer dans le Sacro-Cattino des bulles pareilles à celles quif
Le marquis de Sauli flt jeter bas son palais, et fit élever à se trouvent dans le verre fondu, cacha un diamant sous la
la place l'église de Sainte-Marie-de-Carignan. manche de son habit, afin d'éprouver sa dureté le diamant
Une partie de ces beaux palais qui feraient honneur à des devant mordre dessus s'il était de verre, et.demeurer impuis-
princes, et de ces belles églises qui sont dignes de servir de sant s'il était d'émeraude. Heureusement pour monsieur de
demeure à Dieu, a été bâtie par de simples particuliers. Le la Condamine, qui, peut-être, au reste, ignorait cette loi, le
secret de ces fondations, dans lesquelles des millions ont été prêtre s'aperçut à temps de son intention et releva le Socro-
enfouis, est toujours dans ces lois somptuaires du moyen- Cattino, au moment même où l'indiscret visiteur tirait son
âge qui défendaient lejeu, les fêtes, les diamans, les étoffes diamant. Le moine en fut quitte pour la peur, et monsieur
de velours et de brocard. Alors tous les aventureux commer- de la Condamine resta dans le doute. 1
çans qui, pendant vingt ans, avaient sillonné la mer en tous Les juifs de Gênes étaient moins incrédules que le savant
sens, et qui avaient amassé chez eux ces richesses des. trois français, car ils prêtèrent pendant le siège quatre millions
mondes, se h'ouyaient en face de monceaux d'or, dont fat- sur ce gage. Les quatre millions furent probablement rem-
boursés, car le StMfO-CoHtnotut transporté à Paris en ~809, bes de velours vert brochées d'or, ave& leurs taiOes sous lea
et y resta jusqu'en ~8~5, époque à laquelle il fut rendu à là épautes, etteurs longues queues traînantes; it y avait les
ville, avec les différens objets ~'art que nous lui avions em- costumes de princes et de.pairs avec leurs chapeaux~) plu-
pruntés en même tetnps que lui. Le voyage fut fatal à la me a ta Henri IV et leurs manteaux à ta Louis XIII seule-
sainte relique, car elle fut brisée entre Gènes et Turin, etun ment tes culottes avaient manqué, à ce qu'il parait, et les
morceau même en fut perdue de sorte qu'aujourd'huiJe Sa~ acteurs intelligens y avaient .suppléé par des pantalons de
cro-Cattino est non-seulement privé de ses honneurs, de ses soie rose et bleue, auxquels ils avaient, pour leur donner
gardes et de son mystère, mais encore il est ébrèehé, comme l'air étranger, fait des .ligatures au dessous des genoux et
une simple assiette de porcelaine. au-dessus des chevilles. Quant à Leicester, au lieu d'une
Jadin demanda la permission d'en faire un dessin, per- jarretière, il enavait deux, façomngéniensed'indiquersans
mission qui lui fut accordée sans aucune difficulté. doute le crédit dont it jouissait près de )a reine.
n résulte de tout cela que Génes ne croit plus que le Sa- La représentation se passa sans.accident, et à ta vive sa-
cro-Cattino soit une émeraude. tisfaction des spectateurs seulement au moment où la reine
Gènes ne croit plus que cette émeraude ait été donnée attait signer l'arrêt de sa rivale, un coup de vent emporta ta
par la reine de Saba à Salomon Gènes ne croit plus que sentence des mains d'Elisabeth:Elisabeth qui, comme on le
dans cette émeraude Jésus-Christ ait mangé l'agneau pas- sait, aimait assez à faire ses affaires elle-même, au lien de
cal. S! aujourd'hui Gênes reprenait Césarée, Gènes deman- sonner quelque page ou quelque huissier, se mit à courir
derait sa part du butin, et laisserait aux Pisans le Sacro- après, mais un second coup de vent envoya la sentence dans
Cattino, qui n'est que de verre. le parterre. 'Nous fûmes au moment, Jadin et moi, décrier
Mais aussi Gènes n'est plus libre, Gênes a une citadelle grâce, en voyant que le ciet 6e déclarait aussi ouvertement
toute hérissée de canons dont les bouches verdâtres s'ou- pour la pauvre Marie, mais en ce moment-un spectateur ra-
vrent sur chacune de ses rues. Gênes n'est'plus marquise, massa le papier eUe présenta à la reine, qui lui fit une ré-
Gênes n'a plus de doge, Gênes n'a plus de griffon qui étouffe vérence en signe de remerciment;allase rasseoira à la table,
dans ses serres l'aigle impériale et le renard pisan.–Gê- et'te signa aussi gravementque s'il n'était rien arrivé. Marie
nes a un roi; elle est tout bonnement la seconde ville dn Stuart, définitivementcondamnée, fut exécutée sans miséri-
royaume. corde l'acte suivant
La force n'est bien souvent autre chose que la foi. Peut- Nous rentrâmes a t'hôtet où nous attendait notre ainer,
être Gênes serait-elle encore libre, si elle croyait toujours que nous mangeâmes tout en philosophant sur les misères
que le Sacro-Cattino est une émeraude. humaines. Au dessert on m'annonça qu'un homme de la po''
Nous revinmes à notre hôtel par le Port-Franc, espèce de lice désirait me parler. Comme je ne croyais pas qu'il y eût
ville à part dans )a ville, avec ses institutions, ses lois, et sa de secrets entre moi et la police sarde,je fis prier l'émissaire
population à elle. Cette population, toute bergamasque, fut du buon ~ouerttO de se donner la peine d'entrer. L'émissaire
fondée en 1540 par la banque de Saint-Georges, qui, sous me salua avec une grande politesse, me présenta mon passe"
le nom arabe de Caravane, fit venir douze portefaix de la port visé pour Livourne, et me dit'que le roi Charles-Albert
vallée de Brembana. Ces douze portefaix avaient leurs fem- ayant appris mon arrivée de la veille dans:la ville de Gènes,
mes qui venaient accoucher au Port-Franc, ou qui retour- m'invitait à en sortir le lendemain. Je priai l'émissaire du
naient accoucher aux villages de Piazza et de Zugno, pour &uo<t ~oMfM de remercier de ma part te roi Charles-Albert
donner à leurs enfans le privilége de succédera à leurs pères. de ce qu'il voulait bien m'accorder vingt-quatre heures, ce
La compagnie s'est ainsi perpétuée depuis cinq cents ans, qu'il ne faisait pas pour tout )e monde, et je lui exprimai
s'élevant jusqu'au nombre de deux cents membres, et se lais- combien j'étais natté d'être connu de souroi, que je connais-
sant de père en Cis de telles traditions de probité, que ja- sais bien pour un roi guerrier,mais non pas pourun roi lit-
mais, de mémoire de police, une seule plainte n'a été portée téraire. L'émissaire du &u<Mt~oMnto me :demanda s'il n'y
contre un portefaix bergamasque. Les CaTat)att<M sans en- avait rien pour boire. Je lui donnai quarante sous, tant j'é-
fans peuvent vendre leurs charges a leurs compatriotes; il tais natté que ma réputation fût parvenueau pied du trône
y a de ces charges quivalentjusqu'a dix et douze mille de S. M. sarde, et rémissairedu&uonyoeerKose retira en
francs; mebaisanHesTnains.
Pendant toute notre course et à chaque coin de rue nous
avions trouvé des afEchesannonçant en grande pompe la re-
présentation, au théâtre Diurne, de la Mort de Marie-Stuart,
Quand Alberto Nota
donné une médaille
Quoique je
d'or.
connaisse
est venu en France, nous lui avons
s
bien la devise littéraire du roi Char-
avec costumes nouveaux. Nous n'eûmes garde, comme on lé les-Albert, qui est poco~t DtO, niente del fe, c'est-à-dire
comprend bien, de manquer une si belle occasion nous parlez peu de Dieu, et pas du tout du roi et peut-être
nous donnâmes un coup de brosse, et'nous nous rendîmes au memeparce que je connaissais bien cette devise, je ne com-
bureau quis'ouvrait a deux heures et demie. prenais rien a )a bonté qu'il avait de s'occuper ainsi de moi.
Le théâtre Diurne est une tradition des cirques antiques J'ai peu écrit surDieu dans ma vie, mais ce peu n'a ~peut-être
comme les spectateurs grecs ou romains, les spectateurs mo- pas été inutile à la religion. J'ai parlé du roi Charles-Albert,
dernes sont assis sur des gradins circu)aires,apeuprès c'est vrai,'mais c'était pour faire l'éloge de son courage
comme chez Franconi. La seule différence, c'est que t'édince commeprincédeCarignan, et H n'y avait point là de quoi
n'a d'autre voûte que )a coupole du ciel il en résuite que, me faire chasser de ses Etats. Je lui avais bien, trois ans
comme il est Mti dans un quartier assez fréquenté, au mi- auparavant,brute, moi septième, une forêt, mais nous l'a-
lieu de charmantes viUas, et ombragé par des peupliers- et vions payée, il n'y avait donc rien à dire; et~mme les bons
des platanes, il a autant despectateurs sur les arbres et aux comptes font tes bons amis,~ et que le compte avait été bon,
fenêtres qu'il y en a dans le théâtre, ce qui rie doit pas lais- je me croyais, ajuste titre, un des bons amis du roi Gharfes-
ser que de faire un certain tort à la recette. Comme on )e A'bert.
comprend bien, nous ne tentâmes aucune économie sur;les J'eus grand peur que cet événement n'enttat fort le prit
douze sous que coûtait )e billet d'entrée, et nous nous exé- de la carte payante, vu l'impression qu'il avait dû procurer

par tète..
cutâmes bravement, Jadin et moi, de nos soixante centimes

Au fait, le spectaclevalait bien cela. Comme l'annonçait


sur l'esprit de l'hôte des QuatreNations, qui nécessairement
devait me prendre pour quelque prince constitutionnel dé-
guisé. Heureusement j'avais affaire à un brave homme, qui
le programme, les costumes étaient nouveaux; un peu trop n'abusa point de ma position, et qui me ni payer à peu près
nouveaux même, pour l'an 1585 où se passe l'action, car comme paie tout le monde.
les costumes remontaient tout bonnementà ~8~2. Le lendemain matin l'émissaire du buorc ~oMmo eut )t
Hétas c'était la défroque tout entière de quelque pauvre bonté de venir en personne me prévenir que le bateau fran-
petite cour impériale en Italie, peut-être celle de cette gra- çais le Sully, partant à quatre heures, le roi Otaries-Albert
cieuse et spirituelle grande-duchesse Ëlîsa. I) y avait lesro* verrait avec plaisir que je choisisse la voie demerautiea
de la voie de terre. Cela s'accordait à merveille avec mes tête me tournait je retombai sur le banc en demandant
intentions,. attendu que par la voie.de ~terre je rencontra!s d'unevdix plaintive un citron. Cette demande fùt répétée
les États du duc de Modène, que'je ne me souciais pas de avec une basse-taiiie magnifique par le marquis de R.. qui
rencontrer; aussi je fis remercier Sa Majesté de cette nou-
velle prévenance, et je donnai à son représentant ma parole
se rassit auprès de moi, et passa~desa première
émigration.
sa seconde

qu'à quatre heures moins un quart je serais à bord,du Sully. On m'apporta le citron je voulus Tnordre dedans, mais
L'émissaire du buon ~orerno me demanda s'il n'y avait rien pour mordre il faut ouvrir la bouche ce fut ce qui me
pour la bonne-main je lui donnai vingt sous, et il s'en alla perdit.
en m'appelant excellence. Celui qui n'a jamais souffert du mal de mer ne sait pas ce
Nous allâmes faire un dernier tour dans la strada Balbi, que c'est que de souffrir.
la strada ~VMoomtmo, et la strada Nuova; Jadin prit une Quant à moi, j'avais ta tête complétement étourdie, j'en-
vue de la place des fontaines amoureuses, puis nous tirâmes tendais mon émigré qui, dans tous les intervalles de mieux
notre montre il n'était que midi. Nous visitâmes alors les que j'éprouvais,continuait son récit. J'aurais voulu le battre,
palais Balbi ei Durazzo, que nous avions oubliés dans notre j'aurais même donné bien des choses pour cela, mais je n'a-
première tournée, et cela nous fit encore passerdeux heures. vais pas la force de lever le petit doigt. Cependant je fis un
Puis je me rappelai qu'il y avait, à l'ancien palais des Pères effort violent et je me retournai. J'aperçus alors Jadin, dans
du Commun, une certaine table de bronze antique, contenant une position non équivoque, et Milord le regardant avec dé
une sentence rendue, l'an 695 de la fondation de Rome, par gros yeux hébétés. Tout cela m'apparaissait comme a tra-
deux jurisconsultesromains, à propos dequelquesdinérends vers une vapeur, quand un corps opaque vint se placer entre
survenus entre les gens de Gênes et de Langasco,et trouvée moi et Jadin. C'était mon diable de marquis, qui ne voulait
par un paysan qui piochait la terre dans la Poluvera; et pas perdre le récit de sa troisième émigration, et qui, voyant
nous nous rendîmes l'ancien palais des Pères du Commun que je m'étais retourné, venait de nouveau se mettre à ma
cela nous prit encore une demi-heure. Je copiai le jugement, portée.
non pas, Dieu merci pour l'offrir mes lecteurs, mais pour La réunion de ces deux supplices me sauva, l'un me donna
faire quelque chose, car le temps que m'avait accordé le roi de la force contre l'autre. Un matelot passant à ma portée
Charles-Albert commençait à me paraitre long, et cela nous en ce moment, je le saisis au bras en'demandant ma cham-
fit gagner encore un quart-d'heare.Enfin, comme il ne nous bre. Le matelot avait l'habitude de ces sortes de demandes;
restait plus qu'une heure un quart pour faire nos paquets il me prit je ne sais par où, m'emporta je ne sais comment,
et nous rendre au bateau, nous regagnâmes l'hôtel, nous ré- et je me trouvai couché. J'entendis qu'il me disait que du
glâmes nos comptes, et nous montâmes dans une barque, thé me ferait du bien, et je répétai machinalement
partageant parfaitementl'avis de ce bon etspirituel prési- Oui, du thé.
dent Desbrosses, qui prétend que, parmi les plaisirs que Combien P me demanda-t-il.
Gênes peut procurer, les voyageurs oublient ordinairement –Beaucoup, répondis-je.
de mentionner le plus grand, qui est celui d'en être dehors. Puis je ne me souviens plus de .rien, si ce n'est que de
La première personne que j'aperçus en montant à bord cinq minutes en cinq minutcs j'avàlai force liquide, et que
du ~<Hy, fut mon émissaire du &uon governo qui venait s'as- cette inglutition dura quatre ou cinq'heures enCn, moulu,
surer, par ses propres yeux, si je quittais bien réellement brisé, rompu, je m'endormis peu près de la même façon
Gênes. Nous nous saluâmes comme de vieux amis, et j'eus dont on doit mourir,
l'avantage d'être honoré de sa conversation jusqu'au mo- Quand je me réveittai le lendemain,.nous étions dans le
ment où la cloche du paquebot sonna. Alors il m'exprima port de LtYOurhe~ j'avais dévoré trois.citrons, bu pour 28
tout son regret de se -séparer de moi, et me tendit la main. francs de thé, et entendu raconter les trois émigrations au
J'y déposai généreusement une pièce de dix sous.Li'émissaire marquis de R. 01'
du buon ~oMrfto m'appela monseigneur et descendit dans sa Je montai sur le pont pour chercher Jadin, et. je te trou-
chaloupe, en m'envoyanttoutes sortes de bénédictions. vai dans un coin, insensible aux caresses de Milord et aux
-Gênes est vraiment maginSque, vue du port. A l'aspect de consolations d~Ohésime, tant il était humilié d'avoir rendu
ces splendides maisons bâties en amphithéâtre, avec leurs les nations étrangères témoins de sa faiblesse..
jardins suspendus comme ceux de Sémiramis, on ne peut Quant à moi, je ne pus toucher un citron de six semaines,
s'imaginer quelles ruelles infectes rampent à leurs pieds de je ne pus boire du thé de six mois, et je ne pourrai revoir
marbre. Si au lieu de me faire sortir de Gênes, Charles-Al- le marquis de R-de.ma vie.
bert m'avait empêché d'y entrer, je ne m'en serais jamais
consolé.
Je m'éloignais donc avec un sentiment profond de recon-
naissance pour Sa Majesté sarde, lorsque je sentis que mal-
gré la conversation attachante de mon' voisin, monsieur le
marquis de R. qui me racontait la première de ses trois
émigrations en 92, un autre sentiment moins pur venait s'y
mêler. La mer était grosse, et le vent contraire, de sorte que LIVOURNE.
te bâtiment, outre cette odieuse odeur d'huile chaude, que
tout paquebot se croit le droit d'exhaler, avait encore un
roulis dont chaque mouvement me remuait le cœur. Je re-
gardai autour de moi et vis que quoique nous fussions par' J'ai visité' bien des ports, j'ai parcouru bien des villes,
tis depuis deux heures à peine et qu'il fit encore grand jour, j'ai eu affaire aux portefaix d'Avignon, aux facchini de Malte,
le pont était presque vide. Je cherchai des yeux Jadin, et je et aux aubergistes de Messine, mais je ne .connais pas de
l'aperçus fumant sa quatrième pipe et marchant A grands coupe-gorge comme Livourne.
pas suivi deMilord~qui ne comprenait rien à cette agitation Dans tous tes autres pays du monde, il y a moyen de de-
inaccoutuméede son maître. Je crus remarquer que, malgré fendre son bagage, de faire un prix pour le transporter à
la fermeté de la démarche, son teint devenaitpâle, son œil l'hôtel, et, si l'on ne tombe pas d'accord, on est libre de le
vitreux. Je compris cependant que le mouvement devait être charger sur ses épaules, et de faire sa besogne soi-même. A.
une réaction bienfaisante contre l'engourdissement qui coin- ~Livourne, rien de tout cela.
mençait à s'emparer de moi, et je demandai à monsieur le La barque qui vous amène n'a pas encore touché terre
marquis de R. s'il ne pouvait pas continuer son récit'en qu'elle est envahie; les commissionnaires peuvent, vous ne
marchant. Il parait que pe<) importait au narrateur pourvu savez pas d'où ils sautent de la jetée, ils s'élancent des
qu'il narrât, car, sans s'interrompre, il se mit aussitôt sur barques voisines; ils se )aissentgtisser des cordages des
ses jambes. Je voulus en faire autant, ihais je sentis que ta Mtfmens. Comme vous voyez que votre canot va chavirer
sous!e poids, vous pensez à votre propre sûreté, vous vous .géra n'en rien faire, présumant que mieux valait pour moi
cramponnez au m6)e, comme Robinson ason rocher; puis, arriver au ciel sans recommandation qu'avec la sienne.
après bien des efforts, votre chapeau perdu, vos genoux en C'est sur la place de la Darse que s'élève la statue de Fer-
sang et vos ongles retournés, vous arrivez sur ta jetée. Bien, dinand I<r. Comme je n'ai pas grand'chose à dire sur.Li-
voilà pour vous quant à votre bagage, il est déjà divisé en vourne, j'en profiterai pour raconter l'histoire de ce second
autant de lots qu'il y a de pièces vous avez un portefaix .successeur du Tibère toscan, ainsi que celle de FrançoisT~
pour votre malle, un portefaix pour votre nécessaire, un ,son frère, et de Bianca Capetto sa bette-sœur. Il y a plus d'un
portefaix pour votre carton à chapeau, un portefaix pour roman moins étrange et moins curieux que cette histoire.
votre parapluie, et un portefaix pour votre canne; si vous Sur ta fin du règne de Cosme le Grand, c'est-à-dire vers le
êtes deux, cela vous fait dix portefaix; si vous êtes trois, commencement de l'an <565, un jeune homme nommé Pierre
cela en fait quinze. Comme nous étions quatre, nous en Bonaventuri, issu d'honnête mais pauvre famille, était-venu
eûmes vingt un vingt-unième voulut prendre Milord. Mi- chercher fortune à Venise. Un de ses oncles; qui portait le
lord, qui n'entend pas raillerie, lui prit le mollet il fallut même nom que lui, et qui habitait la ville sérénissime de-
lui mordre la queue pour qu'il desserrât les dents. Le por- puis une vingtaine d'années, le recommanda à la maison de
tefaix nous suivit en criant que notre chien l'avait estropié, banque des Salviati, dont il était lui-même un des gérans.
et qu'il nous ferait condamner à une amende. Le peuple s'a- Le jeune homme était de haute mine, possédait une belle
meuta, et nous arrivâmes à la pension suisse avec vingt écriture, chiffrait comme un astrologue il fut reçu sans dis-
portefaix devant nous et deux cents personnes par der- cussion comme troisième ou quatrième commis, avec pro-
rière. messe que, s'il se conduisait bien; il pourrait, outre sa
Il nous en coûta quarante francs pour quatre malles, trois nourriture, dans trois ou quatre ans, arriver à gagner ~30
pu quatre cartons à chapeau, deux ou trois nécessaires, un ou 200 ducats. Une pareille promesse dépassait tout ce que
ou deux parapluies et une canne; plus, dix francs pour le le pauvre Bonaventuriavait jamais pu rêver dans ses
songes
portefaix mordu, c'est-à-dire cinquante frances pour faire les plus ambitieux.Il baisa les mains de son oncle et promit
cinquante pas à peu près, juste autant (thé à part) qu'il nous aux Salviati de se conduire de manière à être le modèle de
en avait coûté pour venir de Gènes. toute la maison. Le pauvre Pietro avait bonne envie de tenir
Je suis retourné trois fois à Livourne; les deux dernières, parole; mais le diable se mêla de ses affaires et vint se jeter
j'étais prévenu, j'avais pris mes précautions, je me tenais au travers de toutes ses bonnes intentions.
sur mes gardes; chaque fois, j'ai payé plus cher. En arri- En face de la banque de Salviati logeait un riche seigneur
vant à Livourne, il faut faire, comme en traversant les ma- vénitien, chef de la maison Capello, lequel avait un fils et
rais Pontins, la part des voleurs. La différence est qu'en une fille. Le fils était un beau jeunè homme, à ta barbe
traversant les marais Pontius, on en réchappe quelquefois, pointue, à la moustache retroussée, à la parole leste et in-
souvent même; à Livourne, jamais. solente; ce qui faisait que trois ou quatre fois par mois il
Ce ne serait encore rien si, en arrivant à Livourne,.au tirait l'épée à
lieu de descendre dans une de ces infâmes tavernes qui usur- tique il propos de jeu on de femmes, car de la poli-
s'en mêlait aucunement, trouvant la chose trop
pent le nom respectable d'auberge, on faisait venir un voi- sérieusene être discutée
turin, on montait dedans, et, n'importe à quel prix, on par- grises sipour par d'autres que par des barbes
bien qu'on avait déjà rapporté deux fois à la mai-
tait pour Pise ou pour Florence; mais non puisqu'on est son paternelle Giovannino perforé de part en part mais,
à Livourne, on veut voir Livourne. Or, ce n'est guère la attendu
sans doute que le diable aurait trop perdu à sa
peine, car il n'y a que trois choses à voir dans cette ville: mort, Giovannino
les galériens, la statué de Ferdinand 1er, et la madone de en était revenu. Cependant, comme le père
était un homme de sens, et qu'it avait pensé qu'il n'aurait
Montenero. peut-être toujours le même bonheur, il avait renoncé à
Les galériens sont mêlés à la population, et s'occupent de l'idée qu'ilpas avait eue d'abord de faire sa fille religieuse afin
toutes sortes de travaux: ils balaient, ils écarrissehL des de doubler la fortune de son fils: il craignait qu'en passant
planches, ils traînentdes brouettes ils sont vêtus d'un pan-
une bette nuit de ce monde à l'autre, Giovannino ne le lais-
talon jaune, d'un bonnet rouge et d'une veste brune dont il sât à la fois sans fils et sans fille.
serait difficile de spécifier la couleur primitive. Sur le dos Quant à Bianca, c'était une charmante enfant de quinze à
de cette veste est indiqué le crime pour lequel le premier seize
propriétaire de l'habit a été condamné; mais, comme il ar- le sang ans, au teint blanc et mat, sur lequel, toute émotion,
passait comme un nuage rosé; aux cheveux de ce
rive souvent que le bagne use le criminel avant que le cri- blond puissantdont Raphaël venait de faire une beauté, aux
minel use l'habit, la veste passe avec son étiquette sur le yeux noirs et pleins de flamme, à la taille souple et flexible,
dos de celui qui lui succède. Il en résulte qne, pour les ga- mais de cette souplesse et de cette flexibilitéqu'on sent pleine
lériens toscans, la veste est une grande affaire; c'est une de force, toute prête à l'amour comme Juliette, et qui n'at-
demi-grâce ou une doubte'côndamnation. Comme les galé- tendait que le moment où quelque beau Roméo se trouve-
riens sont les seuls à Livourne qui demandent et qui ne rait sur son chemin pour dire comme la jeune fille de Vé-
prennent pas, la question pour l'industriel est d'avoir une rone Je serai à toi ou à la tombe.
veste qui éveille la commisération publique. Or, il y a des Elle vit Pietro Bonaventuri la fenêtre de la chambre du
crimes que tout le monde méprise, tandis qu'il y en a d'au-j eune homme s'ouvrait sur la chambre de la jeune fille. Ils
tres que tout le monde plaint personne ne fait l'aumône a échangèrent d'abord des regards, puis des signes, puis des
un voleur ou à un faussaire; chacun donne à un assassin par promesses d'amour. Arrivés là, la distance seule les empê-
amour. Aussi celui qui tombe une pareille veste n'a plus à chait d'y ajouter les preuves cette distance, Bianca la fran-
s'occuper de rien que de la brosser chacun l'arrête pour lui chit.
faire raconter son aventure. Nous en vîmes un qui faisait Chaque nuit,~uand tout le monde était couché chez le
pleurer à chaudes larmes deux Anglaises, et peut-être nous nohle Capello, quand la nourrice qui avait élevé Bianca était
allions pleurer comme elles, lorsque son camarade, à qui il retirée dans la chambre voisine, quand la jeune fille, debout
avait refusé probablement un intérêt dans sa recette, nous contre la cloison, s'était assurée que ce dernier argus s'était
!e dénonça comme un voleur avec effraction. Le véritable endormi, elle passait une robe brune afin de n'être point vue
<!M<M!'no per amore était mort il y avait huit ans, et sa veste dans la rue, descendait à tâtons et légère comme une om-
avait déjà fait la fortune de trois de ses successeurs.. Je bre les escaliers de marbre du palais paternel, entr'ouvrait
donnai un demi-paul à cebravehomme,qui portait écrit la porte en dedans et. traversait la rue; sur le seuil de la
en grosses lettres sur le dos le mot voleur, hasard qui l'a- porte opposée, elle. trouvait. son amant. Tous deux alors,
vait ruiné, car il avait beau dire qu'il était incendiaire, per- avec de douées étreintes, montaient l'escalier qui conduisait
sonne ne voulait le croire aussi, dans sa reconnaissance àla petite chambre de Pietro. Puis, lorsque le jour était sur
d'une aubaine aussi inattendue et aussi rare, promtt-ttbien I1 le point de paraître~ Biancaredescendaitet rentrait dans sa
de prier Dieu pour moi. Je revins sur mes pas pour l'enga- chambre, où sa nourrice, le matin, la trouvait endormie de
ce sommeil de la volupté qui ressemble tant à celui de l'in- !t va sans dire que communicationde la sentence rendue
nocence. par )(; tribunal des Dix avait <'té faite au gouvernement flo-
Une nuit que Bianca était chez son amant, un garçon bou- rentin, lequel avait autorisé Capello et le patriarche d'A-
langer qui venait de chauffer un four dans les environs quitée à faire les recherches nécessaires, non seulement à
trouva une porte entr'ouverle et crut bien faire de la fermer; Ftorence, mais encore dans toute la Toscane; ces recher-
dix minutes après, Bianca descendit et vit qu'il lui était im- ches avaient été inutiles. Chacun avait trop d'intérêt à gar-
possible de rentrer cher. son père. der son propre secret.
) Bianca était une de ces âmes fortes dont les résolutions Trois mois se passèrent ainsi, sans que la pauvre Bianca,
'se prennent en un instant, et une fois prises sont inébran- habituée à toutes les caresses du luxe, laissât échapper une
lables elle vit tout son avenir changé par un accident, et seule plainte sur sa misère. Sa seule distraction était de
elle accepta sans hésiter la vie nouvelle que cet accident lui regarder dans la rue en soulevant doucement saja)ousie;
faisait. mais on ne lui entendait pas même envier, à elle, pauvre pri-
Bianca remonta chez son amant, lui raconta ce qui venait sonnière, la liberté de ceux qui passaient ainsi, joyeux ou
d'arriver, lui demanda s'il était prêt de tout sacrifier pour attristés.
elle comme elle tout pour lui, et lui proposa de profiter des Parmi cem qui passaient, était le jeune grand-duc, qui,
deux heures de nuit qui leur restaient pour quitter Venise de deux jours l'un allait voir son père à son château de la
et se mettre à l'abri des poursuites de ses parcns. Pietro Petraja. C'était ordinairement cheval queFrancesco faisait
Bonaventuri accepta. Les deux jeunes gens sautèrent dans ce petit voyage; puis, comme il était jeune, galant et beau
une gondole et se rendirent chez )o gardien du port. Là, Pie, cavalier, chaque fois qu'il passait sur quoique place où il
tre Bonaventuri se fit reconnaiti'e, et dit qu'une affaire im- pensait pouvoir être vu par de beaux yeux, il faisait fort
portante pour !a i'a~que des S.ttviati le forçait à partir à caracoler sa monture. Mais ce «'était ni sa jeunesse, ni sa
l'instant mrme de Venise pour Rimini. Le gardien donna beauté, ni son t'tc~anc' qui préoccupaient Biancatorsqu'ette
l'ordre de taisser toiiibei- la chaine, et tes fugitifs passèrent; le voyait passer: c était t'ittée que ce gentil prince, aussi
seulement, au lieu de prendre la route de Rimini, ils prirent puissant qu'il était gracieux, n'avait qu'H dir.' un mot pour
en toute hâte celle de Ferrare. que le ban fut levé et pour que Bonaventuri fût tibreet heu-
On devine l'effet que produisit dans le noble palais Ça reux. A cette i(!fe, tes yeux (h; la jeune vénitienne lançaient
pello la fuite de Bianca. Pendant un jour tout entier on at- une namme qui eu doublait éciat. Tous les deux jours, à
tendit sans faireaucune recherche; on espérait toujours que l'heure où elle savait que )!ev.fit passer te prince, elle ne
la jeune fille allait revenir; mais la journée s'écouta sans manquait dune point tt'e mettre :) sa ft'.n.'tre et de soulever
apporter de nouvelles de la fugitive. U fallut donc s'informer; sa jalousie. Un jour, le prince tcva les yeux par hasard et vit
on apprit la fuite de Pietro Bonaventuri. On rapprocha mille briller, dans i'umbre projetée par la jalousie, les yeux ar-
faits qui avaient passé sans être aperçus, et qui maintenant dens de la jeune fitte Rianca se retira vivement, si vive-
se représentaient dans toute leur importance. Le résultat de ment qu'elle laissa tomber un bouquet qu'ettc tenait à !a
ce rapprochement fut la conviction que les deux jeunes gens main. Le prince desMndit de cheval, ramassa le bouquet,
étaient partis ensemble. s'arrêta un instant pour voir si )a belle vision n'apparaîtrait
La femme de Capello, belle-mère de Bianca, était sœur du pas de nouveau; puis, voyant que la jatousie restait baissée,
patriarche d'A.quitée elle intéressa son frère à sa vengeance. il mit le bouquet dans son pourpoint, et continua sa route
Le patriarche était tout puissant; i) se présenta au conseil au pas, en iournantla tète deux ou trois fois avant de dis-
des Dix avec son beau-frère, déclara la noblesse toutentière paraître.
insultée en leurs noms, et demanda que Pietro Bonaventuri Le surlendemain, il repassa à la même heure; mais, quoi-
fût mis au ban de la république, comme coupable de rapt. que Bianca fût toute tremblante derrière la jalousie, la ja-
Cette première demandeaccordée, il exigea que Jean Bap- lousie resta fermée, et pas la plus petite fleur ne se glissa à
tiste Bonaventuri, oncle de Pierre, qu'il soupçonnait d'avoir travers ses barreaux.
prêté les mains à cette évasion fut arrêté. Cette seconde Deux jours après, le prin. e passa encore mais la jalousie
demande lui fut accordée comme la première. Le pauvre fut iuexorai-ie, quelque prière intérieure que le prince lui
Jean-Baptiste, appréhendé au corps par les sbires de la s' ré- adressât. t.
ni~sime république, fut ieté dans un cachot, où on t'oublia Àlors il pensa qu'il devait prendre un autre moyen. Il ren-
attendu la grande quantité de personnages bien autrement tra ct'ez tui, fit venir un gentilhomme espagnol nommé Mon-
considérabies dont avait à s'occuper le conseil des Dix, et où dragone, qui avait été ptacé près de lui par son père, et dont
it mourut, au bout de trois mois, de froid et de misère. it avait fait son complaisant il lui posa la main sur l'é-
Quant à Giovannino, il fouitta pendant nuit jours tous paule, le regarda en face, et lui dit:
les coins et tous les recoins de Venise, disant que, s'il Mondragone, il y a sur la place Saint-Marc, au second,
trouvait Pietro et Bianca, tous les deux ne mourraient que dansla maison qui fait le coin entre la p'ace deSanta Croce
de sa main. et la via Larga, une jeune fille quejen'ai pas reconnue pour
Le lecteur se demande peut-être ce qu'ont de commun ces être de Florence elle est belle, elle me plaît; d'ici à huit
jeunes amans fuyant ):< nuit de Venise, et poursuivis par jours il me faut une entrevue avec elle.
toute une famille outragée, avec Ferdinand, second fils de Mondragone savait qu'il y a certaines circonstances où la
Cosme le Grand,etalors cardinal à Rome. n)e saura bientôt. première quaiité d'un courtisan est d'être laconique.
Cependant les fugitifs étaient arrivés a Florence sans ac- Vous l'aurez, monseigneur, répondit-i).
cident, mais, comme on le pense bien, avec grande fati- Et il atta trouver sa femme, et lui raconta tout joyeux
gue, et s'étaient réfugiés chez le père de Bonaventuri, qui l'honneur que venait de lui faire le prin e en le choisissant
habitait un petit appartement au second sur la place Saint- pour son confident. La Mondragoneétait savante en ces sor-
Marc c'est chez les pauvres parens que les enfans sont sur- tes d'intrigues elle dit A son mari de continuer son service
tout les bien venus. Bonaventuri et sa femme reçurent leur auprès du prince, et qu'elle se chargeait de tout. Le même
fils et leur fille a bras ouverts. On renvoya la servante, pour jour, elle alla aux informations, et apprit que l'étage qu'elle
économiser une bouche inutile, et à charge ou à craindre dé- désignait était habité par deux ménages. l'un jeune, l'autre
sormais, soit qu'elle s'ouvrît pour manger, soit qu'elle s'ou- vieux que la vieille femme sortait tous les matins pour al-
vrit pour parler. La mère se chargea des soins du ménage ¡ ler it ta provision que les deux hommes sortaient tous les
Bianca, dont les blanches mains ne pouvaient descendre à soirs pour aller reporter les copies qu'ils avaient faites dans
ces soins vulgaires, commença à broder de vérit~Nes ta- la journée, m-fisque, quant à la jeune femme, elle ne sortait
pisseries de fée. Le père de Pietro, qui vivait de copies qu'il jamais.
faisait pour les officiers publics, annonça qu'i) avait pris un La Mondragone résolut d'aller chercher la jeune fille jus-
commis, et se chargea deduubte besogne. Dieu bénit le tra- que dans la maison, puisqu'on lui disait qu'il était impos-
vail de tous, et la petite famille vécut. sible de l'attirer dehors.
Le lendemain, la Mondragoncs'embusqua dans sa voitu- quet tombé par la fenêtre et ramassé parle grand dnc Frati-
re, à vingt cinq ou trente pas de la porte, puis, quand la cesco. D'ailleurs quel rapport ce bouquet avait-)) avec le
vieite sortit comme d'habitude, elle ordonna à son cocher comte et la comtesseMondragone? La situation pesait au-
de partir au ga'op et de s'arranger de manière, au tournant tant à Pietro qu'à Bianca, it consentit à tout d'aith'urs, lui
de la rue, à accrocher cette femme tout en lui faisant le moins aussi avait son secret depuis deux ou trois jours une belle
de mal possible. Ce n'était peut-être pas le moyen le moins dame voilée avait passé entre lui et sa femme. Quoique de
dangereux, mais c'était le plus court. Il faut bien que les basse condition, Bonavenluri avait tous les goûts d'un gen-
petits rissent quelque chose quand ils ont l'honneur d'avoir tilhomme, et la fidélité, on le sait du reste, n'était point à
affaire aux grands. cette époque la vertu dont la noblesse se piquait le plus.
Le cocher était un homme fort adroit il culhuta la bonne La Mondragonearriva à l'heure dite et avec le costume
femme sans lui faire autre chose que deux ou trois contu- promis. C'était un charmant habit de satin broché d'or,
sions. La bonne femme jeta les hauts ris, mais la Mondra- taillé à l'espagnole,.et qui allait a Bianca comme s'il eût été
gone sauta à bas desavoiture, ca)m'< la populace, en disant fait pour elle. La jeune fille frémit de joie au toucher de ces
que sou cocher recevrait, en rentrant, vingt-cinq coups de étoffes aristocratiquesdont avait été drapé son berceau. Il
Mton, prit la blessée dans ses L'as, la fit mettre dans sa faut des robes de brocard et-de velours pour balayer les
voiture par ses gcus, et déclara qu'ette la voulait reconduire escaliers de marbre des palais. Or, Biauca avait été élevée
chez elle et ne la '.uittfraitque to'sque le médecin lui aurait dans un patais. Un coup de vent funeste et inattendu l'a-
donné la certitude que cet accident n'aurait aucune suite. vait poussée dans la mauvaise fortune: mais elle était jeune
Peu s'en fallut que la Moudragoth- ne fut portée en triomphe et bettf, et le mal produit par le hasard, le hasard pourrait
par le uple. le réparer La jeunesse a des horizons immenses et inconnus
On arriva chez !esBonaventuri. Du premier coup d'œit, dans lesquels elle distingue des choses que l'enfance ne voit
la Moudragone vit qu'ftte avait affaire à dp pauvres gens, et, pas encore et que la vieillesse ne voit plus
comme d'habitude, elle estima la vertu ile la jeune femme à
la valeur de t'ap)'arteme"t qu'ette habitait.
Quant la mère de Bonaventuri, elle admirait sa fille à
mains jointes, comme si elle s'était trouvée devant une
Bianca lui fut présentée. A sa vue, la Mou~ragnne, tout madone.
habite qu'ettefùt, ne sut j.tus trop que penser c'est qu')t Toute!; trois montèrent en voiture et se rendirent an pa-
y avait daus Bianca, de quelque habit qu'el'e fût revétue, lais Mondragone, qui était situé via <M Carnescchi, près de
tonte la hauteu'' du regard des Ca)'e!)o. D'ai'leurs, ses ter- SantaMaria-Novetta. Mondragone venait de faire bâtir ce
mf's étaient étcKans.et c))0isis. La grande dame se répétait palais sur les dessins de l'Ammanato, et depuis un an à
de tous les côtés sous l'extérieur de la pauvre fille. La peine il t'habitait.
Mondragone se retira sans comprendre autre chose à tout Comme la chose avait été convenue, la Mondragonepré-
ceci, qu'il y avait t~ t't'toff~' ft'uue maitresse de prince, et sa
senta les deux femmes a son mari, et raconta en peu de mots
fortune, cite, si elle réussissait. les aventures de Biauca. Mondragone promit sa protection,
Elle revint h' tendemai!! proxh'e deshouvettesdetabonne et comme il se rendait à l'instant même chez le duc, qui
femme; elle allait tout a t:titt)ic)),et était on ne pouvait l'avait envoyé quérir, il s'engagea à lui parler le jour même
plus n connaissante de re qu'une aussi grande dameda'gnait en faveur des deux jeunes gens.
s'occuper d'elle. La Mondrag'~ne avait compris son monde: Bianca ne pouvait cacher sa joie, elle se retrouvait dans
un monde qui était le sien, ses tnaius touchaient de nouveau
el'e é ait troj'adroite pour offrir de l'argent, mais e)t-'laissa
du marbre, ses pieds foutaient enfin des tapis la toile et !t
voir guette ~o-'itiou s'<u m 'r~ tenait A ta cour, et elle oftrit
ses services. La mc~e et la fille échangèrent un coup d'œ 1 serge avaient cessé pour un instant d'attrister ses yenx;
ce fut assez pour la Mondrag~nc sût que les services offerts elle se retrouvait dans s le velours et dans la soie. Il lui sem-
seraient a(C n'es. blait n'avoir jamais quitté le palais de son père, et que tout
ce qu'elle voyait était à elle.
Le surlendemain, ette revint une troisième fois, et cette fois
elle fut plus gracieuse que les deux autres. Elle avait dès la Aussitôt Mondragone sorti, la bette-mère de Bianca vou-
veille laissé voir Bianca qu'ctte n'était pas dupe de l'inco- tutse retirer, mais la comtesse dit qu'elle ne laisserait pas
partir sa protégée sans lui faire voir son palais m détait,
gnito dont elle cherchai), à s'envelopper, et qu'elle la recon-
naissait pour être de race. Elle fit un appe) !) sa confiance.attendu qu'elle voulait savoir d'elle s'il approchait de ces
La jeune femme n'avait aucun motif pour se défier d'elle magnifiquesfabriques vénitiennes qu'elle avait tant entendu
elle lui raconta tout. La Mondragone écouta la contid 'nc~ vanter. Elle pria donc la bonn'' femme, qu'une pareitte vi-
avec une bienveittance charmante; mais la confidence ache- site eût fatiguée, de se rrposer en les attendant, puis ta com-
vée, elle dit à Bianca que, comme la situation était plus tesse et Bianca, s'étant prises sous te bras, comme deux an-
grave qu'elle ne l'avait pensé d abord, c'était a son mari ciennes amies, sortirent de la chambre et !ra\ers&rent deux
ou trois appartemens, dans chacun desquels la comtesse fit
qu'il fallait raconter tout. cela; que, du reste, la chose s'ar-
rangerait certainem('nt,Jon'iragoneayat)ttoute ta confiance remarquer à tiianra quelque m 'ub)e mervcitteusement in-
du prince, et possédant sur lui la double influenced'un gou- crusté, ou quelque tableau précieux de ces grands maîtres
verueur et d'un ami. En conséquence,elle lui offrit de la ve- qui venaient de mourir. Enlin cites :nriven'nt dans un dé-
nir prendre le lendemain avec sa belle-mère, et de la con- licieux petit boudoir dont les fenêtres donnaient sur un jar-
duire chez son mari. Biauca, enrayée -)e sortir ainsi pour la din là etb'força la jeune fille à s'asseoir, et tirant d'un
première fois depuis trois ou quatre mois qu'elle habitait stipo tout marqueté d'ivoire une parure (Omptétc de dia-
Florence, et menacée comme elle était part'arrét du conseil mans, elle lui montra toutes ces richesses féminines q')i,
de;Dix, essaya de s'excuser sur la simj'ticité de sa mise, du temps de Cornélie déjà, avaient perdu tant de cceurs de
-qui ne lui permettait pas de se présenter devant un grand femmes puis, tes lui mettant sur les genoux, et poussant
seigneur comme le comte de Mondragone. Cétait là que sa chaise devant une des plus grandes glaces qui eussent
Fat'endait la tentatrice elle s'approcha d'elle, reconnut été faites a Vetnse: Essayez tout cela, lui dit-elle, moi je vais
qu'elles étaient à peu près toutes deux de la même taille, et vous chercher un costume que je viens de faire faire à la
mode de votre pays, et >ur lequel je désire avoir votre opi-
ajouta que, s'il n'y avait d'autre obstacle à t'entrevue que la
Simplicité de la mise de Bianca, t'nbstacte était facile à le-nion.–Et a ces mots, sans attendre la réponse de Bianca,
ver car elle apporterait le lendemain un costume complet elle sortit vivement.
qu'on lui avait envoyé de la ville, costume qui, elle en était une femme n'est jamais seule quand elle est avec des bi.
certaine, irait a Bianca comme s'it avait é'é fait pour elle. joux, et la Mondragone laissait Bianca en tête a t~te avec les
Biauca consentit tout c'était te seul moyen d'obtenirte plus beaux damans qu'elle eût jamais vus. Le serpent con-
sauf-conduit peut-être aussi le serpent de l'orgueil s'était- naissait son métier, et savait quelle pomme il fallait offrir à
il déjà introduit dans le paradis de son amour. cette nt!e d'Eve pour qu'ette y mord!).
Cependant Dianca raconta tout à son mari, excepté lebou- Ausai à peine la comtesse fut-elle sortie, que Bianca se
mit a Fœuvre. Bracelets, pendans d'oreilles, diadèmes, tout sortant toujours de son palais seul et déguisé; mais au
trouva sa placé; elle achevait d'agrafer un superbe collier à bout d'un an, ayant reçu du grand-duc son père une lettre
son cou, lorsqu'elle vit derrière elle une autre tête rc&échie qui lui disait que de pareiDes promenades étaient dange-
dans la glace; elle se leva vivement et se trouva en f~ce du reuses pour un prince, il donna a Pictro un emploi dans t&
grand-duc Francesco, qui venait d'entrer par une porte dé- palais Pitti, et acheta pour Bianca la charmante maison
robée. qui se voit encore aujourd'hui ?JM lIlagyio, surmontée
Alors, avec cette rapiditéd'esprit qui la caractérisait, elle des armes des M-'dicis. Ainsi, Bianca. se trouva tellement
comprit tout :t'oupissantd'!honte, elle porta les mains à rapprochée de. Francesco, qu'il n'avait besoin, pour ainsi'
son front, et se laissant tomber sur ses deux genoux dire, que de traverser la place Pitti, et qu'il.se trouvait chez
Monseigneur 1 lui dit-elle, je suis une pauvre femme qui elle.
n'ai pour tout bien que moa honneur, qui n'est même plus On sait les dispositions qu'avait Pietro à la dissipation et
à moi, mais à mon mari au nom du ciel, ayez pitié de à l'insolenoe. Sa nouvelle position leur donna une nouvelle
moi!I force. 11 se jeta à plein corps dans les orgies, dans le jeu et
Madame, dit !e duc en ta relevant, qui vous a donné de dans les aventures galantes, se fit force ennemis des bu-,
moi cette cruellp idée? Rassurez-vous, je ne suis point venu veurs vaincus, des joueurs à sec et des maris trompés, si
pour porter atteinte à votre honneur, mais pour vous conso- bien qu'un beau matin on le. trouva percé de cinq ou six
ler et vous i)ider dans votre infortune. Mondragone m'a dit coups de poignard, dans une impasse, à l'extrémité du pont
quelque chose de vos aventures; racontez-les-moi tout en- Vieux.
tières, et je vous promets de vous écouter avec autant d'in- Il y avait trois ans que les deux amans étaient partis de.
térêt que de respect. Venise en jurant de s'aimer toujours, et i) y avait deux ans
Bianra était prise reculer, c'était paraître craindre, et que chacun de son coté avait oublié sa promesse. Il en ré-
paraître craindre, c'était avouer qu'on pouvait* céder d'ail- sulta que Pietro fut peu regrette, m&me de sa femme, pour
leurs cette occasion qu'elle avait tant désirée, de faire lever laquelle deputs. longtemps il n'était qu'un étranger. Il n'y
le ban de son mari, venait se présenter d'ette-mfme c'eût. n'y eut que la bonne vieille mère qui mourut de chagrin de
donc été mériter sa proscription que de ne pas en pro6ter. wir ainsi mourir son fils.
Bianca voulait rester deb&ut devant le prince, mais ce fut La pauvre Jeanne d'Autriche, de son côte, n'était pas.
lui qui ta nt asseoir et qui demeuraappuyé sur sonfauteuil, heureuse elle était grande-duchesse de nom, mais Bianca.
la regarda'nt et t'écoutant. La jf-uue femme n'eu), besoin que Capello t'était de fait. Pour les emplois, pour tes grâces,,
de laisser parler ses souvenirs pour être intéressante: elle pour tes faveurs, c'était a.1% Vénitienne uu'on s'adressait.
lui raconta~ tout, depuis ses jeunes et {ralehe& amouts jus- La Vénitienne était toute puissante; elle avait des pages~
qu'à son arrivée à Florence. La elle s'arréta.; en allant plus une cour, des, tueurs ies pauvres seuls allaient à là
loin, elle eût été forcée de parler au prince de lui-même, et grande-duchesse Jeanne. Or. Jeanne élait une femme pieuse
!t y avait certaine histoire d'un bouquet tombé par la fenêtre et sévère comme le sont ordinairement les princesses de la
qui, t<mt innocente qu'elle était, n'aurait pas laissé de lui maison d'Autriche, elle offrit religieusementses chagrins à
eaaser quelque embarras. Dieu Dieu abaissa les yeux vers elle, vit ce qu'elle souffrait,
Le prince était trop heureux pour ne pas tout promettre. et la retira de ce monde.
Le sauf-conduit tant désiré fut accordé à l'instant même, Onattribuacette mort à ce que, le frère de la Bianca
mais à la condition cependant que Bianea viendrait le étant venu à Florence, Francesco lui fit si grande fête qu'iÏ
prendre elle même. C'eût été perdre une grande faveur pour n'eût pas faitdavautage pour un roi régnant, ce qui, selon
une bien petite formaiité. Bianca promit à son. tour ce que le peuple, causa tant de peine à la malheureuse Jeanne, que
demandait te princR. sa grossesse tourna a mal si bien qu'au lieu d'un second
Francesco coxnaissait trop bien les femmes pour avoir fils que Florence complait acconpapner joyeusement au
parlé le premier jour d'autre chose que de t'intéret qu'il baptistère, il n'y eut que deux cadavres qu'elle conduisit
éprouvait pour Kanca. Ses yeux avaient bien quelque peu tristement au tombeau.
Démenti sa bouche, mais le moyen d en vouloir à des yeux Le grand-duc Francesco n'était point méchant il était
qui vous regardent parce qu'ils vous trouvent belle 1 faible, voilà tout. Cette sourde et lente douleur qui minait
A peine le prince fut-il sorti que la comtesse rentra. sa femme lui causait de temps en temps des tristesses qui
Bianca, fn)'apprcevant, courut à elle et se jeta à son cou. La ressemblaient à des remords. Au moment de mourir, Jeanne
Mondritgonen'eut pas besoin d~autre explication pour com- essaya de tirer parti de ce sentiment; elle fit venir à son
pFendre~que sa petite trahison tui étaU pardonnée. chevet le grand-duc, qui, depuis qu'elle était tombée mae
Le lecteur voit que nous nous approchons du cardinal lade, s'était montré excellent pour elle. Sans lui faire de re-
'FercMnand,puisque nous en sommes déjà. à son frère. proches sur ses amours passés, elle le supplia de vivre plus
La belle-mère ne sut rien de ce qui s'était passé, et Bona- religieusement à l'avenir. Francesco, tout en baignant ses
I~Bturi sut seulement qu'il aurait le sauf-conduit. Cette mains de larmes, lui promit de ne point revoir Bianca.
Oouvette'parut lui causer une si grande joie, que, certes, si Jeanne sourit tristement, secoua la tête d'un air de doute,
Bianca eût su le rendre heureux à ce point, eUe n'eût pas murmura une prière dans laquelle le grand-duc entendit
tfouvé que c'était; t'acheter trop cher que d'être forcée de plusieurs fois revenir son nom, et mourut.
le recevoir ctte-m&me des mains d'un jeune et beau prince. Elle laissait de son mariage trois tilles et un fils.
Elle attendit, donc avec impatience le moment oû.ctte rever- Pendant quatre mois Francesco tint parole pendant
rait le grand-duc, tant elle se fit une fête de rapporter de quatre mois Bianca fut non pas exilée, mais du moins éloi-
cette entrevue le bienheureux papier que PieLro estimait à gnée de Floreuce. Mais Bianca connaissitit sa puissance
-si haut prix. Hétas 1 ce papter n'était si fort désiré par elle laissa le temps passer sur la douleur, sur les remords
Pietro que parce qu'ittui donnait la liberté de suivre le jour et sur le serment du grand-duc puis, un jour, elle se
-tt damevoitée qu'il n'avait encore pu suivre que la.nuit.. plaça sur son chemin douleurs, remords, serment, tout fut
!t arriva ce qui devait arriver. Pietro fut t'amant de la dame alors oublié.
voitéf, et Dianca fut la maitresse du duc. Ccpeitdant, attendu Elle avait pour confesseur un capucin adroit et intrigant
que Cosme lef négociait à cette époque le mariage du grand- comme un jésuite elle le donna au prince. Le prince lui
duc François avec t'archiduchcssc Jeatme d'Autriche, n fut confia ses remords; le capucin lui dit que le seul moyeR
convMut tntre les deux amans que t'intrigue resterait du les calmer était d'épouser Bianca. Le grand-duc y avait
secrète: en att~utam on donna il Pietro Bonaventuri un déjà pensé. Son pcr< Cosmo le-Grand, lui avait donné'le
emploi qui suffisait pour répandre le bien-être dans toute sa même exempte,, eu épousant Uans sa vieillesse Camilla Mar-
pauvre famine. telli. On avait forL crit' qn.nu) ce mâtine avait eu lieu, mais
Le n)nriHnC dt'sitc se lit tf jt'u))e grand-uuc donna une entitt ou avait ft~i p:u' s~ tait' Fm~ct'sco pensa qu'i!. Ci)
année aux convenance.s, nu visitant Bianca oue la nuit, et serait pour ~)i comn.e il en t:it c:e pour Cosnic ) et, k)U'
jours poussé par le capucin, il se décida enfin à mettre chambre de Bianca qui, du plus loin qu'ellel'aperçut, lui pré-
d'accord sa conscienceet ses désirs. senta son enfant Le grand-duc pensa devenir fou de joie, et
Depuis longtemps les courtisans, qui avaient vu que le l'enfant fut baptise sous le nom de don Antoine, Bianca
vent soufnait de ce côte, avaient parlé devant le grand-duc avant déclaré que c'était aux prières de ce saint qu'elle de-
de ces sortes d'unions comme des choses les plus simples, vait la première conception qui les rendait tous si heureux
et avaient cité tous )e~ exemptes que leur mémoire avait pu à cette heure.
leur fournir de princes choisissant leur femme dans une fa- Dix-huit mois après l'accouchement de Bianca, on ren.
mille non princière. Une dernière flatterie décidaFrancesco voya dans sa patrie la Bolonaise qui avait conduit toute cette
Venise, qui, dans ce moment, avait besoin de Florence, dé- intrigue. La gouvernante partit sans défiance et comblée de
clara Bianca Capello fille de la république; si bien que, prions; mais, en traversant les montagnes, sa voiture fut
tandis que le carnmal Ferdinand, qui se doutait des réso- attaquée par des hommes masqués qui tirèrent sur elle et
lutions de son frère, lui cherchait une femme dans toutes la laissèrent pour morte, blessée de trois coups d'arquebuse.
les cours de l'Europe, celui-ci épousait secrètement la Bian- Néanmoins, contre toute attente, elle reprit ses sens, et,
ca dans la chapelle du palais Pitti. comme le juge du village où elle avait été transportée l'in-
Il avait été arrêté que le mariage resterait secret, mais ce terrogeait, elle déclara que, le masque d'un de ces hommes
n'était point l'affaire de la grande-duchesse; elle n'était pas étant tombé, elle avait reconnu un sbire au service de la
arrivée si haut pour s'arrêter en chemin, et six mois ne s'é- Bianca; qu'au reste, elle avait mérité cette punition (quoi-
taient pas passes, qu't-npuMic comme en secret, surtetrône qu'elle ne s'attendit point à la re';evoir d'une-sembtabte
comme dans* te lit, elle avait repris la place de la pauvre main), puisqu'elle avait aidé à tromper le grand-duc Fran-
Jeanne d'Autriche. çois en donnant à sa maîtresse le conseil de se faire passer
Ce fut vers cette époque que Montaigne, dissuadé par un pour enceinte, et, le projet adopté, en apportant elle-mcme
Allemand qui avait été volé à Spolette de se rendre à Rome dans un luth l'enfantdont une pauvre femme était accouchée
par la marche d'Ancône, prit la route de Florence et fut ad- la veille. Or, cet enfant n'était autre que celui qui était été
mis à la table de Bianca. vé sous le titre du jeune prince, et sous le nom de don An-
Cette duchesse, dit-il, est belle à l'opinion italienne, un tonio. Cette confession faite, la femme expira. Aussitôt le
visanc :'gn'a)))e et i))))~rienx, le corsage droit et les tétinsà procès-verbal en fut envoyé à Rome au cardinal Ferdinand
souhait elle me sembla bien avoir la sufRsance d'avoir en- de Médicis, qui en fit faire une copie qu'il adressa à s"n frère;
jôlé ce prince et de le tenir à sa dévotion depuis longtemps. mais il fut facile à Bianca de faire croire a son amiint que
Le grand-duc mettait assez d'eau dans son vin, mais elle tout cela n'était qu'une intrigue ourdie contre elle, et l'a-
quasi point. n
mour-du grand-duc ne fit que s'augmenter de ce qu'il regar-
Qu'on mette ce portrait à coté de celui du Bronzino, et dait comme une persécution dirigée contre sa mattresse.
l'on verra que tous deux se ressemblent; seulement il y a Cependant, l'affaire, on le comprend bien, avait fait trop
dans le tableau da sombre peintre toscan un caractère de de bruit pour que don Antonio put prétendre à l'héritage de
fatuité qui ne se trouve pas sous la plume du naïf mora- son père. Le trône revenait donc au cardinal, si la grande-
liste français. duchesse n'avait pas d'autre enfant, et Francesco lui-même
Trois ans après le mariage de Francesco et de Bianca, commençait à désespérer d'un tel bonheur, lorsque Bianca
c'est ~-dire au commencement de l'année <S83, le jeune ar- annonça une seconde grossesse.
chidUc mourut, laissant le trône de Toscane sans héritier Cette fois, le cardinal se promit bien de surveiller lui-
direct; or, à défaut d'héritier direct. le cardinal Ferdinand même les couches de sa bette-sœur, afin de n'être pas dupe
devenait grand-duc à la mort de son frère. de quelque nouvel escamotage. En conséquence, il commen-
En ~ST6, le grand-duc Francesco avait eu un fils de ça par se raccommoder avec son beau-frère François, en lui
Bianca mais ce fils étant adultérin ne pouvait succéder à disant que cette nouvelle preuve de fécondité qu'allait don-
son père; d'ailleurs on racontait de singulières choses sur ner la grande-duchesse, lui prouvait bien qu'il avait été
sa naissance. On racontait que la Bianca, voyant qu elle trompé une première fois par un faux rapport. François,
n'aurait jamais probablement d'autre enfant qu'une petite heureux de voir son beau-frère désabusé, revint à lui avec
fille qu'elle avait eue de son mari, et qui s'appelait Pette- toute la franchise de son ccpur. Le cardinal profita de ce
gri~a, avait résolu d'en supposer un. En conséquence, elle rapprochement pour venir s'installer au palais Pitti.
s'était entendue avec une gouvernante bolonaise dans laquelle L'arrivée du cardinal fut médiocrementagréable à Bianca,
ci)c avait toute confiance; et voilà, disait-on, ce qui était qui ne se méprenait pas à la véritable cause de cette recru-
arrivé. descenced'amnur fraternel. Bianca sentait qu'elle avait dans
Bianca avait feint toutes les indispositions,symptômes or- le cardinal un espion de tous les instans aussi de son côté,
dinaires d'une grossesse; bientôt à ces indispositions s'é- fit-elle si bien qu'il fut impossible de la prendre un seul
taient joints des signes extérieurs, si bien que le grand-duc, instant en défaut. Le cardinal lui-même doutait. Si cette
n'ayant plus aucun doute, avait annoncé iui-méme à ses plus grossesse n'était pas uneréatité, la comédie était habitement
intimes que Bianca allait le rendre père Dés lors le crédit jouée; mais tant d'adresse le piqua au jeu, et il résolut de
de la favorite avait doublé, on avait été au devant de tous ne pas demeurer en reste d'habiteté.
ses désirs, et tous les courtisans, plus empressés que ja- Le jour de l'accouchement arriva; le cardinal ne pouvait
mais auiour d'elle, lui avaient prédit un uts. rester dans la chambre de Bianca, mais il se plaça dans la
La nuit du 29'au 50 aoùt <ST6 fut choisie pour être celle chambre voisine, par laquelle il fallait nécessairement pas-
de l'accouchement; vers les onze heures du soir, Bianca an- ser p~.ur arriver jusqu'à elle. L~ il se mit a dire son bréviai-
nonça donc son mari qu'elle commençait à éprouver les re en marchant à grands pas. Au bout d'une heure de pro-
prenticres douleurs. Francesco, tremblant et joyeux à la menade, on vint le prier, de la part de la malade, de passer
fois, déclara qu'il ne la quitterait point qu'elle ne fùt déii- dans une autre chambre, attendu qu'il l'incommodait.
vrée. Ce n'était point là l'affaire de Bianca; aussi, vers les Qu'elle fasse son affaire, je fais la mienne, répondit le car-
trois heures, les douleurs commencèrent à s'apaiser, et la dinal. Et, sans vouloir rien entendre, il se remit à mar-
sage-femmedéclara qu'elle croyait que la patiente tt'accou- cher et à prier.
cherait que dans trois ou quatre heures. Alors Bianca in- Un instant après, le confesseur de la grande-duchesse
sista pour que Francesco, fatigué de la veille, atjat prendre entra C'était un capucin à longue robe. Le cardinal alla à
que!que repos; Francesro'éda à la condition qu'on le ré- lui et le prit dans ses bras pour lui recommander sa soeur
veillerait aussitôt que sa bien aimée Bianca recommencerait avec une affection toute partit uticre. Tout en embrassant le
!t souffrir. Bianca le lui promit, et sur cette promesse, le bon moine, le cardiua) sentit ou crut sentir quelque chose
grand-duc se retira. d'étrange dans sa grande manche il y fourra la main, et en
Deux heures après, on alla le réveiller en effet, mais pour tira un gros garçon.
lui annoncer qu'il était père d'un garçon. Il courut à la Mon frère, dit le cardinal, me voie: plus tranquille, et
je suis sûr du moins que ma belle-soeur ne mourra point en madone s'alourdit tout a coup, au point qu'il fut impossi-
couches. ble au prêtre de faire un pas de plus. Le prêtre comprit
Le moine comprit que le mieux était d'éviter le scandale; qu'il
( était arrivé à sa destination il s'arrêta donc, et, avec
il demanda au cardinal ce qu'il devait faire. Le cardinal lui les aumônes des fiuèles, il fonda l'oratoire de Montenero.
dit d'entrer dans la chambre de )a grande-duchesse, et de Un an après, le capitaine d'un vaisseau livournais ayant
lui dire, tout en la confessant, ce qui venait d'arriver selon fait un voyage au mont Eubée, déclara avoir pris, dans la
qu'elle ferait, le cardinal devait faire. Le silence amènerait montagne même qu'avait habitée ta madone pendant deux ou
le silence, et le bruit amènerait le bruit. trois sièc.tcs, la mesure de la place qu'elle occupait cette
La grande-duchessevit que, pour cette fois, il lui fallait mesure s'accordait ligne pour ligne avec sa largeur et avec
renoncer à donner un héritier à la couronne, et elle prit le sa hauteur.
parti de faire une fausse couche. Le cardinal, de son côté, Dès lors il n'y eut plus de doute sur la réalité du miracle,
tint parole, et ne révéla rien de cette tentative avortée. que pour les artistes, qui reconnurent la madone pour être
I) en résulta que rien ne troubla la bonne harmonie qui ré- une peinture de Margaritone, un des contemporains de Ci-
gnait entre les deux frères. L'automne suivant, le cardinal mabué, le même Margaritone qui crut avoir récompensé di-
fut même invité par François à venir passer les deux mois de gnement Farinata des Uberti en lui envoyant lorsqu'il eut
villegiatura & Poggia à Cajano. Il accepta, car il était grand sauvé Florence, après la bataille de Monte Aperto, un cruci-
amateur de chasse, et le château de Poggio à Cajano était fix peint de sa main. Dieu punit son orgueil le pauvre vieil-
une des réserves les plus giboyeuses du grand-duc Fran- lard mourut de chagrin en voyant les progrès que Cimabué
çois. avait fait faire à l'art.
Le jour même de l'arrivée du cardinal, Bianca, qui savait Nous recommandonsaux artistes la madone de Montene-
que le cardinal aimait les tourtes confectionnéesd'une cer- ro comme un curieux monument de la peinture grecque au
taine façon, voulut en préparer une elle-même. Le cardinal xnr* siècle.
appritparlegrand-ducFrancesco cette attention de sa belle- rentrant, nous fimes prix avec un voiturin, et
Le soir, en
sœur, et comme il n'avait pas une confiance bien profonde le lendemain matin à neuf heures nous partîmes pour Fto-
dans sa réconciliation avec elle, cette gracieuseté de sa part rence.
ne laissa pas de l'inquiéter. Heusement le cardinal possédait
une opale qui lui avait été donnée par le pape Sixte-Quint,
et dont la propriété était de se ternir quand on l'approchait
d'une substance empoisonnée.Le cardinal ne manqua point
d'en faire l'épreuve sur la tourte préparée par Bianca. Ce
qu'il avait prévu arriva. Errapprochant de la tourte, l'opale
se ternit, et le cardinal déclara que toute réflexion faite, il RÉPUBLIQUES ITALIENNES.
ne mangerait pas de tourte. Le duc insista un instant.
.Voyant que ses instances étaient inutiles -Eh bien! dit-il
en se retournant vers sa femme, puisque mon frère ne man-
ge pas de son plat favori, j'en mangerai, moi, afin qu'il ne
soit pas dit qu'une grande-duchesse se sera faite pâtissière Un mot d'histoire sur cette Italie que nous allons parcou-
inutilement; --et i) se servit un morceau de la tourte. rir en faisant d'abord le tour du tronc, nous verrons mieux
Bianca fit un mouvement pour l'en empêcher, mais elle ensuite dans quelle direction s'étendent tous les rameaux.
s'arrêta. La position était horrible: il fallait ou qu'elle Dieu mit six jours à sa genèse l'Hatie six siècles à la
avouât son crime, ou qu'elle laissât son mari mourir empoi- sienne.
sonné. Elle jeta un coup d'œil rapide sur sa vie passée, elle Ce furent surtout les villes des côtes, qui, les premières,
vit qu'elle avai t épuisé toutes les joies de la terre, et atteint se trouvèrent mûres pour la Hberté. Déjà, du temps de Solon,
toutes les grandeurs de ce monde. Sa décision fut rapide, on avait remarqué que les marins étaient tes plus indépen-
comme elle l'avait été le jour où elle avait fui de Venise dans des hommes. Ainsi que les déserts, la mer est un re-
avec Pietro elle coupa un morceau de tourte pareil à celui fuge contre la tyrannie; l'homme qui se trouve sans cesse
qu'avait pris le grand-duc, lui tendit une main, et mangea de entre le ciel et l'eau, riche et puissant de l'espace qu'il a
l'autre en souriant le morceau empoisonné. devant lui, a bien de la peine à reconnaître d'autre maitre
Le lendemain,Francesco et Bianca étaient morts. Un mé- que Dieu.
decin ouvrit leurs corps par ordre de Ferdinand, et déclara Il en résultait que Gènes et Pise relevaient bien de l'em-
qu'ils avaient succombé a une fièvre maligne. Trois jours pire comme les villes de l'intérieur, mais, plus que celles-ci
après le cardinal jeta la barette aux orties et monta sur le- cependant, elles s'étaient peu à peu soustraites.~ sa domi-
trône. nation. Dans les expéditions qu'elles faisaient pour leur
Voici l'histoire de celui dont la statue s'élève sur la place propre compte dans les iles de Corse et de Sardaigne, elles
de la Da?'Mn<t a Livourne. La carrière du cardinal fut encore traitaient depuis longtemps de la paix et de la guerre, des
marquée par beaucoup d'autres actes, témoin les quatre es- rançons et des tributs, et cela selon leur bon plaisir et sans
claves enchaînés qui ornent !e piédestal de sa statue; mais en rendre compte à personne. Grâce à cet acheminement
nous croyons avoir raconté la partie de sa vie la plus cu- vers l'indépendance, ces deux villes étaient déjà, sur la fin du
rieuse et la plus intéressante,et pour le reste nous renver- XO siècle, dans un si grand état de prospérité, qu'en 982,
rons nos lecteurs à Galuzzi. Othon envoya sept de ses barons pour obtenir de la marine
Comme sur la place, outre la statue, il y a force fiacres, pisane un renfort de galères qui le secondât dans son ex-
nous montâmes dans l'une de ces voitures, et nous nous pédition de Calabre.- Pendant qu'ils étaient à Pise, Othon
fimcs conduire à l'église de Montenero. mourut. Cette mort rendait leur voyage inutile; mais ce n'é-
Cette église renferme une des madones les plus miracu- tait pas sans envier le sort des Toscans qu'ils avaient vu la
leuses qui existent. Une tradition populaire veut que cette fertilité de leur plaines et la richesse de leurs cités. Séduits
sainte iwage, native du mont Eubée dans le Négrepont, se par les promesses d'avenir que le ciel avaient fait à ce beau
soit lassée un jour de sa patrie. Cédant à un désir de loco- pays, ils obtinrent de la municipalité le titre de citoyens, et
motion bien flatteur pour l'Occident, elle apparut à un prê- de Févéque t'inféodation de quelques châteaux. Ce fut la tige
tre et lui ordonna de la transporterau Moutenrro. Le prêtre des sept familles pisanes qui demeurèrent trois siècles à la
s'informa de la partie du monde où se trouvait cette mon- tête de la faction guelfe ou gibeline. Ils se nommaient Vis-
tagne, et apprit que c'était aux environs de Livourne. Aus- conti, Godimari, Orlandi, Vecchionesi, Gualandi, Sismondi,
sitôt il se mit en marche, portant la sainte image avec lui, Lanfranchi
et, après un voyage de deux mois, arriva :t sa destination, Desoncûté, Gènes, couchée aux pieds de ses montagnes
qui lui fut indiquée par un miracle des plus concluans la arides, qui la séparent comme une muraitie de la Lombardie,
ncrc dé l'un des plus beaux ports de l'Europe, déjà peuplé à la grande querelle qui divisait l'Italie, n'y était point
dé vaisseaux au X<- siècle, tirant de sa situation le hénélice entrée avec la même ardeur que celle des autres vil'les;
d'être isoler do siège de l'empire, se livrait dans toute l'ar- elle restait divisée, il est vrai, en deux parits, mais non en
deur de sa jeune existence au commerce et à la marine. d~x camps. Chacun de ces partis s'observait avec plus de
Ï'iliée en 9~() par lés Sarrasins, moins d'un siècle après, c'é- dénance que de haine, et si ce n'était déjà plus la paix, ce
tait elle qui se liguait avec les Pisans pour aller leur repor- n'était du moins pas encore la guerre.
ter en Sardaigne ~e fer et 'le feu qu'ils étaient venus appor- Parmi les familles guelfes, une des plus nobles, des p1a&
ter en Ligurie, et Can'aro, auteur de sa première chronique puissantes et des plus riches, était celle des Buondelmonri.
co'i'.mpncée en «O) et achevée en «6Ï, nous apprend qu'a L'aîné de cette maison était fiancé avec une jeune Btte de la
cette époque Gènes avait déjà des magistrats suprêmes, ,qï)e 'fanntte des Amadei, alliée aux Uberti, et connue pour ses
ces magistrats portaient le titre de consuls, qu'ils siégeaient opinions gibelines Buondetmonte des Buondetmonti était
~ternativemént au nombre de quatre ou de six, et qu'Us seigneur de Monte-Buono, dans le val d'Arno supérieur,
restaient en place trois ou quatre ans. et habitait un superbe palais situé sur la place de'la Trinité.
Quant aux vi)ies nu centre de l'Italie, elles étaient aeweu- Un jour que, selon son habitude, il traversait, à cheval et
rées en retard. ~esprit de liberté qui 'avait so~nlé sur les magnifiquement vêtu, les rues de Florence, une fenêtre s'ou-
côtes avait bien .pas~é sur Mian, sur Flotence, sur Pérouse vrit sur son passage, et il s'entendit appeter.par son nom.
et sur AreMo; mais~yant pdittt la mer po'ur ? lancer'ieurs Buondetmonte se retourna; mais, voyant que celle' qui
Vaisseaux, ces vitles avai''nt continué d'obéir airx emp'e- 1'appelait était voilée, n continua son chemin.
reurs lorsque le moine Hildebrand l'ut appelé, en <<075~ au La dame l'appela une seconde fois, et leva son voite. ÂÏors
pontificat, sousi'e'nbmne Crégo!re\r!; ÏïenriIVTégnait Buondetmohte la reconnut pour être de tamaison des Donati,
'alors. et arrêtant son cheval, il lui demanda avec courtoisie'ce
Trois ans à peine s'étaient écoulés depuis l'exaltation du qn'elle avait à lui dire.
iMUveau pape, dans~c~ùëi devait se personniner.ia démo Je n'ai qu'à te féliciter sur ton ,proctiain mariage,
cratiedu moyen-âge, qu'en jeta'nt!eS yeux sur TËurope, et Buondelmonte, reprit la dame d'un ton rai))eur~ je
en voyant le peuple poindre partout comme les hiés en avril, qu'admirer ton dévouement, qui te fait allier à une ne veux
maison
il avait compris que c'était à lui, successeur de Saint-Pierre, si fort au-dessous de ia tienne. Sans doute un ancêtre des
de recueillir cette moisson de liberté qu'avait semée la pa- Amadci aura rendu quelque grand service à un des tiens, et
role du Christ. Dès ~076, il publia donc une décrétale qui lu acquittes une dette de fami))e.
défendait à fes succpsseurs de soumettre leur nomination à Vbus vous trompez, noble dame, répondit'Buondel-
la puissance temporelle de ce jour la chaire pontificale fut monte; si quoique distance existe entre nos deux maisons,
placée au même étage que le trône de l'empereur, et le peu- ce n'est point la reconnaissance qui i'ëuace~ mais Nen F~-
ple eut son César. mour. faime I~ucrezia Amadei, ma Bancée, et jerëpouse
Cependant Henri T~ n'était pas 'p~us de caractère à renon- parce que je Talme.
cer à ses droits, que Grégaire Vil n'était d'esprit à s'y sou- Pardon, seigneur Buondelmonte, continua !a Gua!aM-
mettre il répondit à la décrétale par un rescrit. Son ambas- da; mais il me sembtaitque~e plus noble devait épouser']a
sadeur vintensonnom à Rome ordonner au souverain pon- plus riche, Ja plus riche le plus noDé, et le p!us beau la
ti'fe de déposer la thiare, et aux cardinaux de se rendre à plus belle.
sa
cour, afin de designer un autre pape. ta ~ançe avaitrencon- Mais jusqu'à présent, répondit Buonddmonte, U n''y
trè le bouclier, le fer avait repoussé le fer. a que te miroir que je lui ai fait venir de Venise qui m'ait
'Grégoire Vît répondit en excommunian't l'empereur. montré une figure comparable à celle de Lucrezîa.
A la nouvelle de celle mesure, les princes aliemands se 'Vous avez mal cherché, monseigneur, ou vous
rassembtcreni à teritourg, et <:omme l'empereur dans sa co- vous
êtes iassé trop vite. Florence peroT-ait bientôt son nom de
)ére avait dépassé ses droits, qui retendaient à l'investiture 'vincdes~eurs, si elle ne comptait .point dans son parterre
'et non à la nomination, ils meBacaiettt de le déposer en de plus be))e rose que celle que vous allez cueillir
vertu du même droit qui l'avait élu, si, dans le terme d'une Ftorence,a peu de jardins que je n'aie visitès,,peu de
année, f) ne s'était pas t'éconciïië avec le saint-siége. Ûeurs dont je n'aie admiré les couleurs ou respiré te par-
'hënri fut forcé d'obéir il apparut en suppliant au sommet fum et il n'y a guère que les marguerites et les violettes
(te ces Alpes qu'il avait menacé de tranchir en vainqueur et qui aient.pu échappera mes yeux en se cachantsousl'herbe.
,par an hiver rigoureux, il traversa I'Italie.pour .aller, à ge- Il y a encore le lis gui ,pousse au bord des fontaines
noux et pieds nus, demander au pape 'l'absolution de sa et grandit à l'ombre des saules, qui baigne ses .pieds dans
tante. Asti, Milan, Pavie, Crémone et Lodi le virent ainsi le ruisseau pour conserver sa fraîcheur, et qui cache sa
passer; et, fortes de sa faiblesse, elles saisirent~ prétexte beauté dans la solitude pour garder sa pureté.
de son excommunicationpour se délier de leur serment. De
La signora Gualdrada aurait-eile dans le jardin de son
.Son côté, Henri !V, craignant d'irriter encore le pape, ne
tenta point même de les faire rentrer sous son obéissance et palais quelque chose de pareil a me faire 'voir?
ratilia leur liberté: ratification dont elles auraient à la ri- Peut-être, si le seigneur Buondelmonte daignait me
gueur pu se passer, comme le pape de l'investiture. Ce fut faire l'honneur de le visiter.
de cette division entre le saint-siége et l'empereur, entre le Bnondelmonte jeta la bride de son cheval aux mains te
peuple etta féodalité, que se formèrent les factions guelte et son page et s'élança dans te palais ~Donati.
,gibeline. La Gnaldrada j'attendait au'haut de I'esca!!er; e!)e'te
Pendant ce temps, et comme pour préparer la liberté de guida par des corridors obscurs jusque une chambre reti-
Ftoreoce, Godefroy de Lorraine, marquis ,de toscane, et rée. Elle ouvrit )a porte, souleva la tapisserie, et Buondel-
B( a)rix sa femme mouraient l'un en ~070 et l'autre en )07C, monte aperçut une jeune fille endormie.
laissant la comtesse Mathilde héritière et souveraine du Buondeliiionte demeura saisi d'admiration rien d'aussi
plus~rand (lefqui ait jamais existé en halie. Mariée deux beau, d'aussi frais et d'aussi pur ne s'était encore offert àsa
fois, la première avec Godefroy le jeune, la seconde avec vue. C'était une de ces têtes hlondes si rares en Italie que
Gudfe de Bavicrc, elle se sépara successivement de ses deux 'Baphai'tcn fait le type de sesvifrges; c'était un teint si
époux et mourut sans héritier, léguant ses biens à la chaire b)anc qu'on aurait dit qu'i) s'était cpanoui au p~tc soleil du
devint Pierre. x~rd c'ctait t)ne taille si aérienne que Buond~imonteo'ai-
C~'tte mort laissa Florence ;) peu près libre d'imité)' les 'gnait de respirer, de peur que cet ange, en se rcvt'iHant, ne
autres villes d'Italie. Elle s'('h~ea donc en république, don- remnnt~tau cie) ) 1
nant a son tour t'exempte qu'ctie avait reçu, à Sienne, à Pis- La Guahtrada laissa retomber le rideau. Bnoih~imontc
loi:) et à AreMO. fit un mouvement pour la retenir, elle lui arrêta la m.nn.
Cependant. la noblesse florentine, sans rester indifférente -Voici la fiancée que je t'avais ~.n'déR, sotituirc ut pure)
lui dit-elle mais tu t'es hâté, Buondelmonte, tu as offert de la Chandeleur ~2~8, le parti guelfe vaincu fut forcé d'a-
ton coeur à une autre. Va t c'est bien va, et sois heureux. bandonner Florence.
Buondelmonte interdit, gardait le silence. Alors les vainqueurs, maîtres de la ville, se titrèrent à ces
Eh bien continua la Gualdrada, oublies-tu que la belle excès qui éternisent les guerres civiles. Trente-six palais
Lucretia t'attend? furent démolis et leurs tours abattues; celle des Toringhl!l
Écoute, lui dit Buondelmonte en lui prenant la main, qui dominait la place du vieux Marché, et qui s'ét'-vait, toutes
si je renonçais à cette alliance, si je rompais les engagemens couverte de marbre, a la hauteur de cent vingt brassées,
pris, si j'offrais d'épouser ta fille, me la donnerais-tuP. minée par sa base, croula comme un géant foudroyée. Le
Et quelle serait la mère assez vaine ou assez insensée parti de l'empereur triompha donc en Toscane, et les Guelfes
pour refuser l'alliance du seigneur de Monte-Buono!1 restèrent exilés jusqu'en <25<, époque de la mort de Fré-
Alors Buondelmonte leva la portière, s'agenouilla près déric Il.
du lit de )a jeune fille, dont il prit la main, et comme la Cette mort produisltune réaction; les Guelfes furent rap-
dormeuse entr'ouvrait les yeux « Réveillez-vous, ma belle pelés, et le peuple reprit une partie de t'influencequ'il avait
fiancée, lui dit-il. n Puis se retournant vers la Gualdrada perdue. Un de ses premiers régtemens fut l'ordre de détruire
« Envoyez chercher le prêtre, si
ma mère; et votre fille m'ac- les forteresses derrière lesquelles les gentilshommes hra-
cepte pour époux, conduisez-nous à faute) »» vaient les fois. Un rescrit enjoignit aux nobles d'abaisser
Le même jour, Buondelmonleépousa Lucia Gualdrada, de les tours de leurs palais à la hauteur de cinquante brasses,
la maison desDonati. et les matériaux résultantde cette démolition tcrvirent a été-
Le lendemain, le bruit de ce mariage se répandit. Les ver des remparts à la ville, qui n'était p~'int fertitiée dit côté
Amadei doutèrent quelque temps de l'outrage qui leur avait de l'Arno. Enfin, en ~2S2, le peuple, pour consacrer le re~
été fait, mais un moment vint où ils n'en purent plus douter, tour de la liberté à Florence, frappa avec t'or le plus put
Alors ils convoquèrent leurs parens, les Uberti, les Fifanti. cette monnaie qu'on appela florin, du nom de la ville qai lui
les Lamberti et les Gualdalandi et lorsqu'ils furent rassem- donna naissance, et qui depuis 700 ans est restée à la m~me
blés, leur exposèrent ta cause de cette réunion. Dans ces effigie, au même poids et au même titre, sans qu'aucune
temps d'honneur irascible et de prompte vengeance, un pa- des révolutions qui suivirent celle à laquelle le florin devait
reil affront ne pouvait se laver que dans le sang. Mosca pro- sa naissance ait osé changer son -empreinte populaire, ou
posa la mort de Buondelmonte, et sa mort fut résolue à l'u- altérer son or républicain.
nanimité. Cependant les Guettes, plus généreux ou ptu&co'~ians que
Le matin de Pâques, Buondelmonte venait de traverser le leurs ennemis, avaient permis aux Gibelins de rester dans
vieux pont, et descendait Longo-l'Arno, lorsque ptusieurs la ville ceux-ci profitèrent de cette liberté pour ourdir une
hommes a cheval., comme tui, débouchèrent de la rue de la conspiration qui fut découverte. Les magistrats teur firent
Trinité, et marchèrent & sa rencontre. Arrivés a une certaine alors porter l'ordre de venir justifier leur conduite; mais
distance, ils se séparèrent en deux troupes, afin de t'atta- ils repoussèrent les archers du podestat a coups de pierres
quer, de deux cotés. Buondelmonte reconnut ceux qui ve- et de fie. hes. Tout le peuple se souleva aussitôt, on vint at-
naient à lui pour des ennemis; mais soit connance dans taquer les ennemis dans leurs maisons, on fit le siège des
leur loyauté ou dans son courage, il continua sofi chemin palais et des forteresses; en deux jours tout fut fmi.Srha-
sans donner aucune marque Je défiance loin de ta, en arri- zetto des Uherti, le même qui avait assommé Buonftetmonte,
vant près d'eux, il les salua avec courtoisie. Alors SchazeXo mourut les armes
des Uberti sortit de dessous
la main. Ln autre Uberti et nu Infangatt
son manteau son bras armé o'rent la tête tranchée sur la place du vieux Marché, ef c'-ux
d'une masse, et d'un seul coup ii renversa B'~ond~montede qui échappèrent au massacre ou à la justice, gnidés t'arFa-
cheval. Au même moment, Ad'to Arrighi mettant pied A terre. rinata des Uberli, sortirfntdeta ville et attërent demander
de peur qu'il ne fùt qu'étourdi, lui ouvrit les veines avec a Sienne un asile qu'elle leur accorda.
son couteau. Buondelmonte se traina jusqu'au pied de Mars, Farinata des Uberti était un de ces hommes de la famille du
protecteur pa<en de Florence, dont la statue était encore de- baron des Adrets, du connétableBourbon, et de Lesdiguiéres,
hout, et expira. Le bruit de ce meurtre ne tarda point re- qui naissent avec un bras de fer et un c'pur de bronze, dont
tentirdans la ville. Tous les parens deBuondehnonteseras- tes yeux s'ouvrent dans une ville assiégée et se ferment
semblèrent dans la maison mortuaire, tirent atteler un char, le champ dehataitte plantes arrosées de sang et qui portent sur
-et y placèrent dans une bière découverte le corps de la vic~ des fleurs et des fruits sangtans
time. La jeune veuve s'assit sur le bord du cercueil, ap- La mort de )'empereur lui ôtait la ressource ordinaire aux
puya la tête fracassée de son époux sur sa poitrine; les Gibctins, qui était de s'adresser à t'cmpereur. t) envoya
plus proches parens l'entourèrent, et le cortège se mit en alors des députés !) Manfred, roi de Sicile. Ces députés de-
marche par les rues de Florence, précédé du vieux père de mandaient une armée. Manfred offrit cent hommes. Les
Buondelmonte, qui, vêtu de deuil, et monté sur un cheval bassadeurs étaient sur te point de refuser cette offre qu'ils am-
caparaçonné de noir, criait de temps en temps d'une voix regardaieut comme dérisoire; mais Farinata leur écrivit:
sourde Vengeance! vengeance! vengeance ) Acceptez toujours, t'important est d'avoir la bannière de
(
A la v.ue de cadavre ensanglanté, à la vue de c~Uc be))e Manfred parmi les nôtres, et quand nous l'aurons, j'irai la
veuve pleurante et les cheveux épars, a la vue de ce père planter dans un tel lieu qu'il faudra bien qu'il nous envoie
-qui précédait )e cercueil de Teufant qui aurait dû suivre )e un renfort pour l'aller reprendre.
sien, Ics esprits s'exaltèrent et chaque maison noble pritt Cependant t'armée guette poursuivit les Gibelins, vint
parti selon son opinion, son alliance ou sa parenté. Qoa- éfat'tir son camp devant la portt'dcCnmogtia, dont laet
rante-deux familles du premier rang se firent Guelfes, c'est- su're était si douce à Aifiéri (<). Après quelques escarmouches pous-
à-dire Papistes, et prirent le parti de Buondetmontc; vingt- sans conséquence, Farinata, ayant
r''çu les cent hommes
quatre se déclarèrent Gibelins, c'i'st-a-dire Impériatistes, et d armes que lui envoyait Manfred, ordonna une sortie et
reconnurent les Uberti pour leurs chefs. Chacun rnssembta leur lit distribuer les meitteurs vins de la Toscane, puis lors-
ses serviteurs, fortifia ses palais, é)cva ses tours, et pendant qn'it vit le combat engagé entre les Guelfes tes Gibelins,
et
trente trois ans la guerre civile, se renfrrmantdans les murs sous prétexte de dégager les siens, il mit à la tête tle ses
de Florence, courut échevelée par ses rues et par ses places anxiliaires allemands, et leur fit fairese charge tettement
publiques. une
profonde, que lui et ses cent hommes d'armes se trouvèrent
Ce,pl'nda.nt les Gibelins qui, comme on l'a vu, étaient nu- enveloppés par tes ennemis. Les Allemands se battirent en
mériquementles plus faibles de prcs de mni~ie, désespérant désespérés, mais la partie était
de vaincre s ils étaient réduits tcurs propres forces, s'a- trop inégale pour que te
dressérent~ l'empereur, qui teur envoya seize cents cavaliers courage y pût quelque chose. Tous tombèrent. Fariu~ta,
seul et par miracle, s'ouvrit un chemin et regagna les siens,
allemands. Cette troupe s'introduisit furtivement dans la
ville par'une des portes appat'tennnt aux GihcHns.eHanuit ()) A Camogtia mi godo il putyorone. SM'!e< cxn.
couvert du sang de ses ennemis, las de tuer, mais sans bles- Tornaquinci et sur la ptate-formc du Carroccio, réservée
sure. aux plus vaillans, étaient ses sepl fils, auxquels il avait fait
Son but était atteint, les cadavres des soldats de Manfred jurer de mourir tous avant qu'un seul ennemi touchât cette
criaient vengeance par toutes leurs plaies; l'étendard royal, arche d'honneur du moycn-a~e. Quant à la cloche, elle avait
envoyé à F)orcnce, avait été traîné dans la boue et mis en été ))énie, disait-on, par le pape Martin, et en l'honneur de'
pièces par la populace. tt y avait affront a la maison de son parrain elle s'appelait Martincita.
Souabe, et tache t'écusson impérial. Une victoire pouvait Le 4 septembre, au point du jour, l'armée se trouva sur le
seule venger l'une et effacer l'autre. Farinata des Uberti écri- monte Aperto, colline située cinq milles de Sienne, vers ta~
vit au roi de Sicile en lui racontant la bataille Manfred lui partie orientale de la ville elle découvrit alors dans toute
répondit t'n lui envoyant deux mille hommes. son étendue ta cité qu'elle espérait surprendre. AussiFût urr
Alors le lion se fit renard pour attirer les Florentins dans évëque presque aveugle monta sur la plate-forme du Carroc-
une mauvaiseposition. Fartnata feignit d'avoir à se plaindre. cio, et dit la messe, que toute t'armée écouta sotennetterr.ent
ies Gibelins. 1) écrivit aux Anziani pour leur indiquer un à genoux et la tête découverte puis le saint sacrifice ache-
tendez-vous à un quart de lieue de la ville. Douze hommes vé, il détacha l'étendard de Florence, le remit aux mains de
'y attendirent; lui s'y rendit seul. H leur offrit, s'ils vou- Jacopo del Vacca de la famille des Pazzi, et revêtant lui-
,aient faire marcher une puissante armée contre tienne, de même une armure, il alla se placer dans les rangs de la ca-
leur livrer la ,porte de San-Vito dont ils avaient la garde. valerie il y était à peine que la porte de San-Vito s'ouvrit
Les chefs guelfes ne pouvaient rien décider sans l'avis du suivant la promesse faite. La cavalerie allemande en sortit
peuple, ils retournèrent vers lui et assemblèrent le conseil. la première, derrière elle venait celle des émigrés florentins,
Farinata rentra dans la ville. commandée par Farinata; ensuite parurent les citoyens de
L'assemblée fut tumultueuse; la masse était d'avis d'ac- Sienne avec leurs vassaux formant l'infanterie, en touH5,000
cepter, mais quelques-uns plus clairvoyans craignaient une hommes. Les Florentins virent qu'ils étaient trahis mais ils
trahison. Les Anziani, qui avaient entamé la négociation et comparèrent aussitôt leur armée à celle qui se développait
qui devaient en tirer honneur, l'appuyaient de tout leur pou- sous leurs yeux, et songeant qu'ils étaient trois contre un,
voir, et le peuple appuyait les Anziani. Le comte Guido ils poussèrent de grands cris d'insulte et de provocation, et
Guerra et Tegghiaio Aldobrandini essayèrent en vain de tirent face a l'ennemi.
s'opposer à la majorité; le peuple ne voulut pas les écouter. En ce moment, t'évêque qui avait dit la messe et qui,
Alors Luc des Guerardini, connu par sa sagesse et son d6 comme tous les homme privés d'un sens avait exercéles au-
vouement à la patrie, se leva et essaya de se faire entendre; tres à le remplacer, entendit du bruit derrière lui, se retour-
mais les Anziani lui ordonnèrent de se taire. H n'en conti- na, et ses yeux, tout affaiblis qu'ils étaient, crurent aperce-
nua pas moins son discours, et les magistrats le condamnè- voir entre lui et l'horizon une tigne qui, un instant aupara-
rent à cent florins d'amende. Guerardini consentit à les vant, n'existait pas. H frappa sur l'épaule de son voisin et
payer, si à ce prix il obtenait la parole. L'amende fut dou- lui demanda si cequ'il voyait était une muraille ou un brouil-
blée, Guerardini accepta cette nouvelle punition en disant tard. Ce n'est ni l'un ni l'autre, dit le soldat, ce sont les
qu'on ne pouvait acheter trop cher le bonheur de donner un boucliers des ennemis. En effet, un corps de cavalerie a!.
bon avis à la république. Enfin, on porta l'amende jusqu'à lemande avait tourné le Monte Aperto, passé Arbia à gué,
la somme de quatre cents florins sans qu'on pût lui imposer et attaquait les derrières de t'armée florentine, tandis que
silence. Ce dévouement, qu'on prit pour de l'obstination, le reste des Siennois lui présentait le combat de face.
exalta les esprits, la peine de mort fut proposée et adoptée Alors Jacopo del Vacca, pensant que l'heure était venue
contre celui qui osait s'opposer ainsi à la volonté du peuple. d'engager la bataille, éleva au-dessus de toutes les tctest'é-
La sentence fut aussitôt signifiée a Guerardini, il t'é.outa tendard de Florence qui représentait un tion, et cria:-En
tranquillement, puis se levant une dernière fois c Faites avant Mais au même instant Bocca degli Abatti, qui était
dresser t'échafaud, dit-i), maistaisscz-moi parler pendant Gibelin dans l'âme, tira son épse du fourreau et abattit d'un
qu'en le dressera. Au lieu de tomber aux pieds de cet seul coup la main et t'étendard puis s'écriant A moi les
homme, ils t'arrêtèrent et le firent conduire en prison. Alors Gibelins 1 il se sépara avec trois cents nobles du même parti
comme il était à peu près le seul opposant, et que d'ailleurs de l'armée guelfe pour aller rejoindre la cavalerie atte-
aucun n'était de cœur à suivre un pareil exemple, une fois mande.
Guerardini hors de l'assemblée, la proposition passa. Flo- Cependant la confusion était grande parmi tes Florentins:
rence envoya demander aussitôt du secours à ses alliées. Jacopo del Vacca élevait son poignet mutilé et sanglant, en
Luc()ues, fiotogne, Pistoie, Le Prato, San Miniato et Volterra criant Trahison Nul ne pensait à ramasser t'étendard
répondirent à son appel. Au bout de deux mois, les Guelfes foulé aux pieds des chevaux,et chacun, en se voyant chargé
avaient rassembté trois mille cavaliers et trente mille fan- par celui qu'un instant auparavant il croyait son frère, au
tassins. lieu de s'appuyer sur son voisin, s'éloignait de lui, crai-
Le lundi 5 septembre ~260, cette armée sortit nuitamment gnant plus encore t'epéequi le devait défendre que ''ette qui
des murs de Florence, et marcha vers Sienne. Au milieu le devait attaquer. Alors te-cri de trahison proféré par Ja-
d'une garde choisie parmi les plus braves, roulait pesam- copo del Vacca passa de bouche en bouche, et chaque cava-
ment fe Carroccio. C'était un char doré attelé de huit );œufs lier, oubliant le salut de la patrie pour ne penser qu'au sien,
couverts de caparaçons rouges, et au milieu duquel s'élevait tira du côté qui lui semblait le moins dangereux, confiant sa
une antenne surmontée (t'ung)obe doré; au-dessous de ce vie à la vitesse de son cheval, et laissant son honneur expi-
gtohe ttottait retendant de Florence, qui, au moment du rer à sa place sur le champ de bataille, si bien que de ces
combat, était confié à celui qu'on estimait le plus brave. 5,000 hommes, qui étaient tous de la noblesse, trente-cinq
Au-dessous, un Christ en croix semblait bénir l'armée de vaillans restèrent seuls, qui ne voulurent pas fuir et qui
ses bras étendus. Unectoche, suspendue près de lui, rappe. moururent.
lait vers un centre commun ceux que la me!ée dispersait; L'infanterie, qui était composée du peuple de Florence et
et le pesant attelage, ôtant au Carroccio tout moyen de fuir, de gens venus des villes alliées, 01 meilleure contenance et
formait t'armée, soit à ('abandonner avec honte, soit à le dé- se serra autour du Carroccio ce fut donc sur ce point que
fendre avec acharnement. C'était une invention d'Eribert, se concentra le combat et lé grand carnage qni, au dire de
archevêque de Milan, qui, voulant relever l'importance de Dante, teignit l'Arbia en rouge ~).
l'infanteriedes communes, afin de s'opposer ta cavalerie Mais, privés de leur cavalerie, les Guelfes ne pouvaient
tenir, puisque les seuls qui fussent cestés sur le champ de
des gentilshommes, en avait fait usage pour la première fois
dans la guerre contre Conrad-le-Salique. Aussi était-ce au
milieu de l'infanterie, dont le pas se réglait sur celui des (t) La strazio e') grande scempio
bœufs, que roulait cette lourde machine. Celui qui la con- Che fece l'Arbia colorata in rosso.
duisait était un vieillard de soixante-dix ans, nommé Jean /n/mo. x.
bataille étaient, comme nous l'avons dit, des gens du peuple douze mille fantassins qui restaient encore autour du Car-
qui, armés au hasard de fourches et de hallebardes, n'a- roccio ils entrèrent dans cette masse, la sittonnant tel qu'un
vaient a oppo.r à la longue lance et à t'épée à deux mains immense serpent, dont l'épée de Farinata était le dard. Le
des cavaliers que des boucliers de bois, des cuirasses de vieillard vit le monstre s'avancer en roulant ses anneaux.
buffle ou des justaucorps mah'tas~és les hommes et les gigantesques il fit signe ses deux fils. Ils s'éiaocèrent au-
chevaux hardf''s de fer entraient donc facilement dans ces devant de l'ennemi avec toute la réserve. Arnolfo pleurait de
masses et y faisaient des trouées profondes et cependant, honte de ne pas suivre ses frères.
animées par le bruit de Martinetta, qui ne cessait de son- Le vieillard les vit tomber l'un après l'autre; alors il
ner, trois fois ces masses se refermert'nt repoussant de leur remit la corde de la cloche aux mains d'Arootfo, et sauta au
sein la cavalerie allemamle, qui en ressortit trois fois san- bas de la plate-forme. Le pauvre père n'avait pas eu le
glante et ébrcchée comme un fer d'une blessure. courage de voir mourir son septième enfant.
Enfin, a j'aide de la diversion que fit Farinata à la tête Farinata passa sur le corps du père comme il avait passé
des émigré*, florentins et du peuple de Sienne, les cavaliers sur le corps des fils. t.e Carroccio fut pris, et comme Ar-
parvinrent jusqu'au Carroccio. Alors se passa à la vue des nolfo continuait de sonner MartineDa,malgré les injonctions
deux armées une action merveilleuse ce fut celle de ce vieil- contraires qu'il recevait, Della Presa monta sur la plate-
lard à la garde duqufl nous avons dit que le Carroccio était forme, et lui brisa la tête d'un coup de masse d'armes.
confié, et qui avait fait jurer à ses sept fils de mourir au Du moment où les Florentins n'entendirent plus la voix
poste où il les avait placés. de Martinella, ils n'essayèrent même plus ile se rattier. Cha-
Pendant tout le temps qu'avait déjà dureté combat, les cun s'enfuit de son côté; quetques-uns se réfugièrent dans
sept jeunes gens étnient restés sur la plate-forme du Carroc- le château de Monte Aperto, où ils furent pris le lendemain.
cio, d'où ils dominaient l'armée, et trois fois ils avaient Dix mille hommes restèrent, dit-on, sur )a place du combat.
tourné les yeux impatiemment vers leur père; mais d'un La perte de la bataille de Monte Aperto est restée pour
signe le vieillard les avait retenus enfin, l'heure était arri- Florence un de ces grands desastres dont le souvenir se
vée où il fallait mourir le vieillard cria à ses Sis Allons perpétue à travers les âges. Après cinq siècles et demi, le
Les jeunes gens sautèrent à bas du Carroccio, à l'excep- Florentin montre encore avec tristesse aux voyageurs le lieu
tion d'un seul, que son père retint par le bras c'était le du combat, et cherche dans les eaux de l'Arbia cette teinte
plus jeune et par conséquent le plus aimé; it avait dix-sept rougeàtre que leur avait donnée le sang de ses an.'ëtres. De
ans à peine et s'appelait Arnolfo. leur côté les Siennois s'enorgueillissentencore aujourd'hui
Les six frères étaient armés comme des chevaliers, c'est-à- de leur victoire. Les antennes du Caroccio qui vit tomber
dire de jacques de fer, aussi reçurent-ils vigoureusement le tant d'hommes autour de lui dans cette fatale journée, sont
choc des Gibelins. Pendant ce temps le père, de la main qui précieusement conservées dans !a Basilique, comme Gênes
ne tenait pas Arnolfo, sonnait la cloche de ralliement. Les conserve à ses portes les chapes du port de Pise, comme
Guelfes reprirent courage, et les cavaliers allemands furent Pérouse garde, à la fenc're du palais municipal, le lion de
une quatrième fois repousses. Le vieillard vit revenir à lui Florence; pauvres villes, auxquelles i) ne reste de leur
quatre de ses Sts; deux s'étaient couchés déj!) pour ne plus antique liberté que les trophées qu'elles se sont enlevés
se relever. t
les unes aux autres pauvres esclaves, à qui leurs maî-
Au même instant, du coté opposé, on entendit pousser de tres, par dérision sans -doute, ont cloué au front leurs
grands cris et on vit la foule s'ouvrir c'était Farinata des couronnes de reine
Uberti à la téte'des émigrés florentins; il avait poursuivi la Le 27 septembre, fermée gibeline se présenta devantt
cavalerie guelfe jusqu'à ce qu'il se fùt assuré qu'elle ne re- Florence dont elle prouva toutes les femmes en deuil car,
viendrait plus au combat, comme fait un loup qui écarte les dit Vilhni, il n'en était pas une seule qui n'eût perdu un
chiens avant de se jeter sur les moutons. fils, un frère ou un mari. Les portes en étaient ouvertes, et
Le vieillard, qui dominait la mêtéc, le reconnut à son pa- nulle opposition ne fut faite. Dès le lendemain toutes les lois
nache, à ses armes, et encore plus à ses coups. L'homme et guelfes furent abolies, et le peuple, cessant d'avoir part au
le cheval paraissaient ne faire qu'un, et semblaient un mons- conseil, rentra sous la domination de la noblesse.
tre couvert des mêmes écailles. Ce qui tombait sous les Alors une diète des cités gibelines de la Toscane fut con-
coups de l'un était foulé à l'instant sous les pieds de l'au- voquée à Empoli les ambassadeurs de Pise et de Sienne
tre tout s'ouvrait devant eux. Le vieillard fit signe à ses déclarèrent qu'ils ne voyaient d'autres moyens d'éteindre la
quatre fils, et Farinata vint se heurter contre une muraille guerre civile qu'en dé ruisant complétementFlorence, véri-
de fer Aussitôt ces masses se serrèrent autour d'eux et le table ville des Guelfes, et qui ne cesserait jamais de favo-
combat se rétablit. riser ce parti. Les comtes Guidi etAtherti,)csSantafioret
Farinata était seul parmi les gens de pied qu'il dominait les Ubaldini, appuyèrent cette proposition. Chacun y ap-
de toute la hauteur de son cheval, car it avait laissé les au- plaudit, soit par ambition, soit par haine, soit par crainte.
tres cavaliers gibelins et allemands bien loin derrière lui. La motion allait passer, lorsque Farinata des Uberti se
Le vieillard pouvait suivre des yeux son épéeuamboyante leva.
qui se levait et s'abaissait avec la régularité d'un marteau Ce fut un discours sublime que celui que prononça ce
de forgeron it pouvait entendre le cri de mort qui suivait Ftoreniin pour Florence ce fils plaidant en faveur de sa
chaque coup porté, deux fois il crut reconnaître la voix de mère, ce victorieux demandant grâce pour les vaincus, of-
ses fils, cependant il ne cessa point de sonner la cloche, frant de mourir pour que la patrie vécût, commençant
seulement de l'autre main il serrait avec plus de force le comme Coriolan et finissant comme Camille.
bras d'Arnolfo. La parole de Farinata l'emporta au conseil, comme son
Farinata recula enfin, mais comme recule un lion, déchi épée à la ba)ai))c. Doence fut sauvée les Gibelins y éta-
rant et rugissant il dirigea sa retraite vers les cavaliers blirent le siège de leur gouvernement, et le comte Guide
florentins qui chargeaient pour le secourir. Pendant le Novello, capitaine des gendarmes de Manfred, fut nommé
moment qui s'écoula avant qu'il les rejoignit, le vieillard vit gouverneur de la ville.
revenir deux de ses (i)s. Pas une tarme ne coula de ses yeux, Ce fut la cinquième année de cette réactiou impériale que
pas une plainte ne s'échappa de son cœur, seulement il serra naquit, a Florence, un enfant qui reçut de ses parens le nom
Arnolfo contre sa poitrine. d'Alighieri, et du ciel celui de Dante.
Mais Farinata, les émigrés florentins et les cavaliers Les choses durèrent ainsi depuis ~260 jusqu'en ~266.
allemands s'étaient réunis, et tandis que toute l'armée sien- Mais, un matin, on apprit & Florence que Manfred, ce
nbise chargeait de son coté infanterie contre infanterie, ils grand protecteur du parti gibetin, avait été tué à la bataille
se préparèrent à charger du leur. de Grandella et que celui ta qui avait fait trembler t't'atie
La dernière attaque fut terrible trois mille hommes à n'avait plus d'autre tombeau que la pierre qu'en passant
cheav) et couverts de fer s'enfoncèrent au milieu de dix ou avait jetée sur son cadavre chaque soldat de l'armé frau-
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OEUv. co~rr. vin.
(aise; encore sut-on MentOt que l'archevêque de Cosence, aucune autre viUe, parce que c'est Florence que nous allons
lui ayant envié cette séputture improvisée par )a piétjé de ses visiter d'abond, et nous nous sommes arrêtés a cette année
ennemis, avait fait entever~on corps et Favait fait jetcf sur ~266, parce~ue c'estde cette époque à peu près que datent
les frontières du royaume, aux bords de la rivière Vende. les plus vieux monumens .que nous ferons visiter à nos )ec-
On oomprend le cttangementque cette nouvelle apporta teur~. Quant. au.TesLe de son histoire, nous la trouverons
dans la contenance da parti ~tetfe. Le peuple manifesta sa écrite sur ses palais, sur ses statue.s et sur ses tombeaux, et
joie par des cris et des ittuminations tes édités M rappro- nous la heurterons à chaque pas que nous ferons par ses
chèreRl de ia ville, n'attendant pi~s que le momeat <d'y rues.et-ses places publiques.
rentrer, et Guido Novetto et ses quinze cents gendarmes,
c'est tout ce qui lui en était reste après la bataille deMon~e
Aperto, se trouva comme un naufrage sur une roche, et qui
voit, a chaque instant, la marée qui monte.
Au lieu défaire bravement face au danger, etdemaioi.cnir
Florence par la terreur, ce qui lui étaitpossible encore avet
ses quinze cents hommes, Guido crut qu'il apaiserait les
esprits en faisant auK partis de ces concessions qui leur ROUTE PE MYOURNE A FLORENCE.
dom)ent la mesure de leur force. !) fit venir de Bologne,
pour être ensemble podestats de Fiorence,carJes podestats,
on ~e sait, devaient toujours être étrangers, deux chevaliers
d'un 'ordre nouveau qui venait de s'étever, et qui, dispensé Nou~~vionspris.ujtvoitunn pour nous conduire de Li-
des'vccDY do chasteté et .de pauvreté, faisait seulement ser- voumeàJFtorence c'est à peu près le seul mode de com-
ment de défendre les veuves et les orphelins. De ces deux munication qui existe entr.e Jes deux villes. !) y a bien une
chevaliers, l'un était Gibetin, l'autre était Guelfe. On leur W)UMre pubhque qui dit qu'eUe marche; mais, moins heu-
composa Tin conseil de trente-six prud'hommes, divisés poé- muse que le philosophe grec, elle ne peut pas en donner la
tiquement de la même façon on autorisa les citoyens &e preuve.
réunir en corporations, &T) forma doute corps d'arts eunc- CetteMaction de )a diligence tient à un reste de cet esprit
tiers (<); .on accorda aux sept arts majeurs des enseignes, popu)ai<'e si répandu en Toscane, que les différens gouver-
sons )esquei)es devaient se Tanger les autres en cas dhiarjne, ncmens qui s'y sont succédé n'ont jamais pu effacer cette
et !'on espéra que 'du contact naitrai.t.une fusion. ~ieijie .teinte gueite répandue partout. Encore aujourd'hui,
Il en résulta tout le contraire. Du contact .naquit une aon-seulonM'nt tes individus~ majs encore Jes palais et les
émeute, à la ~uite de laquelle Guido et ses quinze cents murajUes ont une opinion, les créneaux éteins sont guelfes,
hommes d'armes furent forcés do quitter Florence et.de.se tes créneaux widés sont gibelins.
retirer à l'rato. Qr, Jes y.OttjM'ins étao~ l'expression .du commerce popn-
Cette retraite fut le signal de la réaction guelfe. Les .Gi- hn'e, et~e6~i)igenoos )e résultat de l'industrie aristocrati-
bclins, sesentant incapables de lutter,.quittèrent )a pat.tie ~)Uje, les vo.itujjins )'OAt..emportc tout naturellement sur les
et nbanaonn&rent')avi1)e,etle gouvernement, d'aristocra- ililigences auxquelles le gouvernement, toujours guidé pa~r
tique qu'H 'était, redevint, du jour au lendemain, ,popu- ceties)pr~ damocrAt.iquequi veut le bien-ctre du plus grand~
taire. nM)bre,MOpose~es condHions telles qu'au bou,t d'un ce,r-
Où était Farinata des Uberti dans cette .grande ciMon- faM) ~empjs ~'en~reprise s'aperçoit qu'etle ne ,peut pt~s
stance ? son nom n'est point prononcé dans cette .nouvel tenir.
catastrophe.Le géant disparait comme un fantôme, et on'ne D'~UiSUfS des dmgfnces ~pajtent .à tctu.re Cxe et attendent
ieTt'trouve que quarante ans après, dans l'enfer de Dante, où les voyageurs; les voi.tu.rins partent!) toute he~reet courent
plongé jusqu'h ta ceinture dans un 'tombeau ~rougi par les après Les praj~u.es.. Ce sont nos cochers de.Sceaux et de
flammes, il se plaint, mon pas de la douleur qu'il éprouve, Sai.ntr.Oenis. A 'peine a-t-on mis Je pied hors de la barque
mais de l'acharnementaveclequel tesFtorentins poursuiven.t qu.i vous conduit du bateau à ~apeu.r.au port, que i'.on es.t
sonnometsafamitte (3). assaiiU~ ~uve~oppé, tijué, .assourdi par vingt cochers qui vous
'En effet, les 'Ftorentins, qui n'avaient poinj. ioub)ié )a 'regardent comme ).em' marchandise, vous tr.ai~nt en consé-
défaite de Monte Aperto avaient porte 'une )<ci qui Of- ) que')ce,<.tRniraiettt~Mvous emporter .i~ur Jeurs épaules st
dormait que te palais de 'Fapinata .des t)herti ~eraH tonles .iaissait f&)re.d6s .fami)~es .wt été séparées ainsi sur
rasé, 'que la charrue passerait sur ses 'fondemeas, ot que ~p0tt,de 'Litout)ne,,~t .n'otu. pu se réunir qu'à .Ftorence.
jamais aucun édifice pubtic ni particulier ne's'Hie~oratt sur On a beau monter dans un tiacre, ils sautent devant, des-
le terrain où avaitété conçu, dans un jour t)e po)ere'oéteste, )su~derr;ëre,,6t'àta porte de l'hôtel on se retrouve, comme
le moderne 'Coriolan. !sur~)e.popt,:aumt)te~) de huit.ou.(tixdro)es qui n'en crient
~a même toi ~)orta'!t que tes Uberti )seraien)..aijamais.ex- !que tp~sffnnt pour avoir attendu.
ceptes de toutes les amnisties que l'on' pourrait accorder !).est~onfded,it.eators.qu'.on.vientà Livourne pour af-
dans't'avenir aux Gibetins. faire .de commetee,.que .l'an compte y passer huit jours. ti
TtoLfs notR sommes-étendussur Florence plus que~ur fauft~n.ccnséquence.demander :au gardien,de t'hôte~, devant
les honorables,tnd.ustr.ie)s.dontvqus .vou]e?.vpus.débarras-
'(~)'T)e 'th la déxomination)d'artS)tnajeurSfet.d'Mts inférieurs sor,.8;ny.aun.appartement.tibre.pour une semaine, ators
qu'on retrouve si.sotn'ertt~ans.L'tustoire.deFtorcnce.Les.arts quelquefois itswus,croient,.abandonnentla proie qu~Hs
majeurs étaient
-<<"LesjutMconsuttes; 2o.)es marchands de drap franger,; 30 tes
comptent rattraper plus tard, et retournent à toutes jambes
banquiers; ~o.iesfabricansdc.iainc; 50 )esmcdec[ns;(;°)esfa- aufport pour happer .d'autres voyageurs, et .vous êtes ti.bre.
Meansde.soiRCt.merciers;'i°icsp<;UeUprs. Celj9 n'empêche ppjnt qu'en sortant une heure après, on
1 Les arts mineurs étaient: trouve.une.ou deuxsenHneHes )9 porte.. ,Ceux-)a sonties
i" t.es d~UtiUcttrs; 2o les bouchers; 3° les cordonniers; -t<' !es famitier.s.de )'h&tel its ont été préyeous par le garçon, au-
manons et'ics charpentiers j &<' les ferriers et les-sotruriers. quet.Usont'fait une.remtseaceteC'et, que ce n'est ppint
('2)'Bis-m6i Mpendant, di.s-'moi, et poisses-tu rotourner dansée danshmtfjours que .vous partez, mais le jour même p~ ~e
monde ()c la iumiere, dis-moi.peurquoi ce peuple est si cruel en- lendemain.
vers tos'micus, qu'il ies;pour&uit encore dans. chacune d.e~eslo;s. -J) <!aut se.hate)'dp;rentrer avec ceux-là Si.on.avait t'jp!.
–)Kt.)noi~e répondis: ce.gMud carMgequi teignit réseaux .de
t'Ad)!it en rouge. leur conseille.ces tristes résolutions. prndence~te sorlir, cinquante de leurs confrères accour-
~t lui, raipnt:)Mrs.cris,.etLascénedu pprt.recpmmencerait.
en-secouant la tête Jc.n'etais pas seul à la bataille, dit-ii, et ce
serait JHstic~, ce me sembto, de me )rait<'r comme tes autres/Mais Ils demanderont dix piastres par vpiturf; soixante francs
j'étais seul à i'a'.se~btce oit't'on '(tt'cida que Florence serait dé- pour faire seize.iieues! Uifautieuren offrir cinq, et,cncqre
truite, et seul je la défendis a visage'découvert.' à la:<;oj)dition qu'on changera, trois fonde chevaux et n.u'0tt
ne changera pas de voiture. Ifs jetteront les hauts cris; on Eh bien c'est ce que nous allons voir.
ies mettra la porte. Au bout de dix minutes, il en rentrera C'est ce que nous allons voir, répéta tranquillement
le cocher; et i) remit son attetage au pas.
un par la fenêtre, et on fera prix avec In) pour trente francs.
Ce prix fait, vous des sacré pour tout le monde; en cinq Frantz, dit en saxon le prince a son domestique, des~
minutes, le bruit se répand que vous êtes accord. Vous cendez et donnez une votée à ce drôle.
pouvez dès lors aller partout où bon vous sembJera, chacun Frantz descendit de !a voiture sans 'faire la moindre ob-
vous salue et vous souhaite un bon voyage'; vous.vous croi- servation, enteva )e cocher de son. siège, le rossa avec une
riez au milieu du peuple le plus désintéresse de la terre. gravité toute a))emandc, )e remit sur son siège; puis, lui
À i'heure'dite,]e~tM est apporte. 'En Italie, le mot montrant le chemin Vor <caM~, lui dit-i), et il se rassit
7~to s'applique !< tout ce qui transporte; eest aussi bien près de )ui.
une barque qu'un carrosse à six chevaux, un cabriolet qu'un Le cocher se remit en route; seu'emeut it marcha un peu
bateau a valeur lcgno est le ma!o de robba, ~n~ et robba plus doucement qu'auparavant.
sont le fond de.~a tangue. Le~no est une infante brouette; On se fasse.de tout, munie Je battre un cocher. Le prince,
il ne faut point y f.re attention i) n'y en a pas d'autres convaincu que d'une façon o.n de l'autre il Mirait toujours

I).oiM.
dansées écuries du padr(Me.:D'i<i))<'ursonn'ysera,pas plus
ma) quedans;une:ditigencc. La seule question dont-il reste
à s'occuper, est celle de la &t<ont: mano, c'est-à-dire du pour-

C'est là une grande affaire, et elle demande à être conduite


.sagement. Du poMr&o:'re dépend te temps qu'on restera en
voyage;.ce.temj)s:vat:ieau.grë.ducocher, de six à douze
par arriver, invita sa merc. s'endormir, et s'enfonçant
dans son coin, lui donna l'exemple.
Le cocher mit six heures pour aller de Livourne.à Ponte-
dera c'était quatre heures de ptus qu'il ne fallait; puis,
arrivé à Pontedera, il invita le prince à descendre, en lui
annonçant q\nt fallait changer de voiture.
–Mais, dit le prince, j'ai donné douze piastres à votre
heures. Un prince russe de nos amis, qui avait;oubtié de se maitre, à la condition expresse qu'on ne changerait pas de

CMttO.
faire, .donner des rensognemons à ce sujet, est.même resté voiture.
vingt-quatre heures en route, et a passé une fort mauvaise Où est le papierP demanda le cocher.
nuit. –Mais vous savez bien, drôte.quejen'enaipas.
Voici, l'histoire.; nous, :reviendr.ons ensuite~ .ta ~ona Eh bien 1 si vous n'avez pas de papier, on changera'<
de voiture.
Le prince ;C.. était arrivé avec sa,mère,et un domestique 'Le prince avait grande envie de rosser cette fois le co-
allemand à Livourne. Comme tout voyageur qui arrive à cher lui-même; mais il vit aux mines de, ceux qui entou-
Livourne, il avait cherche aussitôt les moyens do .partir )e raient la voiture que ce ne 'serait pas pn'dent.En consé-
plus vite possible. Qr, ainsi que nous t'avons dit, les quence, !i descendit du legno on jt'.ta sa robba sur le pavé,
.moyens viennent au devant de vous, il ne s'agit que de sa- et au bout d'une heure d'attente à peu près, on lui amena
voir en faire usage. une mauvaise charrette distoquée, et deux chevaux qui n'a-
Les M~un'ttt avaient, su des /aecht'n< qui avaient porté les vaient que le soaffte.
mal!esqù'i)s avaient affaire à.un.prince. En conséquence, En toute antre circonstance, le prince, qui est généreux à
i)s)ui avaient demandé douze piastres au lieu de dix; et de la fois comme un grand seigneur russe et comme un artiste
son côté, au lieu de leur eu offrir cinq, le .prince leur avait français, aurait donné un fouis de guides; mais il était tel-
répondu C'est bon, je vous donnerai douze piastres; lement tfans son droit que céder lui parut d'un mauvais
mais je ne veux pas être ennuyé a chaque re)ai .par !c: co- exemple, et qu'il résutut de s'entêter. Il monta donc dans sa
chers, et vous .vous chargerez de la 6ucnamano. –Ta bene, charrette, et comme !e nouveau cocher était prévenu qu'il
avait répondu'Je vetturino. En conséquence, le prince C. n'y avait pas de bonne main, il repartit au pas, au milieu
avait donne ses douze piastres, et )e tegno était parti au ga- des rires et presque ues huées de tous tes assistans.
lop, Temportantjuiet toute sa roliba. Il était neuf heures. Cette fois, tes chevaux étaient si misérables que c'eût été
du.matin; selon son calcul,Je prince devait être Florence, conscienced'exiger qu'ils allassent autrement qu'au pas. Le
vers trois ou quatre heures de l'après-midi. prince mit donc six autres heures à aller de Pontedera à
A,un quart de lieue de Livourne, les chevaux .s'étaient Empoii.
ralenti tout naturellement et avaient pris ]e pas. Quant au En entrant à Empoli, le cocher arrêta sa voiture et s'en
cocher, i! s'était mis à chanter sur son siège, ne s'interrom- vinta la portière.
.pant que pour causer avec ses connaissances; mais bien- Son Excellence couche ici? dit-il au prince.
tôt, comme on cause,mal en marchant, il s'arrêta 'toutes Comment, je couche ici, est-ce que nous sommes à
'les fois qu'ii trouva l'occasion de causer. 'Florence?
Le prince supporta ce manège pendant une demi-heure ou Non,ExceHen''e; nous sommes à Empoli, une char-
(rois quarts d'heure;'mais, au bout de ce'temps, calculant mante petite ville.
qu'il avait fait à peu près un'mille, il mit la fête a 'ia por- –'J'ai payé'douze piastres a'ton maitre pour aller cou-
tière, en criant dans le plus pur toscan ~MMttf avantil cher & Florence et non h'Empoli. J'irai coucher à Florence.
'<tra!e <a.' –Où est le,papier, Excetience?
–'Combien donnerez-vous de bonne main? demanda 'le –Va~t'en au diabic avec ton papier.

l..
cocher dans )e même idiome. Votre Exce))ence n'a pas de papier?
Que venez-vousnie parler (le bonne main ? dit !e prince. –Non.
J'ai donné dou/c piastres a votre maitre, à -condition qu'il Bien, dit le'cocher en remontant sur son siège.
se chargerait de tout. –Que dis-tu? cria le prince.
–La'bonne main ne 'regarde pas )es'maîtres, répondit le Je dis très bien, repondit !e cocher en fouettant ses
cocher. Combien donm'rcx-vous de bonne main'? harideHes.
Pas un son, j'ni payé. Et pour la première 'fois depuis Livourne, le prince se
Alors, s'i) p)a!t a VotreExcettence, nous irons au pas. sentit~'mportéaupetit trot.
Comment, nous' irons au pas; mais votre maitre s'est ~'aHure lui parut de bon présage il mit la tête H la por-
engagé a me conduire en six heures a Ftot'encc. tière. Les rues étaient pleines de monde et les fenêtres illu-
.–Où cst)c papier? demanda )ecoc))er. mtuées; c'était ta fctc de la madone d'Empoli, qui passe
Le papier? Est-ce qu'il y avait besoin Je faire un pa- pour fort miraculeuse. En passant sur la grande place, il
pier pour cela vit qu'on dansait.
vous voyez bien que. si vous n'avez pas de papier, Le prince était occupé :) regarder ce monde, ces ittnmina-
vous pc pouvcx [ias mf fo'crr. tions et ces danses, qu:u)d tout a coup it s'aperçut qu'il en-
Ah t je ne puis p:'s te forcer, dit le prince. trait sous une cspfce de voûte; aussitôt la voitures'arrêta.
–T\ou,o[rc'Exc~)t'))cc.' Ou sommes-nous? dounnda le prince.
Sous la remise de l'auberge, Excellence. et ils ont mieux aimé coucher dans leur voiture. Comme je
Pourquoi sous la remise? sais que les Anglais sont tous des originaux, j'ai dit C'est
Parce que ce t.era plus commode pour changer de che- bon. Alors j'ai vidé encore un fiasco, j'ai été chercher mes
vaux. chevaux, et me voilà. Est-il de trop bonne heure ? Je revien-
Allons 1 allons dépêchons,dit le prince. drai.
–S"6t'~o, répondit le coc.her. Non, sacredieu dit le prince, attelez et ne perdons pas
Le prince savait déjà qu'il y a certains mots dont il faut une minute it y a une piastre de bonne main si nous sommes
se défier en Italie, attendu qu'ils veulent toujours dire le dans trois heures à Florence.
contraire de ce qu'ils promettent. Cependant, voyant qu'on Dans trois heures, mon prince, dit le voiturin; oh! il
détachait les chevaux, il referma la glace de la voiture et at- ne faut pas tant que cela. Du moment qu'il y a une piastre
tendit. de bonne main, j'espère bien que dans deux heures nous y
Au bout d'une demi-heure d'attente, i! baissa la glace, et, serons.
se penchant hors de la voiture Dieu vous entende, mon brave homme 1 dit la prin-
Eh bien ? dit-il. Personne ne lui répondit.
Frantz cria le prince, Frantz 1 cesse.
Monseigneur, répondit Frantz en se réveillant en sur- Le cocher tint parole le prince sortit à sept heures son-
saut. nant d'Empoli, à neuf heures il descendait place de la Tri-
Mais où diaMe sommes-nous ddncP nité.
Je n'en sais rien, monseigneur. Il avait mis juste vingt-quatre heures pour aller de Li-
Comment, tu n'en sais rien ? vourne à Florence.
Non je me suis endormi, et je me réveille. Le premier soin du prince, après avoir déjeuné, car ni lui
Oh ) mon Dieu s'écria la princesse, nous sommes dans ni la princesse n'avaient mangé depuis la veille au matin,
quelque caverne de voleurs. fut d'aller déposer sa plainte.
Non, dit Frantz, nous sommes sous une remise. Avez-vous un papier demanda le chef du !)MMt~opento.
Eh bien ouvre la porte et appelle quelqu'un, dit le Non, dit le prince.
prince. Eh bien je vous conseille de laisser la chose tomber à
La porte est fermée, répondit Frantz. l'eau; seulement, la prochaine fois, ne donnez que cinq pias-
Comment, fermée? s'écria à son tour le prince en sau- tres au maitre, et donnez une piastre et demie aux,conduc-
tant en bas de la voiture. teurs vous aurez cinq piastres et demie d'économie, et vous
Voyez plutôt, monseigneur. arriverez dix-huit heures plus tôt.
Le prince secoua la porte de toutes ses forces, elle était Depuis ce temps, le prince n'a pas manqué, chaque fois
parfaitementfermée. Le prince appela à tue-tête; personne que l'occasion s'en est présentée, de suivre le conseil du
ne répondit. Le prince chercha un pavé pour enfoncer la
président du 6uon ~wento, et il s'en est toujours bien
porte, i) n'y avait pas de pavé. trouvé.
Or, comme le prince était avant tout un homme d'un sens La morale de ceci est, qu'en sortant de Livourne, il'faut
exquis, après s'être assuré qu'on ne pouvait pas ou qu'on tirpr sa montre, la. mettre devant les yeux du cocher, et lui
ne voulait pas l'entendre, i! résolut de tirer le meilleur parti dire
possible de sa position, remonta dans la voiture, ferma les H y a cinq paoli de bonne main si nous sommes dans
glaces, s'assura à tout hasard que ses pistolets étaient à sa deux heures à Pontedera.
portée, souhaita le bonsoir à sa mère, étendit ses jambes On y sera en deux heures.
sur la banquette de devant et s'endormit. Frantz en fit au- On usera du même procédé en sortant de Pontedera et
tant sur son siége; i) n'y eut que la princesse qui resta les d'Empoli et, en six heures et demie au plus tard, on sera
yeux tout grands ouverts, ne doutant pas qu'elle ne fùt tom- à Florence; on mettrait deux heures de plus en prenant
la
bée dans quelque guet-â-pens. poste.
La nuit se passa sans alarmes. A sept heures du matin, A moitié chemin de Livourne à Florence, s'élève comme
de San-Miniato-al-Tedesco.
on ouvrit la porte de la remise, et un voiturin parut à la porte une borne gigantesque la tour
avec deux chevaux San-Miniato-al-Tedescoest le berceau de la famille Bo-
Eh n'y a-t-il pas ici des voyageurs pour Florence? naparte. C'est de cette aire qu'est partie cette volée d'aigles
demanda le voiturin avec un ton de bonhomie parfaite, et qui s'est abattue sur le monde; et, chose étrange! c'est à
comme s'il faisait là une question toute naturelle. Florence, c'est-à-dire au pied de San-Miniato, que les Napo-
Le prince ouvrit la portière et sauta hors de la voiture léon, grâce à l'hospitalité fraternelle du grand duc Léo
dans l'intention d'étrangler celui qui lui faisait cette ques- pold If, reviennent tous mourir.
tion mais, voyant que ce n'était point son conducteur de la Le dernier membre de la famille Bonaparte qui habita
veitte, il pensa qu'il pourraitbien châtier, sinon te bon,pour San-Miniato fut un vieux chanoine qui y mourut, je crois,
le mauvais, du moins l'innocent pour le coupable il se con- en ~828; c'était un cousin de Napoléon. Napoléon fit tout ce
tint donc. qu'il put pour le décider & quitter son canonicat et accepter
Où est le cocher qui nous a amené: ici? demanda-t-il un évéché, mais il refusa constamment. En échange, il tour-
tout pâle de colère, mais avec. te plus grand sang-froid appa- menta toute sa vie l'empereur pour le décider canoniser
rent, et répoodant à une question par une autre question. un de ses ancêtres; mais Bonaparte répondit à chaque fois
–Peppino, que Votre Excellenceveut dire? que cette demande se renouvela, qu'il y avait déjà un saint
Le cocher de Pontedera. Bonaparte, et que c'était assez d'un saint dans une famille.
Eh bien c'est Peppino. Il ne se doutait pas à cette époque, et en faisant cette ré-
Alors où est Peppino ? ponse, qu'il y aurait un jour un saint.et un martyr du même
Ii est en route pour retourner chez lui. nom.
Comment? en route pour retourner chez lui? Nous arrivâmes dans la capitale de la Toscane vers les dix
Oui, oui. Comme c'était fête à Empoli, nous avons bu heures du soir. Nous descendîmesdans le bel hôtel crénelé
et dansé ensemble toute la nuit, et ce matin, il y a une heure, de madame Hombert; et, comme nous comptions nous arrê-
il m'a dit Gaëtano, tu vas prendre les chevaux, et tu iras ter quelques temps à Florence, le lendemain nous nous mt-
chercher deux voyageurs et un domestique qui sont sous la mes en quête d'un logement en ville.
remise de la Croix-d'Or; tout est pa~é excepté la bonne Le même jour nous en trouvâmes un dans une maison par-
main. Alors je lui ai demandé, moi, comment i) se faisait ticulière, située Por<ooHa Croce.
qu'il y avait des voyageurs sous une remise, au lieu d'être Moyennant deux cents francs par mois, nous eûmes un
dans une chambre. Ah bien 1 ce sont des Anglais qu'il m'a palais, un jardin, avec des madones de Luca della Robbia,
dit, ils ont eu peur qu'on ne leur donne pas de draps blancs, des grottes en coquillages, des berceaux de lauriers roses,
une allée de citronniers, et un jardinier qui s'appelait Dé- Les écoliers refusèrent de suivre les cours des nouveaux
métrius. maltres, et ils tirèrent si bien à eux, que l'enseignement re-
Sans compter que de notrebalconnous découvrions, sous tomba dans son ornière.
son côté le plus pittoresque, cette charmante petite basili- Florence est l'Eldorado de la liberté individuelle. Dans
que de San-Miniato-al Monte, les amours de Michel-Ange. tous les pays du monde, même dans la république (tes Etats-
Comme on !e voit, ce n était pas cher. Unis, même dans )a république helvétique, même dans la ré-
publique de Saint-Marin, les horloges sont soumises à une
espèce de tyrannie qui les force de battre à peu près en même
temps. A Florence, il n'en est pas ainsi; elles sonnent la
même heure pendant vingt minutes. Un étranger s'en plai-
gnit un Florentin: Eh 1 lui répondit l'impassible Toscan,
que diable avez-vous besoin de'savoir l'heure qu'il est?
I) résulte de cette apathie, ou plutôt de cette facilité de
FLORENCE. vivre, toute particulière a Florence, qu'excepté la fabrica-
tion des chapeaux de paille, que les jeunes filles tissent tout
en marchant par les rues ou tout en voyageant par les gran-
des routes, l'industrie et le commerce sont à peu près nuls.
Pendant t'été Florence est vide. Encaissée entre ses hau- Et ici ce n'est point encore la faute du grand-duc; tout
tes montagnes, batte sur un fleuve qui pendant neuf mois essai est encouragé par lui, soit de son argent, soit de sa fa-
ce roule que de la poussière, exposée sans que rien l'en ga- veur. A. défaut de Toscans aventureux, i! appelle des étran-
rantisse un soleil ardent que reflètent tes dalles grisâtres gers, et les récompense de leurs efforts industriels sans
de ses rues et les murailles blanchies de ses palais, Flo- exception aucune de nationalité. M. Larderel a été nommé
rence, moins l'aria cattiva, dévient comme Rome une vaste comte de Monte-Cerboli pour avoir établi une exploitation
étuve du mois d'avril au mois d'octobre aussi y a-t-il deux de produits boraciques; M. Demidoff a été fait prince de
prix pour tout prix d'été et prix d'hiver. I) va sans dire que San-Donato pour avoir fondé une manufacture de soieries.
le prix d'hiver est le double du prix d'été; cela tient à ce qu'à Et que l'on ne s'y trompe point, cela ne s'appelle pas vendre
la fin de l'automne une nuée d'Anglais de tout rang, de tout un titre, cela s'appelle le donner, et le donner noblement,
sexe, de tout âge, et surtout de toutes couleurs, s'abat sur pour le bien d'un pays tout entier.
Ja capitale de la Toscane, On comprend qu'avec cette absence de fabriques indigè-
Nous étions arrivés dans le commencement du mois de nes, on ne trouve à peu près rien de ce dont on a besoin
juin, et l'on préparait tout pour les fêtes de la Saint-Jean. chez les marchands toscans; les quelques magasins un peu
A part cette circonstance, où il est tout simple que la ville comfortablement organisés de Florence sont des magasins
tienne à faire honneur à son patron, les Mtes sont la grande français qui tirent tout de Paris; encore les élégans Floren-
affaire de Florence. C'est toujours fête, demi-fête on quart tins s'habillent-ils chez BUn, Humann ou Vaudeau, et les
de fête dans le moins de juin, par exemple, grâce à l'heu- lionnes Florentines se coiffent-elles chez mademoiselle Bau-
reux accouchement de la grande duchesse, qui eut lieu le dran.
<0 ou le 42, et qui par conséquent se trouva placé entre les Aussi à Florence faut-il tout aller chercher, rien ne vient
fêtes de la Pentecôte et de la Saint-Jean, il n'y eut que cinq au devant de vous; chacun reste chez soi, toute chose demeu-
jours onvrables. Nous étions donc arrivés au bon moment re a sa place. Un étranger qui ne resterait qu'un mois dans
pour voir les babitans, mais au mauvais pour visiter les édi- la capitale de la Toscane en emporteraitune tres-faasse idée.
fices, attendu que, les jours de fête, tout se ferme à midi. Au premier abord, il semble impossible de se rien procurer
Le premier besoin de Florence, c'est le repos. Le plaisir des choses les plus indispensables, ou celles qu'on se procure
même, je crois, ne vient qu'après, et il faut que le Floren- sont mauvaises; ce n'est qu'à la longue qu'on apprend, non
tin se fasse une certaine violence pour s'amuser. !) semble pas des habitans du pays, mais d'autres étrangers qui sont
que, lassée de ses longues convulsions politiques, la ville des depuis plus longtemps que vous dans la ville, où toute chose
Médicis n'aspiré plus qu'au sommeil fabuleux de la Belle se trouve. Au bout de six mois, on fait encore chaque jour
au bois dormant. Il n'y a que les sonneurs de cloches qui de ces sortes de découvertes si bien que l'on quitte ordinai-
n'ont de repos ni jour ni nuit: Je ne comprends point com- rement la Toscane au moment où l'on allait s'y trouver à
ment les pauvres diables ne meurent pas à la peine; c'est peu près bien. Il en résulte que chaque fois qu'on y revient
un véritable métier de pendu. on s'y trouve mieux, et qu'au bout de trois ou quatre voya-
Hyaà Florence non-seulement un hommepolitique très-fort, ges, on finit par aimer Florence comme une seconde patrie
mais encore un homme du monde de beaucoup d'esprit, et et souvent par y demeurer tout à fait.
que Napoléon appelait un géant dans un entresol: c'est M. le La première chose qui frappe, quand on visite cette an-
comte de Fossombroni, ministre des affaires étrangères et cienne reine du commerce, est l'absence de cet esprit com-
secrétaire d'État. Chaque fois qu'on le presse d'adopter quel- m'ercial qui a fait d'elle une des républiques les plus riches
que innovation industrielle, ou de faire quelque changement et les plus puissantes de la terre. On cherche, sans la pou-
politique, il se contente de sourire et répond tranquillement: voir trouver, cette classe intermédiaire et industrielle qui
Il monde va da se; c'est-à-dire Le monde va de lui-même. peuple les rez-de-chaussées et les trottoirs des rues de Paris
Et i) a bien raison pour son monde à lui, car son monde et de Londres. A Florence, il n'y a que trois classes visi-
à lui, c'est la Toscane, la Toscane où le seul homme de bles l'aristocratie, les étrangers et le peuple. Or, au pre-
progrès est le grand-duc. Aussi l'opposition que fait le mier coup d'œi), il est presque impossible de deviner com-
peuple est-elle une opposition étrange par le temps qui court. ment et de quoi vit ce peuple. En effet, a part deux ou trois
Il trouve son souverain trop libéral pour lui, et il réagit maisons princières, l'aristocratie dépense peu et le peuple
toujours contre les innovations que dans sa philantropie ne travaille pas c'est qu'à Florence l'hiver défraie l'été. A
héréditaire il songe sans cesse à établir. l'automne, vers l'époque où apparaissent les oiseaux de pas-
A Florence, en effet, toutes les améliorations sociales sage. des volées d'étrangers, Anglais, Russes et Français
viennent du trône. Le dessèchement des maremmes, l'opé- s'abattfnt sur Florence. Florence connait cette époque; elle
ration du cadastre, le nouveau système hypothécaire, les ouvre les portes de ses hôtels et de ses maisons garnies, elle
congrès scientifiques, et la réforme Judiciaire, sont des idées y fait entrer pêle-mêle. Français, Russes et Anglais, et jus-
qui émanent de lui, et que l'apathie populaire, et la routine qu'au printemps elle les plume.
démocratique, lui ont donné grand peine à exécuter. Der- Ce que je dis est a la lettre, et le calcul est facile a faire.
nièrement encore, il avait voulu régler les études universi- Du mois de novembre au mois de mars, Florence compte un
taires sur le mode français, qu'il avait reconnu comme fort surcroit de population de dix mille personnes; or, que cha-
supérieur au mode usité en Toscane. cune de ces dix mille personnes dépense, toutes les 34 heu-
fes, trois piastres stutement., je co<e au plus bas, trente filles, de sa sœur, et de la grande-duchesse douairière. Deux
mille piastres s'écoutent quotidiennemient par )awt)e..Ceia &u trois autres, beattx e«&ns q,u! composent le reste de sa
fait quelqué chose Mïnme xent.quatre~vin~t mille francs par famHte bondissent ~oveus&mentà part &o<is ta sdrwHIance de
jour, soixante mMfe'pérson'nes vivent là dessus, leurs gouern-Mtes.
A~ssi~ c'est encore en, ceti qu'éctate L'extrême solticitndte Le grand-duc est. u& homme de quarante à.quarante-dCeux
du grand-énc pour son people. !) a' coMipri~quet'étranger ans, aux cheveux déjà blanchis par le travail; car ~e grand-
était une source dé forfruno pour Ftofence, et tout étranger duc, Toscan par le cœur, mais Allemand par l'esprit, tra-
est le bien venu à P~rence I'Ang)a4s avec aaf. mor~jtc~ )<B vaille huit à dix heures par jour. Il porte habituellement,
Français avec son indiscrétion le Russe avec sa réserve. Le un peu inclinée, sur sa poitrine, sa tête que de dix pas en
premier jauger arrî\ô~ le palais Prtt;i, ouvert tons les jours il
dix pas relève pour saluer ceux qui passent. A chaque sa-
aux étrangers, à la curiosité desquels il offre sa magnifique
.galerie, s'ouvre encore une fois par semaine, le soir, pour
leur donner 4es bals sptendrdës. Là,, tout homme que son
ambassadeur juge d'igné de t'bospitat.tté souveraine est pne'-
senté, et nobteou commerçant, industrie) :ou artiste, est re-
je ne l'ai vu qu'à )ui.
lut, sa figure calme et pensive s'éclaire d'un sourire plein
d'imetligentebienveiltance ce sourire lui est particulier, et

La grande-duchesse lui donne ordinairement le bras sa


mise est simple, mais toujours parfaitement élégante. C'est
çu avec ce bienveH)af)t.s<u<'ire qui forme le caractère parti- une princesse de Naples, gracieuse comme sont en général
culier de tapttysMMOMM pensi've dugrand-dac. Une fois tes.,pE;)Mess€S de ta.maison do PoHcbQHy<t..quiserait.bette
présenté, l'ëtran~r est invité pour toujours, et dès lors il partout car sa.beauté n'a point de type particulier
ses
c'est
épaules
vient seul à ces soirées pfi)M;ière&,etcetaavee ptus de iiberte quelque chose à la fois de bon et/de distingue
qu'il n'irait à un tat'de Chaassée-d'Antin, car, comme i)
est d'étiquette de point adresser la parote au grand-duc qu'i!
ne prenne )'initi.tt~e,"etque,maigre aem attentive aff-tBititë,
tuaire..
et ses bras surtout pourraient servir de modère
a un sta-

Les demt jeunes princesses viennent derrière, causant


le grand-duc ne peat~ causer avec tout. le monde, l'invité presque toujours avectagt'ande-d~hes&e-tdouairietequiaa
vient, boit,man~ et s'en vj~Mns être forcé de parter:) fait.leur éducatien, ou:avec ieur tant~. Elles sont nïtes d'un
personne; c'est-it-dire, moins ta oMte~oemmei) ferait dans premier mariage, ce qui se voit facHemc~ ta. grande-du-
mema~HifiquehoteMerie. chesse ~yant t'atr de teur~eeur a:née. Elles sont beUes tou-
Florence a donc deux aspects sonaspect d'été~ son .as- tes deux de cette beauté allemande dont le car.ajCtère prin-
pect d'hiver; !i faut en conséquenceerre resté un an à'Fio- cipal est la douceur. Seulement, la ta~tc;.frète de, J'aîoée
rence, ou y être passé a de~x époques opposées~ pour con- donne que]qaescraintes,di~onaa.)asotl'citude,patptne))e.
naifte la viUe des fleurs sous sa doubte face~ Ma'aEiorEttcccst une bonne et douce mère, Florence la
L'été, Ftoronce est.triste et peu près aotUaire de huit bercera si bien;à son beau soleil qu'elle iaigu'Rtu'a..
heures du matin quatre hemes ~u aoi)'))e vingtième de sa ï) y .a que)que chose de touchant et df patDarcal a voir
population à peine oir~e {.oua un soleil de plomb, dans une famille souveraine mëtéeainMa-son pe.up)e,.s'at~etant
ses rues aux portes et aux fenêtres fermées~ on dirait une de vingt pas en ~'ingt pas,pour canser avec les.pèreset pour
ville morte, et visitée par des curieux seulement, comme embrasseriesenfans. Cette we me reportaitten souvenir à
Hercubmutne~ Pompe!8t~u:tfe heures,.te soieit tourne notre :pau.vr& famine roya)e, enfermée dans son château des
un peu, t'ombre descend sur les dalles ardentes et te long Tuileries comme dans une prison~ eUremNante.chaquc.fois
des muraittesTOugies~ quelques (enett'ea s'entrebâillenttimi- que le roi sort, à l'idée que ses six chevaux, si rapide.que
dement pour TccueiMtr quelques soumes de brise., les,gran- soit.leur ga)op.pourraientne ramener qu'un cadavre.
des portes .s'ouvrent, tes oatëohps découvertes en sortent tendant qu'on .se .promène, les voitures attendent dans t<?s
toutes peuplées de femmes et .d'encans:, .et s'acheminent vors anéss adjacentes. Vers les six heures, chacun temonte dans
tesCoc/ttnM. !Les hommes, en .général, s'y rendent a part, la sienne, et ica cochers reprennfnt d'eux-mêmes, et ~ans
enti)bury,àcheva)ou.aj)ietL qu'on le leur dise, le chemin du Piazzonne.; tu ,ils s'arrêtent.
Les CacytMM,(j'écris~'mol comme
le bois de Boutonne
se prononce), c'est
.de Florence, moins ta.poussieret et plus
sans qu'on ait même bcsom de leur faire signe..
C'est qjuete'PtaHonae de Etorence offre cequen'oS'repeut-
la frait'heur. On s'y rend par la ,porte.del Prato, en suivant .6tre aucun&aHtrc ville une espèce de cercle en plein air, où
une gran'téaDce d'une demi-lieue à .peu.~rÈs,toute plantée .chacun reçoit et rend ses visites; il va ~ansdirc,que tes-vi-
de beaux arbres. Au bout de.ceUe.aHee, se'trouve,nn casino Mteurs &ont les homaies. Les .femmes restent~ans les voitu.
appartonact au grand-duc, Devant ce casino, une.place res, les hommes vont de )'une l'autre, causent à;tapor)tere,
qu'on a~peite te PiazzoMte; quatre~Uées-aboutissent acette .cettx-Gi à pied caux-tà à cheval, quetqutis-uns ptM -famHiers
p)a..e, et offrent aux voitures des décernons parfaitement montés sur )ejmarchepied.
ménagés. C'est là que la vie,se règle, que les coups d'fBil s'échan-
Les Cacuines forment deux promenades la promenade gent, que les rendez-vous se donnent.
d'etc, )a 'prf~mpnade d'hiver. L'été, on se.prmnëneà t'ombre; Au milieu de toutes ces voitures passent des fleuristes
l'hiver ansoieit; iété an Pré, t'civer a Z.u7t~o-t'~rno. vous jetant des bouquets de roses et de violettes, dont elles
L'une et l'autre de. ces promenades sont cssentic))ement iront le lendemain matin, au café, demander le .prix aux
aristocra.tiques; le peuple n'y parait, même pas. Une des hommes en leur présentant un œiHet. Au reste, ce lènde-
choses particulières encore aux Toscans, est cette distinc- main venu, paie qui veut, les Ûeurs ne sont pas cher a Flo-
tion des rangs ~iie les ttasaes inférieures maintiennent rence. rton'nceest le pays des neurs; demandez p)utot à
avec soin, loin de chercher, comme ea France, a; les effacer
éternp)!emeht.
BenvenutoCeitini.
On jusqu'à huit heures. A bu!t heures, un léger
reste là
La promenade d'été est'an ~rMd pré, d'nn tiers de lieue brouillard s'ctevc au fond du pré. Ce brouillard, c'est la
de )on~ à 'peu pr'es et'de cent pas'de hrge, tout torde, sur source de tout mal il renferme )a goutte, les rhumatismes;
un c<'(te, d'un rideau de grands arbres qui intercepte c.ntic- la cécité; sans ce brouillard, tes Florentinsseraient immor-
rement les rayons du soleil. Ces arbres, qui se composent de tels. C'est ainsi qu'ils ont été puttis, eux, du péché de notre
chênes verts, de pinède hCrros garnis d'énormes lierres, premier père aussi, à la vue de ce hroutitard, chaque grou-
sont des plus beaux ique j'atC jamais fus~, môme dans les pe sn dispose, c))aqne colloque s'interrompt, chaque voitu-
calèches d'ëtran-
forêts defrance et d'A~cmagne c'est ta remise d'une mutti- n; détale, il ne teste que les trois ou quatre
tudf de lièvres et de faisans qui se .promènent puie-m~te gos, qui, n'étant pas du pays, ne connaissent pas ce formi-
avecifs promeneurs; parmi ceux-ci on reconnait les chas- dable brouillard, ou qui le connaissant n'en ont pas peur.
seurs ils mettent le gibif'r en joue avec h'urs cannes. A neuf heures, les retardataires quittent le Pta::unHe et
Au milieu de tout en monde, et coudoyc par ceux qui ne reviennent;) leur tour vers )nv.iHc. A la porte de) P<afo, ils
1 e connaissent pas, vêtu avec une simpticitë extrême, se pro trouvent un second cercle te brouillard ue vient pas jusque
mine le grand-duc accompagné de sa femme, de ses deux là. De la porte del Prato on le brave, on le n;)i'guc la ctia-
leur qu.e !.esoleil a.communiquéeaux pierres des remparts, fond de notre atmosphère trois ou quatre mois de l'année, y
et qu'eUe .conserve une partie de la nuit, te repousse. On est peu.près inconnu.
reste là jusqu'à dix heures et demie seulement à dix heures S'il fait beau, là une heure, toutes les voitures sortent,
les gens .économes.quittent Ja partie à dix heures, la herse moinsles voitures tk)rentines,<tant)es .maMfes craignent fort
se baisse, et ji faut donner dix sous pour la faire 'tevor. tes variations 'Mvernates. ett se dirigent vers les Cachines, On
A onze heures, presque ton jours 'les Florentins sont ren- ne s'aperçoit pas de absence des~Ftorentins, car Jcs vOttu..
trés chez eux, a moins qu'il n'y ait fête chez la comtesse res ~traogcres sutBsent pour défrayer teLcngchamps qu&tt-
Nencmi. Les étrangers seuls 'restent à courir la ville au dien;seuiement, au'iieude'descendreau'Pré et.à a.t'ombre,
clair.de lune, jusqu'à deux heures du matin. on laisse aux lièvres et aux faisans cette promenade trop
Mais s'il y.a fête .chez ta comtesse Nencini, tout le monde froide et trop humide, et tt'pn desoentl tongo~p.
s'yj)Qrte. Longo-l'Arno est, comme indique son nom, .une prome-
La comtess.e Ncncini a été une des plus belles femmes de nade )e')ongdet)'Arna. A gauche, ton a !e Ceuve; droite,
Florence, et .en est r.estée une des plus spirituelles c'est le rideau de chênes verts, de pins et de lierre, qui sépare cetta
une Pandolfini c'est-à-dire une des plus grandes dames de promenade.
la Toscane. Le .pape Jules Il a fait don à un de ses aieux C'est là <p)'on vient boire, au 'Meu d'une eau thermale in
d'un charmantpalais bâti par Raphaë). C'est dans ce palais fecte, ce doux soleil d'Unie, toujours tiède et souriait.
qu'elle habite, et dans le jardin attenant qu'elle donne ses Comme le cheminot très étroit, .on se coudoie comme dans
fêtes elles ont lieu les quatre dimanches de juillet. Chacun le passage de i'Opera ou deia rue de Choiseul seulement,
sait cela, chacun les attend, chacun s'y prépare si bien que, la population y est ptraxgement-variée: chaque groupe qui
bon gré mal gré, elle est forcée de les donner; il y aurait vous croise ou que l'on depasse~arie unejangue ditfénente. Là
émeute si elle ne les donnait pas. cependant, contre leur .habitude, les Anglais ne son.t pas .en
C'est qu'aussi ces quatre fêtes de nuit sont bien les plus majorité, les Russes remportent; ce qui est une grande
charmants fêtes qui se puissent voir. Qu'on se figure un consoiation pour les Français, qui peuvent se croire encore,
délicieux palais, ni trop grand ni trop petit, comme chacun en oubliant ce beau soleil et ce magnitique'horizon.de mon-
voudrait en avoir un, qu'on soit prince ou artiste, mcub)é tagncs tout parsemé de villas, aumitieu deJa.maiiieucc el.de
avec un go.û.t parfait, des plus beaux meubles de caprice la ptuséiégante société des Tuileries.
qu'JU y ait dans tout Florence, illuminé a g:'on!o, comme on Parmi ces nombreux promeneurs, mais jseutem&nt.ptus
dit en Italie, et s'ouvrant par toutes ses portes et par toutes presse, plus coudoyé, plus saluant <}ue les autres, passe le
ses fenêtres .sur un .jardin ang)ais, dont chaque arbre porte, grand-duc 'et ~a famille; toute sa gaude .consist.e en deux ou
au lieu .de {ruits, des centaines de lanternes de couleur. Sous trois valets qui le suivent xi'asseE loin ))Qur ne pas entendre
tous les barceau.x de.ce jardin, des groupes de chanteurs ou la conversation.
d'instrumentistes, et dans les allées cinq cents personnes .De Longot'Arno, en revient faire la station~Migéc au
qui .se promènent, e.t.qu.) vont tour à tour alimenter un bal, Piazznnne. Là seulement on retrouve bravant ce qu'ils appel-
qu'on xoi.t.bond.irjoyeusement de loin dans une serre pleine lent les rigueurs .de ia saison,quetquesFIc.rcntinsffanciscs,
d'orangers et, de camélias. trop amoureux pour craindre (e-froid, ou trop jeunes pour
,&part .quelque~ .concerts à .la Phi)armoniqu<quelques ,craindre )&s rhumatismes.iQuant aux Florentines, est rare
soirées .improvisées j)ar un anniversaire de naissance ou .d'en apercevoir p)us<)e'deuxou)troisdans tes~ptus beaux
une fête ~patronale, quelques représentations extraordi- joors, encore ne font-elles qu'une station .d~un instant, et
naires d'opéra j) la Përgota, ou de prose au .Cocomero; jup't<; ce qu'il faut pour prendre quelques petits arrange-
voii~'Florence t'été quant à.l'aristocratie. Quant au peu- meus indispensables pour de soir, pour IttUtut ou pom le
p)e, il a .tes églises, les processions, les promenades au tendemain.
Parterre et ses causeries dans les rues et a ta porte C'est a taPergoia qu'on se retfou~e, jba.Per~ia.ce sont
dc.s cafés qui joe se ferment ni jour ni nuit; s'accrochant a
les Bouffesde Fiorence.Tout.oe qu'jhy detFioreotins ou
d'étrangersdans la capitale de'ia Toscane, du mois d'octobre
au reste à tout ce qui a l'apparence d'une fête, avec un
laisser-aner~ptein de paresse et de bonhomie; saisissanl au mois de mars, loge à )a Pergata c'est une chose dont on
chaque plaisir qui passe sans s'inquiéter de le fixer, et le ne.peutpas se dispenser. Dinez table d'~hôte, ou au:restau-
quittant comme il l'a pris pour en attendre un autre. Un rant de'ia Lune, mangez chez mus du macaroni et du <'<?c-
soir, nous entendîmes un grand bruit; deux ou trois musi- cala, personne ne~'en occupe,.c'est votre affaire.; mais ayez
.c;ens de la P.crjgota, en sortant du théâtre, avaient eu l'idée
de s'en~aHer chez eux ,en jouant une valse; la population
éparse p~r les .rues s'était mis à les suivre en valsant. Les
hommes qui p'avaient point trouvé de danseuses valsaient
le monde. 'Une loge ot une'voi'tUM sont~M!e!)M&< de
Florence. Qui a -loge,et voiture eStt un grand qui
une <oge à i'u.n des ttCûis rangs <toMp~, c'est .t'aNaire de tout

n'a ni loge ni voiture, s'appe~t-~ Rob.au~u.Corsini, Ponia-


Bntre.eux. Cinq pu six cents personnes prirentainsiieptai towski ou Noaittes, n'est qu'.UH croquant. Kegtez-vons là-
sir du ba) depuis la place )du Dôme jusqu'à la porte du Prato dessus et, ei 'Mus vanez :') Fiortenoe, faite ia bourse de la
où demeurait .le dernier musicien; le dernier musicien loge et .de la voiture, comme en ,allant de Rome à Napies .on
rentré chez lui, tes valseurs revinrent bras dessus, bras fait ja bourse.des tVoteuM.
dessous, en .chantant l'air sur IcqueUls avaient va)sé. Au reste, wiuu'e6~tlo,ges.ne sont.pas eher,~ à Florence;
on a une voiture au mois pour deux cent cinquante irancs,
et une loge à ia saison pour .cent piastres. Ajoutez ù cela
que ta togeà la Rergoda xaut quatne fois son prix, non pcin).
pour le spectacle, pareonne ne s'occupe du spectacle a .Flo-
ronce mais tpour )a salle, j'entends par salle les spectateurs.
En elfet, c'est à ia Pergola que se croisent tous les feux
de la coquetterie fénunine. La, comme à ia promenade, les
Florentines sont en miaorjté. La majorité se compose d'é-
~A.PERGOLA. trangères qui anrivent de Paris, de Londres et de Saint-
P<~<<ersbourg,~ospéfant écraser iem's rivales sous le poids de
toutce qu'il y a de plus nouveau dans les trois capitate; Les
Ft'ançaises,avec)eur€tégancesimp)e;tesAng)aises,avccit'nrs
'L'M\'er,F)orence prend un aspect'tout parHotUcr; c'est plumes sans fin et leurs robes aux couleurs voyantes et criar-
une ville de bains, moins les eaux. La température se divise des les .Russes, avec leurs rivieres<)e diamans et leurs neuves
en deux phases'bien distinctes et presque toujours parfaite- de turquoises. Mais les Florentines ont de quoi faire face à
ment tranchées ou il fait un soleil magnifique, ou il pleut a tout; elles tirent des vieilles armoires sculptées de leurs
torrens. Ce temps couvert, brumeux et humide, qui fa~t le ancêtres, des Oots de guipures, de point et d'Angleterre, des
poignées de diamans princiers ou pontificaux transmis de présentant les classes aristocratiques et les arts libéraux,
pères en fils, de ces riches étoffes de brocard comme Véro- sont adjoints cent cinq journaliers pour représenter le
nèse en met à ses rois mages; elles écrivent à mademoiselle peuple.
Baudran de leur envoyer tout ce qu'elle chiffonnera pen- Le siège de la confrérie de la Miséricorde est place du
dant l'hiver, et elles attendent tranquillement le résuttatde Dôme. Chaque frère y a, marquée a son nom, une cassette
la campagne. Il en résulte qu'il y a peu de grandes capitales renfermant une robe noire pareille à celle des pénitens, avec
où l'on rencontre un luxe de toilette pareil à celui de Flo- des ouvertures seulement aux yeux et à la bouche, atin que
rence. sa bonne action ait encore le mérite de l'incognito. Aussitôt
On comprend ce que devient le pauvre Opéra, au milieu que la nouvelle d'un accident quelconque parvient au frère
de si graves intérêts: les lorgnettes vont d'une loge à l'autre; qui est de garde, la cloche d'alarme sonne selon la gravité
vers la scène jamais. A moins qu'on ne joue qnelque opéra du cas, un, deux ou trois coups, et, au son de cette cloche,
nouveau et inconnu, on cause à peu près pendant tout le tout frère, quelque part qu'il se trouve, doit se retirer à
temps qu'il dure. Je ne connais que Robert-le-Diablequi soit l'instant même et courir au rendez vous. Là il apprend quel
venu mettre, pendant trente ou quarante représentations de est le ma)))eur qui l'appelle où :a souffrance qui le réclame,
suite, une trêve de Dieu entre les combattans. revêt sa robe, se coilfe d'un grand chapeau,'prend un cierge
En échange, on écoute religieusementle ballet i) se com- à la main et va partout où une voix gémit. Si c'est un blessé,
pose de sixièmes ou septièmes danseuses parisiennes, mais on le porte :') t'hûpita) si c'est un mort, on le porte à la cha-
ces demoisellesremédient à la faiblesse de leur talent par le pelle grand seigneur et homme du peuple alors, vêtus de
peu de longueur de leurs robes. Elles dansent comme cela la même robe, s'a~etent a la même litière, et le chainon qui
se trouve, tantôt sur la plante du pied, tantôt sur le talon, réunit ces deux extrémités sociales est un pauvre malade
rarement sur la pointe, estropiant les pas, manquant les qui, ne les connaissant ni l'un ni l'autre, prie également
équilibres, mais raccommodant tout avec une pirouette. Une pour tous deux.
pirouette, c'est le fond de la danse, comme legno et roba sont Puis tjuami les frères de la Miséricorde ont quitté la mai-
le fond de la tangue plus elle dure, plus elle est applaudie. son, tes enfans dont ils viennent d'emporter le père, la fem-
Aussi a-t-it peu de toupies et de tontons qui puissent riva- me dont ils viennent d'emporter le mari, n'ont qu'à regarder
liser avec les danseuses florentines. Elles lasseraient un autour d'eux, et toujours sur quelque meuble vermoulu, ils
faquir. trouveront une pieuse aumône déposée par une main in-
Malheureusementle danseur est encore fort à la mode dans connue.
les ballets de la Pergola, et il ne le cède aux femmes, ni en Le grand-duc fait partie de l'association des frères de la
mines gracieuses ni en pirouettes prolongées c'est peut- Miséricorde, et l'on assure que plus d'une fois, à l'appel de
être très beau comme art, mais c'est certainement fort laid la ctod)e fatale, il lui est arrivé de revêtir cet uniforme de
comme réalité. l'humanité, et pénétrer inconnu, côte à côte d'un ouvrier,
Une autre singularité de la Pergola, c'est le privUége jusqu'au chevet de quelque pauvre mourant, chez lequel,
qu'ont les tanneurs, les corroyeurs, et en générât tous les après son départ, sa présence n'était trahie que par le se-
manipuleurs de cuir, de venir se casser le cou pour le plus cours qu'il avait laissé.
grand plaisir des spectateurs. A quelle époque remonte ce Les frères de la Miséricorde doivent encore accompagner
privilégeP quelle circonstance y a donné lieu? quelle belle les condamnés à t'échafaud mais comme depuis ravinement
action est-il chargé de récompenser ? C'est ce que j'ignore, au trône du grand-duc Ferdinand, père du souverain actuel-
mais le privilége existe, voilà le fait. En conséquence, pourvu lement sur le trône, la peine de mort est à peu près abolie,
qu'ils s'habillent à leur compte, ces étranges comparses ils sont délivrés de cette pénible partie de leurs fonctions.
peuvent venir figurer gratis, chose à laquelle ils ne man- Son devoir rempli, chaque frère revient place du Dôme,
quent pas, tandis qu'on a toutes les peines du monde à avoir dépose dans la maison miséricordieuse robe, cierge, cha-
d'autres figurans payés. En vertu du même privilége, ils ne peau, et retourne à ses affaires ou à ses plaisirs, presque
se mêlent point avec le vulgaire, ils entrent à part, restent toujours attégé de quelque francesconi.
entre eux, s'emparent d'un intermède tout entier, et exécu- Revenons a la Pergola, dont nous a, pour un instaut,
tent des groupes, des combats et des cabrioles pareils à écarté la cloche de la Miséricorde.
ceux des atc.ides, moins la force, et à ceux des bédouins Le ballet fini, on chante le second acte, car en Italie, pour
moins la légèreté. Ces groupes, ces combats et ces cabrioles, donner aux chanteurs le temps de se reposer, leballet s'exé-
au reste, sont toujours fort applaudis, et l'honorable corpo- cute entre les deux actes. Comme en général on s'occupe
ration des tanneurs et corroyeurs emporte sa bonne part très peu de t'opéra, personne ne se plaint de cette solution
des applaudissemens de la soirée. de continuité, les étrangers seuls s'en étonnent d'acord, mais
Parfois, au milieu d'une cavatine ou d'un pas de deux, une bientôt ils s'y accoutument; d'ailleurs on n'habite pas trois
cloche au son aigu et déchirant se fait entendre c'est la mois Florence qu'on est déjà aux trois quarts toscanisé.
cloche de la Miséricorde. Écoutez bien si elle sonne un Florence est en tout temps ce qu'était Venise du temps de
coup, c'est pour un accident ordinaire; si elle sonne deux Candide, le rendet-vous des rois détrônés. A la première
coups, c'est pour un accident grave; si elle sonne trois coups, représentation des t~'M Siciliennes, j'ai vu à la fois dans la
c'est pour un cas de mort. Alors vous voyez les loges s'é- satte le comte de Laint-Leu, ex roi de Hollande, lé prince
ctaircir, et il arrive souvent que celui avec qui vous causez, de Montfort, ex-roi de Westphatie, le ducdeLucques, ex-roi
s'il est Florentin, s'excuse de vous laisser au milieu de la d'Etrurie, madame Christophe, ex-reine de Haïti, le prince
conversation, prend son chapeau et sort. Vous vous infor- de Syracuse, ex-vice-roi de Sicile, et peu s'en était fallu en-
mez de ce que veut dire cette cloche et d'où vientl'effet qu'elle core que cette illustre société de têtes découronnées ne fût
produit. Alors on vous répond que c'est la cloche de la Mi- complétée par Christine, t'ex-régentc d'Espagne
séricorde, et que celui avec qui vous causiez étant frère de !) est vrai que l'opéra qu'on représentait était du prince
cet ordre, il se rend à son pieux devoir. Poniatowski, dont l'ancêtre était roi de Pologne.
La confrérie de la Miséricordeest une des plus bettes ins- Comme on le voit, la Toscane a enlevé à la France le prt-
titutions qui existent au monde. Fondée en <2<4, à propos vilége d'être l'asile des rois malheureux.
des fréquentes pestes qui désolèrent le dix-huitième sicde, Après la Pergota, il y a toujours quelque soirée russe,
elle s'est perpétuée jusqu'à nos jours sans altération aucune, anglaise ou florentine, où l'on va continuer sa nuit et ache-
sinon dans ses détails, du moins dans son esprit. Elle se
ver une conversation commencée aux Cachines ou à la Per-
compose de soixante-douze frères, dits chefs de garde, les- gola.
quels hont de service tous les quatre mois. Ces soixante~ Yoita ce qu'est à Florence l'hiver pour l'aristocratie.
douze frcres sont divisés ainsi dix préjats ou prêtres Quant au peuple toscan, plus heureux que le peuple pari-
dués, vingt ),ré):ns ou prêtres non gradués, quatorze gra-
gen- risi~o, l'hiver n'est pas pour lui une saison où il a froid et
t)'s:)ommes et vingt-huit artistes. A ce noyau primitif, re- où il a.M; c'est, comme pour la noblesse an contraire, une.
époque de plaisir. Comme les grands seigneurs, il a deux et le triangle équitatéra) s'établit ainsi tout doucement à la
théâtres d'opéra, auxquels il va moyennant cinq sous, et où satisfaction de chacun.
il entend du Mozart, du Rossini et du Meyerbeer, et de ptus Ceci n'est point l'histoire de l'Italie particulièrement, c'est
que les grands seigneurs, il a son Stentarello qu'il va ap- l'histoire de tous les pays du monde seulement dans tous
plaudit- pour deux croz:. les pays du monde on le cache par hypocrisie ou par
Stentarello est à Florence ce que Jocrisse est à Paris, ce or-
gueil; en Ita)ie,on le laisse voir par habiiudc et par insou-
que Cassandre est a Rome, ce que Polichinelle est à Naples ciance.
et ce que Girolamo est à Mi)an, c'est a dire le comique na- Mais ce qui n'arrive qu'en Italie, par exemple, c'e't
que
tional, éternel et inamovible, qui depuis trois cents ans a le cette liaison devient le véritable mariage, et que presque
privilége de faire rire les ancêtres, et qui trois cents ans en- toujours la fidétité trahie envers le premier est gardée au
core, selon toute probabilité, aura l'honneur de faire rire les second. En effet une fois la dame et son cavalier liés ainsi
descendans. Stentarello enfin est de cette illustre familledes l'un à l'autre, plus cet arrangement a été public, plus il de-
queues rouges, qui, à mon grand regret, a disparuen France vient nécessairement durable. Maintenant, ne vaut-i) pas
au milieu de nos commotions politiques et de nos révolu- mieux prendre pudiquement on nmant et te garder toute sa
tions littéraires. Aussi va-t-ou quelquefois en débauche à vie, que d'en changer clandestinement tous les huit jours,
Stentarello comme on va à Paris aux Funambules. tous les mois, ou même tous les ans, comme c'est l'habitude
Ce qui frappe encore a Florence, comme une coutumetoute dans un autre pays que je connais et que je ne nomme
particulière à la ville, c'est l'absence du mari. Ne cherchez pas.
pas le mari dans la voiture ou dans la loge de sa temme, Mais les maris italiens, que)s figures font-ils?
n'y
c'est inuti)e,i) est pas. Où est-il P Je n'en sais rien; dans A ceci je répondrai par un petit dialogue
quelque autre to~e ou dans quoique autre voiture. A Flo- M. de" disait l'empereur a l'un de ses courtisans,
rence, le mari possède l'anneau (le Gygès, it est invisible. Il on m'assure que vous êtes cocu; pourquoi ne me l'avez-vous
y a telle femme de la société que je rencontrais trois fois par pas dit?
jours pendant six mois, et qu'au bout de ce temps je croyais Sire, répondit M de parce que j'ai cru que cela
veuve, lorsque par hasard, dans la conversation, j'appris n'intéressait ni mon honneur ni celui de Votre Majesté.
qu'elle avait un mari, que ce mari existait bien réellement et Les maris italiens sont de l'avis de M. de
demeurait dans la même maison qu'elle. Alors je cherchai Malheureusement, ce petit arrangement, intérieur, que je
le mari, je le demandai à tout le monde, je m'entêtai à le trouve pour mon compte, du moment que cela convient aux
voir. Peine perdue, il fallut partir de Florence sans avoir eu trois intéressés, tout simple, tout naturel, et je dirai pres-
l'honneur de faire sa connaissance, espérant être plus heu- que tout moral, ne s'exécute qu'aux dépens de l'hospitalité.
reux à un autre voyage. En effet, on comprend combien doit être gênant, plongeant
Il n'en est point ainsi, au reste, pour les jeunes ménages du salon à l'alcôve, le coup d'(Bil investigateur d'un étran-
tout une génération s'avance qui s'écarte, sous ce point de ger, et surtout d'un Français, qui, avec sa légèreté et son
vue, des traditions paternelles, et l'on cite, comme remon- indiscrétion habituelles, s'en ira, Florence à peine quittée,
tant à vingt-cinq ans, le dernier contrat de mariage où fut remercier par la publicité de leur vie privée les familles qui,
inscrite par les parens de la mariée cette étrange réserve sur la recommandation d'un ami, l'auront accueilli comme
qu'ils faisaient à leur fille du droit de choisir un capter un ami. Lui, inconnu, n'aura cependant passé chez ceux qui
servant. l'ont reçu ainsi, que pour laisser le trouble en remer-
Puisque voilà le mot lâché, il faut bien parler un peu du ciement des gracieuses et attentives politesses qu'il en a ré-
cavalier servant d'ailleurs, si je n'en disais rien, on croi- clamées. H en résulte, oui, cela est vrai, que l'étranger,
rait peut-être qu'il y a trop à en dire. adnnrabtemcnt accueilli d'abord, ou sur la foi de son nom
Dans'es grandes familles où les alliances, au lieu d'être sent, ou sur la lettre qui lui sert d'introduction, après les
des mariages d'amour, sont presque toujours des unions de invitations ordinaires aux diners et aux bals, sent l'intimité
convenances, it arrive, après un temps plus ou moins long, se fermer devant lui, et demeurat-i) un an à Florence, reste
un moment de lassitude et d'ennui où le besoin d'un tiers presque toujours un étranger pour les Florentins. De là, ab-
se fait sentir le mari est maussade et brutal, la femme est sence complète de ces bonnes et longues causeries auprès du
revéche et boudeuse; les deux époux ne se parlent plus que feu, où, après toute une soirée passée à bavarder, on s'en
pour échanger des récriminations mutuelles ils sont sur le va ignorant parfaitement ce qu'on a pu dire, mais sachant,
point de se détester. par l'envie même qu'on a de les renouveler le lendemain,
C'est alors qu'un ami se présente. !a femme lui narre ses qu'on ne s'y est point ennuyé un instant.
douleurs; le mari lui conte ses ennuis; chacun rejette sur Mais, encore une fois, si cela est ainsi, la faute n'en est
lui une part de ses chagrins, et se sent soulagé de cette part certes pas aux Florentins, mais à l'indiscrétion, et je dirai
dont it vient de charger un tiers il y a déjà amélioration presque à l'ingratitude française.
dans t'état des parties.
Bientôt le mari s'aperçoit que son grand grief contre sa
femme était l'obligation contractée tacitement par lui de la
mener partout avec lui la femme, de son coté. commence à
s'apercevoir que la société où la conduit son mari ne lui est
insupportable que parce qu'elle est forcée d'y aller avec lui.
Quand on en e$t là de chaque côté, on est bien près de se
comprendre. SÂINTE-MA~FE DES FLEU RS.
C'est alors que le rôle de l'ami se dessine il se sacrifie
pour tous deux le dévoûment est sa vertu. Grâce a son dé-
voilmeni, le mari peut aller où il veut sans sa femme. Grâce
a son dévoùmcnt, la femme reste chez elle sans trop d'en. Notre premier soin, en arrivant Florence, avait été de
nui le mari revient en souriant et trouve sa'femme sou- déposer aux palais Corsini, Poniatowski et lltartellini, les
riante. A qui l'un et l'autre doivent-ils ce changement d'hu- lettres de recommandationque nous avions pour leurs i))us-
meur ? à l'ami mais t'ami réduit a ce rôle pourraitbien s'en tres maîtres. Le même jour des cartes nous étaient envoyées,
lasser, et on retomberait dans la position première, position avec des invitations ou de soirées, ou de bals ou de diners.
reconnue parfaitement intotérabtc.Le mari a de vieuxdroits Le prince Corsini, entre autres, nous faisait inviter à venir
dont it ne se soucie plus et.dont il ne sait que faire; i) ne voir du balcon de son casino la course des BoW«')-t, et des sa-
veut pas les donner, mais un a uu it se les laisse prendre. !ons de son palais l'illumination et tes concerts sur FArno.
A mesure que l'ami se substitue à lui, il se sent plus à son En etfet, les fêtes de )a Saint-Jean arrivaient, et l'on sen-
aise dans sa maison l'ami devient cavalier servant en titre, tait sous le calme norenHn poindre cette agitation joyeuse
qui prétède les grandes solennités. Néanmoins, comme il la gracieuse invocation de Sainte-Marie-dcs Fleurs nom.
nous restait, deux ou trois jours d'intcrvatle entre celui oit qu'elle reçut, disent les uns, en souvenir du champ de rosés
nous nous trouvions et celui où les fêtes devaient commen- sur lequel Florence fut bâtie, et, disent les autres, en hon-
cer, nous résolûmes de les emp)oyer à visiter les principaux neur de la fleur de lis dont elle a. fait ses armes. Alors on
monumens de Florence. assure que, voyant sortir majestueusement son œuvre du
Mes deux premières visites, en arrivant dans une ville, sol, et prévoyant sa future grandeur, Ajnoifo s'écria
sont ordinairement pour la cathédrale et pour l'hôtel-de- J& t'ai préservée des tremblemens de terre, Dieu te
'viiie, En effet, toute l'histoire religieuse et politique d'un préserve de la foudre 1
peuple'est ordinairement groupée autour de ces monumens. L'architecte avait tout calculé pour l'exécution du dôme,.
Muni tic mofr guide de Florence, (le mon Vasari et de mes excepté la brièveté de la vie. Deux ans après la première
JKpMMt~MM italiennes de Simondc de Sismondi, je donnai pierre posée, Arnolfo mourut, laissant sa bâtisse à peine
donc l'ordre à mon cocher de me conduire au Dôme. J'inter- commencée aux mains de Giotto, qui, au dessin primitif,
vertissais tant soit peu l'ordre chronologique, la fondation ajouta le campanile. Puis les années s'écoulèrent encore;
dn Dôme étant postérieure d'une douzaine d'années à celle Tbaddeo Gaddi succéda à Giotto, André Orgagna à Gaddi,
du Palais-Vieux; mais à tout seigneur tout honneur, et il et Philippe a André Orgagna, sans qu'aucun de ces grands
est bien juste que le seigneur du ciel passe avant les sei- entasseurs de marbres eût osé commencer l'exécution de la
gneurs de la terre. coupole. Le monument avait donc déjà usé cinq architectes,
Vers l'an )294, la république de Florence se trouvait, etrestaitencore inachevé, lorsqu'en «t7 Philippe Brunel-
gr&ce à sa nouvelle constitution, jouir d'une tranquillité leschi entreprit cette œuvre gigantesque qui n'avait de mo-
profonde. En même temps qu'elle faisait entourer la ville dèle dans le passé que Sainte-Sophie de Constantinople, et
d'une nouvefie enceinte, revêtir de marbre le Iiaptistere de qui ne devait avoir de rivale dans. l'avenir que Saint-Pierre
Saint-Jean, bâtir son Palais-Vieux et élever la tour du Gre- de Rome et l'œuvre réussit si bien aux mains du sublime'
nier Saint-Michel, elle résolut de faire réédiûer avec une ouvrier, que, cent ans après, Michel-Ange, appelé à Rome
magnificence digne d'elle, et par conséquent sur de plus par le pape Jules 11 pour succéder a Bramante, dit en jetant
larges proportions, t'ancienne cathédrale dédiée d'abord au un dernier coup d'œii sur cette coupole, en face de laquelle
saint Sauveur, puis sainte Reparata. En conséquence, la il avait retenu son tombeau, pour la voir même après sa
commune se rassembla et rendit ce décret mort
Attendu que )a haute prudence d'un peuple de grande Adieu, je vais essayer de faire ta sœur, mais je n'es-
origine doit être de procéder dans ses affaires, de façon que père pas faire tapareille.
l'on reconnaisse, d'après ce qu'il fait, qu'il est puissant et Le dôme ne fut jamais termine. Baccio d'Agnolo était en
sage, nous ordonnons Arnolfo, maitre en chef de notre train d'exécuter sa galerie extérieure, lorsqu'uneraillerie de
commune, de faire le modMe et le dessin de la reconstruc- Michel-Ange la lui fit abandonner; enfin, au moment de
tion de Sainle-Reparata, avec la plus haute et la' plus somp- plaquer de marbre la façade, on s'aperçut que l'argent man-
tueuse magnificence qu'il pourra y mettre, afin que cette quait au trésor. Dix-huit millions avaient déjà passé a l'é-
église soit aussi grande et aussi belle que le pouvoir et l'in- rection du monument. Les travaux s'iHterroMpirent et ne
dustrie des hommes la peuvent édifier car il a été dit et furent jamais repris depuis lors. Seuleatent, à l'occasion
conseillé par les plus sages de la ville en assembléepublique du mariage de Ferdinand de Médicis avec Violente de Ba-
et privée, de ne point entreprendre les choses de la com- vière, quelques peintres de Bologne couvrirent de peintures
mune, si l'on n'est point d'accord de les porter au ptus haut à fresques la façade blanche et nue. Ce sont ces peintures
degré de grandeur, ainsi qu'il convient de faire pour le ré- dont on voit aujourd'hui les. restes presque entièrement ef-
sultat des délibérations d'une réunion d'hommes libres, mus facés.
par une seule et même voionté, la grandeur et la gloire de Tel qu'il est et tout inachevé que l'ont laissé les vicissitu-
la patrie. des qui s'attachent aux monumcns comme aux hommes, le
Arnolfo di Lapo avait à lutter contre un terrible prédé- dôme, tout incrusté de marbre blanc et noir, avec ses fenê-
cesseur, qui avait parcouru l'Italie, laissant partout des mo- tres ornées de colonnes en spirales, de pyramides et de sta-
numens puissans ou splendides. C'était Buono, sculpteur et tuettes, ses portes surmontées de sculptures de Jean de
architecte, l'un des premiers'dont le nom soit prononcé dans Pise ou de mosaïques de Guirlandajo, n'en est pas. moins
l'histoire de- l'art. En effet Buono, dès la moitié du douzième un chef-d'œuvre, qu'à la prière de son premier architecte les
siècle, avait Mti a Ravenne force palais et églises, lesquels tremblemens de terre et la foudre ont respecté. Son premier
lui avaient fait une si grande et si noble réputation, qu'H aspect est magnifique, imposant, splendide, et rien n'est
avait été tour à tour appelé à Naples pour y élever le châ- beau comme de faire, au clair de la lune, le tour du colosse
teau Caponan et le château de l'OEuf à Venise, pour y fon- accroupi au milieu de sa vaste place comme un lion gigan-
der le campanile de Saint-Marc; à Pistoie, pour y Mtir tesque.
t'égtise de Saint-André; à Arezzo, pour y construire le pa- L'intérieur du dôme ne répond point à l'extérieur; mais
lais de la Seigneurie; et à Pise, pour y fonder, de compte à ici, les souvenirs historiques viennent dorer la pauvreté de
demi avec Bonnanno, cette fameuse tour penchée qui'fait ses murailles et la nudité de sa voûte.
encore aujourd'hui la terreur et l'étonnement des voya- A droite et à gauche en entrant, à une hauteur de vingt
geurs. pieds à peu près, sont deux monumens l'un peint sur la
Arnolfo ne s'effraya point du parallèle, et malgré cette muraille
par Paolo Uccello, l'autre exécuté en relief par
-envie naturelle à l'humanité qui grandit toujours la réputa- Jacques Orgagna, et représentantles deux plus grands ca-
tion des morts pour abaisser celle des vivans, encouragé pitaines qu'ait
eus à sa solde la république Florentine. La
par le succès que lui avait valu l'exécuti.on de l'église de fresque est consacrée à Jean Aucud, célèbre condottiere an-
Sainte Croix qu'il venait d'achever, Il se mit hardiment à glais, qui
passa du service de Pise à celui de Florence. Le
l'œuvre, et fit un modèle qui réunit si unanimement les suf- bas-relief représente Pierre Farnèse, le célèbre général flo-
frages, qu'il fut décidé qu'on le mettrait immédiatement a rcntin, qui, élu le 27
mars ~503, gagna la même année, sur
exécution. En cuet, après des travaux préparatoires pour dé- les Pisans, la célèbre bataille deSan-Piero. Le moment choisi
tourner des fondations des sources d'eaux vives auxquelleson par le statuaire est celui où Pierre Farnèse,
attribuait les tremblemens de terre qui avaient secoué plu- cheval tué sous lui, remonte ayant eu son
sieurs fois ['ancienne basilique, la première pierre fut sur un mulet, et l'épée à la
main, à la tête de cuirassiers, charge porté par cette
sée, en <298, par te cardinal Valeriano, envoyé exprès po- étrange monture. ses
le pape Boniface VIII, le même qui.. entré par
au pontificat Quant à Jean Aucud, comme prononcent les Italiens, ou
comme uf renard, devait, dit son biographe, s'y maintenir plutôt à Jean Hawkwood, comme l'écrivent les Anglais, c'é-
comme un lion et y mourir comme un chien. tait, ainsi que nous l'avons dit, un célèbre condottiere à la
La nouvelle cathédrale commença donc de s'élever,
sous solde du pape. Son engagement avec le saint-père honora-
Mement fini, Aucud ayant trouvé son avantage à passer a la '1 puis il s'en retourna dans sa belle Florence, où drja la pein-
solde de la magnifique république, devint, en t5TT, le ptus ture et )a statuaire étaient nées, et où la poésie l'attendait
fermeappui de ceux qu'il avait combattus jusque là, et qu'il pour naître.
ser~t jusqu'au 15 mars 1594, c'est-à-dire près de vingt ans. Florence était alors en proie aux guerres civiles l'allian-
Pendant cette période, il avait si bien t) avaiUé pour t'honneur ce de Dante avec une femme de la famille des Donati le jeta
et la prospérité de Florence, que, quoiqu'il fût mort de mata- dans le parti guelfe. Dante était ~n de ces hommes qui se
die dans une terre qu'il avait achetée près de Cortone, la donnentcorpsetâme)orsqu'i)ssedonnent anssi le voyons-
seigneurie le fit ensevelir dans la cathédrale. nous à la bataille de Campotdino, charger a cheval les Gi-
Comme on le pense bien, ce n'était point par désoeuvrés belins d'Arezzo, et dans la guerre contre les Pisans, monter
'de sainteté que Jean Hawkwood avait mérité un parei) mo- le premier ) l'escalade du château de Caprona.
~Maent. Jean Hawkwood était au contraire assez peu res- Après cette victoire, il obtint les premières dignités de la
pectueux envers les gens de sa religion, et d'avance sentait répubiique. Nommé quatorze fois ambassadeur, quatorze
son hérétique d'une lieue. Un jour, deux frères convers étant fois il mena à bien la mission qui lui était confiée. Ce fut au
at)es lui faire une visite dans sohthSteaa de Monteoehio moment de partir potir l'une de ces ambassades, que, me-
Dieu vous donne la paix lui dit un des deux moines. surant du regard les évenemens et les hommes, et que trou-
Le diable t'enièM .ton aumône! lui répondit Hawk- vant les uns gigantesques eUes autres petits, il laissa tom-
wood. ber ces paroles dédaigneuses
–Pourquoi nous faites-vous si cruel souhait? de-
un -Si je reste, qui ira ? Si je vais, qui restera?
manda alors le pauvre frère tout ébouriffé d'une pareille ri- Une terre labourée par les discordes civiles est prompte
Hexion. à faire germer une pareitte semence sa plante est l'envie
Eh t pardieu! répondit Hawkwood,ne savex-\ous donc et son fntiti'exi).
pas que je vis de la guerre? et que la paix que vous me sou- Accusé de concussion, Dante fut condamné, le 37 janvier
'haitez me ferait mourir de faim. <503, par sentence du comte Gabriel Gubbio, podestat de
Cn autre jour, ayant abandonné le sac de Faenza a ses Florence, à huit mille livres d'amende, àdeux ans de pros-
gens, il entra dans un couvent an moment où deux de ~es cription, et dans le cas de noa paiement de cette amende, &
plus braves officiers, se dispatant une pauvre religieuse ~fge- la confiscation et dévastation de ses biens et a un exil
nouillée au pied d'un crucifix, venaient de mettre i'épeea à la éternel.
main ~Mur savoir celui des deux auquel elle appartiendrait. Dante ne voulut pas reconnaître le crime, en reconnais-
Hairkwood n'essaya point de leur faire entendre raison it il sant l'arrêt; il abandonna ses emplois,'ses maisons, ses ter-
savait bien que tétait chose inutile avec les gens à qui il res, et sortit de Florence, emportant pour toute richesse
avait affaire. Il alla droit à la religieuse et la poignarda. Le repee avec laquelle il avait combattu à Campoldina et la
moyen fut eflicaoe, et a Faspect <ta cadavre, les deux capi- plume qui avait déjà écrit les sept premiers chants de t'En-
taines remirentleur épée au fourreau. fer. Peut-être est-ce ce moment que choisit le peintre, car
Aussi Paul Uccello, à qui la peinture qui devait surmon- on voit derrière l'exilé Florence, et près du poëte une repré-
ter la tombe avait etéconnée, se garda bien de mettre le si- sentation des trois parties de sa Divine Comédie.
mulacre de l'illustre mort dans )a posture du repentir ou de Alors ses biens furent confisqués et vendus au profit de
la prière il le planta bravement sur son cheval de bataille, i'État; on passa la charrue à la place où avait été sa maison,
à qui, au grand désappointement des ssrans, il fit lever a et l'on 7 sema du sel enfin, condamné à mort par contu-
la fois le pied droit de devant et le pied droit de derrière. mace, il fut brû)é en effigie sur la même place où, deux sië-
Pendant trois siècles et demi en effet, les savans discutèrent c)es plus tard, Savonarola devait l'être en réalité.
sur t'impossibi)ité de cette a))ure, qui, direut-ils, dans tout L'amour de ia patrie,-]e courage dans le combat, l'ardeur
tegenre animal n'appartient qu'a l'ours. Ce ne fat qu'il y a de la gloire, avaient fait de Dante un brave guerrier; i'habi-
queiques années, qu'un membre du Jockey-Club s'écria en letédans l'intrigue, la persévérance~ans la politique, avaient
apercevant la fresque de Paolo · fait de Dante un grand homme d'Etat. Le dédain, le malheur
Tiens il marche l'amble 1 et la vengeance firent de lui u~t poëte sublime. Privé de cette
Cette eM)amation mit les savans a'accon!. activité mondaine -dont il avait besoin, son âme se jeta dans
A quet~ws pas en avant de Hawkwood est un portrait de la contemplation <)es choses divines; et, tandis que son corps
Dante; c'est l'unique monumentqoe tarépuMiqueaitjamais demeurait enchaîné sur la terre, son esprit visitait le triple
consacré à l'Homère <)a moyen-âge. royaume des -morts et peuplait l'enfer de ses haines et le
Un mot sar lui. Nous aurons si souvent l'occasion de'le paradis~k; ses amours. La Divine Comédie est i'Œnvre de la
elter, comme pcëte, comme Mstorien ou comme savant, que vengeance. Dante tailla sa plume avec son épce.
notre lecteur nous permettra, je l'espère, de le prendre par Le premier asile qui s'offrit au fugitif fut le château de
la nM<n ftde lui faire faire le tour du colosse. ce grand gibelin Cane della Scala. Aussi, dés les premiers
Dante naquit, comme nous l'avons dit, en ')265, la cin- chants de t'Enfer, !e poëte s'empressad'acquitterla dette de
quième année de~ réaction gibeline. C était le rejeton d'une sa reconnaissance (~ qu'il exprimera encore dans le -xvut<
Bo!))efami))e dontil a pris soin lui-même de nous tracer la chant du Paradis ~2).
g~ncatrgie dans !e quinzième cnxnt de son Paradis. La ra- i) trouva <a cour de cet Auguste du moyen-âge peupiée de
cine de cet arbredont il fut le rameau d'or était Caocia Gut- proscrits l'un d'eux, Sagacius Mutius Ganata, historien de
daHisct, qui,~yantpris pour femme'nne jeune fille de Fer- Reggio, nous a laissé des détails précieux sur la manière
rare, de la maison des Alighieri, ajottta à son nom et à ses dont le seigneurie la Scaia exerçait l'hospitalité envers ceux
armes le nom et les armes de sa femme, pnis s'en alla mou- qui venaient demander uTt asile
sainte,
son château féoda). Ils
Dr en terre chevalier dans la milice de l'empereur tfai<nt,<)it-i), ditfërensappartemens, selon leurs diverses
Coitrad. conditions, et à chacun le magnifique seigneur avait donne
il
Jfane encore, perdit son père. Elevé par sa mère que des valets et une table splendide; les diverses chambres
)'on appelait Bella, son ëducaHon fut celle (Tun chrétien et
d'un gentilhomme. Brunetto Ï~ini lui apprit les lettres la- (1) .Infinche'tY~tro
tines quant aux lettres grecques, oe n'était fort 'heureuse- Ycre~, the la hrh monr di doglia,
ment point encore la mode, sans qaei, au lieu de sa divine Ou(;stinonci!)cra)e)ran(!!pe)tro,
comédie, Dante eût sans <)<mte fait quelque pocme comme MasapiMxn,eamore,evir(uti,
E ~&.)t.iidou sart tra fc)a'o c fe)tro.
FRacide quant au nom de son maHre d'echcvaterie, il s'est
//?/: C'<!K/. (-
°.
perdu, quoique ia bMiHe <)e Campo)d'ino 'ait prouvé qu'it .(2~ ~oprnnotuorifi~ioc') primo ostcUo
en avait reçu de noMes leçons. SM!)L)acort(.H()u)gr.nn)L:nn.h.')r()o
~do~csc~, p))Ho~h<e a Fto~nce, Bologne
il CUntia la C)!Csn)aScat~pF)').ai)s:(n[nL'cuHo.
(AP~dow. Ho~)mc, ii ~int~ Paris et'y apprit <a théologie, t'(;)'.Cn."f.xM).
n.
étaient indiquées par des devises et des symboles divins la les étoiles se voient par toute la terrre, et par toute la terre
Victoire pour les guerriers. J'Espérance pour les proscrits, on peut méditer )es\éri)és du ciel. n
les ~tuscs pour les poètes, Mercure pour la peinture, le Pa- Dante, proscrit par les Guelfes, s'était fait Gibelin, et de-
radis pour tes gens d'église, et pendant les repas, des bouf- vint aussi ardent dans sa nouvelle religion qu'il avait été
fons, des musiriens et des joueurs de gobelets parcouraient loyal dans l'ancienne. Sans doute il croyait que l'unité im-
les appartemcns. Les salles étaient peintes par Giotto, et les périale était le seul moyen de grandeur pour l'Italie, et ce-
sujets qu'il avait traités avaient rapport aux vicissitudes de pendant Pise avait bâti sous ses yeux son Campo-Santo,
la fortune humaine. De temps en temps le seigneur châtelain son Dôme et sa Tour penchée. Arnolfo di Lapo avait jeté sur
appt'tait à sa propre table quelqu'un de ses hôtes, et surtout la place du Dôme les fondemens de Sainte-Marie-de;-Fleurs;
Guido de Castello de Reggio, qu'a cause de sa franchise on Sienne avait élevé sa cathédrale au clocher rouge et noir, et
appelait le simple Lombard, et Dante Alighieri, homme tres- y avait renfermé, comme un bijou dans un écrin, )a chaire
illustre alors, et qu'ii vénérait à cause de son génie. d sculptée par Nicolas de Pise. Puis peut-étre aussi le carac-
Mais tout honoré qu'il était, le proscrit ne pouvait plier tère aventureux des chevaliers et des seigneurs allemands
sa nerté à cette vie, et des plaintes profondes sortent à plu- lui semblait-il plus poétique que l'habileté commerçante de
sieurs reprises de sa poitrine. Tantôt c'est Farinata des l'aristocratie génoise et vénitienne, et la Sn de l'empereur
Uberti qui, de sa voix altière, lui dit < La reine de ces Albert lui plaisait-elle davantage que la mort de Boni-
lieux n'aura pas rallumé cinquante fois son visage nocturne, faceXIII.
que tu apprendras par toi même combien est difficile l'art Lassé de la vie qu'il menait chez Cane della Scala, où l'a-
de rentrer dans sa patrie. Tantôt c'est son aïeut Caccia mitié du maitre ne le protégeait pas toujours contre l'inso-
Guida qui, compatissant aux peines de son descendant, s'é- lence de ses courtisans et les facéties de ses bouffons, le
crie Ainsi qu'Hippolyte sortit d'Athènes, chassé par une poëte reprit sa vie errante. Il avait achevé son poëme de
marâtre perfide et impie, ainsi il te faudra quitter les choses l'Enfer à Vérone, il écrivit le Purgatoire à Gagagnano, et
les plus chères, et ce sera la première flèche qui partira de termina son œuvre au château de Tolmino, en Frioul, par
l'arc de )'exi) alors tu comprendras ce que renferme d'a- le Paradis. De là il vint à Padoue, où il passa quelque
mertume le pain de l'étranger, et combien l'escalier d'autrui temps chez Giotto, son ami, à qui, par reconnaissance, il
est dur à monter et à descendre. Mais )f poids le plus lourd donna la couronne de Cimabué, enfin, il alla à Ravenne.
à tes épaules sera cette société mauvaise et divisée, en com- C'est dans cette ville qu'il publia son poème tout.entier.
pagnie de laquelle tu tomberas dans l'abime. Deux mille copies en furent faites à la plume, et envoyées
Ces vers, on le voit, sont écrits avec les larmes des yeux, par toute l'Italie. Chacun leva des yeux étonnés vers ce nou-
et le sang du cœur. vel astre qui venait de s'allumer au ciel. On douta qu'un
Cependant, quelque douleur amère qu'il souffrit, le poëte homme vivant encore eût pu écrire de telles choses, et plus
refusa de rentrer dans sa patrie, parce qu'il n'y rentrait point d'une fois il arriva, lorsque Dante se promenait lent et sé-
par le chemin de i'hcnneur. En <5<S, une loi rappela les vère, dans les rues de Ravennes et de Rimini, avec sa longue
proscrits a la condition qu'ils paieraient une certaine amende. robe rouge et sa couronne de laurier sur sa tête, que la
Dante, dont les biens avaient été vendus et la maison démo- mère, sainfement effrayée, le montra du doigt à son enfant,
lie, ne put réaliser la somme nécessaire. On lui offrit de l'en en lui disant Vois-tu cet homme, il est descendu dans
exempter, mais à la condition qu'il se constituerait prison- l'enfer! n
nier, et qu'il irait recevoir son pardon à la porte de la ca- En effet, Dante devait paraître un homme étrange et pres-
thé(h'a)e, les pieds nus, vêtu de la robe de pénitent, et les que surnaturel. Et pour bien comprendre sous quel jour il
reins ceints d'une corde. Cette proposition lui fut transmise devait apparaître à ses contemporains, il faut jeter un mo-
par un religieux de ses amis. Voici la réponse de Dante: ment les yeux sur l'Europe du XIIIe siècle, et voir, depuis
« J'ai reçu avec honneur et avec plaisir votre lettre, et, cent ans, quels événemens s'y accomplissaient. On sentira
après en avoir pesé chaque parole, j'ai compris avec recon- alors que l'on touche à cette époque où la féodalité, prépa-
naissance combien vous désirez du fond du coeur mon re- rée par une guerre de huit siècles, commence le laborieux en-
tour dans la patrie Cette preuve de votre souvenir me lie fantement dela civilisation. Le monde païen et impérial d'Au-
d'autant plus étroitement à vous, qu'il est plus rare aux exi- guste s'était écroulé avecCharlemagne, en Occident, et avec
lés de trouver des amis. Donc, si ma réponse n'était point Alexis Lange, en Orient; le monde chrétien et féodal de Hu-
telle que le souhaiterait ta pusillanimitédequelques-uns, je la' gues-Capet lui avait succédé de la mer de Bretagne a la mer
remets affectueusementà l'examen de votre prudence. Voilà Noire, et le moyen-âge religieux et politique, déjà personni-
ce que j'ai appris par une lettre de votre neveu, qui est le fiédans Grégoire VHetdans Louis !X, n'attendait plus, pour
mien, et de quelques-uns de mes amis D'après une loi ré- compléter cette magnilique trinité, que son représentant lit-
cemment publiée à Florence sur le rappel des bannis, il pa- téraire.
rait que, si je veux donner une somme d'argent, ou faire Il y a de ces momens où des idées vagues cherchent un
amende honorable, je pourrai être absous et retourner à corps pour se faire homme, et flottent au dessus des so-
Florence. Dans cette loi, ô mon père, il faut l'avouer, il y a ciftés comme un brouillard à la surface de la terre. Tant que
deux choses ridicules et mal conseillées, je dis mal conseil- le vent le pousse sur le miroir des lacs ou sur le tapis des
lées par ceux qui ont fait ta loi, car votre lettre, plus sage- prairies, ce n'est qu'une vapeur sans forme, sans consistance
gement conçue, ne contenait rien de ces choses. et sans couleur. Mais s'il rencontre un grand mont, il s'at-
n Voità donc la glorieuse manière dont Dante Alighieri tache à sa cime, la vapeur devient nuée, la nuée orage, et
doit rentrer dans sa patrie après un exil de quinze ans) Voilà tandis que le front de la montagne ceint son auréole d'é-
la réparation accordée à une innocence manifeste à tout le clairs, l'eau qui filtre mystérieusement s'amasse dans ses
le monde' Mes larges sueurs, mes longues fatigues m'auront cavités profondes, et sort à ses pieds, source de quelque
rapporté ce salaire Loin d'un philosophe cette bassesse fleuve immense, qui traverse, en s'élargissant toujours, la
digne d'un cœur de boue! Merci du spectacle où je serais terre ou la société, et qui s'appelle le Ni), ou l'Iliade, le
onert au peuple comme le serait quelque misérable demi Danube, ou la Divine Comédie.
savant, sans cœur et sans renommée. Que, moi. exilé Dante, comme Homère, eut le bonheur d'arriver à une de
d'honneur, j'aille me faire tributaire de ceux qui m'offensent, ces époques où une société vierge cherche un génie qui for-
comme s'ils avaient bien mérité de moi! Ce n'est point ta te mule ses premières pensées. li apparut au seuil du monde
chemin de la patrie, ô pcre mais s')) en est quelque autre au moment où saint Louis frappait à la porte du ciel. Der-
qui me soit ouvert par vous et qui n'&te point la renommée rière lui, tout était ruine; devantlui, tout était avenir. Mais
à Dante, je l'accepte. Indiqucz-tc moi, et alors, soyez en cer- le présent n'avait encore que des espérances.
tain, chaque pas sera rapide qui devra me rapprocher de L'Angleterre, envahie depuis deux siècles par les Nor-
Florence; mais dès qu'on ne rentre pas à Florence par la mands, opérait sa transformation politique. Depuis long-
rue de l'honneur, mieux vaut n'y pas rentrer. Le soleil et temps il n'y avait plus de combats réels entre les vainqueurs
et les vaincus; mais il y avait toujours lutte sourde entre qui ne fùt chantée en vers. Bourgeois ou soldat, vilain ou
les intérêts 'tu peuple conquis et ceux du peuple conq.érant. baron, noble ou roi, tout le monde parlait ou écrivait cette
Dans cette période de deux siècles, tout ce que l'Angleterre douce langue.; et l'un de ceux qui lui prêtaient ses plus
avait eu de grauds hommes était né une épée h )a main, et tendres et ses plus mates accens, était ce Bertrand de Born,
si quelque vieux barde portait encore une harpe pendue à le donneur de mauvais coRseits, que Dante rencontra dans
son épaule, ce n'était qu'a l'abri des châteaux sa~on~, dans les fosses maudites, portant sa tête )a main, et qui lui
un langage inconnu aux vainqueurs, et presque ot.b'ié des parla avec cette tête (-)).
vaincus, qu'il osait célébrer les bienfaits du bon roi !fred, La poésie provencale était donc arrivée à son apogée,
ou les exploits de Harold, fils de Godwin. C'est que, des re- lorsque Charles d'Anjou, h son retour d'Egypte, où il avait
lations forcées qui s'étaient établies entre les indigènes et accompagné son frère Louis IX, s'empara, avec l'aide d'Al-
les étrangers, il commençait à naître une langue nouvelle, phonse, comte do Toulouse et de Poitiers, d'Avignon, d'Artes
qui n'était encore ni le normand ni le saxon, ma!s un com- et de Marseille. Cette conquête réunit au royaume de France
posé informe et bâtard de tous deux, que cent quatre-vingts toutes les provinces de )'ancienneGau)e situées a la droite et
ans plus tard seulement, Thomas Morus, Steel et Spenser à la gauche du Rhône. La vieille civilisation romaine, ravi-
devaient régulariser pour Shakespeare. vée au !x" siècle par la conquête des Arabes, fut frappée au
L'Espagne, fille de la Phénicie, soeur de Carthage, esclave cœur, car elle se trouvait réunie à la barbarie septentrio-
de Rome, conquise par les Goths, livrée aux Arabes par le nale qui devait t'étouffer dans ses bras de fer. Cet homme,
comte Julien, annexée au trône de Damas par Tarik, puis que, dans leur orgueil, les Provençaux avaient l'habi-
séparée du kalifat d'Orient par Abdalrahman, de la tribu tude d'appeler le roi de Paris, a son tour, dans son mépris,
des Omniades, l'Espagne, mahométane du détroit de Gibral- les nomma ses sujets de la langue d'Oc, pour les distinguer
tar aux Pyrénées, avait hérité de la civilisation transportée des anciens Français d'outre-Loire, qui parlaient la langue
par Constantin de Rome à Bysance. Le phare, éteint d'un d'Oui. Dès lors, l'idiome poétique du midi s'éteignit en
côté dela Méditerranée, s'était rallumé de l'autre et tandis Languedoc, en Poitou, en Limousin, en Auvergne et en
que s'écroulaient sur la rive gauche le Parthénon et le Co- Provence, et la dernière tentative qui fut faite pour lui
lysée, on voyait s'élever sur la rive droite Cordoue, avec ses rendre la vie est l'institution des Jeux Floraux, établie à
six mille mosquées, ses neuf cents bains publics, ses deux Toulouse en 1323.
cent mille maisons, et son palais de Zehra,dont)es murs et Avec elles périrent toutes les œuvres produites depuis le
les escaliers, incrustés d'acier et d'or, étaient soutenus par x<* jusqu'au Xttic siècle, et le champ qu'avaient moissonné
mille colonnes des plus beaux marbres de Grèce, d'Afrique Arnault et Bertrand deBorn resta en friche jusqu'au mo-
et d'Italie. ment où Clément Marot et Ronsard y répandirent i) p'cines
Cependant, tandis que tant de sang infidèle et étranger mains la semence de la poésie moderne.
s'injectait dans ses veines, l'Espagne n'avait point cessé de L'Allemagne, dont l'influencepolitique s'étendait sur l'Eu-
sentir battre, dans les Asturies, son c<jeur national et chré- rope, presqu'a l'égal de l'influence religieuse de Rome,
tien. Pelage, qui n'eut d'abord pour empire qu'une mon- toute préoccupéede ces grands débats, laissait sa littérature
tagne, pour palais qu'une caverne, pour sceptre qu'une épée, se modeter insoucieusement sur celle des peuples environ-
avait jeté au milieu du kalifat d'Abdalrahman les fondemens nans. Chez elle, toute la vitalité artistique s'était réfugiée
du royaume de Charles-Quint. La lutte, commencée en 717, dans ces cathédrales merveilleuses qui datent du Xte et du
s'était continuée pendant cinq cents ans. Et lorsqu'au com- xn~siecte. Le monastère de Bonn, l'église d'Andernach, et
mencement du xïif siècle, Ferdinand réunit sur sa tête les la cathédrale de Cologne s'élevaient en même temps que le
deux couronnes de Léon et de Castille, c'étaio.t les Musul- Dôme de Sienne, le Campo-Santo de Pise, et le Dôme de
mans à leur tour qui ne possédaient plus en Espagne que Sainte-illarie.des-Fleurs. Le commencement du xnf siècle
le royaume de Grenade, une partie de l'Andalousie, et les avait bien vu naitre les Niebetungen, et mourir A)bcrt-)e-
provinces de Valence et de Murcie. Grand. Mais les poèmes de chevalerie les plus à la mode
Ce fut en ~23G que Ferdinand fit son entrée h Cordoue, étaient imités du provençal ou du français, et les Mioncsin-
et qu'après avoir purifié la principale mosquée, le roi de gers étaient les étéves plutôt que les rivaux des Trouvères
Castille et de Léon alla se reposer de ses victoires dans le et des Troubadours.Frédéric lui-même, ce poëte impo-iat,
magnifique palais qu'Abdarahman III avait fait bâtir pour renonçant quoique fils de l'Allemagne à formuler sa pensée
sa favorite. Entre autres merveilles, il trouva dans la capi- dans sa langue maternelle, avait adopté la langue italienne,
tale du kalifat une bibliothèque qui contenait six cent mille comme plus douce et plus pure, et prenait rang avec Pierre
volumes. Ce que devint ce trésor de l'esprit humain, nul d'Alle Vigne, son secrétaire, au nombre des poètes les plus
ae le sait. Origine, religion, mceurs, tout était différent entre gracieux du xiu" siècle.
!es vainqueurs et les vaincus; ils ne parlaient la même Quant à l'Italie, nous avons assisté plus haut à sa genèse
langue ni aux hommes ni a Dieu. Les Musulmans emportè- politique nous avons vu ses villes se détacher les unes
rent avec eux la clef qui ouvrait la porte des palais enchan- après les autres de l'empire nous savons à quelle oc-
tés et l'arbre de la poésie arabe, arraché de la terre de casion les deux partis Guelfes et Gibelins avaient tiré
l'Andalousie, ne fleurit plus que dans les jardins du Géné- t'épée dans les rues de Florence. Enfin, nous avons dit com-
ralif et de l'Alhambra. ment, Guelfe par naissance, Dante devint Gibelin par pros-
Quant à la poésie nationale, dont le premier chant devait cription et poëte par vengeance.
être la louange du Cid, elle n'était pas encore née. Aussi, lorsqu'il eut arrêté dans son esprit Fœuvre de sa
La France, toute germanique sous ses deux premières haine, son premier soin fut-il, en regardant autour de lui,
races, s'était nationalisée sous sa troisième. Le système de chercher dans quel idiome il la formulerait pour la
féodal de Hugues-Capet avait succédé à l'empire unitaire rendre éternelle. H comprit que le latin était une langue
de Charlemagne. La langue que devait écrire Corneille et morte comme la société qui lui avait donné naissance; te
parler Bossuet, mélange de celtique, de teuton, de latin provençal, une langue mourante qui ne survivrait pas à la
et d'arabe, s'était définitivementséparée en deux idiomes, et nationalité du midi et le français, une langue naissante e[.
fixée aux deux côtés de la Loire. Mais, comme les produc- bégayée a peine, qui avait besoin de plusieurs siècles en-
tions du sol, elle avait éprouvé l'influence bienfaisante et core pour arriver à sa maturité; tandis que l'italien, bâtard,
active du soleil méridional. Si bien que la langue des Trou- vivace et populaire, né de la civilisation et allaité par la
badours était déjà arrivée à sa perfection, lorsque celle des barbarie, n'avait besoin que d'être reconnu par un roi pour
Trouvères, en retard comme les fruits de leur terre du porter un jour la couronne. Dès lors son choix fut arrêté,
nord, avait encore besoin de cinq siècles pour parvenir a
sa maturité. Aussi la poésie jouait-elle un grand rôle au (t) Sappi ch'i son Bertram del Bornio, quelli
sud de la Loire. Pas une haine, pas un amour, pas une Che diedi al de giovani i ma confort!.
paix, pas une guerre, pas une soumission, pas une révolte, /M/ Ca)~. Mvm.
et, s'éteignant (tes traces de son maître BrunettoLaLini, une sculpture convenable et dans un lieu honorable de cette
qui avait écrit son Trésor en latin, il se mit, architectesu- ville. 1>
Mime, à tailler lui-même les pierres dont il voulait bâtir le Léon X refusa; c'eût cependant été une belle cliose que le
monument gigantesque auquel il força le cie! et la terre de tombeau de Fauteur de la D~me Comédie, par te .peintre du
mettre la main (<). lugement dernier.
C'est qu'effectivementla Divine Comédie embrasse lout;; Le seul monumcntque,posséda Florence jusqu'au moment
c'est le résumé des sciences découvertes et le rêve des où)e décret, rendu en i596, fut exécute de nos jours dans
choses inconnues. Lorsque la terre manque aux pieds de l'église de Sainte-Croix., aux frais d'une société, par le'sta-
l'homme, les aiies du poète l'enlèvent au ciel.; et l'on ne tuaire Etienne Ricci, rut donc le portrait de Dante, devant
sait, en lisatitce merveilleux poëme, qu'admirer le plus, ou lequel nous venons de repasser toute la vie du grand poète,
decequei'espritsaitoude<?equeJ'imaginationdevine. et qui fut, dit un manuscrit de Bartolomeo Ceffoni, exé-
Dante est le moyen-âge 'fait poète, comme Grégoire VU cute à fresque par un auteur inconnu, sur la demande d'un
était le moyen-âge fait pape, comme saint Louis était le certain maitre Antoine, frère de Saint-François, lequel ex-
moyen-âge fait roi. Tout est en .lui 'croyances supersti- pliquait la Divine Comédie dans cette église, afin que cette
tieuses, poésie théologique, républicanisme féodal. On ~e effigie de l'illustre exi)é rappelatsans cei:se à ses concitoyens
peut comprendre l'Italie tittéraiM du xm~ siècle sans que les osseme~s de l'auteur de la Divine Comédie repo-
Dante, comme on ne peut comprendre la France du xix" saient sur une terre étrangère.
sans Napoléon. La Divine Comédie est, -comme la Colonne, Il existe encore à Florence des descendans de Dante.
t'ccuvre nécessaire de son époque. Quelques jours après la visite que j'avais fait au portrait de
Dante mourutà Ravenne, le septembre <52t, à l'âge leur ancêtre, on me présenta à eux je les trouvai bien des-
de 56 ans. Guido de Potett, qui M avait offert un asile, le cendus.
Ni ensevelir dans l'église des Frères-Mineurs, en grande A côte de ce grand souvenir littéraire, le Dôme conserve
pompe et en habit de poëte. Ses ossemens y restèrent jus- un terrible souvenir politique. Ce fut dans le chœur, à l'en-
qu'en «8<, époque a laquelle Bernard Bembo, podestat de droit même qui est entouré d'une balustrade de marbre, que
Ravenne pour la république 'de Venise, lui St élever ~n s'accomplit la conspiration des Pazzi, et que Julien de Me-
mauso)ée d'après les dessins de Pierre j~ombardo. A ta dicis fut assassiné.
voûte de la coupole sont quatre médaiUoas, représentant Jetons Mn regard en arrière, aCn de faire connaître à nos
Virgile son guide, Brunetto Latiniser maître, Cangraade lecteurs les causes de la haine que les Pazzi avaient vouée
son protecteur, et Guido Cavaicante ~on ami. aux Médicis; ils verront ainsi, après le soin que nous avons
Dante était de moyenne stature et bien pris dans ses eu de leur faire connaitre l'état politique de Florence, ce
membres il avait te visage long; les yeux larges et per- qû y avait d'égoïstique ou de désintéressé dans cette-
çans, ie nez~quUin, les mâchoires'Portes, la lèvre inférieure grande machination.
avancée et plus grosse -que t'autre, <a peau brune, et ia En t29<, le peuple, iasse des dissensions obstinées de 1a
barbe et les cheveux -crépus il marchait ordinairetnext noblesse, de son refus éternel de se soumettre aux tribu-
grave et doux, vêtu dtiabits simples, parlant rarement, et naux démocratiques, et des violences journaliérfs par les-
attendant presque toujons qu'on rinterrogeat pour ré- quelles elle entravait Je gouvernementpoptùaire, avait rendu
pondre. Alors sa répMse était juste et concise, car il pre- une ordonnance sous le nom d'Or~:nomeMt! della Ciustizia..
nait le temps Oe la peser avM sagesse. Sans avoir une é)o- Cette ordonnance excluait du prierai trente-sept familles
cution facHe, il devenait éioqnent dans <es grandes cir- des plus nobles et des plus considérables de Florence, et
-cela sans qu'il leur fût jamais permis~ disait l'ordonnance,
constances. A. mesure qu'H vieillissait, il se félicitait d'être
solitaire et Moigne du monde. L'habitude delà conlempla- de reconquérir les droits de cité, soit en se faisant enregis-
tion lui fit contracter un maintien austère, quoiqu'il fùHoo- trer dans un corps dejnétier, soit même en exerçant réelle-
jours homme'de premier'mouvement'etd'excellent cœur. !) ment une profession. De plus, la seigneurie fut autorisée à
en donna )a prenve lorsque, pour sauver un enfaot qui ajouter de nouveaux noms à ces trente-sept noms, chaqae
était tombé dans an'de'ces'~efits~its 'où l'on p!ongeaiHes fois qu'elle crorait s'apercevoir que quelque nouvelle fa-
Bouveaux-ncs, n brfStte baptisfcre deSaM-Jean, se souciant mille, disait encore t'ordonnance,en marchant surtes traces.
de la noblesse, méntatt d'être punie comme elle. Les mem-
peu qu'on l'accusât d'impiété. bres des trente-sept famiDes proscrites furent désignes sous
Dante avait 'pu, à r&ge de TtCttfa'ns, un de ces amoursqui Je nom de magnats, titre qui, d'honorable qu'il avait été jus-
ëtendent leur enthantementsufte~te~e. Beatrix de
Folio Portiïtari, en <[ùi, chaque Ms 'qn~it la nevoyait, il qu'alors, devint un titre infamant.
Cette .proscnption avait duré ~5 années, lorsque Cosme
trouvait une beauté nouvelle (2), passa un soir devaM.'cet l'Ancien, dont nous trouverons h son tour rMstdre écrite
<enfant au ctBur de poète, <)ui.conserYa"'on image et~aU'im-
mortalisa iorsqu'H rut ~evenn tomme. A ~ge de 26 aY)s, sur )es murs du palais Riccardi, de proscrit étant devenu
~ette ange prêtée la <erre aUa'reprendre au ciëi ses attes proscripteur, et ayant à son tour, en ~5t, chasse de Flo-
et son auréole, et Dat~~e~a tetrouva'a la porte ~u paradis, rence Renaud des Albizzi et la noblesse populaire qui gou-
où ne pouvait l'accompagner Virgile. vernait avec lui, rêsolut~le renforcer son parti de quelques-
Florence, injuste pour le vivant, fut pieuse envers le mort, unes des famines exclues du gouvernement, en permettant
à .plusieurs d'entre elles de rentrer dans le droit commun,
et tenta de ravoir les restes 4e celui 'qu'elte avait proscrit.
Dès <596, elle lui décrète un monument puMtC. En <2'), et de prendre, comn:e l'avaient fait autrefois leurs ~eux,
elle renouvelleses instances près des magistrats de ~ave~n~; une part active aux affaires publiques. Plusieurs familles
enfin, en <5')~, elle adresse une demande à Léon X, et par- acceptèrent ce rappel en revenant les bras ouverts à la pa-
mi les signatures des pétitionnaires, on lit cette 'apostUte trie, sans songer quel motif personnel les y ramenait la
famille des Pazzi fut de ce nombre. Elle fit plus oubliant
« Moi, Miche~&nge, sculpteur, je supplie Votre Snin- qu'elle était de noblesse (Tépée, elle adopta franchement sa,
teté, pour la même cause, m"otfrant de faire au divin poëte position nouvelle, et ouvrit dans le beau palais qui aujour-
d'hui porte encore son tiom, une maison de banque qui de-
(t) Nous ne voulons pas dire cependant que Dante soit le pre- vint bientôt une des plus considérables et des plus considé-
mier auteur qui ait toit en HaUcn. Dix vohnnes de rimes antiques rées del'Italie; si bien que les Pa?zi, déjà supérieurs aux
(rt'MC aH/;c/te) 'icraicnt. )a pour nous u&mcntir n nous commettions
M~'uicis comme gentilshommes, devinrent encore leurs ri-
une telle erreur. Mais presque toutes ces Mn~o~e sont erotiqncs,
beaucoup d'; mots d'art, de poHUqnc, de science <t de 'guêtre vaux comme marchands. n résulta de cette position recon-
manquaient à la pocsie itaHjnne ce sont ces mots que Dante quise que, cinq ans après, André de Pazzi, chef de la mai-
trouva, façonna au rbyttune ctMsouphtaia rifne. son, siégea an milieu de la soigna urje, dont ses ancêtres
(2) lo non Ja vidi tante volte ancora avaient été exclus pendant un siedc et demi.
Ch'ù non truvassi in lei nuova benezza. André eut trois fils un de ces trois fils épousa la petite-
fille du vieux.Cosme, et devint tebeau-trèrede Laurent et de dîner, et sur un signe de Jacob; mais Laurent vint seuf. Ju-
Julien, Tant que )o sage vieillard avait vécu, il avait main- tien, retenu par une intrigue d'amoun,. chargea. sac.frète da
tenu t'égatité entre ses.enfans,'traitantsongendre comme s'il l'excuser: il fa))u6donc remettre-a unautr.Qjourt.'exécu.tiM
eût été son fils car, voyant combien promptement cette fa- du complot. Ce jour, onte crut bientôt appi.ve; car Laucent~
mille des,Pazzi était devenue puissante et riche, il avait voulu ne voûtant pas demeurer an reste de magniJtcence. a~ecJa.-
non-seulements'en faire une alliée, mais encore une amie. cob, invita à. son tour tecardinaJ a voUr u.Fiaso.te,,et avec
En effet, la famille s'était accrue en hommes aussi bien qu'en lui tous ceux qui avaient assiste: au r.epas.d&nno par Jacob.
richesses car les deux frères qui s'étaient mariés avaient Mais cette fois encore Julien B)MMnja, t) souKrait. d~uu mat.
eu, l'un cinq fils et l'autre trois. Elle grandissait donc de de jambe tores {ui.donc d& renM".r& encorQ t.'oxecution du:
toutes façons, lorsque, contrairement à la politique de son complot a. un autre joun
perc,,Lauren~ de Medicis pensa qu'il était de son intérêt' de Ce jour fut enfin ftxé au 20. avHt< 1.4T8 selon Machiavel.
s'opposer a an plus grand accroissementde richesse et de, Pendant la matinée de ce jour, qui était jour de fet-j, le car-
puissance. Or,, une occasion de suivre cette nouvelle poéti- dinal Riario devaitt entendre ta Wtosse dans le Dooe de Saiu-
que se présenta bientôt. Jean de Pazzi ayant épouse une des te-Marte-des-Eteu~&, etcommf) il avait fait prévenir Laurent.
plus riches héritières de Florence, fille de Jean Dorromée, et Julien de cette solennitéil, était probable que ceux-ci ne
Laurent, à la mort de cetui ci, fit cendre une loi par laquelle pourraient pas se dispenser d'y assister. On prévint tous les.
les neveux mâles étaient préférés même aux filles, et cette conjurés de cette' t)0)t~ei)e disposition, et l'on distribua h
loi, non-seulementcontre toutes les habitudes, mais encore chacun terût&qu'it devait jouée dans cette sanglante tra-
contre toute justice, ayant été appliquée rétroactivement a gédie.
la femme de Jean de Pazzi, elle perdit l'héritage de son père François Pazzi et Bernard, Bandini étaient les plus achar-
qui passa ainsi a des cousins éloignés. nés contre les Méd~is, et comme ils étaient en même temps
Ce ne fut pas la seule exclusion dont Laurent de Médicis, les plus forts et les plus adroite, ils rëctam~rcnt pour eux,
pour signaler son. naissant pouvoir, rendit les Pazzi victi- Julien, attendu que !<i bruit courait que, timide de coeur et
mes. Ils étaient dans la famille neuf hommes, ayant t'age et faible de corps, Ju)ien portait habituellement une cuirasse
les qualités requises pour exercer la magistrature, et cepen- sous son habit, ce qui rendait plus ditucite et par consé-
dant, à l'exception de Jacob, celui des fils d'André qui ne quent plus dangereux un as~assif~t sur lui, que sur un au-
s'était jamais marié, et qui avait été gonfalonnier en ~69, tr&. D'un autre cote,, la chef des sbires pontificaux, JMn-
c'est-à-dire du temps. de Pierre le Goutteux, et de Jean, Baptiste de Montesecco, avait déjà reçu. et accepté la com-
beau-frère de Laurent et de Julien, qui avait, en <473, siégé mission de taco Laurent dans tesdeux repas auxquels il avait
parmi les pleurs,, tous les autres avaient été écartés dé la assista et où fabsence de son. fr~e ra.vait sau.ve.. On ne dou-
seigneurie. Un tel abus de pouvoir de la part d'hommes que tait point, c&maM c'étai!t un: homme d~ résolution, qu'il ne se
la république n'avait nullement reconnus pour maitres, se montât! ecHo fois d'aussi bonne volonté que les autres i
blessa tellement François de Pazzi qu'il s'expatria volon- mais, au: grand ëtonneaientde tous, i~rsqu'i) eut appris que
tairement, et s'en alla prendre à Rome la direction d'un de l'assassinat devait, s'aceomptit dans une église, il refusa,
ses principaux comptoirs. La,, il devint banquier du pape dtsant qu'il était: prêt un meurtre, mais non à un sacrilé-
Sixte IV etde Jérôme Riario, que les uns appelaient son ne gc, et que, pour rien au monde,.U ne commettrait ce sacri~-
veu, et les autres son fils. Or, Sixte IV et Jérôme Riario ge si' on, ne lui montrait, d'avance un brefd'aj)so)utionsigné
étaient les deux plus grands ennemis que les Médicis eussent du pape. Malheureusementofi avait n<'gUgé de se munir de
par toute.l'Italie. Le résultat de ces trois haines réunies fut cc'te pieco Knportante~quaStxte.tVn'e<aiteerta;}nement pas
une conj~ura.tion dans le genre de celle soustaqueth*, deux nomme à refuser. Ou,n'avait pas te temps de la, faire venic,
ans auparavant, c'est-à-dire en ~76, avait succombé Galéas dc< sorte que, quetqucMnstancts que l'on fit à.Nontesccct),
Sforza dans. le Dôme de Milan. c& ne put vaincre ses seruputes. A,lora on remit le soin de
Une fois décidé à tout trancher par le fer, François Pazzi frapper Laurent a Antoine d&VoUerra. et Etienne Bagno-
et Jérôme Riario se mirent à l'affût des complices qu'ils ni, qui, en leur qtMM~Je ~tre~ditAnto~tO Ga))i, l'un des
pourraient recruter. Un des premiers fut François Salviati, dix ou douze historiens de cet eyëo.ement, auc.tM< un respect
archevêque de Pise, auquel, par inimitié pour sa famille, les moins grand ~oifr Metta: saoK~ Le moment où ils devaient
Médicis n'avaient pas voulu laisser prendre possession de frapper était celui au )'c.fUciaot élèverait i'hosti.e.
son archevêché. Vint ensuite Cbarles deMontone, fils du fa- Mais ce n'était pas te tout que de frapper les deux frères,
meux condottiere Braccio, qui était sur le point de s'empâ- il fallait encore s'empacer de la seig~emie, et forcer les ma-
rer de Sienne, lorsque les Médicis l'en empêchèrent Jean- gistrats d'approuvée le meurtre aussitôt qjuc.)B; meurtre! se-
Baptiste de Montesecco, chef des sbires au service du pape; rait exécuté. Ce soin fut remis à l'archevêqne Salviâti itse
le vieux Jacob de Pazzi, le même qui avait été autrefois gon- rendit au palais avec Jacques Bt'acc)oH et une trentaine de
falonnier deux autres Salviati, l'un cousin, et l'autre frère conjurés inférieurs, iteataissa \in&ta I~prennère entrée,
de l'archevêque;NapotéonFrancesiet Bernard Bandini, amis lesquels, mêlés au peuple qui allait e~ yenait, devaient res-
.et compagnons de plaisir des jeunes Pazzi; entin Etienne Ba- ter là inaperçus jusqu'au,moment ou, à. un signal donné, ils
gnoni, prêtre et maître de langue latine, professeur d'une fille s'empareraient de rentrée, puis, familier avec tous les cor-
naturelle de Jacob Pazzi; et enfin Antoine Manei, prêtre de ridors du palais, il an conduisit dix autres à la chancelle-
~oiterra et scribe apostolique. Un seul Pazzi, René, neveu rie, en leur recommandant de tirer la porte derrière eux, et
de Jacob et fils de Pierre, refusa obstinément d'entrer dans de ne sortir que lorsqu'ils entendraient ou le bruit des ar-
le complot, et se retira à la campagne afin qu'on ne pût pas mes ou un cri convenu, après quoi il revint trouver la pre-
même l'accuser de complicité. mière troupe, se réservant, le moment venu, d'arrêter lui-
Tout était donc arrête, et la seule difficulté qui s'opposât à même le gonfalonnier Césa)r Petrucci.
la réussite de la conjuration était de réunir, tsotés de leurs Cependant l'office divin était déjà commencé, et cette fois
amis, et dans un endroit public, Laurent et Julien. Le pape comme les autres, la vengeance paraissait sur le point d'é-
espéra faire naître cette occasion, en nommant cardinal Ra- chapper encore aux conjurés, car Laurent seul était venu.
phaët Riario, neveu du comte Jérôme, lequel était âgé de 18 Alors François de Pazzi et Bernard Bandini se décidèrent à
ans à peine et étudiait à Pise. aller chercher Julien, puisqueJulien ne venait pas.
En effet, une pareille nomination devait être l'occasion de Ils se rendirent en conséquence chez lui, et le trouvèrent
fêtes extraordinaires,attendu qu'ennemis au fond du cœur avec sa maîtresse. Il prétexta la souffrance que lui causait
de Sixte IV, les Médicis gardaient ostensiblement envers lui sa jambe mais les deux envoyés lui dirent qu'il était im-
toutes les apparences d'une bonne et respectueuse amitié. Ja- possible qu'il n'assistât point à la messe, lui assurant que
cob des Pazzi invita donc le nouveau cardinal à venir diner son refus serait tenu à offense par le cardinal. Julien, n)a!-
chez lui Florence, et il porta sur la tis)e de ses convives gré les regards supplians de la femme qui se trouvait chez
Laureut et Julien. L'assassinat devait avoir lieu à la fin du lui, se décida donc à suivre les deux jeunes gens; mais pris
au dépourvu, soit confiance, soit qu'il ne voulût point les. Bernant Bandini essaya d'enfoncer les portes mos, voyan
faire attendre, il n'endossa point sa cuirasse, se contentant que ses efforts étaient inutiles il comprit que tout était
de ceindre une espèce de couteau de chasse qu'il avait l'ha- perdu, prit François Pazzi par dessons le bras, et l'emmena
bitude de porter; encore, au bout de quelques pas, comme aussi rapidement quecehn-ci put marcher.
le bout du tourreau battait sur sa jamhe malade, il le remit I) y avait eu dans t'ég)ise un moment de tumulte facile
a
à un de ses domestiques, qui le reporta à la maison. Fran- comprendre l'officiant s'était enfui, en voilant de son étole
çois de Pazzi lui passa alors le bras autour du corps, en le Dieu qu'on faisait témoin pt presque complice de pareils
riant et comme on fait parfois entre amis, et il s'aperçut que crimes Tous les assistans s'étaient précipités sur la place
Julien n'avait plus sa cuirasse. Ainsi le pauvre jeune hom- du Dôme, par les différentes portes de la cathédrate. Cha-
me se livrait à ses assassins sans armes offensives ni défen- cun fuyait donc, à t'excfption de huit ou dix partisans de
sives. Laurent, qui s'étaient réunis dans un coin, et qui, l'épée &
Les trois jeunes gens entrèrent dans l'église par la porte la main, accourant bientôt à la porte de la sacristie, appe-
qui s'ouvre sur la rue Dei Servi, au moment où le prêtre di- laient à grands cris Laurent, lui disant qu'ils répondaient
sait l'évangile. Julien alla s'agenouiller près de son frère. de tout, et que, s'il voulait sortir, ils s'engageaient sur tour
Antoine de Volterra et Etienne Xagnoni étaient dej~ à leur tête a le reconduire sain et sauf à la maison.
poste; François et Bernard se mirent au leur. Un seul coup Mais Laurent n'avait point hâte de se rendre à cette invi-
d'oeil échangé entre les assassins leur indiqua qu'ils étaient tation, il craignait que ce ne fût une ruse de ses ennemis
prêts. pour le faire retomber dans te piége auquel il était échappé.
La messe continua la foule qui remplissait l'église don- Alors Sismoudi della Stuffa monta par t'esratier de l'orgue
nait un prétexte aux meurtriers pour serrer de plus près jusqu'à une fenêtre de laquelle, en plongeant, dans l'église,
Laurent et Julien. D'ailleurs ceux-ci étaient sans défiance, il vit le Dôme vide, à l'exception de la troupe d'amis qui at-
et se croyaient aussi en sûreté, au moins, au pied de l'au- tendait Laurent à la porte de la sacristie, et du corps de
tel, qu'ils t'étaient dans leur villa de Careggi. Julien, sur lequel était étendue une femme si pâle et si im-
Le prêtre leva l'hostie. mobile que n'eussent tté ses sanglots on eût pu la prendre
En même temps on entendit un cri terrible Julien, frap- pour un second cadavre.
pé d'un coup de poignard la poitrine par Bernard Bandini, Sismondi della Stuffa descendit et dit à Laurent ce qu'il
se redressait sous la douleur et allait tomber tout sangiant avait vu alors celui-ci reprit courage et sortit. Ses amis
à quelques pas, au milieu de la foule épouvantée, poursuivi l'entourèrent aussitôt, et, comme ils le lui avaient promis, le
par ses deux assassins, dont l'un, François Pazzi, se jeta sur reconduisirentsain et sauf à son palais de Via Larga.
lui avec tant de fureur et le frappa de coups si redoublés, Cependant, au moment du lever Dieu, les cloches avaient
qu'il se blessa lui-même, et s'enfonça son propre poignard sonné comme d'habitude c'était le signal attendu par ceux
dans la cuisse. Mais cet accident, qu'au premier abord sans qui s'étaient chargés du palais. En conséquence, au premier
doute il ne crut pas si grave qu'il était, ne fit que redoubler tintement du bronze, l'archevêque Salviati entra dans la salle
sa colère, et il frappait encore que déjà depuis longtemps où était te gonfalonnier, donnant pour prétexte qkl'il avait
Julien n'était plus qu'un cadavre. quelque chose à communiquer de la part du pape.
Quant à Laurent, il avait été plus heureux que sou frère Ce gonfalon nier, comme nous l'avons dit, était César Pe-
au moment de l'élévation, sentant qu'on lui appuyait une trucci, c'est-à-dire le même qui, huit ans auparavant, étant
main sur l'épaule, il s'était retourné et avait vu briller la podestat de Piato, avait été enveloppé dans une conspiration
lame d'un poignard dans la main d'Antoine de Volterra. pareille, par André Nardi. Cette première catastrophe, dont
Par un mouvementinstinctif, il s'était alors jeté de côté, de il avait failli être victime, avait laissé dans sa mémoire des
sorte que le fer qui devait lui traverser la gorge ne fit que traces si profondes que, depuis ce temps, il était sans cesse
lui enteurer le cou. II se releva aussitôt, et d'un seul mou- sur ses gardes. Aussi, quoique aucun bruit de la conjura-
vement, tirant son épée de la main droite, et enveloppant tion n'eût transpiré encore, et quoique aucune nouvelle n'en
son bras gauche de son manteau, il se mit en défense, en fùt parvenue jusqu'à lui, à peine eut-il aperçu Salviati qui
appelant à son secours ses deux écuyers. A la voix de leur venait à lui avec une émotion visible, qu'au lieu de l'atten-
maître, André et Laurent Cavalcanti s'élancèrent t'épee à ta dre, il s'élança vers la porte où il trouva Jacques Bracciolini
main, etles deux prêtres, voyant que l'affaire devenait plus qui voulait lui barrer le passage mais César Petrucci était,
sérieuse, et qu'il s'agissait maintenant non plus d'assassi- malgré sa prudence, plein de courage et de force. I) saisit
ner, mais de combattre, jetèrent leurs armes et se mirent Bracciolini aux cheveux, le renversa, et, lui mettant le ge-
à fuir. nou sur la poitrine, il appela ses sergens qui accoururent.
Au bruit que faisait Laurent en se défendant, Bernard Cmq ou six conjurés qui accompagnaient Bracciolini voulu-
Bandini, qui était occupé à Julien, leva la tête et vit qu'une rent le secourir; mais les sergens étaient en force, (rois des
de ses victimes allait lui échapper: il quitta donc le mort conjurés furent tués, deux furent jetés par les fenêtres, un
pour le vivant, et s'élança vers l'autel. Mais il rencontra sur seul se sauva en appelant au secours.
sa route FrançoisNori, qui lui barrait le chemin. Une courte Alors <eux qui étaient dans la chancellerie comprirent
lutte s'engagea, et François Nori tomba blessé à mort. Mais que le moment était arrivé, et voulurent courir à l'aide de
:i vite renversé qu'eût été l'obstacle, il avait sum, comme leurs camarades; ma la p)rte, qu'ils avaient tirée sur
nous l'avons vu, à Laurent, pour se débarrasser de ses deux eux, avait un secret qui, une fois fermé, l'empêchait de se
ennemis. Bernard se trouva donc seul contre trois. H appela rouvrir. Ils se trouvèrent donc prisonniers, et, par consé-
François, François accourut; mais aux premiers pas qu'il quent, dans impossibilité de secourir l'archevêque. Pen-
fit, il s'aperçut à sa faiblesse qu'il était plus grièvement dant ce ti mps, César Petrucci avait couru à la salle où les
blessé qu'il ne le croyait, et en arrivant au chœur, se sen- prieurs tenaient leur audience, et là, sans savoir précisé-
tant prêt à tomber il s'appuya contre la balustrade. Politien, ment encore de quoi it s'agissait, il avait donné l'alarme.
qui accompagnait Laurent, prolita de ce moment pour le Les prieurs aussitôt s'étaient réunis a lui César tes encou-
faire entrer avec quelques amis qui se tenaient ralliés au- ragea. Un résolut de se défendre, chacun s'arma de ce qu'it
tour de lui, dans la sacristie, et tandis que les deux Caval- put; le vaillant gontatonnier, en traversant la cuisine, prit
canti, secondés par les diacres qui frappaient avec leurs une broche, et ayant fait entrer ta seigneurie dans h tour,
crosses d'argent comme avec des masses, tenaient écartés il se plao devant ta porte, qu'il défendit si bien que person-
Bernard et trois ou quatre conjurés qui étaient accourus a ne n'y pénétra.
sa voix, il repoussa les portes de bronze, et les ferma sur Ceprndant l'archevêque, graf'eason costume ecclésiasti-
Laurent et sur lui. Aussitôt Antonio RidoïC, l'un des jeu- que, avait traversé la salle où, près des cadavresde ses ca.
nes gens les plus attachés Laurent, suçait la blessure qu'il marades, Bracciolini était prisonnier, et, d'un geste, il avaitt
avait reçu ~u cou, de peur que le fer du prêtre n'eût été em- fait comprendre à son complice q')'H allait venir à son se-
poisonné, et y mettait le premier appareil, pn instant encore cours. En etfet, a peine eut-it paru à la porte de la rue que
le reste des conjurés se rallia à lui mais, au moment où ils morceau de marbre qu'ait touché le ciseau de Michet-Angë.
allaient remonter, ils mirent déboucher, par ta rue qui con- Michel-Ange le destinait au tombeau qu'il voulait se préparer
duit au Dôme, une troupe de partisans des Médicis qui s'ap- à Sainte-Marie-Majeure mais les chanoinesdu Dôme eurent,
prochait en poussant le cri ordinaire de cette maison, qui si on peut le dire, la piété sacrilége de détourner ce bloc
était palle, palle. Salviati comprit qu'il ne s'agissait plus inachevé de sa destination tumulaire, et s~en emparèrent
d'aller secourir Bracciolini, mais de se défendre soi-mime. pour leur cathédrale.
En effet, la fortune avait changé de face, et le danger s'é- Au-dessus du choeur s'élève, à une hauteur de 275 pieds,
tait retourné contre ceux qui l'avaient éveillé. Les deux prê- la fameuse coupole de Brunelleschi elle resta nue et sans
tres avaient été poursuivis et mis en pièces par les Médicis. ernement, belle de sa beauté, et grande de sa seule gran-
Bernard Bandini, après avoir vu Politien fermer entre Lau- deur, jusqu'en ~S72, époque où Vasari obtint de Cosme ler
rent et lui les portes de bronze de la sacristie, avait, comme l'autorisation de la couvrir de peinture. Le jour anniversaire
nous l'avons dit, emmené François Pazzi hors de t'égtisc; de la naissance du grand-duc, il monta sur son échafaud, et
mais arrivé devant son palais, celui-ci s'était senti si faible donna le premier coup de pinceau à cet immense et médio-
qu'il n'avait pu aller plus loin, et que, tandis que Bernard cre ouvrage, qu'il laissa inachevé en mourant; l'oeuvre fut
gagnait au large, il s'était jeté sur son lit, et attendait les continué par Frédéric Zuccheri.
événemens avec autant de résignation qu'il avait montré de Deux gloires artistiques font en outre pendant aux deux
courage. Alors Jacob, malgré son grand âge, avait tenté de gloires militaires de Jean Hawkwood et de Pierre Farnëse:
remplacer son neveu; il était monté à cheval, et, à la tête ce sont les tombeaux de Brunelleschi et du Giotto. L'épita-
d'une centaine d'hommes qu'ii avait réunis dans sa maison, phe du premier est de Mazzuppini, et celle du second de Po-
il parcourait les rues de la ville en criant Liberté liberté 1 litien. La meilleuredes deux au reste, est fort médiocre, en
Mais c'était un cri que déjù Florence ne comprenait plus. comparaison d'une statue de l'un ou d'un tableau de l'au-
Une partie des citoyens, qui ignorait encore ce qui s'était tre.
passé, sortaient sur leurs portes, et )e regardaient en silence En sortant de Sainte-Marie-des-Fteurspar la grande porte
et avec étonnement; ceux qui connaissaient le crime du milieu, on se trouve juste en fa<'e d'une autre porte. C'est
grondaient sourdement en le menaçant du ~este, et en cher- celle du baptistère de Saint-Jean; c'est la fameuse porte de
chant une arme pour joindre l'effet a )a menace. Jacob vit ce bronze de Ghiberti. Miehet-Ange avait toujours peur que
que les conjurésvoient toujours trop tard c'est que les mai- Dieu enlevât ce chef-d'oeuvre à Florence, pour en faire la
tres ne viennent que lorsque les peuples veulent être escla- porte du ciel.
ves. H comprit alors qu'il n'avait pas une minute à perdre Le baptistère de Saint-Jean, église primitive de la ville,
pour pourvoir & sa sûreté, et lit volte-face avec sa troupe, dont Dante parle si souvent et avec tant d'amour, est une
gagna une des portes de la ville, et prit la route de la Ro- bâtisse du sixième siècle, et qui ne remonte à rien moins
magne. qu'à cette belle reine Théodotinde, qui commandait alors à
Laurent se retira chez lui, et, sous le prétexte qu'il pleu- toute cette riche contrée qui s'étendait du pied des Alpes au
rait son frère, il laissa faire ses amis. duché de Rome. (fé'ait le tc)))j)s où les -ruines éparses da
Laurent avait raison; il était dépopuiarisé pour te reste de monde qui venait de tinir offraient de splendides matériaux
sa vie, s'il s'était vengé comme on le vengeait. au monde qui commençait. Les architectes lombards prirent
Le jeune cardinal Uiavio, qui ignorait, non ,pas le com- à pleines mains colonnes, c))apit"aux,bas-reliefs, et jusqu'à
plot, mais la manière dont il devait s'accomplir, s'était mis une pierre portant une inscription romaine en l'honneur
à l'instant même sous la garde des prêtres qui remmenè- d'Aurélius Vérus, puis ils en firent un temple qu'ils consa-
rent dans une sacristie voisine de celle où s'était réfugié crèrent au baptême du Christ.
Laurent. L'archevêque Salviati, son frère, son cousin, et Le baptistère demeura ainsi rude et fruste, et dans toute
Jacques Bracciolini, arrêtés par César Petrucci dans le pa- sa nudité barbare, jusqu'au onzième sièc!e; c'était la grande
lais même de la seigneurie, furent pendus, les uns à la Rin- époque des mosaïstes. Partis de Constantinople, ils parcou-
ghicra, les autres aux balcons des fenêtres. François Pazzi, raient le monde, appliquant leurs longues et maigres figures
retrouva sur son lit tout épuisé du sang qu'il avait perdu, du Christ, de la Vierge et des saints sur des fonds d'or.
fut trainé au Palais-Vieux au milieu des malédictions et des Apollonius fut appelé h Florence, et on lui livra la voùte.
coups de la populace qu'il regardait en haussant les épaules, Les peintures commencées par lui furent continuées par
le sourire du mépris sur les lèvres, et pendu à la même fe- André Tati, son éiève. et achevées par Jacques da Turrita,.
nêtre que. Salviati, sans 'que les menaces, les coups ni le Taddeo Gaddi, Alexis Baidovinotti et Dominique Guirtan-
supplice aient pu lui arracher une seule plainte. Jean-Bap- dajo. Bientôt, lorsqu'on vit l'intérieur si beau et si resplen-
tiste de Montesecco, qui avait refusé de frapper Laurent dissant, on pensa à l'extérieur, et on chargea Arnolfo di
dans uneégtise.etqui probablement lui avait sauvé la vie Lapo de le revêtir de marbre. Ces améliorations avaient
en l'abandonnant aux poignards des deux prêtres, eut la tête porté leurs fruits les offrandes devenaient dignes du tem-
tranchée. René des Pazzi, qui s'était retiré à la campagne ple. On pensa qu'il fallait des portes de bronze pour enfer-
pour ne point être confondu avec les conjurés, ne put, par mer tant de richesses, et, en 4550, on chargea André de Pise
cette précaujion, éviter son sort; il fut pris et pendu comme d'exécuter celle du midi, qui regarde le Bigallo. L'œuvre fut
ses parons. Le vieux Jacob des Pazzi, qui s'était sauvé avec achevée en 4559, et produisit une telle sensation, que la sei-
sa troupe, avait été arrêté par les montagnards des Apen- gneurie de Florence sortit solennellement de son palais pour
nins qui, malgré une somme assez forte qu'il leur offrit, non aller la visiter, accompagnéedes ambassadeurs de Naples et
point pour le laisser libre, mais pour le tuer, l'amenèrent vi- de Sicile. L'artiste, qui était de Pise.ain~ que l'indique son
vaut it Florence, où il fut pendu à la même fenêtre que Re- nom, reçut en outre les honneurs de ta ct«<Kh'nottM.
ué. Enfi~, comme deux ans s'étaient écoulés depuis cette ça Restaient deux autres portes a exécuter; le travail mer-
tMstruphe, on vit, un matin, un cadavre accroché aux fenê- vciiteux du premier ouvrier rendait difficile le choix du se-
tres du bargello; c'était celui de Bernard Bandini qui s'était cond on résolut de les mettre au concours. Chaque concur-
réfugié it Constantinople, et que le sultan Mahomet I! avait rent adopté par la commission devait recevoir de la Magni-
envoyé prisonnier à Laurent en signe de son désir de con- lique république une somme sufEsantc pour vivre un an, et,
server la paix avec la Magnifique république. au bout de cette année, présenter son esquisse. Brunelles-
).c choeur qui enferme l'espace où ~ut joué ce grand drame chi, Donatello, Lorenzo de B~rtotuccio, Jacopo della Quer-
fut exécuté depuis par ordr'' de Cosme 1er; il est orné de cia de Sienne,Nicolas d'Arez~o, son élève, François de Val-
qua)re-vin/t hui' figures en bas relief, de Baccio Bandinelli dambrine et Simon de Colle, appelé Simon des Bronzes, à.
et de ~un élève Jean dell'Opera. Le grand autel est du même cause de son habileté à mouler cette matière, se présentè-
maitre. a )'. xception du crucifix en bois sculpté, qui est de rent et furent reçus sans difBcuttés.
Bfno'tdf.Majano, et d'une pièce en marbre représentantJo- Il y avait alors à Rimini un jeune homme qui faisait sorf
seph d'Arimathie soutenant le Christ, et qui est te dernier tour d'Italie, comme on fait chez nous son tour de France
il allait de Venise à Rome, mais il avait été arrêté au pas- car il n'avait qu'à imiter André de Pise, qu'on avait regardé
sage par le seigneur Malatesta. C'était un de ces tyrans ar- jusqu'alors comme inimitable.
tistes du moyen àge qui prenaient, tant à cœur t'intérêt de C'est en sortant du Baptistère par cette porte du milieu,,
l'art: aussi, comme je l'ai dit, avait-il arrêté ce jeune hom- Où sont attachées les chaines du port de Pise, matheu-
me, et lui faisait-il faire force belles. fresques; Dans tes in- reuses chaînes que se sont partagées tour à tour les Génois
tervalles de son travail, le jeune homme, qui était en outre et les Fioremins,–que t'en découvre, dans toute sa ma-
orfèvre et sculpteur, s'amusait, pour se distraire,.à mouler jestueuse hardiesse,.leCampanile de Giotto. Ce merveilleux
des petites figures en glaise et en cire, que le seigneur Mala- monument, solide comme une tour et découpe comme une
testa donnait à ses beaux enfans, qui devaient être un joue dentelle, si téger, si beau, si brillant, que Potitien t'a chante
des tyrans comme lui. en vers latins, que Charles V disait qu'on le devrait mettre
Un matin, il trouva son commensaltout préoccupe, Mata- sous verre pour ne lc montrer que les jours de grande fête,
testa lui demanda ce qu'il avait.. Le jeune homme, lui répon- et qu'on dit encore aujourd'hui à Florence Beau comme le
dit qu'il venait de recevoir une lettre de son beau-père qui Campanile, pour indiquer toute chose si splendide qu'il lui
lui annonçait que la porte principale du baptistère de Pise manque un terme de comparaison.
était mise au concours, et qui l'invitait à venir concourir, Giotto avait ménage des niches qui furent remplies par
honneur si grand, qu'au fond du cœur its'en trouvait fort indi- Donatello. Six statues sont de ce maître l'une d'elles, celle
gne. Matatesia encouragea fort lejeune homme h partir pour qui représente le frère Barduccio Cherichini, plus connu
Florence; puis, comme il comprit que le pauvre artiste était sous le nom de dello Zuccone, cause de sa calvitie, est un
à sec d'argent, il lui donna une bourse pleine d'or pour l'ai- chef-d'œuvre de naturel et de modelé. Du point où on l'exa-
der à faire son voyage. C'était, comme on le voit, un excel- mine, c'est la perfection grecque réunie au sentimfnt chré-
lent homme que cet excécrable tyran Malalesta. tien aussi l'on raconte que lorsque Donatello accompagna
Le jeune homme se mit en route pour Florence, à la fois sa statue bien-aimée de son atelier au Campanitc, confiant
plein d'espérances et de crainte. Le cœur lui battit fort, lors- dans son génie, et croyant que le Dieu des chrétiens lui de-
que de loin il aperçut les tours et les clochers de sa ville vait le même miracle que Jupi.ter avait fait pour Pygmalion,
nata)c; enfin, il fit un effort sur lui-même, et, avant même il ne cessa, tout le long. de la route, de lui répéter à demi-
d'embrasser ni sa femme ni son père, it s'en alla frapper à voix Favella /<tfeHa~ 1- Par.le, mais parle donc
la porte de ce fameux conseil dont toute sa vie allait dé* La statue resta muette, mais l'admirationdes peuples etla.
pendre. voix de la postérité ont parlé pour elle..
Les juges iui demandèrentson nom et ce qu'il avait fait. Le
jeune homme répondit qu'il se nommait Lorenzo Ghiberti;
quant à la seconde question, il était moins facile d'y répon-
pondre, car il n'avait guère fait encore que les charmantes
figures de cire et de glaise avec lesquelles jouaient les jolis
o<fans du tyran Matatesta.
Aussi )e pauvre Ghiberti eut-il grande peine de désarmer
la sévérité de ses Juges, etdfjà il était près de retourner à LE PALAIS RICCARDI.
Rimini, lorsque, sur la ')cma')de de Brunelleschi, ami de
son beau-père, et de Donatello, son ami à lui, il fut reçu,
mais plutôt à titre d'encouragementqu'à titre de concurrence
sérieuse. N'importe, il était reçu, c'était tout ce qu'il lui fal- Noas allions quitter cette magnifique place du Dôme pour
lait il -empocha sa somme, prit son programme et se mit à nous faire conduire à celle du Grand-Duc, torsqu'en jetant
la. besogne. un regard.dans~)a Via MarteUi, nous aperçûm:&, à l'extré-
L'année s'écoula, chacun travaillant-de son mieux; puis~ mité de cette rue, l'angle d'un si beau palais, que nous nous
au. jour dit, chacun présenta son esquisse. I) y avainrente- écartâmes un moment de notre plan chronologique, pour
quatre juges, tous peintres, sculpteurs ou orfèvres du pre- nous acheminer droit à cet édifice. A mesure que nous avan-
mier rang. cions, nous )e voyions se dévetopper à la fois dans toute
Le prix se partagea de prime-abord entre trois des con- son élégance et dans toute sa majesté. C'était le magnifique
currens. Ces trois lauréats étaient Brunelleschi, Lorenzo de palais Riccardi.qui fait )e coin de la Via Larga et de )a Via
Bartot'uccio et Donatello. On avait bien trouvé l'esquisse de dei Caiderei.
Ghiberti fort belle mais 41 était si jeua<x que,, soit crainte de Le palais Riccardi fut bâti par Cosme l'Ancien, celui-là
blesser les maitres qui avaient concouru avec: iui, soit toute. que la patrie eommençapar chasser deux fois, et finit enfin
autre raison, on n'avait point osé lui donner le prix. Mais par appeler son père.
alors il arriva une chose merveilleuse c'est que Brunelles- Cosme vint à une d&ces époques heureuses où tout dany
chi, Bartotuccio et Donatello, s'étant retirés dans. un coin ulle nation (end à- s'épanouir à la fois, et où l'homme de
pour délibère)', revinrent, après un instant de dé!ib"ration, génie a toute facilité pour être grand. En'effet, l'ère bril-
et dirent aux consn)s qu'il )eur semblait qn'on~ avait fait une iantede tt république était venue avec lui; les arts appa-
chose contre la justice en leur décernant le prix, et qu'ils raissaiez't de tout côtés. Brunelleschi bàtissait ses égUscs~
croyaient, en leur âme et conscience, qu& celui qui Favait Donatello taillait ses statues, Orcagna découpait ses porti-
véritablement gagné éta~LorenzoGhiberti. ques, Maxaccio couvrait les murs de ses fresques, enfin, la
On conçoit qu'une pareille démarche rangea facilement prospérité publique,' marchant d'un pas égal avec le progrès
-les juges de son côté et, une fois par hasard, ie prix futac- des arts, faisait de la Toscane, ptacée entre la Lombardie,
cordé à celui qui l'avait mérité .It est frai que le concours, tes Etats de t'EgUse, et la répuhtiqu&vënHienne, le pays
fidèle à ia mission originelle de tout concours, l'avait donné non-seatement le plus puissant, mais encore le plus heu-
d'abord: à celui qui ne le méritai pas. reux de l'Italie.
L'ouvrage dura quarante ans, ditVasari, c'est-à-dire un Cosme étai)! né avec des richesses immenses qu'il avait
~n de moins que n'avait vécu Masaccio, un an de plus que presque doublées, et, sans être plus qu~un citoyen, il avait
ne devait vivre Raphaël. Lorenzo, qui l'avait commencé plein acquis une innuence'éttange~Piaeé en dehors dU gouverne-
de jeunesse et de force, t'acheva vieux et courbé. Son por- ment, il ne t'att3<fMtt. point,. mais aussi ne le nattait pas.
trait est celui de ce'vieillard chauve qui, lorsque la porte Le gouvernement suivait-il une bonne voie, il était sûr de
est fermée, se trouve dans l'ornement du milieu; toute une sa, louange~ s'éeartait-it da droit chemin, il n'échappait
vie d'artiste s'était écoulée en sueurs, et était tombée goutte, pointasonbtame; et cette touangeom ce btântede Cosme
à goutte sur ce bronze l'Ancien ëtaietttd'uneimportancesuprême, cat sa gravité,
Quant à l'autre porte, qui fut donnée à Ghiberti en ré- ses richesses et ses ciiens donn~ent à Cosme le rang d'un
compense de la première, ce ne fut plus qu'un jeu pour lui,, homme public. Ce n'était point encore le chef du gouverne-
Tnent,Tnaisc'éta~-déjaplus que cela peut-être c'était son la conspiration des Pazzi, comme son aïeul *~y était retiré
censeur. après son exil. Laurent légua le palais, avec son immense
Aussi l'on comprend quel orage devait secrètement s~a- collection de pierres précieuses, de camées antiques, d'ar-
masser contre on pareil homme. Cosmete voyait poindre et mes splendides et de manuscrits originaux, à son fils Pierre,
l'entendait gronder.; mais, tout entier aux 'grands travaux qui mérita, non pas le trtrc de-Pierre le Goutteux, mais le
qui cachaient ses grands projets, il T)e tournait pas même la titre de Pierre l'Insensé.
tête du côté de cet orage naissant, et'faisait achever la cha~- Cefut cetui-tà qui ouvrit les portes de F!orence à Char-
pelle Saint-Laurent, bâtir t'cgiise du couvent des domini- les VIII, qui lui livra les clefs de Sarzane, de Pietra-Santa,
cains de Saint-Marc, êiever le monastère de San~Frediano, de Pise, de Libra-Fatta etdeLivoume,etqui s'engagea à lui
et jeter enfin les fondemens de ce'beau 'palais de Via Larga, faire payer par la république, à titre de subside, la somme
appelé aujourd'hui paiais'RicearUi. Seulement, lorsque ses de deux cent mille florins.
ennemis le menaçaient trop ouvertement, comme le temps ï) lui offrit en outre, en son palais -de Via Larga, une hos-
de la lutte n'était pas encore venu pour lui, il quittait Flo- pitalité que le roi de France était'tout disposé a prendre,
rence pour s'en aller dans le Bugello, berceau de ~a race, quand bien même on ne:la lui aurait pas offerte,
bâtir !escojivens de) Bosco et de Saint-François,rentraitsous En effet, comme chacun sait, Charles VIII entra à Florence
)e prétexte de donner un coup d'œ!) à sa chapelle du novi- en vainqueur et non en allié, monté sur son cheval de ba-
ciat des pères de Saint-Croix et du Couvent-des-Anges des tai))e, )a lance au poing et la visière baissée il
Camaldtiles, puis il sortait de nouveau pour aller presser ainsi toute la ville, depuis la porte San-Friano jusqu'au pa-
traversa
les travaux de ses villas de Carreggi, de Caffa~gio, deFieso)e )ais de Pierre, que la seigneurie avait dès ta veitte chassé de
et de Tribbio, ou fondait a Jérusalem un hôpital pour)es Florence, lui -et les siens.
pauvres pèlerins. Cela fait, il revenait voir où en étaient les Ce fut au palais Riccardi qu'euttieuiadiscussion du traité
affaires de la république, et son palais de Via 'Larga. passé entre Charles VIII et Pierre, au nom de la république,
Et toutes ces constructions immenses sortaient a )a fois traité quêta république ne voulait pas reconnaitre. Les cho-
de terre, occupant tout un monde de manœuvres, d'ouvriers ses allèrent loin,, et l'on'fut sur le point de recourir aux ar-
et d'architectes et cinq cent miiïeécus y passaient, c'cst- mes, car les députés ayant été introduits dans ta grande salle.
dire sept ou huit millions de notre monnaie' actuelle, sans en présence de Charles VIII, qui tes reçut assis et couvert,
que le fastueux citoyen parût le moins du monde appauvri le secrétaire royal, qui était debout auprès du trône, com-
de cette éternelle et royale dépense. mença de lire article par article les conditions de ce traité,
C'est qu'en effet Cosme était plus riche que bien des rois- et comme chaque article nouveau amenait une discussion
de l'époque, son père Giovanni lui ayant laissé à peu près nouvelle, Charles VIII impatienté s'écria: Den sera ce-
quatre millions en argent et huit ou dix en papier, et lui, pendant ainsi, ou je ferai sonner mes trompettes. -Eh b:en I
par le change, ayant plus que quintuplé cette somme. Il avaitj répondit Pierre Capponi, secrétaire de la république, en ar-
dans les différentes places de l'Europe, tant en son propre rachant le papier des mains du lecteur, et en le mettant en
nom qu'au nom de ses agens, seize maisons de banque en pièces; eh bien 1 sire, faites sonner vos trompettes, nous
activité. A Florence, tout le monde lui devait, car sa bourse j ferons sonner nos cloches.
était ouverte à tout le monde, et cette généresitë était si Cette réponse sauva Florence. Le roi de France crut que
bien, aux yeux de quelques-uns, l'effet d'un calcul, qu'on la répuMique était aussi forte qu'elle était fière Pierre Cap-
assurait qu'il avait l'habitude de conseiller la guerre, pour poni s'était déjà élancé hors de l'appartement, Chartes te fit
forcer les citoyens ruinés de recourir h )ui. Aussi avait-il appeler, et présenta des conditions nouvelles qui furent~c-
fait, pour amener la guerre de Lucques, de tels efforts, que ceptées.
Varchi dit de lui, qu'avec ses vertus visibles et ses vices se- Onze jours après, le roi quitta Florence pour marcher sur
crets, il arriva à se faire. chef et presque prince d'une ré- Nap)cs, laissant dévaster par ses soldats trésor, galeries,
publique déjà plus esclave que libre. collections et bibliothèques.
Mais la lutte fut )ongue; Cosme, chassé de Florence, en Le palais Riccardi resta vide pendant dix-huit ans que
sortit en proscrit, et y rentra en triomphateur. dura l'exil des Médicis; enfin, au bout de ce temps, ils ren-
Cosme adopta dès lors cette politiqne que nous avons vu trèrent ramenés par les Espagnols, et, malgré ce puissant
Laurent, son petit-fils, suivre plus tard il se remit à son secours, ils rentrèrent, dit !a capitulation, non pas comme
commerce, à ses agios et à ses monumens, laissant à ses princes, mais comme simples citoyens.
partisans, alors au pouvoir, )e soin de sa vengeance. Les Mais enfin le tronc gigantesque avait poussé de si puis-
proscriptions furent si longues, les supplices furent si nom- sans rameaux que sa sève commençait à tarir, et que l'ar-
breux, qu'un de ses plus intimes et de ses plus fidèles crut bre dépérissait de plus en plus. En effet, Laurent H, mort
devoir aller le trouver pour lui dire qu'il dépeuplait la ville. et enseveli dans son tombeau scutpté par Michel-Ange, il ne
Cosme leva les.yeux d'un calcul de change qu'il faisait, posa restait plus du sang de Cosme l'Ancien que trois bâtards
la main sur l'épaule du messager de c)émence, le regarda Hippolyte, Mtard de Jules !t, qui fut cardinal Jules, Mtard
fixement, et avec un imperceptible sourire J'aime mieux de Julien l'Ancien, assassiné par les Pazzi, et qui fut pape
la dépeupler que de la perdre, lui dit-il. Et l'inflexible sous le nom de Ctément VU enfin Alexandre, bâtard de
arithméticien se remit ses chiffres. Julien ou de Clément VII, on ne sait pas bien, et qui fut
Ce fut ainsi qu'il vieillit, riche, puissant,'honoré, mais duc de Toscane. Comme ils demeurèrent tous trois un ins-
frappé dans l'intérieur de sa fami!)e par la main de Dieu. Il tant A Florence, logeant sur la même p)ace, on appela par
avait eu de sa femme plusieurs enfans, dont un seul lui sur- raillerie cette place des Trois-Mulets.
vécut. Aussi, cassé et impotent, se faisant porter dans les Autant, au reste, la race des Nédicis de la branche ainée
immenses salles de son immense palais, nfin d'inspecter avait d'abord été en honneur à Florence à son cnmmrnce-
scu)pturcs, dorures et fresques, il secouait tt'istf'meuUatcte ment, autant elle était venue
et disait
( exécration et tombée en mé-
né!as! hé)as \'oi~a une bien grande maison pris vers cette époque. Aussi les Fiorentins n'attendaient-ils
pour une si petite famille! qu'une occasion pour chasser Alexandre et Hippolyte <
En effet, it)aiss:) pour tout héritier de son nom, de ses FiotFKce: mais )cur oncle Clément VU, ptacé sur le (rone
biens et de sa puissance, Pierre de Médicis, qui, )')acé en- pontifical, leur offrait un appui trop puissant pour que les
tre Cosme le Père de la patrie et Laurent le Magnifique, ob- derniers débris du parti répubhcain osassent rien cntn'pren-
tint pour tout surnom celui de Pierre le Goutteux. dre contre enx.
Hefuge des savans grecs chassés de Constantinople. ber- Le sac de Rome par les soldats du connétable de Bour-
ceau de la renaissance des arts pendant )e xtv< ctxV siè- bon, et t'f'mprisonnemcnt du pape au chAh'au Saint-Ange,
cle, siège aujourd'hui des séances de l'académie de la Crus vinrent offrir aux ~Fiorcntins t'occasion qu ils attendaient.
ca, le palais Riccardi fut successivement habité par Pierre ])s la saisirent à t'instant mcme, et pour la troisième fois
le Goutteux et par'Laurent le Magnifique, qui s'y retira après les Mpdicis reprirent la route de l'exil. Clément Vit, qui
était homme de ressources, se (ira d'affaire en vendant sept aimant tout ce qui était beau, sans distinction de sexe,
chapeaux de cardinaux, avec lesquels il paya une partie de c'était une de ces créatures hermaphrodites, comme la
~a rançon, et en en mettant cinq autres en gage pour répon- nature capricieuse en produit dans ses époques de dis-
dre du reste. Alors comme, moyennant ces garanties, on solution. De temps en temps, de ce composé d'élémens
mi !a'ëF,a". un peu plus de tibertô~it en profita pourse sau- hétérogènes jaillissait un vœu ardent de gloire et d'im-
ver de Rome, sous l'habit d'un valet, et gagna Orviette. Les mortaiitë, d'autant plus inattendu qu'il partait d'un corps
Florentins se croyaient donc bien tranquilles sur l'avenir en si frêle et si féminin qu'on ne l'appelait que Lorenzino. Ses
voyant Charles-Quint vainqueur et le pape fugitif. meilleurs amis ne l'avaient jamais vu ni rire ni pteurer,
Malheureusement,Charles-Quint avait été élu empereur mais toujours railler et maudire. Alors son visage, plutôt
en <5<9, et il avait besoin d'être couronné. Or, )'intér6t rap- gracieux que beau, car il était naturellement brun et mé-
procha ceux que l'intérêt avait sépares. Clément \'H s'en- lancolique, prenait une expression si infernale, que, quelque
gagea a couronner Charles-Quint, et Cbarles-Quint s'en- rapide qu'elle fût, car elle ne passait jamais sur sa face
gagea à prendre Florence et à en faire la dot de sa fille que comme un éclair, les plus braves en étaient épouvantés.
Y)aturci)e, Marguerited'Autriche, que t'en nança à Alexandre. A quinze ans, il avait été étrangement aimé du pape Clé-
Les deux promesses furent religieusement, tenues Charles- ment,qui l'avait fait venir à Rome, et qu'il avait eu plusieurs
Quint fut. couronné à Bologne, car, dans la tendresse toute fois l'intention d'assassiner. Puis, à son retour Florence,
nouvelle qu'il portait au pape, il ne voulait pas voir les il s'était mis à courtiser le duc Alexandreavec tant d'adresse
ravages que ses troupes avaient faits dans la cité sainte et d'humilité, qu'il était devenu non pas un de ses amis,
et après un siège terrible, où Florence fut défendue par mais peut-être son seul ami.
Michel-Ange et livrée par Malalesta, le 5< juillet ~55t, tl est vrai qu'avec Lorenzino pour familier, Alexandre
Alexandre fit son entrée solennelle dans la fùture capitale pouvait se passer des autres. Lorenzo lui était bon a
de son duché. tout c'était son bouffon, c'était son complaisant, c'était
Alexandre avait à peu près tous les vices de son époque, son vàlet, c'était son espion, c'était son amant, c'était
et très-peu des vertus de sa race. Fils d'une Mauresque, il sa maitresse. ït n'y avait que quand'te duc Alexandre
en avait hérité les passions ardentes. Constant dans sa avait envie de s'exercer aux armes, que son compagnon-
haine, inconstant dans son amour~it essaya de faire assas- éternel lui faisait faute, et se couchait sur quelque lit
siner Pierre Strozzi, et fit empoisonner le cardinal Hippolyte moélleux ou sur quelques coussins bien doux, en disant que
son cousin, qui, au dire de Varchi, était un beau et toutes ces cuirasses étaient trop dures pour sa poitrine, et
agréable jeune homme, doué d'un esprit heureux, affable du toutes ces dagues et ces épées trop lourdes pour sa main.-
cœur, généreux de la main, libéral et grand comme Léon X, Alors, tandis qu'Alexandre s'escrimait avec les plus habiles
et qui donna d'une seule fois quatre mille ducats de rente à spadassins de l'époque, lui, Lorenzino, jouait avec un petit
François-Marie Molza, noble Modéuois, versé dans l'étude couteau de femme, aigu et effilé, et dont il essayait la pointe
de ta grande et bonne littérature, et dans celle des trois en perçant des florins d'or, et en disant que c'était là son
tettes langues, qui étaient, à cette époque, le grec, le latin épée à lui, et qu'il n'en voulait jamais porter d'autre. Si
et le toscan. bien qu'en le voyant si mou, si humble et si tache, on ne
Aussi y eut-il, pendant ses six ans de règne, force cons- l'appelait plus même Lorenzino, mais Lorenzaccio.
pirations contre lui. Aussi, de son côté, le duc Alexandre avait-il une grande
Philippe Strozzi déposa une sommé immense entre les confiance en lui et la preuve la plus certaine qu'il lui en
mains d'un frère dominicain de Naples, qui avait, disait-on, donnait, c'est qu'il était l'entremetteur de toutes ses intrigues
une grande influence sur Charles-Quint, pour qu'il obtint de amoureuses. Quel que fùt le désir du duc Alexandre, soit
<;nartes-Quint qu'il rendit la liberté a sa patrie. Jean-Bap- que ce désir montât au plus haut, soit qu'il descendit au plus
tiste Cibo, archevêque de Marseille, essaya de profiter de bas, soit qu'il poursuivit une beauté profane, soit qu'il
ses amours avec la sœur de son frère, qui. séparée de pénétrât dans quelque saint monastère, soit qu'il eût pour
son mari, habitait te palais des Pazzi, pour le faire tuer but l'amour de quelque épouse adultère ou de quelque
un jour qu'il viendrait la voir dans ce palais; et comme chaste jeune fille; Lorenzo entreprenait tout. Lorenzo
it savait qu'Alexandre portait ordinairement sous son menait tout à bien. Aussi Lorenzo était-il le plus puis-
habit un jaque de mailles, si merveilleusement fait qu'il sant et le plus détesté à Florence, après le due.
était à l'épreuve de l'épée et du poignard, il avait fait De son coté, Lorenzo avait un homme qui lui était aussi
remplir de poudre un coffre sur lequel le duc avait dévoué que lui-même paraissait l'être au duc Alexandre. Cet
l'habitude de s'asseoir lorsqu'il venait voir la marquise, homme était tout bonnement un certain Michel del Toval-
et il devait y faire mettre le feu. Mais cette conspiration laccino, un sbire, un assassin qu'il avait fait gracier pour un
et toutes les autres qui la suivirent furent découvertes, meurtre, que ses camarades de prison avaient baptisé du
à l'exception d'une seule. C'est qu'aussi dans celle-là il n'y nom de Scoronconcolo, nom qui lui était resté, à cause de
avait qu'un conjuré, qui, à lui seul, devait tout accomplir. sa bizarrerie même. Dès lors cet homme était entré à son
Ce conjuré était Laurent de Médicis, l'ainé de cette branche service et faisait partie de sa maison, Ini témoignait une
cadette, qui s'écarta du tronc paternel avec Laurent, frère reconnaissance extrême, et cela à tel point qu'une fois
puiné de Cosme le Père de la patrie, et qui, dans sa marche Lorenzo s'étant plaint devant lui de l'ennui que lui donnait
ascendante, s'était, tout en côtoyant la branche ainée, un certain intrigant,Scoronconcolo avait répondu:–Maitrc,
séparée elle-même en deux rameaux. dites-moi seulement quel est le nom de cet homme, et je
Laurent était né à Florence, l'an ~5~4, le 23 mars, de vous promets que demain il ne vous gênera plus. Et
Pierre-François de Médicis, deux fois neveu de Laurent, comme Lorenzo s'en plaignait encoreun autre jour Mais
frère de Cosme et de Marie Soderini, femme d'une sagesse dites-moi donc qui il est? demanda le sbire. Fût-ce quelque
exemplaire, et d'une prudence reconnue. favori du duc, je le tuerai. Enfin, comme une troisième
Laurent perdit son père de bonne heure, et comme il avait fois Lorenzo revenait encore à se plaindre du même homme
neuf ans à peine, sa première éducation se fit alors sous Son nom son nom 1 s'était écrié Scoronconcolo car je
l'inspection de -sa mère. Mais l'enfant ayant une grande le poignarderai, fût-ce le Christ 1 Cependant, pour cette
facilité a apprendre, cette éducation fut faite très-rapide- fois, Lorenzo lie lui dit rien encore. Le temps n'était pas
ment, et il sortit de cette tutelle féminine pour entrer sous venu.
celle de de Philippe Strozzi ta son caractère étrange se Un matin le duc fit dire à Lorenzo de le venir voir plus
développa. C'était un mélange de raillerie, d'inquiétude, de tôt que de coutume. Lorenzo accourut il trouva le duc en-
désir, de doute, d'impiété, d'humilité et de hauteur, qui fai- core couché. La veille, il avait vu une très jolie femme, celle
sait que tant qu'il n'eut pas de motifs de dissimuler, ses de Léonard Ginori, et la voulait avoir. C'était pour cela
véritables amis ne le virent jamais deux fois do suite sous qu'il faisait appeler Lorenzo et il avait d'autant plus compté
la même face. Caressant tout le monde, n'estimantcersonne, sur lui, que celle dont il avait envie était la tante même de
Lorenzo. Lorenzo écouta la proposition avec la même tran- tre )c Hongrois; et lorsqu'il fut sur la place Saint-Marc, où
quillité que s'il se fût agi d'une étrangère, et repondit à il était allé pour détourner tout soupçon du véritable but de
Alexandre, comme il avait coutume de lui répondre, qu'avec sa sortie, il congédiaGiustiniano et Giomo, disant qu'il vou-
de l'argent toutes choses étaient faciles. Alexandre répliqua lait être seul, et ne gardant avec lui que le Hongrois, il prit
qu'il savait bien où était son trésor, et qu'il n'avait qu'àù le chemin de la maison de Lorenzo. Arrivé au palais Sosti-7
prendre ce dont il avait besoin puis Alexandre passa dans gni, qui était presque en 'face de celui de Lorenzo, il or-
une autre chambre. Lorenzo sortit, mais en sortant il mit donna au Hongrois de demeurer là et de l'y attendre jus-
sous son manteau, sans être vu du duc, ce fameux jaque qu'au jour; et quelque chose qu'il vît ou qu'il entendit,
de mailles qui faisait la sûreté d'Alexandre, et le jeta en quelles que fussent les personnes qui entrassent ou qui sor-
sortant dans le puits de Seggio Capovano. tissent, de ne parler ni bouger sous peine de sa co)ère. Au
Le lendemain, le duc demanda à Lorenzo où il en était jour, si le duc n'était point sorti, lo Hongrois pouvait re-
de sa mission mais Lorenzo lui répondit qu'ayant affaire tourner au palais. Mais lui, qui était familier avec ces sor-
cette fois à une femme honnête, la chose pourrait bien traî- tes d'aventures, se garda bien d'attendre le jour, et dès qu'il
ner en quelque longueur puis il ajouta en riant qu'il n'a- vit le duc entrer dans la maison de Lorenzo, qu'il savait être
vait qu'à prendre patience avec ses nonnes. En effet, le due son ami, il s'en revint au palais, se jeta selon son habitude
Alexandre avait un couvent, dont avait séduit d'abord l'ab- sur un matelas qu'on lui étendait chaque soir dans la cham-
besse et ensuite les religieuses, et dont il s'était fait un sé bre du duc, et s'y endormit.
rail. Alexandre se plaignit aussi ce jour-lA d'avoir perdu sa Pendant ce temps le duc était monté dans la chambre de
cuirasse, non pas tant qu'il crût en avoir besoin, mais parce Lorenzo, où bruiait un bon feu et où l'attendait le maitre de
qu'elle s'était si bien assouplie à ses mouvemens qu'i) en la maison. Alors il détacha son épée et alla s'asseoir sur le
était arrive, tant il avait l'habitude, à ne la plus sentir. Lo- lit. Aussitôt Lorenzo prit l'épée, et rouiant autour d'elle le
renzo lui donna le conseil d'en commander une autre; mais ceinturon qu'il passa deux fois dans )a garde, afin que le
le duc répondit que l'ouvrier qui l'avait faite n'était plus à duc ne la pût tirer du fourreau, il la posa au chevet du lit;
Florence, et qu'aucun autre n'était assez habile pour le rem- en disant au duc de prendre patience et qu'il allait lui ame-
placer.. ner celle qu'il attendait. A ces mots, il sortit, tira la porte
Quelques semaines se passèrent ainsi, le duc demandant après lui, et comme la porte était de celles qui se ferment
toujours à Lorenzo où il en était près de la signora Ginori, avec nn ressort, le duc sans s'en douter se trouva prison-
et Lorenzo le payant toujours de belles paroles, si bien qu'il nier.
était arrivé à l'amener, par ce retard même, u~ désir im- Lorenzo avait donné rendez-vous à Scoronconcoioà l'an-
modéré de posséder celle qui résistait ainsi. gle de la rue et Scoronconcolo, Cdèle à )a consigne, était à
Enfin, un matin, c'était le 6 janvier ~556 (vieux style), Lo- son poste. Alors Lorenzo, tout joyeux, alla à lui, et lui frap'·
renzo fit dire au sbire de venir déjeuner avec lui, ainsi que, pant sur l'épaule
dans ses jours de bonne humeur, il avait déjà fait plusieurs Frère, lui dit-il, l'heure est venue. Je tiens enfermé
fois. Puis, lorsqu'ils furent attablés et qu'ils eurent amicale- dans ma chambre cet ennemi dont je t'ai parlé es-tu tou-
ment vidé deux ou trois bouteilles jours dans l'intention de m'en défaire?
Or ça, dit Lorenzo, revenons à cet ennemi dont je t'ai Marchons fut la seule réponse du sbire et tous deux
parlé; car maintenant que je te coanais, je suis certain que rentrèrentdans la maison. Arrivé à moitié de l'escalier, Lo-
tu ne me manqueras pas davantage dans le danger que je ne renzo s'arrêta
te manquerais moi-même. Tu m'as offert de le frapper, eh Ne fais pas attention, dit il en se retournant vers Sco-
bien le momentest venu, et je te conduirai ce soir en un ronconcolo, si cet homme est l'ami du duc, et ne m'aban-
endroit où nous pourrons faire la chose à coup sûr. Es-tu donne pas. ·
toujours dans la même résolution ? Soyez tranquille, dit le sbire.
Le sbire renouvela ses promesses en les accompagnantde Sur le palier, Lorenzo s'arrêta de nouveau
ces sermens impies dont se servent en l'occasion ces sortes Quel qu'il soit, entends-tu bien?ajouta-t-i! en s'adres-
de gens. sant une dernière fois à son acolyte.
Le soir, en soupant avec le duc et plusieurs autres per- -Quel qu'il soit, répondit avec impatience Scoroncon-
sonnes, Lorenzo, ayant comme d'habitude pris sa place près colo, fût ce le duc lui-même.
d'Alexandre,. se pencha à son oreille et lui dit qu'il avait en- Bien, bien, murmura Lorenzo en tirant son épée et en
En, à force de belles promesses, disposé sa tante à le rece- la mettant nue sous son manteau et il ouvrit .)a porte dou-
voir, mais à la condition expresse qu'il viendrait seul et cement, et entra suivi du sbire. Alexandre était couché su;
dans la chambre d;* Lorenzo, voulant bien avoir cette fai- le lit, le visage tourné vers )e mur, et probablement à moi.
blesse pour lui, mais voulant néanmoins garder toutes les tic assoupi, car il ne se retourna point au bruit; si bien que
apparences de la vertu. Lorenzo ajouta qu'il était important Lorenzo s'avança tout proche de lui, et, tout en lui disant
que personne ne le vit ni entrer ni sortir, cette condescen- Seigneur, dormez-vous? lui donna un si terrible coup
dance de la part de sa tante étant à la condition du plus grand d'épée, que la pointe, qui lui entra d'un côté au-dessous de
secret. Alexandre était si joyeux qu'il promit ce qu'on vou- l'épaule, lui sortit de l'autre au-dessous du sein, lui traver-
lut. Alors Lorenzo se leva pour aller, disait-il, tout prépa- sant le diaphragme, et, par conséquent, lui faisant une bles-
rer puis sur la porte il se retourna une dernière fois, et sure mortelle.
Alexandre lui fit signe de la tête qu'il pouvait compter sur Mais, quoique frappé mortellement, le duc Alexandre,
lui. qui était puissamment fort, s'élança, d'un seul bond, au mi-
En effet, aussitôt te souper fini, le duc se leva et passa lieu de la chambre, et allait gagner la porte restée ouverte,
dans sa chambre là, il mit bas l'habit qu'il portait et s'en- lorsque Scoronconcolo, d'un coup du taillant de son épée,
veloppa d'une longue robe de satin fourrée de zibeline. lui ouvrit la tempe, et lui abattit presque entièrement la joue
Alors, demandant ses gants à son valet de chambre gauche. Le duc s'arrêta chancelant, et Lorenzo, profitant de
Mettrai-je, dit-il, mes gants de guerre ou mes gants ce moment, le saisit a bras le corps, le repoussa sur le lit,
d'amour P Car il avait en effet sur la même table des gants de et le renversa en arrière, en pesant sur lui de tout )e poids
mailles et des gants parfumés et comme avant de lui pré- de son corps. En ce moment, Alexandre, qui, comme une
senter les uns ou les autres, le valet attendait sa réponse bête fauve prise au piège, n'avait encore rien dit, poussa un
Donne-moi, lui dit-il, mes gants d'amour. Et le valet cri en appelant à l'aide. Aussitôt Lorenzo lui mit la main
lui présenta ses gants parfumés. gauche sur la bouche si violemment, que le pouce et une
Alors, il sortit du -palais Médicis avec quatre personnes partie de l'index y entrèrent. Alors, par un mouvement ins-
seulement, le capitaine Giustiniano de Sesena, un de ses tinctif, Alexandre serra les dents avec tant de force, que les
confidens qui portait comme lui le nom d'Alexandre, et deux os qu'il broyait craquèrent, et que ce fut Lorenzo, à son tour,
autres de ses gardes, dont l'un se nommait Giorno, et l'au- qui, vaincu par la douleur, se renversa en arrière en jetant
un cri terrible. Aussitôt, quoique perdant son sang par deux C'est dans une maison attenante au palais 'Riccardi, que
blessures, quoique le -vomissant par la bouche, Alexandre Laurent poignarda ainsi, à l'aide du spadassin Scoroncon-
se rua sur son adversaire, et, le pliant sous tui comme un colo, le duc Alexandre, frère naturel de Catherine de Médi
roseau, il essaya de t'étouKer avec ses deux mains. Alors il cis, premier duc de Florence et dernier descendantde Cosme,
yeut un instant terrible~ car le sbire voulait en vain venir le Père de la patrie, car le pape Clément Vit était mort en
au secours de son maître les deux lutteurs ~e tenaient tel- <S34, et le cardinal 'Hipp0)yte en <S55 et a l'occasion de cet
lement enlacés, qu'il ne pouvait frapper l'un sans risquer de assassinat on remarqua une chose étrange, qui était la sex-
frapper l'autre. Il donna bien quelques coups de pointe à tuple combinaison du nombre six: Alexandre ayant été as-
travers les jambes de Lorenzo, mais il n'avait rien fait autre sassiné en l'année <S56, a t'age de 26 ans, le 6 du mois de
chose que percer la robe et la fourrure du duc, sans autre- janvier, à 6 heures de la nuit, de 6 blessures, et après avoir 1
ment atteindre son corps. Tout à coup il souvint qu'il avait régné 6 ans.
sur lui un couteau. Alors il jeta sa grande épée, qui lui de- 'La maison dans laquelle il fut assassiné était situéea
venait inutile, et, saisissant le duc dans ses bras, il se mêla l'endroit même où sont aujourd'hui les écuries.
à ce groupe informe qui luttait au milieu de la demi-lumière Au reste, te proverbe évangétique "Qui frappe det'ëpée
que jetait dans la chambre le feu de la cheminée, cherchant périra par l'épée, » fut appliqué à Lorenzo dans sa rigou-
un endroit où frapper. Enfin, il trouva la gorge d'Alexan- reuse exactilude. Lorenzo, qui avait tué par le poignard,
dre, y enfonça la lame de son couteau de toute sa longueur; mourut par le poignard, à Venise, vers l'an <55T, sans que
et, comme il vit que le duc ne tombait pas encore, il la tour- l'on fût bien certain de quelle main partait le coup seule-
na et retourna tellement, qu'à force de chicoter, dit l'histo- ment on se rappela que Cosme 1er, en montant sur le trône,
rien Yarchi, il lui coupa l'artère et lui sépara presque la avait juré de ne pas laisser le meurtre du duc Alexandre im-
tête des épaules. Le duc tomba en poussant un dernier râ- puni.
lement. Scoronconcolo et Lorenzo, qui étaient tombés avec Le meurtre d'Alexandre fut le dernier événement impor-
lui, se relevèrent et firent chacun un pas en arrière; puis, tant qui se passa dans ce beau palais. Abandonné en 154Q,
S'étant regardés l'un l'autre, effrayés eux-mêmes du sang par Cosme 1~, lorsqu'il résolut d'habiter le Palais-Vieux, il
qui couvrait ~eurs habits, et de la pâleur qui couvrait leur fut vendu à la famille Riccardi, dont il a conservé te nom,
visage ,quoiqu'il soitïëntré, sous le règne de'Ferdinand II, je crois,
-'Je crois qu'il est enfin mort, ait le sbire. en la possession des Médicis.
Et, comme Lorenzo secouait la tête en signe de doute, H Aujourd'hui la fameuse académie de la Cruscaytientses
tilla ramasser son épée, et revint en piquer lentement le duc, séances ony y blute des adverbes et on y écosse des partici-
qui no fit aucun mouvement ce n'était plus qu'un cadavre. pes, comme dit notre bon et spirituel Charles Nodier.
Us !e prirent, l'un par tes pieds, l'autre par les épaules, C'est moins poétique, mais c'est plus mora)!l
et, tout souillé de sang, its le mirent sur le lit, et jetèrent
sur lui la couverture; puis, comme il était tout haletant de.
!a tutte, et prêt :à se trouver mal de douleur, Lorenzo s'en
alla ouvrir une fenêtre qui donnait sur Via Larga,'afin de
respirer et de se remettre, et pour-voir aussi, en même
temps, si le bruit qu'ils avaient fait n'avait attiré personne.
Ce bruit avait bien été entendu de quelques voisins, et sur-
tout de madame Marie Batviati, veuve de Jean des bandes- LE PALAIS-VŒUX.
Mires,etmèrede Cosme, qui~'était étonnéene ce long et obs-
tiné trépignement. Mais, comme, dans la prévision de ce qui
venait d'arriver, Lorenzo, vingt fois, pour y accoutumer les
voisins, avait~faitun bruit pareil, en l'accompagnantde cris Quoique la journée fût déjà assez avancée et que nos deux
et de malédictions, chacun crut reconnaitre dans celte ru- séances au Dôme et au palais Riccardi eussent été rudes,
meur le train habituel que menait celui que les Tins regar- nous ne voulùmes pas rentrer sans avoir visité la place du
daient comme un insensé, et tes autres comme un lâche; de Grand-Duc.J'en avais fort entendu par)er, j'en avais vu des
sorte que personne, à tout prendre, n'y avait fait attention, dessins, et je savais qu'elle. offrait, plus qu'aucune autre'au
et que, dans ta rue et dans les maisons attenantes, tout pa- monde peut-être, la réunion des souvenirs de l'histoireet de
raissait parfaitement tranquille. l'art aux plus grandes époques de la république et du prin-
Alors Lorenzo et Scoronconcolo, un peu remis, sortirent cipat. En outre, on m'avait recommandé, pour ne rien per-
de !a chambre qu'ils fermèrent, non-seulement au ressort, dre de son aspect grandiose, d'y arriver par une des rues
mais encore à la clef, et Lorenzo étant descendu chez son in- qui débouchent en face du Palais-Vieux. Nous nous rappe-
tendant Francesco ZefH, prit tout t'argent comptant qu'il lâmes la recommandation. Nous réprimesla rue Martelli et
avait pour le moment à la maison, ordonna à un de ses do- la place du Dôme, où, dans notre premier éblouissement,
mestiques nommé Freccia de le suivre, et sans autre suite.que nous étions passés sans remarquer le Bigallo, ancien bos-
tesbireet)ni,i)s'ena))a,graceàHne)iccncequ'i) avait deman. pice des enfans trouvés, et les deux statues colossales de
dée M'avance dans la journée à t'évoque de Marzi, prendre des Pampaloni, représentantArnolfo di Lapo, et Brunelleschi,
chevaux à la poste, et, sans s'arrêter et tout d'une haleine, il les yeux fixés l'un sur son église, l'autre sur sa coupole. A
s'en alla jusqu'à Bologne, où seulement il s'arrêta pour pan- la gauche du premier, entre lui et la maison de la confrérie
ser sa main, dont les deux doigts étaient presque détachés; de la Miséricorde, est la rue de la Morte, ainsi nommée de
et qui cependant reprirent, mais en laissant une cicatrice cette fameuse traoition qui a inspiré a Scribe son poëme de
éternelle. Puis, remontant à cheval, il gagna Venise, où il Guido et Ginevra.
arriva dans la nuit du lundi. Aussitôt arrivé, il fit appeler En quittant la place du Dôme, nous primes la rue des
Philippe Strozzi qui, exilé depuis quatre ou cinq ans, était à
cette heure à Venise. Alors, lui montrant la ctefdesa cham-
Calzajoli c'est la fois une .des rues les p)us étroites et les
plus historiques de Florence. Comme de tout temps elle a été
bre Tenez, lui dit-il, vons voyez cette clef? eh bien, elle peup)ée d'artisans, comme elle conduit du Dôme au Palais-
ferme la porte d'une chambre où est le cadavre du duc Vieux, comme enfin elle a à peine dix-pieds de large, elle fut
Alexandre,assassiné par moi. Philippe Strozzi ne voulait pas vingt fois le théâtre de ces luttes armées, si fréquentes sous
croire une pareille nouvelle; mais ie meurtrier, tirant de sa )a république. Aussi est-elle à Florence ce que la rue Vi-
valise ses vêtemens tout ensanglantés, et lui montrant sa vienne est à Paris, c'est-à-dire le passage obligé de toute per-
main mutilée: Tenez, lui dit-il, envoilà la preuve. sonne qui fait hors de son hôtel ou de sou magasin cinq
Alors Philippe Strozzi se jeta!) à son cou en l'appelant le cents pas pour ses affaires ou son plaisir. Une chose mira-
Brutus de Florence, et en lui demandant ta main de ses deux culeuse, au reste, est de voir passer au trot les voitures, au
sœurs pour ses deux fils. milieu de cette foule qui se range sans pousser un seul mur-
mure; tant à Florence, comme nous l'avons dit, le peuple a veilleuse, aller où t'œit vous mène, où l'instinct vous con.
l'habitude de céder le pas à tout cê qui lui parait au dessus duit.
de lui. Mettez le même nombre de voitures et le même nom- Ce qui s'empare tout d'abord de l'artiste, dupoëtnou de
bre de gens dans une rue pareille, aboutissant au Palais- i'archéotnguc, c'est le sombre Palazzo- Vecchio, encore tout
Royal, aux Tuileries et à la Bourse, et il y aura par jour btasonné des vieilles armoiries de la république, parmi les-
trois ou quatre personnes écrasées, et trente ou quarante quelles brillent sur l'azur, comme des étoiles au ciel, ces
cochers roués de coups. fleurs de lis sans nombre semées sur la route de Naples par
t'ai habité Florence près de quinze mois, à différentes Charles d'Anjou.
époques, et je n'y ai jamais vu ni un accident, ni une rixe. A peine Florence fut-elle libre, qu'elle voulut avoir son
Au bout de ta ruedesCatzaioti est la charmante petite hôtel de ville pour loger un magistrat, et son beffroi pour
église d'Or'-San-Mïchele,ainsi nommée du jardin sur lequel appeler le peuple. Qu'une commune se constitue dans le
elle est construite, Orto, et du saint auquel elle est consa- Nord, ou qu'une république s'établisse dans le Midi, le désir
crée. C'était autrefois un grenier à blé b&ti par Arnolfo di d'un hôtel de ville et d'un beffroi est toujours le premier
Lapo,_ce grand remueur de pierres mais ayant été endom- acte de sa volonté, et la satisfaction de ce désir la première
magée par un incendie, et la république, voulant seconder preuve de son existence.
l'inclination du peuple, qui avait une grande vénération pour Aussi, dès <298, c'est-à-dire 16 ans à peine après que les
une madone des plus miraculeuses, peinte sur bois, et clouée Florentins avaient conquis leur constitution Arnolfo de
à l'un des piliers du portique, décréta que le grenier serait Lapo reçut de la seigneurie l'ordre de lui bàtir un palais.
changé en église. Giotto fut chargé de la transformation il Arnolfo di Lapo avait visité le terrain qu'on lui réservait
fit en conséquence le dessin de l'église actuelle, qui fut exé- et avait fait son plan en conséquence. Mais au moment de
cutée sous la direction de Taddeo Gaddi. Quant à-l'image jeter les fondemens de son édifice, le peuple lui détendit à
de la Vierge, André Orcagna le peintre du Campo-Santo, grands cris de poser une seule pierre sur la place où avait
l'architecte de la loge des Lanzi, fut chargé de lui construire été située la maison de Farinala dcsDberti. Arnolfo di Lapo
un. tabernacle digne d'elle. fut forcé d'obéir à cette clameur populaire; il 'repoussa son
L'homme était bien choisi comme poëte, comme sculpteur pa)ais dans un coin, et laissa libre la place maudite. Au-
et comme chrétien. Aussi tout ce qu'on peut faire avec une jourd'hui encore, ni pierres ni arbres n'y ont jeté leurs ra-
cire molle, avec une glaise obéissante, André Orcagna le fit cines, et rien n'a poussé depuis plus de'six siècles, )àoù la
avec du marbre. n faut véritabtcment toucher ce chet-d'œuvre vcngeanfe guelfe a passé la charrue et a semé ie se)'.
Ce palais était la résidence d'un gonfalonier, et de huit
pour s'assurer que ce n'est point quelque pâte imitatrice, prieurs, deux
mais bien un btoc de marbre évidé, fouitté, découpé avec pour chaque quartier de ravitte leur charge
durait soixante jours, et pendant.ces soixante jours, ils vi-
une hardiesse, un caprice, une richesse dont on ne peut se vaient ensemble,
faire une fdée sans.l'avoir vu. Aussi sort-on de là têt bernent mangeant la même table et ne pouvant
ébloui, qu'à peine fait-on attention a deux groupes de mar- sortir de cette résidence, c'est-a dire qu'ils restaient à peu
bre l'un de Simon de Fiesole et l'autre de François deSan- près prisonniers; ils avaient chacun deux domestiques pour
Gallo. It y avait eu autrefois de magnifiques fresques, dont les servir, et tenaient à leurs ordres un notaire toujours prêt
deux étaient d'Andrea det Sarto; mais il serait inutile de a écrire leurs délibérations, lequel mangeait avec eux et
tes y chercheraujourd'hui.En 770, elle,3 ont été recouvertes était prisonnier comme eux. En échange du sacrifice que
de chaux. chaque prieur faisait a la république de son temps et de sa
liberté, il recevait dix livres par jour, a peu prèssept francs
L'extérieur de l'église, si on peut le dire, est tout hérissé de notre monnaie. La parcimonie privée
de statues. It y a un saint Ëtoi d'Antonio di Banco; un saint se réglait a)ors
Étienne, un saint Mathieu et un saint Jean-Baptiste de Lo- sur l'économie publique, grandes et le gouvernement se trouvait
ainsi en état d'exécuter de choses dans l'art et dans
renzo Ghiberti un saint Luc de Mino da Fiesote; un autre la guerre. De là lui était venu le surnom de la Magnifique
saint Luc par Jean de Bologne; un saint Jean évangé- République.
liste, par Bacio de Monte Lupo enfin un saint Pierre, un On dans le Palais-Vieux porte placée au
saint Marc et surtout un saint Georges de Donatctto, à qui tiers àentre près de sa façade, et l'onpar une
il aurait certes pu dire comme au Xnccone Parle, parle, tite cour peu se trouve dans une pe-
carrée, entourée d'un portique soutenu par neuf
s'il n'eût été facile de voir, & la mine hautaine de ce vain- colonnes d'architecture lombarde enjolivéesd'applications.
queur de dragons, qu'il était trop fier pour obéir à un ordre, Au milieu de cette cour est une fontaine surmontée d'un
cet ordre lui fût-it donné par son créateur. Amour rococo, tenant un poisson et reposant sur un bassin
Si grande que fût l'idée que je m'étais faite d'avance de la de porphyre. A l'époque du mariage de Ferdinand, on orna
place du Palais-Vieux, la réalité fut, si je dois l'avouer, en-
ce portique de peintures à fresques représentant des villes
core plus grande qu'ette en voyant cette masse de pierres d'Allemagne vues a vol d'oiseau.
si puissamment enracinée au sol, surmontée de sa tour qui Au premier étage, est la grande salle du Conseil, exécu-
menace le ciel comme le bras d'un Titan, la vieilleFlorence tée par les ordres de la république et les instances de
tout entière, avec ses Guelfes, ses Gibelins, sa balie, ses Savonarole. Mille citoyens y pouvaientsur délibérer à l'aise.
prieurs, sa seigneurie, ses corps de métiers, ses condottieri, Cronaca en fit l'architecture; et il en pressa tellement la
son peuple turbulent et son aristocratiehautaine, m'apparut construction, que Savonaroleavait l'habitude de dire que les
comme si j'allais assister à l'exil de Cosme l'Ancien, on au anges lui avaient servi de.macons.
supptire de Salviati. En effet, quatre siècles d'histoire et d'art Cronaca avait raison de se hâter, car trois ans après Sa-
sont ta à droite, à gauche,devant, derrière, vous enveloppant vonarole devait mourir, et trente ans plus tard la république
de tous cotés, et parlant a ta fois avec les pierres, le marbre devait tomber.
1
et le bronze, des Nicolas d'Uzzano, des Orcagna, des Re- Aussi, cette immense salle n'a-t-elle rien gardé de cette
naud des Albizzi, des Donatello, des Pazzi, des Raphaël, des époque
Laurent de Médicis, des Flaminius Vacca, des Savonarole, tiennentque sa forme première tous ses ornemens appar-
au princlpat, ses fresques et son plafond sont de
des Jean de Bologne, des Cosme 1'~ et des Michet-Ange. Vasari; ses tableaux sont de Cigoli, de Ligozzi, et dePasse-
Qu'on cherche dans le monde entier une place qui réu- gnano, les statues sont de Michel-Ange, de Baccio Bandi-
nisse de pareils noms, sans compter ceux que j'oublie et nelli, et de Jean de Bologne.
j'en oublia comme Baccio Banuinettt comme l'Ammanalo, Le tout a la plus grande gtoire de Cosme I"\
comme Benvenutô Cellini. C'est qu'en effet, Cosme est une de ces statues gigaïh
Je voudrais bien mettre un peu d'ordre dans ce magni- tesques que la main de l'histoire dresse comme une pyra-
Cque chaos, et classer chronologiquement les grands hom- mide pour marquer la limite où une ère finit et où une au-
mes, les grandes œuvres et tes grands souvenirs, mais c'est tre ère commence. Cosme ï"\ c'est à la fois l'Auguste et
impossible, n ràut, quand on arrive sur cette place mer- le Tibère de la Toscane, et cela est d'autant plus exact,
qu'à t'ppoque où Alexandre tomba sous le poignard de Lo- titude, et passionné surtout pour les sciences chimiques et
renzo, Florence se trouva dans la même situation que Rome naturelles.
après la mort de César Il n'y avait plus de tyran, mais il A quinze ans, son caractère s'était déji) dessiné, et pou-
vait donner a ceux qui l'approchaient une idée de ce qu'il
n'y avait plus de liberté. 1)
Quittons un instant pierres, marbres et toiles, pour exa- serait plus tard. Comme nous l'avons dit, son aspect était
miner tous les vices et toutes les vertus de l'humanité réunis grave et même sévère il était lent à former des relations
dans un seul homme: t'élude est curieuse et vaut bien la familières, et laissait aussi difficilement prendre aucune fa-
peine qu'on s'y arrête un instant. miliarilé; mais lorsqu'il en arrivait a cette double concession,
Cosme 1"~ naquit dans l'ancien palais Salviati, devenu c'était une preuve (le son amitié, et son amitié était sûre;
depuis palais Apparello, et au milieu de la cour duquel est cependant, même pour ses amis, il était discret sur toutes
encore aujourd'hui une statue de marbre, représentant ses actions, et désirait qu'on ne sût ce qu'il avait le dessein
le grand duc en habit royal et la couronne sur la tête. !) des. de faire que lorsque la chose était faite. Il en résulte qu'il
cendait de Laurent t'Anrien, frère de Cosme le Père de la paraissait, en toute occasion, chercher un but contraire à
patrie, dont le rameau, séparé à la deuxième génération, se celui auquel il tendait, ce qui rendait ses réponses toujours
divisa lui-mêmc en branche ainée et en branche cadette c'é- brèves et souvent obscures.
tait cette branche ainée dont était Lorenzino, c'était cette Voilà quel était Cosme, lorsqu'il apprit la nouvelle de t'as-
branche cadette dont fut Cosme. sassinât d'Alexandre, et la fuite de Lorenzino cette fuite
Son père était ce fameux Giovanni, le plus célèbre peut- ne lui laissait aucun concurrent au principat; aussi eut-il
être de tous ces vaillans capitaines qui sillonnaient l'Italie rapidement pris son parti. Il rassembla les quelques amis
au xv° et au xvi* siècle. Le jour anniversaire de sa nais- sur lesquels il pouvait compter, monta a cheva), et partit de
sance, il rêva qu'il lui voyait, tout endormi qu'il était dans la campagne qu'il habitait pour se rendre à Florence.
son berceau, une couronne royale sur la tête. Ce rêve le Cosme fut récompensé de sa confiance par l'accueil qu'on
frappa tellement, qu'en se réveillant il résoiutde tenter Dieu lui fit il entra dans la ville au milieu des acclamations de
pour savoir quels étaient ses desseins sur son fils. En con- joie de tous les habitans. Les souvenirs de son père mar-
séquence, il ordonna à sa femme MariaSalviati, née deLucre- chaient autour de lui, et le peuple, parmi lequel était mêlé
zia de Médicis, et par conséquent nièce. de Léon X, de pren- une foule de soldats qui avaient servi sous Jean des bandes
dre l'enfant et de monter au second étage. Marie obéit, sans noires, t'accompagna jusqu'au palais Salviati, joyeux et pieu
savoir de quoi il s'agissait alors lui descendit dans la rue, rant, criant à la fois Vive Jean et vive Cosme, vive le père
appela sa femme, qui parut sur le balcon, et de là lui ten- et le (ils.
dant les bras, il lui ordonna de lui jeter l'enfant. La pauvre Le surlendemain, Cosme fut nommé chef et gouverneur de
mère frémit jusqu'au fond'des entrailles, mais Giovanni re- la république, à quatre conditions
nouvela l'ordre déjft donné, d'une voix si impérative qu'elle De rendre indifféremmentla justice aux riches comme aux
obéit en détournant la tête. L'enfant tomba du second étage pauvres.
et fut retenu dans les bras de son père. De ne jamais consentir à relever de l'autorité de Charles-
C'est bien, dit alors l'impassible condottiere, mon rê- Quint.
ve ne m'a point trompé, et tu seras roi.. De venger la mort du duc Alexandre.
Alors il remonta et remit le petit Cosme a sa mère, qui le De bien traiter le seigneur Jules et la signora Julia, ses
reçut plus morte que vive. Quant à l'enfant, on remarqua enfans naturels.
qu'il n'avait pas même jeté un cri. Cosme accepta cette espèce de charte avec humilité, et le
Six ans après cet événement, Giovanni de Médicis fut peuple accepta Cosme avec enthousiasme.
blessé au dessus du genou, devant Bor~ofortc, par un coup Mais il arriva pour le nouveau grand-duc ce qui arrive pour
de fauconneau, à l'endroit même où il avait déjà reçu une tous les hommes de génie qu'une révolution porte au pou-
autre blessure à Pavie. La plaie nouvelle était si grave, sur- voir. Sur le premier degré du trône ils reçoiventdes lois,
tout compliquée de l'ancienne plaie, qu'il fut décidé qu'on sur te~lernier ils en imposent.
lui couperait la cuisse. On voulut alors l'attacher sur son La position était difficile, surtout pour un jeune homme
lit pour procéder à l'opération mais il déclara que, comme de dix-huit ans; il fallait lutter à la fois contre les enne-
la chose le touchait avant aucun autre, il voulait la regar- mis du dedans et contre les ennemis du dehors. Il fallait
der faire. En conséquence, il prit la torche, et la tint jus- substituer un gouvernement ferme, un pouvoir unitaire et
qu'à la fin de l'amputation, sans qu'une seule fois sa main une volonté durable, à tous ces gouvernemens flasques ou
tremblât assez fort pour faire vaciller la flamme. Soit que tyranniques, a tous ces pouvoirs opposés l'un à l'autre, et
la blessure fût mortelle, soit que l'opération eût été mal par conséquent destructifs l'un de l'autre, et a toutes ces vo-
faite, le surlendemain Giovanni de Médicis expira, à l'âge lontés qui, tantôt parties d'en haut, tantôt parties d'en bas,
de vingt-neuf ans. faisaient un flux et un reflux éternel d'aristocratie et de dé-
Cette mort .fut une grande joie pour les Allemands et les mocratie, sur lequel il était impossible de rien fonder de so-
Espagnols, dont il était la terreur. Jusqu'à lui, dit Guicciar- lide et de durable. Et cependant avec tout cela il fallait en-
dini, i'infantcric italienne était nulle et ignorée: ce fut lui core ménager les tibertés de ce peuple, afin que ni nobles,
qui, mettant à profit les leçons qu'il avait reçues du mar- ni citoyens, ni artisans ne sentissent le maitre. Il fallait
quis de Pescaire, t'organisa et la fit célèbre aussi aimait-il i) enfin gouverner ce cheval, encore indocile à la tyrannie,
tant cette troupe qui était sa fille, qu'il lui abandonnait sa avec une main de fer dans un gant de soie.
part du butin, ne se réservant pour lui que sa part de gloire. Cosme était au reste, de tous points, l'homme qu'il fallait
De leur côte, ses soldats l'aimaient si tendrement qu'ils ne pour mener à bout une telle œuvre. Dissimulé comme
t'appelaient jamais que leur maître et leur père; à sa mort Louis XI, passionné comme Henri VIII, brave comme Fran-
ils prirent tous le deuil, et déclarèrent qu'ils ne quitteraient çois t", persévérant comme Charles-Quint, magnifique com-
plus cette couleur, serment qu'ils tinrent avec une telle me Léon X, il avait tous les vices qui font la vie privée
fidélité que Jean de Médicis tut, partir de cette époque sombre, et toutes les vertus qui font la vie publique écla-
appelé Jean des &a<t<fMno:'rM, surnom sous lequel il est plus tante. Aussi sa famille fut-elle malheureuse, et son peuple
connu que sous son nom paternel. heureux.
Ce Jean des bandes noires était l'aïeul de Marie de Mé- !1 avait eu d'Ëléonore de Tolède sa femme, sans compter
dicis, qui épousa Henri IV. un jeune prince mort a un an, cinq fils et quatre filles.
Maria Salviati, restée veuve, se consacra alors tout enticreà Ces fils étaient:
son enfant. Le jeune Cosme grandit donc entouré de maitres François, qui régna après lui (<).
et constamment surveiné par t'œit maternel. Ë)evé sérieuse-
ment, il fut grave de bonne heure, étudiant toutes les cho- (t ) Le même qui épousa Bianca Capello, et dont nous avons déjà
ses d'art, de guerre et de gouvernement, avec une égaie ap- raconté l'histoire.
Ferdinand qui régna après François. mestiques de la jeune princesse; qu'il avait pénétré une nuit
Don Pierre, Jean, et Garcias. dans sa chambre et n'en était sorti que )e tendemain matin
Les quatre filles étaient Marie, Lucrèce, Isabelle et Vir- puis, les nuits suivantes, il était revenu, et le commerce
ginie. adultère avait fini par faire un tel bruit, qu'il avait marié sa
Disons rapidement comment la mort se mit dans cette jeune et M e maitresse à son fils Pierre. Ce qu'il avait de
y
magnifique lignée, où elle entra, comme dans la famille pri- sûr au moins dans tout cela, c'est qu'au moment où l'on s'y
mitive, par un fratricide. attendait le moins, et sans que don Pierre eût même été con-
Jean et Garcias chassaient dans les Maremmes Jean, qui sulté, t'unionavai! été décidée et le mariageavait eu lieu.
n'avait que dix-neuf ans, était déjà cardinal Gardas n'était Mais soit t'fffet des bruits étranges qui avaient couru sur
encore rien que le favori de sa mère. Le reste de la cour le compte d'Eléonore, soit que' le plaisir goûté
par don
était à Pise, où Cosme qui avait institué, un mois auparavant, Pi'Tre dans la compagnie des beaux jfuncs gens l'emportàt
l'ordre de Saint-Étienne, était venu pour se faire reconnaitre sur les sentimens d'amf'ur que pouvait lui inspirer une belle
grand-maître. femme, les nouveaux époux semblaient tristes et vivaient à
Les deux frères, qui depuislongtemps gardaient l'un pour peu près séparés. Eléonore de Toted'- était ieune, elle était
l'autre une certaine inimitié, Cardas contre Jean, parce que belle, elle était de ce sang espagno) qui brute jusqu'au pied
Jean était le bien-aimé de son père, Jean contre Garcias, des autels les veines dans lesquels il coule, si bien que,
parce que Gardas était le bien-aimé d'e sa mère, se prirent délaissée par son mari, elle se prit d'amour pour un jeune
de dispute à propos d'un chevreuil que chacun des deux pré- homme nommé Alexandre, lequel était fils du capitaine flo-
tendit avoir tué. Au milieu de la discussion, Gardas tira son rentin François Gaci. Mais ce premier amour n'eut pas d'au-
couteau de chasse et en porta un coup à son frère. Jean, tre suite. Le jcuoe homme, prévenu que sa passion était con-
blessé à la cuisse, tomba en appelant du secours. Les gens nue du mari de celle qu'il aimait, et pouvait causer à la belle
de la suite des deux princes arcoururent, ils trouvèrent Jean Eléonore de grandes douleurs, se relira dans un couvent, et
tout seul et baigné dans son b&ng, le transportèrent à Li- étouffa, ou du moins enferma son autour sous un cilice. Tan-
vourne, et firent prévenir le grand-duc de l'accident qui ve- dis qu'il priait pour Etéonore, Eiéonore l'oublia.
nait d'arriver. Le ~rand-duc accourut à Livourne, pansa lui- Celui quiieiui fit oublier en lui succédant, était un jeune
même son fils; car le grand-duc, un des hommes les'plus chevatierdeSaint-Etiennequi,plus indiscret que le pauvre
savansdeson époque, :'vait toutes tes connaissances médi- Alexandre, ne laissa bientôt plus ignorer à toute la ville
cales que l'on pouvait avoir au xw siècle. Mais, malgré ces qn'il était aimé. Aussi, peut-être plus à cause de cet amour
soins empressés, Jean expira dans les bras de son p<Te, le qu'à cause de la mort de FrançoisGinori qu'it venait de tuer
26 novembre 4563, cinq jours après celui où il avait été en duel entre le palais Strozzi et la porte Rouge, avait-il été
blessé. exilé à l'ile d'Elbe. Mais t'exi) n'avait point tué t amour, et
Cosme revint à Pise. A voir ce masque de bronze dont il ne pouvant plus se voir, les deux jeunes gens s'écrivaient.
avait l'habitude de couvrir son visage, on eût dit que rien ne Une lettre tomba entre les mains du jeune grand-duc Fran-
s'était passé. Garcias avait précédé Cosme à Pisé et s'était çois, que de son vivant Cosme avait associé à sa puissance.
réfugié dans l'appartement de sa mère, où elle le tenait ca- L'amant fut ramené secrètement de t'!)e d'Elbe à la prison du
ché. Cependant, au bout de quelques jours, voyant que barbette. La nuit même de son arrivée, on fit entrer dans
Cosme ne parlait pas plus de son fils mort que s'il n'eût ja- sa prison un confesseur et un bourreau; puis, lorsque le
mais existé, elle encouragea le meurtrier à aller se jeter aux confesseur eut nui, le bourreau étrangla te jeune homme.
genoux de son père et a tui demander pardon. Mais, comme Le lendemain, Eléonore apprit de la r.ouche même de son
le jeune homme tremblait de tous ses membres à la seule beau-frcre t'exécution de son amant.
idée de se trouver en face de son juge, pour le rassurer sa Elle le pleurait depuis onze jours, tremblante pour elle-
mère t'accompagna. méme, torsqu't'ttc reçut, te~juittet, l'ordre de se rendre au
Le grand-duc était assis, tout pensif, dans un des appar- palais de Caffaggioto, que depuis plusieurs mois son mari
temens les plus reculés de son palais. habitait. Dès lors, elle se douta que tout était fini pour elle,
Le fils et la mère parurent sur le seuil, Cosme se leva à mais elle ne se résout pas moins d'obéir, car elle ne savait
leur vue. Aussitôt Garcias courut sou père, se jeta a ses ni où, ni de qui obtenir un refuge. Elle demanda un délai
pieds,embrassantsesgenoux et lui demandantpardon.La mère jusqu'au lendemain, voilà tout; puis elle alla s'abseoir près
resta sur la porte, tendant les bras à son mari. Cosme avait du berceau de son fils Cosme, et passa la nuit à pleurer et à
la main enfoncée dans son pourpoint; il en tira un poignard soupirer, couchée sur son enfant.
qu'il avait l'habitude de porter sur sa poitrine, et en frappa Les préparatifs du départ occupèrent une partie de la
don Garcias, en disant Je ne veux pas de Câin dans journée, de sorte qu'Ëtéonore ne sortit de Florence que vers
ma famille. La paovre mère avait vu briller la lame, et elle les trois heures de l'après-midi; et encore comme instinc-
s'était élancée vers Cosme. Mais, a moitié du chemin, elle re- tivement à chaque minute elle retenait les chevaux, n'arriva-
çut dans ses bras son fils qui, blessé à mort, s'était relevé en -t-elle qu'à la nuit tombante à Caffaggioto. A son grand éton-
chancelant et en criant Ma mère! ma mère 1. nement, la maison semblait déserte.
Le même jour, 6 décembre <S62, don Garcias expira. Le cocher détela les chevaux, et tandis que les valets et les
Et à compter de ce moment où il fut trépassé, Etéonore de femmes qui l'avaient accompagnée enlevaient les paquets de
Tolède se coucha près de son fils, ferma les yeux et ne vou- la voiture, Ëtéonore de Tolède entra seule dans la belle villa,
lut plus les,rouvrir. Huit jours après, elle expira elle-même, qui, privée de toute lumière, tui semblait, à' cette heure,
les uns disent de douleur, les autres de faim. triste et sombre comme un tombeau. Alors elle monta l'es-
Les trois cadavres rentrèrent nuitamment et sans pompe calier, légère et silencieuse comme une ombre, et frisson-
dans la ville de Florence, et l'on dit que les deux fils et la nante de terreur elle s'avança, toutes portes étant ouverles
mère avaient été emportés tous trois par le mauvais air des devant elle, vers sa chambre à coucher; mais au moment où
Maremmes. elle posait le pied sur le seuil, elle vit de derrière la'por-
Ce nom d'Etéonore de Tolède était un nom qui portait tière sortir un bras et un poignard, en mé)ne temps elle se
malheur. La fille de don Garcias, parrain du jeune fratricide sentit frappée, poussa un cri et tomba. Elle était morte! Don
et frère de cette autre Eléonore de Tolède dont nous venons Pierre, ne s'en rapportant à personne du soin de sa ven-
de raconter la mort, était venue toute jeune à la cour de sa geance, l'avait assassinée lui-même.
tante et là, elle avait fleuri sous le doux soleil de la Tos- Alors, la voyant étendue dans son sang et immobile, il
cane, comme une de ces fleurs qui ont donné leur nom à vint regarder attentivement celle qu'il avait frappée. Étéo-
Florence. On disait même tout bas a ta cour que le grand-duc nore était déjà expirée, tant le coup avait été donné d'une
Cosme s'était épris d'un violent amour pour elle. Et comme main sûre et habite. Don Pierre se mit à genoux près du ca-
on connaissait les amours du grand-duc, on ajoutait qu'il davre, leva ses mains sanglantes au cië), demanda pardon à
avait séduit par l'or ou effrayé par les menaces les do- Dieu du crime qu'il venait de commettre, et jura, en expia-
tion de ce crime, de ne jamais se remarier. Étrange serment,. continuerait à demeurer en Toscane au moins six mois de
que, si l'on en croit lés bruits scandaleux de l'époque, sa l'année.
répugnance pour les femmes lui permettait de tenir plus fa- Ce mariage, contre toute attente, fat visiNëment froid et
cilement que tout autre!l contraint; on disait, pour expliquer cette étrange indiffé-
Puis le bourreau devint ensevetisseur. Il mit dans un cer- rence d'un jeune mari envers une femme jeune et belle, que
<uci) tout prépare le corps dont il venait de chasser l'âme, !exbrui)sde!'amour de Cosme pour sa fille étaient venus jus-
ferma la bière et l'expédia à Florence, où elle fut ensevelie. qu'à lui et causaient sa répugnance mais enfin quelle qu'en
la même nuit. et en secret dans l'église de San-Lorenzo. fût ]a cause, cette répugnance existait. Giordano Orsini se
Au reste, don Pierre ne tint pas même son serment; il tenait la plus grande partie de Fannéë à Rome, laissant,
épousa, en ~S95, Bt'atrix de Ménessës; il est vrai que c'était quelles que fussent ses plaintes, sa iemme rester de son
dix-sept atts après l'assassinat d'Étéonore, et que Pierre de côté à la cour de Toscane. Un tel abandon devait porter des
Médicis, avec son caractère, devait avoir oublié non seule- fruits adultères. Jeune, be))e, passionnée, au milieu d'une
ment le serment fait, mais la cause qui le lui avait dicté. des cours les plus galantes du monde. Isabelle ne tarda
Passons maintenant aux filles de Cosme. point à faire oublier, sous des accusations nouveiïes, la
Marie était t'aînee: c'était à dix-sept ans; comme le dit vieille accusationtaisait,
qui l'avait tâchée. Cependant Giordano
car Cosme vivait toujours, et .tant que
Sba)«'spearedeJu)iette,une des p)nsbe)ies fleurs duprintemps
Orsini se
de Florence. Le jeune Matatesti, page du grand-duc Cosme, Cosme était vivant, il n'eût point osé se venger de sa Ole.
Mais Cosme mourut en <574.
en devint amoureux; la pauvre enfant de son cote, l'aima de Giot'dano Orsini avait laissé en quelque sorte sa femme
<*e premier amour qui ne sait rien refuser. Un vieil Espa-
gnol surprit les deux amans dans un tcte-à-tete qui ne lais- sous la garde d'un de ses proches parens nommé Troi)o Ôr-
sait aucun doute sur t'intimité de leur liaison, et rapporta sini, et depuis quelque temps, ce gardien de son honneur
lui écrivait, qu'Isabelle menait une conduite rpgutiëre et.
au grand-duc Côme ce qu'il avait vu.
Marie mourut empoisonnée à dix sept ans car sa vie, renoncé la pouvait désirer, de sorte qu'il avait presque
telle qu'il
~rotoMgée de six mois, eût été un déshonneur pour sa fa- à ses projets de vengeance, lorsque, dans une
mille. Malatesti fut jeté en prison, et, étant parvenu à s'é- querelle particuïïère et sans témoins, T.roito Orsini tua d'un
chapper au bout de dix ou douze ans, gagna )'!ie de Candie, coup de poignard LeHoToreDo, page du grand ducFrancois,
où son père commandait pour les Vénitiens. Deux mois après ce qui te força de fuir. Alors on sût pourquoi Orsini avait
tué ToreHq.– Ils étaient'tous deux amans d'Isabelle, et
on le trouva un matin assassiné au coin d'une rue.
Lucrèce était la seconde. fille de Cosme. A. i'age de dix- Orsini voulait étre'seut. ·
Giordano Orsini apprit à la fois la double trahison de son
~euf ans, elle épousa Je duc de Ferrare. Un jour, arriva à la
parent et de sa femme. Il partit aussitôt pour Florence et y
<~ur de Toscane un courrier qui annonça que fa jeune prin- arriva comme Isabelle, qui craignant le sort de belle-
cesse était morte subitement. On dit à la cour qu'elle avait été soeur, Ëieonore de Tolède, assassinée il y avait cinq sa
<n)evéepar une fièvre putride; on dit dans le peuple que sou prëparaitâ quitter !a Toscane et a s'enfuir près de jours, se
Catherine
tnari l'avait assassinée dans un moment de jalousie. de Médicis, reine de France. Mais l'apparition inattendue de
ïsabc))e était la troisième c'était la favorite de son père. son mari t'arrêta court au milieu de ses dispositions.
L'amour de Cosme pour sa fille dépassait même, comme on Cependant, à la première vue, Isabelle se rassura Gior-
~a le voir, les bornes de l'amour paternel. dano Orsini paraissait revenir à elle plutôt comme un cou-
Un jour que Vasari, caché par son échafaudage, peignait pable que comme un juge. Il lui dit qu'il avait compris que
le plafond d'une des salles du Palais-Vieux, il vit entrer dans toutes tes fautes ëtatent de son côte, et que, désireux de
cette salle Isabelle. C'était vers midi, l'air était ardent. Igno- vivre désormais d'une vie plùs Heureuse et plus régulière, il
rant que quelqu'un était dans la même chambre qu'ei)e, la venait lui proposer d'oublier les torts qu'il avait eus, comme
jeune fille tira les rideaux, se coucha sur un divan et s'en- de son côté il oublierait ceux qu'elle avait pu avoir. Le mar-
dormit. ché, dans la situation où était Isabelle, était trop avanta-
Bientôt Cosme entra à son tour et aperçut sa fille. Cosme geux pour qu'elle ne l'acceptâtpoint; cependant il n'y eut,
regarda un instant Isabelle endormie avec des yeux ardens pour ce jour, aucun rapprochement entre les deux époux.
de désir, puis il alla fermer toutes les portes en dedans; Le lendemain, <6 juiHët <5T6, Giordano Orsini invita sa
bientôt Isabelle jeta un cri, mais à ce cri, Vasari ne vit plus femme à une grande chasse qu'il devait faire à sa villa de
rien, car à son tour il ferma les yeux et fit semblant de dor- Cerreto. Isabelle accepta, et yarrivàle soir avecsesfemmes. A
mir. En rouvrant les rideaux, Cosme se rappela que cette peine entrée, e))e vit venir a e))e son mari conduisant en laisse
chambre devait être celle où peignait Georges .Vasari. Il deux magnifiques levriers qu'il la pria d'accepter,.et dont il
leva les yeux au plafond, et vit l'échafaudage. A l'instant l'invita à faire usage le tehdemain puis oh se mit à table.
même l'idée lui vint qu'il avait eu un témoin de son crime, Au souper, Orsini fut plus gai que personne ne l'avait ja-
et cette idée, dans un cœur comme celui de Cosme, fut sui- mais vu, accablant sa femme de prévenances et de petits
yie immédiatement du désir de s'en débarrasser. soins, comme aurait pu faire un amant pour sa maitresse;
Cesme monta doucement à FécheUe; arrivé à la plate-forme, si bien que, quelque habituée qu'elle fût d'avoir autour d'elle
il trouva Vasari, qui, le nez tourné au mur, dormait dans un des cœurs dissimulés, Isabelle y fut presque trompée. Ce-
coin de son échafaudage. !i s'approcha de lui, tira son poi- pendant, lorsque après le souper son mari l'eut invitée a
gnard, le lui approcha lentement de la poitrine pour s'assu- passer dans sa chambre, et lui donnant l'exemplel'y eût pré-
rer s'il dormait réellement, ou s'il feignait de dormir. Va- cédée, elle se sentit instinctivementfrissonner et paHr,et se
sari ne fit pas un mouvement, sa respiration resta calme et retournant vers la Frëscohatdi, sa première dame d'honneur
égale, et Cosme, convaincu que son peintre favori n'avait Madame Lucrèce, lui dit-elle, irai-je ou n'irai-je pas ? Ce-
rien vu ni entendu, remit son poignard au fourreau et des- pendant, à la voix dé son mari qui revenait sur le seuil, lui
cendit de l'échafaudage. demandant en riant si elle ne voulait pas venir, elle reprit
A. l'heure où il avait l'habitude de sortir, Vasari sortit, et courage et le suivit. Entrée dans la chambre, elle n'y trouva
il revint le lendemain à l'heure à laquelle il avait l'habitude aucun changement, son mari avait toujours )e même visage,
de venir. Ce sang-froid le sauva; s'il s'était enfui il était et le tête à tête parut même augmenter sa tendresse, Isabelle,
perdu car, partout où il eût fui, le poignard ou ie poison trompée, s'y abandonna, et, lorsqu'elle fut dans une position
des Médicis eût été le chercher. à ne pouvoir plus se défendre, Orsini tirade dessous i'oren-
Cela se passait vers l'année <5ST. )er une corde toute préparée, la passa autour du cou d'Isa-
L'année d'ensuite, comme Isabelle avait seize ans, il fal- belle, et changeant tout à coup ses embrassemens en une
lut songer à la marier. Parmi les prétendans à sa main, étreinte mortelle, il t'étrangta. malgré ses efforts pour &e
Cosme fit choix de Pau) Giordano Orsini, duc de Bracciano; défendre, sans qu'elle eût eu même le temps de jeter un cri.
mais une des conditions du mariage fut, dit-on, qu'Isabelle Ce fut ainsi que mourut Isabelle.
Reste 'Virginie cette-ta fut mariée à César d'Esté, duc de pre statue à lui-même, la loge du Marche-Neufet le chneur
Modène. Voilà tout ce qu'on sait d'elle; sans doute elle eut du Dôme. Benvenuto Cellini fut rappelé de France pour lui
un meilleur sort que ses trois soeurs. L'histoire n'oublie que fondre son Perséeen bronze, pour lui tailler des coupes
les heureux. d'agathe et pour lui graver des médailles d'or. Puis, comme
Voi)à le côté sombre de la vie de Cosmc maintenant voici on avait retrouvé dans tes environs d'Arezzo, dit Benvenuto
le côté brillant.
Cosme était un des hommes les plus savans de l'époque.
dans ses Mémoires, une foule de petites figures de bronze
auxquelles il manquait à celles-ci la tête, à ceXes-Ia les
Entre autres choses, dit Baccio Bsldini, il connaissait une mains, et aux autres les pieds, Cosme les nettoyait lui-
grande quantité de plantes, savait les lieux où e))ps nais- même et en faisait tomber la rouille avec précaution pour
saient, où elles vivaient lé plus longtemps, où elles avaient qu'elles ne fussent pas endommagées. Un jour que Bënve-
l'odeur la plus vive, où elles ouvraient les plus belles Heurs, nuto Cellini entrait pour faire visite au grand-duc, il le
où elles portaient les plus beaux fruits, et quelle était la trouva entouré de marteaux et de ciseaux. Alors, donnant
vertu de ces fleurs ou de ces fruits pour guérir les maladies un marteau à Cellini et gardant un ciseau, Cosme lui or-
ou les blessures des hommes et des animaux; puis, comme donna de frapper avec le premier de ces outils, tandis qu'il
il était excellentchimiste, il composait, avec les plantes, des conduisait t'autre, et ainsi ils n'avaient plus t'air d'un souve-
eaux, des essences, des huiles, des médicamens, des baumes, rain et d'un artiste, mais tout simplement de deux ouvriers
et'donnait ses remèdes à ceux qui lui en faisaient la de- orfévres travaillant au même établi.
mandf, qu'ils fussent riches ou pauvres, qu'ils fussentsujets A force de recherches chimiques, Cosme retrouva, avec
toscans ou étrangers, qu'ils habitassent Florence ou toute François Ferruci de Fiesole, l'art de tailler le porphyre,
autre partie de l'Europe. perdu depuis les Romains, et il en profita à l'instant pour
Cosmeaimaitet protégeait les lettres. En <S4l, il fonda faire sculpter la belle vasque,du palais Pitti, et la statue de
l'académie florentine qu'il nommait son académie très f.here la Justice, qu'il dressa sur la place de la Trinité, au haut de
et très heureuse on devait "y lire et commenterPlutarque et la colonne de granit qui lui avait été donnée par le pape
Dante. Ses séances se tenaient d'abord au palais de Via Larga; Pie IV.
puis, pour qu'ellefût plus libre et plus à l'aise, il lui donna H accueillit et employa Jean de Bologne, qui fit pour lui le
la grande salle du conseil au Palais-Vieux. Depuis la chute Mercure et t'entèvementdés Sabines, puis devint l'architecte
de la république, cette grande salle était devenue inutile, de son fils François.
L'université de Pise, déjà protégée par Laurent de Médi- Il éleva Bernard Buontalenti, qu'il donna ensuite ponr
cis, avait brillé autrefois d'un certain éctat; mais, abandon- maitre de dessin au jeune grand-duc.
née par les successeurs du Magnifique, elle était fermée. I) plaça sous la direction de l'architecte Tribolo les cons-
Cosme la fit rouvrir, et lui accorda de grands privitéges pour tructions et les jardins de Castello.
assurer son existence; enfin, il attacha à cet établissement C'est lui encore qui acheta le palais Pitti, auquel il laissa
un co))ége dansleque) il voulut que quarantejeunes gens, an- son nom, et dont il fit faire la belle cour.
nonçant des dispositions et choisis dans les familles pauvres, Il avait appelé près de lui Georges Vasari, architecte,
fassent élevés à ses propres frais. peintre et historien.Il demanda à l'historien une histoire de
Cosme fit mettre en ordre et livrer aux savans tous les l'art, et donna au peintre le Palais-Vieux à peindre. L'ar-
manuscrits et tous les livres de la bibliothèque Lorenziana chitecte eut à construire un corridor qui joignit le palais
que le pape Ciément XII avait commencé de réunir. Pitti au Palais-Vieux, à l'instar de celui qui, dit Homère,
Il assura, par un fonds destiné à son entretien, l'existence joignait le palais de Priam au palais d'Hector. Vasari reçut
des universités de Florence et de Sienne. aussi l'ordre de bâtir cette magnifique galerie des Offices,
Il ouvrit une imprimerie, fit venir d'Allemagnele Torren- devenue aujourd'hui le tabernacle de l'art, et dont Florence
tino, et fit exécuter toutes les éditions-qui portent le nom publie à cette heure une magnifique illustration. Ce monu-
de ce célèbre typographe. ment plut tant à Pignatetti, qui le vit lorsqu'il n'était en-
H accueillit Paul Jove, qui était errant, et Scipion Ammi- core que moine à Florence, que, devenu pape en ~69~, il fit
rato, qui était proscrit; et, le premier étant mort à sa cour, faire sur le mememodète la Curia Innocenziana à Rome.
il lui fit faire une tombe avec sa statue. Enfin, il réunit dans le palais de Via Larga. dans le Pa-
Le grand-ducvoulait que chacun écrivit librement, selon lais-Vieux et au palais Pitti, tous les tableaux, toutes les-
son goût, son opinion et ses capacités; et il encouragea si statues, toutes les médailles, soit antiques, soit modernes,
bien à suivre cette voie Benedetto Varchi, Philippo de Nerli, qui avaient été peints, sculptés, gravés on retrouvés dans
Vincenzio Borgbini, et tant d'autres, que, des seuls volumes des fouittes par Cosme l'Ancien, par Laurent et par le duc
qui lui furent dédiés par la reconnaissance des historiens, Alexandre, et qui deux fois avaient été dispersés et pitiés
des poètes, ou des savans contemporains, on pourrait faire la première fois lors du passage de Charles V!IÎ, et la se-
une bibliothèque. conde fois lors de l'assassinat du duc Alexandre par Lo-
Enfin, il obtint que Bûccace, défendu par le concile de renzino.
Trente, fût revisé par Pie V, qui mourut en le révisant, et Aussi, ta louange contemporaine l'emporta sur le Marne
par Grégoire XIII, qui lui succéda. La belle édition de 4575 de la postérité; la partie sombre de cette vie se perdit dans
est le résultat de la censure pontificale, et il poursuivait la la partie éclatante, et l'on oublia que ce protecteur des arts,
même restitution pour les œuvres de Machiavel,' lorsqu'il des lumières et des lettres, avait tué un de ses fils, empoi-
mourut avant de l'avoir obtenue. sonné une de ses filles, et violé l'autre.
Cosme était artiste, ce ne fut pas sa faute s'il arriva au tt est vrai que les contemporains de Cosme étaient
moment où les grands hommes s'en allaient. De toute cette Henri V!Iï, Philippe Charles IX, Christiern H, et cet
briHante ptélade qui avait éctairé les règnes de Jules n et de infâme Paul 111, dont le fils violait les évoques (<).).
LéonX,~ ne restait plus que Michel-Ange. I! Mt tout ce qu'il Cosme mourut le 2< avriH574, laissant le trône ducal à
put pour t'avoir il lui envoya un cardinal et une ambassade, son fils François ~r, qu'il avait associé au pouvoir depuis
lui offrit une somme d'argent qu'il fixerait lui-même, le titre plusieurs années, et dont nous avons dit à peu près tout ce
de sénateur et une charge à-son choix mais Paul III )e te- qu'il y a à en dire, devant la statue de Ferdinand <<r, à Li-
nait, et ne le voulait point céder. Alors, à défaut du géant vourne, et à propos de Bianca Capello, sa maîtresse et sa
florentin, il rassembla tout ce qu'il put trouver de mieux. femme.
L'AmmanatO, son ingénieur, lui' bâtit, sur les dessins de Cosme était sobre, mangeait peu, buvait peu,'et dans les
Michel-Ange, le beau pont de la Trinité, et lui tailla le Nep- dernières annéfs de sa vie, il avait même renoncé à souper,
tune de marbre de la place du Palais-Vieux. Il Ot faire à Bac- et se contentait de manger quelques amandes. Presque tou-
ctb Bandinelli niërcu)e et te Bacchus, la statue du pape jours pendant ses repas, i) avait ù sa table unsavant, avec
Léon X, la statue du pape Cténtent VII, la statue du duc
Alexandre, ta statue de Jean de Médicis, son père, et sa pro- (t) Benedetto Va)'ehi. /7Mc<re < ~'<'t'~<? f<MO.
lequel il parlait chimie, botanique ou géométrie -un ar- Car, dit Machiavel, beaucoup voulaient qu'il fût envoyé
tiste avec lequel il raisonnait d'art, ou un poète avec lequel en exil mais beaucoup voulaient aussi qu'on le fit mourir,
il discutait sur Dante ou sur Boccace. A défaut de ceux-ci, tandis que ie reste se taisait ou par compassion ou par peur.
il rusait avec tes ofn< iers de bouche qui faisaient son ser- Ces derniers, en ne prenant aucun parti, empêchaient que
vice, des choses que chacun d'eux. a sa connaissance, avait rien ne se conclût. Pendant ce temps,Cosme avait étéenferme
étudiées, e car il en savait, dit son historien, autant à lui dans une tour du palais et donne en garde à un geôlier; et,
seul que tous les hommes ensemble. Il Ses deux plaisirs les comme du lieu où il était enferme, ce grand citoyen enten.
ptos vifs étaient la musique et la chasse. !i aimait à chanter dait ie bruit des armes qui se faisait sur la p)ace, et le
en chœur, et souvent en se baignant dans l'Arno avec les tintement éternel du beffroi qui appelait le peuple à la
gentilshommes qu'H avait admis dans sa familiarité, à l'aide balie, il craignait à la fois, ou qu'on le fit mourir publique-
de petites tabh'ttes de bois, sur lesquelles chacun, tout en ment, ou bien plutôt encore qu'on le frappât dans l'ombre.
nageant, suivait sa partie. Cosme donnait alors des con- C'est pourquoi, s'arrêtant surtout à ce dernier soupçon, il
certs en pleine eau à ses sujets, car il était avant tout enne- fut quatre jours sans prendre aucune nourriture, si ce n'est
mi du repos, et qu'il travaillât ou s'amusât, il avait toujours un peu de pain qu'il avait apporté avec lui. Alors, s'aper-
besoin dr s'occuper à quelque chose. C'était à la fois le cevant des craintes de son prisonnier, le geôlier, qui venait
plus grand chasseur le meilleurfauconnier, et le pêcheur le de lui servir son diner que depuis quatre jours il empor-
plus habite de son royaume. Mais il fut forcé de renoncer tait intact, s'approcha de lui, et )e regarda en secouant
de bonne heure à ces exercices, ayant été attaqué de la goutte tristement la tête Tu doutes de moi, Cosme, lui dit i), tu
à )'age de 45 ans. crains d'être empoisonné, et dans cette crainte, tu te laisses
On voit qu'il y avait à la fois dans Cosme de l'Auguste mourir de faim. C'est me faire peu d'honneurque de croire
et du Tibère. que je veuille prêter les mains à une pareille infamie. Je ne
Maintenant revenons à la salle du Palais-Vieux,dont cette pense pas que ta vie soit sérieusement menacée, car, crois-
longue biographie nous a écarté, et qui est la même, s'il moi, tu as force amis dans ce palais et au dehors mais,
faut en croire les traditions, dans laquelle s'accomplit l'é- quand tu aurais à la perdre, demeure tranquille à mon égard,
trange scène du viol d'Isabelle. car, je te le jure, il te faudra, pour te l'ôter, un autre mi-
Le tableau, non pas le plus remarquable au point de vue nistère que le mien. Je ne rougirai jamais mes mains du
de l'art, mais le plus extraordinaire certainement comme sang de personne, et encore moins du tien jamais tu ne
fait enregistré, est le tableau de Ligozzi, représentant la ré- m'as fait aucune offense. Rassure-toi donc; mange, et
ception faite par Boniface VtH à douze ambassadeurs de garde-toi vivant pour tes amis et pour la patrie. Au reste,
douze puissances, qui se trouvèrent tous être Florentins, pour te rassurer mieux encore, fais-moi chaque jour l'hon-
tant le génie politique de la Magnifique république était au neur de m'admettre à ta table, et je mangerai le premier de
XIIIe et auxiv siècle incontesté dans le monde. tout ce que tu mangeras.
Ces douze ambassadeurs étaient A ces paroles, Cosme se sentit tout reconforté, et se je-
Muciato Franzezi, pour le roi de France. tant au cou de son geôlier, il l'embrassa en pleurant, en lui
Ugolino de Vicchio, pour le roi d'Angleterre. jurant une reconnaissance éternelle, et en lui promettant de
Ranieri Langru, pour le roi de Bohême. se souvenir de lui si jamais la fortune lui en fournissait
-Vermigtio Alfani, pour le roi des Germains. l'occasion en redevenarit son amie.
Simone Rossi, pour la Rascia. Machiavel oublie de dire si, dans les temps heureux,
Bernardo Ervai, pour le seigneur de Vérone. Cosme se souvint de cette promesse faite aux jours de l'in-
Guiscardo Basta!, pour le Kan de Tartarie. fortune.
Manno Fronte, pour le roi de Naples. Le nom de ce geôlier, qui, comme on le voit, laisse bien
Guido Tabanca, pour le roi de Sicile. loin derrière lui tous les geôliers sensibles et honnêtes de
Lapo Farinata des Uberti, pour Pisé. messieurs Caigniez, Guilbert de Pixérécourt et Victor Du-
Gino de Diétaselvi, pour le seigneur de Camerino. cange, était FederigoMatavotti.
Et enfin Bencivenni Folchi, pour le grand-maitre de l'hô- Avis à la postérité, qui, n'étant pas chargée de geôliers,
pital de Jérusalem. peut donner une bonne place à celui-ci 1
Ce fut cette réunion étrange qui fit dire a Boniface VIII
qu'un cinquième etémeut venait de se mêler au monde, et
que les Florentins étaient ce cinquième élément.
Les fresques gigantesques qui couvrent les murs, ainsi
que tous les tableaux du plafond, sont de Vasari. Les fres-
ques représentent les guerres ues Florentins contre Sienne
et contre Pise. C'est pour l'exécution de ces dernières que
Mi' b~)-Ange avait préparé ces beaux cartons qui s'égarè- LA PLACE DU GRAND-DUC.
rent sans que l'on sût jamais ce qu'ils étaient devenus.
Dans les autres chambres du palais, qui sont les chambres
d'habitation, on trouve aussi en nombre considérable des
peintures de la même époque à peu près. !) faut excepter En sortant du Palais-Vieux, on a devant soi, et tournant
une-charmante petite ch'apelle de Rodolfo Guirtandajo, qui le dos, le Cacus de Baccio Bandinelli, et le David de Michel-
fait, par son exécution serrée et religieuse, une opposition Ange, gigantesques sentinelles de ce gigantesque palais; à
étrange avec cette peinture facile et paonne, du commence- gauche, au second plan, la loge des Lanzi eu face de soi,
ment de la décadence. au troisième plan, le toit des Pisans; enfln, a droite, le
Tout bouleversé qu'il a été par les arrangemens de fameux Marsocco, qui partagea avec Jésus-Christ l'honneur
Cosme < le Palais-Vieux conserve encore matériellement d'être gonfalonier de Florence, e~tin la fontaine de l'Amma-
un souvenir de la république c'est la tour de la Barberia, nato, et la statue équestre de Cosme <er, par Jean de
où fut enfermé Cosme l'Ancien, et à la porte de laquelle, un Bologne.
demi siècle plus tard, lors de la conspiration des Pazzi, le Baccio Bandinelli est l'exagérateur de Michel-Ange, dont
brave gonfalonnier César Petrucci monta la garde avec une le talent lui-même ne te sauve de l'exagération que par le su-
broche. blime.Ce futcelui qui fit du Laocoon antique une copie qu'il
Ce fut dans cette tour, aujourd'hui séparée en bûcher et trouvait si belle, qu'il la préférait a l'original. On raconta
cuangée en garde-robe, que Cosme t'Aucien passa, certes, les cette prétentionà Michel-Ange,qui se contenta de répondre
quatre plus mauvais jours de sa longue vie. Pendant ces H est difficile de dépasser un homme, lorsqu'on le suit
quatre jours, la crainte d'être empoisonné par ses ennemis par derrière.
J'empêcha de prendre aucune nourriture. Les artistes admirent fort l'attache du cou de Cacus.
Barcio Bandinelli croyait sans doute aussi que c'était ce viennent de la villa Médicis de Rome, et ont perdu le nom
qu'il y avait de mieux dans son groupe, car à peine cette de leurs auteurs. Les statues modernes, qui sont
au nombre
partie fut-elle exécutée qu'il la fit mouler et l'envoya à Rome. de trois, el qui représentent une Judith,
un Persée et un
Michel-Ange vit cette copie, et se contenta de dire Romain enlevant une Sabine, sont de Donatello, de Benve-
C'est beau, mais il faut attendre le reste. Eu effft, le reste, nuto C-'ttini et de Jean de Bologne.
c'est-à-dire le torse du Cacus. fut comparé très exactement La Judith de Donatello doit son illustration,bien plutôt à
à un sac bourré de pommes de pins. la circonstance qui a présidé à son installation actuelle, qu'à
Michel-Ange n'était point le seul avec lequel Baccio son mérite même comme art. En effet, c'est une des plus
Bandinelli tût en opposition d'art et en querelle de mots. faibles, des plus raides et des plus gauches statues de l'au-
Benvenuto Cellini, qui avait le poignard aussi tégcr que le teur. Elle était au palais Riccardi, et appartenait aux Médi-
ciseau, lui avait voué une haine égale à l'admiration qu'il cis mais, lorsque Pierre, après avoir tivréta Toscane -à
portait à Michel-Ange. Un jour, les deux artistes se trou- Charles VIII, eut été chassé de Florence, et que son palais
vaient ensemble devant Cosme 4<r; leurs disputes éternelles eutétépitté, on résolut de perpétuer la mémoire de cette
recontmencf'rent malgré la présence du grand-duc, et s'é- vengeance populaire, en dressant la Judith sous la loge des
chauffèrent à un tel point, que Benvenuto, montrant son lansquenets. En conséquence, eile y fut transportée en
poignard à son adversaire Baccio, lui dit-il, je te con- grande pompe, et l'on grava sur son piédestal cette menace
seille de te pourvoir d un autre monde, car, aussi vrai qu'il il que Laurent H laissa, à son retour, subsister sans doute par
n'y a qu'un Dieu, je compte t'expédier de celui-ci. Alors, insouciance, et Alexandre, à son avènement au trône, par
répon'tit Bandinelli, préviens-moi un jour d'avance, pour mépris.
que je me confesse, afin que je ne meure pas comme un
cbien, et que, quand je me présenterai à la porte du ciel, on < Exemplumsalut. publ. Cives posuêre xccccxcv.
t)e me prenne pas pour toi 1.
Le grand-duc calma Benvenuto en lui commandant la Quant. au grand-duc actuel, il n'y a probablement pas
statue de Persée, et Baccio Bandinelli en lui faisant exécuter même fait attention il est trop aimé pour que cela le re-
son groupe d'Adam et Eve. garde.
Quant au David, il a aussi son histoire, car a Florence, A côté de la Judith esUePersée; tePersée que Benvenuto
tout ce peuple de statues et de tableaux a sa tradition a tant appelé un chef-d'œuvre, qu'il est devenu de mode de
individuelle il dormait depuis cent ans dans un bloc de lui contester ce titre, et qui, au reste, vaut à peu près tout ce
marbre ébauché, auquel Simon de Fiesole, sculpteur du qui se faisait dans la m6mf époque. D'ailleurs, quand nous
commencementdu xV siècle, avait voulu donner la forme autres artistes, qui connaissons pour tes avoir éprouvées,
d'un géant. Mais le statuaire inexpérimenté, ayant mal pris les sueurs, tes transes et les fatigues de l'enfantement, nous
ses mesures, avait repoussé le bloc du piédestal, et le bloc lisons, dans Benvenuto lui-même, t"ut ce que sa statue lui a
gisait inachevé, lorsque Michel-Ange le vit, se prit de pitié coûté d'insomnie, de labeur et de fièvre lorsque nous assis.
pour ce marbre informe, le redressa, et le prenant corps à tons à cette lutte de t'homme, à la fois contre les hommes et
corps, s'escrima si bien du ciseau et du maillet, qu'il en la matière lorsque nous voyons la force manquer au sta-
tira cette statue de David. Michel-Ange avait alors vingt- tuaire, le bois manquer à la fournaise, le méta) manquer
neuf ans. au moute lorsque nous voyons le bronze déjà fondu se
Ce fut pendant que ce grand artiste exécutait cet ouvrage, figer, refusant de couler dans la forme, et l'artiste, désespéré,
qu'il reçut la visite du gonfalonier Soderini, le seul gonfa- jeter dans la chaudière tarie par le feu p'ats d'étain, cou-
lonier perpétuel qu'ait eu la république. Soderini avec sa verts d'argent, aiguières dorées, prêt à s'y jeter lui-même
sottise, que Machiavel, son secrétaire, a rendue proverbiale enfin de désespoir, comme un autre Empédocledans un autre
par un quatrain, ne manqua pas de lui faire critiques sur Etna, nous devenons indu!gcns. en face d'une œuvre qui, si
critiques. Michel-Ange, impatienté, fit semblant de se clic n'est pas de premier ordre, marche au moins de< riere
rendre à l'une d'elles, et prenant, en même temps que son Michet-Ange, de pair avec les Jean de Bologne, et en avant
ciseau, une poignée de poussière de marbre, il invita Sode- des A'nmanato, des Tasca et des Baccio Bandinelli.
rini a s'approcher pour voir si son conseil était bien suivi. Mais cr. qui est vraiment délicieux, ce dont personne ne
Soderini s'approcha, ouvrant ses grands yeux hébétés, et contestera le ravissant caractère, ce sont les figurines du
Michel-Ange y fit voler là poignée de poussière de marbre piédestal, dont Benvenuto connaissaitsi bien la valeur, qu'il
qu'il tenait cachée dans sa main, ce qui pensa l'aveugler. se brouilla avec la duchesse plutôt que d'en déshériter sa
Vasari et B.-nvenuto ont eu tort de dire que ce David était statue. Ces figurines étaient tellement du goût de la pauvre
un chff-d'œuvre; ceux qui ont écrit depuis sur Florence ont Eléonore de Tolède, qu'elle les voulait absolument garder
eu tort de dire'que c'était une œuvre au-dessous de la cri- dant son appartement, et qu'il fattut tout l'entêtement artis-
tique. C'est tout bonnement un ouvrage de la jeunesse de tique de Cellini pour les lui arracher des mains.
Michel Ange, a la fois plein de beautés et de défauts, mais Le troisième groupe est Fentèvement des Sahines, de Jean
qui, p'acé où il est, concourt admirablement à l'ensemble de de Bologne, qui, à son apparition, eut un tel succès, que
cette belle place. l'on venait de tous les points de l'Italie pour l'admirer. Ces
La Loggia dei Lan?. un des chefs-d'œuvre de cet André trois figures qui, au reste, sont d'une grande beauté, tant
QrcagRa qui signait ses tableaux ~rcagna, seulptor, et ses par l'expression des physionomies que par le modeté des
Sculptures Orcagna, piclor, fut élevée primitivement, en chairs, n'eurent pas le bonheur de plaire à tout le monde.
<574,'pour offrir aux magistrats, dans les balies qui se te- Un St-igneur, entre autres, qui était parti de la rue du Corso,
naient sur la plaée publique, un refuge contre.la pluie qui, à cheval, pour le venir voir, et qui était resté cinq jours
lors(iu'elle tombe à Florence tombe par torrens. Ce sont en route, s'en approcha, toujours à cheval, s'arrèta un
les rostres de cet autre forum c'est de là, et de la Rin- instant, et, sans descendre de sa monture \'oi)à donc,
ghiera.espèce do. tribune disparue au milieu d'une tempête dit-il, la chose dont.on fait tant de bruit Puis, haussant les
populaire, et qui était dressée à la porte du Palais-Vieux, épaules, il remit son cheval au galop et reprit le chemin de
que les orateurs parlaient au peuple. Sous les Médicis, les Rome.
lansquenets ayant eu leur corps de garde dans le voisinage Nous conseillons à ceux qui voudraient suivre t'exempte
de la Loggia, et se trouvant naturellementinoccupés, comme du curieux Romain de descendre de cheval, et de regarder
sont toujours des soldats étrangers, ils passaient leur temps de près le petit bas-relief du piédestal représentant l'enlève-
à se promener sous ce beau portique de là le nom de Z.o~- ment des Sabines.
pto dei tcMt~ttneMt, et, par abréviation, dei ~an.:t. En face du Patais-Vieux, attenant à la poste aux lettres,
La Loggia dei Lanzi est richement ornée de statues anti- est une avance en bois, qu'on appelle le toit des Pisans, et
ques et modernes ces statues antiques, qui sont au nombre qui n'a rieu de remarquable que la circonstance qui lui a
de six, et qui représentent des prétresses ou des vestales, fait donner son nom.
On sait les longues guerres et la haine éternelle des deux utiles. Frère Jérôme Savonarole, dont rien n'avait pu faire
républiques. Pise fut en petit Florence ce que Rome fut à encore apprécier le génie, fut du nombre des exilés. Il s'en
Carthage, et Florence, comme Home, n'eut pas de repos que vint alors Florence, où il trouva l'occasion de prêcher tout
Pise ne fût, sinon détruite, du moins soumise. Une des vic- un Carême dans l'église de San-Lorenzo mais, inexpéri-
toires qui concoururent à cette soumission fut celle de Cas- menté qù'it était encore, il ne réussit ni pour la voix, ni
cina, qui fut remportée par Galiotto, i) six milles de Pise, et pour le geste, ni pour l'éloquence; alors i1 douta~ lui-même
probablement a l'en<)roit même où est aujourd'hui la métai- de la mission qu'il s'était cru appelé à remplir, et résolut de
rie du grand-duc. Les Pisans perdirent dans cette journée, se borner à l'explication des saintes Écritures. H se.retira
qui fut celle du 28 jui!)et <564, mille hommes tués et deux donc dans un couvent de Lombardip,où il comptait.rester
mille prisonniers. Ces deux mille prisonniers furent amenés éternellement, lorsqu'il fut redemandé a Florence, par Lau-
Florence sur quarante-deux charrettes, et ils entrèrent par rent deMédicis.Lejeune Pic de la Mirandole avait suivi les
la porte San-Friano, où on les arrêta pour leor faire payer prédications de frère Jérôme,et à travers l'embarras de l'é-
la gabelle, et où ils furent taxés à dix-huit sous par per- locution, la. gaucherie du geste, il avait reconno l'accent de
sonne, prix qu'on avait l'hahitude de payer par chaque tête l'inspiréet le regard sombre et profond de ('homme de génie.
de botaii puis on les conduisit, trompettes sonnantes, place Mais déjà il s'était fait. en pregrcs immense dans Savo-
de la Seigneurie, où on les lit descendre de voiture, et où on narole; le temps qu'it avait passé en Lombardie avait été
les força de dédier, un à un, derrière Marsocco, et de lui employé par tui à des études d'éloquence, et lorsqu'il revint
baiser ic derrière en passant. Deux de ces malheureuxvirent à Florence, il commençait a croire de nouveau que Dieu l'a-.
un déshonneur si grand dans ces nouvelles fourches can- vait choisi pour parler aux peuples par sa voix. Ses pre-
dines, qu'ils s'étranglèrent avec leurs chaînes. Enfin, les mif'rs essais le confirmèrent dans cette croyance.
Florentins, pensant qu'ils pouvaient les utiliser & mieux que D'ailleurs le temps était bon pour s'ériger en prophète,
cela, les employèrent a bâtir ce toit, qui, encore aujourd'hui, l'Italie était pleine de factions, et t'Ëgtise de scandales. In-
du nom de ses constructeurs, est appelé le toit des Pisans. nocent VIII régnait alors, et ses seize enfans lui avaient
Le Marsocco actuel est innocent du suicide des deux Pi- valu le surnom de Père.de son peuple; aussi Savonarole
sans car, vers l'an <-?<), le vieux Htarsocco, qui datait dn prit-il pour texte de ses discours trois propositions.
x< siècle, étant tombé en poussière, la seigneurie en com- La première, que l'Église devait être renouvelée;i
manda un autre à Donatello. C'est -celui qu'on voit aujour- La seconde, que l'Italié serait battuede verges;
d'hui, tenant sous sa patte t'écusson la fleur de lis rouge
de Florence, et il a l'air trop bonne bête pour avoir rien de
Et la troisième, que ces ëvénemenss'accomptiraient avant
la mort de celui qui les annonçait. Cette mort devait arriver
pareil à se reprocher. avant la fin du siècle; of, comme on était à l'année 4490,
La fontaine de l'Ammanato, malgré la réputation qu'on lui tontes ces prophéties devaient faire d'autant plus d'effet
a faite, est mon avis un assez médiocre ouvrage. Les che- qu'elles annonçaient des choses prochaines, et que Savonà-
vaux marins et le Neptune ne semblent pas faits l'un pour role, comme cethomme qui faisait le tour des murs de Jéru-
l'autre et n'ont aucune proportion entre eux; on dirait un salem, après avoir commencé par crier malheur aux autres,
géant traîné par des poneys. Une chose non moins ridicule finissait par crier malheur sur tui-même.
est le maigre filet d'eau qui suinte de ce colosse. En revan- Luther accomplit la première des prédictions de Savona-
che, les figures de bronze de grandeur naturelle, accroupies role.
sur les rebords du bassin, sont charmantes. L'année der- Alexandre de Médicis la seconde.
nière, on s'aperçut un beau matin ~u'i! en manquait une. Et RodericBorgia la troisième.
Pendant deux mois on fit les recherches les plus actives pour Les prédications de Savooaroleproduisirentun tel enëtet
savoir ce qu'elle était devenue. Au bout de ce temps, on ap- attirèrent un tel concours d'auditeurs, que quoiqu'on lui
prit qu'un amateur anglais l'avait enlevée; seulement on eût accordé le Dôme comme la plus grande des églises de
ignore encore quel est le procédé dont il s'est servi pour cet Ftorence, le Dôme se trouva bientôt trop étroit pour Ja
enlèvement,chaque figure pesant plus de deux milliers. foule qui venait se nourrir de sa parole. On fut donc bbtigé-
Une chose particulière a cette fontaine, c'est qu'elle est de séparer des hommes, les femmes et les enfans, et de leur
située juste a l'endroit où fut brute Savonarole. réserver des jours particuliers. En outre, chaque fois que
Un mot sur cet homme étrange, sur son caractère, sur son Savonarole se rendait de son couvent au Dôme et retournait
supplice et sur la mémoire qu'il a laissée. du Dôme à son couvent, on était obligé de lui donner
une
Frère Jérôme Savonarolenaquit a Fcrrare, le 21 septembre garde. Les rues dans lequelles il devait passer étaient plei-
«52, de Nicolas Savonarole etdTElena Buonaconi. Dès son nes d'hommes du peuple qui, le regardant comme un sainte
enfance, on remarqua en lui un caractère grave et des de- voulaient baiser le basde sa robe.
hors austères, et aussitôt qu'il fut en âge d'avoir une vo- Cette popularité lui valut d'être nommé, en ~90, prieur
lonté, il manifesta le désir de se faire religieux. Dans ce du couvent de Saint-Marc, et à l'occasion de celte nomina-
but, il étudia avec une application soutenue la philosophie tion, il donna une nouvelle preuve de son caractère ihCexi-
et la théologie, lisant et relisant sans cesse les oeuvres de ble. H était d'habitude, et les prédécesseurs de Savonarole
Saint-Thomas-d'Aquin, ne suspendant ces graves lectures avaient presque fait de cette concession une règle, que ceux
que pour faire des vers toscans. Cette occupation était si qui étaient promus au rang de prieurs dans les ordres ré-
agréable à Savonarole, qu'il se l'interdit bientôt, se repro- guliers allassent présenter leurs hommages a Laurent de
chant de prendre un si grand plaisir une distraction qu'il Médicis, comme au chef suprême de la République, et ,!&
regardait comme mondaine. priassent de leur accorder ea protection. Savonarole, qui ne
Parvenu à t'age de ving-deux ans, il rêva une nuit qu'il reconnaissaitd'autre chef à la Républiqueque ceux qu*et!e
était exposé nu dans la campagne, et qu'il lui tombait sur s'était donnés par étection, refusa constamment d'accomplir
le corps une pluie d'eau g)acée. L'impression fut telle qu'il cet acte d'inféodation à un pouvoir qu'il regardait comme
se réveilla, et qu'en se réveillant il résolut de se donner à usurpé. Vainementses amis l'en pressèrent-iis, vainement
Dieu, cette pluie bienfaisante ayant, à ce qu'il assurait, Laurent lui fit-il savoir qu'il le.recevrait avec plaisir. Savo-
éteint à tout jamais les passions dans son caeur. ranole répondit constamment qu'il était prieur de Dieu et
Ce fut la première de ces visions qui lui devinrent depuis non de Laurent; celui-ci n'avait donc rien de plus à atten-
si fréquentes et si familières. dre de lui que les derniers citoyens.
Le lendemain, qui était te 24 avril ~7S, sans avertir ni Cette réponse, comme on le comprend, blessa fort t'or-
parens ni amis, il s'enfuit a Bologne, et revêtit l'habit de gucitteux Médicis; c'était la seule opposition qu'il eût ren-
Saint-Dominique. contrée à Florence depuis la conspiration des Pazzi. Aussi
Le jeune dominicain était déj!) depuis quelques temps a les prédications exaltées de Savonarote ayant produit qud-
Bologne, lorsque la guerre s'étant allumée entre Ferrare et ques troubles, Laurent protita-t-it de cette occasion pour
Venise, on résolut de dégrever le couvent de se.< bouches in- faire dire au moine rebelle, par cinq des premiers de ta ville,
qu'il eût à interrompre son prêche, ou tout au moins à mo- transmettrait ses droits. Ce fut pour réunir cette assemblée
dérer sa fougue. Savonarolerépondit à ceci par un discours d'élus que Savonarole fit construire'dans le Palais-Vieux,
qu'il termina en annonçant au peuple la mort prochaine de par Cronaca son ami, cette fameuse salle du conseil, dans
Laurent de Médicis. laquelle pouvaient tenir l'aise mille citoyens.
Cette prédiction se réalisa dix-huit mois après, c'est-à- Ce n'était pas tout après la partie matérielic de la ti-'
dire le 9 avril ~92. berté, si on peut parler ainsi, il fallait s'occuper de sa par-
Alors, il arriva que, sur son lit de mort, Laurent le Ma- tie morale, c'est-à-dire des moeurs et des vertus, sans les-
gnifique se souvint du pauvre prieur de Saint-Marc, et ]e quelles elle ne peut se maintenir. Or, les Médicis avaient
reconnais'-ant pour un inspiré, puisqu'il avait si bien pro- répandu l'or à pleines mains t'or avait enfanté le tuxe, te
phétisé les choses qui arrivaient, ne voulut recevoir l'abso- luxe les plaisirs. Florence n'était plus cette république sé-
lution que de lui. I) renvoya donc chercher, et cette fois Sa- vère où la parcimonie publique et l'économie privée per-
vonarole, (idè)e à sa promesse, accourut à son lit de mort, mettaient au gouvernement décommander à )afoisàÂr-
agissant en cela comme il l'aurait fait pour le dernier des no!fo di Lapo une nouvelle enceinte de remparts, un dôme
citoyens. magnifique, un palais imprenable, et,un grenier public où'
Laurent !ë Magnifique se confessa. H avait sur la cons- pût être enfermé le blé de toute une année. Florence s'était'
cience force crimes inconnus et cachés de ces crimes comme faite molle et voluptueuse Florence avait des savans grecs,
en commettent les puissans, qui veulent à tout prix garder des poètes érotiques, des tableaux obscènes, et des statues
leur puissance. Mais,, si grands que fussent ses crimes, Sa- effrontées. Il fallait porter le fer et le feu dans tout cela; il
vonarote lui promit te pardon de Dieu à trois conditions. fallait ramener lés Florentins à la simp)icité antique il fa!.
Le moribond, qui ne croyait pas en être quitte à si bon mar- lait détruire Athènes, et avec ses débris rebâtir Sparte.
che, lui demanda quelles étaient ces trois conditions. Savonarole choisit t'époque du Carême pour tonner con-
La première, dit le moine, c'est que vous ayez une foi tre cette tendance mondaine, et pour lancer l'anathème sur
vive et inaltérable en Dieu. toutes ces corruptrices supernuités. Sa parole eut sa puis-
Je fai, répondit vivement Laurent. sance ordinaire. A sa voix, chacun se hâta de venir amon-
-La seconde, c'est que vous restituerez,autant que pos- celer sur tes places publiques tableaux, statues, livres, bi-
sible, le bien que vous avez mal acquis. joux, vêtemens de brocard et habits brodés. Alors le moine,
Laurent réuêetnt un instant; puis, après une effort sur suivi d'une foule de femmes et d'enfans qui chantaient les
tui-même. louanges de Dieu, sortit du Dôme, une torche à la main, et
.–C'est bîen, je te restituerai, dit-il. s'en alla par les rues, allumant tous ces bûchers renouvelés
EnOn, la troisième, c'est que vous rendrez la liberté !) chaque jour et chaque jour dévorés.
riorence. Ce fut dans un'de ces bràsiers que Fra Bartolomeo vint
–Oht pour cela non, dit le mourant; j'aime mieux être jeter ses pinceauxérotiques et ses toiles mondaines qui jus-
damné. efu'alors avaient détourné son génie de ta voie divine. Con-
Tournant alors le dos aSavonarote, Laurent ne prononça verti au Seigneur, FraBartoiomeô jura de ne traiter désor.
plus une seule parole il expira le même jour. mais que des sujets religieux, et il tint son serment.
Et comme sa mort, dit Machiavel, devait être le signal de Cependant, après avoir triomphé jusqu'à ce jour, Savona-~
grandes calamités. Dieu permit qu'elle fùt accompagnée de rôle allait entin s'attaquer au colosse contre lequel il devait
terribles présages. La foudre tomba sur le Dôme, et Roderic se briser.
Borgia fut notpmé pape. AtexandrcVI était monté sur le trône pontifical, et y avait
L'orage prédit par Savonarole s'avançait Charles Vffï portf- les désordres de sa vie privée. Plus l'exemple de i'im~
apparaissaitl'horizon, marchant vers son royaume de Na- piété et de la débauchedescendait dehaut, plus il était abo-
ptes, ettnenaçant de passer sur Florence, lui et sa colère. minable. Savonarole n'hésita pas un instant, et il attaqua la
Savonarptë fut député au devant de t'armée uUramontaine. cour de Rome avec la même véhémence qu'il eût attaqué la
Le moine demeura fidèle à sa mission, et parla an roi, non cour de France ou la cour d'Angleterre.
Bt ambassadeur, mais en prophète. H lui prédit ta'victoire Alexandre VI crut répondre éfEcacement à ces attaques,
et tes grâces de Dieu s'il rendait la liberté a Florence; il lui en fulminant une bulle dans laquelle il déclarait Savonarole
promit les revers et l'inimitié du Seigneur, s'il' la laissait hérétique, et lui interdisait la prédication. ~avonaroieétuda
sous Je joug. Charles VIII ne vit dans Savonarole qu'un bon cette défense, en faisant prêcher à sa place Dominique Bon-
religieux qui se mêlait de parler politique, c'est-à-dire d'une vicini de Pescia, son disciple. Mais bientôt, se lassant du
chose qu'il ne comprenait pas. Il passa à travers Florence silence, il déctara, sur l'autorité du pape Pélage, qu'une ex-
sans faire attention à ses paroles, et ne quitta ta ville révol- communication injuste était sans eNcacité, et que cetui qui
tée qu'après avoir exigé de la seigneurie la levée du séques- en avait été atteint n'avait pas même besoin de s'en faire
tre placé sur les biens des Médicis, et l'annulation du dé- absoudre; En conséquence, lejour de Noëi de l'année ~97,
cret qui mettait leur tête à prix. il déclara en chaire que le Seigneur lui inspirait la volonté
Moins d'un an après, la nouvetté prédiction de Savonarole de secouer rohéissance, attendu la corruption du maître, et
était encore accomplie. Les succès s'étaient changés en re- il continua ses prédications ou plutôt ses attaques, avec
vers, et Charles VIII, t'épée à la main, était forcé de se rou- plus de force, de liberté et d'enthousiasme que jamais.
vrir, par la bataille du Taro, un chemin sanglant vers la Alors il arriva un moment où, pour le peuple florentin,
France. Savonarole ne fut plus un homme, mais un messie, un se-
Tout jusque là secondait Savonarole, et les événemens cond Christ, un demi-Dieu.
-semblaientaux ordres de son gt'nie.Aussi son influence dans Mais au milieu de tout ce peuple qui le regardait passer
la république était-elle, après la chute de Pierre de Médicis, à genoux, lui marchait triste et la tête baissée, car Il sentait
devenue plus grande que jamais. Il reçut alors de la seigneu- que sa chute était prochaine, et rien ne lui avait révélé en-
,rie commission de présenter une nouvelle forme de gouver- core que Luther était né.
-nemént. Savonarole, libre dès lors de donner carrière à ses AlexandreVI répondit à cette rébellion par un bref qui dé-
idées démocratiques,établit son système sur la base la plus clarait à la seigneurie que, si elle n'interdissail point la pa-
large et la plus populaire qui eût encore été offerte à la ré- role au prieur des dominicains, tousles biens des marchands
publique florentine. florentins situés sur le territoire pontincal seraient confis-
Le droit de distribuer les places et les honneurs devait qués, et la répuMiquc mise en interdit et déclarée ennemie
être accordé & un grand conseil composé de toutte peuple; spirituelle et temporelle de i'ËRtise. La seigneurie, qui
et comme le peuple né pouvait être convoqué en masse à cha- voyait crottre la puissance pontificale dans la Romagne, et
que instant, et pour chaque chose qut réclamait son examen qui sentait César Borgia aux portes, «'osa point résister,
et son approbation,il devait d~éguer son autorité à un cer- et cette fois intima elle-même à Savonarole l'ordre de sus-
tain nombre de citoyens choisis par lui-même, et auquel it pendre ses prédications. Savonarole ne pouvait résister,
d'ailleurs la résistanre eût été une infraction aux lois que trc-vingls de long. Cet échafaud fut (out garni de bruyère,
tui-même avait fonseut~es il prit donc congé de son audi- de fagots et d'épines du bois le p'us sec que l'on pût trouver.
toire, dans un prêche qu'il annonça être te dernier. En même Au,mi'ieu du bûcher, on ménagea deux espèces de corridors
temps, on annonça qu'un autre prédicateur très renomme de )a longueur de l'é hafau~t, sépares l'un de l'sutrf par une
était arrivé au nom d'AlexandreVt, pour remplacer frère cloison de branches de ~iu. Ces corridors s'ouvraient d'un
Savonarole, etcombattrela parole impie parla parole sainte. côte sur la loge dei Lan?), et o'e l'autre, sur t'extrémxé op-
On comprend que le nouveau venu essaya vainement de posée le tout devait se passer au grand jour, afin que cha-
se faire entendre; car la retraite de Savonarole, au lieu de cun pût voir tes champions entrer et sortir; il n'y avaitdonc
calmer la fermentation, t'avait augmentée. On parlait de ses moyen ni de reculer ni d'organiser un taux miracle.
visions divines, de ses prophéties réalisées, on annonça des Le jour arrivé, les Franciscains se rendirent à leur loge
miracles. Le prieur des Dominicains avait offert, disait-on, sans aucune démonstration apparente. Savonarole, au con-
de descendre avec le champion de la papauté dans les ca- traire, annonça une grande messe à laquelle il pria tous ses
veaux de la cathédrale. et'de ressusciter un mort. Ces bruits prosélytes d'assister; pois, la messe fiuie, au lieu de renfer-
auxquels Savonarole était étranger, répandus par des sec- mer l'hostie dans le tabernacle, il s'avança vers la porte, le
taires trop zélés, revinrent à frère François de Pouille; c'é- saint Sacrementà la main, sortit de t'é~ ise, et se rendit à la
tait le nom du prédicateur venu de Rome. Frère François place du Palais. Frère Dominiquede Pescia le suivait avec
était d'une trempe pareille à Savonarole, et n'avait contre toutes les apparences d'une foi ardente, tenant à la main un
lui que le désavantage de défendre une mauvaise cause. Au crncifix, dont de temps en temps il haisait les pieds en sou-
reste, ardent fanatique, prêt mourir pour cette cause si riant. Tous tes moines Dominicains du couvent de Saint-
sa mort pouvait la faire triompher, il répondit à ces bruits Marc venaient derrière lui, partageant visiblement sa con-
vagues par un défi forme) il proposait d'entrer avec le mncp.etchantaientdes hymnes au Seigneur. Enfin, après les
prieur des Dominicains dans un bûcher ardent, et là, disait Dominicains, marchaient les citoyens les plus considérables
il, à la face du peuple, Dieu reconnaitrait ses élus. de leur parti, tenant des torches a) !a main car, sûrs qu'ils
Cette
proposition était d'autant plus étrange de sa part qu'il ne étaient de fa réussite de leur sainte entreprise, ils voulaient
croyait pas à un mirade; mais il espérait par cette offre dé eux-mêmes mettre le feu au bûcher.
cider Savonaroleà tenter l'épreuve, et en mourant, entraîner Il est inutile de dire que la place était tellement pleine
du moins avec lui le tentateur qui précipitait tant d'âmes de monde que la foule dégorgeait dans toutes les rues. Les
avec la sienne dans la damnation éternelle. portes et les fenêtres semblaient murées avec des têtes, les
Si exalté que fût Savonarole il n'espérait point que Dieu terrasses des maisons environnantes étaient couvertes de
fit un miracle en sa faveur. D'ailleurs, n'ayant jamais pro- spectateurs, et il y avait des curieux jusque sur la tour du
posé le premier défi, il ne se croyait nullement dans l'obli- Bargello,jusque sur le toit du Dôme, sur la plate-forme du
gation d'accepterte second.-Maisalorsil arriva une chose Campanile.
qui prouve jusqu'à quel point il avait excité le fanatisme de Sans doute l'assurance de frère Dominique commença d'ins-
pirer quelques craintes aux Franciscains car, lorsqu'on leur
ses disciples. Frère DominiqueBonvicini, plus confiant que fit dire que frère Dominique était prêt, ils déclarèrent qu'ils
lui dans l'intervention de Dieu, fit répondre qu'il était prêt
à tenir tête à François de Pouille et à accepter l'épreuve du avaient appris que frère Dominique s'occupait de magie, et,
feu. Malheureusement ce dévouement ne faisait pas le grâce à cet art, composait des charmes et des talismans. En
compte de frère François, c'était le maitre et non le disci- conséquence, ils demandaient que leur adversaire fùt dé-
ple qu'il voulait frapper <t s'il mourait, il voulait du moins pouillé de ses habits, visité par des gens de l'art, et revêtu
d'habits nouveaux qui lui seraient donnés par les juges
que sa mort eût tout l'éclat que pouvait lui donner celle de
l'antagoniste illustre avec lequel seul il consentait fi lutter. Frère Dominiquene fit aucune objection, dépouilla lui-même
Mais Florence semblait atteinte d'une folie générale. A. sa robe, et se livra à l'investigation des médecins, aprfs quoi
défaut de frère François, deux moines Franciscains, nom- il revêtit le nouveau froc qui lui fut apporté, et fit demander
més l'un frère Nicolas de Pilly et l'autre Tère André Ron- une seconde fuis aux Franciscains s'ils étaient prêts. Frère
dinelli, déclarèrent qu'ils étaient prêts à tenir tête à Fran- André Rondinetli iut alôrs obligé de sortir de sa loge. Mais
çois de Pouille et à accepter l'épreuve du feu avec frère comme il vit en sortant que son adversaire se préparait à
Dominique le même jour, le bruit que le défi mortel était traverser les flammes, en tenant en main le saint-Sacrement
accepté se répandit par toute la ville. que Savonarole venait de lui remettre, il s'écria que c'était
Les magistrats voulurent empêcher le scandale; il étaitt une profanation que d'exposer le corps de Notre-Seigneur à
trop tard. Le peuple comptait sur un spectacle inattendu, être broie; d'ailleurs, que, s'il y avait miracle, le miracle
n'aurait rien d'étonnant, puisque ce n'était pas frère BonTi-
inoui. terrible; et il n'y avait pas moyen de le lui enlever
cini, mais son fils bien-aimé que Dieu sauverait des Calmes.
sans exposer la ville à quelque émeute. Les magistrats fu- En conséquence, il déclara que, si le Dominicain ne renon-
rent donc obligés de céder ils décidèrent alors que ce duel çait pas a cette aide surnaturelle, lui renonceraità l'épreuve.
étrange, aurait lieu entre frère'Dominique Bonvicini et frère
André Rondinelli, qui, ayant prouvé qu'il était te premier De son coté, Savonarole, à. qui, pour la première fois peut-
être le doute vint à l'esprit, et c''Ia parce 'qu'il s'agissait d'un
en date, obtint la préférence sur frère Niçois de Pilly. Dix
citoyens é)us à la majorité des voix furent chargés de ré- autre que de lui, déclara que l'épreuve ne se ferait qu'à cette
condition. Les Franciscains ne voulurent pas démordre de
gler les détails de la lutte, d'en fixer le jour et le lieu. Le jour
fut fixé au 7 avril «98, et la place du Palais, ou plutôt de )a prétention,Savonarole se retrancha dans son droit, et tint
la Seigneurie, comme on l'appelait alors, fut choisie pour le ferme, et comme ni les uns. ni les autres ne voulurent céder,
champ-ctos. quatre heures s'écoutèrent en discussions, pendant lesquel-
exposé à un soleil ardent, commença de mur-
Dès que cette décision fut connue, la foule s'amassa si les le peuple,
nombreuse sur la place, quoiqu'il y eût encore cinq jours à murer si hautqu'il et si bien, que Dominique. Bonvicini déclara,
était prêt tenter l'rpreuve avec un sim-
attendre avant le jour fixé, que les juges comprirent qu'il pour en finir, plus de reculer, le crucifix
n'y aurait au< un moyen de faire les préparatifs nécessaires, ple crucifix. !t n'y avait la moyen présence réelle. Frère Rondi-
si l'on ne remplissait point d'hommes armés les rues adja- n'étant que l'image et non
forcé de se s' umettre t et l'on annonça au
centes. Moyennant cette précaution, prise pendant la nuit, nelli fut donc Au même instant il
la place, un matin, se trouva vide, et l'on put commencer peuple que 1 épreuve allait commencer
les travaux. oublia toutes ses fatigues et battit des mains, comme on fait
On sépara d'abord, à l'aide d'une cloison, 'a loge (M T-anzt chez nous au théâtre, lorsqu'après une longue attente les*s
deux compartimens, dont l'un était réservé à frère Ron- trois coups du régissfur annoncent que la toile va se lever.
en
dinetti et à ses Franciscains,et ''aatre à frère Dominiqueet Mais en ce moment même, par un hasard étrange, un
aux disciples de Savonarole; puis on établit un échafaud en violents'amassait orage éclata sur Florence. Depuis longtemps cet
charpente, de cinq pieds de haut, de dix de targe et de qua- orage sur la ville, sans que personne eût remar-
que ce qui se passait au ciel, tant chacun avait les yeux Sxés ouvrit sa cellule et parut sur le seuil. Il y eut alors un ins-
sur la terre. JI tomba de tels lorrens de pluie, que le feu tant d'hésitation parmi ces hommes habitués tremhierdc
qu'on vcnaitd'aliumcr fut éteint à l'instant même, sans vant lui mais deux arrabiati s'étant jetés sur lui et ayant
qu'il fut possible de le ranimer, quoiqu'on y jetât toutes les crié Au 6ticA<'r, l'hérétique! au gibet, le /~u~ propre.' On
torches qu'on pût se procurer, et quoiqu'on apportât du feu fit sortir Savonarole pour le conduire dh'fCtement au sup-
et des tisons cnflammés de foutes les maisons qui donnaient plice et ce ne fut qu'avecgrand'peine que deux magistrats,
surlapincc. accompagnésd'un corps de troupes réuni )a hâte au bruit
Dès lors la foute se crut jouée et comme les uns criaient de cette émeute, parvinrent à l'arracher des mains de cette
que l'empêchement était venu'des Franciscains, tandis que populace, en lui promettant que justice serait faite, et qu'elle
les autres aflirmaient qu'il avait été suscité par les disciples ne perdrait rien à attendre.
de Savonarole, le peuple fit indistinctement retomber la res- En effet, le 25 mai, c'est-à-dire quarante-deux jours après
ponsabilité de son désappointement sur les deux champions, l'épreuve qui avait échoué, un second bûcher s'élevait sur la
et les prit tous deux en mépris. Aux cris qu'elle entendit place du palais. Un poteau se dressait au milieu de ce bû-
pousser, aux démonstrations hostiles qu'elle vit faire, la cher, et ce poteau étaient liés trois hommes; ces trois
seigneurie donna ordre à la foule de se retirer; mais, mal- hommesétaient frère Jérôme Savonarole, Dominique Bonvi-
gré la pluie qui continuait de tomber par torrens, personne cini, et Silvestre Maruni, qui se trouvait là on ne sait trop
n'obéit. Force fut donc à la fin aux deux adversaires de tra- comment, et auquel on avait fait son procès par-dessus le
verser la foule. C'était là qu'on les attendait. Frère Rondi- marché. Aussi )e peuple, auquel on avait tenu plus que pa-
nelli fut reconduit à grands coups de pierre, au milieu des role, semblait-il parfaitementsatisfait.
Huées, et rentra à son couvent tout meurtri et avec sa robe Savonaroleexpira comme il-avait vécu, les yeux au ciel,
en lambeaux. Quant à Savonarole, il sortit comme il était et si fort détaché de la terre que la douleur ne lui fit pas
entre, le Saint-Sacrement à la main et grâce à celle sainte pousser un cri. Déjà )e moine et ses disciples étaient enve-
sauve-garde, il parviut, sans accident, lui et les siens, jus- ioppésdenammes, qu'on entendait encore t'hymne saint
qu'à la place Saint-Marc, où était situé son couvent. qu'ils chantaient en chœur, et qui, d'avance, allait frapper
Mais de ce jour le prestige fut détruit Savonarole ne fut pour eux à la porte du ciel.
plus, même pour le peuple, un moine fanatique, il fut un Ce fut ainsi que s'accomplit la dernière prédiction de Sa-
faux prophète. Frère François de Pouille, cet envoyé d'A- vonarole.
lexandre, duquel était partie la première proposition, et qui Mais a peine fut-il mort, que le souvenir de toute sa vie et
était reste en arrière dès qu'il avait vu les Franciscains et )e spectacle de ses derniers monu ns, si bien en harmonie
les Dominicains s'engager, profita habilement de cette dé- avec ce souvenir, firent ouvrir les yeux aux plus aveugles
ception pour animer contre Savonarole tout ce qu'il avait ceux qui avaient réei~ement intérêt !) poursuivre sa mé-
d'ennemis dans Florence. Ces ennemis étaient d'abord tous moire comme ils avaient catomnié sa vie, continuèrent seuls
ceux qui maintenaient une excommunicationcomme valable, à biasphémer son nom. Mais ce peuple, qui avait toujours
quelle que fût ia moralité du pape qui l'aurait lancée. C'é- trouvé en lui un consolateur et un ami, sentit bientôt que
taient ensuite tous les partisans des Médicis, qui croyaient ce consolateur et cet ami lui manquait. H chercha autour de
que l'influence seule de Savonarole s'opposait à leur retour, lui sur la terre, et, ne le trouvant plus t~, il espéra le re-
et qui portaient tant d'ardeur dans leur opinion politique, trouver au ciel.
qu'on les appelait les arrabiati ou les enragés. Un an après, au jour anniversaire de sa mort, la place où
Aussi, le lendemain, dimanche des Rameaux, lorsque Sa- avait été dressé son bûcher était couverte de Oeurs. On ne
vonarole monta en chaire pour cxp)iquer sa conduite de la put découvrir quelle main avait déposé ces fleurs sur la
veille, les cris de bas le /aua;propMte~ f! à bas l'hérétique 1 tombe de Savonarole; chacun dit que c'étaient les anges qui
à bas ~e~'coNtmuM'e.' se firent entendrede tous côtes, renou- étaient descendus pour célébrer la fête du martyr. Chaque
velés avec tant d'acharnement que Savonarole, dont la voix année, ce tribut alla en augmentant; mais, comme à chaque
était faible, ne put dominer ce tumulte. Alors Savonarole, anniversaire cet hommage religieux amenait quelques rixes
voyant qu'il avait perdu toute son influence sur le peuple, nouvelles, Cosmeï"r résolut d'y mettre tin. Si puissant qu'il
qui, la veille encore, écoutait ses moindres paroles à genoux, fut, il n'osa point heurter de face les sympathies popu-
se couvrit la tête de son capuchon, et se retira dans la sa- laires il ordonna seulement à l'Ammanato de bâtir une
crislie puis, de la sacristie, gagna, sans être vu, son cou- fontaine :) cette place. L'Ammanato obéit, et la statue de
vent. Mais cette retraite n'avait point désarme les ennemis Neptune s'éleva bientôt à la place où avait été dressé le
de Savonan'ie. et ils résolurent de )e poursuivre à son cou- bûcher.
vent, où ils présumèrent avec raison qu'il s'était retiré. Les Près de Neptune est la statue équestre de Cosme I", )a
cris A 5a:'n<-Ayarc.' à Saint.Marc! se firent entendre. Ces meilleure des quatre statues du même genre qu'ait faites
cris, poussés par les rues, ameutèrent tous ceux chez les- Jean de Bologne les trois autres sont, je crois, celles de
quels ils cveiiiaieut ou l'intérêt ou la vengeance. Le noyau Henri IV, de Philippe II et de Ferdinand 1er.
d'insurrection se recruta à chaque pas, et bientôt la foule Voilà tout ce qu'on trouve sur cette magnifiqueplace, sans
alla battre les murs de Saint-Marc comme une marée qui compter la galerie des Offices qui y aboutit. Mais comme la
monte. A l'instant même les portes furent enfoncées, et le galerie des Offices ne peut être parcourue en une heure,
flot populaire se répandit dans le couvent. nous remîmes à un autre moment la visite que nous comp-
Se doutant que c'était ù lui que l'on en voulait, Savonarole tions lui faire.

FIN D'UNB ANNEE A FI.ORENCB ET DU TOME BUtTtÈME.


TABLE DES CHAPITRES D'UNE ANNÉE A FLORENCE.

jtoprovisation.
l.e :ac de Cuges et la fontaine de Rougiez.. 399
Livourne.
GenestafSuperbe.
Tonton.
3&&

Marsei))een93. 332
itatiennes. 359

Florence.
334 Républiques 365
BoutedeLiyourneaFtorence.
FrereJeau-Bapt'ste.
).ego)feJuan. fer
337
340
34t Pergola.
La
Sainte-Marie-des-Fteure.
370
373
37t
1,'Homme au Masque de
LeMpitaineLangtet.
LaphncipautcdeMonaco.
344
348 Riccardi.
palais
Le Patais-Vieux.
Le
377
386

LarivièredeGênes. MO
353 La place du
390
Grand-Duc. ,9M~

FIN DE LA TABLE D'UNE AMKÉE A FLORENCE.

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