Professional Documents
Culture Documents
0. Introduction à la terminologie
0.1. Polysémie du mot terminologie lui-même. Des mots et des termes
Une terminologie, c’est un ensemble de termes relevant d’un même domaine de spécialité
(domaine d’activité et/ou domaine de connaissance). La finesse du découpage thématique, et donc le
degré de spécialisation du domaine ciblé d’abord et, par voie de conséquence, de son vocabulaire
dédié seront en pratique très variables, depuis les domaines globaux (économie, vie sociale, politique,
arts…), et jusqu’à des thèmes spécifiques à un sous-domaine particulier : terminologie économique>
terminologie commerciale> terminologie du commerce de détail> terminologie du commerce
électronique (spécialisation croissante)
On parlera donc, dans cette acception, également de terminologies au pluriel. L’éparpillement
des domaines est formidable, d’où le nombre énorme de termes par rapport au nombre des mots de la
langue commune (lexique général).
Un terme est un mot (simple ou composé) ou un syntagme lexicalisé – autrement dit, une unité
lexicale3 – qui désigne un concept spécifique à un certain domaine de spécialité.
La spécialisation par domaines caractérise donc les termes d’entrée de jeu, tout en opposant le
concept de terme, au concept de mot : c’est là une propriété4 saillante des termes, une propriété à la
fois nécessaire et suffisante pour qu’une unité lexicale puisse être envisagée comme terme.
1 Sauf indication contraire, tous les liens cités dans ce texte auront pour date de consultation (de leur dernière consultation, en
fait) le 19 octobre 2018 (date de la révision et mise à jour du texte).
2 L’abréviation vs (lat. versus) note en linguistique l’opposition.
3
Nous n’allons pas revenir ici sur les réserves théoriques tout à fait justifiées quant à la notion de mot, en linguistique, ni
reprendre les distinctions pertinentes en lexicologie : mot-forme (terme – termes ; comprendre – (je) comprends – (je)
comprendrai – compris), lexie (= unité lexicale) : lexème (ensemble de mots-formes que seule distingue la flexion : TERME
– nom masculin, COMPRENDRE – verbe intransitif), ou bien locution (syntagme à syntaxe contrainte et sémantique non-
compositionnelle : POMME DE TERRE – noter qu’une pomme de terre n’est pas une pomme, ni un fruit – mais un légume,
et que l’on ne peut rien intercaler entre pomme et de terre : une pomme au four/ *une pomme au four de terre/ OKune pomme
de terre au four). En terminologie, c’est traditionnellement de l’opposition terme vs mot que l’on fait état, où par mot on
comprend ce que les lexicologues appellent lexème.
4
Comme nous le verrons sous peu, les terminologues parleront alors plus volontiers de caractère que de propriété.
5
« Culture intensive de légumes, généralement localisée aux abords des villes, telle que la pratiquent les maraîchers »
(TLFi). Legumicultură ro = maraîchage fr ; legumicultor ro = maraîcher fr. En outre, le français dispose, concernant les
légumes, de l’adjectif et du nom potager : jardin potager (ou : potager n.m) – grădină de legume (şi zarzavaturi), carré
potager – strat de legume, culture potagère – cultură de legume, travaux potagers – lucrări în legumicultură.
6
Si l’agriculture est une activité, l’agronomie est la science correspondante : le TLFi définit même l’agronomie comme un
ensemble de sciences (pluriel) et de techniques (« ensemble des sciences et des techniques de recherche et d’application
concernant l'agriculture »).
1
Le GDT (Grand Dictionnaire Terminologique7) comporte, en critères de recherche, pas moins
de 163 « domaines », dont :
Par comparaison, les dictionnaires de français-langue générale affichent des scores bien plus
modestes : le TLFi (Trésor de la langue française informatisé) ne comporte, quant à lui, qu’environ
100.000 entrées et 270.000 définitions – correspondant aux diverses acceptions recensées pour les
mots polysémiques – chiffre largement dû à l’inclusion d’acceptions spécialisées à qualificatif de
domaine (qui sont autant de termes). Le Grand Robert de la langue française (2017, version
informatisée) recèle, lui, 100.000 mots et 300.000 sens.
7 Banque de données terminologiques construite par l’OQLF (Office québécois de la langue française) pour franciser la
communication professionnelle dans les services publics et l’enseignement, au Québec (province francophone du Canada).
Cette banque de données terminologique comporte aussi des fiches rédigées par des partenaires de l’office, et non validées
par l’OQLF. Les fiches respectent le principe une fiche/ un concept (tous les synonymes figureront sur la même fiche que le
terme vedette), et indiquent aussi les équivalents anglais (voire espagnol et parfois catalan) des termes vedettes (avec leurs
synonymes à eux).
8 Variété standard et langues de spécialité.
9 Une langue vernaculaire est un idiome parlé au sein d’une certaine communauté linguistique. C’est typiquement, mais pas
nécessairement, une langue première ou : maternelle, en tout cas, c’est la langue parlée systématiquement à la maison – le
terme venant du latin vernaculum, qui désignait ce qui était confectionné à la maison, par opposition à ce que l’on se
procurait par échange. Le français parlé en France, ou ses variétés géographiques respectivement parlées au Québec, en
Belgique ou bien en Suisse romande sont autant de langues vernaculaires, c’est-à-dire : locales, autochtones.
Le français comme langue de la diplomatie et comme langue des élites européennes par le passé, ou bien comme
langue de travail dans les institutions européennes et internationales de nos jours encore est, par contre, une langue
véhiculaire, employée en contexte de plurilinguisme, comme véhicule de communication entre personnes dont la langue
vernaculaire (locale) est autre. Le koinè en Grèce ancienne, la lingua franca dans le bassin méditerranéen (jusqu’au XIXe s –
une combinaison de français, italien, espagnol, et autres langues, comprise par les marins, les marchands et les esclaves), en
furent des exemples historiques si saillants que l’on utilise actuellement ces termes, par extension (métonymie) comme
synonymes du terme de langue véhiculaire. On peut ainsi dire sans contradiction inhérente que l’anglais soit de nos jours la
lingua franca des sciences et de la technique.
10 Selon https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/les-meilleurs-dictionnaires-de-langues-en-ligne/17297) –
2
terminologiques – activité parfois appelée terminographie, terme créé par Alain Rey11, dans les années
’70, d’après le modèle de lexicographie), tantôt (ii) la discipline étudiant les concepts spécialisés et les
termes qui les désignent (en langue d’une certaine spécialité) – une discipline, voire une science12 – ce
pourquoi dans ce cas-ci, la formation en –logie recouvre son potentiel sémantique maximum13.
11 Le nom vous est sans doute connu depuis la couverture intérieure des dictionnaires Robert – Le Petit Robert, Le Nouveau
Petit Robert… Pour complément d’information sur ce grand amoureux des mots, ainsi que sur les dictionnaires et la maison
d’édition, voir : https://www.lerobert.com/auteurs/alain-rey.html. Ça vous dirait de le voir et d’entendre le son de sa voix ?
Alain Rey vous présente Le grand Robert, le dictionnaire le plus complet de la langue française" aux éditions Le Robert, sur :
https://www.youtube.com/watch?v=Vt48aljyCuY.
12
Branche de la linguistique appliquée. Rappelons que discipline désigne, selon les dictionnaires, une « science, matière
pouvant faire l’objet d’un enseignement spécifique » (TLFi).
13
Comme vous l’avez sans doute remarqué, pas mal de noms de sciences/ disciplines finissent en logie : phonologie,
morphologie, lexicologie (vous avez déjà suivi des cours en ces disciplines-là), méthodologie, déontologie (on va vous
proposer sous peu un cours de déontologie académique et méthodologie de la recherche), archéologie (avez-vous remarqué
les travaux dans la cour intérieure de notre bâtiment ?), géologie, sociologie …
14 Voir http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/terminologie.html
15
Noter que les descripteurs « science », « discipline », « activité » ne sont pas attestés dans les descriptions
lexicographiques commentées.
16 Intégrée d’ailleurs, de manière encore plus significative, à la série terminologie théorique, pratique, appliquée (voir
linguistique théorique/ linguistique appliquée : tout le monde est entendu pour considérer la linguistique comme une
science).
3
étudie » les propriétés générales de la matière, mais les branches de la linguistique
seront, elles, définies directement en termes du descripteur « étude de » (voir par
exemple articles phonétique, adj. et n.f., morphologie, n.f.).
Une certaine contamination entre terminologie « étude des termes » et
terminologie « travail du terminologue » subsiste, ne serait-ce qu’à la faveur du renvoi
à lexicographie – sur fond d’omission d’une entrée terminographie parallèle à
lexicographie, mais décidément dans ce dictionnaire, à la différence du TLFi, c’est
l’acception « science/ étude de » qui cannibalise l’acception « travail , activité de ».
La norme ISO 704 : 200917 semble confondre elle aussi travail terminologique et discipline
scientifique (voir les acceptions 2 et 3 du mot terminologie recensées sur le portail France Terme),
mais pas en tant que sens du mot terminologie.
Au contraire, le vocable de terminologie y est réservé pour le seul usage collectif (pluralisable
et susceptible de saisie indéfinie : une terminologie/ des terminologies, la terminologie (de ___/ +adj.),
les terminologies) : « Dans la présente Norme internationale et pour la langue française, le travail
terminologique désignera la discipline [ !] et terminologie, utilisé au pluriel ou précédé d'un article,
renverra à l’ensemble des désignations d’un domaine particulier, tel que la terminologie juridique ».
- identification des concepts et des relations entre concepts dans un certain domaine/ sous-domaine etc.,
- analyse et modélisation des systèmes de concepts à partir des concepts et relations préalablement identifiés,
- réalisation des représentations (= modélisations) de systèmes conceptuels à l’aide de schémas conceptuels,
- définition des concepts (formulation de définitions terminologiques, régularisées par le terminologue, et non :
définitions attestées telles quelles dans les ressources documentaires primaires ou secondaires),
- attribution de termes (ou autres désignations, selon le cas) aux concepts ainsi définis (notamment pour les concepts
nouveaux : néologie primaire ; alternativement, proposer un terme dans une langue cible autre que celle de la
néologie primaire, proposer donc un équivalent terminologique ; lorsqu’il y a plusieurs désignations de disponibles
pour un certain concept déjà en place dans une certaine langue : en choisir une ou plusieurs et lui ou leur assigner un
statut privilégié)
- activité d’enregistrement des terminologies sur support imprimé ou électronique (terminographie)
4
Dans le manuel de terminologie conceptuelle de Helmut Felber19 distinction est toujours faite20
entre trois concepts désignés par le vocable terminologie, mais ce ne sont pas exactement les trois
concepts dont nous venons de faire état (dans le sillage de France Terme) : si l’auteur distingue la
science de la terminologie (domaine du savoir) et les ensembles de termes (terminologie 1° = « science
de la terminologie, comme domaine du savoir interdisciplinaire et transdisciplinaire ayant trait aux
notions et à leurs représentations (termes, symboles) » ; terminologie 2° = « ensemble de termes (qui
représentent le système des notions liées d’un domaine du savoir) »), le troisième concept de distingué
n’est pas de l’ordre du travail terminologique (activités du terminologue), mais de l’ordre des produits
de ce travail (terminologie 3° = « publication dans laquelle le système des notions liées d’un domaine
du savoir est représenté par des termes »).
Notre choix, ici, pour la tripartition proposée sur le portail France Terme est étayé par des
critères d’abord linguistiques (interface sémantique lexicale/ sémantique grammaticale) : opposer
« ensemble de termes » à « domaine du savoir » d’une part et à « activité pratique (travail
terminologique) », de l’autre, permet de rendre compte des caractéristiques d’usage du mot
terminologie dans ces trois emplois : singulier seulement et article défini privilégié, dans les deux
dernières acceptions, abstraites, contre pluriel et article indéfini possibles seulement dans la première
acception, concrète21. Le rapprochement formel (comportement morphosyntaxique) entre
terminologie-activité/ terminologie-science serait-il à l’origine de la confusion des deux concepts dans
la littérature (dictionnaires compris) ?
Puisqu’à la différence des mots de la langue commune, les termes désignent par hypothèse
(c’est-à-dire : par définition) des concepts relatifs à des domaines de spécialité, il n’est pas tout à fait
correct de qualifier un terme (ni un ensemble de termes) de spécialisé. On peut en revanche en
spécifier le degré de spécialisation :
19 FELBER, Helmut (1984/ fr.1987) – Manuel général de terminologie, Paris: UNESCO et Infoterm. Ajouter dans la
présentation orale des infos sur le manuel (destinataires notamment: commissions de terminologie, contexte Infoterm/
CT37!!!)
20 Sous 1.01 (chapitre intitulé « Qu’est-ce que la terminologie ? ») il est clairement asserté, dans Felber 1984, que le terme de
psychologies, #les pédagogies, #les phonologies, #les morphologies – pluriel non attesté sans lecture sortale). Remarques : le
symbole # marque en linguistique le caractère non-attesté d’un exemple.
22 L’acception <publication> allégué par Helmut Felber viendrait-elle du fait que le mot terminologie apparaît souvent (en
concurrence avec vocabulaire ou lexique spécialisé, ainsi qu’avec des hyponymes : dictionnaire, glossaire, thésaurus) sur la
couverture/ dans l’intitulé desdites publications ?!?
23 Noter la formulation en terminologie : la terminologie est entendue ici comme domaine de spécialité (domaine d’activité
et/ou du savoir).
5
- tel terme relève d’un domaine plus pointu que tel autre,
- à l’intérieur du même domaine, tel terme est une variante moins spécialisée – mieux
vaudrait sans doute dire alors : moins technique – de tel autre (dénominations dites
populaires de plantes, par exemple, par rapport à leur dénomination savante en latin –
pomme de terre par rapport à Solanum tuberosum)… Les variantes plus techniques
sont typiquement employées par les spécialistes, les variantes dites populaires, par le
commun des mortels, mais les concepts désignés par les deux (et les objets du monde
qui les illustrent) relèvent du même domaine de spécialité (dans l’exemple donné, des
sciences de la nature ou, si l’on veut spécialiser – ou : morceler – davantage : de la
botanique).
Pour nous donner les moyens de trancher la question de savoir si oui ou non les tours terme
spécialisé, terminologie spécialisée, de plus en plus souvent rencontrés y compris sous la plume de
profs de terminologie et de terminologues chevronnés, voire dans certaines versions de normes ISO
relatives au travail terminologique24, il faudra voir d’abord quel est le sens exact du mot français
spécialisé, selon les dictionnaires de langue. Cet adjectif vient du participe passé du verbe spécialiser,
qui, lui, signifie (d’après le TLFi) « rendre quelqu’un ou quelque chose apte à un emploi précis,
déterminé, restreint », et, en emploi absolu, « restreindre (par souci d'approfondissement) un domaine
de connaissance et ses applications », le synonyme indiqué étant alors morceler. Exemples donnés :
spécialiser la justice25, spécialiser les quartiers d’une ville (affaires/ commerce/ loisirs/ résidence). Le
verbe a donc décidément à voir plutôt avec la notion de domaine de spécialité qu’avec le degré de
spécialisation. Et de un.
L’adjectif spécialisé s’emploie, lui, à propos d’un inanimé (les termes sont bien des inanimés,
non ?), pour désigner la propriété de « répondre à un type, à une fonction, à un usage bien
déterminés ». Parmi les exemples donnés, à côté de revues spécialisée ou de salle spécialisée26, nous
retrouverons agriculture spécialisée (vs27 agriculture diversifiée) – un terme de domaine, à nouveau.
Et de deux.
Quand il porte sur un nom d’humain, l’adjectif signifiera sans autre « qui a acquis une
spécialité » (ouvrier spécialisé ; artisan spécialisé dans la fabrication des objets
saints). Rien à voir avec le degré de spécialisation non plus, mais uniquement avec le
domaine de spécialisation. À preuve que le degré doive être exprimé par ajout
explicite : personnel hautement spécialisé.
Rappelons en outre que, de l’avis des lexicographes (TLFi, Nouveau Petit Robert),
l’adjectif spécialisé vient de la forme transitive spécialiser, dont il intègre le sème de
restriction de domaine, et non de la forme pronominale se spécialiser – en particulier,
6
spécialisé adj. ne vient pas du sens dérivé, second de cette forme pronominale, qui
sélectionne de toute manière un sujet humain28 – sens proche de la sémantique de
l’adjectif et du nom spécialiste : « acquérir des connaissances approfondies dans un
domaine particulier » (Nouv. P. Rob. 2007). Et de quatre.
Nous en conclurons que, dans le discours de la terminologie, les séquences (en combinatoire
libre) terme spécialisé, terminologie spécialisée procèdent – quand elles sont attestées – par
contamination entre sens de l’adjectif spécialisé et sens de l’adjectif (et du nom) spécialiste, ainsi sans
doute qu’entre spécialiser et se spécialiser.
À moins ou bien de changer la définition du concept de terme lui-même (en terminologie), ou
bien de réinvestir l’adjectif spécialisé d’un sens que, pour l’instant du moins, la lexicographie générale
n’a pas l’air d’avoir recensé (#« à haut degré de spécialisation »), ces syntagmes resteront
désespérément (et dangereusement) redondants.
Ce pourquoi, à l’horizon de cette initiation à la terminologie du moins, nous en déconseillons
vivement l’emploi.
À la limite, vous pourrez dire/ écrire terme, terminologie très/ plus/ moins/ de plus en plus/…
spécialisé,e – et ce faisant, vous emploierez de fait non pas l’adjectif spécialisé tel que recensé dans
les dictionnaires de langue, mais le participe passé du verbe pronominal se spécialiser – emploi
pouvant éventuellement donner lieu à l’émergence d’un nouveau sens de l’adjectif, à l’avenir. Les
fautes d’hier sont les règles de demain…
Il est vrai que, dans la communication courante, on utilise souvent terme comme synonyme de
mot, dans une acception informelle : c’est même là le premier sens du mot français terme selon les
lexicographes (TLFi, exemples littéraires à l’appui). Sans doute cette acception informelle, vague est-
elle bien plus saillante dans le lexique intériorisé des spécialistes en terminologie qui ne se privent pas
d’écrire et de dire terme spécialisé, terminologie spécialisée, que le sens technique, à qualificatif de
domaine (propre à la terminologie comme domaine de connaissance et/ou d’activité à part).
On peut se poser les mêmes questions non seulement sur termen specializat, terminologii
specializate en roumain, mais aussi sur les termes allemands Fachterminus, Fachterminologie (attestés
parfois dans la littérature, bien que non attestés dans la norme DIN 2342-1/ 201130 où seuls sont
qualifiés de spécialisés le mot – Fachwort, l’expression – Fachausdruck, la dénomination –
Fachbennenung, le vocabulaire – Fachwortschatz, la langue – Fachsprache, le concept (ou : notion) –
Fachbegriff, le domaine – Fachgebiet, mais jamais le Terminus ni la Terminologie eux-mêmes, une
fois posées leurs définitions respectives) ; ainsi d’ailleurs que sur les séquences specialized term,
specialized terminology en anglais.
28 N’étant donc pas approprié à un nom recteur inanimé, tels terme, terminologie.
29 Ce n’est pas par hasard si le TLFi illustre l’acception pertinente de la forme pronominale précisément d’un tel exemple :
Les fonctions politiques, administratives, judiciaires, se spécialisent de plus en plus. Il en est de même des fonctions
artistiques et scientifiques (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 2, n.s.).
30 Begriffe der Terminologielehre (‘Notions de la science de la terminologie’).
7
En bref
Terminologie3 = discipline linguistique étudiant les concepts spécialisés et les termes qui les désignent
Discipline = science, matière pouvant faire l’objet d’un enseignement spécifique (TLFi)
En guise de conclusion sur les dénominations (et les notions) de terminologie et de terme :
Eviter autant que faire se peut (dans un discours relatif à ou relevant de la terminologie comme
discipline ou comme activité) :
?
*terme spécialisé, terminologie spécialisée (redondance : adjectif spécialisé)
?OK
terme, terminologie plus/ mois/ très spécialisé,e – à la limite acceptables comme
participe passé du verbe pronominal se spécialiser (emploi émergent)31
31 Le symbole [*] y indique un exemple agrammatical (dans le contexte allégué), et OK, évidemment, un exemple correct. Un
signe d’interrogation précédant n’importe lequel de ces symboles indiquera le doute de l’auteur sur l’évaluation respective.
8
0.2. Histoire de la discipline (notes de cours non rédigées en discours suivi)
- issue des travaux de Eugen WÜSTER (Wüster 1968, 1974 ; Felber 198732)
- une théorie orientée concept, de ce fait appelée aussi terminologie conceptuelle (vs
terminologie textuelle – cf. Roche 201233).
- terminologie normative (vs descriptive) : normalisation internationale notamment
des domaines techniques (ISO – Organisation internationale de normalisation)
- démarche onomasiologique (du concept, vers le nom du concept – onoma signifiant
en grec « nom ») : point de vue de l’expert du domaine de référence (vs point de vue
du langagier – Wüster lui-même aura été ingénieur tout autant que terminologue et
« interlinguiste ») ; en termes de communication professionnelle, cela revient à
privilégier la perspective de production (vs de compréhension)
- principe de biunivocité monosémie du terme (vs polysémie du mot) ; pas de
synonymie en langue de spécialité non plus :
« [Es] ist in der Terminologie zu verlangen, daß sie, um einen Ausdruck aus der Mathematik
zu gebrauchen, eineindeutig ist. D. h., daß grundsätzlich jedem Begriff nur eine einzige
Benennung zugeordnet ist, und umgekehrt. Das ist für einen bestimmten Zeitpunkt, meist für
die Gegenwart (‚synchronische Sprachbetrachtung’), gemeint. Es sollte also weder mehrdeutige
Benennungen (Homonyme und Polyseme), noch Mehrfachbenennungen für einen Begriff
(Synonyme) geben »34 (1985 : 79)
32 WÜSTER, Eugen (1968) – The Machine Tool. An Interlingual Dictionary of Basic Concepts, London: Technical Press.
WÜSTER, Eugen (1979, posth.) – Einführung in die allgemeine Terminologielehre und terminologische Lexicographie,
Wien: Springer. [texte rédigé par son élève Helmut FELBER d’après les notes de cours]
FELBER, Helmut (1984/ fr.1987) – Manuel général de terminologie, Paris: UNESCO et Infoterm.
33 ROCHE, Christophe (2012) – « Terminologie conceptuelle vs terminologie textuelle », Repères N° 1, Janvier 2012,
http://www.condillac.org/files/2012/01/Reperes_n1_2012.01_terminologie-conceptuelle-versus-terminologie-textuelle.pdf.
34 « [On] doit exiger de la terminologie qu’elle soit, pour emprunter un terme aux mathématiques, biunivoque. C’est-à-dire
qu’à chaque notion il soit assigné une seule dénomination et vice-versa. Ce qui ne s’entend que pour un certain moment, le
plus souvent, pour le présent (analyse linguistique synchronique). Il ne devrait donc pas y avoir de dénominations qui offrent
plusieurs sens (homonymes et polysèmes), ni plusieurs dénominations pour un seul concept (synonymes) » (trad. en fr. par
Danielle Candel – dans Candel 2007 : 67 –, excepté les passages non soulignés, traduits de notre main, puisque cette auteure
aura opéré une sélection dans le texte de Wüster que nous n’avons pas entièrement suivie ici).
Lectures conseillées (pour les anciens avancés seulement, et en tout cas à titre facultatif) :
CANDEL, Danielle (2004) – « Wüster par lui-même », Les Cahiers du CIEL 2004, p. 15-32,
http://www.academia.edu/24382628/Wüster_Par_Lui-Meme (dernière consultation le 10 octobre 2018)
CANDEL, Danielle (2007) – « Terminologie de la terminologie. Métalangage et reformulation dans l’Introduction à la
terminologie générale et à la lexicographie terminologique de E. Wüster », Langages n° 168, p. 61-88.
https://www.cairn-info/revue-langages-2007-4-p66.htm (dernière consultation le 10 octobre 2018)
9
espéranto (de l’avis de son inventeur même) : « une langue internationale pour
la science, le commerce et la communication en général » (Zamenhof 1887 : 5,
apud Samain 201035 : 281).
Une définition qui, de l’avis de Didier Samain, « pourrait tout aussi bien
s’appliquer à la terminologie telle que la concevait Wüster » (Ibidem). Pourvu
que l’on y ajoute, après le mot communication, la spécification professionnelle,
croyons-nous.
« Sa thèse (Wüster 1931) ne trouve pour ainsi dire aucun écho dans les publications de
langue française, pas plus que son dictionnaire exemplaire (Wüster 1968), qui pourtant
comporte des entrées et une introduction en français. C’est dans le cadre de la traduction
que l’on parle pour la première fois de Wüster dans le contexte français (Mounin 1963).
Les terminologues ne le découvrent que bien plus tard. Robert Dubuc (1978), auteur du
premier manuel moderne de langue française, ne le connaît pas. Alain Rey, dans le Que
sais-je ? consacré à la terminologie, publié pour la première fois en 1979, connaît
visiblement bien la théorie de Wüster, mais il cite très peu son auteur, du moins
explicitement. L’universitaire québécois Guy Rondeau (première édition 1981) présente
pour la première fois au public francophone toute l’étendue de la recherche déjà réalisée
en Europe centrale et de l’est depuis les années 1930 et expose dans ses grandes lignes et
sous une lumière tout à fait positive l’essentiel de la pensée de Wüster. La seule critique
prend la forme d’une interrogation sur le classement en domaines qui “ s’applique
facilement dans le cas de sciences exactes, [mais] sa correspondance à la réalité peut poser
des problèmes dans d’autres types de disciplines ” (Rondeau 1983 :12). Malgré le sérieux
de la présentation de Rondeau, il faut attendre l’édition française du Manuel de
terminologie de Helmut Felber (1987) pour qu’on l’on puisse accéder en français au détail
de sa pensée. En fait, les terminologues avertis connaissaient certains de ses principes de
base de par les normes de terminologie de l’ISA et plus tard, de l’ISO, qui furent très
directement inspirées par Wüster. En un mot, pour le public de langue française des
années 1970 et 1980, Wüster était connu de seconde main, via l’ISO, l’UNESCO et les
publication d’INFOTERM »
(Humbley 200436 : 35)
Approches alternatives :
Socioterminologie (Gaudin 1993, 2003)
Terminologie textuelle (Bourigault et Slodzian 1999)
Approche sociocognitive (Temmerman 2000)
Théorie communicative (Cabré 2003)
Pour un aperçu à vol d’oiseau de la manière dont ces approches définissent le terme dans sa
relation au concept, voir L’Homme 200537 : §3.
35
SAMAIN, Didier (2010) – « Eugen Wüster. De l’espéranto à la terminologie », Cultures et lexicographie (Michaela Heinz,
éd.), Berlin : Frank & Timme GmbH, p. 279-296.
36 HUMBLEY, John (2004) – « La réception de l’œuvre d’Eugen Wüster dans les pays de langue française », Les Cahiers du
10
Pour plus d’informations sur « l’évolution de la terminologie actuelle », voir Cabré 199838 :
§1.1.3, qui distingue, dans la lignée d’Auger 198839, quatre étapes dans le développement de la
terminologie moderne : « les origines (de 1930 à 1960), la structuration (de 1960 à 1975), l’éclatement
(de 1975 à 1985), de larges horizons (depuis 1985) » (op.cit., p. 27) ; pour une présentation de la
théorie générale de la terminologie (grosso modo étapes des « origines » et de la « structuration »),
voir §1.2.1, dans le même ouvrage, et pour un aperçu des écoles et méthodes de travail en
terminologie (pour les quatre étapes) se reporter à § 1.2.4.
0.3. Terminologie conceptuelle : les distinctions opératoires. Objet/ concept/ désignation (ISO
704/2000, 2009)
Objet : entité particulière du monde extralinguistique perçue (isolée par la perception à partir
du continuum du réel : objet concret – syn. objet matériel) ou bien conçue (objet imaginé40 vs objet
abstrait).
Concept (= notion) : représentation mentale d’objets, dans un contexte ou un domaine
spécialisé.
Désignation : signe verbal (chlorure de sodium, eau, euro, livre sterling), formule (Na-Cl,
H2O) ou symbole graphique (€, £).
Bien que parallèles à référent/ signifié/ signifiant (termes saussuriens41), ces termes
participent d’une démarche distincte (des choses, aux concepts et des concepts, aux mots [démarche
onomasiologique : ‘vers les noms’], plutôt que des mots, aux sens, et des sens, aux choses désignées
[démarche sémasiologique : ‘vers les sens’]).
Les relations entre terme et concept sont distinctes des relations entre signifiant du mot de la
langue commune et signifié de ce mot.
Je ne veux ni manger
ni porter du lapin
37
L’HOMME, Marie-Claude (2004) – La Terminologie : principes et techniques, Montréal : Les Presses de l’Université de
Montréal, p. 64-66)
38 CABRÉ, Maria Teresa (1998) – La Terminologie. Théorie, méthode et applications, Ottawa : Les Presses de l’Université
d’Ottawa (original catalan 1992, version espagnole 1993). Traduit du catalan, adapté et mis à jour par Monique C. Cornier et
John Humbley.
39 AUGER, Pierre (1988) – « La terminologie au Québec et dans le monde, de la naissance à la maturité », Actes du sixième
colloque OLF-STQ de terminologie. L’ère nouvelle de la terminologie, Québec, Gouvernement du Québec, pp. 27-59.
40
ISO 704 : 2009 reformulera à : objet imaginaire.
41 Au sens de Ferdinand de Saussure : signe linguistique (= signifiant+signifié) vs référent (=objet du monde
extralinguistique).
42 Van Campenhoudt 1996: 284.
11
[exercice TD43 :] (« viande »,
Mon écran n’affiche pas plein écran « fourrure »)44
écran HP mince et élégant Ce roman gros de
écran de 24 pouces 400 pages est très
écran trop chargé en informations, intéressant
écran trop chargé, illisible, avec des caractères qui se superposent (« objet tridimensionn
el », « idées »)
écran1 = périphérique de sortie
écran2 = contenu d’un écran1 (données affichées)
2. mononymie (chaque concept est désigné par un seul terme 45 synonymie (un signifiant,
– Depecker 2008 : 128) deux ou plusieurs signifiés)
Nouvelle (dépôt légal mars 2003, imprimé en UE, réimpression février 2009).
46 PAVEL, Silvia & NOLET, Diane (2001) – Précis de terminologie, Gatineau (Québec) : Bureau de la traduction (Canada).
47 C’est ce que Sylvia Pavel et Diane Nolet appellent (si notre lecture est correcte) « lexicalisation » de la relation terme-
concept : sa « stabilité » à travers les textes (Pavel & Nolet 2001 : 17). Puisque sinon, les rapports entre signifiant et
signifié(s) d’un mot de la langue commune sont eux aussi lexicalisés – la preuve, ils sont recensés dans des dictionnaires de
langue !
12
signe linguistique saussurien), ni le concept (désigné par le terme) ne se laisse réduire au « signifié »
(du mot – ou selon le cas du syntagme – que tout terme est, en langue), et que la terminologie (à la
différence de la linguistique) est une « discipline éminemment pratique et tournée vers le monde »
(vers les choses, plutôt que vers les mots) 48.
1. Objets (entités particulières du monde extralinguistique : perçus (isolés par la perception à partir
du continuum du réel) ou bien conçus (abstraits ou bien imaginés)
Imaginé veut dire, au sens de la Norme ISO 704/2000 « imaginaire », « fictionnel » : après
avoir défini la catégorie (« un objet est tout ce qui se perçoit ou se conçoit »), l’on y opère un
classement assorti d’exemples (listes ouvertes) :
■ objets qui « doivent être considérés comme concrets » : machine, diamant, rivière, … ;
■ objets qui « doivent être considérés comme immatériels ou abstraits » : chaque
manifestation d’un plan financier, la gravité, un rapport de conversion, … ;
■ objets qui « doivent être considérés comme purement imaginés » : une licorne, une pierre
philosophale, un personnage de la littérature, ... (cf. ISO 704/2000 (F) : §4).
Nous noterons la neutralité manifeste de la norme de terminologie pour ce qui est des
définitions (vs illustrations) des sous-classes d’objets posées :
Lors de la production d’une terminologie, les discussions philosophiques sur le fait qu’un objet a ou non
une réalité sont stériles, et il est par conséquent recommandé de les éviter. Il convient plutôt de se
concentrer sur la manière dont les objets sont utilisés à des fins de communication » (ISO 704, p. 2)
En effet, dans la littérature (en particulier philosophique), il n’y a guère de consensus sur la
définition des objets abstraits vs concrets, ni d’ailleurs sur celle des objets imaginés.
Parmi les critères distinctifs communément évoqués, dans la littérature, pour les objets
abstraits (vs concrets):
■ objets définis par la négative (ni sensibles – comme les objets perçus, ni purement
mentaux – comme les concepts eux-mêmes),
■ non spatio-temporels,
■ dépourvus d’action ou de déterminations causales (« causalement inefficients »)49,
■ ne comportant pas certaines caractéristiques que les objets concrets comportent (moins de
spécifications : ce qui rapproche la catégorie ontologique OBJETS ABSTRAITS de l’opération
mentale d’ABSTRACTION postulée en psychologie cognitive comme fondement de la
conceptualisation).
48
DEPECKER, Loïc (2005) – « Contribution de la terminologie à la linguistique », Langages n°157, 6-13. Bien qu’il
s’agisse là au demeurant du monde objectif, en général, à la fois extra-mental et extralinguistique, nature comprise, et non de
la société en soi, l’auteur admet la synonymie comme un fait (et du coup donne droit de cité, en terminologie conceptuelle
aussi, à la variation discursive – art. cit., p. 8-9).
49 Une certaine loi (acte normatif) est bien un objet abstrait, mais comme acte normatif, est-elle de fait « causalement
inefficiente » ? Celui qui se voit condamner à trois ans de prison ferme sur la foi d’un article de cette loi n’est pas enclin à le
croire…
50
À ce niveau d’analyse, blanc est un nom concret (nom de couleur), et blancheur un nom abstrait (nom de qualité).
13
L’exemple illustratif typique de la catégorie ontologique des objets abstraits (et de la
distinction objet abstrait/ objet concret) reste sans doute, dans la littérature
philosophique, celui des nombres et des entités mathématiques51, en général. Ainsi,
une pile de quatre volumes sur la chaire de la salle 212 (Université de Bucarest, rue
Edgar Quinet), ou un tas de quatre pommes sur la table du séjour (sur la table de mon
séjour), bien que tout ce qu’il y a de plus concrets, comporteraient, au même titre, un
objet abstrait – la quantité numérique52.
Pour une discussion plus approfondie de ces questions, commencer par la lecture de l’article
OBJETS ABSTRAITS dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy (l’Encyclopédie de philosophie
de Stanford – désormais : SEP).
L’absence de consensus quant à la définition des objets abstraits vs concrets caractérise aussi
les objets appelés, dans la norme ISO en référence, imaginés : effectivement, ces derniers ne sont pas
toujours envisagés comme ressortissant de la fiction. Pour Denis Diderot, c’étaient tout simplement
des « objets de la sensation passée » (en tant qu’opposés aux « objets de la sensation présente ») 53.
51 Des nombres réels, des nombres naturels, des ensembles, des champs vectoriels, des anneaux etc.
52
Les nombres sont-ils à situer parmi les choses de ce monde (bien que dépourvus d’existence spatio-temporelle et
causalement inefficients) ? Ou bien dans l’esprit de l’observateur-analyste ? Selon certains, les nombres ne seraient ni des
entités du monde, spatio-temporelles, ni des entités purement mentales, subjectives (des notions). Selon d’autres, au
contraire, les nombres n’existeraient que dans l’esprit de l’observateur (entités mentales : notions), et en tant que signes
(chiffres). Il y a même des voix, parmi les philosophes, qui considèrent que la question de savoir si les nombres existent n’a
pas de contenu propre du tout – et qu’il n’y a, en général, pas d’objets abstraits : un énoncé mathématique comme il existe un
nombre naturel n tel que n – 3 = 20 ne serait alors ni vrai ni faux quand on le fait sortir du domaine scientifique dont il
procède (les mathématiques), et notamment en termes d’une investigation ontologique sur la constitution du monde. Devant
de telles questions et surtout devant la variété de réponses qui y ont été apportées, en philosophie, rien d’étonnant à ce que la
terminologie préfère de prendre la notion d’objet abstrait – et la notion d’objet en général – comme une primitive (à illustrer
mais non à définir), et s’intéresse uniquement à la manière dont on utilise les objets dans la communication.
La lexicographie générale se range d’habitude aussi à cet avis prudent, pour ce qui est des nombres du moins : les
nombres sont alors entendus comme des « notions fondamentales de l'entendement que l'on peut rapporter à d'autres idées
(pluralité, ensemble, correspondances) mais qu'on ne peut définir » (TLFi, nombre n.m).
Plutôt donc que de poursuivre plus avant la question à proprement parler métaphysique de l’existence des nombre
ou des objets abstraits en général, mieux vaut, au point où nous sommes arrivés, de noter qu’en français on distingue entre
nombre (un quantificateur) et numéro (un identifiant, abréviation devant un chiffre: no, No, n°), alors que le roumain emploie
un seul et même terme pour désigner les deux (număr, număr curent, abrégé nr. crt.). Selon le TLFi, un numéro est un chiffre
(le symbole d’un nombre) attribué à une chose dont il indique la place dans une série, et qu’il sert à classer, à reconnaître.
53 « Nous donnons, si j’ose ainsi parler, notre aveu à l’imagination qui nous peint ces objets de la sensation passée avec les
mêmes couleurs que ceux de la sensation présente, et qui leur assigne, comme celle-ci, un lieu dans l’espace dont nous nous
voyons environnés ; et nous reconnaissons par conséquent entre ces objets imaginés et nous, les mêmes rapports de distance
et d’action mutuelle que nous observons entre les objets actuels de la sensation. Ce rapport nouveau ne se termine pas
moins à la conscience du moi, que celui qui est entre l’être perçu & l’être percevant ; il ne suppose pas moins dans les deux
termes la même réalité, et un fondement de leur relation qui a pu être encore désigné par le nom commun d’existence ; ou
plutôt l’action même de l’imagination, lorsqu’elle représente ces objets avec les mêmes rapports d’action et de distance, soit
entre eux, soit avec nous, est telle, que les objets actuellement présents aux sens, peuvent tenir lieu de ce nom général, et
14
La version 2009 de la même norme appellera les objets imaginés directement « objets
imaginaires » – ce qui (pour une fois) représente un progrès, par rapport au texte 2000 : plus de
confusion de possible entre objets imaginés de la terminologie et « objets de la sensation passée »…
Les objets sont décrits et identifiés par leurs propriétés. Les ressources terminologiques ne
recensent cela dit pas les propriétés des objets spécifiques, ni les objets individuels eux-mêmes !
La relation entre propriétés de l’objet et caractères du concept n’est pas une relation de terme
à terme. Elle peut varier selon divers facteurs, dont notamment :
le degré de finesse de l’analyse conceptuelle,
la visée de l’analyse,
la dimension retenue.
(1) <bateau> = (dans le domaine de la navigation intérieure) construction flottante motorisée ou non, susceptible
de se déplacer ou d’être déplacée et apte à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes (Arrêté de
terminologie des transports – 18 juillet 1989, apud Depecker 2003 : 68).
- construction (=artefact) (bateau vs. objets flottants non construits (débris, arbres déracinés par un orage,
etc. ) ;
- motorisée ou non-motorisée (bateau à moteur ou bateau à voiles) ;
- susceptible de se déplacer (bateau vs. < établissement flottant> qui n’est pas déplaçable, qui reste
immobilisé à quai, étant utilisé même en tant que restaurant) ;
- susceptible d’être déplacée (cela inclut les barges parmi les bateaux) ;
- apte à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes (bateau vs d’autres constructions flottantes,
devenir comme un premier langage qui renferme sous le même concept la réalité des objets actuels de la sensation, et celle de
tous les êtres que nous supposons répandus dans l’espace » (Diderot, Encyclopédie, 1ère éd., tome 6, p. 272 – adapté au
français contemporain par nos soins).
15
inaptes à recevoir ou à transporter des biens ou des personnes : balises54, pontons55).
(2) <bateau> = (dans le domaine de la marine) bâtiment de faible tonnage, destiné à la navigation intérieure. / vs/
<navire> = bâtiment de fort tonnage destiné à la navigation maritime (Grand Dictionnaire Terminologique,
citant les définitions de l’Office Québécois de la Langue Française).
Notons qu’il s’agit bien du même concept (même domaine d’emploi des objets concernés), dans les
deux cas de figure, bien que la navigation intérieure précise le domaine à proprement parler, dans le cas de la
définition proposée par l’arrêté, alors qu’elle constitue directement un caractère du concept, dans la définition
du GDT.
Le tonnage, propriété susceptible d’opposer les bateaux aux navires (opposition implicite, dans
l’arrêté, en vertu du domaine d’emploi – navigation intérieure, pour les bateaux contre transport sur mer, pour
les navires) n’est retenue comme caractère pertinent que par la définition du GDT, qui en revanche ignore
toutes les propriétés fonctionnelles des bateaux retenues comme autant de caractères par la définition du
concept dans l’arrêté.
Nous remarquerons que dans le TLFi, « utilisé pour la navigation » représente un sème du mot
bateau, et « destiné principalement à la navigation sur mer » représente un sème (unité de sens, atome de sens
lexical vs grammatical) du mot navire, et non les domaines d’emploi des concepts désignés, ce qui veut dire
que les définitions assignées aux concepts désignés par les termes respectifs, ou plutôt, vu la perspective
décidément sémasiologique du lexicographe, les descriptions des signifiés des mots concernés ne sont
qu’imparfaitement corrélées, bateau et navire ne s’opposant pas en termes du type de navigation, mais au
mieux en termes de tonnage, puisque « navigation » comprend toute forme de navigation, en principe. Idem
pour les définitions compulsées dans le Robert.
Nous avons comparé les définitions terminologiques (Arrêté de terminologie 1989 pour le domaine de la
navigation intérieure et GDT pour le domaine de la marine). Celle de l’Arrêté est plus complète et plus précise,
implicitant (à la faveur du domaine auquel le concept est assigné) l’opposition bateaux/ navires et mettant en vedette
l’opposition bateaux/ bâtiments flottants. Le GDT note, de manière systématique, les caractères essentiels distinctifs du
tonnage (faible/ fort) et de la voie navigable (intérieure vs maritime) :
Par rapport aux définitions proposées dans les dictionnaires de langue générale, les définitions terminologiques
sont plus précises, plus complètes, plus concrètes et plus systématiques (les définitions sont corrélées entre elles en
terminologie, mais elles ne le sont que faiblement, dans un dictionnaire de langue).
Parmi les caractères constitutifs d’un concept, il est d’usage de distinguer des caractères
essentiels et des caractères non essentiels, et, parmi les premiers, des caractères distinctifs et des
caractères non distinctifs.
Les caractères essentiels correspondent à des propriétés que possèdent tous les membres
de la classe d’objets ainsi délimitée (conditions à la fois nécessaires et suffisantes pour qu’un objet
soit dit illustrer le concept en question). Les caractères essentiels doivent donc se retrouver dans la
définition du concept en terminologie (terminographie). Par contre, les caractères non essentiels
16
correspondent à des propriétés accidentelles ou accessoires, moins importantes, et non
nécessairement partagées par tous les membres de la classe.
Certains de ces caractères définitoires sont communs au concept défini et à ses concepts
sœurs (le cas échéant), ainsi qu’au concept superordonné – en particulier dans le cas des systèmes
de concepts genre-espèces : on les appellera caractères (essentiels) non distinctifs.
D’autres, au contraire, servent à distinguer entre elles les espèces d’un même genre, et
chacun de ces concepts subordonnés, de son concept superordonné : nous les appellerons
caractères (essentiels) distinctifs.
Exemple : le traitement, la solde, le salaire ou les gages sont des rémunérations versées tous les
mois, respectivement à un fonctionnaire (employeur = une administration de l’État), à un militaire,
à un employé (employeur : personne de droit privé) et à un domestique (employé de maison est le
terme « politiquement correct », en l’occurrence).
caractères essentiels non distinctifs des concepts de <traitement>, de <solde>,
d’< appointements> ou de <gages> : [+rémunération sous forme de douzième
mensuels] ;
caractères distinctifs procédant du type de bénéficiaire de chacune de ces
rémunérations, soit, dans l’ordre : [bénéficiaire = fonctionnaire]/ [bénéficiaire
= militaire] / [bénéficiaire = employé] / [bénéficiaire = domestique] ;
caractères non essentiels : le fait, pour les salaires56, de se situer
(actuellement) aux alentours de 2000 euros (en France).
56Cela correspond, techniquement parlant, au concept que désigne le terme salaire moyen équivalent temps plein (EQTP),
envisagé pour le seul secteur privé. Soit (chiffre 2017, pour l’année comptable précédente) : 2250 euros (selon l’INSEE).
17
Caractères essentiels distinctifs et non distinctifs. Étude de cas (à discuter en TD !)
Homme = ?
« Platon avait défini l'homme comme un animal bipède sans plumes et la définition avait du
succès ; Diogène pluma un coq et l'amena à l'école de Platon. Voilà, dit-il, l'homme de Platon !
D'où l'ajout que fit Platon à sa définition : et qui a des ongles plats. » (<VI 40 Diogène p.718>)
Le Diogène dont il est question dans cette anecdote racontée par Diogène Laërce, ce n’est
évidemment pas l’auteur des Vies et doctrines des philosophes… lui-même, mais un contemporain de
Platon – Diogène de Sinope, appelé aussi Diogène le Cynique.
18
La définition de l’homme selon Platon, à laquelle il est fait allusion dans l’anecdote
rapportée par Diogène Laërce sera consignée à l’écrit sous une forme bien plus élaborée, de l’avis
de l’auteur des Vies… : y compris en raison des critiques du philosophe cynique :
« 121. HOMME : animal dépourvu d'ailes, bipède, dont les ongles sont plats ; celui
qui, seul de tous les êtres, est apte à recevoir une connaissance, laquelle est de forme
rationnelle. » (<Définitions p.1399>)
Caractères distinctifs
[bipède] : oiseau, homme vs chien, chat… (quadrupèdes) vs singes (quadrumanes)
[à ongles plats] : homme (ongles plats) vs oiseau (griffes : « ongles pointus et crochus »),
chevaux (sabots)
[apte à recevoir une connaissance … de forme rationnelle] :
homme vs tout autre animal
En 2013, l’Inde a reconnu les dauphins comme étant des personnes non-humaines,
jouissant de droits, dont notamment le droit à la liberté (interdiction de chasse et de toute autre
forme d’exploitation commerciale).
Pour en savoir plus, visiter : https://mrmondialisation.org/ces-
personnes-non-humaines-un-basculement-de-paradigme/
19
Définitions (plus ou moins) métaphoriques
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut
pas que l’univers entier s'arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais,
quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il
meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »
<roseau> = <végétal>
<végétal> genre adéquat pour <homme>
<végétal> = <être vivant>
<être vivant> = genre adéquat pour <homme>
<roseau> <fragilité>
« Roseau – Avouez que serait totalement stupide celui qui définirait le roseau comme un homme qui
ne pense pas. » (p. 599)
De fait :
Les deux concepts ainsi définis ne partagent pas de caractères non distinctifs du tout : un caractère
défini par la négative (« ne pas penser ») n’est pas identique à l’absence du caractère !
http://www.bribes.org/homme.htm
Chaque espèce inclut l’ensemble des caractères définitoires de son genre prochain, autrement
dit, elle hérite des caractères de son concept immédiatement superordonné (principe d’héritage57) – ce
57
Depecker 2003/ 2009: 149.
20
que l’on peut exprimer en langue naturelle par l’énoncé définitoire type : un Y est un X qui…/ que…/
de … etc. – où X représente le genre prochain de l’espèce Y ou (selon le cas) décrit ce concept
(périphrase définitoire), et la séquence qui…/ que…/ de … désigne les caractères distinctifs :
21
termes (concept général: institution financière, banque),
appellations (concept unique : particulier – Banque Nationale de Paris),
symboles (concept général le plus souvent : € pour désigner l’euro, $, pour le dollar,
…, ruban de Möbius
pour désigner l’aptitude au récyclage, croix rouge, etc.).
Noter que le ruban de Möbius (dessin) en tant que tel est un symbole graphique qui
désigne (au premier degré) un concept unique (« le ruban de Möbius60 »), à l’instar de
l’appellation ruban de Möbius. La désignation de l’aptitude au recyclage est le fait du passage
à la figure, et de la convention graphique : il s’agit donc de distinguer un ruban de Möbius –
voir photo ci-contre, et le symbole lui-même de l’aptitude au recyclage (voir dessin ci-avant).
ISO 104 : Ne pas confondre objets abstraits – telles des quantités numériques ou des sociétés
commerciales données, et concepts correspondants : un concept général pour la quantité numérique
<QUATRE> (correspondant à toute instance dudit objet abstrait), mais un concept unique (ou :
particulier), pour – mettons – la Loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.
Alors même que de fait, la différence entre objet abstrait d’une part, et concept unique, de
l’autre, est bien mince et difficile à saisir, cette différence est bien réelle : ce n’est pas le concept de
<Loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles> qui pénalisera dans les faits
une multinationale ayant traité des données biométriques, de 4% de son chiffre d’affaire mondial
annuel brut, c’est la loi comme objet individuel abstrait qui le fera : le juge n’invoquera pas un
concept, mais un certain acte normatif…
Caractère= élément de notion servant à décrire/ identifier une qualité d’un objet individuel
(p. 99) ; chaque caractère est lui-même une notion.
60Le nom de cette forme étrange a été donné par celui des deux mathématiciens l’ayant décrite (indépendamment l’un de
l’autre), en 1858, qui aura eu l’heur de présenter un mémoire à ce sujet à l’Académie des sciences de Paris : August
Ferdinand Möbius. L’autre mathématicien était Johann Benedict Lessing.
22
Fonctions (« utilisations ») des caractères :
i) définition des notions
ii) comparaison des notions
iii) classification des notions
iv) bonne formation des termes associés aux notions
Fonctions de la notion
i) moyen d’agencement mental (classification)
ii) à l’aide d’un symbole linguistique (terme, lettre, symbole graphique), moyen de
communication
Représentations mentales de :
(1) êtres ou choses (exprimées par des substantifs (homme, marteau))
(2) qualités (exprimées par des adjectifs (rond) ou des substantifs (rondeur))
(3) actions (exprimées par des verbes (tourner) ou des substantifs (tours))
(4) des localisations, situations ou rapports (exprimés par des prépositions (devant), des adverbes
(au-dessus), des conjonctions (tandis que) ou des substantifs (simultanéité))
Extension d’une notion : l’ensemble de toutes les notions subordonnées à une notion donnée,
ayant le même degré d’abstraction/ l’ensemble de tous les individus particuliers qui appartiennent à
une notion donnée
23
Notons toutefois que le ballon d’observation est un aéronef aérostat (vs aérodyne),
c’est-à-dire plus léger que l’air (vs plus lourd que l’air), à sustentation assurée grâce à la
poussée d’Archimède (vs à sustentation assurée par une force aérodynamique – la portance), et
immobile dans le plan horizontal (se déplace grâce aux vents). En d’autres mots, il ne relève
pas de l’extension de la notion aéronef aérodyne, ni d’ailleurs de celle de la notion aéronef
aérostat, mais de l’extension d’une notion subordonnée à cette dernière, la notion de ballon à
gaz (nommé aussi charlière, du nom de son inventeur, la physicien français Jacques Charles ;
espèces de ballons à gaz (selon l’usage) : le ballon d’observation (à usage militaire) et le
ballon-sonde (à usage météorologique ou spatial – dont le ballon stratosphérique : ballon à
gaz de type ballon-sonde, qui arrive dans la stratosphère61). D’où une réanalyse de l’extension
du concept d’<aéronef aérodyne>, à :
Aéronefs
Aérodynes à voilure fixe : aéroplanes
sans moteur : planeurs
à moteur : avions
24
25