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CONTRIBUTION DE LA TERMINOLOGIE À LA LINGUISTIQUE

Loïc Depecker

Armand Colin | « Langages »

2005/1 n° 157 | pages 6 à 13


ISSN 0458-726X
ISBN 9782035770790
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Loïc Depecker, « Contribution de la terminologie à la linguistique », Langages
2005/1 (n° 157), p. 6-13.
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DOI 10.3917/lang.157.0006
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L oïc D epeck er
Université de la Sorbonne nouvelle (LEA/EA 1483)
Société française de terminologie
CNRS/Modyco

Contribution de la terminologie à la linguistique

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Le débat est ouvertþ: la terminologie fait-elle partie de la linguistique ou est-elle
une discipline à partþ? Il est sûr que la terminologie traite d’unités linguistiquesþ:
elle s’attache précisément à décrire dans les langues les unités spécialisées, ces unités
étant plus ou moins extensives et substitutivesþ: tour, tour de refroidissement, tour de
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refroidissement à pluie d’eauþ; refroidir, refroidir par l’eau, refroidir par l’air, refroidir par
ventilateur, refroidir brutalement, etc. Unités spécialisées qu’on appellera «þunités
terminologiquesþ» plutôt que termes, en raison de la variété et de la complexité des
formants linguistiques entrant dans leur composition (un 4x4, sur lequel se crée
même 4x4-teur, l’adepte du 4x4…). Même s’il y a continuum entre langue commune
et langue spécialisée, ces unités ont la particularité d’être utilisées dans des secteurs
techniques ou scientifiques.

1. TECHNICITÉ, SPÉCIALISATION, DOMAINE


Les unités terminologiques apparaissent et circulent dans des environnements et
des situations de discours particuliers (spécifications techniques, modes d’emploi,
consignes de mise en marché, etc.). Environnements et situations de discours déter-
minent des variations terminologiquesþ: on commercialise non pas de l’acide acétyl-
salicylique, nom scientifique, mais de l’aspirine, nom trivialþ; voire de l’Aspro, nom
commercial. Et un produit peut être commercialisé sous des noms particuliers en
fonction des pays. L’analyse terminologique tend à regrouper ces unités terminologi-
ques dans des ensembles structurés, appelés domaines. Ces domaines sont la projec-
tion terminologique de secteurs d’activité, de champs de connaissance, d’objets du
monde, etc. Dans cette reconstruction terminologique, la notion de «þspécialisa-
tionþ» est déterminante, car elle contribue à caractériser l’unité terminologique.
En l’absence, souvent, de marques formelles, le seuil entre langue commune et
langue spécialisée peut être minceþ: intervention est généralement un terme spécia-
liséþ; de même fonctionnement, dysfonctionnement, système, etc. Incident s’entend en
revanche communément comme un fait sans importance. Mais dans le domaine du
nucléaire, c’est un accident spécifié sur une échelle de valeurs. Et bien d’autres termes
pourront faire s’interroger sur leur dimension technique, tels phénomène, structure, etc.

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Contribution de la terminologie à la linguistique

Cela peut paraître anodin. Mais les langues réagissent à la notion de technicité que
peut produire un environnement technique ou scientifique. La technicité induit par
exemple la spécialisation de certaines unités linguistiques. Force, au sens de la
physique, se rend en anglais par forceþ; au sens de capacité musculaire, par force en
français, mais par strength en anglais. Et la répartition par domaine peut induire des
répartitions différentes d’une langue à l’autreþ: résultat se distribue en polling result
(résultat d’un vote), outcome of the race (résultat d’une course), earnings before taxes
(résultat avant impôts), etc. D’où le risque, dans le cas où une langue homonymise
deux concepts, qu’une autre langue les distingue, requérant donc deux traductions
différentes. Ainsi, action et résultat de l’action sont souvent confondus en français (la
photographie – photography –, n’est pas une photographie, – picture –). L’enjeu qui s’en
dégage pour la terminologie est d’une importance majeureþ: c’est la technicité de
l’environnement où est prise l’unité linguistique qui commande son sens par appar-
tenance à un domaine particulier, et donc l’équivalent en langue étrangère. Spécialisa-
tion doit donc être entendu comme le sens spécial qu’une unité linguistique prend
par technicité, sans qu’il y ait forcément de marque formelle. Il y a bien là continuum
entre langue commune et langue spécialisée. Cette spécialisation peut être le fait

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d’une stipulationþ: d’une décision de fixer un sens précis à telle ou telle unité. Les
effets de réduction sémique qui en résultent ouvrent des voies de recherche encore
peu explorées. Réduction qui peut d’ailleurs éclater en morceaux, comme dans le cas
de décharge atomique, terme brandi par les écologistes, au regard de la plus officielle
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et moins effrayante décharge nucléaire…


Ces mises en correspondance sont une occasion d’observer l’asymétrie des
langues et leur axiologie propre. On peut manier un manche de pioche, une poignée
de porte, un bras de brouette, une queue de poêle. Ce que l’anglais homonymise à
chaque fois sous un même terme, handleþ: comme une action conduite par la main.
En français, une extrémité est souvent assimilée à la tête par référence au haut du
corpsþ: une tête d’épingle, une tête de vis, une tête de Delco… D’autres langues, avec
d’autres schèmes, grouperont et dégrouperont ces sens à l’envi.
Ce genre d’observation permet de raisonner sur les manques de recouvrement et
de désignation entre langues et sur la manière d’y suppléer (néologisme, emprunt,
utilisation de termes génériques, périphrase désignative, reformulation, etc.).
L’analyse comparée des terminologies dans les langues reste encore peu exploitée,
sauf à l’état de pratique comme au Canada (notamment pour la traduction en fran-
çais de la Common Law), ou dans les services de traduction de la Commission euro-
péenne qui ont à gérer en permanence l’incapacité des langues (et souvent des
politiques) à se correspondre.

2. OBJET ET CONCEPTÞ: LE RÉFÉRENT N’EST PAS L’OBJET


Nous abordons le monde par perception, imagination, entendement. Nous
relevons dans les objets des propriétés (couleur, structure moléculaire, masse
atomique, rayonnement, etc.). Nous appréhendons les objets au travers des
concepts que nous nous en faisons. Nous identifions par là les objets en leur attri-
buant des caractères (en les caractérisant). On peut par exemple caractériser un
virusþ: en relever les propriétés. Et nous désignons ces concepts grâce à des
représentations symboliques (dessins, images, signes linguistiques, formules,
équations, etc.). Voilà un schéma simplifié par lequel raisonnablement entrer en

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La terminologie : nature et enjeux

terminologie. C’est dire que cette présentation est phénoménologique et axée sur
les choses. Car la terminologie est une discipline éminemment pratique et
tournée vers le monde. Elle tient en cela de la démarche du scientifique, qui
décrit les propriétés des objets en les conceptualisant et en les classant.
Pour correspondre à cette démarche, c’est de concept que l’on parle en termino-
logie plutôt que de notion 1. Concept induit conceptualiser et conceptualisation. Et bien
sûr concevoir et conception. De plus concept renvoie à percept, notion répandue en
psychologie et utile pour comprendre la liaison des langues aux réalités qu’elles
décrivent. Dans le même ordre d’idées, on parle d’objet en terminologie pour toute
entité décrite (objet, produit, processus, etc.). Mais le référent n’est pas l’objetþ: je
peux toucher, percevoir, observer un objet, non un référent. Le référent est de l’ordre
du symbolique, du signe, il ouvre sur l’imaginaire et suscite des représentations. Et la
réduction sémique des unités terminologiques n’enlève nullement cette part de
représentation que porte tout signe. La terminologie a bien sûr à intégrer le référent
dans son analyse, notamment pour des raisons de connotations indésirables (centrale
atomique n’est pas centrale nucléaire). Mais elle ne saurait confondre le référent, repré-

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sentation induite par un signe, avec l’objet dans le monde, sauf à confondre les objets
eux-mêmes en se laissant conduire par les languesþ: nul ne penserait à traduire litté-
ralement les termes d’une langue dans une autre, sauf à vouloir réécrire à chaque
instant Sky my Husbandþ!
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Mais pourquoi ne pas en rester aux langues elles-mêmes puisque la terminologie


a affaire à des unités linguistiquesþ? La réponse est simpleþ: parce que les langues
sont trompeuses. C’est bien au piège des langues que le terminologue cherche à
échapper. Au piège des homonymes et faux amisþ: cámara correspond en espagnol à
appareil photo, caméra se disant généralement filmadora. La limite souvent absurde
étant pour le terminologue de pallier le manque d’objet dans une société donnée ou
l’impossibilité de recouvrement d’une langue à l’autreþ: comment traduire juge
d’instruction en anglais britannique, quand en Angleterre l’instruction est menée par
la policeþ?

3. CONCEPT ET DÉSIGNATIONÞ: LE SIGNIFIÉ N’EST PAS LE CONCEPT


Pour mener l’analyse, il est nécessaire de s’appuyer sur l’élément pivot que
représente le concept. Unité de pensée susceptible d’être soumis à des processus
vérifiables, le concept est d’ordre logique (il relève des opérations valides de la
pensée). C’est cette dimension logique qui le rend universellement partageable.
Identifier des objets et construire des concepts constituent la démarche même des
scientifiques. Ainsi pour nommer les espècesþ: il s’agit pour eux d’énumérer les
éléments caractéristiques d’une espèce par rapport à une autre et d’en construire le
concept. C’est dire qu’il faut pouvoir regrouper de façon indubitable autour de
chaque concept les synonymes qui y renvoient. Loin que la terminologie se résume à
de simples bijections – un concept pour une désignation et une désignation pour un
concept –-, les processus de la synonymie sont constamment à l’œuvreþ: image de
satellite, image du satellite, image transmise par le satellite, image satellitaire, etc. Ces

1. ISO, Norme internationale ISOþ1087, Travaux terminologique Vocabulaire, Partieþ1þ: Théorie et


application (français et anglais), Afnor, NF ISOþ1087-1, Février 2001, p.þ1.

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Contribution de la terminologie à la linguistique

termes produits et pris en discours, indices de reformulations, doivent pouvoir être


regroupés. La difficulté redouble quand il s’agit de traduire d’une langue à l’autre, ce
travail de regroupement synonymique devant souvent être fait dans chaque langue,
particulièrement pour transposer degrés de technicité, points de vue, registres de
langue, etc. La synonymie à l’œuvre ici est d’ordre référentiel, les synonymes étant
regroupés, dans la pratique terminologique, par rapport au concept qu’ils dési-
gnentþ: réunit-on image de satellite, image du satellite, image transmise par le satellite,
image satellitaire, voilà quatre termes pour un concept. Ce qui donne une description
possible du terme (ou unité terminologique)þ: un terme est au moins une désignation
(unité linguistique) liée à un concept déterminé (image issue de données enregistrées
par un capteur non photographique à bord d’un satellite).
La notion de «þsigne linguistique constitué d’un signifiant et d’un signifiéþ»
peine à rendre raison de cela. La linguistique d’inspiration saussurienne vit sur l’une
des illusions produites par la lecture du Cours de Ferdinand de Saussureþ: le signifié,
étant substitué au concept, est le concept. Mais c’est là un effet de texte. Voici ce que
les rédacteurs du Cours écriventþ: «þNous proposons de conserver le mot signe pour

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désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par
signifié et signifiantþ» (1972 [1916], p.þ99). Les manuscrits, particulièrement les notes
de cours des étudiants, ne disent pas cela. Ainsi l’étudiant de Saussure George
Dégallier noteþ:
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«þLe signifiant est auditifþ; le signifié conceptuelþ» (Dþ211) (Sources manuscrites, 1957,
p.þ255). Ce qui est repris dans l’édition Engler du Cours (S2.8, 1122)þ:
«þLe signifiant - Le signifié
(auditif) (conceptuel)
Crée le signeþ».
ce qui montre que pour Saussure, le signifié n’est pas le concept. Sinon, cela voudrait
dire que le concept disparaît dans le signe et qu’il ne saurait avoir d’existence indé-
pendante des langues. Le signifié n’est pas le concept, mais il est conceptuel. Il est la
représentation du concept dans le signe. Cela établit le lien entre terminologie et
linguistique. Cette constatation devrait aussi induire une remise en perspective du
signifiant, en s’appuyant notamment sur les langues à idéogrammes 2. Pour nous, la
distinction entre signe et concept est ce qui distingue la terminologie de la plupart
des théories linguistiques. Et même, c’est ce qui fonde la terminologie (Depecker,
1999, 2002, 2003 et passim).

4. LA DÉFINITION TERMINOLOGIQUE
N’EST PAS UNE DÉFINITION DE MOT
Comment prouver un peu plus que le concept est si essentiel en terminologieþ?
On peut tenter de faire la définition du terme conifère. Si l’on suit à la lettre ce que dit
le français, ce peut être un porteur de cônes, plus précisément de fruits en forme de
cônes. Si l’on prend l’allemand, Nadelbaum, c’est l’«þarbre à aiguilleþ». Dans d’autres
langues, on trouvera d’autres interprétations encore, les langues promenant à

2. Société française de terminologie, La terminologie discipline scientifique, col. Le savoir des mots,
Paris, 2004.

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La terminologie : nature et enjeux

chaque fois leurs fictions. Or il est impossible, en partant des langues, de faire une
définition universellement partageable, car l’une dira qu’il s’agit d’un porteur de
cônes, l’autre d’un arbre à aiguilles, etc. Il faut, en terminologie, se déprendre des
languesþ; et donc se garder de faire des définitions de mots. La philosophie médié-
vale avait déjà compris cela, de même que la philosophie classique – ainsi la Logique
de Port-Royal, particulièrement au chapitreþXII intitulé «þDu remède à la confusion
qui naît dans nos pensées et dans nos discours de la confusion des motsþ; où il est
parlé de la nécessité et de l’utilité de définir les noms dont on se sert, et de la diffé-
rence de la définition des choses d’avec la définition des nomsþ».
Pour échapper au piège des langues, il faut donc faire la remontée au concept
– concept construit à partir des propriétés de l’objet (la famille d’arbres en question),
et spécifié par ses caractèresþ: c’est une famille d’arbres, résineux pour la plupart,
aux feuillages à aiguilles, ils sont gymnospermes, etc. C’est là donner une définition
de conceptþ: c’est-à-dire une définition qui articule des caractères correspondant à
des propriétés d’objet. Définition de concept qui se rapproche de ce que la Logique de
Port-Royal nomme dans son chapitreþXIII «þdéfinition de choseþ». Il suffit en effet

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d’analyser la catégorie d’objets concernée pour vérifier la pertinence de cette cons-
truction conceptuelle. Et si l’on n’était convaincu du danger de la définition de mot,
il suffit d’observer l’anglais pineapple (ananas)þ: la définition de mot donne littérale-
ment «þpomme de pinþ»…
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Certes, la signification renvoie à elle-même (on ne fait que définir des mots par
des mots). Ce qui conduit à se méfier aussi des termes contenus dans la définitionþ:
glacé (qui peut signifier «þpris dans la glaceþ» ou «þavec des glaçonsþ»), contrôle (qui
oscille entre sens actif et sens passif), point (qui n’a pas de surface en mathémati-
ques), etc.

5. RAPPORTS ENTRE UNITÉ TERMINOLOGIQUE,


DÉFINITION ET ARBORESCENCE
Un concept ne se conçoit pas seulþ: chaque concept entre nécessairement en rela-
tion avec d’autres concepts, ces ensembles tendant à s’organiser en systèmes. Les
relations entre concepts, particulièrement les relations génériques (genre-espèce/
espèce-genre), partitives (partie-tout/tout-partie), temporelles et topologiques 3
permettent de lier ces concepts en des systèmes de concepts facilitant les correspon-
dances entre langues. Les recherches sur la notion d’arborescence terminologique
sont encore embryonnaires, au point que certains se posent la question de son utilité.
Mais son rapport à l’unité terminologique et au travail de la définition est essentiel.
Soit le passage suivant, qui traite de la préparation de l’exploration martienneþ:
«þUn lidar – sorte de radar laser – analysera la composition de l’atmosphère. Le
programme initial comprend trois mois de travailþ» (Libération, vendredi
3þdécembre 1999, p.þ31). Le texte explicite la relation entre concepts qui lie lidar à
radar laserþ: un lidar est un type de radar laser. Il s’agit donc d’une relation entre un
genre (radar laser) et une espèce (ici un type). À savoir une relation générique

3. ISO, Norme internationale ISOþ704, Travail terminologique-Principes et méthodes (français et


anglais), 2eþédition, 2000, 41þp.þ; Loïc Depecker, Entre signe et conceptþ: éléments de terminologie
générale, Presses de la Sorbonne nouvelle, Paris, 2002, 200þp.

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Contribution de la terminologie à la linguistique

(ISOþ704, 2000). Si l’on dresse une arborescence terminologique, c’est-à-dire avant


tout conceptuelle, on trouve qu’un radar laser est un radarþ; qu’un radar est un capteur
actif, qu’un capteur actif est un capteur, etc. On peut de cette façon lire l’arborescence
comme une définition terminologique, de par l’héritage des propriétésþ: un lidar est
un radar laser, qui est un capteur actif qui… On peut également redescendre l’arbores-
cenceþ: parmi les types de capteur actifs, il y a le radar laser, parmi les radars lasers il y
a le lidar, parmi les lidars il y a le lidar imageur, etc. Il est donc possible de lire une
arborescence comme une définition et une définition comme une arborescence –
exemple de plus de l’articulation logique sur laquelle repose l’analyse terminolo-
gique. On s’aperçoit de plus que par rapport à une arborescence conceptuelle, les
langues organisent leur lexique selon leur axiologie propre, avec par exemple des
manques lexicaux. De ce fait, les notions d’hyperonymie et d’hyponymie sont fonda-
mentalement des relations en langue, comme le sont la synonymie ou l’homonymie.
Il y a là des voies de recherche nouvelles et encore peu exploitées, sur la question
des rapports entre points de vue, directions, axes des arborescencesþ; sur les types de
groupements possibles en fonction des applicationsþ; sur les articulations entre

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langues et systèmes de concepts, etc. Ces problématiques intéressent directement la
construction d’ontologies telle qu’on les voit actuellement dans les entreprises, la
recherche documentaire (notamment les moteurs de recherche Internet), l’organisa-
tion de bases de connaissances, de systèmes experts, etc.
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6. PERSPECTIVES SUR LES LANGUES

On observe sur ces quelques remarques que le terminologue cumule plusieurs


points de vue. S’il a à extraire des unités terminologiques à partir de textes d’une
même langue, il travaille dans l’intralinguistique. Pour juger de la correspondance
entre objets et unités terminologiques, il doit remonter aux concepts, c’est-à-dire à un
niveau supralinguistique. S’il a à décrire des objets, il doit se transporter dans l’extra-
linguistique et observer ce qu’il en est de leurs propriétés pour définir et nommer des
objets adéquatement. Et s’il exerce dans le champ de la traduction, il doit faire corres-
pondre l’analyse effectuée dans une langue avec celles nécessaires pour la traduction
dans d’autres languesþ: il travaille alors dans l’interlinguistique. Ce sont les princi-
pales perspectives que le terminologue peut avoir tour à tour, de façon plus ou moins
consciente.
Cette description peut paraître idéale. Il y a des cas où l’on n’est pas sûr de
l’objet, de la pertinence du concept, du sens qu’une unité linguistique peut avoir, du
sens même que le rédacteur d’un texte a voulu transmettre, etc.
Ce qui est sûr, c’est que la plupart des recherches en linguistique laissent
plusieurs de ces perspectives quasiment vierges. L’extralinguistique est peu abordé
de cette façon. Même la théorie des noèmes (notamment Pottier, 1992), qui pousse
loin l’analyse du côté du supralinguistique, s’arrête en chemin car elle ne considère
pas les concepts comme susceptibles d’être indépendants des languesþ: alors que
c’est là une démarche habituelle à l’ingénieur ou au scientifique. Et même si l’on voit
la dimension conceptuelle introduite par un sémanticien comme Alan Cruse
(Meaning in Language, An Introduction to Semantics and Pragmatics, 2000), elle est toute
récente et n’avait pas été exploitée auparavant (Lexical Semantics, 1986). Et nulle part
encore ces différentes perspectives ne se trouvent abordées de front.

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La terminologie : nature et enjeux

7. POUR UNE CONCEPTOLOGIEÞ:


VERS UNE THÉORIE DE LA TERMINOLOGIE
Pour nous, le niveau conceptuel, d’ordre logique, reste primordial. Sur ce point
au moins, on perçoit ce qui continue de manquerþ: une conceptologie, science des
concepts, qui aurait au moins à prendre en considération l’organisation des sens
dans les langues et le niveau conceptuel à construire pour faire se correspondre les
langues autour des mêmes objets.
On voit poindre ici des voies nouvelles pour la linguistique. De notre point de
vue, la pratique terminologique nécessite qu’on fasse le partage entre le linguistique
et le conceptuel, entre ce qui est de l’ordre des langues et ce qui est de l’ordre de la
pensée logique. C’est précisément ce que l’on fait quand on distingue entre signifié et
concept. C’est d’ailleurs sans doute là le point de partage entre la linguistique, telle
qu’elle a été conçue jusqu’à présent, et la terminologie. Et même, pour nous, la
distinction entre concept et signifié fonde la terminologie.

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Sitôt fait le partage entre linguistique et conceptuel, beaucoup d’analyses sont
possibles. On peut par exemple décrire les rapports des signes aux concepts. Ainsi
est-il très rare de n’avoir qu’un concept pour un signe (icebergþB22). Mais il est extrê-
mement fréquent qu’un concept soit désigné par plusieurs signes. Il faudrait aller
plus loin en comparant les éléments du concept (les caractères) avec les éléments du
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signe (sèmes et représentations idéographiques notamment). On peut également


aller des objets (avec leurs propriétés) aux concepts (qui caractérisent ces propriétés),
puis aux signes (qui les synthétisent en des schèmes particuliers aux langues). Y
analyser par exemple le degré de «þmimologieþ». On voit alors émerger sous un
autre jour le jeu des représentations, qui sont de l’ordre de l’imaginaire. La question
de la représentation reste encore, de notre point de vue, peu exploitée en termino-
logie. Il faudrait par exemple pouvoir manier des unités de représentations suscepti-
bles de relier ces différents niveaux.
Pour nous, donc, il serait fructueux de revoir plusieurs points de la linguistique
en perspective de ce qu’apporte la pratique de la terminologie. Cela contribuerait
sans doute, en retour, à construire une théorie de la terminologie ou, à défaut, des
éléments de théorie, dont le manque se fait cruellement sentir.

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Contribution de la terminologie à la linguistique

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