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« MIRBEAU BATAILLE POUR MOI »1

ARISTIDE MAILLOL ET OCTAVE MIRBEAU

« Mirbeau bataille pour moi2 »

Le critique d’art Octave Mirbeau est considéré comme le découvreur d’Aristide


Maillol (1861-1944), ou au moins comme l’un d’entre eux. Maillol vient de Banyuls-sur-Mer,
village de pêcheurs situé à proximité de la frontière espagnole, sur la côte méditerranéenne. Il
étudie la peinture à Paris, et, dans les années 1890, expose dans la section Objets d’Art du
Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts (SNBA). Il devient sculpteur peu après, et est
considéré comme le représentant le plus significatif de sa génération en France et dans le
monde.

L’exposition Maillol à la galerie Vollard

C’est certainement grâce à cette manifestation que Mirbeau découvre le travail de


Maillol. Première exposition monographique de l’artiste, elle a lieu du 16 au 30 juin 1902, et
regroupe 33 œuvres : des tapisseries, des objets d’art, et, pour la première fois, un nombre
notable de sculptures, environ une vingtaine. La seule sculpture citée dans le catalogue est
Léda, la plus célèbre des petites sculptures de Maillol. C’est justement celle dont Mirbeau fait
l’acquisition. En 1919, à la vente aux enchères de la succession Mirbeau, le bronze est acheté
par le collectionneur suisse Oskar Reinhart3 (ill.1). Cette Léda est le premier bronze
documenté de Maillol, c’est-à-dire dans la chronologie de son œuvre, le plus ancien connu
avec certitude. A la suite de ce premier achat, Mirbeau acquiert de quelques autres œuvres de
Maillol.

Aristide Maillol, Léda, vers 1900,


Collection Oskar Reinhart am Römerholz, Winterthur (ancienne collection Mirbeau)

1
François Bassères, Maillol mon ami, Perpignan, 1979, p. 90.
2
François Bassères, Maillol mon ami, Perpignan, 1979, p. 90.
3
Maria-Antonia Reinhard-Felice (Ed.),: Sammlung Oskar Reinhart ‘Am Römerholz’, Winterthur, Gesamtkatalog,
Basel 2003, n°183 (Emmanuelle Héran).

1
Octave Mirbeau s’intéresse également à la jeune génération de créateurs, par exemple
aux peintres du groupe Nabi, auquel Maillol n’est que faiblement lié 4. Il est possible que l’un
d’entre eux ait indiqué à Mirbeau l’exposition de ce sculpteur jusqu’alors inconnu. Est-ce
ÉEdouard Vuillard, Ambroise Vollard, ou Auguste Rodin, qui a signalé l’exposition à
Mirbeau ? Cela reste difficile à déterminer, mais il est évident qu’un artiste, exposé dans l’une
des galeries les plus importantes de Paris, pouvait être découvert par plus d’un.

La Léda est l’un des premiers chefs-d’œuvre de Maillol, et Mirbeau rapporte les
paroles élogieuses de Rodin à son sujet : « Maillol est un sculpteur aussi grand que les plus
grands… Il y a là, voyez-vous, dans ce petit bronze, de l’exemple pour tout le monde […]. Je
suis heureux de l’avoir vu5 ».

La bataille pour le monument à Zola

Mirbeau a dû être très impressionné par sa visite de l’exposition Maillol et par la


présence de la Léda dans son appartement. Il conçoit alors une idée tout à fait étonnante :
celle d’obtenir pour Maillol, sculpteur du petit format, la commande d’un grand monument à
Zola.
L’auteur de « J’accuse ! » meurt le 29 septembre 1902. Tout de suite, à l’initiative de la
Ligue des Droits de l’Homme, un comité de 14 membres est créé afin d’ériger un monument
et de collecter des fonds. Il se réunit pour la première fois le 28 octobre 1902, quatre semaines
après le décès de Zola, et Mirbeau est l’un de ses trois vice-présidents. ÀA ses yeux, Rodin
est le sculpteur qui doit créer un tel monument, mais celui-ci décline l’offre. C’est pourquoi
Mirbeau propose soudain Maillol. ÀA partir des discussions de la première réunion du
comité, Mirbeau crée un texte satirique, aussi palpitant que piquant, qu’il n’a pas publié à
l’époque. Il paraît pour la première fois de manière posthume 6. Quelques extraits de ce texte
permettent de sentir l’atmosphère tendue des échanges entre ses membres : .

« Je proposai Aristide Maillol. […]. Aucune pensée de camaraderie ne m’avait incité à ce


choix. […] Je ne trouvais pas, à défaut de Rodin, un statuaire plus digne de cette mission que
Maillol […]. / On me regarda avec étonnement, d’abord, avec méfiance, ensuite. Dans ce
milieu technique, on connaissait peu Maillol, autant dire, bravement, qu’on ne le connaissait
pas du tout. Il ne faut pas en être surpris. C’est […] le traditionnel privilège des commissions
dites techniques, exécutives ou d’étude, qu’elles ignorent à peu près tout des questions
soumises à leur incompétence […].
Il me semblait pourtant que c’eût été d’un bon exemple et d’une pensée délicate de confier à
un homme jeune, d’un talent admirable, un monument qui célébrât, avec beauté, la gloire du
grand écrivain, lequel, toute sa vie, avait été l’ennemi de la routine7 ».
Mirbeau note scrupuleusement les arguments de ses opposants :

4
Paul-Henri Bourrelier, « Octave Mirbeau et l’art au début du XX e siècle », in Cahiers Octave Mirbeau, n° 10,
mars 2003, pp. 167-188.
5
Octave Mirbeau, Aristide Maillol, Paris, Société des dilettantes, 1921, p. 29.
6
Le texte est écrit en novembre 1904. Octave Mirbeau, « Sur la statue de Zola », in Combats esthétiques, vol. 2,
Paris, Séguier, 19931, pp. 357–366.
7
Mirbeau, 19931, pp. 357/358.

2
« – Mais si j’ai bien compris, M. Aristide Maillol n’est pas un moderne. C’est un Éégyptien…
un Ggrec […]. M. Maillol saura-t-il faire une redingote ? 8 ? »
C’est là la question qui semble cruciale, et sur laquelle Mirbeau revient à plusieurs reprises.
Les membres de la commission ne semblent pas tous connaître Maillol, certains le
connaissent seulement par ouï-dire. L’un d’entre eux demande :
« Qu’est-ce qu’il fait, ce Maillol ? … On me dit qu’il fait des petites bonnes femmes nues…
Des petites bonnes femmes gréco-latines… Mais quel rapport ces petites bonnes femmes nues
ont-elles avec Zola ? ».
Mirbeau réplique que ces détails caractéristiques ne doivent pas être surestimés :
« Je pense d’ailleurs que nous devons laisser à l’artiste le libre choix des ses
arrangements… ».
Quelqu’un lui rétorque :
« Il ne s’agit pas de l’art de Maillol […]. Votre Maillol nous fera du Maillol, n’est-ce pas ? …
Il ne nous fera pas du Zola. Eh bien, ce que nous voulons c’est que l’artiste que nous allons
nommer nous fasse du Zola, s’engage, solennellement, à nous faire du Zola »9 ».
Enfin, quelqu’un souligne :
« “Monsieur … Mailllol … n’a encore modelé que de toutes petites statues – bibelots
charmants, soit, mais bibelots 10. ».
AÀ ce reproche, Mirbeau répond en forçant certainement la vérité :
« Maillol a modelé de grandes statues. Mais cela n’a aucune importance… Une statue, quand
elle est belle, n’est ni petite, ni grande … Elle est, voilà tout ! » 11 ! ».

Malgré le caractère frustrant de cette première réunion du comité, Mirbeau ne se résigne pas.
Avec Rodin, il se lance dans une campagne acharnée en faveur de Maillol. C’est ce que noten
en date du 4 janvier 1903 dans son journal intime 12, le comte Harry Graf Kessler, futur grand
mécène de Maillol. Claude Monet se rallie aussi à la cause de Maillol : dans une lettre13 du 15
janvier 1903, il note à dessein que, ’à l’exception de Rodin, « seul Maillol est évoqué dans les
débats ». Pourtant, Kessler émet des doutes sur les chances de succès de la campagne : il
craint la jalousie des autres artistes, surtout avec 50. 000 francs à gagner. Mirbeau ajoute
d’ailleurs qu’il s’agit en fait de 90 .000 francs14.

Après plusieurs réunions, à la fin février 1903, le comité décide de confier au sculpteur belge
Constantin Meunier le monument à Zola15. Maillol n’obtient que quatre voix16, et relate les
événements concernant cette commande dans des courriers. Il écrit à son ami le peintre
hongrois Rippl-Rónai : « Cette année on parle beaucoup de moi à Paris. J’ai failli avoir à
faire le monument à Émile Zola. J’ai été choisi dans les trois, et dans ces trois on a choisi
Constantin Meunier. Ce serait trop long à vous raconter, mais Mirbeau a beaucoup discuté
pour moi »17 ». Le 27 mars 1903, il raconte à un autre ami : « J’ai été à deux doigts de l’avoir.

8
Mirbeau, 1991, p. 358.
9
Mirbeau, 19931, pp. 362/363.
10
Mirbeau, 19931, pp. 357–366, v. p. 362.
11
Mirbeau, 19931, p. 364.
12
Harry Graf Kessler, Das Tagebuch 1880–1937, Stuttgart, Cotta, 2004, vol. 3, p. 530.
13
Lettre du 15 janvier 1903 à Théodore Duret, Musée du Louvre, département des arts graphiques, A 3237.
14
Mirbeau, 1921, p. 11.
15
Linda Konheim Kramer, Aristide Maillol. Pioneer of Modern Sculpture, Ann Arbor, UMI Dissertation
Services, 2000, p. 93.
16
Mirbeau, 19931, p. 365.
17
Rippl-Rónai et Maillol, catalogue d’exposition, Budapest, Galerie Nationale Hongroise, 2015, p. 347.

3
[…]. En ce moment il n’y a presque plus d’espoir, mais on ne sait jamais. Mirbeau bataille
pour moi18 ». Dans ces deux lettres, tout comme dans sa réaction vis-à-vis de Mirbeau, Maillol
ne paraît pas déçu19, il pense que cette « publicité » est bénéfique pour son art.

Le troisième sculpteur présélectionné aux côtés de Meunier et Maillol est soit Emile- Antoine
Bourdelle, soit Alexandre Charpentier. Bourdelle, ami d’études de Maillol, nourrit de grands
espoirs pour cette commande, et est très fâché contre Mirbeau qui ne le défend pas :
« Mirbeau crie qu’il n’y a au monde qu’un sculpteur, MAILLOL, le tapissier !!!!20 ! ! ! ! ».
Bourdelle se détourne alors de Maillol, et il n’y aura jamais de réconciliation entre eux.

L’élu du comité, Constantin Meunier, souhaite d’abord refuser la commande, tant à cause de
sa santé précaire et de son âge avancé, que de son sentiment de ne pas être légitime, en tant
que Bbelge, pour ce thème spécifiquement français. Pour résoudresolutionner ce problème, il
est décidé qu’Alexandre Charpentier, qui avait concouru, devrait assister Meunier.
Même si Mirbeau a démissionné du comité, il continue à commenter les événements :
« Au bout d’une très longue année, Constantin Meunier et M. Alexandre Charpentier
présentèrent à la commission une maquette, pas très heureuse, dit-on. Elle fut jugée
insuffisante. »21 ». (ill. 2?)

Les ambiguïtés liées aux préparatifs de la commande conduisent Maillol à espérer encore. En
1904, ses défenseurs sont de nouveau actifs, et, le 12 juin, Maillol rapporte à un ami : « Hier
Rodin est venu déjeuner chez moi avec Mirbeau. […] Il se pourrait que la lutte recommence
pour le monument Zola. Très drôle, je te conterai ça. Si c’est vrai, je suis sûr de
l’avoir! »22 ! » Pourtant, cet espoir sera déçu.

Moins d’un an plus tard, une autre occasion se présente : Constantin Meunier meurt len date
du 4 avril 1905. Le Comte de Kessler s’engage alors immédiatement dans une nouvelle
campagne en faveur de Maillol, et tente d’y rallier l’architecte belge Henry van de Velde :
« Bien cher ami, il faut que, tant que vous serez à Paris, vous visitiez Mirbeau. La mort de C.
Meunier remet toute cette affaire du monument Zola, en question. Je sais, par la fille de
Meunier, elle même, que la famille ne permettra en aucun cas, l’exécution par Charpentier de
la maquette faite par Meunier. Il s’agit donc de mettre toutes les influences en branle p. que
Maillol obtienne cette fois, le monument. Faites-vite et faites agir énergiquement. ».

Deux jours plus tard, Kessler informe van de Velde : Mirbeau a appris que Charpentier est lié
par contrat à la commande. Au même moment, une toute nouvelle possibilité se fait jour :
« Mais par contre, Mirbeau a trouvé l’occasion de glisser à Geffroy l’idée de donner le
monument Blanqui à Maillol. Il paraît que Geffroy dispose de la commande et qu’il est très
bien entré dans les vues de Mirbeau. »23. »
18
Bassères, 1979, p. 90.
19
« Je suis tout de même bien content de ce qui est arrive […] car J’ai travaillé avecc acharnement, et vous
verrez, à mon retour, que j’ai avancé, un peu plus loin, dans mon art… C’est le principal. » Mirbeau, 1921, p.
12.
20
Lettre de la fin du mois de février 1903, cf. Konheim Kramer, 2000, p. 93, note 32.
21
Octave Mirbeau, « Constantin Meunier », in : LaA 628-E8, hg Pierre Michel, 2003, Éditions du Boucher, p.
123-129.
22
Bassères, 1979, p. 91.
23
Harry Graf Kessler – Henry van de Velde, Der Briefwechsel, Antje Neumann, Köln/Weimar/Wien, Böhlau,
2015, pp. 428/429.

4
Les soutiens de Maillol changent immédiatement la direction de leur force de frappe, et cette
fois, avec succès : dans l’année, Maillol obtient la commande du monument au socialiste
Auguste Blanqui (ill. 3). C’est ainsi que le projet de monument à Zola devient le précurseur
de la première commande officielle confiée à Maillol, grâce au zèle de Mirbeau.

Aristide Maillol, L’Action enchaînée, 1905-1908


Statue pour le Monument Blanqui à Puget-Théniers (photo Druet, RMN)

Mirbeau critique avec fermeté les monuments de l’époque, qu’il voit comme des
« furoncles » dans la physionomie de Paris. Et il ébauche une scène de théâtre grotesque dans
laquelle il met en scène Constantin Meunier et Alexandre Charpentier : ceux-ci cherchent à
placer la Vérité du monument à Zola, d’abord derrière, ensuite devant, puis une fois à droite,
et une fois à gauche. Il est aussi question d’habiller la « Vérité nue », qui, à la fin, disparaît de
la composition. Mirbeau ajoute : « L’invention était quelconque »24. »

Grâce aux sources, et en particulier aux textes de Mirbeau, chaque étape du combat mené
pour que Maillol obtienne le monument à Zola est connue. De même, il est possible de se
faire une idée de la proposition de Meunier. Mais ce à quoi le projet de Maillol devait
ressembler demeure totalement inconnu. Mirbeau écrit : « […] il reste une quantité de projets,
de fortes études de torses, de mouvement, de groupements de figures, des essais d’ornements,
toute une série d’admirables dessins que j’aurais pu communiquer à la commission ». » Il ne
fait allusion qu’à un seul élément : « une des grandes figures symbolisait l’affaire Dreyfus,
non par une plate et froide allégorie, mais par tout ce que peut contenir de grandeur sombre
et de déchirante angoisse, un drame social, un drame humain, comme le fut celui-ci »25. »
Malheureusement, cette maigre indication ne permet pas d’identifier, parmi les esquisses
conservées, dessinées ou modelées, lesquelles appartenaient au projet du monument à Zola.

ÉEvidemment, Maillol est pris de court par l’ampleur de la commande pour le


monument à Zola, et, dans le bref laps de temps avant la première réunion du comité, il ne
rassemble que quelques idées. Alors qu’il ne travaille qu’en petit format, et qu’il n’a pas un
vrai atelier, la possibilité de créer enfin de grandes figures le conduit certainement à des
projets démesurés. En outre, il n’a aucune expérience des liens entre coût de production et
format de la sculpture. ÀA cette époque, et ensuite pour son deuxième projet de monument
(dédié à Blanqui), il projette à trop grande échelle. Et ne soucie guère de l’argent investi ou de
ses honoraires26. Mis à part les dessins réalisés, il n’a dûu modeler que quelques esquisses.

24
Mirbeau, 2003, p. 126.
25
Mirbeau, 1921, p. 97.
26
Mirbeau 1921, p. 11.

5
Mirbeau n’y fait pas référence d’une manière précise, car, fin 1902 ou– début 1903, les idées
de Maillol ne sont pas encore bien arrêtées. Il faut noter que Mirbeau n’invite pas les
membres du comité qui ne connaissent pas Maillol à faire une visite de l’atelier de l’artiste : il
leur propose d’aller à la galerie Vollard ou chez des collectionneurs27.

On peut en déduire que Maillol ne souhaite pas un monument au grand homme traditionnel,
avec une statue-portrait et des figures allégoriques. Est-il conscient qu’il lutte ainsi pour un
concept complètement nouveau de monument ? Ce n’est pas clair. Peu après, en parallèle au
monument à Blanqui de Maillol, Rodin crée un monument au peintre James Whistler avec une
Muse, qui ne sera pas érigé.28.

Dans les commentaires qu’il fait sur le monument à Blanqui, Maillol laisse percevoir une
certaine insouciance vis-à-vis de son devoir pour une commande aussi prisée. En effet, il
aurait dit qu’il souhaitait modeler de belles fesses de femme pour ce monument. En tout cas, à
travers ce projet, il est visible que Maillol cherche à adapter des figures nues à ce monument,
sans se rendre compte qu’il révolutionne ainsi l’histoire de l’art. Lors d’une rencontre avec
l’écrivain André Gide en juillet 1905, Maillol s’exprime sur son futur monument à Blanqui.
« Maillol parle avec verve, gentillesse et innocence. Il a l’air d’un Assyrien de Toulouse.
Pourvu que Mirbeau ne le force pas à “« penser” »29 ».

Il est étonnant que, non seulement Maillol, mais aussi Mirbeau, qui n’est pas du tout naïf,
défendent, dans les deux controverses sur les monuments, un concept incroyablement
moderne de monument public. En outre, pour le projet du Monument à Cézanne de Maillol,
Mirbeau joue encore un rôle30.

Les œuvres de Maillol dans la collection Mirbeau

Comme évoqué précédemment, Mirbeau commence sa collection d’œuvres de Maillol


par l’achat de la Léda à la galerie Vollard, en juin 1902. Il y achète d’autres œuvres du
sculpteur. Des neuf sculptures présentées à la vente aux enchères de la collection Mirbeau le
24 février 1919, sept provenaient des éditions de la galerie Vollard31. (ill. 4). Maillol vend de
nombreuses œuvres à Ambroise Vollard, parmi lesquelles plus de 20 sculptures avec leur droit
de reproduction. Vollard est le seul habilité à éditer des bronzes et des terres cuites d’après ces
modèles et à les vendre. Les archives commerciales de la galerie Vollard sont en grande partie
conservées, néanmoins ce qui reste de la première décennie du XX e siècle est relativement
mince. C’est pourquoi les achats de Mirbeau sont difficiles à identifier. L’analyse du Fonds
Vollard révèle que le sens moral de Mirbeau pour ses paiements n’était pas très prononcé. En
1906, Vollard lui adresse un rappel pour l’achat de trois œuvres –- dont une petite sculpture de
27
« – Eh bien, consentis-je, allez voir les œuvres de Maillol, chez M. Vollard, rue Laffitte, et chez quelques
amateurs, dont je vous donnerai les noms, et aussi chez Auguste Rodin, qui estime cet artiste, que vous ne
connaissez pas, à l’égal des plus grands sculpteurs de ce siècle… », Mirbeau, 19931, p. 363.
28
Rodin, Whistler et la Muse, catalogue d’exposition, Musée Rodin, Paris 1995.
29
André Gide, Journal, 1996, vol. 2, p. 468.
30
Mirbeau appartient au comité pour le monument à Cézanne. Cf. Frantz Jourdain, Le monument à ? Cézanne, in
Octave Mirbeau et alii, Cézanne, Paris, ÉEditeurs Bernheim jeune, 1914, pp. 53–57.
31
Galerie Durand-Ruel, Tableaux modernes […] sculptures […] Composant la collection Mirbeau, Paris 1919,
no. 60-62, 64, 65, 67 et 69. La Frileuse de Houdon est présentée par erreur comme une œuvre de Maillol (nN°o.
68).

6
Maillol – achat réalisé quatre ans plus tôt. Malgré ces dettes, Mirbeau vient de s’offrir une
autre statuette de Maillol, et Vollard : « Il faut ajouter 300 frs pour le petit bronze de Maillol
que vous m’avez pris dernièrement. »32 ».

Mirbeau possède bien d’autres œuvres de Maillol dans sa collection. Dans le catalogue de la
vente aux enchères, se trouvent une « peinture à l’encaustique », une sculpture en bois et une
grande terre cuite33 (ill. 6,7). D’après ces éléments, il semble que les œuvres les plus
importantes de Maillol au sein de la collection Mirbeau proviennent de dons de l’artiste.
Maillol remercie ainsi Mirbeau pour son soutien sans failles dans les projets pour les
monuments à Zola et Blanqui.

Il reste très peu de correspondance entre Mirbeau et Maillol, alors que leurs échanges
épistolaires étaient soutenus. Une lettre de Maillol et une de Mirbeau font mention des dons
du sculpteur. Le 29 mars 1903, Mirbeau écrit : « Vous êtes très gentil, mon cher Maillol, de
vouloir m’offrir la statue de bois, mais nous reparlerons de cela, quand elle sera faite. Faites-
moi le bronze, la terre, le plomb et le pot ; je voudrais bien que ce ne fut pas très long. »34. »
Malheureusement, le bronze, le plomb et le pot désirés par Mirbeau, et qu’il a certainement
obtenus, ne se laissent pas identifier. Pour la statuette en bois Maillol écrit, au début de
l’année 1904, soit un an plus tard : « La statue que j’ai faite pour vous, vous a plu, je suis
content, je l’ai travaillé avec joie. »35 ».
Mirbeau a dûu posséder un peu plus d’œuvres que celles connues aujourd’hui. Parmi
elles, une petite sculpture se trouvait sur le bureau de Mirbeau, et elle est reproduite dans une
photographie de l’écrivain souvent utilisée (notamment sur Wikipédia) (ill. 5).
Traditionnellement, on pense qu’il s’agit de la Léda, mais ce n’est pas sûr. En effet, la jeune
femme représentée n’est pas assise sur un petit banc carré, mais plutôt sur une sorte de tas de
terre. Par ailleurs, la couleur claire de la figure ne semble pas être celle d’un bronze patiné,
mais plutôt celle d’un plâtre ou d’une terre cuite. Par conséquent, l’identification de la femme
de la photographie reste à faire.

32
Fonds Vollard, RMN Paris, Ms 421 (4.1) p. 211. Vollard a rappelé trois fois la même somme mahnte die
gleiche Summe von 1750 frs in den folgenden Jahren noch dreimal an. Vollard faisait trois fois en plus le même
rappel de 1750 frs dans les années suivantes. (Je remercie Marie-Josephe Lesieur pour son aide.).
33
Collection Mirbeau, no°. 23, 63 et 66.
34
Lettres de Mirbeau ### (Musée Maillol, Paris).
35
Autographes, Paris, Hôtel Drouot, vente aux enchères du 8 décembre 1980, no°. 141. Jusqu'à présent, cette
lettre était datée de 1903. Mais comme Maillol y parle de sa maladie des yeux, qui a lieu de la fin de 1903 et au
début de 1904, cette lettre doit être écrite en 1904. Maillol donne des informations analogues dans une lettre à
Maurice Fabre, qui porte le cachet de la poste de Banyuls en date du 12 avril 1904 (Fonds Fayet). Je remercie
Alexandre d’Andoque de m’avoir transmis cette information.

7
En revanche, la terre cuite, dont il est question dans la lettre de Mirbeau, est avec certitude la
grande Baigneuse debout avec linge (H. 78 cm) : œuvre unique, elle se trouve aujourd’hui
dans la collection Hahnloser (ill. 6). Les Hahnloser, couple de collectionneurs suisses,
l’avaient acquise en 1919 à la vente Mirbeau. Quant à la sculpture en bois, réalisée
spécialement pour Mirbeau par Maillol, elle était aussi à la vente : acquise par la galerie
Druet, elle appartient à présent à la collection hollandaise Kröller-Müller (ill. 7). Les deux
sculptures ont été adjugées pour des sommes importantes : 4. 000 fr pour la terre cuite, 3. 900
fr. pour le bois36.

Aristide Maillol, Baigneuse debout, vers 1902


(collection particulière, ancienne collection Mirbeau)

La Femme à la tunique est la cinquième et dernière statuette en bois de Maillol, il


s’agit d’une version habillée de sa célèbre sculpture d’ÈEve. Cette œuvre, ainsi que les deux
36
Notes prises à la main dans un catalogue conservé en collection particulière. Je remercie Didier Hirsch pour
son aide.

8
figures de Mirbeau, étaient jusqu’à présent datées de 1898, ce qui est, avec certitude, trop tôt.
Grâce à l’étude de la collection Mirbeau, on peut maintenant les dater vers 1903-1904. Il
s’agit d’œuvres majeures dans l’évolution de Maillol, et dans lesquelles il délaisse l’austérité
de ses premières statuettes.

Aristide Maillol, Femme à la tunique, 1903-1904


Museum Kröller-Müller, Otterlo (ancienne collection Mirbeau)

Le grand article de Mirbeau sur Maillol

Au lieu de publier la satire mordante, Sur la statue de Zola, Mirbeau rédige un article
de fond sur Maillol à la fin de l’année 1904. Il paraît au début de l’année suivante 37. Parmi ses
écrits critiques, il s’agit incontestablement du plus long. L’étendue et le contenu de cet article
le prédestinaient à une seconde publication : elle a lieu 16 ans plus tard, sous la forme d’un
livre illustré. Ainsi, le premier grand article sur Maillol donne naissance au premier livre
consacré à l’artiste, et comme dans ses autres publications, Mirbeau n’a pas une approche
scientifique d’historien de l’art.38. Il s’intéresse non seulement à son art, mais également à sa
personnalité hors du commun. L’artiste, qui vient d’un des endroits les plus reculés de France,
et qui s’exprime avec un fort accent catalan, a dûu paraître bien étrange aux habitants de la
capitale. « Directement issu du peuple, il n’a jamais rien renié de ses origines nobles de
paysan… »39… » L’homme de terroir qu’est Maillol ne fait pas sourire Mirbeau ; il l’attire au
contraire : « On l’aime, dès qu’on l’a vu, on le chérit et on l’admire, dès qu’on le connaît
davantage. »40. »

Au contraire de son camarade d’études Bourdelle, Maillol ne réagit pas de manière hystérique
à la perspective d’une grande commande comme le monument à Zola. Il écrit à Mirbeau :
« Oui, parbleu […], je me sens la force d’entreprendre ce gros travail. Il ne m’effraie pas ;
37
Octave Mirbeau, « Aristide Maillol », in La Revue, aAvril 1905, pp. 321-344. Cf. : Mirbeau, 1921. Voir aussi :
Pierre Citti, « L’Annonciateur et le mythe de l’origine », in Le Rôle d’Octave Mirbeau dans l’histoire, Actes du
colloque Mirbeau d’Angers, Presses Universitaires d’Angers, 19921, pp. 321-330.
38
Les détails ne sont pas toujours corrects. Mirbeau donne 35 ans à Maillol lorsqu’il en a 43 ; ou bien, il indique
que la propriétaire de la tapisserie La Musique est la Princesse Brancovan, alors qu’il s’agit de la Princesse
Bibesco. Cf. Mirbeau, 1921, pp. 23 et, 22.
39
Mirbeau, 1921, p. 24.
40
Mirbeau, 1921, p. 25.

9
bien au contraire, il me rassure. J’y mettrai toute mon ardeur, j’y emploierai toutes les idées
que, faute d’une occasion offerte jusqu’ici, et, surtout, faute d’argent, je dois garder en moi,
et qui me démangent. »41. » Et lorsqu’il est écarté, il commente, laconique : « Ce sera pour
une autre fois ».42. »

Il est clair qu’il ne se présente pas de lui-même pour les monuments mis enà la concurrence,
et qu’il n’agit pas seul : Mirbeau et d’autres s’engagent pour lui. Et il est évident qu’il a
besoin d’aide, étant parfaitement étranger à cette sphère de compétition et de jalousie. Il est
ainsi souvent appelé « notre Maillol », ou « le pauvre Maillol ».

La clarté et la rigueur que Mirbeau perçoit dans la personnalité de Maillol, il les retrouve dans
son art. ÀA ce sujet, Mirbeau cite aussi Rodin : « Et précisément, ce qu’il y a d’admirable en
Maillol, ce qu’il y a, pourrais-je dire, d’éternel, c’est la pureté, la clarté, la limpidité de son
métier et de sa pensée. »43. »

Mirbeau met en avant comme particularité pour la sculpture de Maillol, qu’elle se concentre
sur un unique sujet : « un seul type de femme. […] la femme de Maillol est robuste, flexible et
ronde. Casquée de cheveux doux […] son joli visage clair, d’une animalité souriante,
délicieuse. »44. » Presque aucun auteur n’écrit ensuite sur Maillol sans pérorer sur le canon
féminin typique de l’artiste.

Avec sa description impressionnante et détaillée, Mirbeau trace un portrait vivant des débuts
de l’un des artistes français les plus importants de l’époque moderne, et façonne la fortune
critique de son œuvre jusqu’à aujourd’hui.

UrselRSEL BERGER

Ancienne directrice du Musée Georg Kolbe, Berlin


(traduit de l’allemand par TRADUCTION Ève TurbatVE TURBAT)

Références bibliographiques
- Bassères 1979 : François Bassères, Maillol mon ami, Perpignan, 1979.
- Collection Mirbeau 1919 : Galerie Durand-Ruel, Tableaux modernes […] sculptures […] composant la
collection Mirbeau, Paris, Leclerc, 1919.
- Konheim Kramer 2000 : Linda Konheim Kramer, Aristide Maillol. Pioneer of Modern Sculpture, Ann Arbor,
UMI Dissertation Services, 2000.
- Mirbeau 1921 : Octave Mirbeau, Aristide Maillol, Société des Dilettantes, Paris 1921.
- Mirbeau 1993 : Octave Mirbeau, Sur la statue de Zola, in Octave Mirbeau, Combats esthétiques, vol. 2, Paris,
Séguier, 1993, pp. 357–366.
- Mirbeau 2003 : « Constantin Meunier », dans La 628-E8, 1907 (Éditions du Boucher, 2003, pp. 123-129).

41
Mirbeau, 1921, p. 10-/11.
42
Mirbeau, 1921, p. 12.
43
Mirbeau, 1921, p. 29.
44
Mirbeau 1921, Sp.. 36-/37.

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