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Colloque de la SPF Grenoble sur le rêve


Grenoble, Hôtel Europole, décembre 2000
RÊVE DE PSYCHANALYSTE, RÊVE DE NEUROBIOLOGISTE : PERSPECTIVES

Dr J.P.FRESCO

Lors d’un dialogue récent avec le neuropsychiatre et éthologue Boris CYRULNIK1,


Edgar MORIN exprimait une idée qui lui est chère en disant : « certes, on ne peut pas tout
avoir dans sa tête, mais on peut circuler dans le savoir ». Quelle belle expression que celle-
là : circuler dans le savoir ; non pas incitation à l’immobilité figée qui cadavérise la
connaissance, mais appel au contraire au mouvement qui caractérise la vie. Non pas « circulez,
il n’y a rien à voir » mais plutôt : « circulez dans le savoir, il y a tant de choses à voir ! ». Et
Edgar MORIN poursuivait : « je pense que faire œuvre de culture, c’est donner au citoyen la
capacité de briser, de transgresser les frontières et les compartiments de plus en plus clos entre
les différents domaines du savoir ».
Le psychanalyste étant aussi un citoyen, c’est dans cet esprit que je voudrais
aujourd’hui vous proposer simplement une manière de promenade questionnante à travers
deux domaines de la connaissance que la vaste question du rêve intéresse : la neurobiologie et
la psychanalyse. Neurobiologie et psychanalyse, cela fait déjà deux points de vue, fort
différents, sur le rêve mais qui, en toute bonne logique, ne sauraient, in fine, se contredire
vraiment. Deux points de vue permettent déjà de varier la perspective, d’enrichir le paysage
mais avec un troisième, c’est encore mieux, ça donne encore plus de relief. Cette troisième
dimension nous sera apportée par les poètes, grands experts en dévoilements, comme on sait.

C’est ainsi qu’André BRETON, dans le premier manifeste surréaliste, rapporte que
chaque jour, au moment de s’endormir, Saint Pol ROUX( Paul Pierre Roux,1861-1940, dit le
Magnifique) faisait naguère placer sur la porte de son manoir de Camaret un écriteau sur
lequel on pouvait lire : le poète travaille. Ce poète, on le voit, n’était pas freudien. On trouve
cette même idée du rêve comme langage métaphorique de l’ordre d’une création artistique
chez NIETZSCHE dans « Le voyageur et son ombre » lorsqu’il écrit : « Nos rêves sont…des
enchaînements symboliques de scènes et d’images, en lieu et place du récit en langue
littéraire ; ils modifient les évènements, les conditions et les espoirs de notre vie, avec une
audace et une prévision poétique qui nous étonnent toujours le matin lorsque nous nous en
souvenons. Nous gaspillons trop notre sens artistique durant notre sommeil et c’est pourquoi
le jour nous en sommes si pauvres. »( je dois cette référence à Edith BEGUIN).
Il existe, de fait, de nombreux exemples de rêves célèbres et créatifs : Giuseppe
TARTINI (1692-1770) aurait composé sa « Sonate du Diable » en dormant ; plus connu, le
rêve de KEKULE qui lui permit de découvrir la structure du benzène. Ce chimiste allemand
(1829-1896) raconte ainsi son rêve : « Je tournai ma chaise vers le feu et tombai dans un
demi-sommeil. De nouveau, les atomes s’agitèrent devant mes yeux(…)De longues chaînes,
souvent associées de façon plus serrée, étaient toutes en mouvement, s’entrelaçant et se
tortillant comme des serpents. Mais attention, qu’était-ce que cela ? Un des serpents avait
saisi sa propre queue, et cette forme tournoyait de façon moqueuse devant mes yeux. Je
m’éveillai en un éclair(…) »Ainsi fut découverte la structure du benzène : six atomes
disposées en cercle. Le poète anglais Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) raconte qu’il

1
B.Cyrulnik et Edgar Morin : « Dialogue sur la nature humaine », Editions de l’Aube
2

s’endormit pendant une heure et qu’il composa en rêve deux ou trois cents vers de son poème
Koubla Khan. A son réveil, il saisit une plume, de l’encre et du papier et entreprit de
transcrire les vers dont il se souvenait. Mais il fut interrompu par un visiteur et quand il
retourna à son travail, il ne lui restait en mémoire que huit à dix vers épars. «Tout le reste
s’était évanoui comme les images à la surface d’une rivière où l’on a jeté une pierre. »écrivit-
il2 . Le psychiatre américain John Allan HOBSON rapporte quant à lui ceci3 : « Au moment
même où FREUD promulguait sa théorie du rêve, le pharmacologue autrichien Otto LOEWI,
(1873-1961), Prix Nobel de physiologie, se débattait en essayant de comprendre pourquoi la
stimulation électrique du nerf vague avait pour effet de ralentir le cœur. Il se réveilla un jour
ayant rêvé qu’il avait trouvé la solution. Mais impossible de se rappeler le rêve ! La nuit
suivante, il va au lit avec la ferme intention de rêver à nouveau à cette expérience cruciale ».
Et cela marche : LOEWI découvre qu’ il suffit d’utiliser deux grenouilles dont l’une a eu le
cœur ralenti et dont il faut prélever le sang pour l’injecter à la deuxième…dont le cœur
ralentit ainsi : ainsi sont découverts les effets de l’acétylcholine.
On pourrait dire que le rêve de LOEWI avait là réalisé son désir, mais au sens fort du mot
réaliser : il l’avait carrément rendu réel.

Raymond QUENEAU, lui, était déjà un peu plus freudien, lui qui avait pu écrire
que « rêver et révéler, c’est à peu près le même mot ». Et ce mot pont qu’est « révéler » ouvre
ainsi le champ de la réflexion vers un ailleurs imprévu où il nous transporte : que révèle donc
ainsi le rêve ?
Pour le psychanalyste, pas de doute là-dessus : le rêve révèle l’ICS. Il révèle ce qui, à
l’écume de la conscience, était inaccessible autrement. Et si, parmi les célèbres formulations
de FREUD, il en est une qui a traversé le siècle sans rien perdre de sa puissance et de sa
validité, c’est bien celle du rêve comme voie royale qui mène à l’ICS. Nous verrons que cette
conception n’est d’ailleurs pas du tout en contradiction avec les données issues de la
neurobiologie. On oublie par contre trop souvent en milieu freudien que l’histoire de la
psychanalyse a produit en fait deux grandes conceptions du rêve : la conception freudienne et
la conception jungienne et que, contrairement à ce qu’on pourrait trop rapidement penser, ces
deux conceptions ne s’excluent pas forcément l’une l’autre ( la tendance à l’exclusion et à
l’exclusive est plutôt le fait des psychismes humains et des institutions). Pour rappeler ici
rapidement ces deux conceptions, on pourrait dire que pour FREUD le rêve est
accomplissement de désir, que son contenu manifeste est le déguisement de son contenu latent
et dépend du travail du rêve, et que son origine est l’ICS historique du sujet. Pour JUNG, le
rêve est « une auto-représentation spontanée et symbolique de la situation actuelle de
l’ICS »4, conception à mon avis extrêmement intéressante et souvent corroborée en clinique,
ou encore « les rêves sont les manifestations non falsifiées de l’activité créatrice
inconsciente ». Et on ne s’étonne pas vraiment de retrouver là une pensée proche de la pensée
nietzschéenne, du côté du rêve créateur.
Donc masquage du côté freudien (hormis le cas des rêves d’enfant), et transparence
du côté jungien. Il est intéressant ici de remarquer que beaucoup de neurobiologistes se
retrouvent volontiers dans la conception jungienne ou proche d’une conception jungienne
(fût-ce parfois à titre de défense d’un freudisme quasiment haï et combattu). C’est le cas de
J.Allan HOBSON en particulier (dans son ouvrage « Le cerveau rêvant ») mais aussi de
quelqu’un comme Ernest HARTMAN, psychothérapeute et directeur d’un centre de recherche

2
in W. C.Dement : « Dormir, rêver », Seuil, 1981
3
J.Allan Hobson, « Le cerveau rêvant » Gallimard, 1992
4
in Elie G. Himbert, « Jung »
3

sur les désordres du sommeil, qui défend dans son ouvrage « Dreams and nightmares »5 l’idée
du rêve comme métaphore de nos problèmes existentiels, à la fonction antistress et
métabolisante des contenus émotionnels. On retrouve cette même idée de la fonction anti-
stress du rêve, du rôle d’effaceur du vécu du stress dans l’interview que Raymond
CESPUGLIO, le successeur de Michel JOUVET à LYON, a donné à la revue La Recherche
en Avril dernier6. J’en suis venu quant à moi à l’idée, issue de ma pratique et des rêves des
analysants entendus sans a priori théorique, que ce phénomène si riche et complexe qu’est le
rêve se rit de nos distinctions et qu’ainsi certains rêves sont –si l’on peut dire- à l’évidence
freudiens ( pas toujours à l’évidence, d’ailleurs, et le génie de FREUD a été d’en apporter la
preuve éclatante) tandis que d’autres, nonobstant notre besoin de confort intellectuel,
s’obstinent à s’offrir à une interprétation plutôt jungienne.
En fait, d’autres psychanalystes, bien que freudiens, ont pensé et défendu un modèle
très proche. Ainsi W.Ronald D.FAIRBAIRN pour qui le rêve était « la représentation de
situations endopsychiques réelles »7 ou encore Béla GRUNBERGER , freudien fidèle et
orthodoxe qui, contestant que le rêve fût toujours une satisfaction de désir, a pu écrire que le
rêve correspondait « à une sorte d’instantané qui éclaire électivement la réalité endopsychique
globale (massive, toujours présente et disponible) »8.
Autre différence de taille chez JUNG, bien sûr, la référence à un ICS collectif.
Différence de taille, en fait pas tant que ça puisque FREUD lui-même pouvait écrire en 1938
dans l’Abrégé : « le rêve fait en outre surgir des contenus qui peuvent n’appartenir ni à la vie
adulte ni à l’enfance du rêveur. Il faut donc considérer ce matériel-là comme faisant partie de
l’héritage archaïque, résultat de l’expérience des aïeux, que l’enfant apporte en naissant, avant
toute expérience personnelle ».

Ceci étant précisé du côté de la psychanalyse, nous pouvons maintenant faire un petit
tour du côté des acquis de la neurobiologie contemporaine, c’est-à-dire des connaissances
issues de ces cinquante dernières années concernant le rêve.
Tout d’abord pour rappeler l’organisation du sommeil en cycles de 90 à 100 minutes,
faits d’une succession de sommeil lent à ondes EEG lentes dont la fonction semble
essentiellement de récupération énergétique et au sein duquel on distingue quatre stades
successifs du plus léger au plus profond, et du sommeil paradoxal durant environ 20 minutes,
stade extrêmement actif et rapide électriquement (parfois même plus actif qu’à l’éveil en état
d’alerte) et dont l’aspect à l’EEG est d’ailleurs proche de celui de l’éveil . 80% des réveils en
SP donnent lieu à un récit de rêve et le lien – cependant non univoque- entre SP et rêve est
aujourd'hui certain.
Le deuxième acquis, fondamental, de la neurobiologie concerne les structures
cérébrales mises en jeu pendant le rêve : il s’agit essentiellement du tronc cérébral, des
noyaux thalamiques (qui sont des relais sensoriels)et de l’archéo-cortex ou cerveau limbique
qui comprend entre autres les amygdales et l’hippocampe, cerveau limbique dont le rôle dans
la mémoire, l’apprentissage et le traitement des informations émotionnelles est central.
Certains neurologues contemporains se sont bizarrement étonnés de découvrir à l’imagerie
cette activité du cerveau limbique pendant le rêve, activité qui pourtant ne saurait surprendre
le psychanalyste. Un neurologue américain nommé MISHKIN a eu deux formules
particulièrement heureuses pour exprimer le rôle des noyaux amygdaliens du système
limbique en disant que l’amygdale était le siège de « la rencontre des souvenirs » et celui du

5
E. Hartman, « Dreams and nightmares. The new theory on the origin and meaning of dreams, Planum
trade,1998
6
« La Recherche », Numéro spécial sur Le sommeil et le rêve, HS N°3, Avril 2000
7
W.Ronald D.FAIRNAIRN, Psychanalytic study of the Personality, Tavistock,1952
8
in « Narcisse et Anubis »,des femmes,1989
4

« mélange du souvenir et du désir ». inutile d’insister sur ce que de telles expressions


évoquent au psychanalyste…On trouve dans les deux ouvrages d’Anny DUPEREY sur son
propre traumatisme infantile d’étonnantes illustrations de cette « rencontre » et de ce
« mélange du souvenir et du désir ».
Autre acquis, et c’est une belle confirmation par la neurobiologie de la théorie
freudienne, il semble bien que le rêve passe neurologiquement par ce qu’on appelle le circuit
dopaminergique du système de récompense et de motivation (on peut si l’on veut traduire
respectivement récompense et motivation par plaisir et désir. Il s’agit simplement de passer
d’une langue dans une autre ) . Ainsi, le neurobiologiste exprime que le rêve serait là pour
remplacer les vraies actions suscitées par le système de récompense lorsque nous ne sommes
pas endormis ( Mark SOLMS). Soit en traduction interdisciplinaire : réalisation hallucinatoire
de désir au nom du principe de plaisir. On ne peut pas être plus freudien…
Enfin, troisième point que je voulais évoquer ici, la neurobiologie nous a appris un
élément extrêmement passionnant et mystérieux en ce qui concerne le SP : celui-ci
s’accompagne en effet d’un véritable bombardement du cortex par des influx venus de la
partie basse du tronc cérébral ( le pont ) et qui génère des ondes dites ondes PGO ou ponto-
géniculo-occipitales qui se terminent donc au niveau du cortex visuel entre autres (ce qui n’est
pas vraiment fait pour nous étonner) et les fameux mouvements oculaires qui accompagnent
le SP, mouvements oculaires auxquels finalement personne ne comprend grand chose malgré
qu’ils aient donné leur nom au sommeil paradoxal dans la langue anglaise ( sommeil REM ou
rapid eye movement). A propos de ces fameux mouvements oculaires une étude ayant
nécessité quatre années de travail d’un collaborateur de JOUVET a montré que leurs patterns
(ou organisation ou modèles) étaient génétiquement déterminés, strictement identiques chez
les jumeaux alors qu’ils sont différents chez les non jumeaux. Michel JOUVET rapporte à ce
sujet une sorte d’histoire de chasse de rêve de jumeaux que je ne résiste pas à l’envie de vous
conter QS.

Je voudrais maintenant poursuivre cette mise en perspective du rêve par une rapide
présentation d’une application particulière où le double regard psychanalytique et
neurobiologique me semble particulièrement éclairant et performant : il s’agit du problème de
ces troubles particuliers du sommeil que sont les cauchemars, les rêves traumatiques, les
terreurs nocturnes et le somnambulisme. Cette partie de mon exposé s’inspire largement du
dernier article de Lucile GARMA qui est neuropsychiatre, psychanalyste et responsable de
l’unité de sommeil à la Salpêtrière, article paru dans le dernier Hors série de la revue La
Recherche entièrement consacré au sommeil et au rêve9.
Le cauchemar peut être de deux types : dans son type habituel et bien connu de rêve
d’angoisse, il se produit au cours des deux ou trois dernières heures du sommeil en SP surtout
mais parfois aussi en stade 2. Son contenu est effrayant, bien sûr, mais aussi élaboré, de
longue durée, avec un fort sentiment de vécu, réaliste, détaillé, complexe. Les thèmes en sont
l’attaque, mutilations corporelles, images qui tournent autour de la mort. L’angoisse y est
forte. L’autre type de « cauchemar » est en fait le rêve traumatique répétitif, très différent, qui
survient en dehors du sommeil paradoxal , plus tôt dans la nuit que le rêve d’angoisse, entre
minuit et trois heures, et au cours du stade 2. Le contenu en est la reviviscence de l’événement
traumatisant, avec une forte participation corporelle et un réveil dans un sentiment de terreur.
On voit bien les ressemblances et les différences : dans les deux cas il s’agit d’un
rêve qui échoue à maintenir la continuation du sommeil et celle de la vie psychique nocturne.
Par contre dans le cas du rêve d’angoisse le travail du rêve a eu lieu avec une survenue
tardive et en SP, tandis que dans le rêve traumatique, aucune métabolisation de l’événement

9
in « La Recherche », HS Avril 2000 déjà cité
5

n’a été possible, le rêve est plus précoce dans la nuit, et au sein d’un sommeil bien moins
profond.
Le somnambulisme, comme les terreurs nocturnes qu’on peut regrouper sous
l’appellation d’activités oniriques, certes en fait bien différentes du rêve, surviennent, elles,
de façon brutale dans la première heure de la nuit au moment du stade 4 du sommeil lent
profond. Elles ne s’accompagnent pas d’un éveil conscient. Les contenus mentaux en sont
extrêmement pauvres et très difficiles à mettre en mots : souvent un thème unique, scène non
élaborée, sans personnages humains. Expériences d’effroi, écrasement, chute sans fin, noyade,
agression sauvage, sensation d’étouffement fatal, thème de catastrophe imminente,
régulièrement accompagnés du besoin de s’échapper. Comme y insiste Lucile GARMA, on
voit là l’absence totale du travail du rêve. « Il n’y a pas d’élaboration, ni d’issue psychique.
L’effroi, la force émotionnelle violente s’imposerait de manière brutale et désorganisante »
écrit-elle. L’objectif lors des traitements de ces malades somnambules est ainsi de faire
accéder le patient à une capacité représentative, c’est-à-dire à lui permettre d’intégrer
progressivement l’excitation psychique à un niveau mental.
Lucile GARMA met ainsi bien en perspective la différence entre rêve et activités
oniriques au sein même de la représentation topique freudienne, le cauchemar étant un rêve
qui échoue au niveau de la frontière ICS-PCS, le dormeur se réveille car il ne peut plus
maintenir l’hallucination, tandis que dans les terreurs nocturnes et le somnambulisme les
représentations inconscientes ne peuvent pas être élaborées dans un processus hallucinatoire.
Il y a alors levée des inhibitions motrices qui s’installent normalement dans le rêve.

A ce niveau de représentation du phénomène du rêve , la question n’est plus de


savoir si le rêve est le gardien du sommeil comme l’indiquait FREUD ( on sait que pour
Michel JOUVET, c’est l’inverse : le sommeil est le gardien du rêve) mais force est d’utiliser
un type de pensée plus complexe, par exemple comme celle que propose Edgar MORIN, et
qui respecte mieux, justement, la complexité des phénomènes en jeu. On pourrait ici en
proposer la formulation suivante en disant que le sommeil garde le rêve, qui lui-même garde
le sommeil, qui lui-même garde l’éveil. Le tout visant à garder le sujet, visant à la
conservation de soi-même. Comme l’écrit encore Lucile GARMA, le sommeil est fait pour
pouvoir être en meilleure forme le lendemain matin et non pour aller vers la mort. Il est
nécessaire de garder le sommeil au fond et tout simplement parce que la conservation de soi-
même l’exige . Cette conservation et/ou cette restauration de soi-même ne font d’ailleurs
que retrouver à un autre niveau de réalité ce vieux concept de la physiologie qui est le vieux
concept d’homéostasie, le mot lui-même d’homéostasie ne voulant dire au fond que « rester le
même ». Ceci nous amène comme par autoroute à la belle conception de Michel JOUVET du
rêve comme gardien de l’individuation psychique, de renforcement périodique du programme
génétique psychique dont l’une entre autre des fonctions pourrait être justement de rétablir
certains circuits qui auraient pu être altérés par les événement épigénétiques, ou, au contraire
d’en supprimer d’autres. Et ceci bien entendu peut nous évoquer, en tant que psychanalystes,
la fonction traumatolytique du rêve chère à FERENCZI.
Cette conception de JOUVET, extrêmement belle et originale, et par ailleurs
parfaitement argumentée, du rêve comme moment et gardien de l’individualité génético-
psychique, se retrouve étonnamment presque à l’identique dans le long et magnifique texte
poème de Charles PEGUY au titre si improbable : « le mystère du porche de la deuxième
vertu », où l’on peut lire ceci, mais ici c’est le poète qui parle, qui n’a que faire des ondes
lentes et des ondes rapides, du sommeil calme et du sommeil paradoxal car la métonymie lui
suffit : « Les nuits se suivent et se tiennent et pour l’enfant les nuits sont continues et elles
sont le fond de son être même.
6

C’est là qu’il retombe. Elles sont le fond même de sa vie. Elles sont son être même.
La nuit est l’endroit, la nuit est l’être où il se baigne, où il se nourrit, où il se crée, où il se fait.
Où il fait son être.
Où il se refait.
… ».
Un neurobiologiste et un poète se retrouvent ainsi sur une même conception du rêve.
Ils n’y sont pourtant pas encore seuls car un psychanalyste déjà cité a lui aussi dit la même
chose, avec son langage à lui. Il s’agit de Béla GRUNBERGER dans son article « Réflexions
sur la théorie psychanalytique du rêve »de 1976 où il écrit ceci : « Ayant ainsi soumis à la
critique la formule « le rêve-gardien du sommeil », je vous propose d’en introduire une autre :
« le sommeil gardien du narcissisme »10
Ainsi, lorsqu’un neurobiologiste, un poète et un psychanalyste, chacun avec son
langage propre, se retrouvent sur une conception commune de la fonction du rêve, cette
conception a peut-être quelque chance d’approcher un certain degré de vérité…

Dr J.P.FRESCO, 02.12.2000

* * * * * * * *

10
in Op.cité

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