Mathieu Bén
zel
DEUX LETTRES
17.X11.1981
cher Alain,
Le dit de l’adieu est, peut-étre, celui du «juste traitre» qu’évoque
Holderlin, Comme la musique nous ravit de s’écarter de nous, dans un
Hace od elle s‘arrache d’avec le sujet, nous dévoilant ainsi comme
Stents, l’écrivain ne peut qu’interminablement prendre congé. Hélderlin
ado parler de la proximité du lointain qui, a l’ceuvre, engendre la parole
de adieu. Ce doit étre, davantage, un phrasé qu’une phrase : un rythme
quisourd a «la césure du sujet. Mais je préfererais dire, plus loin, que c’est
un écho de ce que nous ne sommes pas sujets, écrivant.
Dire «adieu» serait-il l’unique facon d’éviter l’enfermement — les
enfermements — ? C’est un pas de cdté, un seul, légers déplacements du
corps et de la pensée. Ce qui ouvre la chance d’aimer, sa possible effectua-
tion. De ce qu'il ne s’agit pas d’une parole du deuil, mais d’un «vouloir-
mourir» pour le sujet. Avec le jeu de mots, il n’est plus possible de faire le
départ entre mort et vie, car ce qui s’énonce s’énonce dans un mouroir,
sans partage des douleurs. C’est, en soi, une forme de résistance et de sur-
vie, un «oui» qui n’est pas d’acquiescement du divin, mais de notre rap-
port, immédiat, a la terre, au dessous de la terre.
Je songe, ici, & Clarinde qui, le visage découvert, blessée A mort
chante qui elle aime ; jusqu’a l’exténuation du souffle, sa voix modulera
du dedans de la blessure. Il y a, cher Alain, du vrai sang dans certains
chants. C’est une fragilisation qu’accompagne le mouvement d’une liqui-
dité, 4 mesure que les lévres (humaines) s’alourdissent.
Un peu abruptement j’énoncerai que la pensée de l'adieu ne dit plus
‘Qui parle ?» mais «Qui ?»
Excuse moi si cela n'est pas trés clair mais ce & quoi tu me demandes
de répondre est la difficulté méme,
a toi affectueusement
Mathieu
31Cher Alain,
ier Vintelligence a rary
Affe
Je veux tout d’abord te remercier d
t notre
c'est trop précieux pour ne pas en parler : telle
tion : ‘
commune
obscenite,
‘Je ne sais si je dois te di
y aun vase vide : sans fleur
Fe ai, de toujours, révé d’étre un écrivain : je veux dire : ne pas so
en vain, mais que ce Rien puisse enseigner, Quoi ? Mais je ne le oul
Jamais Je tiens & écrire comme au fi d’aimer. Longtemps, j'ai dit we
ieimes, aujourd’hui, comme dans la vérité d’une chanson je dis : «Ne me
quitte pas.» Voici, cher Alain, j’écris pour qu’il y ait de la beauté. Au din
saitviame siecle ce fut le riom que les postes donnerent & la vérité ;et je je
Inaintiens, je ne sais qui parle ainsi, mais je connais que quelque UN parle
je voudrais te dire ceci : Nous partageons les mémes cauchemars. Ecrire
hous prive jusqu’a ne plus pouvoir dormir : ainsi sommes-nous soumis ala
pire des tortures : emoi». Et, pour reprendre tes termes, comment s'identi-
fier, désormais, & ce qui infiniment se rétrécit ? Je ne pense pas que ‘la lan-
guer ait jamais pu parler, je suppose que l'homme a créé le langage par
peur de l’étre, mais il n’a pas imaginé qu’il pat devenir «la langue»
Et aprés le mot «parler» je suis allé aux cabinets vomir.
Je n'en peux mais, et je t'embrasse,
Mathieu
re que je soufire d'une déréliction + face a m
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