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Loïc Depecker
DOI 10.3917/lang.157.0006
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refroidissement à pluie d’eauþ; refroidir, refroidir par l’eau, refroidir par l’air, refroidir par
ventilateur, refroidir brutalement, etc. Unités spécialisées qu’on appellera «þunités
terminologiquesþ» plutôt que termes, en raison de la variété et de la complexité des
formants linguistiques entrant dans leur composition (un 4x4, sur lequel se crée
même 4x4-teur, l’adepte du 4x4…). Même s’il y a continuum entre langue commune
et langue spécialisée, ces unités ont la particularité d’être utilisées dans des secteurs
techniques ou scientifiques.
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Contribution de la terminologie à la linguistique
Cela peut paraître anodin. Mais les langues réagissent à la notion de technicité que
peut produire un environnement technique ou scientifique. La technicité induit par
exemple la spécialisation de certaines unités linguistiques. Force, au sens de la
physique, se rend en anglais par forceþ; au sens de capacité musculaire, par force en
français, mais par strength en anglais. Et la répartition par domaine peut induire des
répartitions différentes d’une langue à l’autreþ: résultat se distribue en polling result
(résultat d’un vote), outcome of the race (résultat d’une course), earnings before taxes
(résultat avant impôts), etc. D’où le risque, dans le cas où une langue homonymise
deux concepts, qu’une autre langue les distingue, requérant donc deux traductions
différentes. Ainsi, action et résultat de l’action sont souvent confondus en français (la
photographie – photography –, n’est pas une photographie, – picture –). L’enjeu qui s’en
dégage pour la terminologie est d’une importance majeureþ: c’est la technicité de
l’environnement où est prise l’unité linguistique qui commande son sens par appar-
tenance à un domaine particulier, et donc l’équivalent en langue étrangère. Spécialisa-
tion doit donc être entendu comme le sens spécial qu’une unité linguistique prend
par technicité, sans qu’il y ait forcément de marque formelle. Il y a bien là continuum
entre langue commune et langue spécialisée. Cette spécialisation peut être le fait
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La terminologie : nature et enjeux
terminologie. C’est dire que cette présentation est phénoménologique et axée sur
les choses. Car la terminologie est une discipline éminemment pratique et
tournée vers le monde. Elle tient en cela de la démarche du scientifique, qui
décrit les propriétés des objets en les conceptualisant et en les classant.
Pour correspondre à cette démarche, c’est de concept que l’on parle en termino-
logie plutôt que de notion 1. Concept induit conceptualiser et conceptualisation. Et bien
sûr concevoir et conception. De plus concept renvoie à percept, notion répandue en
psychologie et utile pour comprendre la liaison des langues aux réalités qu’elles
décrivent. Dans le même ordre d’idées, on parle d’objet en terminologie pour toute
entité décrite (objet, produit, processus, etc.). Mais le référent n’est pas l’objetþ: je
peux toucher, percevoir, observer un objet, non un référent. Le référent est de l’ordre
du symbolique, du signe, il ouvre sur l’imaginaire et suscite des représentations. Et la
réduction sémique des unités terminologiques n’enlève nullement cette part de
représentation que porte tout signe. La terminologie a bien sûr à intégrer le référent
dans son analyse, notamment pour des raisons de connotations indésirables (centrale
atomique n’est pas centrale nucléaire). Mais elle ne saurait confondre le référent, repré-
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«þLe signifiant est auditifþ; le signifié conceptuelþ» (Dþ211) (Sources manuscrites, 1957,
p.þ255). Ce qui est repris dans l’édition Engler du Cours (S2.8, 1122)þ:
«þLe signifiant - Le signifié
(auditif) (conceptuel)
Crée le signeþ».
ce qui montre que pour Saussure, le signifié n’est pas le concept. Sinon, cela voudrait
dire que le concept disparaît dans le signe et qu’il ne saurait avoir d’existence indé-
pendante des langues. Le signifié n’est pas le concept, mais il est conceptuel. Il est la
représentation du concept dans le signe. Cela établit le lien entre terminologie et
linguistique. Cette constatation devrait aussi induire une remise en perspective du
signifiant, en s’appuyant notamment sur les langues à idéogrammes 2. Pour nous, la
distinction entre signe et concept est ce qui distingue la terminologie de la plupart
des théories linguistiques. Et même, c’est ce qui fonde la terminologie (Depecker,
1999, 2002, 2003 et passim).
4. LA DÉFINITION TERMINOLOGIQUE
N’EST PAS UNE DÉFINITION DE MOT
Comment prouver un peu plus que le concept est si essentiel en terminologieþ?
On peut tenter de faire la définition du terme conifère. Si l’on suit à la lettre ce que dit
le français, ce peut être un porteur de cônes, plus précisément de fruits en forme de
cônes. Si l’on prend l’allemand, Nadelbaum, c’est l’«þarbre à aiguilleþ». Dans d’autres
langues, on trouvera d’autres interprétations encore, les langues promenant à
2. Société française de terminologie, La terminologie discipline scientifique, col. Le savoir des mots,
Paris, 2004.
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chaque fois leurs fictions. Or il est impossible, en partant des langues, de faire une
définition universellement partageable, car l’une dira qu’il s’agit d’un porteur de
cônes, l’autre d’un arbre à aiguilles, etc. Il faut, en terminologie, se déprendre des
languesþ; et donc se garder de faire des définitions de mots. La philosophie médié-
vale avait déjà compris cela, de même que la philosophie classique – ainsi la Logique
de Port-Royal, particulièrement au chapitreþXII intitulé «þDu remède à la confusion
qui naît dans nos pensées et dans nos discours de la confusion des motsþ; où il est
parlé de la nécessité et de l’utilité de définir les noms dont on se sert, et de la diffé-
rence de la définition des choses d’avec la définition des nomsþ».
Pour échapper au piège des langues, il faut donc faire la remontée au concept
– concept construit à partir des propriétés de l’objet (la famille d’arbres en question),
et spécifié par ses caractèresþ: c’est une famille d’arbres, résineux pour la plupart,
aux feuillages à aiguilles, ils sont gymnospermes, etc. C’est là donner une définition
de conceptþ: c’est-à-dire une définition qui articule des caractères correspondant à
des propriétés d’objet. Définition de concept qui se rapproche de ce que la Logique de
Port-Royal nomme dans son chapitreþXIII «þdéfinition de choseþ». Il suffit en effet
Certes, la signification renvoie à elle-même (on ne fait que définir des mots par
des mots). Ce qui conduit à se méfier aussi des termes contenus dans la définitionþ:
glacé (qui peut signifier «þpris dans la glaceþ» ou «þavec des glaçonsþ»), contrôle (qui
oscille entre sens actif et sens passif), point (qui n’a pas de surface en mathémati-
ques), etc.
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