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Terminologie.

Savoir et savoir faire1

0. Introduction à la terminologie
0.1. Polysémie du mot terminologie lui-même. Des mots et des termes

Une terminologie, c’est un ensemble de termes relevant d’un même domaine de spécialité
(domaine d’activité et/ou domaine de connaissance). La finesse du découpage thématique, et donc le
degré de spécialisation du domaine ciblé d’abord et, par voie de conséquence, de son vocabulaire
dédié seront en pratique très variables, depuis les domaines globaux (économie, vie sociale, politique,
arts…), et jusqu’à des thèmes spécifiques à un sous-domaine particulier : terminologie économique>
terminologie commerciale> terminologie du commerce de détail> terminologie du commerce
électronique (spécialisation croissante)
On parlera donc, dans cette acception, également de terminologies au pluriel. L’éparpillement
des domaines est formidable, d’où le nombre énorme de termes par rapport au nombre des mots de la
langue commune (lexique général).

Qu’est-ce donc qu’un terme (vs2 mot)?

Un terme est un mot (simple ou composé) ou un syntagme lexicalisé – autrement dit, une unité
lexicale3 – qui désigne un concept spécifique à un certain domaine de spécialité.
La spécialisation par domaines caractérise donc les termes d’entrée de jeu, tout en opposant le
concept de terme, au concept de mot : c’est là une propriété4 saillante des termes, une propriété à la
fois nécessaire et suffisante pour qu’une unité lexicale puisse être envisagée comme terme.

La locution nominale pomme de terre (en tant que désignation du seul


tubercule comestible produit par l’espèce Solanum tuberosum, et non de la plante toute
entière) peut ainsi fonctionner comme terme dans le domaine de l’agriculture (en
maraîchage5 notamment : récolte et conservation des pommes de terre) ou dans le
domaine culinaire (des pommes de terre au four). En tant que désignation de la plante
tout entière, la même unité lexicale sera plutôt un terme de botanique (la pomme de terre
est une plante herbacée vivace qui appartient à la famille des solanacées), ou
d’agronomie6 (culture de la pomme de terre, techniques de fertilisation de la pomme de
terre ; une pomme de terre transgénique).

1 Sauf indication contraire, tous les liens cités dans ce texte auront pour date de consultation (de leur dernière consultation, en
fait) le 19 octobre 2018 (date de la révision et mise à jour du texte).
2 L’abréviation vs (lat. versus) note en linguistique l’opposition.
3
Nous n’allons pas revenir ici sur les réserves théoriques tout à fait justifiées quant à la notion de mot, en linguistique, ni
reprendre les distinctions pertinentes en lexicologie : mot-forme (terme – termes ; comprendre – (je) comprends – (je)
comprendrai – compris), lexie (= unité lexicale) : lexème (ensemble de mots-formes que seule distingue la flexion : TERME
– nom masculin, COMPRENDRE – verbe intransitif), ou bien locution (syntagme à syntaxe contrainte et sémantique non-
compositionnelle : POMME DE TERRE – noter qu’une pomme de terre n’est pas une pomme, ni un fruit – mais un légume,
et que l’on ne peut rien intercaler entre pomme et de terre : une pomme au four/ *une pomme au four de terre/ OKune pomme
de terre au four). En terminologie, c’est traditionnellement de l’opposition terme vs mot que l’on fait état, où par mot on
comprend ce que les lexicologues appellent lexème.
4
Comme nous le verrons sous peu, les terminologues parleront alors plus volontiers de caractère que de propriété.
5
« Culture intensive de légumes, généralement localisée aux abords des villes, telle que la pratiquent les maraîchers »
(TLFi). Legumicultură ro = maraîchage fr ; legumicultor ro = maraîcher fr. En outre, le français dispose, concernant les
légumes, de l’adjectif et du nom potager : jardin potager (ou : potager n.m) – grădină de legume (şi zarzavaturi), carré
potager – strat de legume, culture potagère – cultură de legume, travaux potagers – lucrări în legumicultură.
6
Si l’agriculture est une activité, l’agronomie est la science correspondante : le TLFi définit même l’agronomie comme un
ensemble de sciences (pluriel) et de techniques (« ensemble des sciences et des techniques de recherche et d’application
concernant l'agriculture »).

1
Le GDT (Grand Dictionnaire Terminologique7) comporte, en critères de recherche, pas moins
de 163 « domaines », dont :

- des domaines d’activité et de connaissance : zootechnie, zoologie, nanotechnologie,


métallurgie…
- des domaines d’activité: industrie minière, industrie papetière…, services funéraires,
emballage et conditionnement, manutention et stockage, repassage…
- des domaines de connaissance : science de l’atmosphère, science de l’information
- des sous-domaines: métallurgie des poudres
- des thèmes particuliers (concepts associés à un domaine ou à un sous-domaine). Activités
associées à un certain domaine d’activité (tel le tamisage, qui est associé au domaine de
l’industrie minière), mais aussi classes d’objets associés à certains domaines/ sous-
domaines, classes souvent désignées par des noms collectifs: matériel de fixation, matériel
de terrassement; habillement; linge de maison; outillage, serrurerie…

Cette ressource terminologique recensait – semble-t-il – pour le français (français


« international » dans une première approximation, pour l’essentiel identique au français de France8,
mais également, dans une certaine mesure, français québécois vernaculaire9), plus de trois millions de
termes lors de sa mise en ligne, en l’an 200010. Rien d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas de statistiques
mises à jour quant au nombre exact de fiches (en raison des doublets, le nombre de termes ne
correspond pas exactement au nombre de concepts), ni sur le nombre exact de termes traités (vedettes
+ synonymes).

Par comparaison, les dictionnaires de français-langue générale affichent des scores bien plus
modestes : le TLFi (Trésor de la langue française informatisé) ne comporte, quant à lui, qu’environ
100.000 entrées et 270.000 définitions – correspondant aux diverses acceptions recensées pour les
mots polysémiques – chiffre largement dû à l’inclusion d’acceptions spécialisées à qualificatif de
domaine (qui sont autant de termes). Le Grand Robert de la langue française (2017, version
informatisée) recèle, lui, 100.000 mots et 300.000 sens.

Si une terminologie, c’est un ensemble de termes (une terminologie – des terminologies, la


terminologie médicale, la terminologie du tourisme…), la terminologie (au singulier, à article défini et
sans complément de domaine) peut désigner tantôt (i) l’activité pratique du terminologue (collecte,
analyse, systématisation des termes et des concepts d’un domaine donné, compilation de glossaires

7 Banque de données terminologiques construite par l’OQLF (Office québécois de la langue française) pour franciser la
communication professionnelle dans les services publics et l’enseignement, au Québec (province francophone du Canada).
Cette banque de données terminologique comporte aussi des fiches rédigées par des partenaires de l’office, et non validées
par l’OQLF. Les fiches respectent le principe une fiche/ un concept (tous les synonymes figureront sur la même fiche que le
terme vedette), et indiquent aussi les équivalents anglais (voire espagnol et parfois catalan) des termes vedettes (avec leurs
synonymes à eux).
8 Variété standard et langues de spécialité.
9 Une langue vernaculaire est un idiome parlé au sein d’une certaine communauté linguistique. C’est typiquement, mais pas

nécessairement, une langue première ou : maternelle, en tout cas, c’est la langue parlée systématiquement à la maison – le
terme venant du latin vernaculum, qui désignait ce qui était confectionné à la maison, par opposition à ce que l’on se
procurait par échange. Le français parlé en France, ou ses variétés géographiques respectivement parlées au Québec, en
Belgique ou bien en Suisse romande sont autant de langues vernaculaires, c’est-à-dire : locales, autochtones.
Le français comme langue de la diplomatie et comme langue des élites européennes par le passé, ou bien comme
langue de travail dans les institutions européennes et internationales de nos jours encore est, par contre, une langue
véhiculaire, employée en contexte de plurilinguisme, comme véhicule de communication entre personnes dont la langue
vernaculaire (locale) est autre. Le koinè en Grèce ancienne, la lingua franca dans le bassin méditerranéen (jusqu’au XIXe s –
une combinaison de français, italien, espagnol, et autres langues, comprise par les marins, les marchands et les esclaves), en
furent des exemples historiques si saillants que l’on utilise actuellement ces termes, par extension (métonymie) comme
synonymes du terme de langue véhiculaire. On peut ainsi dire sans contradiction inhérente que l’anglais soit de nos jours la
lingua franca des sciences et de la technique.
10 Selon https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/les-meilleurs-dictionnaires-de-langues-en-ligne/17297) –

consulté le 2 octobre 2018.

2
terminologiques – activité parfois appelée terminographie, terme créé par Alain Rey11, dans les années
’70, d’après le modèle de lexicographie), tantôt (ii) la discipline étudiant les concepts spécialisés et les
termes qui les désignent (en langue d’une certaine spécialité) – une discipline, voire une science12 – ce
pourquoi dans ce cas-ci, la formation en –logie recouvre son potentiel sémantique maximum13.

La polysémie du mot terminologie ne fait cependant pas l’unanimité, ni quant au nombre, ni


quant à la nature des acceptions discriminées.
Pour une présentation synthétique des trois acceptions ci-avant mentionnées, nous renvoyons
les apprentis-traducteurs au portail France Terme14, plutôt qu’aux dictionnaires de langue générale
(tels que le TLFi ou le Nouveau Petit Robert), qui ne distinguent que deux acceptions majeures (ou
bien « ensemble de termes » vs « activité », ou bien « ensemble de termes » vs « science »15).

L’article terminologie, n.f. dans le TLFi ne fait en effet état que de la


distinction entre terminologie – « ensemble de termes », d’une part, et terminologie –
« travail terminologique » (« art de faire » ceci ou cela : recenser des termes dans les
textes, analyser des systèmes conceptuels, compiler des glossaires, créer des termes,
…), de l’autre. Tout en brouillant cette distinction fondatrice par des pseudo-
distinctions qui de fait dérivent de la première acception : ensemble de termes savants
(sens A)/ ensemble de termes relatifs à un système notionnel (sens B1) ; ensemble de
termes propres à un auteur (sens B3°a)/ ensemble de termes propres à une région ou à
un groupe social (sens B3°b). Travail (« art ») du terminologue et discipline
scientifique semblent cela dit être confondus (sous le sens B2°, dont la définition est
empruntée à un texte de Robert Dubuc portant manifestement sur le travail
terminologique, et non sur la discipline linguistique ou « science de la terminologie »,
alors que les illustrations (exemples) ne laissent pas de comporter la collocation
terminologie théorique16, procédant, elle, manifestement, du concept de « discipline/
science »).

Le Nouveau Petit Robert 2007 distingue, lui, « ensemble (structuré) de


termes », d’une part, et « étude systématique des termes (…), principes généraux qui
président à cette étude » de l’autre.
Ce qui ne laisse pas d’étonner, c’est le renvoi à lexicographie, juste après la
première partie de la seconde définition (« étude systématique des termes »), tandis
qu’un exemple illustratif assertant la relation de la terminologie à la lexicologie est
inséré après la seconde partie de la définition (« principes généraux qui président à
cette étude »).
Or, la lexicographie est définie explicitement, dans le même dictionnaire,
comme « travail et technique », et la lexicologie comme « étude de …» – descripteur à
rapprocher sans doute de « science qui étudie …». En effet, la linguistique y est
définie comme « science qui étudie » le langage, la physique, en tant que « science qui

11 Le nom vous est sans doute connu depuis la couverture intérieure des dictionnaires Robert – Le Petit Robert, Le Nouveau
Petit Robert… Pour complément d’information sur ce grand amoureux des mots, ainsi que sur les dictionnaires et la maison
d’édition, voir : https://www.lerobert.com/auteurs/alain-rey.html. Ça vous dirait de le voir et d’entendre le son de sa voix ?
Alain Rey vous présente Le grand Robert, le dictionnaire le plus complet de la langue française" aux éditions Le Robert, sur :
https://www.youtube.com/watch?v=Vt48aljyCuY.
12
Branche de la linguistique appliquée. Rappelons que discipline désigne, selon les dictionnaires, une « science, matière
pouvant faire l’objet d’un enseignement spécifique » (TLFi).
13
Comme vous l’avez sans doute remarqué, pas mal de noms de sciences/ disciplines finissent en logie : phonologie,
morphologie, lexicologie (vous avez déjà suivi des cours en ces disciplines-là), méthodologie, déontologie (on va vous
proposer sous peu un cours de déontologie académique et méthodologie de la recherche), archéologie (avez-vous remarqué
les travaux dans la cour intérieure de notre bâtiment ?), géologie, sociologie …
14 Voir http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/terminologie.html
15
Noter que les descripteurs « science », « discipline », « activité » ne sont pas attestés dans les descriptions
lexicographiques commentées.
16 Intégrée d’ailleurs, de manière encore plus significative, à la série terminologie théorique, pratique, appliquée (voir

linguistique théorique/ linguistique appliquée : tout le monde est entendu pour considérer la linguistique comme une
science).

3
étudie » les propriétés générales de la matière, mais les branches de la linguistique
seront, elles, définies directement en termes du descripteur « étude de » (voir par
exemple articles phonétique, adj. et n.f., morphologie, n.f.).
Une certaine contamination entre terminologie « étude des termes » et
terminologie « travail du terminologue » subsiste, ne serait-ce qu’à la faveur du renvoi
à lexicographie – sur fond d’omission d’une entrée terminographie parallèle à
lexicographie, mais décidément dans ce dictionnaire, à la différence du TLFi, c’est
l’acception « science/ étude de » qui cannibalise l’acception « travail , activité de ».

La norme ISO 704 : 200917 semble confondre elle aussi travail terminologique et discipline
scientifique (voir les acceptions 2 et 3 du mot terminologie recensées sur le portail France Terme),
mais pas en tant que sens du mot terminologie.
Au contraire, le vocable de terminologie y est réservé pour le seul usage collectif (pluralisable
et susceptible de saisie indéfinie : une terminologie/ des terminologies, la terminologie (de ___/ +adj.),
les terminologies) : « Dans la présente Norme internationale et pour la langue française, le travail
terminologique désignera la discipline [ !] et terminologie, utilisé au pluriel ou précédé d'un article,
renverra à l’ensemble des désignations d’un domaine particulier, tel que la terminologie juridique ».

Mérites de cette approche :

(i) l’effort de réduire la polysémie, en proposant des désignations distinctes pour


chacun des concepts discriminés18,
(ii) l’effort de donner des assises à proprement parler linguistiques à la discrimination
(explicites quant à la seconde catégorie : « terminologie, utilisé au pluriel ou
précédé d’un article »).

Limites de cette approche :

(i) délitement de la distinction entre activité du terminologue d’une part, et discipline


(domaine du savoir), de l’autre ;
(ii) création d’un terme (travail terminologique) dont la sémantique
compositionnelle, orientée « activité » en arrive ou bien à parasiter la définition
du concept qu’il est censé désigner (« discipline »), ou bien à l’assimiler, ainsi
que le suggère l’énumération des composantes du travail terminologique, qui
toutes relèvent davantage de ce que le terminologue fait lors de projets
terminologiques déterminés que de la réflexion théorique (voir tableau ci-contre).

Composantes du travail terminologique selon ISO 704 : 2009

- identification des concepts et des relations entre concepts dans un certain domaine/ sous-domaine etc.,
- analyse et modélisation des systèmes de concepts à partir des concepts et relations préalablement identifiés,
- réalisation des représentations (= modélisations) de systèmes conceptuels à l’aide de schémas conceptuels,
- définition des concepts (formulation de définitions terminologiques, régularisées par le terminologue, et non :
définitions attestées telles quelles dans les ressources documentaires primaires ou secondaires),
- attribution de termes (ou autres désignations, selon le cas) aux concepts ainsi définis (notamment pour les concepts
nouveaux : néologie primaire ; alternativement, proposer un terme dans une langue cible autre que celle de la
néologie primaire, proposer donc un équivalent terminologique ; lorsqu’il y a plusieurs désignations de disponibles
pour un certain concept déjà en place dans une certaine langue : en choisir une ou plusieurs et lui ou leur assigner un
statut privilégié)
- activité d’enregistrement des terminologies sur support imprimé ou électronique (terminographie)

17 Voir https://www.iso.org/obp/ui/#iso:std:iso:704:ed-3:v1:fr – dernière consultation le 30 octobre 2016.


18 Ce qui va tout à fait dans l’esprit des travaux d’Alain Rey, qui préconisait, dans les années ’70 déjà, l’usage de
dénominations distinctes pour la terminologie théorique – terminologie, d’une part, et pour la terminologie pratique –
terminographie – de l’autre. Mais, hélas, en délitant, en pratique, cette distinction même !

4
Dans le manuel de terminologie conceptuelle de Helmut Felber19 distinction est toujours faite20
entre trois concepts désignés par le vocable terminologie, mais ce ne sont pas exactement les trois
concepts dont nous venons de faire état (dans le sillage de France Terme) : si l’auteur distingue la
science de la terminologie (domaine du savoir) et les ensembles de termes (terminologie 1° = « science
de la terminologie, comme domaine du savoir interdisciplinaire et transdisciplinaire ayant trait aux
notions et à leurs représentations (termes, symboles) » ; terminologie 2° = « ensemble de termes (qui
représentent le système des notions liées d’un domaine du savoir) »), le troisième concept de distingué
n’est pas de l’ordre du travail terminologique (activités du terminologue), mais de l’ordre des produits
de ce travail (terminologie 3° = « publication dans laquelle le système des notions liées d’un domaine
du savoir est représenté par des termes »).

Notre choix, ici, pour la tripartition proposée sur le portail France Terme est étayé par des
critères d’abord linguistiques (interface sémantique lexicale/ sémantique grammaticale) : opposer
« ensemble de termes » à « domaine du savoir » d’une part et à « activité pratique (travail
terminologique) », de l’autre, permet de rendre compte des caractéristiques d’usage du mot
terminologie dans ces trois emplois : singulier seulement et article défini privilégié, dans les deux
dernières acceptions, abstraites, contre pluriel et article indéfini possibles seulement dans la première
acception, concrète21. Le rapprochement formel (comportement morphosyntaxique) entre
terminologie-activité/ terminologie-science serait-il à l’origine de la confusion des deux concepts dans
la littérature (dictionnaires compris) ?

Par contre, opposer « ensemble de termes » à « domaine du savoir » et à « produit


terminologique » ne correspond pas à un comportement sémantico-syntaxique uniforme du même
type, du moins en français : à supposer que cette dernière acception soit de fait jamais actualisée en
discours sans métonymie assez marquée (??Deux nouvelles terminologies viennent d’être mises en
vente chez Hachette)22, le comportement syntaxique dévoilera au mieux la parenté sémantique entre
terminologie-« ensemble de termes » et terminologie-« publication ». Les produits terminologiques se
déclinent par hypothèse en plusieurs essences, comme les ensembles de termes qu’ils recensent – d’où
la variabilité morphosyntaxique du mot, dans ces deux classes d’emploi (occurrences à article défini
ou indéfini, au singulier ou au pluriel, avec ou sans complément de domaine).

En guise de conclusion : les termes peuvent-ils être qualifiés de spécialisés, en


terminologie23 ?

Puisqu’à la différence des mots de la langue commune, les termes désignent par hypothèse
(c’est-à-dire : par définition) des concepts relatifs à des domaines de spécialité, il n’est pas tout à fait
correct de qualifier un terme (ni un ensemble de termes) de spécialisé. On peut en revanche en
spécifier le degré de spécialisation :

19 FELBER, Helmut (1984/ fr.1987) – Manuel général de terminologie, Paris: UNESCO et Infoterm. Ajouter dans la
présentation orale des infos sur le manuel (destinataires notamment: commissions de terminologie, contexte Infoterm/
CT37!!!)
20 Sous 1.01 (chapitre intitulé « Qu’est-ce que la terminologie ? ») il est clairement asserté, dans Felber 1984, que le terme de

terminologie est « affecté à [ces] trois concepts : (…) ».


Dès les premières lignes de l’Introduction, Felber 1984 distinguait trois volets pertinents, en matière de terminologie – en
l’occurrence la science terminologique, le travail terminologique et la documentation terminologique (où le dernier syntagme
désigne des produits du travail terminologique, ultimement consistant en ensembles de termes, alors même que dans le corps
de l’ouvrage il désignera aussi l’activité du documentaliste terminologique) : « "Au cours des dernières décennies, la science,
le travail et la documentation terminologique ont fait de grands progrès" (op. cit., p. iv).
21 Non que la distinction abstrait/ concret joue directement dans l’aptitude à pluralisation formelle (les mathématiques vs #les

psychologies, #les pédagogies, #les phonologies, #les morphologies – pluriel non attesté sans lecture sortale). Remarques : le
symbole # marque en linguistique le caractère non-attesté d’un exemple.
22 L’acception <publication> allégué par Helmut Felber viendrait-elle du fait que le mot terminologie apparaît souvent (en

concurrence avec vocabulaire ou lexique spécialisé, ainsi qu’avec des hyponymes : dictionnaire, glossaire, thésaurus) sur la
couverture/ dans l’intitulé desdites publications ?!?
23 Noter la formulation en terminologie : la terminologie est entendue ici comme domaine de spécialité (domaine d’activité

et/ou du savoir).

5
- tel terme relève d’un domaine plus pointu que tel autre,
- à l’intérieur du même domaine, tel terme est une variante moins spécialisée – mieux
vaudrait sans doute dire alors : moins technique – de tel autre (dénominations dites
populaires de plantes, par exemple, par rapport à leur dénomination savante en latin –
pomme de terre par rapport à Solanum tuberosum)… Les variantes plus techniques
sont typiquement employées par les spécialistes, les variantes dites populaires, par le
commun des mortels, mais les concepts désignés par les deux (et les objets du monde
qui les illustrent) relèvent du même domaine de spécialité (dans l’exemple donné, des
sciences de la nature ou, si l’on veut spécialiser – ou : morceler – davantage : de la
botanique).

Pour nous donner les moyens de trancher la question de savoir si oui ou non les tours terme
spécialisé, terminologie spécialisée, de plus en plus souvent rencontrés y compris sous la plume de
profs de terminologie et de terminologues chevronnés, voire dans certaines versions de normes ISO
relatives au travail terminologique24, il faudra voir d’abord quel est le sens exact du mot français
spécialisé, selon les dictionnaires de langue. Cet adjectif vient du participe passé du verbe spécialiser,
qui, lui, signifie (d’après le TLFi) « rendre quelqu’un ou quelque chose apte à un emploi précis,
déterminé, restreint », et, en emploi absolu, « restreindre (par souci d'approfondissement) un domaine
de connaissance et ses applications », le synonyme indiqué étant alors morceler. Exemples donnés :
spécialiser la justice25, spécialiser les quartiers d’une ville (affaires/ commerce/ loisirs/ résidence). Le
verbe a donc décidément à voir plutôt avec la notion de domaine de spécialité qu’avec le degré de
spécialisation. Et de un.

L’adjectif spécialisé s’emploie, lui, à propos d’un inanimé (les termes sont bien des inanimés,
non ?), pour désigner la propriété de « répondre à un type, à une fonction, à un usage bien
déterminés ». Parmi les exemples donnés, à côté de revues spécialisée ou de salle spécialisée26, nous
retrouverons agriculture spécialisée (vs27 agriculture diversifiée) – un terme de domaine, à nouveau.
Et de deux.

Quand il porte sur un nom d’humain, l’adjectif signifiera sans autre « qui a acquis une
spécialité » (ouvrier spécialisé ; artisan spécialisé dans la fabrication des objets
saints). Rien à voir avec le degré de spécialisation non plus, mais uniquement avec le
domaine de spécialisation. À preuve que le degré doive être exprimé par ajout
explicite : personnel hautement spécialisé.

En revanche, l’adjectif spécialiste (dérivé de spécial), surtout employé à propos


d’humains, signifiera, lui, « qui a des connaissances approfondies dans une branche
particulière d’un métier, d’une science, d’un sujet » (exemple prototypique : médecin
spécialiste). C’est désormais décidément le degré de spécialisation qui est mis en
vedette : médecin spécialiste s’oppose à médecin généraliste, et non (par exemple) à
ingénieur.
Et de trois.

Rappelons en outre que, de l’avis des lexicographes (TLFi, Nouveau Petit Robert),
l’adjectif spécialisé vient de la forme transitive spécialiser, dont il intègre le sème de
restriction de domaine, et non de la forme pronominale se spécialiser – en particulier,

24 Si ce n’est dans le nom de telle ou telle association professionnelle internationale…


25 Branches du droit : droit privé/ droit public ; droit privé : droit civil/ droits spéciaux ; droits spéciaux : droit du travail,
droit commercial ; droit public : {droit pénal/ droit administratif, droit fiscal, droit constitutionnel, droit social}. Diverses
juridictions (c’est-à-dire : tribunaux), spécialisées selon les parties au procès (salariés/ employeurs : Conseil de
prud’hommes ; prévenus mineurs : Tribunal pour enfants, Cour d’assise des mineurs), mais également selon l’étape
procédurale concernée : tribunaux d’instance, Cour d’appel, Cour de Cassation…
26 Terme de cinéma : salle destinée aux projections de certaines catégories spécifiques de films, par exemple, des films X

(films pour adultes), des films américains, des westerns etc.


27
Cette abréviation (du latin versus) note ici l’opposition (usage commun en linguistique).

6
spécialisé adj. ne vient pas du sens dérivé, second de cette forme pronominale, qui
sélectionne de toute manière un sujet humain28 – sens proche de la sémantique de
l’adjectif et du nom spécialiste : « acquérir des connaissances approfondies dans un
domaine particulier » (Nouv. P. Rob. 2007). Et de quatre.

Si le verbe pronominal est, lui, susceptible de gradation (forme progressive


massivement attestée29 y compris avec sujet inanimé, en particulier nom de domaine
ou d’activité : se spécialiser toujours plus, toujours davantage, de plus en plus), le
verbe transitif (en particulier avec objet inanimé) n’a pas l’air de l’être : une recherche
sur Google de la séquence guillemetée « spécialisent toujours plus le » n’a donné
aucune attestation du verbe transitif. Ont été identifiés des énoncés illustrant le verbe
pronominal, à rupture avant le potentiellement introducteur de complément d’objet
direct : « __ se spécialisent de plus en plus. Le __ », ou « __ se spécialisent de plus en
plus, le __ », ou encore « __se spécialisent de plus en plus : le __ ». Faire varier le/ la/
les et respectivement de plus en plus/ toujours plus/ toujours davantage débouchera
sur les mêmes distributions. Et de cinq.

Nous en conclurons que, dans le discours de la terminologie, les séquences (en combinatoire
libre) terme spécialisé, terminologie spécialisée procèdent – quand elles sont attestées – par
contamination entre sens de l’adjectif spécialisé et sens de l’adjectif (et du nom) spécialiste, ainsi sans
doute qu’entre spécialiser et se spécialiser.
À moins ou bien de changer la définition du concept de terme lui-même (en terminologie), ou
bien de réinvestir l’adjectif spécialisé d’un sens que, pour l’instant du moins, la lexicographie générale
n’a pas l’air d’avoir recensé (#« à haut degré de spécialisation »), ces syntagmes resteront
désespérément (et dangereusement) redondants.
Ce pourquoi, à l’horizon de cette initiation à la terminologie du moins, nous en déconseillons
vivement l’emploi.
À la limite, vous pourrez dire/ écrire terme, terminologie très/ plus/ moins/ de plus en plus/…
spécialisé,e – et ce faisant, vous emploierez de fait non pas l’adjectif spécialisé tel que recensé dans
les dictionnaires de langue, mais le participe passé du verbe pronominal se spécialiser – emploi
pouvant éventuellement donner lieu à l’émergence d’un nouveau sens de l’adjectif, à l’avenir. Les
fautes d’hier sont les règles de demain…

Il est vrai que, dans la communication courante, on utilise souvent terme comme synonyme de
mot, dans une acception informelle : c’est même là le premier sens du mot français terme selon les
lexicographes (TLFi, exemples littéraires à l’appui). Sans doute cette acception informelle, vague est-
elle bien plus saillante dans le lexique intériorisé des spécialistes en terminologie qui ne se privent pas
d’écrire et de dire terme spécialisé, terminologie spécialisée, que le sens technique, à qualificatif de
domaine (propre à la terminologie comme domaine de connaissance et/ou d’activité à part).
On peut se poser les mêmes questions non seulement sur termen specializat, terminologii
specializate en roumain, mais aussi sur les termes allemands Fachterminus, Fachterminologie (attestés
parfois dans la littérature, bien que non attestés dans la norme DIN 2342-1/ 201130 où seuls sont
qualifiés de spécialisés le mot – Fachwort, l’expression – Fachausdruck, la dénomination –
Fachbennenung, le vocabulaire – Fachwortschatz, la langue – Fachsprache, le concept (ou : notion) –
Fachbegriff, le domaine – Fachgebiet, mais jamais le Terminus ni la Terminologie eux-mêmes, une
fois posées leurs définitions respectives) ; ainsi d’ailleurs que sur les séquences specialized term,
specialized terminology en anglais.

28 N’étant donc pas approprié à un nom recteur inanimé, tels terme, terminologie.
29 Ce n’est pas par hasard si le TLFi illustre l’acception pertinente de la forme pronominale précisément d’un tel exemple :
Les fonctions politiques, administratives, judiciaires, se spécialisent de plus en plus. Il en est de même des fonctions
artistiques et scientifiques (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 2, n.s.).
30 Begriffe der Terminologielehre (‘Notions de la science de la terminologie’).

7
En bref

Terminologie1 = ensemble de termes d’un domaine de spécialité


Terme = unité lexicale qui désigne un concept spécifique à un certain domaine de spécialité

Domaine de spécialité : domaine de connaissance (syn. domaine du savoir)/ domaine d’activité

Terminologie2 = activité pratique du terminologue :


collecte
analyse des termes et des concepts d’un domaine donné
systématisation
compilation de glossaires

Terminologie3 = discipline linguistique étudiant les concepts spécialisés et les termes qui les désignent

Discipline = science, matière pouvant faire l’objet d’un enseignement spécifique (TLFi)

Avis partagés sur la polysémie du mot français terminnologie :

France Terme, Felber 1987(trad. fr.) : 3 sens (pas les mêmes !)

 France Terme : ensemble de termes/ activité du terminologue (domaine


d’activité)/ domaine du savoir
 Felber 1987(trad. fr.) : ensemble de termes/ domaine du savoir/ produit
terminologique

Dictionnaires de langue : 2 sens (pas les mêmes !)


 TLFi : ensemble de termes / activité du terminologue (domaine d’activité)
 Le Nouveau Petit Robert 2007 : ensemble de termes/ domaine du savoir

ISO 704 : 2009 : pas de polysémie du tout !

 Terminologie  ensemble de termes


 Travail terminologique
 discipline (domaine du savoir) : définition assertée
activité du terminologue (activité) : signifié compositionnel
(conceptualisation de langue) ; énumération des composants

En guise de conclusion sur les dénominations (et les notions) de terminologie et de terme :

Eviter autant que faire se peut (dans un discours relatif à ou relevant de la terminologie comme
discipline ou comme activité) :
?
*terme spécialisé, terminologie spécialisée (redondance : adjectif spécialisé)
?OK
terme, terminologie plus/ mois/ très spécialisé,e – à la limite acceptables comme
participe passé du verbe pronominal se spécialiser (emploi émergent)31

31 Le symbole [*] y indique un exemple agrammatical (dans le contexte allégué), et OK, évidemment, un exemple correct. Un
signe d’interrogation précédant n’importe lequel de ces symboles indiquera le doute de l’auteur sur l’évaluation respective.

8
0.2. Histoire de la discipline (notes de cours non rédigées en discours suivi)

Théorie générale de la terminologie (= terminologie dite classique ou : traditionnelle)

- issue des travaux de Eugen WÜSTER (Wüster 1968, 1974 ; Felber 198732)
- une théorie orientée concept, de ce fait appelée aussi terminologie conceptuelle (vs
terminologie textuelle – cf. Roche 201233).
- terminologie normative (vs descriptive) : normalisation internationale notamment
des domaines techniques (ISO – Organisation internationale de normalisation)
- démarche onomasiologique (du concept, vers le nom du concept – onoma signifiant
en grec « nom ») : point de vue de l’expert du domaine de référence (vs point de vue
du langagier – Wüster lui-même aura été ingénieur tout autant que terminologue et
« interlinguiste ») ; en termes de communication professionnelle, cela revient à
privilégier la perspective de production (vs de compréhension)
- principe de biunivocité  monosémie du terme (vs polysémie du mot) ; pas de
synonymie en langue de spécialité non plus :
« [Es] ist in der Terminologie zu verlangen, daß sie, um einen Ausdruck aus der Mathematik
zu gebrauchen, eineindeutig ist. D. h., daß grundsätzlich jedem Begriff nur eine einzige
Benennung zugeordnet ist, und umgekehrt. Das ist für einen bestimmten Zeitpunkt, meist für
die Gegenwart (‚synchronische Sprachbetrachtung’), gemeint. Es sollte also weder mehrdeutige
Benennungen (Homonyme und Polyseme), noch Mehrfachbenennungen für einen Begriff
(Synonyme) geben »34 (1985 : 79)

- visée : faciliter l’intercompréhension des spécialistes, et éviter autant que faire se


peut les ambiguïtés et le vague de la langue commune
- domaines privilégiés : sciences, technique, commerce

Wüster – espérantiste, terminologue, ingénieur et industriel

- il s’intéressa d’emblée à la communication internationale, notamment


professionnelle (technique en particulier)
- il apprit l’espéranto (une langue artificielle) dès l’adolescence
- son premier ouvrage de lexicographie fut un dictionnaire d’espéranto
(paru en 1923, chez Hirt)
- d’une langue artificielle de communication (Kunstsprache), il en est venu
à s’intéresser à une langue planifiée, systématique (Plansprache) – la
terminologie technique

32 WÜSTER, Eugen (1968) – The Machine Tool. An Interlingual Dictionary of Basic Concepts, London: Technical Press.
WÜSTER, Eugen (1979, posth.) – Einführung in die allgemeine Terminologielehre und terminologische Lexicographie,
Wien: Springer. [texte rédigé par son élève Helmut FELBER d’après les notes de cours]
FELBER, Helmut (1984/ fr.1987) – Manuel général de terminologie, Paris: UNESCO et Infoterm.
33 ROCHE, Christophe (2012) – « Terminologie conceptuelle vs terminologie textuelle », Repères N° 1, Janvier 2012,

http://www.condillac.org/files/2012/01/Reperes_n1_2012.01_terminologie-conceptuelle-versus-terminologie-textuelle.pdf.
34 « [On] doit exiger de la terminologie qu’elle soit, pour emprunter un terme aux mathématiques, biunivoque. C’est-à-dire

qu’à chaque notion il soit assigné une seule dénomination et vice-versa. Ce qui ne s’entend que pour un certain moment, le
plus souvent, pour le présent (analyse linguistique synchronique). Il ne devrait donc pas y avoir de dénominations qui offrent
plusieurs sens (homonymes et polysèmes), ni plusieurs dénominations pour un seul concept (synonymes) » (trad. en fr. par
Danielle Candel – dans Candel 2007 : 67 –, excepté les passages non soulignés, traduits de notre main, puisque cette auteure
aura opéré une sélection dans le texte de Wüster que nous n’avons pas entièrement suivie ici).
Lectures conseillées (pour les anciens avancés seulement, et en tout cas à titre facultatif) :
CANDEL, Danielle (2004) – « Wüster par lui-même », Les Cahiers du CIEL 2004, p. 15-32,
http://www.academia.edu/24382628/Wüster_Par_Lui-Meme (dernière consultation le 10 octobre 2018)
CANDEL, Danielle (2007) – « Terminologie de la terminologie. Métalangage et reformulation dans l’Introduction à la
terminologie générale et à la lexicographie terminologique de E. Wüster », Langages n° 168, p. 61-88.
https://www.cairn-info/revue-langages-2007-4-p66.htm (dernière consultation le 10 octobre 2018)

9
espéranto (de l’avis de son inventeur même) : « une langue internationale pour
la science, le commerce et la communication en général » (Zamenhof 1887 : 5,
apud Samain 201035 : 281).
Une définition qui, de l’avis de Didier Samain, « pourrait tout aussi bien
s’appliquer à la terminologie telle que la concevait Wüster » (Ibidem). Pourvu
que l’on y ajoute, après le mot communication, la spécification professionnelle,
croyons-nous.

- ingénieur diplômé (en électrotechnique) et industriel (il a hérité de la


fabrique familiale), il se sera heurté directement aux problèmes de la
communication professionnelle, en particulier technique et industrielle

Réception de l’œuvre et de la pensée de Wüster en France

« Sa thèse (Wüster 1931) ne trouve pour ainsi dire aucun écho dans les publications de
langue française, pas plus que son dictionnaire exemplaire (Wüster 1968), qui pourtant
comporte des entrées et une introduction en français. C’est dans le cadre de la traduction
que l’on parle pour la première fois de Wüster dans le contexte français (Mounin 1963).
Les terminologues ne le découvrent que bien plus tard. Robert Dubuc (1978), auteur du
premier manuel moderne de langue française, ne le connaît pas. Alain Rey, dans le Que
sais-je ? consacré à la terminologie, publié pour la première fois en 1979, connaît
visiblement bien la théorie de Wüster, mais il cite très peu son auteur, du moins
explicitement. L’universitaire québécois Guy Rondeau (première édition 1981) présente
pour la première fois au public francophone toute l’étendue de la recherche déjà réalisée
en Europe centrale et de l’est depuis les années 1930 et expose dans ses grandes lignes et
sous une lumière tout à fait positive l’essentiel de la pensée de Wüster. La seule critique
prend la forme d’une interrogation sur le classement en domaines qui “ s’applique
facilement dans le cas de sciences exactes, [mais] sa correspondance à la réalité peut poser
des problèmes dans d’autres types de disciplines ” (Rondeau 1983 :12). Malgré le sérieux
de la présentation de Rondeau, il faut attendre l’édition française du Manuel de
terminologie de Helmut Felber (1987) pour qu’on l’on puisse accéder en français au détail
de sa pensée. En fait, les terminologues avertis connaissaient certains de ses principes de
base de par les normes de terminologie de l’ISA et plus tard, de l’ISO, qui furent très
directement inspirées par Wüster. En un mot, pour le public de langue française des
années 1970 et 1980, Wüster était connu de seconde main, via l’ISO, l’UNESCO et les
publication d’INFOTERM »
(Humbley 200436 : 35)

Approches alternatives :
 Socioterminologie (Gaudin 1993, 2003)
 Terminologie textuelle (Bourigault et Slodzian 1999)
 Approche sociocognitive (Temmerman 2000)
 Théorie communicative (Cabré 2003)

Pour un aperçu à vol d’oiseau de la manière dont ces approches définissent le terme dans sa
relation au concept, voir L’Homme 200537 : §3.

35
SAMAIN, Didier (2010) – « Eugen Wüster. De l’espéranto à la terminologie », Cultures et lexicographie (Michaela Heinz,
éd.), Berlin : Frank & Timme GmbH, p. 279-296.
36 HUMBLEY, John (2004) – « La réception de l’œuvre d’Eugen Wüster dans les pays de langue française », Les Cahiers du

CIEL 2004, p. 33-51, <halshs-00276087>

10
Pour plus d’informations sur « l’évolution de la terminologie actuelle », voir Cabré 199838 :
§1.1.3, qui distingue, dans la lignée d’Auger 198839, quatre étapes dans le développement de la
terminologie moderne : « les origines (de 1930 à 1960), la structuration (de 1960 à 1975), l’éclatement
(de 1975 à 1985), de larges horizons (depuis 1985) » (op.cit., p. 27) ; pour une présentation de la
théorie générale de la terminologie (grosso modo étapes des « origines » et de la « structuration »),
voir §1.2.1, dans le même ouvrage, et pour un aperçu des écoles et méthodes de travail en
terminologie (pour les quatre étapes) se reporter à § 1.2.4.

0.3. Terminologie conceptuelle : les distinctions opératoires. Objet/ concept/ désignation (ISO
704/2000, 2009)

Objet : entité particulière du monde extralinguistique perçue (isolée par la perception à partir
du continuum du réel : objet concret – syn. objet matériel) ou bien conçue (objet imaginé40 vs objet
abstrait).
Concept (= notion) : représentation mentale d’objets, dans un contexte ou un domaine
spécialisé.
Désignation : signe verbal (chlorure de sodium, eau, euro, livre sterling), formule (Na-Cl,
H2O) ou symbole graphique (€, £).

Bien que parallèles à référent/ signifié/ signifiant (termes saussuriens41), ces termes
participent d’une démarche distincte (des choses, aux concepts et des concepts, aux mots [démarche
onomasiologique : ‘vers les noms’], plutôt que des mots, aux sens, et des sens, aux choses désignées
[démarche sémasiologique : ‘vers les sens’]).

Terme vs mot (bilan)

Les relations entre terme et concept sont distinctes des relations entre signifiant du mot de la
langue commune et signifié de ce mot.

Terme (langue d’une spécialité donnée) Mot (langue commune)


1. monosémie (chaque terme ne désigne qu’un concept) polysémie (un signifiant,
 réduire l’ambiguïté par dégroupement homonymique42 à coup plusieurs signifiés)
de qualificatifs de domaine de plus en plus étroits
y compris polysémie
Exemple : systématique (deux
pointeur1 – domaine : programmation facettes du même
vs objet susceptibles
pointeur2 – domaine : interface utilisateur d’être activées
conjointement) :

Je ne veux ni manger
ni porter du lapin

37
L’HOMME, Marie-Claude (2004) – La Terminologie : principes et techniques, Montréal : Les Presses de l’Université de
Montréal, p. 64-66)
38 CABRÉ, Maria Teresa (1998) – La Terminologie. Théorie, méthode et applications, Ottawa : Les Presses de l’Université

d’Ottawa (original catalan 1992, version espagnole 1993). Traduit du catalan, adapté et mis à jour par Monique C. Cornier et
John Humbley.
39 AUGER, Pierre (1988) – « La terminologie au Québec et dans le monde, de la naissance à la maturité », Actes du sixième

colloque OLF-STQ de terminologie. L’ère nouvelle de la terminologie, Québec, Gouvernement du Québec, pp. 27-59.
40
ISO 704 : 2009 reformulera à : objet imaginaire.
41 Au sens de Ferdinand de Saussure : signe linguistique (= signifiant+signifié) vs référent (=objet du monde

extralinguistique).
42 Van Campenhoudt 1996: 284.

11
[exercice TD43 :] (« viande »,
Mon écran n’affiche pas plein écran « fourrure »)44
écran HP mince et élégant Ce roman gros de
écran de 24 pouces 400 pages est très
écran trop chargé en informations, intéressant
écran trop chargé, illisible, avec des caractères qui se superposent (« objet tridimensionn
el », « idées »)
écran1 = périphérique de sortie
écran2 = contenu d’un écran1 (données affichées)

?Cet écran de 24 pouces est bien trop chargé en informations


 activation conjointe des
deux concepts (typique de
la polysémie systématique)
tenue en échec pour les
termes
= argument linguistique
pour la solution du
dégroupement
homonymique

2. mononymie (chaque concept est désigné par un seul terme 45 synonymie (un signifiant,
– Depecker 2008 : 128) deux ou plusieurs signifiés)

 préserver l’uniformité terminologique du texte/ discours


spécialisé46 à coup de marques d’usage des variantes
(dégroupement des conditions d’emploi rendant en pratique
appropriée à un contexte donné une seule variante)

3. stabilité47 de la relation terme – concept flexibilité de la relation


(métaphores seulement lexicalisées) signifiant – signifié
(métaphores non lexicalisées,
libres)

De fait, le terme est lui-même un signe linguistique à part entière (signifiant+signifié), le


concept défini par les spécialistes étant associé à cette unité de langue de manière plus ou moins
transparente : nous y reviendrons au semestre prochain, quand nous allons en apprendre davantage sur
les désignations.

Dans un article visant ultimement à souligner la distinction entre linguistique et terminologie,


Loïc Depecker insiste sur l’idée que l’objet (tel que défini en terminologie) n’est pas le « référent » (du

43 Travaux dirigés (seminar)


44NUNBERG, Geoffrey, ZAENEN, Annie (1997) – « La polysémie systématique dans la description lexicale », Langue
française, n°113, Aux sources de la polysémie nominale, p. 12-23
doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1997.5366
https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1997_num_113_1_5366
45 DEPECKER, Loïc (2003/ 2009) – Entre signe et concept. Eléments de terminologie générale, Paris : Presses Sorbonne

Nouvelle (dépôt légal mars 2003, imprimé en UE, réimpression février 2009).
46 PAVEL, Silvia & NOLET, Diane (2001) – Précis de terminologie, Gatineau (Québec) : Bureau de la traduction (Canada).
47 C’est ce que Sylvia Pavel et Diane Nolet appellent (si notre lecture est correcte) « lexicalisation » de la relation terme-

concept : sa « stabilité » à travers les textes (Pavel & Nolet 2001 : 17). Puisque sinon, les rapports entre signifiant et
signifié(s) d’un mot de la langue commune sont eux aussi lexicalisés – la preuve, ils sont recensés dans des dictionnaires de
langue !

12
signe linguistique saussurien), ni le concept (désigné par le terme) ne se laisse réduire au « signifié »
(du mot – ou selon le cas du syntagme – que tout terme est, en langue), et que la terminologie (à la
différence de la linguistique) est une « discipline éminemment pratique et tournée vers le monde »
(vers les choses, plutôt que vers les mots) 48.

1. Objets (entités particulières du monde extralinguistique : perçus (isolés par la perception à partir
du continuum du réel) ou bien conçus (abstraits ou bien imaginés)

Imaginé veut dire, au sens de la Norme ISO 704/2000 « imaginaire », « fictionnel » : après
avoir défini la catégorie (« un objet est tout ce qui se perçoit ou se conçoit »), l’on y opère un
classement assorti d’exemples (listes ouvertes) :
■ objets qui « doivent être considérés comme concrets » : machine, diamant, rivière, … ;
■ objets qui « doivent être considérés comme immatériels ou abstraits » : chaque
manifestation d’un plan financier, la gravité, un rapport de conversion, … ;
■ objets qui « doivent être considérés comme purement imaginés » : une licorne, une pierre
philosophale, un personnage de la littérature, ... (cf. ISO 704/2000 (F) : §4).

Nous noterons la neutralité manifeste de la norme de terminologie pour ce qui est des
définitions (vs illustrations) des sous-classes d’objets posées :

Lors de la production d’une terminologie, les discussions philosophiques sur le fait qu’un objet a ou non
une réalité sont stériles, et il est par conséquent recommandé de les éviter. Il convient plutôt de se
concentrer sur la manière dont les objets sont utilisés à des fins de communication » (ISO 704, p. 2)

En effet, dans la littérature (en particulier philosophique), il n’y a guère de consensus sur la
définition des objets abstraits vs concrets, ni d’ailleurs sur celle des objets imaginés.

Parmi les critères distinctifs communément évoqués, dans la littérature, pour les objets
abstraits (vs concrets):
■ objets définis par la négative (ni sensibles – comme les objets perçus, ni purement
mentaux – comme les concepts eux-mêmes),
■ non spatio-temporels,
■ dépourvus d’action ou de déterminations causales (« causalement inefficients »)49,
■ ne comportant pas certaines caractéristiques que les objets concrets comportent (moins de
spécifications : ce qui rapproche la catégorie ontologique OBJETS ABSTRAITS de l’opération
mentale d’ABSTRACTION postulée en psychologie cognitive comme fondement de la
conceptualisation).

Un mammifère serait-il un objet abstrait, et un humain ou un dauphin, des objets


concrets ? La couleur blanc serait-elle un objet abstrait, seul l’ours polaire, le mur
peint à la chaux et les cheveux argentés qui exhibent, outre d’autres caractéristiques
pertinentes, cette couleur, étant des objets concrets ? Aucune différence ontologique
ne subsisterait alors entre blancheur comme qualité et blanc comme couleur (sauf à
entendre la couleur blanc comme peinture de cette couleur (roum. vopsea)) – à
l’encontre de ce qui se passe du côté des noms de la langue naturelle50.

48
DEPECKER, Loïc (2005) – « Contribution de la terminologie à la linguistique », Langages n°157, 6-13. Bien qu’il
s’agisse là au demeurant du monde objectif, en général, à la fois extra-mental et extralinguistique, nature comprise, et non de
la société en soi, l’auteur admet la synonymie comme un fait (et du coup donne droit de cité, en terminologie conceptuelle
aussi, à la variation discursive – art. cit., p. 8-9).
49 Une certaine loi (acte normatif) est bien un objet abstrait, mais comme acte normatif, est-elle de fait « causalement

inefficiente » ? Celui qui se voit condamner à trois ans de prison ferme sur la foi d’un article de cette loi n’est pas enclin à le
croire…
50
À ce niveau d’analyse, blanc est un nom concret (nom de couleur), et blancheur un nom abstrait (nom de qualité).

13
L’exemple illustratif typique de la catégorie ontologique des objets abstraits (et de la
distinction objet abstrait/ objet concret) reste sans doute, dans la littérature
philosophique, celui des nombres et des entités mathématiques51, en général. Ainsi,
une pile de quatre volumes sur la chaire de la salle 212 (Université de Bucarest, rue
Edgar Quinet), ou un tas de quatre pommes sur la table du séjour (sur la table de mon
séjour), bien que tout ce qu’il y a de plus concrets, comporteraient, au même titre, un
objet abstrait – la quantité numérique52.

Si l’accord, en matière de définition de ces catégories ontologiques s’avère à tel point


problématique, cela pourrait également être le fait d’une impossibilité de principe : soit la distinction
objet abstrait/ objet concret serait rébarbative à toute définition dans la mesure où les notions
concernées seraient des primitives sémantiques (seule l’illustration par des exemples étant alors
pertinente – cette position semble être, encore que de manière tacite, celle des auteurs de la norme ISO
en référence). Ou bien la distinction objet abstrait/ objet concret n’aurait pas à être indépendamment
définie, puisqu’elle se réduirait à l’une des distinctions déjà clairement établies, au niveau
ontologique : universel/ particulier, ensemble/ éléments (= individus).

Contre-argument à l’assimilation <abstrait = universel, général>/ <concret =


particulier> : des sociétés à responsabilité limitée telles Sophos SARL, France ou
Dataline.SRL, Roumanie sont, malgré leur caractère évidemment particulier, des
objets abstraits ; les bâtiments où celles-ci siègent (respectivement à Nanterre et à
Bucarest) étant, eux, des objets concrets, matériels.

Pour une discussion plus approfondie de ces questions, commencer par la lecture de l’article
OBJETS ABSTRAITS dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy (l’Encyclopédie de philosophie
de Stanford – désormais : SEP).
L’absence de consensus quant à la définition des objets abstraits vs concrets caractérise aussi
les objets appelés, dans la norme ISO en référence, imaginés : effectivement, ces derniers ne sont pas
toujours envisagés comme ressortissant de la fiction. Pour Denis Diderot, c’étaient tout simplement
des « objets de la sensation passée » (en tant qu’opposés aux « objets de la sensation présente ») 53.

51 Des nombres réels, des nombres naturels, des ensembles, des champs vectoriels, des anneaux etc.
52
Les nombres sont-ils à situer parmi les choses de ce monde (bien que dépourvus d’existence spatio-temporelle et
causalement inefficients) ? Ou bien dans l’esprit de l’observateur-analyste ? Selon certains, les nombres ne seraient ni des
entités du monde, spatio-temporelles, ni des entités purement mentales, subjectives (des notions). Selon d’autres, au
contraire, les nombres n’existeraient que dans l’esprit de l’observateur (entités mentales : notions), et en tant que signes
(chiffres). Il y a même des voix, parmi les philosophes, qui considèrent que la question de savoir si les nombres existent n’a
pas de contenu propre du tout – et qu’il n’y a, en général, pas d’objets abstraits : un énoncé mathématique comme il existe un
nombre naturel n tel que n – 3 = 20 ne serait alors ni vrai ni faux quand on le fait sortir du domaine scientifique dont il
procède (les mathématiques), et notamment en termes d’une investigation ontologique sur la constitution du monde. Devant
de telles questions et surtout devant la variété de réponses qui y ont été apportées, en philosophie, rien d’étonnant à ce que la
terminologie préfère de prendre la notion d’objet abstrait – et la notion d’objet en général – comme une primitive (à illustrer
mais non à définir), et s’intéresse uniquement à la manière dont on utilise les objets dans la communication.
La lexicographie générale se range d’habitude aussi à cet avis prudent, pour ce qui est des nombres du moins : les
nombres sont alors entendus comme des « notions fondamentales de l'entendement que l'on peut rapporter à d'autres idées
(pluralité, ensemble, correspondances) mais qu'on ne peut définir » (TLFi, nombre n.m).
Plutôt donc que de poursuivre plus avant la question à proprement parler métaphysique de l’existence des nombre
ou des objets abstraits en général, mieux vaut, au point où nous sommes arrivés, de noter qu’en français on distingue entre
nombre (un quantificateur) et numéro (un identifiant, abréviation devant un chiffre: no, No, n°), alors que le roumain emploie
un seul et même terme pour désigner les deux (număr, număr curent, abrégé nr. crt.). Selon le TLFi, un numéro est un chiffre
(le symbole d’un nombre) attribué à une chose dont il indique la place dans une série, et qu’il sert à classer, à reconnaître.
53 « Nous donnons, si j’ose ainsi parler, notre aveu à l’imagination qui nous peint ces objets de la sensation passée avec les

mêmes couleurs que ceux de la sensation présente, et qui leur assigne, comme celle-ci, un lieu dans l’espace dont nous nous
voyons environnés ; et nous reconnaissons par conséquent entre ces objets imaginés et nous, les mêmes rapports de distance
et d’action mutuelle que nous observons entre les objets actuels de la sensation. Ce rapport nouveau ne se termine pas
moins à la conscience du moi, que celui qui est entre l’être perçu & l’être percevant ; il ne suppose pas moins dans les deux
termes la même réalité, et un fondement de leur relation qui a pu être encore désigné par le nom commun d’existence ; ou
plutôt l’action même de l’imagination, lorsqu’elle représente ces objets avec les mêmes rapports d’action et de distance, soit
entre eux, soit avec nous, est telle, que les objets actuellement présents aux sens, peuvent tenir lieu de ce nom général, et

14
La version 2009 de la même norme appellera les objets imaginés directement « objets
imaginaires » – ce qui (pour une fois) représente un progrès, par rapport au texte 2000 : plus de
confusion de possible entre objets imaginés de la terminologie et « objets de la sensation passée »…

2. Concepts (en terminologie)

Représentations mentales d’objets, dans un contexte ou un domaine spécialisé (ISO 704 :


§5.1.), entités intermédiaires entre objets individuels du monde d’une part, et désignations, de l’autre.
Le concept est entendu en terminologie comme construction mentale constituée de caractères.
En terminologie conceptuelle, on parle de propriétés de l’objet (observables ou analysables), mais de
caractères du concept.

Les objets sont décrits et identifiés par leurs propriétés. Les ressources terminologiques ne
recensent cela dit pas les propriétés des objets spécifiques, ni les objets individuels eux-mêmes !

Objeti OBSERVATION  propriété1


Objetj OBSERVATION  propriété1
Objetk OBSERVATION  propriété1 ABSTRACTION caractère1
Objetl OBSERVATION  propriété1
Objetm OBSERVATION  propriété1

Un caractère est donc la conceptualisation d’une propriété observée ou analysée – propriété


qu’exhibent un ou plusieurs objets individuels.
Les objets individuels sont identifiés par leurs propriétés et se laissent décrire en termes de ces
propriétés. Les concepts sont définis par leurs caractères. La propriété d’un ou de plusieurs objets est
donc à l’origine d’un certain caractère du concept correspondant à cette classe d’objets – par exemple,
du caractère noté caractère1 dans le tableau ci-avant.

La relation entre propriétés de l’objet et caractères du concept n’est pas une relation de terme
à terme. Elle peut varier selon divers facteurs, dont notamment :
 le degré de finesse de l’analyse conceptuelle,
 la visée de l’analyse,
 la dimension retenue.

Étude de cas (à discuter en TD !)

Remarque : concepts notés entre chevrons, termes en italiques

Définitions terminologiques et lexicographiques du concept de <bateau>

(1) <bateau> = (dans le domaine de la navigation intérieure) construction flottante motorisée ou non, susceptible
de se déplacer ou d’être déplacée et apte à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes (Arrêté de
terminologie des transports – 18 juillet 1989, apud Depecker 2003 : 68).

Caractères du concept décrit :

- construction (=artefact) (bateau vs. objets flottants non construits (débris, arbres déracinés par un orage,
etc. ) ;
- motorisée ou non-motorisée (bateau à moteur ou bateau à voiles) ;
- susceptible de se déplacer (bateau vs. < établissement flottant> qui n’est pas déplaçable, qui reste
immobilisé à quai, étant utilisé même en tant que restaurant) ;
- susceptible d’être déplacée (cela inclut les barges parmi les bateaux) ;
- apte à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes (bateau vs d’autres constructions flottantes,

devenir comme un premier langage qui renferme sous le même concept la réalité des objets actuels de la sensation, et celle de
tous les êtres que nous supposons répandus dans l’espace » (Diderot, Encyclopédie, 1ère éd., tome 6, p. 272 – adapté au
français contemporain par nos soins).

15
inaptes à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes : balises54, pontons55).
(2) <bateau> = (dans le domaine de la marine) bâtiment de faible tonnage, destiné à la navigation intérieure. / vs/
<navire> = bâtiment de fort tonnage destiné à la navigation maritime (Grand Dictionnaire Terminologique,
citant les définitions de l’Office Québécois de la Langue Française).

Notons qu’il s’agit bien du même concept (même domaine d’emploi des objets concernés), dans les
deux cas de figure, bien que la navigation intérieure précise le domaine à proprement parler, dans le cas de la
définition proposée par l’arrêté, alors qu’elle constitue directement un caractère du concept, dans la définition
du GDT.
Le tonnage, propriété susceptible d’opposer les bateaux aux navires (opposition implicite, dans
l’arrêté, en vertu du domaine d’emploi – navigation intérieure, pour les bateaux contre transport sur mer, pour
les navires) n’est retenue comme caractère pertinent que par la définition du GDT, qui en revanche ignore
toutes les propriétés fonctionnelles des bateaux retenues comme autant de caractères par la définition du
concept dans l’arrêté.

Définitions lexicographiques (dictionnaires de langue générale)

Trésor de la langue française informatisé :


bateau  ouvrage flottant, de toute dimension, utilisé pour la navigation [toute navigation,
navigation intérieure et maritime confondues ?]
navire  bâtiment allongé, souvent de fort tonnage, destiné principalement à la
navigation sur mer.

Nouv. Petit Robert 2007 :


bateau  construction flottante destinée à la navigation. [intérieure, sur mer ou les deux ?]
navire  construction flottante de forme allongée, pontée, destinée aux transports sur mer
(moins cour. que bateau ; surtout en parlant de forts tonnages)

Nous remarquerons que dans le TLFi, « utilisé pour la navigation » représente un sème du mot
bateau, et « destiné principalement à la navigation sur mer » représente un sème (unité de sens, atome de sens
lexical vs grammatical) du mot navire, et non les domaines d’emploi des concepts désignés, ce qui veut dire
que les définitions assignées aux concepts désignés par les termes respectifs, ou plutôt, vu la perspective
décidément sémasiologique du lexicographe, les descriptions des signifiés des mots concernés ne sont
qu’imparfaitement corrélées, bateau et navire ne s’opposant pas en termes du type de navigation, mais au
mieux en termes de tonnage, puisque « navigation » comprend toute forme de navigation, en principe. Idem
pour les définitions compulsées dans le Robert.

Nous avons comparé les définitions terminologiques (Arrêté de terminologie 1989 pour le domaine de la
navigation intérieure et GDT pour le domaine de la marine). Celle de l’Arrêté est plus complète et plus précise,
implicitant (à la faveur du domaine auquel le concept est assigné) l’opposition bateaux/ navires et mettant en vedette
l’opposition bateaux/ bâtiments flottants. Le GDT note, de manière systématique, les caractères essentiels distinctifs du
tonnage (faible/ fort) et de la voie navigable (intérieure vs maritime) :

Bateau : Bâtiment de faible tonnage destiné à la navigation intérieure


Navire : Bâtiment de fort tonnage destiné à la navigation maritime

Par rapport aux définitions proposées dans les dictionnaires de langue générale, les définitions terminologiques
sont plus précises, plus complètes, plus concrètes et plus systématiques (les définitions sont corrélées entre elles en
terminologie, mais elles ne le sont que faiblement, dans un dictionnaire de langue).

(Voir Depecker 2003 (2009) : 68-69).

Parmi les caractères constitutifs d’un concept, il est d’usage de distinguer des caractères
essentiels et des caractères non essentiels, et, parmi les premiers, des caractères distinctifs et des
caractères non distinctifs.
Les caractères essentiels correspondent à des propriétés que possèdent tous les membres
de la classe d’objets ainsi délimitée (conditions à la fois nécessaires et suffisantes pour qu’un objet
soit dit illustrer le concept en question). Les caractères essentiels doivent donc se retrouver dans la
définition du concept en terminologie (terminographie). Par contre, les caractères non essentiels

54 Qui ne peuvent ni recevoir ni transporter des biens, ni des personnes.


55 Qui peuvent recevoir (porter), mais ne transportent ni biens, ni personnes.

16
correspondent à des propriétés accidentelles ou accessoires, moins importantes, et non
nécessairement partagées par tous les membres de la classe.
Certains de ces caractères définitoires sont communs au concept défini et à ses concepts
sœurs (le cas échéant), ainsi qu’au concept superordonné – en particulier dans le cas des systèmes
de concepts genre-espèces : on les appellera caractères (essentiels) non distinctifs.
D’autres, au contraire, servent à distinguer entre elles les espèces d’un même genre, et
chacun de ces concepts subordonnés, de son concept superordonné : nous les appellerons
caractères (essentiels) distinctifs.

Exemple : le traitement, la solde, le salaire ou les gages sont des rémunérations versées tous les
mois, respectivement à un fonctionnaire (employeur = une administration de l’État), à un militaire,
à un employé (employeur : personne de droit privé) et à un domestique (employé de maison est le
terme « politiquement correct », en l’occurrence).
 caractères essentiels non distinctifs des concepts de <traitement>, de <solde>,
d’< appointements> ou de <gages> : [+rémunération sous forme de douzième
mensuels] ;
 caractères distinctifs procédant du type de bénéficiaire de chacune de ces
rémunérations, soit, dans l’ordre : [bénéficiaire = fonctionnaire]/ [bénéficiaire
= militaire] / [bénéficiaire = employé] / [bénéficiaire = domestique] ;
 caractères non essentiels : le fait, pour les salaires56, de se situer
(actuellement) aux alentours de 2000 euros (en France).

56Cela correspond, techniquement parlant, au concept que désigne le terme salaire moyen équivalent temps plein (EQTP),
envisagé pour le seul secteur privé. Soit (chiffre 2017, pour l’année comptable précédente) : 2250 euros (selon l’INSEE).

17
Caractères essentiels distinctifs et non distinctifs. Étude de cas (à discuter en TD !)

Homme = ?

« Platon avait défini l'homme comme un animal bipède sans plumes et la définition avait du
succès ; Diogène pluma un coq et l'amena à l'école de Platon. Voilà, dit-il, l'homme de Platon !
D'où l'ajout que fit Platon à sa définition : et qui a des ongles plats. » (<VI 40 Diogène p.718>)

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La


Pochothèque, Livre de Poche, 1999 (traduction sous la direction de Marie-
Odile Goulet-Cazé)

L’homme de Platon ?!?

Le Diogène dont il est question dans cette anecdote racontée par Diogène Laërce, ce n’est
évidemment pas l’auteur des Vies et doctrines des philosophes… lui-même, mais un contemporain de
Platon – Diogène de Sinope, appelé aussi Diogène le Cynique.

(Diogène, tableau par Jean-


Léon Gérôme, vers 1860, exposé au
The Walters Art Museum, de
Baltimore, aux USA). Reproduction
libre de droits (Creative Commons
zero),
https://art.thewalters.org/detail/31957/
diogenes/

Le mot cynique vient du


gr. (de ‘chien’, parce
que les adeptes de cette école se
moquaient des convenances). D’où, en
français, chez Rabelais, à la
cynique « comme des chiens,
impudemment » (voir TLFi).

18
La définition de l’homme selon Platon, à laquelle il est fait allusion dans l’anecdote
rapportée par Diogène Laërce sera consignée à l’écrit sous une forme bien plus élaborée, de l’avis
de l’auteur des Vies… : y compris en raison des critiques du philosophe cynique :

« 121. HOMME : animal dépourvu d'ailes, bipède, dont les ongles sont plats ; celui
qui, seul de tous les êtres, est apte à recevoir une connaissance, laquelle est de forme
rationnelle. » (<Définitions p.1399>)

PLATON / Œuvres complètes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf


Gallimard 1950

 [animal] : homme vs dieux ; homme vs arbre, homme vs légume (un !) ;


o homme & singe, loup, lion, chien, chat… Caractère non distinctif : genre

 [dépourvu d’ailes] : homme vs oiseau

Caractères distinctifs
 [bipède] : oiseau, homme vs chien, chat… (quadrupèdes) vs singes (quadrumanes)
 [à ongles plats] : homme (ongles plats) vs oiseau (griffes : « ongles pointus et crochus »),
chevaux (sabots)
 [apte à recevoir une connaissance … de forme rationnelle] :
homme vs tout autre animal

Personne non-humaine : changement de paradigme, au XXIe s, au vu des acquis de


l’éthologie (étude du comportement de diverses espèces animales dans leur environnement naturel).

En 2013, l’Inde a reconnu les dauphins comme étant des personnes non-humaines,
jouissant de droits, dont notamment le droit à la liberté (interdiction de chasse et de toute autre
forme d’exploitation commerciale).
Pour en savoir plus, visiter : https://mrmondialisation.org/ces-
personnes-non-humaines-un-basculement-de-paradigme/

19
Définitions (plus ou moins) métaphoriques

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut
pas que l’univers entier s'arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais,
quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il
meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »
<roseau> = <végétal>
<végétal>  genre adéquat pour <homme>
<végétal> = <être vivant>
<être vivant> = genre adéquat pour <homme>

<roseau>  <fragilité>

l’homme est mortel


l’univers est éternel (thèse scientifique/ ontologique valide du temps de Pascal)

<être mortel> = genre prochain adéquat pour <homme> ?


<qui pense> = caractère distinctif pertinent ? Comparer à la définition de Platon !

Jean-François KAHN / Dictionnaire incorrect / Plon 2005

« Roseau – Avouez que serait totalement stupide celui qui définirait le roseau comme un homme qui
ne pense pas. » (p. 599)

(1) homme = roseau qui pense


(2) roseau = homme qui ne pense pas

Le genre prochain, c’est l’espèce sans ses caractères distinctifs.


Or, dans la définition de Pascal :
<qui pense> = caractère distinctif de <homme>, et <roseau> = genre prochain.
D’où <roseau> = <homme> sans le caractère <qui pense>.

De fait :

Les deux concepts ainsi définis ne partagent pas de caractères non distinctifs du tout : un caractère
défini par la négative (« ne pas penser ») n’est pas identique à l’absence du caractère !

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont – Bouquins 1990

« La femme est un roseau dépensant. » (p. 745)


Homme = roseau qui pense/ Femme = roseau qui dépense
roseau = genre prochain (ensemble de caractères non distinctifs)

Système conceptuel formellement correct. Et pourtant…

http://www.bribes.org/homme.htm

Chaque espèce inclut l’ensemble des caractères définitoires de son genre prochain, autrement
dit, elle hérite des caractères de son concept immédiatement superordonné (principe d’héritage57) – ce

57
Depecker 2003/ 2009: 149.

20
que l’on peut exprimer en langue naturelle par l’énoncé définitoire type : un Y est un X qui…/ que…/
de … etc. – où X représente le genre prochain de l’espèce Y ou (selon le cas) décrit ce concept
(périphrase définitoire), et la séquence qui…/ que…/ de … désigne les caractères distinctifs :

Le traitement est la rémunération mensuelle du travail d’un fonctionnaire


Le salaire est la rémunération mensuelle du travail d’un employé dans le secteur privé
La solde est la rémunération mensuelle du travail d’un militaire
Les gages sont la rémunération mensuelle du travail d’un employé de maison

Dans ces énoncés, la partie soulignée correspond à un ensemble de caractères essentiels


définissant le concept superordonné : {[somme d’argent], [reçue en contrepartie d’un travail], [sous
forme de douzièmes mensuels]}.

Les économistes utilisent alors le terme qui désigne l’espèce la plus


représentative de la classe, le « prototype », en l’occurrence toujours salaire.
Nous obtiendrons ainsi un système terminologique certes non optimal, avec la
même dénomination pour le genre et pour l’une des espèces (terme qui sera dit s’auto-
dominer), mais un système qui reflète à la fois l’usage actuel et une évolution
naturelle de la langue en discours : l’extension de sens à l’origine de l’emploi du
terme qui désigne l’espèce la plus représentative, en tant que désignation de la classe
tout entière relève en effet de la capacité des langues naturelles de produire de la
variation y compris sémantique, dès qu’elles sont actualisées en discours. Ce type
d’extension de sens crée une homonymie (deux concepts différents partageant une
seule et même dénomination58). Un cas de figure non idéal en terminologie, comme
nous avons vu en comparant terme et mot. Un nuage sur le ciel clair des vocabulaires
planifiés que sont dans l’idéal les terminologies. Mais une solution très pratique, en
discours, pour une lacune lexicale de la langue.
Notons toutefois que lorsqu’une extension sémantique du même type serait le
résultat d’une intervention d’aménagement terminologique, elle risquerait de gêner la
communication entre spécialistes du domaine bien plus que ne le font ces
homonymies « naturelles ». Il est donc vivement souhaitable de ne pas proposer pour
le genre, un terme déjà utilisé pour désigner l’une de ses espèces, surtout si, dans cet
usage, le terme en question est bien entré dans la conscience des usagers et jouit de
nombreuses attestations (les terminologues diront alors que ce terme jouit d’une très
bonne/ forte implantation).

L’ensemble des caractères d’un concept en constitue l’intension (ou : la compréhension).


L’ensemble des objets à l’origine du concept (objets dont le concept en question est la
représentation mentale, obtenue par abstraction) en constituera l’extension.
Par extension d’un certain concept on comprend cela dit non seulement les objets individuels
qui illustrent le concept (ultimement59), mais aussi tous les concepts qui lui sont directement
subordonnés (les espèces relevant de l’extension du genre).
Selon leur extension, les concepts se classent en concepts généraux (qui subsument une classe
d’objets à plus de deux éléments : par exemple, le concept de <chien>) et concepts uniques (qui
représentent mentalement un seul objet individuel du monde – par exemple, la représentation mentale
multimodale que j’ai de mon chien à moi, un bearded collie appelé Toma – multimodale, c’est-à-dire
abstraite de représentations visuelles, auditives, tactiles. Ou la représentation mentale que les Français
ont de la Loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, ou celle que nous
avons de la première loi de Kepler (une loi physique décrivant la forme des orbites des planètes)…

Selon l’extension du concept désigné, les désignations se laissent classer, en terminologie


(conceptuelle classique notamment), comme :

58 Homo- = identique, onoma = nom.


59 Ou qui en sont les instances.

21
 termes (concept général: institution financière, banque),
 appellations (concept unique : particulier – Banque Nationale de Paris),
 symboles (concept général le plus souvent : € pour désigner l’euro, $, pour le dollar,
…, ruban de Möbius


pour désigner l’aptitude au récyclage, croix rouge, etc.).

Noter que le ruban de Möbius (dessin) en tant que tel est un symbole graphique qui
désigne (au premier degré) un concept unique (« le ruban de Möbius60 »), à l’instar de
l’appellation ruban de Möbius. La désignation de l’aptitude au recyclage est le fait du passage
à la figure, et de la convention graphique : il s’agit donc de distinguer un ruban de Möbius –
voir photo ci-contre, et le symbole lui-même de l’aptitude au recyclage (voir dessin ci-avant).

Image: Nature Materials/Starostin & van der Heijden

ISO 104 : Ne pas confondre objets abstraits – telles des quantités numériques ou des sociétés
commerciales données, et concepts correspondants : un concept général pour la quantité numérique
<QUATRE> (correspondant à toute instance dudit objet abstrait), mais un concept unique (ou :
particulier), pour – mettons – la Loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

Alors même que de fait, la différence entre objet abstrait d’une part, et concept unique, de
l’autre, est bien mince et difficile à saisir, cette différence est bien réelle : ce n’est pas le concept de
<Loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles> qui pénalisera dans les faits
une multinationale ayant traité des données biométriques, de 4% de son chiffre d’affaire mondial
annuel brut, c’est la loi comme objet individuel abstrait qui le fera : le juge n’invoquera pas un
concept, mais un certain acte normatif…

Pour aller plus loin. Documentation et recherche


(dossier d’appoint à parcourir en TD)
Felber 1987 : 98-101

Notions = représentations mentales des objets individuels


a) Représentation d’un certain objet individuel
b) Représentation de tous les individus ayant en commun certains caractères (« par
abstraction », une notion peut comprendre tous les individus ayant en commun certains
caractères)

Caractère= élément de notion servant à décrire/ identifier une qualité d’un objet individuel
(p. 99) ; chaque caractère est lui-même une notion.

60Le nom de cette forme étrange a été donné par celui des deux mathématiciens l’ayant décrite (indépendamment l’un de
l’autre), en 1858, qui aura eu l’heur de présenter un mémoire à ce sujet à l’Académie des sciences de Paris : August
Ferdinand Möbius. L’autre mathématicien était Johann Benedict Lessing.

22
Fonctions (« utilisations ») des caractères :
i) définition des notions
ii) comparaison des notions
iii) classification des notions
iv) bonne formation des termes associés aux notions

Fonctions de la notion
i) moyen d’agencement mental (classification)
ii) à l’aide d’un symbole linguistique (terme, lettre, symbole graphique), moyen de
communication

Représentations mentales de :
(1) êtres ou choses (exprimées par des substantifs (homme, marteau))
(2) qualités (exprimées par des adjectifs (rond) ou des substantifs (rondeur))
(3) actions (exprimées par des verbes (tourner) ou des substantifs (tours))
(4) des localisations, situations ou rapports (exprimés par des prépositions (devant), des adverbes
(au-dessus), des conjonctions (tandis que) ou des substantifs (simultanéité))

- notions simples (Socrate, Grèce, homme, marteau)


- notions complexes : qui résultent de la combinaison de deux ou plusieurs notions (marteau à
panne de travers, perméabilité magnétique, nombre de tours par unité de temps)

« même sans égard à la réalité » : centaure ; Neptune (planète connue par


calcul avant sa découverte), éka-silicon (élément prédit par Mendéléev dans sa
classification périodique dès 1871, et appelé plus tard germanium par le chimiste
allemand qui l’a découvert – Clemens Winkler, en 1886) ; le préfixe éka- désigne des
éléments chimiques prédits pas encore découverts ; Mendéléev en a prédit deux
autres :
(i) éka-aluminium, découvert en 1875 par un Français – Paul Emile
Lecoq de Boisbaudran, et nommé gallium « en honneur de la France »
– lat. Gallia, si ce n’est selon le nom même de son découvreur (Lecoq
– lat. gallus).
(ii) éka-bore, découvert en 1879 par Lars Frederik Nilson et nommé
Scandium d’après la patrie du découvreur (Scandinavie)

Compréhension du concept vs extension du concept


Compréhension du concept : l’ensemble des caractères d’une notion constitue sa
compréhension
Exemple : « la compréhension de la notion <avion> englobe les caractères suivants :
- Aérodyne
- Entraîné par un organe moteur
- Surfaces sustentatrices, qui demeurent fixes dans certaines conditions de vol »

Extension d’une notion : l’ensemble de toutes les notions subordonnées à une notion donnée,
ayant le même degré d’abstraction/ l’ensemble de tous les individus particuliers qui appartiennent à
une notion donnée

Exemple : l’extension de la notion <aéronef aérodyne> : avion, planeur, ballon d’observation


[sic !], giravion, ornithoptère

23
Notons toutefois que le ballon d’observation est un aéronef aérostat (vs aérodyne),
c’est-à-dire plus léger que l’air (vs plus lourd que l’air), à sustentation assurée grâce à la
poussée d’Archimède (vs à sustentation assurée par une force aérodynamique – la portance), et
immobile dans le plan horizontal (se déplace grâce aux vents). En d’autres mots, il ne relève
pas de l’extension de la notion aéronef aérodyne, ni d’ailleurs de celle de la notion aéronef
aérostat, mais de l’extension d’une notion subordonnée à cette dernière, la notion de ballon à
gaz (nommé aussi charlière, du nom de son inventeur, la physicien français Jacques Charles ;
espèces de ballons à gaz (selon l’usage) : le ballon d’observation (à usage militaire) et le
ballon-sonde (à usage météorologique ou spatial – dont le ballon stratosphérique : ballon à
gaz de type ballon-sonde, qui arrive dans la stratosphère61). D’où une réanalyse de l’extension
du concept d’<aéronef aérodyne>, à :

Aéronefs
Aérodynes à voilure fixe : aéroplanes
 sans moteur : planeurs
 à moteur : avions

Aérodynes à ailes battantes (sans ou avec moteur) : ornithoptères


Ornithoptère : aéroplane dont la sustentation est assurée par des
battements d’ailes suivant le principe du vol des oiseaux

Aérodynes à voilure tournante : giravion = aérogire


« aéronef qui peut atterrir et décoller verticalement, et dont la sustentation est assurée
par des voilures tournantes »

+voilure tournante assurant la portance (sustentation)


+voilure disposée radialement
+ rotor vertical/ plan de rotation horizontal !!!
+ rotor vertical (à voilure tournante) à moteur
+ voilure tournante assurant portance et translation helicoptère
+ voilure tournante active assurant la seule portance (&
translation assurée par des moteurs dédiés) gyrodyne
+ rotor (à voilure tournante) sans moteur (=voilure tournante passive :
sustentation et mouvement vertical = effets du mouvement horizontal de
translation) autogire

+voilure tournante assurant la portance (sustentation)


+voilure disposée parallèlement à l’axe de rotation
+ rotor horizontal/ plan de rotation vertical
cycloptère

61 Seconde couche de l’atmosphère terrestre, au-dessus de la troposphère et sous la mésosphère.

24
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