Professional Documents
Culture Documents
A travers cet essai, l’auteur nous emmène pas à pas vers une meilleure perception du Jazz. Son
œuvre n’est pas à proprement parler un traité, mais bien un guide simple pour comprendre,
aimer et jouer le jazz.
Jean-Marie Hacquier
< Jazz Hot>
1
2
Jean Lerusse
Préfaces de
Jean-Marie Hacquier
Jean-Marie Peterken
LDH Editions
www.leslundisdhortense.be
www.jazzinbelgium.com
3
Photo de couverture : collection de l’auteur
Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de
traduction, réservés pour tous pays.
LEXIQUE INSTRUMENTAL
arr………………..…………….arrangement
as………………………………….…sax-alto
b………………………………...contrebass
e
com…………………………….compositeur
dm………………………….drums / batterie
eb………………………... basse électrique
fl………………………….………….…..flûte
flh………………………..flugelhorn / bugle
g………………………………………guitare
kb……………………..…keyboard / clavier
lead……….leader / directeur (d’orchestre)
org............................... .orgue
(Hammond)
p……………………….….piano acoustique
perc………………………….…percussions
sax…………….....saxophone (en général)
ss…………………………….…sax-
soprano
tb…………………….………….…trombone
tp……………………..……….…...trompette
ts…………………………………..sax-ténor
vib……………………………….vibraphone
voc…………………………….vocal / chant
4
SOMMAIRE
CITATIONS ……………………………………………………………………………………………………. 8
PREFACES …………………………………………………………………………………………………….. 9
Jean-Marie Hacquier, Jean-Marie Peterken
INTRODUCTION ………………………………………………………………………………………………10
Section 1 : Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Ce que ce livre n’est pas
Section 2 : Pourquoi ce livre ? Ce que ce livre veut être
Section 3 : Esquisse de l’idiome du Jazz
Section 4 : Survol à Mach 3 de l’évolution et de l’audience du jazz
Section 5 : Ce qui est requis et ce qui ne l’est pas toujours
CONCLUSION………………………………………………………………………………………………….86
REMERCIEMENTS…………………………………………………………………………………….………94
5
Quelques « Papes » de la critique de jazz :
de g. à dr. : Robert Goffin, Boris Vian, Mlle. X, Carlos de Radzitzky - © courtesy of Marc Danval
6
Chet Baker
7
CITATIONS
Pas besoin de jouer beaucoup de notes, mais de jouer les bonnes notes.
Miles Davis.
8
PREFACES
J’ai rencontré Jean pour la première fois en 1959 à l’occasion du festival de jazz de
Comblain-la-Tour. J’avais seize ans et je venais de gagner une entrée gratuite au concours
hebdomadaire de « Jazz pour Tous », l’émission animée par Nicolas Dor et Jean-Marie
Peterken. Jean Lerusse, de quatre ans mon aîné, poursuivait ses études de médecine avec
brio. J’admirais son aisance comme contrebassiste ;; j’ignorais ses dons comme trompettiste.
Je l’ai retrouvé quelquefois dans la cave du « Candide », rue Chéravoie à Liège (B), en 1961.
Contre un billet de 20 francs belges, on pouvait assister le vendredi soir, serrés comme des
sardines, aux jam sessions qui réunissaient tous les musiciens liégeois amateurs et
professionnels autour de Jacques Pelzer (as, fl) et René Thomas (g). Je peux citer de
mémoire : Jo Verthé (g), Robert Grahame (g), Gustave « Zamoth » Smeets (g), Jean Linsman
(tp, b), Georges Leclerc (b), José Bedeur (b), Jean-Marie Troisfontaine (p), Léo Fléchet (p),
Robert Jeanne (ts), Milou Struvay (tp), Tony Liégeois (dm), José Bourguignon (dm), Félix
Simtaine (dm). Un matin qui prolongeait le festival de Comblain, on y a même vu quelques
grands noms comme Sam Jones (b). J’étais en rhétorique, je rentrais toujours plus tard que
l’heure prescrite par ma mère et, le lendemain matin, au cours de religion, j’aurais bien eu
besoin de bois d’allumettes pour soutenir mes paupières lourdes.
Après mon service militaire, j’ai retrouvé Jean, en 1964, au « Jazz Inn », dans le « Carré »
(Liège). Au Jazz Inn, quelques jams de plus en plus improbables commençaient fort (trop) tard
le soir. Jacques Pelzer nous amenait ses hôtes, dont Chet Baker (tp). Jean n’y venait pas très
souvent, absorbé par sa spécialisation en gynéco-obstétrique.
De 65 à 69, lors de mon séjour rémois, nous nous sommes mieux connus. J’ai souvent eu le
plaisir de l’inviter à jouer en concerts pour le Jelly Roll Jazz Club que je présidais. Nous
partions ensemble en tournées avec le quartet de Robert Jeanne et des invités comme René
Thomas ou J.R. Monterose, Nous sillonnions les routes du Nord–Est de la France, de
Charleville à Metz (Cat-4 Club) en passant par Sedan et Châlons-en-Champagne (à cette
époque, on disait : Châlons-sur-Marne). J’ai gardé vivace le jour où il est arrivé de Liège en
2CV pour un concert à l’Hermitage de Cernay-lez-Reims. Le concert terminé, il est reparti
aussitôt vers Liège pour assister l’accouchement d’une patiente.
De retour à Liège fin 69, j’ai continué à organiser des concerts, à La Pierre Levée, à la Cave
22 et dans mon Jazzland (74-76). Jean Lerusse (b) y accompagna de nombreux artistes à leur
entière satisfaction.
Après 1982, nos rencontres se sont espacées, ne nous croisant plus que dans le couloir d’un
festival ou sur le parvis d’une église pour saluer un ami commun (Léo Fléchet † 2004). En
2010, Jean m’a confié la diffusion de ces conseils essentiels en guise de testament musical. Le
9 août 2013, c’est lui qui nous quittait au terme d’une longue maladie.
Très heureux de t’avoir rencontré, Old Cat ! Keep swinging in Heaven!
Jean-Marie Hacquier
<Jazz Hot>
9
à propos du titre :
Le jazz, musique universellement reconnue et interprétée, souffre en Belgique d’un terrible
handicap pour son expansion : le désintérêt quasi-total de la part des médias. C’est
assurément pour le côté jugé marginal dépourvu de toute pédagogie organisée là où elle
devrait exister que cette forme musicale est si peu présente dans la grande actualité. Peut-
être cet ouvrage va-t-il y remédier ? Après avoir subi l’ouragan commercial du rock et de ses
satellites, d’ aucuns ont même prédit la mort du jazz. Heureusement, il reste bien présent
avec l’arrivée de nouvelles générations de jeunes musiciens de talent.
Dans les années 50’ le jazz était très présent en presse écrite et en radio. A l’initiative du
Directeur Régional Liégeois de la RTB de l’époque ; Robert Georgin, Nicolas Dor et moi-
même furent chargés de produire et d’animer une émission hebdomadaire de quatre-vingt-
huit minutes émise à 21 heures, le mardi. La première fut diffusée le 2 avril 1956. Elle
demeura à l’antenne pendant…treize ans ! C’était un peu une première en Belgique avec
deux commentateurs au micro. Ils n’eurent d’ailleurs aucune honte à reconnaître qu’ils
s’étaient largement inspirés du quotidien d’Europe 1 de Frank Ténot et Daniel Filipacchi :
« Pour ceux qui aiment le jazz ».
« Jazz pour tous » fut le nom de cette émission devenue rapidement célèbre. Il est vrai que
le monopole des ondes était sans partage et que la télévision nourrissait ses programmes en
direct de Paris. Le titre, Jazz pour tous, fut choisi par la volonté des producteurs qui était de
présenter une programmation éclectique à une époque où la guerre des styles était encore
vive.
« Jazz pour tous » a joué un rôle capital dans l’histoire du jazz liégeois. Par exemple : sans
elle, le célèbre festival de Comblain-la-Tour n’aurait jamais existé. Et l’actuel « Jazz à
Liège » non plus, puisque sa création voulue en 1991 fut initiée avec au cœur et à l’esprit le
sentimental souvenir du passage des grands jazzmen dans la légendaire prairie de 1959 à
1966.
« Jazz pour tous » eut aussi sa version télé pendant six ans. Deux événements ont
marqué son existence : l’enregistrement inédit d’un quintet européen exceptionnel avec
Bobby Jaspar (ts, fl), René Thomas (g), Benoît Quersin (b), Amedeo Tomasi (p) et Daniel
Humair (dm). Autre miracle : l’enregistrement télé dans un studio radio du Palais des
Congrès de Liège du grand Charlie Mingus (b) !
Jean-Marie Peterken
Directeur Honoraire de RTBF-Liège
10
INTRODUCTION
Section 1 : Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Ce que ce livre n’est pas
Je suis né en 1939 et, dès l’âge de 5 ans, pendant la guerre, j’ai appris le piano et le
solfège avec une espèce d’Hitler féminin qui me donnait de grands coups de règle sur les
doigts. Ça a duré deux ans, puis j’ai soigné mes doigts en abandonnant ce piano plus large
que mes deux bras étendus. J’ai grandi, réconforté de savoir que j’avais une bonne oreille
musicale et que j’étais doué, puisque « Hitler » me l’avait dit entre deux coups de règle. Tout
s’est arrêté grâce au débarquement, pourrait-on dire. Mes doigts et moi, nous avons oublié
le piano, mais je n’ai jamais oublié « mes libérateurs américains ».
J’ai appris la trompette en 1956, la contrebasse un an plus tard. J’ai fait une carrière
musicale en amateur, puis en semi-professionnel, de 1957 à 1961 à la trompette, de 1960 à
1980 à la contrebasse, puis, de 1985 à 1996 : au bugle.
J’ai joué avec des amateurs et des professionnels, parfois même de grands professionnels
(liste en annexe). En ce temps-là, on apprenait sur le tas. Petit à petit, j’ai acquis le sens du
tempo, de l’harmonie, de l’idiome du Jazz, de la façon de le jouer. J’ai appris ce qu’il faut
faire et ne pas faire ;; ce qu’il faut jouer et ne pas jouer. Tout se passa bien, sauf avec Slide
Hampton, un étrange bonhomme qui se fâche quand on joue à la basse autre chose que la
fondamentale ou la quinte. C’est le seul musicien international avec qui j’ai rencontré des
problèmes sur scène.
11
Je ne suis pas un musicien diplômé du conservatoire, ni un musicologue. Je n’ai pas
étudié l’harmonie de façon traditionnelle. Je ne suis pas plus historien du Jazz que
sociologue du monde de cette musique. Je suis encore moins professeur de technique
instrumentale et, dès lors, ce livre ne sera pas un traité de technique de la guitare, du piano
ou du saxophone. Il y a d’autres bouquins et de bons professeurs tout à fait aptes à vous
apprendre à jouer de votre instrument.
Vous ne trouverez pas de partitions complètes de thèmes de Jazz dans ce livre. Vous en
trouverez facilement ailleurs. Par exemple : dans les Real Books, bien qu’ils contiennent
quelques erreurs, ou, en téléchargeant sur le Net, contre pesetas.
Non, mais, à force d’entendre des amis me dire « mais comment comprendre cette
musique, ce que les musiciens jouent ;; quelles sont les règles, comment s’y retrouvent-ils ;
comment font-ils pour swinguer la musique de la sorte, pourquoi n’ont-ils pas de partitions,
etc. ? », à force d’entendre de jeunes musiciens débutants, des musiciens bloqués par leur
formation d’interprètes livresques ou des rockers voulant passer au Jazz me demander
comment, sur quelles bases et avec quelles règles jouer et improviser en Jazz, je me suis dit
que, tout compte fait, ce serait trop bête de garder ce que je sais pour moi. Mon expérience
de quasi autodidacte vaut ce qu’elle vaut, mais elle m’a permis de faire une carrière musicale
qui m’a rendu très heureux, très fatigué et même (hé hé !) très fier de moi. Je pense donc
pouvoir vraiment vous aider. Mais à ma façon… qui ne sera pas académique.
Les différents ouvrages que j’ai lus sur le sujet sont d’un abord complexe ; ils développent
des notions classiques peu adaptées et peu utiles en pratique, alors que d’autres données
capitales sont à peine effleurées, voire manquantes. J’ai voulu faire un livre contenant des
enseignements simples et adaptés à cette musique qui exige avant tout : écoute et
entraînement. Je vous dirai ce que moi je pense du Jazz, de son idiome, de son essence, de
son évolution et comment je conçois celle-ci.
C’est donc à vous, curieux, non-musiciens, musiciens débutants ou non habitués au Jazz
que je m’adresse et non pas aux puristes et aux musicologues, critiques musicaux ou
historiens du Jazz. Ils hurleraient sans doute en lisant ce livre qui, pour eux, contient des
erreurs ou des simplifications drastiques. Mon seul but tend vers une pédagogie efficace.
Mes explications excluront tout un fatras de données superflues afin d’être le plus
compréhensible possible pour le débutant ; de le rendre apte à jouer quelques thèmes
(piece, tune en jazz) avec quelques copains musiciens. Jouer seul est d’un ennui mortel. De
manière simple, puis de manière un peu plus complexe, je vous expliquerai comment vous
en tirer dans les harmonies et le tempo.
Idéalement, il vous faut un bassiste pour l’harmonie et le tempo, un batteur pour le tempo
et les accentuations et un instrument harmonique comme le piano et la guitare, pour
l’accompagnement, l’harmonie et les accentuations. Restera l’improvisation. Mais ça, ça ne
s’apprend pas dans un livre ! Nous y viendrons.
12
Ce livre ne sera pas un traité, mais plutôt un dialogue au coin du feu. Le langage sera
parfois cru, comme le Jazz. J’espère que vous vous en fichez. Le style sera plus
conversationnel que littéraire. Tout cela sied mieux aussi à cette musique qui, au début du
vingtième siècle, faisait bon ménage non seulement avec l’Eglise, mais aussi avec les bars à
filles de la Nouvelle Orléans, l’alcool, le tabac et autres joyeusetés. Le Jazz n’est pas une
musique d’enfants de chœur ;; cela m’apparaît évident !
Nous irons pas à pas, de zéro jusqu’aux bases puis aux règles du Jazz et de
l’improvisation. J’essaierai de vous refiler les trucs et les tuyaux, les annotations et les signes
à connaître, de la dénomination classique à la dénomination internationale que les Jazzmen
utilisent. C’est cette notation internationale qui permet que George Coleman (ts) débarque
des States seul avec son sax ténor et joue avec notre trio (Jazzland, Liège, 1975) ! Cela
s’est terminé à 4 heures du matin par une petite bouffe au « Carré », où, médusés, nous
avons contemplé notre « idole » engouffrer ensemble : des rondelles de tomates vinaigrette
et une crème au chocolat . L’Amérique nous étonnera toujours !
Bien sûr, ce livre ne fera pas de vous un Herbie Hancock (p). Pour cela il faudra poursuivre
l’aventure sans moi. Mais ne désespérons pas et n’oublions pas que René Thomas (g), avec
qui j’ai beaucoup joué, ne lisait pas une seule note de musique ! Alors, si nous allons déjà
jusqu’à ressembler à René Thomas, ce sera formidable ! Les complexes : aux orties !
Osons !
A propos, si vous avez chez vous un clavier de piano, de synthé, d’harmonium ou même
seulement un jouet d’enfant comprenant au moins deux octaves, ce sera bien utile
Jean Lerusse (b) et Jacques Pelzer (fl), Liège, Thiers-à-Liège, 60’ – © collection de l’auteur
13
Section 3 : Esquisse de l’idiome du Jazz
Voici une des sections les plus ardues de ce livre car, contrairement aux particularités et
règles techniques du Jazz, l’idiome du Jazz est difficile à décrire.
S’il y a beaucoup à entendre et sentir, il n’y a rien ou presque de spécifique. Si je vous dis
que le Jazz est une musique riche, belle, grave, solennelle, sérieuse et même parfois triste,
ou encore fataliste, rageuse, virile, à jouer avec ferveur et lyrisme, il n’y a là rien d’unique.
D’autres musiques possèdent cet ensemble de qualités.
Il n’empêche que, tel un Français qui s’adresse à un Anglais dans la langue de celui-ci et
s’entend répondre : je vous comprends mais ce que vous dites ne se dit pas comme ça, il y a
des mélodies, des harmonies et des rythmes qui ne se jouent pas comme ça. Musicalement
corrects, ils sortent de l’idiome du Jazz.
Ecoutez des pianistes classiques qui se frottent au Jazz : André Prévin ou Friedrich Gulda,
par exemple. Leur musique n’a rien à voir avec celle d’Horace Silver (p), de McCoy Tyner
(p), de Keith Jarrett (p) ou d’Herbie Hancock (p). Elle est correcte, mais elle sonne « blanc »
et l’idiome ne s’y trouve guère.
Apprendre cet idiome est difficile pour nous, Européens, car les musiciens Noirs
Américains, ceux qui ont fait le Jazz, ont une histoire qui leur est propre. Leurs modes et
conditions de vie (esclavage, ségrégation) ont influencé leur mind et le style de leur musique.
Ces conditions, nos parents ne les ont pas connues. Nous ne pouvons les appréhender que
difficilement. Alors, approchons-les ensemble ! Approchons-nous de leur musique. Il faut
écouter assidûment, écouter et écouter encore les disques des musiciens Noirs Américains.
Aller les voir en concert le plus souvent possible, séjourner aux USA, vivre un bout de leur
vie, fréquenter leurs clubs, discuter avec eux, comprendre qui ils sont, ce qu’ils pensent.
Nous devons comprendre la vie de ce peuple et ce n’est pas facile pour nous.
Section 4 : Survol à Mach 3 de l’évolution et de l’audience du jazz
Tant qu’il a été assimilé à une musique faite pour la danse, pendant l’époque du Swing et
du Mainstream (surnommé en France Middle Jazz), le Jazz a connu un franc succès
d’audience. Le public confondait Buck Clayton (tp) avec Harry James (tp) et mettait dans le
même sac : Glenn Miller (tb), Benny Goodman (cl) et Duke Ellington (p) ! Ne jetons pas la
pierre à ce public ni à ces musiciens borderline entre Jazz et musique de danse plus ou
moins jazzisante ; ils ont largement contribué à la découverte du Jazz par des gens qui sont
ensuite devenus des amateurs avertis.
Vint la guerre 40-45, disette musicale européenne pendant laquelle le Be-bop est né aux
Etats-Unis. On dit que quelques musiciens, Charlie Parker (as), Dizzy Gillespie (tp), Bud
Powell et Thelonious Monk, (p) ont créé ce style dans le but de le rendre injouable par les
musiciens de danse (les fakers) qui, pour en jeter aimaient copier les traits d’improvisations
de bons musiciens pour les rejouer au bal du lendemain. Je ne crois pas que ce soit la seule
raison de l’éclosion du Be-bop. Il fallait surtout renouveler rythmes, harmonies et mélodies
pour redonner une nouvelle inspiration à l’improvisation Jazz.
Après la libération, il y eut en Europe un grand engouement pour l’American Way of Life et
pour la musique Noire Américaine. A côté des valses et des rumbas, les orchestres de
danse jouaient jazzy avec un certain talent et rencontraient un franc succès populaire. On a
même dansé sur le be-bop dans les caves de Saint-Germain-des-Prés aux temps heureux
des existentialistes et des « Zazous ». La pratique a subsisté au Caveau de la Huchette, sur
la rive gauche de la Seine.
14
Au début des années 50, le Jazz s’est intellectualisé, complexifié et il est apparu tel qu’il
est aujourd’hui : un Art Musical à écouter avec attention, en s’abstenant de danser dessus
ou de l’écouter distraitement, en toile de fond, en épluchant les patates dans la cuisine.
Immanquablement, il a progressivement perdu l’audience de ceux qui voulaient simplement
s’éclater, faire les fous et danser. La retombée de l’enthousiasme de la Libération a fait le
reste, de sorte qu’à la fin des années 50’, on ne dansait pratiquement plus sur le Jazz. Pour
le grand public, il était passé de mode, comme d’autres musiques. Qui écoute encore Perez
Prado et sait danser le Mambo ? Ce public s’est tourné vers le boogie-woogie, puis le rock,
le twist, le yé-yé et autres musiquettes devenues à la mode au milieu des années 50’ et dans
les sixties.
Depuis les années 50’, le Jazz n’a cessé de perdre de l’audience, mettant des musiciens
en difficultés financières ou au chômage. Il semblerait néanmoins que, depuis une dizaine
d’années, on assiste à une stabilisation des pertes. L’audience est maintenant constituée de
vrais amateurs qui écoutent sérieusement cette musique. Mais je ne suis pas très sûr de
l’intérêt que les teenagers actuels peuvent porter au Jazz qui reste souvent jugé trop
compliqué, voire abstrait.
A mon avis, la dégradation de l’audience n’est hélas pas uniquement due à la disparition
d’un effet de mode. Reconnaissons qu’à plusieurs moments de son évolution, le Jazz s’est
tiré dans le pied et a fait fuir les gens. Et là, ce sont les vrais amateurs qui ont abandonné le
navire. Laissons de côté la perte des amateurs réactionnaires de New Orleans et autres
Dixieland. Ils restent dans leur coin depuis la guerre et l’avènement du Bop. Ils y resteront
en écoutant Kid Ory (tb), ne s’intéressant jamais aux formes plus évoluées du Jazz.
Dans les années 60’, le Free Jazz émergea aussi. Cette musique de fous ou d’incapables
(selon les musiciens qui l’ont jouée) supprimait les règles d’harmonie et de tempo, ouvrait la
scène à n’importe quel zouave jouant n’importe quoi. Hormis quelques rares figures de
grande valeur qui ont tâté du Free et compris la quête de John Coltrane (ts,ss), c’était
vraiment le b… et cela fit fuir ceux qui ne pouvaient entendre l’inaudible. Ils furent nombreux.
(Voir annexe 1 relative au Jazz modal, à lire de préférence après avoir lu les Chapitres IV et
V de ce livre). Heureusement, ces tendances, branches latérales et mortes, n’ont pas
empêché la poussée du tronc principal qui est resté sain. Le Jazz est toujours bien vivant !
Ce besoin de renouvellement, propre à tous les Arts, amena d’autres tendances : le Jazz
Fusion mêlant Jazz et Rock, puis, toutes les musiques du monde qui vinrent influencer,
s’imbriquer et souvent dénaturer l’essence même du jazz. A côté de belles œuvres, comme
les bossa novas, nos oreilles ont dû souffrir de choses pseudo-exotiques dans lesquelles
n’importe quel souffleur ou gratteur nous débitait des phrases et des sons qui n’avaient
aucun rapport avec l’idiome premier du Jazz ni avec le swing. Mais que ne ferait-on pas pour
monter sur scène dans un soi-disant festival de Jazz ? (Voir Chap. V- Section 3).
15
Enfin, plusieurs productions actuelles, raffinées, me font penser que certains musiciens qui
jouent avec leur cœur et leur cerveau, ont un peu oublié que le Jazz se joue aussi avec deux
petits organes qu’il ne faut jamais laisser traîner en route. Attention, on va se rendormir ! Ce
ne sont ni Diana Krall ou Melody Gardot qui nous réveilleront. Comment peut-on prétendre
que ce sont des chanteuses de Jazz ? Avons-nous oublié le disque « Ella in Berlin » ?
Bien sûr, tout le Jazz d’avant-garde exige une décantation. (Voir Chap. V- Sect. 3). Mais
comment ne pas préférer le vivifiant Keith Jarrett Trio. Comment ne pas se dire en
l’écoutant : « Enfin, de l’air ! » ?
Je crois qu’au cours de son histoire, le Jazz a un peu trop souvent fait emmerdant. Pire, je
pense que depuis quelques années, il stagne un peu, à court d’idées nouvelles. Et comme
tout art qui n’évolue pas, le Jazz est en danger. Il se cherche du sang neuf, de nouvelles
divas, mais comme dit mon ami Francis Vaesen : ce musicien a le tort d’être arrivé après
Coltrane ! Cela dit bien ce que ça veut dire.
Section 5 : Ce qui est requis et ce qui ne l’est pas toujours
A moins de vouloir faire une carrière professionnelle et jouer à un haut niveau, ce qui
nécessitera des connaissances supplémentaires (lecture, solfège, clefs etc.), jouer du Jazz à
un niveau moyen n’exige pas de connaître toutes les techniques musicales classiques, avec
lecture et interprétation parfaites des œuvres écrites. C’est normal puisqu’en Jazz la partie
principale d’une œuvre (piece, tune) est improvisée. Il n’y a donc rien à lire ou si peu. Par
contre, improviser requiert d’autres qualités. D’abord : une excellente oreille musicale ; il faut
entendre les valeurs des intervalles entre les notes et les harmonies (accords). Il faut sentir
le tempo et le tenir sans l’accélérer ni le ralentir, et, last but not least : il faut des idées
créatrices et être inventif et inspiré. Ca ne s’apprend pas dans les livres. Ca se sent, ça
s’entend et je pense même qu’il y a une partie d’inné.
Le but est donc d’improviser, d’inventer une mélodie qui soit « juste » avec les harmonies et
le tempo fournis au soliste par la section rythmique (qui est aussi une section harmonique)
et, de surcroît, en s’approchant au mieux d’un certain idiome qui n’est pas le nôtre. C’est un
vaste programme, pas facile à appréhender. Il s’apprend par l’écoute, la pratique et par les
contacts avec le Jazz et ses musiciens. Quant à nous, nous allons voir dans ces pages ce
qui peut s’apprendre dans un livre avant de monter sur une scène pour votre baptême du feu
devant un public d’auditeurs.
Petit post-scriptum : NON, nous ne parlerons pas des rythmes en cinq temps, ni de Dave
Brubeck (p), ni de Tom Scott (sax). Il est infécond et anti-physiologique d’improviser sur des
mesures à cinq temps. Oubliez cela ainsi que les deux susnommés. NON, je ne vous
abreuverai pas de solfège, je vais même essayer d’en mettre le moins possible dans ce livre.
Confidentiellement, je n’aime pas le solfège non plus ; Hé, hé !… Néanmoins, il en faudra un
minimum ; le strict nécessaire.
16
Avant de nous embarquer, pensez que le Jazz est un Art. Exercer un art : c’est le vivre et
cela ne laisse pas indemne. Il y aura des moments exaltants et des moments de… blues,
Vivre le jazz, c’est une manière plus souple, plus détendue, plus zen (on disait : hip) de
concevoir la vie et ses vicissitudes. Lorsque vous aurez cessé de jouer, il vous restera de
merveilleux souvenirs et… beaucoup de nostalgie. Mais je ne vous dis pas la joie d’avoir
communiqué avec un public réceptif et celle de votre sortie de scène après un concert
réussi. Bon ! Décidé ? Alors…
Quelques grands maîtres de la guitare de jazz (fin des années 50’) de gauche à droite (premier plan) :
Jimmy Gourley, René Thomas, Sacha Distel, Jimmy Raney - © collection Sean Gourley
17
I – UN PEU (SI PEU) DE PHYSIQUE
Pour passer le temps et comme vous êtes curieux, vous jetez un autre caillou. Vous
déclenchez la trotteuse de votre montre pour compter combien d’ondulations concentriques
ont dépassé votre flotteur en une seconde. Supposons qu’il y en ait eu trois.
Rentrant bredouille chez vous, vous décidez de faire un diagramme, un graphique des
ondulations observées tout à l’heure. Sur l’axe horizontal, vous mettez le temps (1 seconde)
et sur l’axe vertical, les ondulations (3).
Cette notion de trois ondulations par seconde s’appelle la fréquence. On dit trois cycles par
seconde ou 3 hertz (Hz). Une ondulation par seconde vaut donc 1 hertz (1 Hz).
Si maintenant, content de votre dessin, vous prenez votre trompette et que vous faites un
beau Do ; en fait, vous faites onduler (on dit vibrer) non plus de l’eau – vous ne soufflez pas
dans votre baignoire – mais de l’air qui va vibrer à une certaine fréquence, à un certain
nombre de cycles par seconde, un certain nombre de hertz (Hz) ; exactement 264 Hz pour
votre Do. Sur le même graphique, il faudrait donc dessiner 264 ondulations pendant la
seconde écoulée. Bien sûr vous ne verrez pas vibrer l’air puisqu’il est invisible, mais, grosso
modo, il s’agit du même phénomène ondulatoire ou vibratoire qui arrivera jusqu’aux oreilles
de votre petite copine admirative, couchée dans le divan à quatre mètres de vous.
Encouragé et content de votre Do, vous jouez le Sol immédiatement supérieur. Vous allez
faire vibrer l’air à une fréquence de 396 Hz (croyez-moi sur parole et ne retenez surtout pas
ces fréquences). Par rapport aux 264 Hz du Do, nous sommes à une fréquence plus grande
en jouant une note plus haute. D’où la notion capitale :
18
L’oreille humaine saine et jeune entend un « spectre sonore » allant de 20 à 20.000 Hz (de
20 Hz à 20 kHz/kilohertz). Un chien entend des sons de fréquences plus élevées qui nous
sont inaudibles : les ultrasons (ceux des sifflets à ultrasons qu’on utilise pour les rappeler).
Les baleines communiquent par des sons de fréquences plus basses, inaudibles également
pour nous : les infrasons.
Une oreille âgée perd progressivement l’audition des fréquences aiguës (= presbyacousie).
FIG. 2
Et la règle suivante :
L’intensité du son dépend de l’amplitude des vibrations. Un son intense est de forte
amplitude, un son d’intensité faible est de faible amplitude.
L’amplitude se mesure en décibels (dB)
La violence, la force, l’intensité excessive d’un son – amplitude trop forte – peut être
dangereuse pour l’oreille humaine. A 120 dB on atteint le seuil de douleur et des lésions
peuvent apparaître. L’exposition chronique ou répétée à des amplitudes exagérées rend
sourd (musiciens de groupes de hard rock, ouvriers au marteau piqueur, fréquentation
assidue des boîtes de nuit, mais aussi batteurs de Jazz, trompettistes, etc.).
19
Sans entrer dans les détails, cela est dû au fait que d’autres fréquences sonores viennent se
superposer à la fréquence « pure » du Sol dans notre exemple. Ces fréquences différentes
superposées à la note sont propres à chaque instrument de musique et donnent à cet
instrument une coloration particulière du son émis, coloration venant enrichir et embellir le
son principal (le Sol). Ces fréquences s’appellent les harmoniques. Elles permettent de
reconnaître les voix (chant et parole) et de savoir par quel instrument telle note est jouée.
Un musicien qui travaille sa sonorité développe ces harmoniques. Il a bien raison d’ailleurs
car une belle sonorité fera que l’on écoutera ses solos (ses chorus). La sonorité, le timbre,
est encore plus importante que la technique même de l’instrument. Vous pouvez jouer une
improvisation de trompette avec une technique étourdissante et de bonnes idées, mais si
votre son est moche, vous ennuierez votre monde en lui cassant les oreilles.
20
II - DU SON à LA NOTE
Selon les différentes sensibilités acoustiques des peuples, ces notes ont été groupées,
assemblées les unes à la suite des autres selon la hauteur du son. Ces suites de notes
préférées, sonnant bien à leurs oreilles, ont été appelées gammes. Et comme les peuples
sont nombreux, il existe de nombreuses espèces de gammes.
Restons en Europe Occidentale ou aux Etats-Unis et oublions les gammes hindoues, arabes
et autres. C’est du Jazz que nous voulons jouer et pas du sitar indien. Heureusement, car la
gamme indienne comprend 72 notes !
La gamme la plus simple, que vous connaissez tous, compte sept notes ; on dit aussi « sept
tons ». Elle est « heptatonique ». Commençant par DO, c’est la gamme de DO. Par ordre
de fréquence croissante, donc de hauteur croissante de note ou de ton, nous avons (à lire de
bas en haut) :
FIG. 3
21
Dans cette gamme, on appelle Do medium celui qui se situe au milieu d‘un clavier de piano.
Nous avons ajouté en haut, le Do supérieur, qui est de fréquence exactement double du Do
moyen. Les fréquences des notes intermédiaires entre ces deux Do sont évidemment
intermédiaires entre ces deux fréquences de Do et vont en croissant puisque la hauteur du
son monte. Ne retenez surtout pas les valeurs de ces fréquences qui ne sont là qu’à titre
indicatif. Nous allons d’ailleurs bientôt abandonner ces notions de fréquence et d’hertz.
Par contre, au fil de ce livre, nous allons adopter progressivement l’écriture internationale de
ces notes. Les anglo-saxons les nomment par des lettres en capitales d’impression et en
commençant, non pas au Do, mais à partir de la note qui donne le ton servant à accorder les
instruments, à savoir la note La du diapason. Le La est donc un A. Somme toute, c’est
logique.
FIG.4
DO RÉ MI FA SOL LA SI
C D E F G A B
A retenir et à savoir par cœur ! Nous allons bientôt les utiliser.
Comme ces différences en Hz sont difficiles à manipuler, les musiciens ont choisi une autre
unité pour définir, évaluer et mesurer les intervalles entre les notes. C’est le TON, unité qui
se divise en deux DEMI-TONS, ayant chacun – vous l’avez deviné – la valeur de la moitié
d’un ton. Un intervalle d’un ton est donc évidemment plus grand qu’un intervalle d’un demi-
ton et plus petit qu’un intervalle de deux tons ou de trois tons et demi.
A noter qu’il n’y a pas de quart de ton, du moins dans la musique occidentale et le Jazz.
Adieu donc les analyseurs de fréquences, les oscilloscopes et les hertz. Allons
courageusement à la pêche… au ton.
Commencez à lire la FIG 5 suivante de bas en haut. A gauche, vous avez les notes de notre
gamme de DO (C) et entre elles, à droite, les intervalles entre les notes exprimés en tons.
Ceci est à retenir et à graver par cœur dans votre mémoire : les intervalles entre deux notes
successives ne sont pas toujours d’un ton : dans cette gamme de DO, Mi-Fa et Si-Do ne
sont séparés que par un demi-ton. A savoir, à savoir !
22
FIG. 5
DO supérieur
Intervalle : ½ TON
SI
Intervalle : 1 TON
LA
Intervalle : 1 TON
SOL
Intervalle : 1 TON
FA
Intervalle : ½ TON
MI
Intervalle : 1 TON
RÉ
Intervalle : 1 TON
DO medium
Parlons maintenant de notes non successives, par exemple Do et Mi. L’intervalle entre Do et
Ré étant d’un ton, l’intervalle entre Ré et Mi étant d’un ton, l’intervalle entre Do et Mi sera
donc de 1 ton + 1 ton = 2 tons.
Règle générale : Il faut additionner les tons et demi-tons rencontrés entre deux notes pour
connaître l’intervalle entre celles-ci.
Ce qui nous amène à la conclusion que l’intervalle entre deux notes de la gamme sera
d’autant plus grand que ces deux notes seront plus distantes l’une de l’autre dans la gamme.
Pour le drill, entraînez-vous à compter le nombre de tons et de demi-tons entre deux notes
que vous choisissez. Mais surtout, chantez, oui, chantez Do-Ré, Do-Mi, Do-Fa, Do-Sol, Do-
La, Do-Si, Do-Do supérieur : vous devez absolument entendre et sentir les intervalles.
Nous reviendrons sur les intervalles au chapitre des gammes, puis des accords, mais
restons-en là pour l’instant.
23
Section 3 : Altérations des notes
Si vous avez devant vous un clavier (de piano par exemple), vous remarquerez que les
notes dont nous avons parlé jusqu’ici se suivent et sont toutes des touches blanches. C’est
parce que Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si et le Do supérieur sont des notes dites naturelles
(« natural » en dénomination internationale anglaise), par opposition aux notes altérées que
nous allons étudier et qui sont les touches noires du clavier.
Exemple : Un Ré naturel est appelé chez eux D natural (un thème de Wes Montgomery
s’intitule d’ailleurs « D natural blues ») ou plus simplement D tout court. En effet, quand la
note est « natural », il n’est pas nécessaire de le signaler.
Sur votre clavier, vous voyez donc également des touches noires, moins nombreuses et plus
irrégulièrement disposées. Ce sont les notes altérées. De quoi s’agit-il ?
Explication : Entre Do et Ré, il y a un intervalle d’un ton ou de deux demi-tons. OK ?
Donc, au milieu de l’intervalle Do-Ré, il y a une place pour une note intermédiaire qui serait
plus haute que Do d’un demi-ton et plus basse que Ré d’un demi-ton aussi. Toujours OK ?
Cette note intermédiaire est la touche noire que vous voyez sur le clavier entre Do et Ré.
Comment se nomme-t-elle ? On a le choix : soit on l’apparente au DO immédiatement
inférieur et l’on dit : DO DIÈSE (Do#), soit on l’apparente au Ré immédiatement supérieur et
l’on dit RÉ BÉMOL (Reb).
Dièse se dit donc d’une note qui est plus haute d’un demi-ton que la note naturelle
immédiatement inférieure. Do# (C#) dièse est plus haut d’un demi-ton que Do (C) naturel. En
anglais, dièse se dit « sharp ». On a donc ici la note « C sharp ». Le signe dièse est #.
En Jazz, on dit donc que C sharp (C#) est plus haut d’un demi-ton que C natural .
A l’inverse, bémol se dit d’une note plus basse d’un demi-ton que la note naturelle
immédiatement supérieure. Ré bémol (Db) est plus bas d’un demi-ton que Ré (D) naturel. En
anglais, bémol se dit « flat ». On a donc ici la note « D flat ». Le signe bémol est b.
D flat (Db) est donc plus bas d’un demi-ton que D natural.
Mais remarquez bien que C sharp ou D flat sont deux désignations de LA MÊME
NOTE.
Sur votre clavier, entraînez-vous à nommer les autres notes altérées (noires).
Remarquons que le terme note « altérée » est bien ingrat pour des notes nécessaires aux
gammes et qui embellissent les accords. Nous allons venir sur ces sujets, mais d’abord…
Petite question de bon sens : pourquoi y a-t-il moins de touches noires (notes altérées)
que de touches blanches (notes naturelles) sur le clavier ?
Réponse : Parce qu’entre les notes natural Mi-Fa et Si-Do, il n’y a qu’un demi-ton de
différence, et donc pas de place pour une note intermédiaire entre elles. Par conséquent, Si
dièse (ou B sharp) équivaut à Do (ou C), Mi dièse (ou E sharp) à Fa (ou F). De la même
manière, Do bémol (ou C flat) équivaut à Si (ou B) et Fa bémol (ou F flat) à Mi (ou E).
24
Si l’on met ensemble et successivement, par ordre croissant de hauteur de son, les notes
naturelles et les notes altérées, on obtient douze notes séparées ici chaque fois par un
demi-ton et constituant ce qu’on appelle la gamme chromatique de DO. Lisez la FIG. 6 ci-
dessous de bas en haut, dénomination européenne à gauche et dénomination internationale
à droite (entraînez-vous à les dire en international).
FIG. 6
SI B
LA dièse ou SI bémol A sharp or B flat
LA A
SOL dièse ou LA bémol G sharp or A flat
SOL G
FA dièse ou SOL bémol F sharp or G flat
FA F
MI E
RE dièse ou MI bémol D sharp or E flat
RE D
DO dièse ou RE bémol C sharp or D flat
DO C
Autre petite remarque : « diminuer d’un demi-ton » peut se dire « bémoliser », même si la
note est déjà bémol ;; c’est l’usage. Par exemple :
un Sol naturel (G) bémolisé devient Sol bémol (G flat)
un Mi bémol bémolisé devient Ré
De la même manière, le terme « diéser » s’utilise pour dire « augmenter d’un demi-ton ».
25
Jack Van Poll (p) - © eddywestveer.com
26
III - DE LA NOTE AUX GAMMES ET AUX INTERVALLES
Enfin, elles occupent une position sur une portée, sorte de grille horizontale de cinq lignes,
que j’ai essayé de vous éviter jusqu’ici, mais qui devient nécessaire, car, rien à faire, c’est le
langage des musiciens. Même les batteurs n’y échappent pas s’ils doivent jouer des
arrangements musicaux élaborés.
A noter : contrairement à ce que certains comiques essaient de faire croire, une partition de
batteur, ce n’est pas « boum, tching, badaboum, trrr, tching ». Squares, va ! Nous avons
d’excellents batteurs qui ont aussi des notes sur des portées. Simplement, chaque note
correspond à un élément de la batterie (cymbale, caisse claire, tom, grosse caisse, etc…).
La figure qui suit vous donne – de haut en bas – la portée sur laquelle sont positionnées des
notes, le nom européen de la note, le nom international de la note, son numéro d’ordre et
enfin, les autres noms de la note. Les deux dernières données ne sont pas « scotchées » à
la note, tout dépend de la gamme envisagée.
Par exemple : dans la gamme de Do, Do est la tonique, le 1. Dans la gamme de Fa, c’est Fa
qui portera ce nom.
Le tableau suivant (FIG.7) résume toutes ces données. Mémorisez-le car c’est un des
tableaux les plus importants de ce livre.
27
FIG. 7 : Gamme de Do (C)
On voit que la première note de la gamme (la tonique, la 1) donne son nom à la gamme.
Nous avons donc ici la gamme de Do (C) (notre gamme de base, c’est Do majeur) mais il y
a des gammes pour toutes les notes existantes, même pour les notes « altérées » : gamme
de Ré, gamme de Fa, gamme de Mi bémol, gamme de Do dièse, etc. Seule la gamme de Do
Majeur (C Major Scale) ne comprend QUE des notes « natural », les touches blanches du
clavier. Toutes les autres gammes comprennent une ou plusieurs notes altérées. Pourquoi ?
C’est ce que nous verrons plus loin mais d’abord, revenons aux intervalles.
Prenons un exemple et revenons à la gamme de C (Do) majeur : les intervalles entre deux
notes voisines ne sont pas toujours les mêmes, vous le savez déjà. Rappelons-nous la FIG.5
et voyons la FIG.8 :
Dans cette gamme de DO (C) majeur, comme dans toutes nos autres gammes majeures
d’ailleurs, les notes sont séparées par un intervalle d’un ton (= 2 demi-tons), SAUF entre la 3
et la 4 (ici MI et FA) et entre la 7 et la 8 (ici SI et DO), qui ne sont séparés que par l’intervalle
d’un demi-ton.
28
Cette règle des intervalles est absolue et constante quelle que soit la gamme majeure,
quelle que soit la 1, la tonique. D’où le tableau de la FIG. 9 applicable à toutes les gammes
majeurs et à connaître par cœur. Lisez-le cette fois de haut en bas.
Pour nous entraîner, construisons la gamme de F (c’est là que les notes altérées se
pointent) ! Appliquons la séquence des intervalles :
Dans le cas de notes de gamme écrites sur une portée, sachez que les signes d’altération
d’une note, les dièses ou les bémols s’inscrivent avec, avant la note, le petit signe dièse, #,
(sharp) ou bémol, b, (flat), ce qui donne ceci pour cette gamme de F :
FIG. 10 :
Entraînez-vous à écrire sur une portée les gammes majeures de chaque note, en respectant
toujours cette règle des intervalles ainsi que la succession continue des notes de l’alphabet,
sans doublon et sans omission.
29
Ci dessous, un autre exemple, la gamme de La (A) majeur :
FIG. 11 :
30
FIG. 12 : Gamme chromatique de Do
Vous voyez qu’en matière de notes, quand on utilise leurs chiffres, les dièses (sharp)
s’écrivent par un petit + après le chiffre, et les bémols (flat) s’écrivent avec un petit – après
le chiffre. Exemple : 4+, 6- etc…C’est différent du cas où la note est inscrite sur une portée
(l’altération, dièse ou bémol, est alors placée avant la note).
31
Rappelons qu’entre 3 et 4 (Mi et Fa dans l’exemple de la gamme de Do) et 7 et 8 (Si et Do
octave dans l’exemple de la gamme de Do), il n’y a qu’un demi-ton. Je me répète, je sais !
A l’origine, dans leurs chants et leur musique, les Noirs exprimaient leur désespérance par la
diminution quasi systématique d’un demi-ton de la 3 (dans la gamme de Do, donc le Mi) et
surtout de la 7 (dans la gamme de Do, donc le Si). On appela cela les blue notes.
La tierce (3) « bémolisée » s’appelle la tierce mineure (Minor third). La 3– constitue la
base du mode mineur et de la gamme mineure, par opposition au mode majeur et à la
gamme majeure que nous venons de voir, et où la 3 (Mi dans la gamme de Do) est
« natural ». L’intervalle de 2 tons (entre 1 et 3) correspond à une tierce majeure. Enlevez ½
ton, et vous obtenez une tierce mineure (1 ton ½). Voyez la section suivante.
Se pose alors le problème de l’écriture de la seven « natural », qui se trouve dans la gamme
majeure, et par ailleurs, n’est pas une blue note. On la nomme septième majeure (parfois
surnommée sensible, car proche de l’octave d’un ½ ton). Comment la différencier de la 7 ème
mineure ? Le problème a été résolu par une convention d’écriture largement répandue dans
les milieux du jazz : l’addition d’un petit triangle pointant vers le haut à droite du 7 (voir FIG.
12), tandis que cette note est appelée « major seventh » (septième majeure). On a même
souvent supprimé le chiffre 7 : si vous ne voyez qu’un triangle, jouez la major seventh (donc
le Si naturel dans notre exemple de la gamme de Do).
En résumé :
Jouons à nouveau cette gamme, mais en jouant un Mi bémol (E flat ou 3–) au lieu du Mi
natural (E ou 3) : cela devient tristounet et même funèbre. C’est cela la gamme mineure et le
mode mineur. Retenez que la caractéristique de toutes les gammes mineures est que
la tierce (3) est diminuée d’un demi-ton.
Le choix entre majeur et mineur dépend du sentiment que l’on veut exprimer en jouant.
32
Pour faire drôle, vous connaissez sûrement la petite musique du célébrissime « Muppet
Show » : c’est du majeur. Vous n’iriez pas jouer cela derrière un corbillard ! Voilà tout… ou
presque.
En fait, en ne modifiant que la tierce dans la gamme majeurre, nous obtenons une gamme
mineure dite « mineure mélodique ». Retenez surtout celle-là, mais il y a d’autres gammes
mineures. Nous verrons cela au chapitre 4 lorsque nous étudierons les modes et la musique
modale.
Presque ! Il y a encore une petite question, comme disait Columbo : les gammes
pentatoniques ou mieux dites, « pentaphoniques ». Nous y venons, ce sera court.
Certains peuples (Afrique, Asie,…) ont utilisé ou utilisent encore des gammes ne
comprenant que cinq tons appelées « gammes pentatoniques », alors que vous savez que
notre gamme en comprend sept et est nommée heptatonique.
Une gamme de C pentatonique en mode mineur (C pentatonique mineur) voit, bien sûr la 3
diminuée d’un demi-ton comme dans toutes les gammes mineures, mais aussi l’absence de
la 2 (ici D) et de la 6 (ici A) et la bémolisation de la 7 (B flat).
La penta majeure est relativement peu utilisée, tandis que la penta mineure l’est beaucoup
plus. En jazz, Coltrane a fait un thème ne comprenant que les notes penta mineures (« Toon
Gee » ou « Tunji »).
33
FIG.14
Bon, maintenant, on y va ! Après un petit coup d’œil sur le tableau annexe qui vous montre
les gammes les plus fréquemment utilisées en Jazz (FIG 15).
Pourquoi les plus fréquemment utilisées ? Parce que les musiciens de Jazz jouent rarement
et les compositeurs (« composers ») composent rarement dans certains tons sur lesquels
l’improvisation serait malaisée et peu riche en idées. Vous ne trouverez pratiquement pas de
thèmes composés dans des tons « impossibles » comme F sharp (F#).
Les gammes illustrées dans la FIG 15 sont les gammes majeures naturelles, dites aussi
diatoniques, par opposition aux gammes chromatiques par demi-tons. Rappelez-vous la
règle des intervalles entre les notes (Chapitre 2).
Si vous les voulez en mineur, diminuez d’un demi-ton les notes 3. Le reste ne change pas.
Un petit conseil : entraînez-vous à écrire ces gammes ainsi que les gammes chromatiques
des différents tons.
La FIG. 15 se trouve à la page suivants pour une vue d’ensemble. Qu’est-ce que je vous
gâte quand-même !
34
FIG. 15
35
Jean Lerusse au Jazzland, Liège 1975 - © Jacques Joris
36
Dave Pike (vbs) 1986 - © Jacky Lepage
37
IV - ACCORDS (= CHORDS) ET HARMONIES
Section 1 : Généralités
Bien qu’utile, un cours complet d’harmonie n’est pas envisageable dans le cadre de ce livre.
Il ne correspondrait d’ailleurs pas aux buts fixés. De plus, certaines règles d’harmonie
classique s’appliquent mal au Jazz (dissonances, résolutions, chiffrages). Je vais donc vous
montrer – à ma façon – ce qu’il faut savoir pour comprendre et jouer le Jazz d’une manière
tout à fait honnête.
Après les successions ordonnées de notes que sont les gammes, on a très vite trouvé beau
de jouer certaines notes ensemble : attention, pas n’importe lesquelles, sinon nous aurions
une belle cacophonie. La voix d’un seul homme et les instruments dits mélodiques
(trompette, saxes), ne jouent qu’une note à la fois. Les instruments harmoniques tels que
piano, guitare, vibraphone, etc. et les chorales peuvent jouer plusieurs notes ensemble. Ils
jouent alors un accord. Un accord est donc l’exécution simultanée ou presque simultanée
d’un groupe de notes choisies et appartenant à une gamme. Un accord comprend un
minimum de trois notes. Il peut en contenir plus mais deux notes seulement ensemble ne
méritent pas encore le nom d’accord. Faut pas pousser !
Nous disions « notes choisies », donc pas n’importe quelles notes ! C’est là tout l’art d’en
regrouper certaines pour que cela sonne bien, gai, triste, bizarre, grave ou que cela
provoque une certaine coloration, une atmosphère ou une tension dans la musique. Bref,
pour que cela exprime les intentions artistiques du « composer ». Il existe donc des règles
d’harmonie, règles qui diffèrent selon les musiques. C’est la raison pour laquelle un accord
de Jazz pourra paraître dissonant et même vilain à une oreille habituée aux harmonies
classiques et, à l’inverse, les accords des grands classiques d’il y a 200 ans paraîtront
parfois fades et insipides aux Jazzmen qui ne commenceront à tendre l’oreille qu’à partir
d’un Debussy ou d’un Ravel.
Il y a donc une question d’habituation de l’oreille, d’éducation musicale à tel idiome.
Un accord dépend d’une gamme et, tout comme une gamme porte le nom de sa note
tonique, la 1, (ex. : F pour une gamme de F majeur), l’accord est nommé et chiffré par sa
tonique (accord de F dans notre exemple). Mais revenons à notre bonne vieille gamme de
C.
Dans un accord de C, la tonique, la 1, sera donc C. On l’appelle aussi « la fondamentale ».
Les autres notes se joueront soit en même temps que C (accord plaqué) ou l’une plus ou
moins rapidement à la suite de l’autre en « tenant » toutes les notes pour les faire sonner
ensemble (accord legato ou brisé, déroulé).
Comment écrit-on l’accord sur une portée ? En y superposant les notes verticalement à leur
place sur la portée, comme à la FIG. 16 à gauche. Pour faciliter la lecture, nous écrirons les
accords sur la portée en arpèges de notes consécutives (FIG. 16 milieu) : c’est plus clair
pour lire les notes, surtout s’il y a des altérations. Prenez progressivement l’habitude de voir
les notes par leur numéro.
38
Section 2 : Accord parfait (triad)
Venons-en à l’accord le plus simple de tous, l’accord de C en mode majeur : on l’appelle
accord parfait (major triad en anglais). Les notes à jouer sont C (1), E (3), G (5) et, pour
finir, répétons si nous le voulons le C (8) à l’octave. Chiffrage : C (tout court).
En anglais : C ou C Major.
FIG. 16
Pour rappel, en chiffrage, le mode majeur ne se spécifie pas. C majeur se chiffre C (tout
court).
En mode mineur par contre, la 3 est abaissée d’un demi-ton (bémolisée), comme vous le
savez depuis le chapitre relatif aux gammes, et le chiffrage devient C avec un signe – à sa
droite, comme à la FIG. 17 suivante. Notez bien que, quand il s’agit d’un accord, le signe –
qui se place à droite de la lettre désignant la tonique de l’accord, et donc l’accord lui-même,
signifie que cet accord est mineur (et non pas bémol comme pour les notes isolées
chiffrées).
N.B. : la notation des accords chiffrés « à l’américaine » n’étant pas universelle, vous
rencontrerez aussi pour C - : Cm, Cmin.
Si vous voulez chiffrer un accord dont la tonique est altérée, diésée (sharp) ou bémolisée
(flat), il faut placer les signes # (dièse) ou b (bémol) à droite et au pied de la lettre désignant
la tonique en question et donc l’accord.
Exemple :
Un accord de F sharp s’écrit avec le signe # à droite et au pied du F : F#
Un accord de F sharp minor s’écrira : F –#
39
Voilà définies les deux grandes familles d’accords avec leurs chiffrages, les accords
majeurs et les accords mineurs venant des deux grands modes occidentaux modernes,
mode majeur et mode mineur (voir annexe sur les évolutions du Jazz modal).
Arrêtons-nous un court instant pour vous démontrer que l’accord chiffré est plus facile et
plus rapide à lire que l’accord fait de notes empilées les unes sur les autres sur une portée.
Supposez que vous deviez lire et jouer deux mesures en Do majeur puis deux en Do
mineur : comparez à la FIG. 18. Cela prend son importance en tempo rapide et avec des
accords changeant beaucoup pendant que les mesures défilent à toute vitesse.
FIG. 18
Je vous le répète : n’oubliez pas qu’en chiffrage, à la différence des accords, quand il s’agit
d’une simple note désignée par son numéro, le signe – placé après (ex. : 3–) signifie ici
flat, comme le signe + placé après la note signifie sharp. C’est donc différent du signe –
placé à la droite de la lettre désignant un accord et qui veut dire mineur. Enfin, quand la
note est écrite sur une portée, comme sur la première portée de la FIG. 18 à droite, les
signes # et b se mettent avant la note (ici la 3–, E bémol). J’enfonce le clou, je sais !
Pour nous entraîner, interro ! Penez une feuille et chiffrez les 9 accords suivants :
1) A (major et natural, mais dans ce cas, ça ne se précise pas, rappelez-vous)
2) A flat
3) B flat minor
4) C sharp
5) E flat minor
6) F sharp
7) C flat
8) B minor
9) A sharp minor
40
Avant de commencer, souvenez-vous qu’il faut respecter la logique alphabétique : pas de
doublons, pas d’omissions : 1, 3, 5 peut être D F# A (on saute une lettre sur 2), mais pas D
Gb A (G et A sont consécutifs), pas D F F# (doublons de lettres).
Voici les réponses chiffrées, puis les accords sur la portée. (FIG 19) :
Les notes de ces accords sont les suivantes, toujours 1, 3, 5 (8) en majeur et 1, 3–, 5, (8) en
mineur :
Trois remarques :
La première est technique : vous voyez que quand il s’agit de la note d’un accord sur
une portée, le signe sharp ou flat s’écrit devant cette note. Je l’ai déjà dit, je sais !
La deuxième est évidente : lire les accords chiffrés est plus facile et plus rapide.
Imaginez encore une fois un pianiste ou un guitariste accompagnant un soliste en tempo
rapide !
La troisième est une question d’oreille : l’accord n° 9 de l’exercice précédent est un
accord de A sharp minor, or nous savons que la note A sharp est la même note que B
flat (cf. Chapitre 2, Section 3).
41
L’accord de A# minor sera donc aussi le même que l’accord de B b minor et comprendra les
mêmes notes, exprimées en sharp pour le premier accord ou en flat pour le second. On
parle d’enharmonies, cad les mêmes notes, nommées autrement.
Essayez ! Ecrivez sur une portée les notes d’un accord B b minor et celles d’un A# minor :
vous entendrez, sentirez peut-être mieux les notes du Bb minor que celles de l’A# minor tout
en constatant qu’elles sont les mêmes.
- N’oubliez pas de respecter la logique alphabétique, les exemples 4 et 9 sont « corrects » à
cet égard. Pas de notes manquantes. 1,3,5, c’est nécessairement C,E,G ou D,F,A, ou E,G,B,
etc…(avec les dièses et bémols appropriés).
FIG. 21
Retenez les numéros des notes supérieures à la 8 comme la portée suivante de la FIG.
21bis vous l’indique : beaucoup d’accords les utilisent aussi. Notez aussi qu’il suffit d’ajouter
7 au numéro d’une note pour avoir la même note et son numéro une octave plus haut (voir
plus loin).
FIG. 21 bis
42
Section 4 : Renversements des accords
Il n’est pas obligatoire de jouer un accord en partant de la fondamentale (la 1) et en alignant
les notes suivantes de l’accord parfait.
Pour illustrer cela, prenons un accord de C que nous allons jouer sur deux octaves
successives, comme dans la FIG. 21 plus haut.
FIG. 22
Plus, si l’on décide de ne pas jouer la 1 (C), ni la 3 (E) inférieures et de démarrer l’accord sur
la 5 (G), en jouant les autres notes restantes, on a G-C-E(-G-C), correspondant à 5-8-10(-
12-15) et c’est toujours un accord de C. On l’appelle le deuxième renversement de l’accord
de C. (FIG. 23).
FIG. 23
En prenant même le nombre minimum de notes pour faire un accord (c’est-à-dire trois) et en
restant dans l’accord de C, on peut avoir, en montant : C-E-G ou E-G-C ou encore G-C-E :
ce sont trois accords de C soit, respectivement, C, C premier renversement et C deuxième
renversement.
FIG. 24
43
Section 5 : Modifications – coloriage des accords (« altérations »)
L’accord parfait a une beauté classique. Mais les accords, c’est comme les femmes. A une
beauté classique on en préfère souvent une qui a un peu de « chien », de « peps » ou qui
« en jette », dit-on aujourd’hui.
Vous trouverez ci-après une liste des principaux accords « altérés » (je hais ce mot !) utilisés
par les Jazzmen. Ces accords colorient l’accord parfait. Bien sûr la liste n’est pas limitative et
le Jazz a progressé et progressera encore par une évolution des harmonies et des
enchaînements harmoniques. Au-delà de ces altérations, certains musiciens inventent leurs
propres systèmes d’accords. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un Bill Evans ou un Mac
Coy Tyner sont reconnaissables entre mille (s’il n’y avait pas d’imitateurs parfois doués).
Mais n’allons pas « here and now » décortiquer les accords super complexes d’un Herbie
Hancock et revenons sur terre pour… commencer par le commencement.
Cette liste (voir FIG. 25) prend en exemple l’accord de C et se présente sous forme d’un
tableau dont je vous explique ici la lecture. Sur une ligne horizontale, on peut lire, de gauche
à droite :
un numéro commençant à 1 et qui n’est qu’un numéro de référence sans rapport avec la
musique
la désignation des notes modifiées de l’accord parfait de C figurant au numéro 1
une portée montrant les notes de l’accord et indiquant les modifications qu’il a subi
un petit commentaire sur l’accord modifié en question
le chiffrage de l’accord tel que vous le verrez sur une grille d’accords ou sur une
partition avec accords chiffrés (et non développés sur une portée pour pianistes)
et enfin la dernière case à droite de la ligne horizontale est un rappel de petites
subtilités harmoniques : certains accords sans être identiques, sont un peu cousins. Pour
ne pas se tromper dans le chiffrage, il faut en tenir compte et bien se souvenir du ton de
l’accord, donc bien revenir à sa tonique, sa fondamentale
Les descriptions de la FIG. 25 concernent les accords de C. En vous basant sur les
gammes, de la FIG. 15, sur les numéros des notes et sur la règle des intervalles, vous
devriez pouvoir déduire quelles sont les notes des mêmes accords que ceux décrits ici, mais
dans des tons autres que C.
Jouons un accord de Bflat7 5 - : les notes à jouer seront B–, D, E, A–. Soit Bb, D, E, Ab.
OK ?
Regardez le tableau et n’oubliez pas que l’aspirine est dans l’armoire à pharmacie.
Les accords décrits sont en MAJEUR. Ensuite nous parlerons du mode MINEUR et de
quelques particularités de certains accords mineurs.
44
FIG. 25 : Les accords majeurs de C
45
FIG. 25 (suite) : Les accords majeurs de C
Comment prononcer les noms de ces accords pour être compris des musiciens américains ?
On prononce dans l’ordre (en partant de la fondamentale, vers le haut, étage par étage) :
3- Le mode s’il est mineur : Minor (en mode majeur on élude le terme major)
4- Eventuellement les notes altérées de l’accord : 5- : flat five ; 11+ : sharp eleven
46
La FIG. 26 vous détaille cela :
FIG. 26
Numéro Chiffrage Nom de l’accord
1 C C
2 C C major seven
3 C7 C seven
4 C6 C six
5 C6– C flat six
6 C5+ C sharp five
7 C5– C flat five
8 C7 5– C seven flat five
9 C 5+ C major seven sharp five
10 C 5– C major seven flat five
11 C7 sus 4 C seven sus four
12 C penta C pentatonic
13 C9 C major seven nine
14 C 9 11+ C major seven nine, sharp eleven
15 C7 9 ou C9 C nine (seldom : C seven nine)
16 C7 9 11 C nine eleven
FIG.27 :
47
c) Il existe un accord, toujours mineur, où les notes sont toutes séparées par un ton et demi,
ce qui donne : C, E–, G–, A, C ou 1, 3–, 5–, 6, 8. Il se chiffre C o et se nomme C diminué.
Sur la portée, cela donne
FIG. 28 :
Pour nommer ces accords mineurs, on ajoute « minor » juste après la lettre désignant
l’accord et après le dièse ou le bémol. Par exemple, C# –7 se dit C sharp minor seven.
Entraînez-vous à jouer et nommer tous ces accords, en majeur et en mineur, d’abord en C
puis dans les autres tons habituels du Jazz, que vous connaissez par les gammes de la FIG.
15. Aidez-vous du tableau des gammes de la FIG.15 ou 29 suivante pour trouver les notes et
leurs numéros. Pensez les accords en lettres et les notes en numéros. Ecrivez sur des
portées notes et altérations de tel ou tel accord, bref, en un mot comme en cent : entraînez-
vous !
Voyez si ces accords vous plaisent, voyez ce qu’ils vous disent, vous inspirent. Pensez-les
comme une palette de diverses couleurs dont vous allez vous servir pour faire votre tableau
musical. Ce sera la base sur laquelle vous improviserez. C’est moins salissant que la palette
de l’artiste – peintre ! Non ?
Et comme l’a très bien dit Jean Lerusse (ben, c’est moi ça !) : la dissonance, c’est le sel de
l’harmonie !
de gauche à droite : Jean Lerusse (b), Louis Mac Connell (ts, fl), Félix Simtaine (dm) - Lou Mac Connell Trio
© coll. de l’auteur
48
FIG. 29
49
Section 6 : Petites subtilités et un piège
FIG. 30
Que s’est-il passé ? La G, note supérieure à gauche, est descendue d’une octave pour venir
flirter outrageusement avec la A– qui est la 1 de l’accord, ce qui donne un intervalle d’un
demi-ton entre ces deux notes. Aïe aïe aïe ! Gare à la dissonance inacceptable, et pourtant
essayez, cela reste un accord de A flat major seven. Je trouve que cela sonne bien. Je crois
que ce petit truc a été trouvé par Bill Evans.
En fait, c’est une application sur 4 notes de la technique des renversements, expliquée plus
hait.
Enfin, pour terminer, nous en avons déjà parlé , je voudrais vous montrer un piège à éviter
dans le chiffrement des accords.
FIG. 31
C’est un accord de E, c’est même l’accord parfait (1, 3, 5, 8) de E.
Voyons maintenant l’accord suivant qui, lui aussi, démarre aussi sur E :
FIG. 32
50
Voyez FIG. 33
Do-Mi-Sol-Do-Mi :
Supprimez le Do inférieur et commencez sur Mi inférieur : vous
avez votre accord mystérieux.
• Pour bien chiffrer un accord, pensez à la fondamentale, la tonique, la 1 d’où cet accord
provient.
Greg Hutchinson (dm) aux Dinant Jazz Nights 2010 - © Jacky Lepage
51
Section 7 : Accords issus du jazz modal – modes dits grecs –
accords de quartes et autres accords.
Pour les définitions, origines et évolutions du Jazz modal, qui, de technique d’improvisation
et d’accords d’accompagnement (les modes) est devenu un style à part entière, je vous
renvoie à l’annexe de ce livre traitant du jazz modal (modal Jazz). Remarquez que depuis
1956, le Jazz modal a coexisté et coexiste toujours avec des formes plus traditionnelles de
jeu du Jazz moderne, il ne les a pas étouffées comme l’ont été le Cool et la West Coast par
le Hard Bop dans les années 50.
Nous envisagerons ici la technique et le moyen d’obtenir des accords modaux. En fin
d’explications, nous alignerons tous ces modes (de Do par exemple) sur des portées.
Pour l’explication des modes, je reprendrai la dénomination européenne des notes, ce sera
moins ardu à expliquer car c’est déjà assez compliqué comme ça. En fait, l’amateur peu
averti pourrait allègrement passer cette section pour y revenir une fois plus aguerri.
En quelques mots, au moyen-âge, les modes étaient des façons de jouer la mélodie et les
accords afin d’exprimer des sentiments ou des états d’âme variés, gais, joyeux, tristes
désespérés etc. Les musiciens choisissaient le mode adapté à l’événement célébré en
accordant leurs instruments de diverses façons. De cette époque, la musique européenne a
gardé le mode majeur et un mode mineur. Puis, au début du siècle, ont été remis « à la
mode » si j’ose dire, les modes suivants, erronément dits « grecs ». Ces modes portent des
noms étranges de peuples antiques de Grèce ou d’Asie Mineure car on croyait au Moyen
Âge qu’ils provenaient de là–bas et de cette époque. C’est faux et l’erreur date du Moyen
Âge, mais l’usage les a finalement consacrés, du moins en Jazz. Nous allons nous servir de
ces noms de peuples et de régions pour vous expliquer cela de manière aussi claire, simple
et amusante que possible. Ce n’est pas gagné !
52
Voici un embryon de carte géographique pour illustrer tout cela : les régions et peuplades
sont indiquées sur la carte
FIG. 34.
Pour l’explication technique de ces accords et modes, imaginons donc ces peuples comme
des voleurs qui convoitent et capturent effectivement… certaines notes de la gamme de
Do majeur, représentée sur deux octaves successives en A sur la FIG. 35 qui suit. Dans
cette gamme de Do, vous le savez, Do est la tonique, la fondamentale, la 1 : ce n’est pas
nouveau.
53
Commençons par le MODE DORIEN
Occupons nous des « brigands doriens » qui, au cours d’une incursion, réussissent à
« capturer » certaines notes de notre bien honnête gamme de Do, à savoir les notes allant
du Ré au Ré supérieur. Cela est représenté par la « capture dorienne » (portée A )
FIG. 35
Ces « bandits » ramènent ces mêmes notes, gardées dans leur ordre, chez eux et décident
d’en faire une gamme, sans rien changer aux notes : Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do-Ré naturels.
Cette gamme, fruit de leurs rapines, ils l’appellent la gamme dorienne ou le mode dorien.
Gamme bizarre toutefois, par rapport à la gamme de Do majeur. Comparez la portée B à la
gamme de DO sur la portée A. Regardez bien la différence :
« Leur » gamme commence sur le Ré et ils en font leur tonique, leur 1. Ils n’ont rien changé
aux autres notes de la gamme de DO. Mais alors « leur » tierce dans « leur » gamme est le
Fa naturel qui se trouve seulement un ton et demi plus haut que leur tonique, Ré. C’est donc
une tierce mineure, qui fait de ce mode un mode mineur. Pour rappel, dans une gamme de
Do, la tierce est Mi située deux tons plus haut que Do : tierce majeure. Ca vous le savez.
Dans une ultime tentative de négociation, la brave gamme de Do majeur rencontre les
Doriens ; cela donne le petit dialogue théâtral, genre dialogue de sourds, que voici :
54
ACTE V SCÈNE 5 (se reporter à FIG. 35)
Gamme de Do : Rendez-moi mes notes, bandits !
Les Doriens : Elles sont à nous et nous avons nommé RE la 1, la Tonique. C’est
notre gamme Dorienne à présent !
Gamme de Do : Vous n’avez pas fait de mal aux autres notes captives, j’espère !
Les Doriens : On n’y a pas touché, on n’a rien changé et elles sont dans l’ordre.
Gamme de Do : Mais votre tonique, votre Ré est un ton plus haut que ma tonique, Do
Les Doriens : On s’en fout. C’est notre gamme, elle est ainsi.
Gamme de Do : (ironique)
Si Ré est votre tonique, votre 1, où est votre 3, votre tierce ?
Les Doriens : (qui réfléchissent)
Ben… ben… euh… notre 3 c’est (ils comptent sur leurs doigts) … Ré,
Mi, Fa). Ben… c’est Fa.
Gamme de Do : Moi, ma tonique, ma 1, c’est Do et ma tierce, ma 3, c’est Mi.
Les Doriens : Et alors ? (in petto) Qu’est-ce qu’elle mijote pour nous rouler ?
Gamme de Do : Combien de tons entre ma 1, Do et ma 3, Mi ? Deux tons, donc tierce
majeure.
Les Doriens : Et nous, entre notre 1 Ré et notre 3 Fa on a… (ils comptent) Ré-Mi :
un ton, Mi-Fa : un demi-ton, ben un ton et demi… mais alors, par
Zeus, notre tierce est… est…
Gamme de Do : … tierce mineure bande d’idiots ! Vous avez fait de ma gamme
majeure une gamme mineure ! C’est malin !...
Les Doriens : Eh ben on s’en fout, elle sera mineure mais on la garde, na !
Gamme de Do : Mais ce n’est même pas une gamme mineure classique, une mineure
« mélodique » de RE ! Regardez votre 7, le Do volé ! (le souffleur :
voir la FIG. 35 et comparer portées B et D). C’est un 7 bémolisé (une
septième mineure) !
Les Doriens : Et bien tant mieux, on a une nouvelle gamme mineure. Vive la
gamme dorienne ! Ha ha ha !
Gamme de Do : Oh, et puis zut. Allez vous faire foutre ! Que Zeus vous foudroie !
RI - DO
Après cette petite facétie, concluons ! La gamme, le mode et l’accord Ré dorien utilise les
notes inchangées de la gamme majeure de DO situé un ton plus bas que RE. C’est un mode
mineur puisqu’il n’y a qu’un ton et demi et non deux entre sa tonique Ré (1) et sa tierce FA
(3) (donc une tierce mineure).
Généralisons à toutes les notes. Le mode, la gamme ou l’accord dorien, mode toujours
mineur quelle que soit la tonalité du moment+, utilise les notes d’une gamme majeure dont la
tonique, la 1, est située un ton plus bas.
55
Passons maintenant aux mode, gamme et accord PHRYGIEN
La gamme, le mode et l’accord de Mi phrygien capturent donc les notes allant du Mi au Mi
supérieur de la gamme de Do majeur. Les notes capturées sont inchangées. La tonique (1)
devient donc Mi et, par rapport à Mi, Do est situé deux tons plus bas. La FIG. 36 montre, sur
la portée A, la « capture phrygienne » et sur la portée B, la gamme de Mi phrygien. Les
gammes de Mi majeur et Mi mineur mélodique sont en C et D et sont différentes de B.
Mi étant la tonique (1) de cette gamme, la 3, la tierce est Sol. Entre Mi et Sol, il y a un
intervalle d’un ton et demi, c’est donc une tierce mineure et la gamme, le mode et l’accord
phrygiens, sont mineurs comme les doriens vus plus haut.
En généralisant, en mode phrygien, on utilise les notes de la gamme majeure située deux
tons plus bas (une tierce majeure plus bas, si vous préférez).
56
Mode triste aussi, mais différent de l’accord mineur mélodique et du mode dorien. Le faible
écart d’un demi-ton entre la 1 et la 2 dans le mode phrygien est caractéristique de ce mode,
(ce qui lui donne une couleur plutôt « espagnole »). Mais évidemment, il faut jouer ces
accords pour entendre, sentir la différence entre ces trois modes mineurs.
Un peu plus simple, le MODE IONIEN, pour nous détendre un petit moment.
Il « capture » les notes de Do au Do supérieur de la gamme de Do majeur. La tonique de Do
ionien est donc Do, les notes du Do au Do supérieur sont celles de la gamme de Do majeur.
Quant à la tierce, c’est Mi ;; c’est une tierce majeure puisqu’il y a deux tons entre Do et Mi.
Le mode ionien est donc un mode majeur (enfin un mode majeur ; il y en aura un autre
après). Mais me direz-vous, où est la différence entre ce mode et la gamme pure et simple
de Do majeur ? Eh bien il n’y en a pas. Je vous l’avais dit qu’on se détendait ici ! En bref, le
mode ionien est un coup de sabre dans l’eau de la mer Egée !
Généralisons : Un accord en mode ionien est identique à l’accord majeur de la même note.
Le mode, l’accord Fa lydien diffère bien évidemment du Fa mineur puisqu’il est majeur (voir
la tierce). La Palice l’aurait bien dit.
Il diffère aussi de l’accord de Fa majeur traditionnel au niveau de la quarte (4) (Si) située un
ton entier plus haut que la tierce (3) (La). La quarte lydienne est donc un Si naturel. C’est
différent de la gamme ou de l’accord de Fa majeur traditionnel où, comme dans toute
gamme majeure traditionnelle, la quarte (4) n’est située qu’un demi ton plus haut que la
tierce (La) ; la quarte est donc dans ce dernier cas un SI bémol : rappelez-vous et revoyez
les données fondamentales des FIG. 5 à 9 : un demi-ton entre 3 et 4, toujours.
Les accords lydiens font penser aux accords traditionnels de 5- (ou 4+).
Généralisons : Un accord lydien utilise les notes d’une gamme majeure dont la tonique est
située deux tons et demi plus bas que lui (une quarte plus bas si vous préférez).
Donc Un Do lydien notes de la gamme Sol majeur, soit les notes Do-Ré-Mi-Fa#-
Sol-La-Si-Do.
Un La bémol lydien notes de la gamme de Mi bémol majeur, soit les notes La b-
Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol-Lab.
57
Avant d’aborder le plus dur, encore un mode facile : LE MODE MYXOLYDIEN.
Le mode myxolydien emprunte à la gamme de Do majeur les notes de Sol au Sol supérieur,
toujours inchangées et naturelles, comme d’hab.
La tonique élue est donc Sol et les notes sont Sol-La-Si-Do-Ré-Mi-Fa naturel-Sol.
La tonique Do de la gamme de Do majeur est donc située trois tons et demi plus bas que la
tonique SOL de la gamme Myxolydienne qui « vole » ses notes à la gamme de DO.
Ici aussi le mode est majeur puisque il y a deux tons entre la tonique myxolydienne (1) (Sol)
et sa tierce (3) (Si) : tierce majeure.
Jouer un accord de Sol myxolydien revient à jouer la gamme majeure dont la tonique est
située trois tons et demi plus bas, soit Do, et cette dernière gamme contient un Fa naturel.
C’est par cette note que la gamme ou l’accord de Sol myxolydien diffère du Sol majeur
traditionnel, dont la gamme, elle, contient un Fa #.
Généralisons : Le mode, la gamme, l’accord myxolydiens sont majeurs et utilisent les notes
de la gamme majeure dont la tonique est située trois tons et demi plus bas (une quinte plus
bas si vous préférez). Ou deux tons et demi (une quarte) plus haut si c’est plus facile pour
vous.
La gamme, le mode et l’accord de La aeolien capturent les notes du La au La supérieur de la
gamme de Do majeur, sans les changer. La tonique devient La et, par rapport à La, Do, la
tonique de la gamme de Do est située quatre tons et demi plus bas (ou un ton ½ plus
haut, cad une tierce mineure plus haut).
58
FIG. 37
La étant la tonique de cette gamme de La aeolien, la tierce (3) est Do (voyez la portée B de
la FIG. 37). Entre La et Do, il y a un intervalle de un ton et demi, c’est donc une tierce
mineure et le mode, la gamme ou l’accord aeolien est donc mineur et même désespérément
triste.
59
Enfin le MODE LOCRIEN dont vous trouverez le schéma ci-dessous.
FIG. 38
Cette gamme de Si locrien vue sur la portée B est différente des gammes en C et D.
Sur la portée B, on voit aussi que la tierce de cette gamme locrienne est un Ré, avec une
différence d’un ton et demi avec la tonique Si : c’est donc une tierce mineure et le mode, la
gamme et l’accord locrien sont mineurs, très mineurs et tellement déprimants que, tiens, je
n’ai même plus le courage de continuer ce livre…Ben, non, je blague, hein !
Généralisons : Le mode, la gamme ou l’accord locrien est mineur et emprunte les notes
d’une gamme majeure dont la tonique se trouve cinq tons et demi plus bas, ou encore un
demi-ton plus haut comme vous voulez, ce sera de toute façon la même note.
60
Exemples Accord de Mi locrien notes de la gamme de Fa majeur, commençant sur le
Mi qui est la tonique du Mi locrien. Donc les notes
seront : Mi-Fa-Sol-La-Sib-Do-Ré-Mi.
Accord de La locrien notes de la gamme de Si bémol majeur, commençant
sur le La qui est la tonique du La locrien. Donc les
notes seront : La-Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol-La.
Résumons-nous et jouons nos différents accords de Do (C) dans les différents modes
Jouant un C ionien, vous jouez en mode majeur (mode IONIEN)
Jouant un C lydien, vous jouez en mode majeur (mode LYDYEN)
Jouant un C myxolydien, vous jouez en mode majeur (mode MYXOLYDIEN)
Jouant un C dorien, vous jouez en mode mineur (mode DORIEN)
Jouant un C phrygien, vous jouez en mode mineur (mode PHRYGIEN)
Jouant un C aeolien, vous jouez en mode mineur (mode AEOLIEN)
Jouant un C locrien, vous jouez en mode mineur (mode LOCRIEN).
A ces modes, dits erronément « grecs », ajoutons les deux modes de la musique
occidentale, que nous avons gardés du Moyen Âge : majeur et mineur mélodique.
Jouant un C–, nous jouons en mode mineur. Notre mode mineur « occidental » porte un
nom, c’est la gamme ou l’accord de Do en mode mineur mélodique ; ce mode figure sur la
portée D dans les dernières figures (34 à 37).
Ajoutons enfin les gammes pentatoniques, qui sont également considérées comme des
modes :
Jouant un C pentatonique, vous jouez en mode majeur.
Les notes sont Do-Ré-Mi-Sol-La-Do
Enfin, jouant un C– pentatonique, vous jouez en mode mineur.
Les notes sont Do-Mib-Fa-Sol-Sib-Do.
Six contre quatre, ceci prouve bien que l’homme est plus enclin à exprimer sa tristesse que
sa joie !
61
Ces accords, issus de la musique modale remise au goût du jour au début du XXe siècle, ne
concernent pas que celle-ci : on peut les rencontrer dans des enchaînements harmoniques
(voir plus loin) et dans une grille d’accords (voir plus loin) de Jazz classique (accords tonals
versus modaux). Ils peuvent aussi subir une altération au niveau de telle ou telle note. Par
exemple C 7 lydien : Do-Ré-Mi-Fa#-Sol-La-Sib où le Fa# est lydien et le Sib est le 7.
Maintenant vous pourrez toujours me dire qu’on peut aussi le chiffrer C 7 5– en accord
traditionnel !
Pour information, d’autres musiques d’autres contrées utilisent d’autres modes que les
nôtres mais nous ne les décrirons pas ici car ils ne concernent pas (ou si peu) le Jazz.
Citons les modes oriental, andalou, tzigane, les modes indiens, etc. Certains Jazzmen, en
quête de sources d’inspiration, ont quelque peu exploré ces modes. On se rappellera les
rencontres Coltrane-Ravi Shankar par exemple. Epiphénomènes transitoires.
Avant de passer aux accords de quartes, voici un tableau (FIG. 39) reprenant les modes et
accords de C,
excepté le C ionien, identique à l’accord traditionel moderne C,
excepté le C lydien, identique à l’accord traditionel moderne C 5–,
excepté le C myxolydien, égal à l’accord traditionel moderne C7,
que vous retrouvez dans le tableau de la FIG 25.
Rhoda Scott (org) et Toots Thielemans (hca), Dinant Jazz Nights 2008 - © Jacky Lepage
62
FIG. 39
Ici il faut jouer ces gammes et accords dans tous les tons, entendre comment cela « sonne »
et s’en imprégner.
63
ACCORDS DE QUARTES ET AUTRES ACCORDS CRÉÉS AVEC LE JAZZ MODAL
Ici nous seront brefs car nous nous éloignons des accords habituels et nous abordons des
préférences et constructions personnelles de musiciens ayant recherché dans des
modifications d’harmonies un nouveau climat méditatif et mystérieux afin de mieux coller au
Jazz modal naissant.
FIG 39bis
Accords enigma
Où l’on ne retrouve pratiquement plus la tonique. Ils conviennent à toute improvisation.
64
FIG. 41
Munis de tous ces accords, nous voilà prêts à envisager comment se déroule un morceau de
Jazz, comprenant en général - bien que pas toujours - et dans sa structure la plus simple :
un thème, puis une partie improvisée, à laquelle prennent part un ou plusieurs solistes, puis
le thème réexposé en fin d’exécution.
Lorsqu’un soliste joue la mélodie d’un thème donné, qu’un compositeur/composer a créé, il
joue une suite connue de notes pendant un certain nombre précis de mesures. Celles-ci sont
un découpage, en parties égales, de la durée de cette mélodie. Le thème, c’est « l’air
connu » du morceau, c’est lui qu’on retient. Un thème dure donc un nombre x de mesures et
pas une de plus ou de moins. Il s’appuie sur un canevas, une forme précise. Après avoir
joué le thème, notre soliste improvisera en respectant certaines règles.
L’écriture de la mélodie du thème et des accords, avec leur découpage mesure par mesure,
constitue une partition. Les partitions de Jazz peuvent revêtir plusieurs formes.
La partition d’un soliste - par exemple, celle d’un trompettiste - jouant la mélodie
comprendra une portée pour les notes et mesures de la mélodie, tandis que les accords
seront très généralement chiffrés en regard des mesures correspondantes. Voici un exemple
de portée comprenant ici trois mesures séparées comme toujours par des barres verticales
avec une ligne mélodique inscrite sur la portée du soliste et les accords à jouer sur ces
mesures, inscrits (chiffrés) au-dessus d’elle.
FIG. 42
65
Le rôle des accords inscrits ici est d’indiquer au trompettiste sur quels accords il devra
improviser pour maintenir la justesse avec le pianiste qui, lui, les jouera en accompagnement
du trompettiste dans l’exposé du thème et les répétera dans la même séquence (le canvas
qui a servi au thème) autant de fois qu’il faudra pendant son improvisation sur ce thème.
Il y a parfois deux accords par mesure. Il peut y en avoir plus, parfois quatre, un accord par
temps d’une mesure à quatre temps par exemple.
FIG. 43
Tout cela est valable tant pour les grandes formations (big bands) que pour les petites, du
moment qu’il y ait des arrangements précis à jouer tels qu’ils sont écrits.
Mais le Jazz, c’est fondamentalement la musique de la liberté, surtout en petite formation.
Dès lors, en pratique et d’une manière générale, mais pas toujours, bien sûr,
l’accompagnateur placera ses accords dans la mesure au moment où il le sentira bon, donc
dans ce cas, pas besoin des notes écrites sur portée, mais simplement des accords chiffrés.
Quant au soliste, il aura besoin des accords et de la ligne mélodique mais, en général, il
connaîtra tout cela par cœur car il aura répété le thème, et n’aura souvent besoin de rien ou
simplement des accords, pour s’en souvenir pendant son improvisation, « au cas où ».
Dans ce cas, les partitions se résumeront à ce qui suit, à savoir une suite d’accords chiffrés
inscrits dans un certain nombre de mesures.
Prenons l’exemple d’un très beau thème d’un grand guitariste liégeois, le regretté René
Thomas, pour lui faire honneur. Ce thème s’appelle « Meeting » et je vous le commenterai
ensuite.
66
FIG. 44 : « Meeting »
En haut à droite, D b : c’est le ton du morceau (il se joue donc en Ré bémol). 4/4 veut dire
que l’on joue en quatre temps. Swing ou bien walk signifie que la basse doit jouer tous les
temps et non un temps sur deux (two beat) et Medium concerne la cadence, le tempo : c’est
donc un morceau de cadence moyenne, pas lent mais pas d’un train d’enfer non plus. De
toute façon, le tempo sera donné au groupe avant de commencer par le soliste, le Leader.
Ensuite, à gauche, pour des raisons didactiques, j’ai écrit A, B, A au début de groupes de
huit mesures séparées comme toujours par les barres verticales. C’est la forme du thème.
67
Le premier « A » de 8 mesures va être joué deux fois : une première fois avec la 8 ème mesure
sous le crochet marqué 1 et la seconde fois avec la 8 ème mesure sous le crochet marqué 2.
Cela nous fait donc 16 mesures à jouer. Ensuite on passe au « B », lui aussi de 8 mesures,
et enfin au dernier A, lui aussi de 8 mesures. Le thème comprend donc un total de 32
mesures. La mélodie est la même dans les A ; elle change dans le B ainsi que les accords,
les harmonies.
Dans chaque mesure, vous voyez les accords chiffrés à jouer pendant cette mesure-là. Il y a
parfois deux accords par mesure (aux 4 ème et 6ème mesures du A). La mesure est alors
surmontée de barres obliques indiquant combien de temps jouer l’accord situé en
dessous (ici chaque fois deux temps de la mesure en quatre temps).
Pourquoi des parties A et des parties B ? Parce que – nous l’avons dit – la mélodie du thème
change en B, tout comme les accords. Nous avons donc une structure du thème (la
« forme ») en « A-A-B-A », une mélodie jouée pendant 8 mesures (le premier A) puis
répétée (le deuxième A ), puis un autre motif mélodique joué en B (on appelle cela le Bridge
ou le pont, le middle-part) et enfin, on revient à la mélodie jouée en A. Cette structure A-A-B-
A de 32 mesures est extrêmement répandue, d’innombrables thèmes « standards » du Jazz
sont construits sur cette structure.
Que fait le soliste après avoir joué le thème ? Il démarre une improvisation sur ce thème. Il
va donc inventer une ligne mélodique libre et non écrite, MAIS qui devra être juste avec les
accords du thème que le pianiste va rejouer derrière son improvisation, juste avec le tempo,
la cadence, donnée au départ et respectueusement « tenue » par le bassiste (bass player) et
le batteur (drummer) et enfin, juste avec le canevas, cad la forme et le nombre de mesures
du thème, ici AABA de 32 mesures. Nous sommes donc très loin du « n’importe quoi » : il y a
des règles rigoureuses et précises à respecter absolument. Le contraste entre celles-ci et
l’apparence de grande liberté de l’improvisation est frappant. Quand un groupe de Jazz joue
devant vous, dites-vous bien qu’à côté d’un semblant de liberté, il y a toujours comme une
montre suisse qui tourne !
Ayant improvisé un cycle de ces 32 mesures, on dit que le soliste a pris un chorus. Que
peut-il faire ensuite ? Soit s’arrêter, soit rejouer un chorus ou encore un autre chorus, donc
32 mesures x 1, x 2, x 3. Lorsqu’il s’arrêtera, après avoir joué (on dit « pris ») le nombre de
chorus que son inspiration lui aura suggéré, ce sera au pianiste ou au bassiste d’improviser
en suivant les mêmes règles. Le batteur peut même prendre un chorus. Bien qu’il ne soit pas
tenu, lui, aux règles des accords, il doit absolument respecter le tempo (voir chapitre traitant
du rythme) et jouer 32 mesures ou 2 x 32 ou 3 x 32 (prendre 1 ou 2 ou 3 chorus). En tout
cas, aucun musicien ne peut s’arrêter au beau milieu de son chorus, par exemple à la 25 ème
mesure d’un canevas de 32.
En résumé, le tempo doit être tenu, les harmonies respectées, ainsi que la forme du
morceau.
La partition d’accords montrée plus haut (FIG. 43) peut être mise sous forme de grilles
d’accords très pratiques. Il s’agit d’un tableau de carrés (système très utilisé en France par
le passé), chaque carré valant une mesure et contenant l’accord ou les accords ad hoc. Les
grilles se lisent évidemment de gauche à droite et de haut en bas, on n’est pas en Arabie.
Voici celle de « Meeting » (FIG.45).
68
FIG. 45 : « Meeting »
A B–7
E–7 Ab7 Db
b
E7
E–7
b Db
A Db
Ab7 Bb7
A
… … … …
… … … Db
B
A–7
b Db7 A–7 D7
B–7
b Eb7 E–7
b Ab7
A B–7
Eb7 Ab7 Db
E7
E–7
b
A Db Db
Ab7
Ces grilles prennent peu de place. Vous remarquez que l’on ne réécrit pas le deuxième A,
sauf la mesure n° 16 qui est différente de la 8. Par contre, il est d’usage de réécrire le dernier
A après le Bridge (le B). Voyez également comment les mesures comprenant deux accords
sont « coupées » par une barre oblique séparant les deux accords (mesures 4, 6 et 8 du
premier A).
LE BLUES
A côté de la forme A-A-B-A, nous allons voir à présent les harmonies et la forme d’une
expression musicale d’une importance capitale et propre au Jazz, du moins au début : le
BLUES.
Avant d’être une forme, le Blues est d’abord un idiome et un climat reflétant l’âme noire et
ses sentiments depuis la naissance du Jazz. Ce parfum du Blues, nous devons l’apprendre,
le humer, le reconnaître dans la musique ; il faut donc écouter, écouter les grands jouer le
Blues… et s’en imprégner.
C’est aussi une forme (en mesures) et des harmonies particulières. Voyons cela.
La forme du Blues est de 12 mesures, souvent en 4 temps. Les thèmes dureront donc
toujours 12 mesures et les chorus 12 ou un multiple de 12 si le soliste « prend » plusieurs
chorus.
69
Quant aux harmonies il faut distinguer celles des origines, du blues pur et dur, puis celles
des innombrables variantes que les musiciens ont introduites dans les enchaînements
harmoniques de ces 12 mesures sans pour autant faire disparaître l’essence du Blues.
Voyons donc la forme traditionnelle d’un Blues (en C par exemple, voir FIG 46). Nous
avons :
Quatre premières mesures centrées sur l’accord du ton dans lequel on joue (ici C) soit 4
mesures en C, très souvent voire toujours affublées de la blue note, donc un C 7.
Deux mesures suivantes passant à l’accord de la quarte (4) supérieure, donc Fa dans
notre exemple (rappelez-vous : Do la 1, Ré la 2, Mi la 3 ou tierce, et Fa la 4 ou quarte).
Ici aussi, la blue note règne, comme partout : donc F 7.
Deux mesures suivantes où l’on est revenu à l’accord de tonique (donc C 7). Cela nous
fait 8 mesures jusqu’ici.
La 9ème mesure est un accord sur la quinte, 5, donc accord de Sol dans notre exemple :
G 7.
La 10ème mesure redescend à l’accord sur la quarte, 4 ; donc F 7.
Les deux dernières mesures reviennent à l’accord de tonique, donc C 7.
A noter que souvent, à la deuxième mesure on joue la quarte, la 4 ; donc F 7 au lieu de la
tonique, pour revenir sur la tonique à la troisième mesure.
Donc, le caractère « Blues » n’est conditionné ni par le mode (majeur ou mineur), ni par la
cadence (4 ou 3 temps), ni par le tempo (lent ou rapide) mais uniquement par le nombre de
mesures (12) et l’enchaînement harmonique typique décrit ci-dessus. Evidemment
l’idiome blues doit être présent également : « Rock around the Clock » est un Blues
techniquement parlant mais ce morceau, dans son interprétation et l’atmosphère qu’il
dégage, n’a rien à voir avec le Blues !
Un musicien Noir Américain a dit que « Le Jazz : c’est le Blues ». C’est peut-être un peu
exagéré mais il est vrai que tout morceau joué par un bon musicien Noir Américain dégage
un parfum de blues et que le même morceau joué sans gravité, sans ferveur ne dégagera
pas cette atmosphère. Ce sera du Jazz techniquement correct mais superficiel, comme trop
de blancs l’ont joué. Ils sont tombés dans l’oubli, ne les nommons pas.
La figure suivante montre les grilles d’accords du blues traditionnel et de quelques unes des
nombreuses variantes de ce canevas.
70
FIG. 46
C7 C7 C7 C7
F7 F7 C7 C7
G7 F7 C7 C7
C7 Bb7 C7 C7 5–
G7 F7 C7 C7
B–7 G–7
C A–7
E7 C7
–
F7 E–b7
F Eb
Bb7 Ab7
–
D7
Db C7 G7
G7
F–7 E–b7
F7 E–1
Bb7 Ab7
– – –
D7 E7 D7
D–7
G7 E–b7 G7 5–
Une autre forme fréquente des thèmes de Jazz est le « seize mesures ». « Minority » (Gigi
Gryce) ou « Third Plane » (Ron Carter) ou encore « The Preacher » (Horace Silver) sont
construits sous cette forme. Voici la grille de « Minority » en F minor.
C79–
F–#9 B7 G–9
C7
71
Et celle de « Third Plane » de Ron Carter - FIG. 48
Bb Bb Bb Bb
A–7 5–
G– 7 C7 F7
D7
B∆
B B B
Bb7
Eb7 D–7 C7
Bb
Eo G7 F7
Il existe de nombreuses autres formes moins courantes. Par exemple (voir FIG. 49), « Like
Sonny » est un 24 mesures, 8-8-8 de forme A-B-A.
A–b7
A–b7 Eb Eb
Bb7
D–b7
D–b7 B B
Gb7
A–b7
A–b7 Eb Eb
Bb7
« This Here » de Bobby Timmons est « bluesy » mais ce n’est pas un blues : il comprend
32 mesures et n’a pas non plus la forme A-A-B-A.
« Scotch and Water » de Joe Zawinul a bien la forme d’un A-A-B-A mais les « A » sont des
blues de 12 mesures et le Bridge « B » ne comprend que 8 mesures.
« Shoulders » joué par Eastern Rebellion, le groupe créé par Cedar Walton, est d’une forme
A-A-B et comprend curieusement 13-13-8 mesures. Remarquons que 13 mesures pour le A
est assez inhabituel. Le Jazz est plus « symétrique » et « pair » : 2 mesures, 4 mesures, 8,
16 ou 32. Si le blues comprend 12 mesures, il s’agit aussi d’un chiffre pair. On dit que le
Jazzman a « le sens du carré ».
Avant d’aborder les grilles d’accords du Jazz modal, qui sont particulières, encore un mot
des enchaînements harmoniques.
Dans les grilles ci-dessus, vous voyez que les accords se succèdent, l’un faisant place au
suivant pour les besoins de l’accompagnement de la ligne mélodique du soliste.
72
Il y a des successions d’accords que l’on rencontre plus souvent que d’autres. Le plus connu
est celui-ci, par exemple dans un thème joué en Do (C) majeur, donc avec l’accord de la
tonique Do. La succession d’accords donne C (1) – A- (6) – D-7 (2) – G7 (5). Les numéros
sont les numéros des notes dans l’accord de Do : La est la 6, Ré est la 2 et Sol est la 5. La
suite C / A-7 / D-7 / G7, qui peut être répétée, s’appelle donc la « one-six-two-five » et est à
la base d’une multitude incroyable de thèmes y compris dans d’autres musiques que le Jazz,
dans la chanson par exemple. Cette suite peut être répétée dans un thème. Et une partie B
est généralement ajoutée au milieu de la forme, ce qui a donné de multiples variantes
connues sous le nom de « Rhythm Changes » - car inspirées de « I Got Rhythm » de
George Gershwin-, ou sous le nom bizarre d’Anatole, en France),
JAZZ MODAL
Les grilles du Jazz modal diffèrent de celles du Jazz traditionnel, be-bop ou hard-bop, par les
accords qu’elles contiennent. Tout d’abord, ceux-ci changent moins souvent au fil des
mesures, ce qui permet au soliste d’improviser plus longuement sur un même accord et
d’exploiter plus profondément celui-ci (ce mode) dans son jeu.
Ensuite, il est fait appel aux accords modaux décrits plus haut (grecs, quartes, clusters de
notes compactes, etc.).
En matière de moindre changement d’accords, observez les deux grilles suivantes : parfois il
n’y a que deux accords différents, comme dans « So What » (Miles Davis), qui a inspiré la
grille de « Impressions » (Coltrane). La forme est un A-A-B-A classique, que vous
connaissez maintenant.
FIG. 50 : Grille d’accord de « So what » (Miles Davis) ou de « Impressions » (John Coltrane)
4/4, 32 mesures (en D), forme A-A-B-A
73
D–9 D–9 D–9 D–9
D–9
D–9 D–9 D–9
A–7
La comparaison avec la grille d’accords de « Meeting » (FIG. 45) est très parlante. Ici
l’improvisateur peut disserter sur 16 mesures de D–9, puis sur 8 de E bémol mineur 9, puis
sur 8 de D–9, un « boulevard » pour les improvisateurs… à condition qu’ils soient inventifs et
féconds, sinon, gare à la monotonie !
En examinant les mesures, on pense à des lignes, des plages horizontales. La première
comprend 4 mesures en C major seven, puis une seconde ligne de 4 en Ab 7 sus 4, puis
une troisième ligne de 4 mesures en Bb major seven, puis une quatrième ligne de 8 mesures
cette fois en D (couleur espagnole) et enfin une cinquième ligne de 4 mesures en G–7. Dans
les chorus, l’improvisateur joue successivement sur chaque ligne et s’attarde parfois sur
l’une d’elles.
Dans la version originale (« Kind of Blue » de Miles Davis), Coltrane choisit de jouer une fois
la première ligne de C, tandis qu’Adderley et Evans la jouent deux fois. La répétition des
mêmes accords introduit une atmosphère, une ambiance (mood) de grande sérénité. C’est
du Jazz modal à n’en point douter. Remarquez qu’aucune de ces « lignes » ou « plages »
n’est prédominante et qu’il serait difficile de dire dans quel ton ce thème est joué : une des
caractéristiques du modal est l’effacement de la tonique du thème.
En résumé comparatif : L’esthétique du Jazz traditionnel réside en une succession variée,
sinueuse et séduisante d’accords sur lesquels le soliste improvise. Il est satisfaisant
d’entendre la mélodie improvisée que le soliste joue sur ces accords et en même temps
d’entendre défiler ces mêmes harmonies derrière lui. En Jazz modal, les accords sont plus
monocordes mais génèrent une atmosphère mystérieuse avec, entre autres, l’introduction
des modes grecs ou d’accords spéciaux propres à certains inventeurs (Bill Evans, Mac Coy
Tyner, Herbie Hancock…). Comme l’accompagnement est plus monocorde, l’harmonie plus
statique, la place de la mélodie du soliste prend plus d’importance et ces musiciens doivent
être de grand talent.
74
En annexe, vous pourrez lire quelques propos relatifs aux évolutions du Jazz modal. Ces
remarques complètent le survol historique du Jazz, traité en début de livre. Ils ont été placés
volontairement en annexe et en fin de livre car leur compréhension nécessite la lecture
préalable des chapitres traitant de l’harmonie et du rythme.
de g. à dr : René Thomas (g), Jean Lerusse (b), José Bourguignon (dm), Jacques Pelzer (as)
Blue Note (Bruxelles 1967) - © collection de l’auteur
75
V - RYTHME – SWING – TEMPO
Section 1 : Généralités
Sauf convention préalable orale ou écrite, la totalité du thème et des chorus doit être jouée
en suivant un seul et même tempo (cadence), plus ou moins rapide ou lente, donnée au
départ par le leader du groupe. La musique est donc rythmée dans son déroulement.
Nous avons vu qu’il existe des instruments mélodiques et des instruments harmoniques
d’accompagnement. Il existe également des instruments destinés à fournir le rythme, les
instruments rythmiques, dont l’archétype est la batterie (les drums).
Mais en fait, le rythme est l’affaire de tous les musiciens : tous le marquent. Le soliste
imprime un rythme dans ses phrases musicales, le pianiste (ou le guitariste)
accompagnateur le marque aussi lors de la frappe des accords ; les notes du bassiste
marquent également le rythme en même temps qu’elles assurent l’harmonie. Il est donc
important que les musiciens s’entendent, s’écoutent afin de fournir un rythme parfaitement
régulier, stable et homogène. Dieu nous préserve d’ailleurs des bassistes ou des batteurs
qui, trop fébriles ou trop poussifs, accélèrent ou ralentissent le rythme du morceau pendant
que défilent les mesures !
Le soutien rythmique est fourni au soliste par ce que l’on appelle une section rythmique qui
comprend le plus souvent piano-basse-batterie ou guitare-basse-batterie. D’autres
combinaisons sont possibles mais plus rares (orgue-drums) (vibraphone-basse-drums).
Section 2 : Le swing
La définition de ce mot est délicate car il s’agit d’une sensation. Dans le dictionnaire, swing
veut dire balancement, oscillation rythmique. C’est vrai, mais c’est un peu court.
En musique, on pourrait ajouter « une certaine souplesse d’exécution » obtenue par certains
moyens techniques et qui induit chez l’auditeur une sensation de balancement répétitif
régulier, oscillatoire, fluide, souple et agréable, qui entraîne et qui berce à la fois.
Le swing est produit par la musique et les musiciens. Pour être mieux approché, il peut être
également défini par les impressions qu’il suscite chez l’auditeur.Celui-ci me parle souvent
d’une balle qui rebondit, ou d’un ballon que le basketteur fait rebondir régulièrement et
souplement du sol à sa main et vice-versa, ou encore d’un ressort qui se tend et se détend
régulièrement et rythmiquement, ou enfin d’une pulsion régulière et élastique. Bref, le swing
se ressent naturellement, il suffit d’ailleurs de voir bouger les pieds des auditeurs dans une
salle de concert ou dans un Jazz - Club pour s’en rendre compte.
Les moyens de production du swing sont tout aussi difficiles à expliquer sèchement d’une
manière technique. Ici encore et toujours, l’écoute des musiciens et groupes qui swinguent
est importante. Essayons tout de même d’approcher ces moyens.
76
1- Rôle de l’accentuation des temps de la mesure.
En Jazz, l’accentuation des temps de la mesure est différente de la musique classique. Les
temps accentués ne sont pas les temps 1 et 3 d’une mesure à 4 temps – que l’on appelle
temps forts –, mais bien les temps pairs 2 et 4 – que l’on apppelle les temps faibles -. Cela
s’appelle l’afterbeat. De même, en jazz, dans une mesure en 3 temps, c’est le temps 2 en
non le 1 qui sera accentué.
En effet, lorsqu’un chef d’orchestre bat la mesure, on le voit marquer de manière très sèche
et brève les 1er, 2ème, 3ème et 4ème temps. On a l’impression qu’il ne se passe rien entre le
marquage des temps et pourtant, entre le marquage des temps d’une mesure, il s’écoule…
du temps, une durée plus ou moins longue ou courte selon le tempo, la rapidité d’exécution
du morceau. Bref, dans la mesure, chaque temps dure…un certain temps.
Schématisons les durées des quatre temps d’une mesure par quatre rectangles horizontaux
mis bout à bout et dont les bords gauches fléchés (1, 2, 3, 4) constituent le point d’attaque
du temps et donc le moment de production de la note de basse. La longueur de chaque
rectangle schématise une durée plus ou moins grande de chaque temps.
FIG. 52
Le positionnement de la note par rapport au temps est important. Si vous jouez très ou trop
« à la pointe », « au faîte » du temps, vous créerez une tension dans la section rythmique qui
fera que les autres (drums et piano) voudront « vous rattraper », ce qui donnera une
impression de fébrilité dans la section rythmique, voire même une réelle accélération du
tempo. Tout cela annihilera le swing.
A l’inverse, si la note de basse est positionnée un peu en arrière du temps, un peu tard dans
le temps, la rythmique sera poussive voire même ralentira le tempo : plus de swing non plus.
77
D’autre part, la façon de « penser » sa note est importante. Pour le bassiste, un bon moyen
de penser sa note est de l’envisager non comme une noire mais comme une liaison croche
pointée-double croche, comme sur le schéma de la FIG. 53. Cela se passe dans sa tête,
mais ça joue un rôle.
FIG. 53
FIG. 54
La note émise va s’atténuer, mais il faut qu’elle dure et qu’on l’entende encore nettement
lorsque la note suivante sera attaquée. Cela provoque une sorte de rebondissement
élastique auditif propice au swing (« pow-pow-pow-pow »).
Par contre, ne jouez surtout pas vos notes de basse comme représenté sur le schéma
suivant.
FIG. 55
78
On voit que la note s’éteint, s’étouffe à la moitié du temps ;; il n’y a donc plus de son en fin de
temps. Cela donne à l’audition une sensation de « ploum…, ploum…, ploum… » anti-swing
par excellence ! C’est parfois le fait d’une mauvaise contrebasse, parfois d’un mauvais
bassiste. Solution : acheter une bonne contrebasse ou virer le bassiste ou lui dire d’écouter
Ron Carter, Gary Peacock, Paul Chambers… et encore Ron Carter, dans des trios surtout.
l’auteur dans son rôle de contrebassiste (Waremme, 1979) - © coll. J. Lerusse
79
3- Rôle du batteur (drummer)
Outre les accentuations sur les différentes caisses (caisse claire, grosse caisse ou toms),
laissées à son appréciation et intervenant bien sûr dans la genèse du swing, le batteur
assure le tempo et le swing via le jeu des cymbales : il fournit un coup de cymbale régulier à
l’attaque de chaque temps des mesures, en accentuant l’afterbeat comme le bassiste. Il ne
marque plus tous les temps de la mesure sur la grosse caisse : c’est le rôle des cymbales et
du bassiste.
A propos du jeu des cymbales, on peut formuler exactement les mêmes remarques que pour
le jeu de la basse quant au positionnement du coup de cymbale, de la durée du son et de
son atténuation. Les coups de cymbales doivent être clairement audibles et individualisés et
non pas noyés dans une marée continue de réverbérations et résonnances cymbalesques.
Vous ne sauriez croire comme il est peu fréquent de rencontrer cela. Il est vrai qu’une bonne
cymbale, ce n’est pas donné. (Ecoutez Roy Haynes en trio avec Chick Corea).
Bannissez surtout les cymbales cloutées : il nous faut donc ici de bonnes « pinging
cymbals », de bonnes baguettes et un bon batteur qui écoute Roy Haynes, Philly Joe Jones,
Jack de Johnette. Au début, qu’il laisse Elvin Jones de côté car c’est un sacré monstre
polyrythmique à n’apprivoiser qu’une fois déjà bien armé !
Outre le coup de cymbale sur chaque temps, le jeu de cymbales est un peu plus compliqué
que les notes de basses, qui sont, rappelez-vous des noires.
Inutile de dire que la synchronisation entre les notes (noires) du bassiste et les noires et
croches pointées du batteur doit être on ne peut plus parfaite. Cela doit faire penser à « un
moteur qui tourne rond ».
Dré Pallemaerts (dm) – L’F Jazz Club, Dinant 2010 - © Jacky Lepage
80
Petite anecdote à ce propos. Le samedi après-midi, j’allais souvent avec ma basse chez
mon ami Félix Simtaine, batteur, qui possédait un cinéma à Verviers. Dans les combles, il
avait aménagé un petit studio où nous jouions à deux, sans piano ni soliste. On choisissait
un tempo et on s’entraînait à jouer bien ensemble pour obtenir une cohérence parfaite. On
appelait ces exercices « faire tourner le moteur », et en effet, le couple basse-batterie, c’est
bien cela le « moteur » de la section rythmique, la « swing machine ».
Après cela, on buvait une bière, ou deux… quand nous étions très contents de nous.
La figure 56 représente le jeu classique de la cymbale sur une mesure en 4 temps puis, à la
ligne suivante, sur 4 mesures.
FIG. 56
Outre le jeu sur la cymbale, le batteur actionne du pied la cymbale « hi-hat » (cymbale
charleston) qui vient renforcer l’accentuation de l’afterbeat (temps 2 et 4) sur les croches
pointées de ci-dessus. S’il vous plaît, Messieurs les Drummers, pas trop fort avec la hi-hat !
L’afterbeat peut aussi être accentué par un coup sur la caisse claire sur les temps pairs 2 et
4, comme le faisait volontiers Art Blakey.
Dans les pieces en three time (Jazz Walz), le jeu de la cymbale devient :
FIG. 57 : 4 mesures.
La hi-hat vient accentuer l’afterbeat (ici, seulement le second temps, la croche pointée).
Un coup sur la caisse claire vient parfois également accentuer l’afterbeat (Louis Hayes dans
« This Here »).
Enfin, le jeu des balais sur la caisse claire peut remplacer le marquage du tempo et de
l’afterbeat sur les cymbales dans les pièces discrètes, les ballades en slow tempos, les solos
de basse, …
81
4- Rôle du pianiste
En Jazz moderne, le rôle du pianiste n’est plus tellement d’assurer le tempo, quoique bien
sûr il doive le suivre parfaitement. Par contre, il contribue au swing de manière importante,
par le choix du positionnement, du placage de ses accords dans la mesure.
Explication : Si son jeu se résume à plaquer un accord durant le premier temps de chaque
mesure, ce sera monotone et cela ne swinguera pas parce qu’il sera constamment en
dehors de l’afterbeat.
Voici un exemple, parmi d’autres, d’accompagnement piano qui swingue bien : accord
plaqué sur la double croche des temps pairs avec une durée d’une double croche ou
maintenue sur la mesure suivante (chaque note représentant un accord du piano).
FIG. 58
Les autres possibilités sont nombreuses. Il faut en user et varier le positionnement des
accords… et beaucoup écouter le swingman W ynton Kelly dans les groupes de Miles.
jam session sur la scène du Gent Jazz Festival 2010 – de g. à dr : Hiromi, Chick Corea, Vijay Iyer (p)
© Patrick Audoux
82
Section 3 : Autres rythmes
On rencontre dans le Jazz d’autres formes de rythmes, mais ceux-ci ne lui sont pas propres
à l’origine. A partir de l’ère du Bop, ils ont été empruntés à d’autres peuples et à d’autres
idiomes, en particulier antillais et africains (Afro Cuban Jazz de Dizzy Gillespie) et brésiliens
(Bossa Nova explorée par Stan Getz), (Jazz Samba de Chick Corea avec son groupe
« Return to forever »). Ces incursions dans d’autres idiomes musicaux vont s’accentuer dans
les années 70’.
Dans l’autre sens, les autochtones « propriétaires », car créateurs de ces rythmes ont
quelque peu jazzifié leur musique originelle, souvent avec succès (Flora Purim-Airto Moreira
en Jazz Samba, Mungo Santamaria en Salsa, Manu Dibango etc…).
D’une alliance des rythmes de Jazz et de Rock est née, vers 1967 la Jazz-Fusion ou Jazz-
Rock. De grandes vedettes, toujours en quête d’innovation, participent à ce mouvement :
Miles Davis (tp), Herbie Hancock (p), Wayne Shorter (ss) et Joe Zawinul (kb) avec
« Weather Report ». Et comme c’est le musicien qui fait la musique, nous avons assisté à du
bon, du meilleur, du pire, et du très facile, frisant actuellement la musique de bars à
cocktails.
Quatre caractéristiques s’affirment jusqu’à nos jours dans cette évolution hybride du Jazz :
1) La perte progressive des conceptions traditionnelles de swing du Hard Bop.
2) La simplification et plus tard la quasi disparition de l’improvisation et la diminution de
l’importance du soliste au profit de la confection d’une œuvre musicale collective
émanant du groupe où chaque musicien a la même importance.
3) L’apparition de percussions produisant des rythmes étrangers nouveaux, issus du
Rhythm and Blues, d’Amérique Centrale et du Sud, d’Afrique et même d’Inde. Le
drummer se voit ainsi affublé d’un ou plusieurs autres percussionnistes pour l’épauler. La
rythmique fournit un Beat original, souvent avec Gimmicks, mais régulier et souvent
répétitif, dont l’écueil, la monotonie, n’est fatalement pas toujours exclue.
4) L’apparition progressivement croissante de l’électronique avec émission de sons
différents et artificiels. On assiste à l’électrification des claviers, synthétiseurs, guitares,
basses, et même d’instruments mélodiques comme trompettes et saxes. La montée en
importance des guitares révèle d’excellents guitaristes : John Mac Laughlin, Pat
Metheny, etc…
A partir des années 90’, la musique devient de plus en plus arrangée, de moins en moins
improvisée et donc plus simple à jouer. En effet, majoritairement il n’y a plus qu’à lire et
retenir une partition. Ces productions musicales moins hermétiques ont le mérite de ramener
une audience, notamment de danseurs (mais quelles danses !?) et de servir de vache à lait
aux maisons de disques, tout en donnant du travail aux musiciens. Mais ce n’est plus le
même Jazz et les critiques ne manquent pas de fuser. « Il n’y a plus de swing, ni
d’improvisation… Est-ce encore du Jazz ?… Musique de la facilité... Médiocrité… etc … »
Enfin, une vache ne retrouverait pas son veau dans le nombre incroyable d’étiquettes
données à ces différentes musiques de Jazz-Fusion à partir des années 90, ce qui témoigne
bien qu’il s’agit davantage de façons différentes d’amalgamer ces tendances en suivant la
mode que de naissances de styles nouveaux, originaux et durables. Sans porter de
jugement de valeur, citons pêle-mêle et entre autres :
83
Le Soul Jazz
Le Funky Jazz
Le Groove Jazz
Le Latin Jazz
L’Acid Jazz
Le Smooth Jazz
Le World Jazz
Le NU-Jazz (et ce n’est pas ici une question de vêtements de scène !)
L’European Jazz
Le Jazz manouche (Django Reinhard et suiveurs), produit européen et même français,
au rythme typique, souvent ignoré aux States : on n’en joue pas au « Village Vanguard ».
A écouter ces différentes tendances, on constate certes des différences, parfois très ténues,
de rythmes et de musiques. L’écoute n’est pas toujours désagréable, quoique pendant toute
une soirée … ? Certains « styles », comme le Latin Jazz, la Jazz Salsa et le Groove Jazz
(Maceo Parker) sont entraînants, percutants et plaisants. Par contre, d’autres sont
monotones et ennuyeux comme la pluie, voire inaudibles. L’histoire décantera ces tendances
encore trop récentes pour porter sur elles un jugement de valeur définitif et leur prédire un
avenir.
Mais lorsque, cela mis à part, vous entendez Keith Jarrett, Gary Peacock et Jack de
Johnette improviser et swinguer en trio, c’est réellement un tout autre monde.
de g. à dr. : Jean Lerusse (b), Léo Fléchet (p), Félix Simtaine (dm), Robert Jeanne (ts) - Robert Jeanne Quartet
© Art et Photo (Alain Hankart)
84
Section 4 : Le tempo
Nous avons déjà évoqué le tempo (cadence) à propos du swing. Il n’y a que peu de choses
à ajouter. Il peut être lent, médium ou rapide ; il est décidé et donné par le leader du groupe
avant de débuter la piece et doit être maintenu constant, « métronomique » pendant toute
l’exécution, sauf conventions préalables comme le doublement du tempo au second chorus
de chaque soliste par exemple. Il est évident que la régularité du tempo est une condition
nécessaire au swing et que des irrégularités de tempo le détruisent.
Il peut être difficile de « tenir » un tempo très rapide ou à l’opposé, très lent. Exemples :
A l’inverse, dans les tempos très lents, on a parfois aussi du mal à garder la régularité.
J’avais pour cela un petit truc : découper en pensée chaque temps en 4 double croches et
les compter mentalement pour « sortir » la note de basse régulièrement sur la première
double croche de chaque temps. Essayez.
85
CONCLUSION
Le Jazz, musique difficile parfois appelée « musique pour musiciens », exige de ceux-ci
des qualités différentes ou plus développées que celles d’un musicien interprète. Citons :
une oreille comme une feuille de bananier, un grand sens de l’harmonie, des intervalles et du
rythme, une capacité d’improvisation avec inventivité et inspiration, et surtout l’acquisition,
pour les musiciens européens blancs, de l’idiome de ce genre musical qui leur est étranger.
Il nécessite une écoute approfondie et répétée, ainsi que travail de la technique et du son de
l’instrument. Tout cela exige du temps. Tout cela doit « maturer ». Le souci de la virtuosité
technique ou de la performance, problème de jeunes, doit progressivement laisser la place à
la quête de la beauté émanant du son, de la mélodie, de l’harmonie, du rythme et de la mise
en place.
Il est impossible de vous apprendre à improviser : vous êtes libre de jouer ce que vous
voulez dans les règles que vous connaissez maintenant.
Je vous souhaite très sincèrement… qu’ils vous écoutent encore dans vingt ans…, que vos
musiciens (s’ils sont bons) ne vous quittent pas, et… que votre petite compagne soit une des
rares femmes qui aiment le Jazz, sinon attendez-vous à rester seul avec votre musique et
votre biniou. Consolation : cela vous aidera à mieux appréhender « the meaning of the
Blues ».
Matériellement, il est difficile sinon impossible de vivre de son art en matière de Jazz, ici ou
même aux States. Côté finances : assurez vos arrières, cela vaudra mieux pour vous. Nous
effleurons ici la question du choix entre amateurisme et professionnalisme. Chaque état a
ses avantages et ses inconvénients. Faites en sorte au moins que le Jazz n’aille pas vous
faire dormir sous les ponts.
Je vous l’ai déjà dit, le Jazz n’est pas qu’une musique ; il vous marquera, il vous changera et
laissera en vous des traces dans tous les sens, bons et mauvais. Mais, croyez-moi, ce n’est
certainement pas une raison de reculer devant l’aventure si elle vous tente. Alors, il me reste
à vous dire : bonne chance dans votre vie musicale, et surtout, faites de la beauté !
86
ANNEXES
Libéré de la grille sinueuse d’accords successifs auxquels l’improvisateur devait se plier, le
« bon » musicien s’épanouit alors dans une plus grande liberté et de multiples variations
mélodiques sur un chord, un mode longuement répété au fil de plages harmoniques
uniformes, durant plusieurs mesures et à la base d’une atmosphère méditative et
mystérieuse (ex. : Dans « So what », on joue en D– pendant les 16 premières mesures !).
Mais seuls les musiciens inventifs et inspirés peuvent rendre ce Jazz attachant. Et de fait,
à partir de 1956, nous eûmes et avons droit à de merveilleuses pages de modal Jazz (Kind
of Blue – 1958), coexistant avec les façons plus conventionnelles de jouer.
Hélas il y eut un revers à cette médaille ! La facilité apparente des grilles d’accords du
modal Jazz, avec leurs harmonies peu variées voire uniques ouvrit aussi la porte à des
musiciens médiocres incapables de « suivre » les sinuosités des différents accords d’une
grille traditionnelle. De leur part, nous eûmes droit à des paraphrases insipides et
monocordes, puisque jouées sur un seul accord : la monotonie fut au rendez-vous. La
barrière des enchaînements harmoniques, abattue, ne fut malheureusement pas la dernière
à tomber.
Une étape ultérieure vit l’utilisation des accords spéciaux de plus en plus énigmatiques (ex. :
C enigma) du modal, où il était difficile voire impossible de retrouver une tonique, une
fondamentale. L’improvisateur médiocre pouvait dès lors jouer à peu près n’importe quoi sur
ces accords « permissifs » sans jouer « faux ». Et ce fut une porte ouverte de plus aux
mauvais musiciens qui avaient des problèmes de justesse avec les harmonies habituelles
tonales aux accords trop changeants.
Ensuite, puisque les accords étaient les mêmes ou presque tout au long de la grille, pourquoi
garder un canevas contraignant de 32 mesures, pourquoi ne pas jouer et s’arrêter quand on
le veut ? Une aubaine de plus pour les musiciens « fâchés avec la notion de chorus » et
incapables de s’arrêter à la 32 ème mesure d’une grille d’accords traditionnelle de 32 mesures
(A-A-B-A). Encore une barrière renversée.
Accords incolores, grilles inutiles et possibilité de jouer n’importe quoi pendant un temps
indéfini : parfait. Il restait cependant encore un point ennuyeux pour nos « gugusses »
comme disait le regretté Nicolas Dor : le tempo à respecter. Qu’à cela ne tienne, les
« nouveaux » batteurs et bassistes allaient cesser de tenir un tempo pour jouer des marées
de sons plus ou moins calmes, plus ou moins échevelées, créant des moments de tension et
de détente en phase avec les « solistes ». Et ce fut le solo de batterie et de contrebasse
permanent derrière ces derniers.
87
Résumons-nous. Des harmonies permettant tout, une absence de tempo, des solistes
pouvant jouer exactement n’importe quoi : ce fut la liberté totale, mais aussi, hélas, le
paradis des médiocres qui envahirent les scènes avec ce style que l’on appela le Free Jazz,
le « Jazz de la liberté ».
Mwouais… Ce fut plutôt un aboutissement déviant et stérile d’une branche sans avenir du
Jazz modal poussé bien malgré lui dans ses dernières extrémités.
Certes de grands musiciens ont poussé leur art jusqu’à l’exploration du Free Jazz, mais ce
style, rempart du médiocre, n’eut pas son pareil pour faire fuir les auditeurs et bientôt l’on vit
davantage de musiciens sur scène que de public dans les salles. Le Free Jazz mourut
bientôt de sa belle mort tandis que le Jazz modal de qualité continua d’évoluer. Tant pis et
tant mieux. A part quelques bons musiciens « free » dont on se souviendra (Bobby
Hutcherson, Pharoah Sanders…) et qui ont fait leur conversion et continué une carrière plus
équilibrée, qui se souvient encore de Milford Graves, Sunny Murray, Albert Ayler, … ? Ne les
regrettons pas.
Michel Herr (comp, arr, p, dir) au festival Saint-Jazz-ten-Noode en 2010 - © Kervin Willow
88
ANNEXE 2 : COMPAGNONS DE ROUTE DURABLES OU D’UN SOIR
BATTEURS TENOR-SAXES
Art Taylor George Coleman
Micheline Pelzer Nathan Davis
Charles Bellonzi Louis Mac Connell
Félix Simtaine Barney Wilen
Billy Brooks Klaus Doldinger
Frédéric Jacqmin Enzo Scoppa
Tony Liégeois Robert Woolf
Renaud Person Eddie Busnello
Robert Jeanne
GUITARISTES Bib Monville
René Thomas
John Thomas TROMPETTISTES
Franco Cerri Dizzy Reece
Wim Overgauw Cicci Santucci
Jo Verthé
TROMBONISTES
PIANISTES Slide Hampton
Michel Herr
Léo Fléchet Vibraphonistes
Charles Loos Dave Pike
Jean-Marie Troisfontaine Guy Cabay
Claudio Lo Cascio
Maurice Simon BASSISTES
François Mathus Salvatore La Rocca
Jack Van Poll
Philippe Borlée
ALTO-SAXES Charles Petitjean
Pony Poindexter Georges Leclercq
Jacques Pelzer José Bedeur
Bengt Jaedig
Lennart Johnson CHANTEUSES
Anita O’Day
Ella Woods
89
ANNEXE 3 : THÈMES CITÉS DANS CE LIVRE
90
ANNEXE 4 : THÈMES FACILES POUR DÉBUTER
Broadway (AABA)
BLUES
C Jam Blues
Bag’s groove
91
ANNEXE 5 : ABRÉGÉ DES SIGNES DES PARTITIONS
A part l’écriture simplifiée dont vous trouverez un exemple et qui montre que c’est au
musicien de Jazz expérimenté d’interpréter l’écriture dans le sens du swing, ce petit abrégé
n’a rien de différent des signes rencontrés dans une partition classique et au solfège. Soyons
donc schématiques et brefs.
FIG.59
92
ANNEXE 6 : GLOSSAIRE
Bar : Mesure
Bass : Contrebasse
Bridge : Partie B d’un thème de forme AABA durant en général 8 mesures (= Middle Part)
Composer : Compositeur
Drummer : Batteur
Flat : Bémol. Abaissement d’un demi ton d’une note. On dit bémolisation de la note.
Four Beat : Quatre temps. Se dit au bassiste afin qu’il joue une noire par temps de la
mesure.
Gig : Engagement d’un musicien en club ou pour un concert.
Gimmick : Motif répétitif, mélodique et/ou rythmique captant l’attention de l’auditeur.
Hip : « Dans le coup », branché, qui vit sa vie avec souplesse d’esprit…
Natural : Naturel, non altéré. Une note naturelle : notes « blanches » du clavier de piano.
Square : Antonyme de Hip. Mesquin. Esprit « carré » sans souplesse ni humour. Gauche.
Two Beat : Jouer une noire sur les temps 1 et 3 d’une mesure en 4 temps (bassiste).
Walk : Voir Four Beat : le bassiste joue une noire sur tous les temps de la mesure en 4
temps.
93
REMERCIEMENTS
Jamais de ma vie je n’avais écrit de livre ! Par bonheur, j’ai reçu pour ce faire aide et
assistance charitables.
Sa sœur, Martine Le Paige, a droit à ma plus profonde gratitude : je me rends parfaitement
compte que la correction et la mise en page d’un tel livre est une tâche exigeante, parfois
fastidieuse. Elle a mené tout cela tambour battant là où mon désordre m’aurait fait me
planter lamentablement. ? Je dois encore remercier Jean-Marie Hacquier qui a repris le
travail de Martine pour y joindre quelques photos et y introduire signes et conventions
éditoriales. A propos quel est l’illuminé qui a dit qu’un beau désordre était un effet de l’art ?
Je pense également, et ici avec une grande émotion, à tous les musiciens, vivants ou
disparus, que j’ai côtoyés dans ce domaine de ma vie. Par osmose, ils m’ont tout appris, tout
montré, tout donné et ma gratitude envers eux reste immense. Comment ne pas être
sensible au bonheur qu’ils m’ont apporté pendant quarante ans ?
Le but de ce livre est de transmettre à mon ami lecteur l’expérience accumulée grâce à
mes contacts musicaux : ma propre expérience du Jazz de la seconde moitié du XXe siècle.
Jean LERUSSE
10 mars 2010
94
Affiche du concert organisé au Tennis Club de Waremme en 1979 - © courtesy by Jean-Pierre Goffin
95
96